27 novembre 2014

Everybody Digs Michel Doneda, The Recedents & Sven - Åke Johansson 's 80's Concerts cd box SAJ/ Hunt at The Brook : Daniel Thompson Benedict Taylor Tom Jackson

Everybody Digs Michel Doneda Relative Pitch RPR1027


  La pochette de ce superbe album solo de saxophone soprano fait référence à (et pastiche) l’album Riverside du pianiste Bill Evans « Everybody Digs Bill Evans » que Miles Davis, Ahmad Jamal, Canonball Adderley avaient préfacé de manière dithyrambique pour faire sortir leur ami et collègue du relatif anonymat dans le quel il se trouvait vers 1958. Ici, pas moins de sept saxophonistes "soprano" de jazz ou d’improvisation exploratoire, le domaine de prédilection de Michel Doneda, soulignent tout le bien qu’ils pensent de la démarche musicale de ce spécialiste français du saxophone droit et la qualité superlative de son travail instrumental. Un maître du saxophone soprano ! Evan Parker, John Butcher, Dave Liebman, Sam Newsome, mais aussi son compagnon de scène Bhob Rainey et deux sopranistes très remarquables qui ont travaillé tout leur Steve Lacy : l’italien Gianni Mimmo et l’américain Joe Giardullo. On a alors une pensée émue pour Steve Lacy, leur grand frère à tous et pour Lol Coxhill avec qui Doneda avait enregistré un bel album en duo, Sitting on your stairs (Emanem 5028 2011). Pour caractériser la musique de Doneda en schématisant, on pourrait dire que son point de départ se situe dans les avancées révolutionnaires de l’Evan Parker des Aerobatics (Saxophone solos de 1975 – Incus 19 réédition Chronoscope et ensuite Psi 09.01)  et de son duo sauvage et insaisissable avec Paul Lytton. La démarche de Michel Doneda se particularise par l'exploration sonore radicale où l’aspect mélodique (la régularité des intervalles) et la construction logique (le propre de John Butcher, un prof de maths) sont mises de côté au profit du son « pour le son ». Dès les premiers sons de la première plage, on a peine à croire qu’on entend un  saxophone et que les suraigus et la vibration presque métallique proviennent d’une colonne d’air … Une quête à la fois introspective  et sauvage où les timbres multiples rendus possibles par le jeu (des techniques de souffle alternatives et aléatoires) semblent livrés à l’état de nature non domestiquée.  L’instrument est particulièrement difficile à contrôler et, vu sous cet angle, M.D. en est un des grands maîtres vivants. Les paramètres du jeu de saxophone sont ici tordus, contorsionnés, les sons sont fragmentés, étirés, tire-bouchonnés, ou avalés/ recrachés à une vitesse exponentielle ou flottent dans une stase hyperbolique. Les timbres se succèdent sous des formes contradictoires, antinomiques… On a parfois le sentiment que la bande son est subitement accélérée ou savamment ralentie. Une forme de retenue contrôlée et une dynamique sonore surréelle se font jour, privilégiant les détails infimes, « microsons », multiphoniques, glissements entre les hauteurs de notes, harmoniques sifflées, morsures, bruitismes des clés, du bocal et de la colonne d’air. Parfois au bord du silence... comme dans ce fantômatique Canal…Et quand on a fait le tour de cette grammaire et de sa syntaxe, on oublie qu’elles évoqueraient un nouveau langage. Car la fascination des signes, des gestes, des mouvements du corps fait voyager l’imagination et touche au sensible le plus aigu. L’intérêt de la démarche de Doneda est qu’elle s’exprime comme dans un voyage au travers d’un paysage inconnu qui se développe et se métamorphose en nous d’une façon éminemment poétique. La logique du compositeur, de l’instant composer ou de l’improvisateur « à programme » s’est évaporée au profit des sens et leur quête instantanée. Dans la foulée des années 80 et 90, Michel Doneda était devenu « un musicien à suivre » notoire. On regrette que d’autres propositions musicales « improvisées », plus « énergiques », « commerciales » (disons-le), « productivistes », « médiatisées », etc… aient occulté un tel talent. Michel Doneda est un artiste improvisateur essentiel, aussi peu occupé de « concessions » que cette musique « improvisée-radicale» est sensée l’être.
Magnifique. Notons encore que le label CCAM Vand’Oeuvre vient de publier un fantastique et rare duo avec Fred Frith (guitare électrique) et Doneda (saxophones soprano et sopranino). Référence : Vand’œuvre 1440.  A ne pas rater !!

The Recedents wishing you were here : Lol Coxhill - Mike Cooper – Roger Turner Coffret 5 CD Free Form Association. Enregistrements de 1985, 1995, 2000, 2002, 2003 et 2008.
Les quatre premières plages du premier CD me sont familières, car non seulement j’étais présent lors du concert à Waterloo le 17 août 1985, mais qu’en plus … j’en fus l’organisateur. Le CD Emanem Waterloo 1985 d’Evan Parker, Paul Rutherford, Hans Schneider et Paul Lytton provient du même festival. Mike Cooper est un des trois explorateurs de base de la guitare « couchée » , traitée et manipulée avec des objets en tout genre, morceaux de verre ou de bois, vis, gommes, ressorts, boîtes, tiges métalliques, lames etc….  avant que cette pratique soit devenue une mode. Les deux autres sont Keith Rowe et Fred Frith qui ont tous deux joué et enregistré avec Lol Coxhill, un incontournable du saxophone soprano, inimitable. Notre saxophoniste adoré disparu a en commun avec Cooper une pratique « alternative » du blues, proche du jazz libéré. Ils se sont croisés durant les années soixante. Roger Turner est un explorateur de la percussion libérée comme il y en a quatre ou cinq dans cette scène (Lovens, Stevens, Lytton, …).  Le mélange improbable, parfois tangentiel ou explosif, de leurs trois pratiques et sensibilités différentes, si pas dissemblables, procure un état permanent d’anarchie et de surprise exploratoire et s’ajuste à l’écart de toute logique. Evacuons le définitionnisme et la mesure de toute chose vue sous la lorgnette du pseudo-rationnel… et amusons-nous ! The Recedents fut un groupe à nul autre pareil et pareil à rien d'autre et cette série d’enregistrements qui le prouve est complètement décoiffante. Les trouvailles sonores et accélérations de roulement tous azimuts de Roger Turner accrochent l’oreille et entraînent l’imagination dans un dédale volatile… Pendant qu’il ferraille avec un sens de la dynamique hors norme, Mike Cooper redéfinit la guitare sur table « amplifélectronoise ». C’est dans ce contexte que Lol Coxhill nous livrait son approche la plus sonique, la plus radicale… et puis tout à trac, un air caraïbe s’insinue… A la recherche des sons dans l’instant here and now… Au fil des ans, ce trio a peaufiné son approche en équilibre instable jusqu’au dernier concert … Mike Cooper et Roger Turner ont fait mettre en vente ce magnifique coffret avec un livret contenant des photos improbables, des anecdotes, des textes, des reproductions de coupures de presse et d’affiches  qui nous replongent dans l’esprit de cette musique rebelle. Le producteur : Vitold Oleshak un excellent pianiste improvisateur polonais qui a aussi enregistré un beau duo avec Roger Turner. Adressez-vous à http://www.instantjazz.com/instantjazz-cd.php?id=2509  pour commander ce coffret ou adressez-vous à Improjazz.

The 80’s Concerts Sven Åke Johansson
coffret 5 CD SÅJ 33/34/35/36/37
Rimski Wolfgang Fuchs / Mats Gustafsson / Sven-Åke Johansson Berlin 1990
Erkelenzdamm Richard Teitelbaum / Sven-Åke Johansson  Berlin 1985
Splittersonata Gunther Christmann / Wolfgang Fuchs / Sven Åke Johansson / Tristan Honsinger / Torsten Müller / Alex von Schlippenbach Bremen 1991
Umeà Gunther Christmann / Wolfgang Fuchs / Sven-Åke Johansson / Tristan Honsinger Umeà 1989

BBBQ Chinese Music Steve Beresford / Rudiger Carl / Han Reichel / Sven Åke Johansson Paris Dunois 1982



Excellemment enregistrés, ces albums livrés en coffret par Sven-Åke Johansson sur son label SAJ CD sont bien plus que des documents de l’époque glorieuse où la free-music improvisée libre européenne (et le « free-jazz ») connut une désaffection du public et des organisateurs festivaliers. Un événement ! Le suédois Sven-Åke Johansson est à la fois batteur de jazz à risques, improvisateur libre, compositeur, musicien expérimental, poète diseur spécialiste du sprechgesang, accordéoniste, artiste graphique et tout cela à la fois. Il fut parmi les premiers compagnons de Peter Brötzmann et de Peter Kowald durant les années 60, une aventure immortalisée par les albums légendaires For Adolphe Sax et Machine Gun. Il entretient une très longue relation de jeu et d’amitiés avec le pianiste suédois Per Henrik Wallin, un artiste fascinant qui nous a quitté trop tôt. Son duo avec Alex von Schlippenbach a enregistré à plusieurs reprises sur le label FMP (Live at Quartier Latin, Drive, Kung Bore) SAJ, le label frère de FMP a été baptisé de ses initiales après que son album solo l’ait inauguré (SAJ-01 Schlingerland Schwingungen). Il a travaillé aussi avec le saxophoniste Alfred Harth qui, à 16 ans, fut le premier pionnier recensé de l’improvisation tout à fait libre (Just Music Francfort 1965) sur le continent (Canadian Cup of Cofee SAJ). Trois des cd's de ce coffret nous le font entendre avec le saxophoniste sopranino Wolfgang Fuchs, aussi géant de la clarinette basse, un des plus grands souffleurs de cette scène. Le personnel de la Splitter Sonata est presque celui du disque Idyllen Und Katastrophen (Sven-Ake Johansson Po Torch 9). Idyllen und Katastrophen est l’album préféré de Gérard Rouy, le spécialiste afficionado FMPiste – inconditionnel des Brötz Kowald Schlipp Fred Lovens Fuchs Christmann Rutherford Parker Coxhill etc… -  le plus insigne de la francophonie. Gérard a vécu cette aventure en première ligne en suivant les festivals et concerts comme photographe et journaliste pour Jazz Magazine. Découvrir le coup d’archet oblique et le son extraordinaire de Tristan Honsinger survolé par les morsures explosives du sopranino de Fuchs, le chahut décalé des rimshots et friselis de SAJ au hi-hat, les grommèlements sussurés par Gunther C. dans la coulisse est le summum de la délectation. Entre eux s'installe une collaboration télépathique évitant le vulgaire "call and response" gestuel. Oubliez Company, AMM et trois kilos de CD’s des Brötzm et MatsG avec PNL…  Découvrez Fuchs et un Mats Gustafsson trentenaire citant Rimsky-Korsakoff scandé par le batteur dans un fameux squat Berlinois avant de s ‘éclater. J’aime par dessus tout le sens de l’espace dans les interventions percussives disruptives de SAJ, un batteur virtuose qui décale et décompose les gestes et rudiments traditionnels de la batterie attirant irrévocablement l'écoute et questionnant l'instant musical. Son jeu d’accordéon est plus que mélancolique et le gesprechgesang qu'il maîtrise à la perfection crée une dimension théâtrale vivante qui place la musique "abstraite" des Christmann, Fuchs et Honsinger dans un univers aussi ludique que familier. Le vécu de SAJ crée du sens complémentaire, supplémentaire avec la justesse de tons des  meilleurs acteurs. Du grand art. L'avant-garde pour tous ! Le Britisch Bergisch Brandenburgisch Quartet avec Steve Beresford, Rudiger Carl au ténor, Hans Reichel et sa guitare et Johansson à l’accordéon vaut son pesant de schnaps et de schnitzel !! Dialogues et écoutes merveilleux entre ces personnalités que tout semble opposer !! Une musique chaleureuse et poétique. On est ici au cœur de la fabrique «musique-improvisée-européenne-radicale» dans ce qu’elle a d’irremplaçable. Vous rendez-vous compte ? TROIS CD’S AVEC WOLGANG FUCHS ! Fuchs est à Dolphy, ce que Evan est à Coltrane  !!!  FUCHS et un TRISTAN Honsinger épuré avec les facéties rythmiques de Sven Ake ………  Idyllen und Katastophen …. Et deux CD’s avec Tristan et Gunther Christmann, rejoints pour un cd par Alex von Schlippenbach et le contrebassiste Torsten Müller .... pffff ....  dingue !
J’arrête : plus que ça tu meurs … …… !!   John Corbett est un snob  !! 
Consultez : http://www.sven-akejohansson.com/de/ et commandez cela bien vite ...

Hunt at The Brook : Daniel Thompson Benedict Taylor Tom Jackson FMR 


Jouer en trio est une des options principales de la musique improvisée libre. Le clarinettiste Tom Jackson, l’altiste Benedict Taylor et le guitariste Daniel Thompson se sont créés une empathie mutuelle où coexistent leurs univers sonores individuels et un très large éventail des permutations interactives possibles de la clarinette, du violon alto et de la guitare acoustique. Une science du glissando et une attaque spécifique de l’archet à la fois acide, grasse et irisée contrastent et complètent la dynamique bruissante et pointilliste de la guitare percutée et virevoltante et les volutes goûteuses et sursauts rengorgés de la clarinette. Sans nul doute ce trio chambriste figure parmi les combinaisons instrumentales - sans percussion – les plus réussies dans le sillon de Bailey - Guy- Rutherford (Iskra 1903 Mark 1) et de Butcher - Durrant - Russell. Le partage des idées, le dialogue intense et le recyclage permanent des options et trouvailles de tous par chacun fait de leurs six ouvrages éphémères une somme de tous les affects suscités par leur connivence et leur amour de jouer ensemble. Sonores et harmoniques, constructions et désarticulations,  humeurs et rires, rêves et réflexions. Des signes : stries, pointillés, ellipses, tangentes, lueurs, ombres, suites, conclusions et rebondissements. Il serait vain d’en vouloir suivre et mémoriser l’évolution pas à pas, minute après minute, ce serait sans fin. Et elle finit où elle commence. Et recommence sans que ce soit fini dans un réel accomplissement. Plusieurs pratiques (post-classique, jazz libre contemporain, traditionnel vivant) sont assumées et sublimées avec émotion, engagement sincère et une retenue généreuse. On évite résolument l’expressionnisme dans une débauche  d’occurrences expressives. Cette nouvelle génération d’improvisateurs, entendus à la Shoreditch Church, au Horse Club, à Arch One et dans Foley Street, redessine patiemment de nouvelles destinées aux idées d’invention, de découverte et d’inouï collectif de la scène improvisée londonienne. Une  synthèse aussi vivante est tout aussi légitime et, surtout, authentique, talentueuse et passionnante. Voici une musique qu’on écoute sans se lasser encore et encore.