31 mars 2015

More stuff from the beginning of Spring


Mill Hill Adrian Northover & Daniel Thompson Raw Tonk Records RT011

Again ! Daniel Thompson devient un guitariste acoustique incontournable de la scène britannique et il a trouvé avec Adrian Northover, un excellent collaborateur au niveau du souffle avec ses saxophones sopranino, soprano et alto. Mais pas que ! Adrian et Daniel comptent parmi les activistes les plus impliqués à créer les conditions  du développement et de l’extension des musiques improvisées dans sa pratique au jour le jour. Tous deux contribuent à organiser des lieux et des soirées dédiés à la libre improvisation avec une réelle continuité dans l’agglomération londonienne. Adrian Northover co-organise le Horse Improv Club dans la banlieue sud (Vauxhall, Kennington) avec la saxophoniste Sue Lynch et l’incontournable Adam Bohman, artiste dont le Café Oto a réalisé une très belle exposition des œuvres graphiques (à quand une publication de sa littérature délirante ?). Daniel Thompson est le responsable de la série Foley Street dans le West End et intercède aussi à la Hundred Years Gallery et à Arch One pourque des projets intéressants puissent se concrétiser.
Mill Hill … ? Enregistré à Mill Hill par Ian Hill, les titres des morceaux se réfèrent au processus de la minoterie (moulins à moudre…). Colloid, Arrastra, Huller, Grist, Buhrstone font allusion à des techniques précises décrites dans les notes de pochette, laquelle est une belle enveloppe de papier fort gris avec une sérigraphie à l’encre noire, sans mention des artistes. La musique, elle, évoque on ne peut mieux cet esprit fait-main artisanal fait de cordes pressées et tirées, d’accords distendus, de zigzag dans les harmonies, de souffle libéré des conventions et d’une écoute mutuelle interactive. On est surpris d’entendre un guitariste qui s’avance sur le terrain des Derek Bailey et John Russell en trouvant des solutions très personnelles et originales aux innombrables questions posées à la six-cordes lorsqu’on s’y aventure totalement sans regarder derrière. Adrian Northover développe une démarche introspective de la respiration continue à une variété de murmures contrôlés et infrasons retenus au bord du silence. La combinaison souffle cordes fonctionne à merveille dans le dialogue permanent et Mill Hill est un bien beau disque qui mérite des écoutes répétées.

Noi Credevamo (e crediamo ancora) Gaetano Liguori Idea Trio avec Roberto Del Piano & Filippo Monico BULL 060



Disque divisé en deux parties du même trio en 2011 et en ….. 1972 (!!) quand ils étaient jeunes et beaux et CROYAIENT (Noi Credevamo). Le pianiste Gaetano Liguori est un pionnier incontournable en Italie de la transformation du jazz libertaire d’essence afro – américaine vers une identité européenne assumée. Giancarlo Schiaffini, Giorgio Gaslini, Marcelo Melis, Andrea Centazzo, Guido Mazzon, Mario Schiano, Toni Rusconi, sans oublier le photographe Roberto Masotti à qui on doit leur portrait en 1974. Aujourd’hui, ils croient encore dans tous les idéaux progressistes malgré certaines désillusions. Pêle – mêle, les Beatles, Marx, Lénine, le Viet Nam et le peuple Palestinien, Albert Ayler, Sergio Leone, Mingus, les Partisans, Woodstock et le Néorealisme  etc… La liste exhaustive dans la pochette se termine par les mots résister, résister, résister. Enregistrée au légendaire studio Mu-Rec (ex-Barigozzi) de Milan par Paolo Falascone, la suite E Crediamo ancora incorpore entre autres une série d’hymnes comme le Chant des Partisans qui surgissent au détour d’une improvisation et sur lesquelles le pianiste improvise avec goût et un doigté formidable propulsé par les rythmes croisés de Filippo Monico et la basse électrique virevoltante de Roberto Del Piano. Les spécialistes à l’écoute aveugle vous diront que le pianiste est italien, même si certains passages évoquent le « Cecil Taylorisme » des critiques des seventies. Remarquable par sa logique musicale, Liguori transite aisément d’un bouillonnement free à plein clavier vers la musque tonale  swinguante en reconstruisant d’une manière lumineuse ce qu’il a démantibulé énergiquement. Ces deux compagnons n’ont rien perdu de la verve de leurs jeunes années. Au total huit morceaux sans titres mais aux sentiments forts et un brin nostalgiques.
La deuxième partie « Noi Credevamo » enregistrée comme démo en mai 72 est un vrai morceau d’anthologie historique datant d’une époque où les Brötzmann, Parker, Van Hove, Schweizer et Schlippenbach comptaient chacun à peine une demi-douzaine  d’enregistrements au compteur et passaient pour des sous-fifres de deuxième ordre aux yeux de la critique européenne et demeuraient complètement inconnus outre Atlantique. A prendre aussi au sérieux que les témoignages du suédois Per Henrik Wallin  ou ceux de François Tusquès. Cinq morceaux sans titre pour un total de vingt cinq minutes.  Débutant avec un thème proche de l’esprit des trios de Paul Bley époque Carla et Annette dans une veine plus rhapsodique, le trio construit un univers mystérieux où le thème est exploré en plusieurs sections sur divers tempos qui s’accélèrent. La batterie introduit le deuxième morceau avec une déflagration et le pianiste démarre aussi sec dans une veine agressive et clusterisée à coups de manche et de poignets, on pense à ses collègues Van Hove, Schlippenbach et Schweizer. Je dois dire qu’il exprime merveilleusement un contenu mélodique dans ce déluge de notes. Le troisième commence dans un jeu sur le silence où la basse électrique de Del Piano se place au centre et développe son phrasé avec les accélérations subites du pianiste. J’aime particulièrement le morceau quatre pour ces enchaînements surprenants. Un free maîtrisé et construit avec une énergie libératrice et des surprises de parcours. Les morceaux sont ici joués avec une limite temporelle entre quatre et sept minutes sans doute pour caser cinq compositions (ouvertes) dans le temps d’une bande magnétique. Mais on imagine bien le développement possible sur scène. Pour un premier album, ces trois jeunots d’alors étaient vraiment talentueux. Pas étonnant que le trio Liguori fut dans la ligne de mire de Philippe Carles et Daniel Soutif de Jazz Magazine durant les années septante.
Spécialement pour ces enregistrements d’archives, ce cédé est à recommander pour quiconque  veut retracer les enregistrements marquants de la scène improvisée / free-jazz européenne par des musiciens qui se sont engagés très jeunes pour que cette conception révolutionnaire de la musique vive et n’ont jamais failli depuis.

Doubleganger Amarillo Setola di Maiale SM2610


Deux guitaristes noise post-rock, batterie swinguante et free, chanteuse mystérieuse et bruissante, et bassiste solide. Après le vacarme de Warrior, une minute rassurez-vous, un Tomahawk lancé dans un mode swinguant et aéré avec la voix fantomatique de Pat Moonchy. Les cinq de Doubleganger privilégient les effets de guitare dans un mode abrasif et expérimental et une lisibilité remarquable, un sens de l’exploration sonore alternant avec des tempos renouvelés et jamais pris en défaut. Columbus est le moment féérique où le babil dans des langages imaginaires de Moonchy rencontrent la batterie bruissante de Pascale « Lino » Liguori, pilier du jazz milanais et grand-père du guitariste Lucio Liguori. Les rythmiques impaires n’ont pas de secret pour ce jeune homme de 88 ans comme on peut l’entendre Sorachi où, après que la chanteuse ait contribué dans le tempo idéal, les deux guitaristes s’échappent dans des échanges vif-argent (Lucio et Amaury Cambuzat). Il y a aussi des changements de cap à l’humeur du moment qui respirent bon l’improvisation assumée. Au total un album aéré, aventureux et sans prétention qui a le bonheur de relier le swing (du grand-père), la vocalité alternative avec le noise des gamins de la manière la plus naturelle qui soit. Aussi les deux guitareux et le bassiste (Angelo Avogadri) ménagent la dynamique sans forcer le volume, heureusement. Cela mérite son écoute !! 
Lucio e Pat ont été durant de longues années les animateurs du Moonshine , un lieu amical et exceptionnel, dédié aux musiques improvisées à Milan. Quand à Lino Liguori, c’est un pilier du jazz italien de l’ère swing-bebop qui a suivi ses enfants dans leur quête de la liberté jazzistique : il a joué avec son propre fils Gaetano Liguori (album Terzo Mondo label Palcoscenico) et fut le batteur du Concerto della Statale avec le saxophoniste légendaire Mario Schiano  et le bassiste Roberto Bellatalla enregistré lors de l’occupation de l’Università Statale de Milan et paru sur le disque du même nom, et que tous les schianologistes et autres férus de free considèrent comme le témoignage de cette époque héroïque et troublée.

Hesitancy Ensemble Progresivo Ricardo Tejero  Alison Blunt  Adrian Northover  Marcio Mattos  Ricardo Sassi  Creative Sources CS 266

Voici un groupe assez particulier de praticiens de l’improvisation engagés dans la vivace scène londonienne et rassemblés ici par le saxophoniste et clarinettiste Ricardo Tejero autour de ses compositions propres, conçues comme des structures pour improvisateurs libres et intitulées Progresion numérotées de 20 à 29 dans le désordre. Plusieurs plages en quintet dont le mouvement central culmine à 19 minutes et quelques duos courts de Tejero avec le violoncelliste Marcio Mattos, la violoniste Alison Blunt et le guitariste Ricardo Sassi s’intercalent entre les ensembles et l'énergique duo Northover et Tejero clôturent  le disque. Chaque pièce en quintet a une couleur, une dynamique une manière de réguler les échanges ou de sourdre la spontanéité. J’apprécie particulièrement les intercalements subtils de la troisième plage, Progresion 29, Ida y Vuelta 5:48 avec une rythmique suggérée auquel chaque instrument contribue de manière contrastée et personnelle avec une belle lisibilité. Roberto Sassi privilégie les effets qui colorent son jeu de guitare et dont le minimalisme achevé et concis est mis en évidence dans le duo Double R, les deux Ricardo, en somme. La pièce de résistance, Progesion 20, Dilema, développe une entrejeu faits de phrases brèves, de notes tenues, de tons suspendus, de legato monochrome, de voicings vaporeux au bord du silence. Un cheminement mène à une improvisation du sax soprano sur un ostinato électronique (Mattos) avec guitare électrique. Les sections improvisées s’enchaînent avec une vraie logique impliquant successivement chaque musicien, clarinette, guitare , sax ou violoncelle comme meneur de jeu en suivant un cheminement préétabli. Tout cela sonne de plus en plus spontané, vivant et engagé tout au bénéfice de la structure de Ricardo Tejero qui équilibre les interventions de chacun pour en optimiser la variété et l’ensemble des couleurs, dynamiques et trouvailles sonores. Bref, c’est vraiment réussi. Quand arrive la marche qui marque l’introduction du troisième mouvement faits de pulsations brisées ou de cloche-pied enfantin, passé les deux tiers de Dilema, on est surpris que le temps et la musique coulent si naturellement. Tejero, musicien sensible et secret, préfère la qualité des échanges et des équilibres, sans devoir rendre trop complexe son écriture. Je me serais attendu à plus de mordant et de conviction dans le final de cette pièce de 19 minutes qui fonctionne pourtant bien jusque là. Progesion 21 , Mannock entame un rythme de ginguois solutionné par des legatos monochromes des cordes et le soft noise de la guitare , enchaîné par une cadence légère du violoncelle suivie par l’ensemble dont se détache un solo de clarinette. Une musique de chambre parfois à la limite d’un folk cubiste un brin noise et minimal. Les intentions du compositeur sont évidentes : comment structurer l’improvisation par une succession d’événements sonores.  La plage 8 se rapproche d’un jazz contemporain de chambre qui vire vers le noise. Cette musique est bien et j’apprécie chacun des musiciens ensemble et séparément. Mais l’Hesitancy à incarner une forme de vitalité dessert un peu le projet malgré ses qualités oniriques et le développement intéressant de chaque mouvement… J’ai un excellent souvenir du groupe de Ricardo Tejero au Boat Ting avec une musique similaire et la présence de son compatriote, le batteur Javier Carmona.  

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