29 mars 2017

Alterations : Peter Cusack Steve Beresford Terry Day David Toop/Trevor Watts String Ensemble/ Loz Speyer’s Inner Space/Richard Scott ‘s Lightning Ensemble & Jon Rose/ In Layers Onno Govaert Marcelo Dos Reis Luis Vicente Kristjàn Martinsson

In Layers Onno Govaert Marcelo Dos Reis Luis Vicente Kristjàn Martinsson FMR CD4271116
Excellent quartet de jeunes musiciens qui nous offrent ici des improvisations complètement libres d’une grande lisibilité et un vrai sens de la dynamique. Kristjàn Martinsson a préparé son piano et en joue au clavier, faisant tinter les cordes amorties par les objets (clous, boulons, morceaux de bois, gommes etc… , je suppose). Dans les larges interstices ouverts par le jeu parcimonieux de la percussion et du piano dans Glaze (I), la guitare de Marcelo Dos Reis, fait entendre des intervalles distendus et le trompettiste Luis Vicente explore la colonne d’air et l’embouchure. Fresco (II) : les échanges s’emballent, la trompette se fait lyrique et décolle par dessus les vagues du pianiste. Il cultive les registres extrêmes avec une ductilité spontanée et s’affirme au fil des enregistrements (Fail Better ! et Chamber 4). Onno Govaert affiche une conception sonique et libérée de la percussion en amortissant la frappe et diversifiant les sons à l’instar des Paul Lovens et des Roger Turner. Créant avec conviction un territoire commun qu’ils traversent dans un cheminement à la fois construit, évolutif et instantané, les quatre improvisateurs se révèlent dans une véritable musique de groupe avec une identité propre et une profonde capacité aux dialogues croisés. Lorsqu’ils sont entraînés dans un flux intensif, il faut tendre l’oreille pour retracer le jeu enfoui de la guitare et c’est bien un challenge difficile à relever lorsque le pianiste, le batteur et le trompettiste choisissent cette démarche. Fort heureusement, dans le remarquable Underdrawing (VI) le jeu sensuel du guitariste se distingue clairement et c’est tout autour que se polarisent l’invention sonore de Vicente et Govaert et les arpèges aériens réitérés de Martinsson. Un beau final !

Alterations Void Transactions : Peter Cusack Steve Beresford Terry Day David Toop. Unpredictable Series.

Groupe aussi improbable par les instruments et la personnalité de chaque musicien, qu’excentrique et légendaire, Alterations s’est réuni tout récemment après trente années de silence. En fait, je me souviens très bien de leur mémorable dernier concert lors du Festival Incus en avril 1986 et j’ai pu écouter chacun de leurs albums. C’est à tout point de vue un groupe inclassable. Leurs musiques se font croiser moultes pratiques musicales, idées, attitudes et références et parfois collisionner les inspirations individuelles. Véritablement imprévisible comme le revendique leur label Unpredictable. Pour ces concerts de juin 2016 enregistrés à l’occasion de l’Alterations Festival, un coffret collector reprenant quatre concerts dont celui du Festival Incus mentionné plus haut, avait été publié avec une pochette arty différente pour chaque copie.
Crédits de Void Transactions  : Acoustic Guitar, Field RecordingsPeter Cusack. Drums, Percussion, Objects, Balloons, Bamboo Pipes – Terry Day. Electric Guitars, Bass, Flutes, Objects, Fiddle -  David Toop. Piano, Electronics, ObjectsSteve Beresford. Design Blanca Regina Design and Tomi Osuma and Liner NotesDavid Toop. Mixed and Mastered by  Dave Hunt. Recorded BySyd Kemp London Café Oto June 18-19 2006.
Impossible de passer par le menu chaque composante musicale et de décrire les permutations orchestrales de ces multi-instrumentistes qui font coexister la chèvre et le chou dans une dérive improbable. A eux seuls, les Alterations constituent un courant dans la musique improvisée libre la débordant de ses « limites » non-idiomatiques (british), tout à fait à l’écart des modèles référentiels, tels Spontaneous Music Ensemble, AMM, le duo Bailey-Parker, Butcher/Durrant/Russell, IST (Davies Fell Wastell) etc… On y trouve une dimension qu’on qualifierait volontiers de post rock ou post punk ou que sais-je et l’esprit du People Band. Donc voici un groupe mémorable qui,à près de trois décades d’intervalle, se manifeste à nouveau de manière bien réjouissante. Osons espérer que leur message tout particulier se fasse entendre, car il tranche indubitablement dans la lingua franca des musiques improvisées.

Auslanders : Live in Berlin Richard Scott ‘s Lightning Ensemble & Jon Rose Vernacular Recordings 001 / Sound Anatomy 006
Le Lightning Ensemble de Richard Scott est en fait un trio britannique composé du guitariste acoustique David Birchall, du percussionniste Phil Marks et de Richard Scott au synthé modulaire, présents en trio pour une longue improvisation de 24 minutes, Jon Rose se joignant à eux pour un deuxième morceau de 16 minutes. L’intérêt du trio réside dans la manière très originale par laquelle Scott intègre le flux de son jeu électronique dans les échanges acoustiques pointillistes de Phil Marks et David Birchall, musiciens ici focalisés dans un jeu volatile très retenu dans la lignée du Spontaneous Music Ensemble à l’époque de Face To Face (Emanem 1973).Richard est d’ailleurs un fan absolu du légendaire percussionniste dont le très mini-kit est à la base de cette intransigeante discipline. Cela contraste assez fort avec le côté « rentre de dans » très animé du même Phil Marks au sein du trio Bark! et du jeu électrique avec effets du guitariste que j’ai eu l’occasion d’apprécier lors d’une tournée dans le Nord de l’Angleterre. Le Lightning Ensemble se concentre sur une activité sonore interactive déconstruisant l’acte de jouer avec une excellente lisibilité. Une gestuelle de l’exploration sonore qu’on pourrait transposer visuellement dans la peinture abstraite. On peut parler dans le cas du percussionniste d’une coloration des frappes tant son nuancier sonore est diversifié d’une fraction de seconde à l’autre.Si cette musique s’intègre dans le corpus « traditionnel » de l’improvisation libre british initié par les pionniers d’AMM, du SME de John Stevens, de Music Improvisation Company (Bailey, Hugh Davies, Jamie Muir, Evan Parker), Paul Rutherford, Phil Wachsmann, mais aussi Gunther Christmann & Paul Lovens, etc..., elle invite notre écoute et notre imagination par une complexité qui évoque une irrésistible effervescence, paradoxale si on considère l’ascétisme minimal des deux instrumentistes et le surf elliptique de Scott sur les pulsations. Quand Jon Rose se joint au trio, les quatre musiciens se mettent à percoler et à faire tournoyer les sons tout en restant dans le registre post SME. Leur puissante conviction est propre à convaincre un « apprenti auditeur » de la profonde originalité de leur démarche et du grand plaisir qu’ils nous (et se) communiquent.

Loz Speyer’s Inner Space Life On the Edge Leo Records LR CD 782

Le producteur du label Leo, Leo Feigin, n’a pas mal fait d’évoquer l’Art Ensemble of Chicago pour nous exprimer son enthousiasme légitime et sa fierté de nous proposer l’Inner Space de Loz Speyer, un excellent groupe de jazz contemporain qui fait siennes de manière convaincante les avancées des quartets d’Ornette et de l’Art Ensemble. Si le poly-instrumentisme exacerbé de l’AEC est absent, on trouve dans ce quintet aussi remarquable et cohérent, une manière vraiment remarquable d’assembler les voix, de gérer les contributions individuelles, des colorations dans le jeu instrumental, un lyrisme évocateur digne des qualités de ce groupe légendaire. Une belle inspiration proche du blues, un sens aigu du contrepoint, une mise en valeur des arrangements. Un contrebassiste solide doué d’un réel mélodique, Olie Brice, un batteur efficace et subtil, Gary Wilcox et un trio de souffleurs aussi singuliers que pertinents avec une réelle capacité de mêler leurs voix pour en tirer le suc. Loz Speyer est remarquablement inspiré à la trompette et au bugle, ses inflexions très personnelles le rendent plus qu’attachant. Un improvisateur qui fait passer son message. Les deux saxophonistes sont deux pointures originales : le vétéran Chris Briscoe au sax alto et lequel travailla longtemps dans les projets de Mike Westbrook depuis les seventies ainsi qu’avec Chris McGregor et Rachel Musson au sax ténor et soprano dont le jeu original se fait régulièrement entendre en Grand Bretagne dans plusieurs groupes. Je goûte particulièrement les développements sinueux de Briscoe et la réelle capacité de Speyer à phraser et la belle empathie de Brice et Wilcox. Il y manque un peu de folie, mais on suppose qu’il faille assister à une prestation de concert pour que ce groupe bien huilé donne toute sa pleine mesure. Ce genre de musique mérite un peu plus d’agressivité et de déraison, à mon humble avis. Un groupe de jazz contemporain vraiment cohérent, bien qu’un peu trop sage, qui développe un style collectif réussi et original.

Cynosure Trevor Watts String Ensemble Hi4Head HFHCD 018

Dans mon jeune temps marqué par la découverte du free jazz, de l’improvisation libre radicale, de la musique contemporaine et de pas mal d’autres choses créatives, il y eut une ombre médiatique au tableau : l’incursion de musiciens doués et parfois géniaux dans les élucubrations ineptes du jazz-rock  commercial et de la "fusion". Suivez Soft Machine à la trace album après album ou la trajectoire des musiciens de « Miles électrique» au fil des contrats et des tournées et vous allez être édifiés. Au grand dam des puristes, dès 1975, on vit le fer de lance de la free music « improvisation libre » militante, prosélyte et collectiviste londonienne, John Stevens et Trevor Watts, se lancer dans une démarche jazz-rock (ou rock-jazz) électrique, tranchante et virulente qui laissa perplexe leur mentor inconditionnel, Martin Davidson (label Emanem) et bien d'autres. Les deux indissociables finirent par s’étriper quant au leadership de ce projet, l’Amalgam légendaire de Trevor Watts. S’il faut croire ce dernier, l’inénarrable John Stevens s’évertuait à phagocyter Amalgam, groupe créé par Watts, justement, pour échapper à la main mise du batteur sur le Spontaneous Music Ensemble et créer sa musique personnelle. Stevens créa ensuite son propre groupe Away et décrocha un beau contrat avec Vertigo, Robert Calvert remplaçant l’incontournable Watts au saxophone. Celui-ci, tout aussi imprévisible, finit par engager rien moins que Keith Rowe comme guitariste « bruitiste » pour remplacer les guitaristes rock au sein d’Amalgam, Steve Hayton et Dave Cole. Dans cette évolution surprenante de Trevor Watts qui le mena à ses projets Moiré Music et Moiré Drum Orchestra, je n’ai qu’un seul regret : que ce Trevor Watts String Ensemble n’ai pu être enregistré dans de meilleures conditions matérielles. En effet, on a droit à un son cassette rugueux et pas assez clair. Et c’est vraiment dommage, car je ne connais rien de pareil. Un batteur rock carré qui s’efforce à démultiplier les rythmes : le très remarquable Liam Genockey. Celui-ci remplaça un Stevens désobligeant à la dernière minute en 1975 et s’installa durant plus de vingt ans dans les groupes de Trevor sur la chaire fûts et cymbales. Un saxophoniste alto et soprano, extraordinaire avec une énergie et une musicalité époustouflantes : Trevor Watts. Deux guitares électriques, une basse électrique, un violon, un violoncelle, une contrebasse dans une alchimie simultanément mélodico-rythmique binaire et polyrythmique vraiment complexe : Dave Cole, Steve Hayton, Colin Mc Kenzie, Steve Danachie, Sandy Spencer et Lindsay Cooper. A l’époque où les Larry Corryell, John McLaughlin, Chick Corea se laissait glisser sur une pente savonneuse mercantile pleine de clichés et pourvoyeuse de billets verts, il y eut Trevor Watts et son utopie à contre-courant qui n’hésitait pas à mettre le feu aux poudres. Dans les cercles pointus free-jazz et avant-garde, ce tournant rock jazz lui fut reproché, mais il n’en eut cure, trouvant par la suite dans la scène internationale musiques du monde et multiculturelle un exutoire rémunérateur pour son Moiré Drum Orchestra. Dans son parcours musical, TW String Ensemble figure un peu comme un chaînon entre d’une part, les Amalgam acoustique free jazz et puis free-rock et l’orchestral Moiré Music et Moiré Music Orchestra. Cet enregistrement live « en répétition » survint en 1976, soit trois ans avant la mutation surprenante d’Amalgam avec le bruitisme provocant et ultra radical de Keith Rowe (quadruple album Wipe Out/ Impetus) et témoigne des audaces inconsidérées de Trevor, lequel insistait pour que coexistent dans la meilleure entente possible et à la fois parallèlement et en symbiose des démarches musicales très différentes voire hétérogènes, qui mêlent conceptions et sonorités rock, jazz, funk, avant-garde et même des échos des musiques celtiques dans une imbrication complexe et délirante. TW n’était pas à un paradoxe près et il risquait, avec un tel projet, sa réputation auprès des critiques, organisateurs, producteurs responsables. Même si cette musique  sonne violemment rock par rapport au jazz, elle ne fait aucune concession pour être « mélodique » et « accessible ». N’est ce pas ? La « fusion » proposée par les businessmen, fut un effet de mode « smooth » et lénifiant, celle de Trevor Watts fut particulièrement explosive et corrosive.  Ses thèmes soigneusement concoctés défilent sur des chapeaux de roues avec des rythmes difficiles à enlever et une furia irrépressible, sauvage, emportant tout sur son passage.  Les musiciens ont une trame très précise à suivre, mais ils peuvent en déroger en laissant le libre cours à leur imagination au fil des morceaux qui évoluent pour la plupart autour de la dizaine de minutes. Vraiment indescriptible. On songe un peu au concept des groupes harmolodiques d ‘Ornette Coleman mais la musique de Trevor Watts est plus radicale et abrupte. Cynosure fut publié initialement chez Ogun en 1977 et H4H s’apprête à publier un autre album Ogun, Closer To You, une perle d’Amalgam en trio. Il faut s’attendre, peut-être, à ce que Watts fasse rééditer une deuxième fois certains albums d’Amalgam qui figurent actuellement au catalogue CD du label FMR. Celui-ci s’est livré au fil des ans à une réédition massive et inespérée du catalogue Watts / Amalgam/ Moiré Music etc…, mais certaines rééditions souffrent au niveau du son, vraisemblablement repiqué des 33 tours. Avec Hi4Head, même si la prise de son originale est loin d’être satisfaisante, on a l’assurance que tout a été fait pour le mieux, avec un digipack de qualité. En outre, les morceaux inédits, Dance Trance  et Chip, qui clôturent l’album, ont une meilleure lisibilité que les précédents. Une singulière aventure.
  

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