White Smoke Willy Van Buggenhout Mike Goyvaerts Jeffrey Morgan Creative Sources CS 218
Un proverbe dit qu’il n’y
pas de fumée sans feu. J’ajouterais volontiers qu’on perçoit même une fumée blanche ici. Voire des signes aériens qui transmettent des impressions, des émotions et signalent
des trouvailles … Le percussionniste Mike Goyvaerts est un praticien
enthousiaste de l’improvisation radicale qui a évolué depuis le rock – jazz de
son adolescence dans une recherche obstinée sans plus jamais regarder en
arrière. Il fut des légendaires collectifs WIM (Antwerpen) et Inaudible
(Bruxelles) et à soixante ans, il continue à creuser pour faire évoluer sa
musique et son approche originale de la percussion. A deux pas de chez lui,
dans la banlieue nord de Bruxelles, M.G a trouvé un alter ego original qui,
depuis plus de trente ans, triture un vieux synthé analogique à fiches, Willy
Van Buggenhout. On peut entendre
d’ailleurs Willy sur le premier vinyle d’Inaudible (Inaudible 1981-82). Son inspiration provient indubitablement de son travail
d’artiste plasticien et de graphiste. Leur duo Hotzeniebotze s’est
récemment transformé en trio avec le saxophoniste Jeffrey Morgan, un
californien établi à Cologne et que nous avons souvent entendu au sax alto,
entre autres avec Mark Sanders et Peter Jacquemyn (un bon pote à Goyvaerts)
dans un registre exalté et hyper énergétique (The Sign of The Raven). Le
voici au ténor et au soprano, réfléchi et cherchant l’équilibre entre les
échanges de ses deux acolytes de White Smoke.
Certains des morceaux dépassent avec bonheur l’intérêt que d’aucuns trouvent
encore dans la documentation exhaustive dans lequel a plongé une bonne partie
de la production d’enregistrements improvisés. Bref, certaines plages agitent
des images, des gestes, des moments merveilleux qui sont au cœur de la passion
que tant d’improvisateurs ressentent pour cette pratique musicale. Donc, ça
vibre, ça cherche. Il y a des surprises, des secousses, les harmoniques du
saxophone, de l’écoute et de l’invention débridée. L’expression d’une invariance
depuis l’époque où les sons effarants de la Music Improvisation Company,
largement en avance sur son temps, surgissaient dans le catalogue naissant
d’ECM. Un raffinement de cette recherche sans fin et une affirmation que
l’univers indéchiffrable de la musique spontanée reste une friche récalcitrante
aux modes et à celles de la pensée dominante, que ce soit en musique ou dans
les relations sociales. J’ajoute encore que le trio White Smoke
existe aussi en version belgo-belge avec le saxophoniste J.J. Duerinckx, un
spécialiste incontournable du sax sopranino et du baryton. Un très bon moment
en ce qui me concerne.
Love Letters to the President Schweizer Holz Trio Hans Koch Urs Leimgruber Omri Ziegele Intakt 154
Je ne sais pas s’il y a un rapport entre le titre de ce CD du Schweizer Holz Trio, Love Letters to the President , et celui de Holz for Europa, Comité Imaginaire, avec le même Hans Koch et les clarinettistes « basses » de Wolfgang Fuchs et Peter Van Bergen (FMP 084). Toujours est – il, le titre de l’un suggère qu’on l’adresse à l’autre. Le « président » du « comité imaginaire », c’est sans doute cette quatrième personne qui dans chaque trio semble être la composante des existences qui s’unissent et se parlent dans le temps éphémère d’une rencontre. Et donc, voici un album remarquable où trois fortes personnalités mettent en commun leurs musiques, leurs talents et de leurs sensibilités dans une symbiose fascinante. Ils se font mutuellement de la place, de l’espace dans une écoute profonde. Dès la première lettre au président, Koch et Leimgruber scrutent et dissèquent la mécanique et les vibrations des tuyaux et clapets, Ziegele affirmant au saxophone alto un lyrisme retenu articulé en dents de scie.
HK et UL sont des experts en « techniques étendues » et tous ces étranglements de la colonne d’air, ces harmoniques froissées, sifflements d’anches contrôlés, doigtés croisés qui s’accélèrent, ronflements ou crissements improbables. Leurs manies ont déteint sur OZ qui crachote et fredouille de plus belle…Vite, les trois souffleurs font corps avec tous les sons qu’ils extraient des colonnes d’air et du bec, pour ensuite se distinguer à nouveau en choisissant l’un un débit saccadé, l’autre un temps relâché. Dans ces échanges qu’ils soient touffus, virevoltants ou sur la pointe des pieds, on les entend se relayer, se dépasser, s’attendre et se confondre avec la plus grande aisance comme s’ils ne faisaient qu’un tout en assumant leurs singularités. Cet enregistrement est véritablement un modèle d’un mode de vie musical(e) et il mérite qu’on s’y attarde. C’est quoi l’improvisation « libre » ? Et bien, on ne se trompera pas en affirmant : c’est çà !
Again
: The Shoreditch Trio Live In Bruxelles : Nicola Guazzaloca Hannah Marshall Gianni Mimmo Amirani Records/ Teriyaki Records AMRN 029/ TRK 02
10.000 Leaves : Wild Chamber Trio : Clementine Gasser Elisabeth Harnik Gianni
Mimmo NotTwo Records MW 880-2
Haste
Veryan Weston Hannah Marshall Ingrid Laubrock. Emanem 5025
Albeit Urs Leimgruber Jacques
Demierre Barre Phillips. Jazzwerkstatt jw074
Depuis ce qui nous semble être des siècles, le jazz libre s’est développé à
90% dans univers instrumental archétypique dominé par la batterie. Coltrane,
Ayler et Ornette sont inséparables de leurs batteurs, Elvin Jones, Rashied Ali,
Sunny Murray, Beaver Harris, Ed Blackwell et Charles Moffett, pour citer leurs
groupes phares des années soixante.
Cette
configuration, souffleurs - basse – batterie, dite du « free-jazz
afro-américain », soulève un problème musical. La dynamique, la qualité du
son intrinsèque de la contrebasse et du saxophone deviennent
« compressés » dans cette association d’instruments en raison du
volume sonore des percussions. J’ajoute encore que tout en étant un
inconditionnel des groupes évoqués plus haut et de la trilogie JC – AA – OC,
j’aime varier les plaisirs de l’écoute.
C’est tout
l’intérêt de ces deux trios dans lesquels officie le saxophoniste soprano
Gianni Mimmo. D’aucuns vont regretter que la musique de ce saxophoniste évolue
dans le domaine « lacyen », tant son style évoque le maître disparu. Mais,
indiscutablement l’écoute de ces trios révèle que la sonorité et le jeu de Mimmo
ont une présence, une puissance et une projection peu communes. G.M. est un
« vrai » saxophoniste soprano, une espèce assez rare (Lacy, Coxhill,
Parker, Liebman, Doneda, Leimgruber, Sjöström et quelques autres). Le soprano est difficile
et c’est tout à l’honneur de Mimmo de se risquer avec des intervalles qui
rendent le contrôle de l’instrument particulièrement ardu. Dans ces deux trios,
se développent des interactions et des échanges qui mettent en valeur la sonorité pleine et entière de chaque
artiste. La Heraclitus suite (20 :18) qui ouvre le CD Again se transforme en duos, solos et
trio avec un remarquable sens de la recherche, de l’écoute et des formes.
Lyrisme aérien et gravité réfléchie cohabitent à chaque instant. Cette
configuration instrumentale du piano, du violoncelle et du sax soprano allie la
clarté, la dynamique, l’énergie et la qualité des timbres de chaque instrument,
leurs nuances dans une dimension orchestrale. Le vent et les cordes frottées
laissent le champ libre aux couleurs du piano. Chaque instrument est à la fois
au centre et chacun des deux couples de trois musiciennes/musiciens évolue dans
un vrai rapport égalitaire dans le temps et l’espace. Gianni Mimmo avec la violoncelliste Hannah
Marshall et le
pianiste Nicolà Guazzaloca ou avec la violoncelliste Clementine Glasser et la pianiste Elisabeth Harnik se complète avec lui-même et les
autres au point que 10.000 Leaves est devenue une partie consubstancielle à Again et vice-versa. Au point que l’on
puisse dire : « Vous reprendrez du (dix) Mille-Feuilles, ma chère ? » .
« Yes, Again avec le plus grand plaisir, cher ami ». Avec Again, on prend la marque par
rapport au précédent opus : The Shoreditch Concert. L’imagination et la profondeur de ces improvisateurs font de ces deux
enregistrements (de haute qualité technique) des disques attachants qu’on aime
à réécouter car il s’y passe des choses mémorables dans des registres multiples
et variés. Depuis les attentes au bord du silence, à travers des plongées dans
le son, jusqu’aux courses-poursuites effrénées menées par le clavier ou aux
chuintements boisés et solitaires des deux violoncellistes. J’ajoute que
Guazzaloca s’est révélé un pianiste très créatif dans plusieurs projets où il
démontre que son jeu brillant a une belle capacité d’adaptation (duos avec le
pianiste Thollem McDonas et le saxophoniste Edoardo Marraffa, un trio avec Nils
Gerold et Stefano Giust). Et ces deux autrichiennes, Glasser et Harnik, qu'on découvre avec bonheur. D’autres musiciens se sont consacrés à ce trio
magique : Hannah Marshall excelle aussi avec le pianiste Veryan Weston et la saxophoniste Ingrid
Laubrock (Haste/ Emanem). Au passage, comparez le
jeu de cette musicienne (très personnelle au sax ténor) au sax soprano avec
celui de Gianni Mimmo et vous conviendez que le transalpin a une capacité à se
faire entendre et à imprimer sa personnalité dans la musique de ses deux trios. Veryan Weston est depuis des années un de mes
pianistes favoris. Sa pensée musicale et son style racé évoluent dans une symbiose étonnante avec chacun
de ses camarades en musique (feu Lol Coxhill, Trevor Watts, Sakoto Fukuda, Jon
Rose, Phil Minton, Mark Sanders et John Edwards). Cela fait de lui un
improvisateur unique, une personnalité de l’envergure d’un Paul Lovens ou d’un
Barre Phillips. Aussi je ne peux
résister à évoquer ce trio fantastique d’explorateurs « plus radicaux/ risqués » :
Urs Leimgruber/ Jacques Demierre /Barre Phillips (sax ténor & soprano / piano /
contrebasse). Avec Wing Wane/ Victo, Cologne/ Psi, Albeit/ Jazzwerkstatt et un dernier né sur ce même label dont
j’oublie le titre, nos trois musiciens se livrent à une exploration
systématique des moments musicaux dans les gestes, l’écoute, la surprise.
Sculpteurs de matières et passeurs de murailles du son, ils ont tracé là une
belle aventure. Je trouve finalement que les architectures remarquables de ces
trios particuliers coïncident pour nous faire goûter une belle dimension de la
musique improvisée : la complémentarité des voix et des êtres transcende
chacun des artistes impliqués. Cet alliage instrumental en souligne une
pertinence accrue par sa singularité. D’ailleurs, je n’ai pu résister moi-même
à prêter la main à la production de Discovery of Mysteries du TAG trio (Setola di
Maiale) pour étayer ma thèse. Une première rencontre à l’Archiduc de
Bruxelles du clarinettiste basse et contrebasse germanique Ove Volquarz avec le
bassiste Jean Demey et la pianiste japonaise Yoko Miura complète cette galerie
dans une dimension supplémentaire. Une mention spéciale pour le timbre unique
de ce souffleur méconnu qui insuffle à cet instrument monstrueux qu’est la
clarinette contrebasse une couleur, une suavité, un lyrisme grâce à l’équilibre
sonore de la formule. Ce qu’il fallait démontrer.
Polishing the Mirror MAGIMC Edoardo Marraffa Thollem McDonas Stefano Giust Amirani AMRN031
Lorsqu'on écoute le trio MAGIMC et qu'on a mon âge, on a une bouffée de souvenirs et une bonne surprise. Le trio saxophone (ici ténor) - piano - batterie fut au centre de la free music européenne : on pense aux trios légendaires des Brötzmann /Van Hove /Bennink ou des Rudiger Carl / Irene Schweizer / Louis Moholo et à celui toujours en activité d'Alex von Schlippenbach avec Paul Lovens et Evan Parker... Je recommanderais l'écoute du Cecil Taylor Unit lors de sa tournée européenne de 1966 avec Andrew Cyrille, Jimmy Lyons et Alan Silva pour remonter le courant de l'histoire. Certains enregistrements de cet Unit de Cecil Taylor préfigurent les sons et l'interactivité des européens des années 70 alors que ceux-ci avaient encore en 1966 un solide pied dans la pratique du jazz avec tempo régulier. Ces trios historiques ont happé l'imagination de leurs contemporains et modifié le cours du jazz vers la musique improvisée radicale pour beaucoup d'auditeurs.
La bonne surprise, c'est la furia de Thollem Mc Donas, un pianiste exceptionnel qui demande à être suivi à la trace. On annonce un CD en trio avec Nils Cline et William Parker ! Les cliquetis rebondissants et dynamiques de Stefano Giust qui prend bien garde de ne pas couvrir les nuances colorées du clavier de son partenaire. Les morsures et diffractions de la colonne d'air, le souffle hanté par la jouissance d'Edoardo Marraffa. Ces trois-là inventent et déconstruisent leurs équilibres sur le fil tendu entre des rochers battus par les flots en furie d'un typhon aléoutien. Un ressac fait trembler la table d'harmonie sous les spasmes du bec du ténor barissant. La spontanéité n'exclut pas la réflexion et c'est bien cette démarche paradoxale qui excite les sens. Après avoir taillé dans la pierre, voilà qu'ils polissent les facettes...... Mirobolant !!
Transition Nils Gerold Nicola Guazzaloca Stefano Giust Setola di maiale
Gerold, Giust et Guazzaloca, musiciens passablement dissemblables par leurs backgrounds et leurs centres d’intérêt gravent ici de formidables cycles rythmiques en variant à l’infini les impacts, les dactyles et les croisements avec la force G 3 ( au cube !). Guazzaloca est un pianiste virtuose impressionnant qui cultive une capacité importante d’adapter son discours musical spirituellement et techniquement avec ses collaborateurs. On l’a entendu avec le prodigieux sax ténor Edoardo Marraffa avec l’oblique sopraniste Gianni Mimmo et dans un formidable duo avec un autre pianiste rare, Thollem Mc Donas. Dans leur Noble Art dédié à la boxe (label Amirani), les idées pleuvent dans un torrent fabuleux de doigtés aussi étincelants que vibratoires. Stefano Giust est resté fidèle au punk de sa jeunesse en jouant sec et précis, amortissant cymbales et fûts en matraquant les bords de ses caisses dans des spirales infinies et rebondissantes. Nils Gerold, saxophoniste en souffrance, est passé flûtiste et est un souffleur dansant per excellence. Le pianiste et le flûtiste accordent leurs précisions comme s’ils partageaient le même cerveau. Leurs circonvolutions polyrythmiques se retournent sans fin sur le fil du rasoir dans l’espace lisible des crépitements du batteur.
Pour une première rencontre « transitoire », c’est une réussite incontestable dans une direction post free-jazz qui a rarement été aussi heureusement documentée. On en oublie la qualité moyenne de l’enregistrement live à la Scuola Popolare di Musica Ivan Illich de Bologne. On est fasciné de découvrir la capacité de Guazzaloca à adapter son jeu spontanément et de manière uniformément cohérente et logique face à la pression rythmique exercée par ses deux camarades. Stefano et Nicolà sont aussi deux animateurs majeurs de la scène improvisée italienne, bien au-delà du membership de l’Instabile Orchestra auquel on voudrait résumer la créativité avant jazz italienne.
The Cigar That Talks Doneda Russell Turner Collection PiedNu
Michel Doneda est un
des artistes majeurs de la scène d’improvisation radicale à avoir remis en
question l’utilisation de modes de jeux qui datent parfois de l’époque où ces
deux partenaires de cet album admirable se sont rencontrés au début des années
70. Il a trouvé ici avec le guitariste John Russell et le percussionniste Roger Turner deux complices aux ressources insoupçonnées. Ces
deux britanniques n’ont aucune idée préconçue où peut les emmener
l’improvisation. J’avais souligné les qualités de cet enregistrement publié par
Bab Ili Lef : « Une Chance Pour L’Ombre » et qui
rassemblait Doneda, Tetsu Saitoh, Kazue Sawaï, Kazuo Imai et Lê Quan Ninh. On
retrouve ici cette ouverture, cette dimension profondément naturelle et
organique. Ce dernier mot est souvent galvaudé, mais connaissant la profonde
sincérité des trois protagonistes, c’est une véritable plongée dans la nature
la plus vivante des sons en liberté qui nous envahit en douceur. Points de guitarismes, de percussionnismes ou de saxophonismes ici ! Mais des nuances dans une approche
intelligente de la simplicité.
Surtout, une profonde recherche partagée pour établir un univers sonore
sensible souvent éloigné de l’idée qu’on pourrait se faire d’un tel trio pour
qui connaît ces trois personnalités. Tous Toux (plage 4) rétablit cette image, mais avec toutes les
qualités développées précédemment (pour autant que l’ordre des plages respecte
celui des pièces enregistrées au studio Honolulu). Eyes on Uncle, la cinquième et dernière plage, débute par une
séquence qui évoque un Topography of the Lungs miniature particulièrement enlevé et complètement
réactualisé. Cela s’égare ensuite
dans un univers onirique qui bonifie les acquits des échanges précédents. Les
trois compères ont développé un grand choix d’options. L’écoute en est
complètement stimulée. Un cédé remarquable et d’un groupe à recommander
chaudement. Bravo à Piednu !
Le titre fumant est dû à Roger Turner.
Trio and Triangle Spontaneous Music Ensemble + Orchestra
Emanem 4150
Dernier album du Spontaneous Music Ensemble paru du vivant
de John Stevens et passé inaperçu, Trio and Triangle n’en est pas moins une pièce incontournable du
puzzle SME dont j’ai essayé de tracer les grandes lignes dans les nos de
février et mars 2007 de ce magazine (Spontaneous Music Ensemble & John
Stevens 1965-1994). L’oeuvre signée Stevens qui orne la pochette indique S.M.E.
+ S.M.O. in concert. Enregistré lors d’un
concert londonien de 1981, le disque original contenait deux compositions de
Stevens pour le SMO, Triangle et
un fragment de Static, et une
pièce du trio SME proprement dit. Triangle parce que « trio de trios » avec neuf musiciens sur scène,
principalement des proches de Stevens. Outre lui-même et ses deux acolytes du
« string » SME, le violoniste Nigel Coombes et le guitariste Roger
Smith, il y a la chanteuse Maggie Nicols, Trevor Watts et Lol Coxhill aux sax
sopranos, les trombonistes Paul Rutherford et Alan Tomlinson et le trompettiste
Jon Corbett. Un extrait d’un des meilleurs concerts du SME (si l’on en croit
Coombes et Smith) enregistré à Newcastle en 1978 a été ajouté pour compléter le
compact. Les bandes du concert ayant été égarées, on se contentera d’une copie
du vinyle SFA original. Triangle
en est la pièce maîtresse. C’est initialement une pièce pour trois musiciens
répartis en triangle, chacun répondant aux deux autres placés face à lui comme
une paire stéréo. Les musiciens du SMO sont donc répartis en trois triangles et
échangent des sortes de syllabes de sons qui s’imbriquent les unes aux autres,
espacées par des silences. John Stevens y joue du cornet. L’effet produit donne
tout son sens à la dimension collective revendiquée par les adeptes de l’impro
libre.L’expression soliste individuelle est bannie pour construire la dynamique
du groupe : chacun est solidaire des autres à tout moment. Mis à part la
guitare acoustique de Roger Smith, il est impossible de distinguer les
instrumentistes. Chacun place adroitement et en un éclair un bref motif sonore
en réponse à l’un des huit autres.
Ainsi se dessine clairement le dessein social et éthique de la musique
de John Stevens : au fil de l’écoute, l’auditeur est happé la
concentration atomisée du flux musical et la conscience collective des
improvisateurs. Cette musique semble durer et pourtant on est surpris par la
vitesse avec laquelle elle se termine (23:57). Static est une
version intéressante de « Sustain » et paraît, inversément, durer longuement, malgré ses 5 :
31. Le trio de Reciprocal nous
rappelle ô combien dans quel savoureux détachement se laissait aller ce trio,
le SME ultime. Un abandon total réceptif à la communion sonore et ludique. Ce groupe, qui fit bien des beaux soirs
devant le public clairsemé des arrière-salles de pubs, ne joua jamais sur le
continent. On regrettera le son « cassette » des deux Newcastle
78 A & B. Néanmoins, ces deux documents
sont bien utiles pour se faire une idée de quoi était capable Nigel Coombes et
pour encore mieux saisir l’esprit provocant et toujours sur la brèche du
maestro. Les échanges délirants de la partie centrale de 78B où Stevens joue
merveilleusement du cornet justifient pleinement l’édition de ces trouvailles
inédites. Après une coda inspirée de Coombes, les trois joyeux drilles
s’éclatent alors complètement, aussi pitres que poètes de l’absurde. Vers la
fin des 23 minutes, une atmosphère délicieusement élégiaque fait appel à notre
imaginaire. Un certain nombre de
virtuoses professionnels de la scène improvisée ont acquis l’art incontestable
de nous en mettre plein la vue. Le SME « string » avait une faculté
unique pour susciter le ravissement des sens auditifs et de l’imagination
poétique. A ranger précieusement
entre Face to Face et Quintessence.