ATTR ACT Live at Santa Maria Anton Mobin & Riipus Anti-thesis 2015 http://antonmobin.blogspot.be/search/label/RELEASES
Pour une fois un label sans website indiqué sur la pochette !
C’est comme une bouteille à la mer. Un peu après la disparition d’Hugh Davies,
on s’est souvenu de son travail de pionnier avec les objets amplifiés /
instruments inventés. Quelques albums sont parus, ainsi qu’un hommage
enregistré avec Mark Wastell, Adam Bohman et Lee Patterson (For Hugh Davies – Another Timbre). Mais
voici un excellent artiste à suivre à la trace : Anton Mobin et ses Prepared
Chambers. ATTR ACT nous le fait
entendre avec un « guitariste couché » avec objets, Riipus et c’est produit par un label
italien qui a particulièrement soigné la pochette en carton laminé. Les archets
utilisés ont été réalisés par Silvia Caviglia.
La prise de son est excellente et met en valeur la dynamique et la précision
des timbres. Il fut une époque où
l’improvisation radicale (early 70’s) des Bailey, Davies, Parker, Lytton et
consorts affirmait l’abrogation de la frontière entre sons musicaux et bruits.
La voie était donc tracée et cet enregistrement illustre à merveille cette
direction bruissante – pour ne pas
dire bruitiste. On découvre que ces manipulations d’objets préparés
soigneusement dans une caisse résonnante (prepared
chambers) et munie d’électro-contacts font vivre des hauteurs de sons, des
timbres ajustés à une réelle sensibilité qui est en fait très proche de ce
qu’on obtient avec un instrument de musique préparé ou détourné aux moyens de
ces fameuses techniques alternatives. Un travail très précis évite la relativement ennuyeuse indétermination des sons bruts, commune à ce type de démarche. Du grand art. Le guitariste s’intègre remarquablement à
cet univers introspectif. Cela gratte, frotte, glisse, fait vibrer, résonne,
explore avec concentration et retenue dans une grande variété de textures. L’électricité
est convoquée seulement pour amplifier un processus mécanique et acoustique,
pour donner un souffle aux objets inertes. Les deux musiciens sont en phase dans
une rencontre intéressante qui délaisse la virtuosité pour l’excellence des
sons découverts, révélés, leur imbrication naturelle, leur vibration intime. Au
fil des quatre morceaux, le dialogue et l’écoute mutuelle grandissent, une
relative angularité naît de l’approche initiale. Je prends un plaisir d’écoute
sensible à toutes leurs sonorités et au déroulement de leur musique.
Cette musique est vraiment singulière dans le panorama des
musiques improvisées et c’est pourquoi je recommande cet enregistrement qui
sort réellement des sentiers battus.
Ape Green Patrick Crossland & Alexander Frangenheim Creative Sources CS 243
Il n’y a pas à dire, le trombone et la contrebasse sont des
instruments qui s'accordent à merveille pour improviser car leur manipulabilité et leurs actions respectives sont moins immédiates qu'un saxophone et une batterie. On
plonge aisément du grave à l’aigu en changeant un brin la pression des doigts ou des
lèvres. Chaque position de la main sur l’instrument que ce soit sur la touche
du gros violon ou à la coulisse du trombone offre des options contrastées du
grave aux harmoniques les plus hautes. Cette complémentarité singulière est excellemment mise en valeur ici. Alexander Frangenheim a longuement collaboré avec le tromboniste Gunther Christmann, un adepte de la formule avec, par exemple, les contrebassistes Maarten Altena et Torsten Müller.
Les deux musiciens d'Ape Green sont experts en
techniques avancées et les utilisent dans une stratégie réussie de construction /
déconstruction, dialogue /détournement du sens, empathie - chassé-croisé. Des
signes, du sens vécu. Des intentions et une réflexion. On reconnaît Alexander Frangenheim et on découvre ô
combien Patrick Crossland partage
son exigence musicale et une grande finesse au long tube à coulisse. L’utilisation
de la sourdine est vraiment intégrée à la gestuelle du tromboniste. Musique du
mouvement, expression du corps et de sa mémoire, lyrisme introspectif qui
soudain dérape, questions sans réponses immédiates, sons rauques puis
délicats. Métamorphose : mutations incessantes vers des densités
indéterminées et changeantes, graphiques de l’apesanteur, occurrences ludiques. Pour couronner le tout, une belle musicalité
et un sens mélodique qui fuit l’évidence. 12 improvisations succinctes et
calibrées enregistrées en novembre 2012 à Berlin, ville qui concentre un nombre
exponentiel d’improvisateurs lesquels se pollinisent dans une galaxie infinie.
En voici un brillant exemple que je réécoute à l’envi.
Ola Djupvik Idiophonics Acoustic Drum Set FMR CD
388-0115
Rien d’étonnant à trouver cet album de percussions solo chez
FMR, le responsable du label, Trevor Taylor étant lui même percussionniste et
passionné de percussions. FMR avait publié une remarquable anthologie des
percussionnistes improvisateurs britanniques : improvising percussionist avec des solos de John Stevens, Eddie
Prévost, Paul Lytton, Frank Perry et Trevor Taylor himself. Prenez le patron au
sérieux : avant de faire carrière dans l’industrie musicale et ses
innovations essentielles pour adapter le moog chez Roland, Taylor partageait un
excellent groupe il y a presque quarante ans avec Phil Wachsmann, Marcio Mattos
et Ian Brighton, un guitariste essentiel à l’époque. FMR a aussi produit des
albums du chercheur Steve Hubback. Ce remarquable portrait sonore du
percussionniste Ola Djupvik présente différentes facettes de la percussion
qu’il travaille une à une dans une approche quasi minimaliste. Le premier
morceau s’intitule Drones and Idiophones
et utilise la vibration de la résonance d’un tambour qu’on frotte simultanément
au rebord d’une cymbale qui émet un crissement aigu sous la pression d’un
archet ou d’une corde tendue. Cage Monkey
sollicite la cymbale frappée légèrement avec des variations dynamiques sur
différents points de sa surface. Arpeggios met en rotation un
ostinato de frappes sur un tambour, subtilement décalées en croisant deux
rythmes mouvants tout en maintenant un thème dont la trame évolue en ajoutant
des coups cadencés sur un autre point de la peau en accélérant le débit, créant
graduellement une impression polyphonique. C’est un travail remarquablement
conçu et soigneusement exécuté et sa conclusion construit un ralenti progressif
qui lui permet d’ajouter des frappes dans une perspective différente. Un
excellent moment qui intéressera sûrement beaucoup d’apprentis batteurs, le
langage de la percussion étant universel. Tumble
se concentre d’abords sur un jeu free avec une variété de frappes et de
roulements sur une caisse claire amortie se rapprochant de la dynamique de la
musique indienne ou des tambours d’aisselle africains. Petit à petit d’autres
éléments sont sollicités pour évoluer à l’aide d’une clochette tintinabulante
vers d’autres frappes coordonnées et une solution logique. Bref, un intéressant
travail par un bon artisan qui mérite d’être entendu live.
Evan Parker The
Snake Decides psi ps 03.06
Deuxième réédition de l’album de solos de saxophone soprano
d’Evan Parker publié en vinyle par Incus en 1986, The Snake Decides nous
fait entendre un stade encore supérieur par rapport aux disques précédents (saxophone solos 1975, Monoceros 1977, Six of One 1980).
J’ai expliqué cette évolution instrumentale et stylistique
dans un article précédent au sujet de la réédition de Monoceros. Du cri primal sophistiqué vers une complexité
multiphonique créée par l’illusion de la polyphonie. Quant The Snake Decides est
sorti, un nombre important de personnes intéressées et fascinées par Monoceros en 1977/78 avait déserté. Lorsqu’Evan
s’était produit en solo au Palais des Beaux Arts de Bruxelles en 1979, il y
avait plus d’une centaine de personnes, l’espace du hall du Palais avait été
envahi par amateurs et curieux provenant autant du public du free-jazz, du
contemporain que celui de l’Art Rock,
des Henry Cow ou Brian Eno. C’était une révélation pour tout le monde. Quand le
saxophoniste revint aux Beaux-Arts en 1984, il y avait 6 personnes. Je fus
frappé à l’époque par un véritable bond en avant de sa musique solo. Ses
volutes entrelacées dans l’infini avaient acquis une puissance, un lyrisme
neufs : Evan Parker ne se
contentait pas gérer un acquit, des techniques et un style révolutionnaire. Il
approfondissait merveilleusement (et c’est toujours valable aujourd’hui) son
univers sonore en y ajoutant une dimension profondément musicale. N’ayant alors
pas encore entendu Six of One, nous fûmes médusés. Déçu par l’indifférence du
public dont le goût avait changé comme si ce musicien appartenait au passé, ce
concert me poussa à le réinviter (Waterloo 1985 Emanem 4030). Et donc
cette performance enregistrée le 30 janvier 1986 dans l’église St Paul’s à
Oxford par le génial Michael Gerzon est singulièrement différente du concert de
Six
Of One. Si la musique solo de Parker au sax soprano, est archétypique,
avec cette multiplication d’ostinatos qui se chevauchent entre les graves et
les suraigus et dont s’échappe un tournoiement mélodique insaisissable, la
forme, les couleurs, la densité, la fluidité, la texture profonde peuvent
varier très sensiblement d’un concert à l’autre. Dans le morceau the
Snake Decides, une face de vinyle de 19 minutes, la physicalité du son
est poussée très fort dans le va-et-vient des battements des harmoniques
spiralées et des contrepoints fantômes. L’illusion de polyphonie se
métamorphose perpétuellement transcendant l’aspect répétitif de la musique. L’acte
musical semble un serpent qui décide son chemin dans l’instant. Cette musique
qu’on qualifie d’avant-garde, est reliée organiquement à des musiques de transe
comme celles des chamans guérisseurs du Baloutchistan, les launeddas sardes, des
bergers du Rajasthan, du pibr’och écossais ou des Pygmées. C’est bien le voeu
d’Evan Parker. On se souvient du terme « des musiques répétitives »
des seventies et des compositeurs en vogue à l’époque comme Terry Riley. Evan Parker apporte à ce courant un
autre regard pointé par le pavillon de son soprano et son extraordinaire
énergie. L’articulation du saxophone combinant triples détachés, doigtés
croisés, harmoniques hyper contrôlées et vocalisations se situe au-delà de
l’humainement possible. Il déconstruit magistralement les techniques des
cadences infernales du premier morceau dans les trois morceaux suivants, Leipzig
Folly, Buriden’s Ass et Haine’s
Last Tape, dans des affects et des nuances bien ciblées. Leipzig
contient un remarquable développement de ces phrasés hachés menus parsemés de
brefs silences et d’accélérations, et Haine’s termine l’album dans une
envolée hallucinante dans les aigus où les techniques de Snake recalibrées servent
un lyrisme absolu. Magique !
Michael Ranta Yuen
Shan The Ritual of Life Metaphon 006 (double vinyle)
Metaphon est le
label de l’infatigable musicien expérimental belge Timo Van Luyck et ses
productions sont la perfection incarnée. Michael
Ranta est un percussionniste contemporain actif depuis les années soixante
qui a cherché son inspiration en Extrême-Orient, à Taïwan. Son matériel est
composé d’une multitude de cymbales chinoises et turques, de gongs, cloches et
crotales et de tambours accordés. Son jeu d’une grande précision évite la
virtuosité pour se consacrer aux sons et à leur vie dans l’espace, à leur
résonance intime dans le silence ou leur étalement en cascades lumineuses. Rien
de tarabiscoté, aucune tentative de tape-à-l’œil et d’effets suractivés, plutôt
une attitude zen. Une esthétique pas tellement éloignée de celle de la musique
improvisée contemporaine et fortement imprégnée de son apprentissage approfondi
du tai-ji-quan.
Ses références dans la culture chinoise et son expérience en Orient évoquées dans
les notes de pochette en insert nous éclairent sur son parcours et sa démarche.
J’ai eu un réel plaisir à me laisser emporter par la magnificence sonore du
cheminement de chacune des quatre pièces improvisées qui couvrent les faces de Yuen
Shan. Il s’en dégage une forte impression de recueillement, de
plénitude sonore. Une poésie du détachement et une musicalité profonde. La
finesse du jeu sans heurts ni à-coups est absolument remarquable. Metaphon
avait documenté le groupe Mu (Michael Ranta/ Mike Lewis/Conny Plank Metaphon 003) dont un autre
album figurait dans le coffret Free Improvisation de Deutsche
Grammofon en 1973 aux côtés d’Iskra 1903 (Derek Bailey/ Barry Guy/ Paul
Rutherford) et de New Phonic Art (Carlos Alsina, Jean-Claude Drouet,
Michel Portal, Vinko Globokar). Cet album Yuen Shan représente un courant plus
secret des musiques improvisées alternatives survenu dès leurs éclosions
initiales, très peu documenté jusqu’à présent. A recommander avec insistance.