Dieci Ensemble Eugenio
Sanna Maurizio Costantini Cristina Abati
Edoardo Ricci Guy Frank Pellerin
Stefano Bartolini Marco Baldini Giuliano Tremea Stefano Bambini Andrea Di Sacco
Setola di Maiale SM 3100
Voilà un
très beau document réunissant dix musiciens improvisateurs italiens d’horizons
divers sous la houlette du guitariste pisan Eugenio Sanna se livrant à l’improvisation libre sans concession.
Alors qu’il y a clairement un retour vers le free-jazz free (sans composition, thème ni arrangement) de la part
de nombre de praticiens à la demande d’organisateurs ou de labels spécialisés
avec une préférence pour l’association instrumentale souffleurs basse batterie,
les dix téméraires Dieci Ensemble pratique l’éclatement des formes, le rejet du
convenu et des assemblages imprévisibles. Outre la guitare, on a droit à trois
saxophonistes : soprano, ténor et baryton pour Pellerin et Bartolini et
sopranino et alto pour Ricci, qu’on
entend aussi aux clarinettes basse et soprano, un chanteur, Tremea, un sampleur, Di Sacco, une contrebasse, Costantini, une trompette, Baldini et une batterie, Bambini. Seule femme impliquée, Cristina Abati joue du violon alto et
du violoncelle. Vu la rareté de ce type de document qui privilégie la recherche
collective multi-directionnelle et le risque, plutôt que le formatage et la
redondance, j’apprécie sincèrement l’effort. Qu’ils jouent à dix, à trois ou à
six, chaque morceau a une identité sonore et une dynamique propre (pas moins de
sept trios et trois Dieci). Il y a
ainsi douze improvisations de quelques minutes (entre 1’48’’ et 6’47’’). L’intérêt de leur démarche est que
leur recherche mène à des situations inusitées et des combinaisons
d’instruments, de sonorités et d’actions improvisées qui fonctionnent,
intriguent, fascinent . Une démonstration par la pratique des possibilités
renouvelées (infinies) de cette méthode ludique et éperdue. Avec un vrai
bonheur, cela respire l’écoute et un réel à propos. Des amalgames de sons
imprévus et réussis, spontanés ou méticuleusement recherchés. On pense à Derek
Bailey et à Company et il arrive que
la guitare de Sanna évoque le guitariste disparu. Les connaisseurs de longue
date de cette musique « improvisée
libre » (non idiomatique ?) branchés etc..diront que c’est pas
« nouveau » et qu’on jouait ainsi , « en géométrie
variable », il y a quarante ans
(les premiers enregistrements de Company datent de 1976 et de 1977). Mais cette
direction impromptue et volatile est finalement si peu sollicitée en public,
surtout dans les festivals des organisateurs « responsables », que je
ne vais pas me plaindre. Cet enregistrement fut réalisé lors d’un concert dans
un bled de province et il est clair que ce concert fit œuvre utile pour
convaincre et réjouir in vivo des auditeurs avides ou curieux qui n’ont pas « la
chance » ( ?) de vivre à Londres, Berlin ou Paris. Il y a une
immédiateté, un appétit de l’insatiable, un plaisir aussi intériorisé
qu’effervescent. Bref, on réfléchit autant qu’on s’éclate et c’est bien le
principal. Je suis sûr que Derek Bailey aurait bien apprécié cet Ensemble
Dieci.
Duck Baker Outside Emanem 5041
Avec des guitaristes tels que Derek Bailey, John Russell, Roger Smith et Elliott Sharp enregistrés en solo ou en formation au catalogue du label Emanem, rien d’étonnant que son responsable, Martin Davidson, vienne de publier des archives en solitaire du guitariste américain Duck Baker. Celui-ci s’était vu confier un album par John Zorn pour Tzadik avec les compositions du légendaire pianiste Herbie Nicols. Durant les seventies, il a gravé plusieurs albums pour Kicking Mule, le label du guitariste Stefan Grossman, lui-même fan n°1 et élève du génial Reverend Gary Davis, un des géants du blues acoustique et dont le picking à deux doigts n’a aucun équivalent. On retrouve la trace de Duck Baker dans l’album Eugene Chadbourne Volume Three (Parachute P-003 1977) en compagnie des guitaristes Randy Hutton et Eugene Chadbourne sur une face volatile et mémorable. Sur la deuxième face, un trio électrique de Chadbourne avec les guitaristes Henry Kaiser et Owen Maercks intitulé « We are Always Chasing Phantoms » lequel se référait à une nuit entière passée par les trois acolytes à retracer les exploits d’Han Bennink à travers deux douzaines de vinyle. C’était l’époque bénie où Derek Bailey, Hans Reichel et Fred Frith publiaient des albums solos qui défrayaient la chronique et où Steve Beresford, David Toop et d’autres découvraient l’existence de jeunes improvisateurs US : Eugene Chadbourne, John Zorn, Tom Cora, Henry Kaiser et le Rova Sax Quartet qui se référaient à la scène free européenne. A cette époque, Duck Baker a vécu successivement en Angleterre, en Italie et aux U.S.A. et pratiquait autant l’improvisation que la musique traditionnelle tirée du jazz swing, du country et du ragtime. D’ailleurs sa discographie témoigne de son répertoire étendu et de sons sens de l’humour (cfr Kicking Mule). Plus récemment le label Incus de Derek Bailey lui a consacré le superbe Ducks Palace en duo avec Derek Bailey, en trio avec John Zorn et Cyro Batista et un blues avec Roswell Rudd en bonus. Outside réunit seize pièces en solo au croisement de ces chemins et deux duos improvisés avec Eugene Chadbourne à Calgary en 1977. J’avais moi-même découvert à l’époque un sublime album de Chadbourne avec le pianiste Casey Sokol (Music Gallery Editions) enregistré la même année à Calgary. Outre deux solos et les deux duos avec Chadbourne de Calgary (Part 3), six pièces avaient été enregistrées à Turin en 1983 (Part 1) et huit à Londres en 1982 (Part 2). Au programme, deux versions d’un arrangement réussi du Peace d’Ornette Coleman, You Are My Sunshine, deux ou trois improvisations spontanées (Torino Improvisazzione et London Improvisation) quelques compositions personnelles, comme Klee (en hommage au peintre), Like Flies, No Family Planning dont on peut comparer deux versions différentes et d’autres comme Breakdown Lane, Shoveling Snow ou Holding Pattern. Si Duck Baker respecte la technique conventionnelle de l’instrument (contrairement à un Derek Bailey), il trace des perles acoustiques dans un jazz d’avant-garde sous l’influence d’Ornette Coleman et de Roscoe Mitchell. Dans son style, on trouve un air de famille avec celui d’Eugene Chadbourne dans la collaboration de Chad avec feu Frank Lowe, Don’t Punk Out, album enregistré en 1977 et publié lui aussi par Martin Davidson (CD Emanem 4043). Sorry pour ce paquet de références, c’est simplement pour situer Duck Baker (de son vrai nom Richard R. Baker) à l’époque où il avait déjà trouvé sa voie. Car le moins qu’on puisse dire, c’est que Duck Baker est un artiste original de la six-cordes nylon. Son art est basé sur une capacité à faire swinguer son picking dans ses compositions contorsionnées free. Par rapport au phrasé des guitaristes de jazz, on se trouve ici dans une autre école qui n’a rien à voir avec Jim Hall ou Wes Montgomery ou encore à l’esthétique marquée par le rock. Il n’hésite pas à emprunter le phrasé d’un saxophone (comme dans No Family Planning : on songe à Roscoe ou Oliver Lake) et comme un chat, il retombe sur ses pattes après des acrobaties sautillantes. Rien d’étonnant qu’il soit devenu un grand spécialiste des compositions anguleuses du pianiste Herbie Nichols. Et donc comme cette démarche n’est pas du tout courante, cela vaut le déplacement. Ou faute d’un concert, ce très beau disque d’archives est vraiment à recommander. À l’époque de ces enregistrements, je me souviens avoir été déçu par la démarche acoustique par trop évanescente de certains guitaristes de l’écurie ECM. C’est dire l’exigence instrumentale de Baker. Sa musique entièrement acoustique capte l’attention de l’auditeur autant par son dynamisme vitaminé que par l’audace des doigts sur les cordes dans des écarts rythmiques et harmoniques casse-cou, des brisures de métriques sans prévenir. Les notes jouées propulsent la ligne mélodique du bout de chaque doigt. Outre ce type de morceaux rebondissants, on trouve une élégie à un ami disparu (Like Flies), une exploration du phrasé à quatre doigts dans une dimension dodécaphonique en hommage à Paul Klee et une chanson sans parole, Southern Cross, exécutée avec la classe des vrais guitaristes six cordes classiques tout en jouant l’essentiel. Car cette précision et cette absence de verbiage est la marque distinctive de sa musique : chaque note jouée a sa raison d’être. Et chaque morceau d’ Outside apporte une dimension supplémentaire à son univers. Le drive sans défaut et la construction musicale d’Holding pattern et le free picking de No Family Planning en font de véritables morceaux d’anthologie et ils valent à eux seuls l’achat du disque. Sa relecture du Peace d’Ornette Coleman en forme de ballade revisite les implications de la mélodie et l’évidence de la musique y respire le bonheur.
Avec des guitaristes tels que Derek Bailey, John Russell, Roger Smith et Elliott Sharp enregistrés en solo ou en formation au catalogue du label Emanem, rien d’étonnant que son responsable, Martin Davidson, vienne de publier des archives en solitaire du guitariste américain Duck Baker. Celui-ci s’était vu confier un album par John Zorn pour Tzadik avec les compositions du légendaire pianiste Herbie Nicols. Durant les seventies, il a gravé plusieurs albums pour Kicking Mule, le label du guitariste Stefan Grossman, lui-même fan n°1 et élève du génial Reverend Gary Davis, un des géants du blues acoustique et dont le picking à deux doigts n’a aucun équivalent. On retrouve la trace de Duck Baker dans l’album Eugene Chadbourne Volume Three (Parachute P-003 1977) en compagnie des guitaristes Randy Hutton et Eugene Chadbourne sur une face volatile et mémorable. Sur la deuxième face, un trio électrique de Chadbourne avec les guitaristes Henry Kaiser et Owen Maercks intitulé « We are Always Chasing Phantoms » lequel se référait à une nuit entière passée par les trois acolytes à retracer les exploits d’Han Bennink à travers deux douzaines de vinyle. C’était l’époque bénie où Derek Bailey, Hans Reichel et Fred Frith publiaient des albums solos qui défrayaient la chronique et où Steve Beresford, David Toop et d’autres découvraient l’existence de jeunes improvisateurs US : Eugene Chadbourne, John Zorn, Tom Cora, Henry Kaiser et le Rova Sax Quartet qui se référaient à la scène free européenne. A cette époque, Duck Baker a vécu successivement en Angleterre, en Italie et aux U.S.A. et pratiquait autant l’improvisation que la musique traditionnelle tirée du jazz swing, du country et du ragtime. D’ailleurs sa discographie témoigne de son répertoire étendu et de sons sens de l’humour (cfr Kicking Mule). Plus récemment le label Incus de Derek Bailey lui a consacré le superbe Ducks Palace en duo avec Derek Bailey, en trio avec John Zorn et Cyro Batista et un blues avec Roswell Rudd en bonus. Outside réunit seize pièces en solo au croisement de ces chemins et deux duos improvisés avec Eugene Chadbourne à Calgary en 1977. J’avais moi-même découvert à l’époque un sublime album de Chadbourne avec le pianiste Casey Sokol (Music Gallery Editions) enregistré la même année à Calgary. Outre deux solos et les deux duos avec Chadbourne de Calgary (Part 3), six pièces avaient été enregistrées à Turin en 1983 (Part 1) et huit à Londres en 1982 (Part 2). Au programme, deux versions d’un arrangement réussi du Peace d’Ornette Coleman, You Are My Sunshine, deux ou trois improvisations spontanées (Torino Improvisazzione et London Improvisation) quelques compositions personnelles, comme Klee (en hommage au peintre), Like Flies, No Family Planning dont on peut comparer deux versions différentes et d’autres comme Breakdown Lane, Shoveling Snow ou Holding Pattern. Si Duck Baker respecte la technique conventionnelle de l’instrument (contrairement à un Derek Bailey), il trace des perles acoustiques dans un jazz d’avant-garde sous l’influence d’Ornette Coleman et de Roscoe Mitchell. Dans son style, on trouve un air de famille avec celui d’Eugene Chadbourne dans la collaboration de Chad avec feu Frank Lowe, Don’t Punk Out, album enregistré en 1977 et publié lui aussi par Martin Davidson (CD Emanem 4043). Sorry pour ce paquet de références, c’est simplement pour situer Duck Baker (de son vrai nom Richard R. Baker) à l’époque où il avait déjà trouvé sa voie. Car le moins qu’on puisse dire, c’est que Duck Baker est un artiste original de la six-cordes nylon. Son art est basé sur une capacité à faire swinguer son picking dans ses compositions contorsionnées free. Par rapport au phrasé des guitaristes de jazz, on se trouve ici dans une autre école qui n’a rien à voir avec Jim Hall ou Wes Montgomery ou encore à l’esthétique marquée par le rock. Il n’hésite pas à emprunter le phrasé d’un saxophone (comme dans No Family Planning : on songe à Roscoe ou Oliver Lake) et comme un chat, il retombe sur ses pattes après des acrobaties sautillantes. Rien d’étonnant qu’il soit devenu un grand spécialiste des compositions anguleuses du pianiste Herbie Nichols. Et donc comme cette démarche n’est pas du tout courante, cela vaut le déplacement. Ou faute d’un concert, ce très beau disque d’archives est vraiment à recommander. À l’époque de ces enregistrements, je me souviens avoir été déçu par la démarche acoustique par trop évanescente de certains guitaristes de l’écurie ECM. C’est dire l’exigence instrumentale de Baker. Sa musique entièrement acoustique capte l’attention de l’auditeur autant par son dynamisme vitaminé que par l’audace des doigts sur les cordes dans des écarts rythmiques et harmoniques casse-cou, des brisures de métriques sans prévenir. Les notes jouées propulsent la ligne mélodique du bout de chaque doigt. Outre ce type de morceaux rebondissants, on trouve une élégie à un ami disparu (Like Flies), une exploration du phrasé à quatre doigts dans une dimension dodécaphonique en hommage à Paul Klee et une chanson sans parole, Southern Cross, exécutée avec la classe des vrais guitaristes six cordes classiques tout en jouant l’essentiel. Car cette précision et cette absence de verbiage est la marque distinctive de sa musique : chaque note jouée a sa raison d’être. Et chaque morceau d’ Outside apporte une dimension supplémentaire à son univers. Le drive sans défaut et la construction musicale d’Holding pattern et le free picking de No Family Planning en font de véritables morceaux d’anthologie et ils valent à eux seuls l’achat du disque. Sa relecture du Peace d’Ornette Coleman en forme de ballade revisite les implications de la mélodie et l’évidence de la musique y respire le bonheur.
Chamber 4 Marcelo Dos Reis Luis Vicente Théo Ceccaldi Valentin Ceccaldi FMR CD393-0615
Une belle
musique de chambre pour trompette (Luis
Vicente), violoncelle (Valentin
Ceccaldi), violon et alto (Théo
Ceccaldi) et guitare acoustique et préparée (Marcelo Dos Reis). La pratique de la musique classique et
contemporaine n’est pas loin (les frères Ceccaldi) et l’idiome du jazz
(Vicente) aussi. Une musique improvisée enregistrée à Ler Devagar à Lisbonne et de belle facture. Le trompettiste est
lyrique à coup sûr, construisant une improvisation sur base d’une subtile
échelle modale et les cordistes tissent une trame à coup de col legno en
se référant aux gammes du souffleur. Quand celui-ci insère des pff pff dans la cadence, l’alto improvise
en contrechant (Green Leafs) d’une
mélopée invisible. Timber Bells
propose une sorte de veillée funèbre scandée par la guitare préparée. C’est
subtil, délicat, introverti ou poétique. En outre la combinaison instrumentale
et l’arrangement des timbres, des sons et des lignes mélodiques sont exemplaires.
L’essence de la musique, comme si elle avait été écrite avec des enchaînements
d’événements sonores qui coulent de source. On ne va pas toujours écouter la
sempiternelle formule souffleurs / basse / batterie et Chamber 4 offre ici une
belle occasion à ne pas rater. Il n’est pas question de virtuosité affichée, ni
des excès ludiques de l’improvisation libre per se ou l’exploration sonore
radicale, mais plutôt d’une recherche formelle en créant des équilibres par un
dosage minutieux réalisé en toute spontanéité dans une dimension contemporaine,
free. Plusieurs procédés de composition sont utilisés créant des variations
bienvenues pour les cinq morceaux de l’album.
La sobriété des instrumentistes n’exclut pas une intense expressivité
sonore. Pour le trompettiste, qui se donne à fond dans Some Trees, c’est un écrin de rêve et d’une réelle intensité. La
science du glissando de Valentin
Ceccaldi, les cadences sur les cordes préparées de Marcelo Dos Reis
contribuent à créer une belle tension. Wooden
Floor, qui suit juste après, manifeste une belle retenue et se développe
dans un drone tortueux. La trompette et le violon se nourrissent de leurs
intervalles respectifs. La trompette s’écarte, le violon faisant entendre sa
voix frontalement dans l’aigu soutenu par le violoncelle puis revient dans le
grave hésitant pour tenir des tonalités microtonales et ensuite des
sussurements et des gazouillis vers un son sale, le violoncelle s’enfonçant
dans un grave indécis. Toute cela semble aussi minuté que naturel et organique.
Un emboîtement de séquences plutôt que des dérives. Le résultat musical est une
belle réussite avec pour chaque morceau une identité précisequi le distingue clairement des autres. J’ai un grand plaisir à découvrir
et écouter ce Chamber 4 qui explore une voie intéressante de l’improvisation d’aujourd’hui.
Original à plus d’un titre !!
Simon Nabatov et Leo
Feigin ne m’en voudront pas trop si j’avoue méconnaître la musique et les
enregistrements du pianiste, sans nul doute un des plus brillants de sa
génération dans ce domaine musical au confluent de la musique contemporaine
sérieuse et du jazz d’avant-garde. Simon
Nabatov est un pianiste de haut vol et je me souviens d’un excellent projet
Leo Records, Nature Morte, dans
lequel il officiait aux côtés de Phil Minton. On ne peut pas rester insensible
à ses qualités musicales et instrumentales et à celles de son complice Gareth Lubbe, un super violoniste alto,
doublé d’un vocaliste d’envergure dans deux suites, Plush Suite et Suite In Be pour un total de 61
minutes. La voix de gorge grave de Lubbe
s’ébat dans un style voisin des chanteurs de Touva : karigiraa, différents
types de khoomei et cette voix flûtée insaisissable (Part 2 de Plush Suite) et remarquablement étendu.
Les nuances, les inflexions mélodiques et changements de clé dans la même émission
sont vraiment épatantes et pleines de finesse. Gareth Lubbe est un artiste vocal rare et Nabatov dialogue avec un
réel goût utilisant les ressources sonores du piano dans les cordes, avec la
résonnance et en étouffant la pression des marteaux. Dans la première suite, il
passe de l’instrument à la voix et parfois les deux. Si j’adore le travail vocal de Lubbe et admire le grand métier
pianistique de Nabatov, il y a pour moi un hic : la démarche de Simon Nabatov est, à mon avis, celle
d’un pianiste classique qui se livre à l’improvisation avec un réel succès,
plutôt qu’un improvisateur libre pur jus comme Fred Van Hove qui a créé son
propre langage en s’écartant des modèles et du pianisme académique. Il y a chez
Fred une folie et une substance qu’on peine à trouver ailleurs. Cela dit, il y
a des fort belles choses dans cet album qui mérite l’écoute comme cette cadence
exquise de 9’20’’ du piano et de la viole dans la Partie 1 de la Suite
In Be. Lubbe tire parti de son alto avec de superbes chatoiements dans
le timbre et les harmoniques. Superlatif tout comme le doigté et le touché du
pianiste : on se régale. Un excellent duo pour ceux qui savent prendre
plaisir à jouir de la musique d’où qu’elle vienne et une démonstration vocale à
retenir pour une anthologie de la voix humaine aux côtés de Phil Minton,
Demetrio Stratos et cie. Plus classique vingtiémiste qu’improvisé, quand même.
Zero Rotozaza : Rudi Mahall Nicola L. Hein Adam Pultz
Melbie Christian Lillinger Leo Records CD LR 763
Projet qui
se veut à mi-chemin entre le free-jazz qui ne se cache pas et l’improvisation
libre radicale en tentant, souvent avec succès, à profiter des éléments
constitutifs de chaque orientation, à les marier et à confronter les
démarches que d’aucuns ont voulu, à une
époque, opposer. Disons que vu du point de vue de la diversité
« biologique », la formule souffleur / basse / batterie plus guitare
est un lieu commun des musiques improvisées telles qu’elles sont pratiquées
dans le circuit des festivals et clubs « importants ». Consulter les
catalogues de disques consacré à votre musique préférée et vous finirez par le
constater, ne fût ce que chez Leo Records. Cela dit Christian Lillinger se démène avec une belle énergie sur ses fûts, Rudi Mahall fait exploser sa clarinette
basse dans les aigus ou siffle un contrechant exquis, le plus sonique des
quatre, le guitariste Nicola L Hein explore
son engin dont il a customisé les pédales. Un morceau plus aéré, Der Hammer als Hammer, donne à entendre
l’archet actionné par le contrebassiste Adam
Putz Melbye dans l’hyper grave. J’entends bien la nécessité de leur
démarche mais c’est quand ils lancent des dés et choisissent des options sans
crier gare que l’intérêt monte d’un cran, même si les formes qu’ils choisissent
d’investiguer ont un réel intérêt. On devine l’évocation détournée d’un thème
de Dolphy. Hah ! Rudi Mahall , un musicien puissant et subtil ! Au fil des plages, une réelle connivence se
fait jour, des concordances, une écoute intense, une stratégie commune concertée
par des signaux impalpables. Ce disque n’est pas pour moi un manifeste que je
glisserai dans mes disques « importants » en relation avec mon
expérience et mes goûts, mais plutôt un témoignage d’un groupe et
d’invidualités qui a réussi son projet et que j’aurais à cœur d’écouter en
concert. Et c’est avant tout cela qui compte.
Marialuisa Capurso & Jean-Marc Foussat En Respirant FOU Records FR-CD 17
Chez FOU
Records, les CD’s de Jean-Marc Foussat se suivent sans se ressembler. Trois
pièces enregistrées « live at POP –der Laden » à Berlin le 19 février
2016 proposent des ambiances planes, faussement répétitives et étirées avec
soin à base de Synthi AKS (Foussat)
et la voix et les paroles traitées par des effets électroniques multiples (Capurso). Le titre du premier morceau, Osmosis (19’49’’), ne croit pas si bien
dire, les deux artistes s’intégrant leurs sons l’un à l’autre avec une
dynamique excellente. Entend-on une guimbarde ou l’effet d’un traitement
sonore vers 12’/13’ ? Le vent des steppes souffle ou la bise transperce les
fenêtres d’un château abandonné des Carpathes, Marialuisa entonne une berceuse bisyllabique qui finit
par se démultiplier lorsqu’on devine les murmures de Jean-Marc. Les sons
changent lentement de couleurs et de timbres comme dans un crescendo/ decrescendo
réussi et on aboutit dans un autre espace-temps où tinte un filet de son aigu. Purple Future (15’28’’ ) est une autre
mouture de ces procédés et qui débute par des boucles de voix
(mère-fille ??) Dans le processus, JMF injecte sa voix dans l’installation
en la traitant : on découvre une trame d’une réelle richesse sonore même
si le côté obsessionnel voire répétitif (la boucle vocale initiale est une
constante durant quelques minutes et ce procédé est réitéré par la suite) ou
« planant » est un peu trop appuyé. Par rapport à la musique
électronique que les médias essaient de nous servir, la musique du duo Capurso
– Foussat est nettement plus accidentée, volatile, lucide et somme toute, plus
vraie. Capurso transforme graduellement
deux mots - litanie à chaque loop comme un rituel secret. La recherche de l’électronicien n’est pas vaine : on l’entend pêcher quantité de sons
intéressants et très fins. Vu l’émission continue de son dispositif, on
réalise parfois la nature de ses mutations sonores après coup. Place du Marché (11’06’’) fait cohabiter
un jodel d’oiseau, des battements de guimbardes sidérales et des croassements
synthétiques…. Se joignent d’autres matériaux (vents électroniques), des
boucles quand d’autres s’estompent, l’électronique revêtant une apparence de
vocalité, frémissante parmi les bribes de conversations étouffées et
tournoyantes et des dissonances rebondissantes. Je ne vais pas me perdre dans
la description de cette troisième pièce terminée par un couplet vocal très
efficace, inspiré d’un folklore balkanique imaginaire et traité
en boucle et multitracking. Mais plutôt témoigner de sa qualité qui élève la
tenue de cette collaboration d’un concert. JMF : à suivre !