Anemochore : suites and seeds Frantz Loriot Sebastian Strinning Daniel Studer Benjamin
Brodbeck Creative
Sources CS 593 CD
Un quartet
helvétique consacré à l’improvisation libre: anemochore . Deux cordes : le violon alto
de Frantz Loriot (qui vit aujourd’hui à Zürich) et la contrebasse de Daniel
Studer, des anches : le saxophone et la clarinette basse de Sebastian
Strinning, et les percussions de Benjamin Brodbeck. 12 pièces de taille
différentes en formes de suites et de semences sous la forme des hélices de
l’érable entre une et huit minutes. Un travail précis et circonspect
d’exploration, de dialogues collectifs, de miniatures pointillistes. L’alto
incisif de Frantz Loriot, le saxophone pépieur ou en glissandi de Sebastian
Strinning, les résonances des peaux et des bois (woodblocks) de Benjamin
Brodbeck, les frottements voilés et les chocs col legno de Daniel Studer. La
dynamique se focalise sur le ppp ou le P … sans aller jusqu’au mezzo forte,
entre ombres et clarté. Chaque improvisation raconte une histoire, développe un
autre aspect, une nouvelle perspective dans le travail du son, de la phrase
musicale introduisant une magnifique variété de timbres, d’alliages de sons, de
phonèmes sonores en suspension, d’approches du silence croisées avec les
murmures intérieurs, de traces d’action musicale et d’échos fragiles des
réactions engendrées. Ecouter cet album est un florilège du vécu et de
l’expérience acquise à improviser et à chercher / trouver l’instant précis où
tout bascule et prend sens à travers une infinité de sonorités et de gestes. Dans
cette galerie de signes, l’auditeur finira par trouver son chemin et jouir de
la musique. Très réussi.
Trois voix
clairement distinctes, complémentaires, à l’écoute, en dialogue, construisant
une musique libre basée sur des vibrations rythmiques, des flux, un travail
sonore spécifique et l’utilisation de leurs background musical
individuel : Vid Drašler, percussionniste au jeu clair, précis, franc,
adepte de la frappe sèche et des roulements bienvenus. Tom Jackson,
clarinettiste rompu au travail contemporain et aux musiques de jazz. Daniel
Thompson inconditionnel de la guitare acoustique et de ses techniques
alternatives, harmoniques et pointillisme en tête. Tom et Daniel ont une grande
familiarité : ils jouent ensemble fréquemment en compagnie de l’altiste Benedict Taylor
(Hunt at The Brook) ou du trompettiste
Roland Ramanan (Zubeneschamali). En quelques années, Tom est devenu l’autre
grand clarinettiste incontournable de la scène Londonienne avec le merveilleux
Alex Ward. Daniel, un pupille de John Russell, ne compte plus les
collaborations : outre Taylor et Jackson, Simon Rose, Steve Noble, Andrew
Lisle, Adrian Northover, Neil Metcalfe, Marcello Magliocchi… Mais pour faire
une musique sérieusement avec un nouveau comparse, le batteur slovène Vid Drašler, il faut reconsidérer tout le concept de jeu collectif, repartir à
zéro. Comme deux des pôles du trio peuvent se révéler en contradiction par leur
volume respectif : une guitare acoustique non amplifiée avec moultes
attaques d’harmoniques et de cordes stoppées / en sourdine versus un attirail
de percussion par essence plus bruyant, Tom Jackson suit une démarche de jeu
Giuffrienne remarquable soufflant plus ppp voire P… et oblige ainsi la
sensibilité de Vid à jouer en douceur variant les effets métalliques de la
pointe de baguettes lègères, maillochant discrètement la surface de ses
tambours. Le jeu arachnéen et percussif du guitariste sert alors d’aiguillon
rythmique. Pour cela il décale subtilement des séquences répétées de coups de
griffe et ponctue des ostinatos minimalistes
pour inciter les deux autres à des dialoques tangentiels. J’ai entendu
John Russell dans différentes circonstances et tout le mérite de Daniel
Thompson est d’en apporter une vision complémentaire, voisine certes, mais on
distingue clairement ses intentions et sa personnalité originale. La
percussionniste révèle toute sa maîtrise des rythmes /pulsations croisées,
multiples et imbriquées/ tuilées dans un véritable continuum, c’est sur ces
vagues et ondulations rythmiques changeantes qu’oscillent les pépiements /
sursauts de l’anche du clarinettiste, lequel ne se départit pas de son jeu
lunaire et énigmatique basé sur des harmonies étirées et un timbre propre à
l’introspection dont il a le secret, maintenu durant toute la performance (Nauportus
I-V), créant ainsi une composition instantanée à lui seul. Je l’ai
entendu de nombreuses fois puissant, mordant, virevoltant, bruissant, jazzy –
contemporain. Ici son jeu est étrangement ouaté, brumeux. À écouter et
musiciens à suivre.
Cinépalace
Dirk Serries Martina Verhoeven Colin Webster new wave of jazz nwoj 0010
Musique
intuitive, introspective, collective initiée dans des drones à la fois
statiques et mouvants où on devine les harmoniques de la contrebasse de Martina
Verhoeven, le souffle indifférencié et détimbré du saxophone ténor Colin
Webster et les étincelles invisibles de la guitare électrique de Dirk Serries.
Au Cinépalace à Courtrai en 2015, les sonorités et le jeu collectif cohérent de
ces trois intrépides improvisateurs créent un événement sonore vivant, une
sculpture temporelle faites de scories, de vibrations et d’une écoute
attentive. Le flux semble infini et ne s’arrête que dans notre imaginaire,
l’action des instrumentistes se faisant plus charnelle, plus mordante, plus
aiguë à mesure que les minutes s’étirent. Une action naît et se développe en
harmonie avec chacun et entre tous alignée avec ce qui précède : la
guitare crépite, le bec du sax chante une longue note tenue, l’archet s’égaye à
proximité du chevalet et fait crier les cordes… les idées, les motifs
s’échangent et girent de l’un à l’autre dans une tournante expressionniste,
frénétique. Volatile jacasseur, articulation bruitiste de Webster, diffractions
électriques de Serries, frottement primal de Verhoeven. Jusqu’à un point de
répit où les harmoniques de la contrebasse pique une ritournelle surréaliste
surnageant dans les drones insaisissables de la guitare électrique.
L’enchaînement des sons et des séquences s’affirme comme une dérive contrôlée, construction méthodique de l’instant et du partage. Une belle
expérience d’improvisation radicale.
Live at l’Horloge
Gianni Mimmo Yoko Miura Thierry Waziniak Amirani
Styliste du
saxophone soprano dans le droit fil de Steve Lacy, Gianni Mimmo a développé une
pratique de rencontre et de partage avec plusieurs improvisateurs qui trouve un
exutoire assez contrasté et fort différent de celui du maestro disparu. Faut il
citer et (re) découvrir ses collaborations passées avec Gianni Lenoci, Harri
Sjöström, Vinny Golia, Daniel Levin, Angelo Contini pour s’en convaincre. Avec la pianiste japonaise Yoko Miura (aussi
au miano jouet) et le percussionniste français Thierry Waziniak, c’est à un jeu
de haïkus musicaux qu’ils se livrent, retenant le temps et écartant les limites
de l’espace. On goûte un lyrisme secret, une puissance cachée, partagés de
minute en minute, des notes tenues et taraudées de Mimmo dans un forte
imprécateur qui s’évanouit dans les répétitions de notes lumineuses et décalées
de Miura, elles mêmes s’enchaînant en une comptine naïve sans solution. Tout
s’enchaîne avec une belle logique et une expressivité plus belle encore avec
des changements de registre assumés. Jouer la mélodie avec des effluves
monko-lacyens et nous y faire croire est sans nul doute le point fort de Gianni
Mimmo. Ses deux comparses s’entendent à merveille pour souligner, enrichir,
alléger, magnifier cette voix originale, ramenant le silence méditatif, relance
de l’inspiration. Thierry Waziniak y insère des bruissements mystérieux, des
friselis épars, lorsque le saxophone s’éternise sur une harmonique rare ou deux
notes lunaires, crissant le silence. Ce magnifique concert d’une heure et plus,
gravé d’une dizaine de digits, est excellemment joué d’une traite et contient
de beaux instants de vérité à partager, réécouter et méditer. J’avais découvert
Gianni Mimmo il y a une dizaine d’années comme un honnête artisan et avec ce
disque j’entrevois l’éclosion d’une vraie maîtrise dans la durée.
Landscapes Paul
Dunmall Philip Gibbs Benedict Taylor Ashley John Long FMR CD 5330519.
Poids lourd du saxophone ténor parfaitement à l’aise avec des batteurs énergiques et débordants (Tony Bianco, Hamid Drake, Mark Sanders, Tony Levin) et des grands formats de la contrebasse (Paul Rogers, John Edwards), Paul Dunmall est aussi l’homme du free jazz de chambre avec cordes principalement avec le guitariste Philip Gibbs, ses contrebassistes attitrés et parfois le flûtiste Neil Metcalfe. Lors de ces sessions on l’entend plus au sax soprano et parfois à la flûte ou la clarinette. Deux albums précédents avaient initié la collaboration avec l’excellent contrebassiste Ashley John Long, Now Has No Dimension et Seascapes et l’inévitable Phil Gibbs. Neil Metcalfe partageait la session de Seascapes. Pour Landscapes, c’est autour du violoniste alto Benedict Taylor, entendu fréquemment avec le clarinettiste Tom Jackson, lui-même un pote à Ashley John Long, et le guitariste Daniel Thompson, un compagnon de route de Neil Metcalfe. Si Dunmall, Metcalfe et aussi Phil Gibbs sont des « vétérans », Ashley, Benedict, Tom et Daniel sont de la « nouvelle génération apparue dans les années 2010. C’est dire à quel point cette scène britannique est multi-générationnelle. Si le point de départ de leur musique se situe dans le free-jazz libertaire, les cordistes tirent les débats dans le domaine improvisation libre plus radicale, tout à tour pointilliste, bruissant, ou exubérant. Les deux frotteurs de cordes s’entendent à faire grincer les cordes près du chevalet, frapper col legno, étirer les notes et leur hauteur, manipuler le son. Phil Gibbs a le médiator véloce et pointilleux et alterne avec un jeu en tapping sur les genoux tout en amplifiant à peine son instrument rendant sa sonorité proche de l’acoustique, le tout avec une dimension rythmique obsédante. Un solide client à la guitare au point où sa présence est devenue constitutive de la démarche de Paul Dunmall, lui-même un souffleur exceptionnel. L’ensemble tend à jouer avec la microtonalité altérant intelligemment les intervalles ce qui donne naissance à un flou harmonique fascinant. Si la voix instrumentale de Dunmall est essentiellement lyrique, la manière très ouverte et naturelle de travailler du quartet autorise les audaces instrumentales de Benedict Taylor contagieuses vis-à-vis du contrebassiste. Dunmall n’impose pas sa voix au soprano, mais s’intègre dans le jeu diffus de ses comparses, dans la végétation de lianes, feuillages, branchages, ombres au même titre que ses acolytes. Une véritable sagacité de l’instant ludique est partagée par chacun : on entend souvent les instrumentistes engager simultanément des approches différentes quant à la vitesse, les timbres, les motifs, les lignes mélodiques, les techniques de son, créant une diversité très étendue, organique et en perpétuelle métamorphose. Il devient dès lors très difficile de saisir et de considérer sur une seule écoute les tenants et aboutissants de leur cheminement. Celui-ci est à la fois éminemment ludique, intuitif, spontané, limpide et aboutit à une complexité qui oblige l’auditeur à plusieurs écoutes successives pour réaliser mentalement le cadre de leur univers. Certains enregistrement « excellents » , voire fabuleux, de musique improvisée posent leur démarche étant lisible tout de suite. Et donc, l'’auditeur averti peut en appréhender le(s) schéma(s), la direction, le tracé presqu’exact dès une première écoute. Dans la jungle de Dunmall, Gibbs et consorts, on semble rentrer dans un maquis superbement ordonné, mais inextricable qui semble se répandre dans de multiples formes et dimensions et sortir de l’infini. Aussi, le plaisir partagé oblitère tout sentiment de redondance et même pour les afficionados, une éventuelle lassitude, par leur capacité à dialoguer, à se différencier, à s’agréger, à s’extasier et à nous communiquer le plaisir intense de jouer avec les éléments.
Poids lourd du saxophone ténor parfaitement à l’aise avec des batteurs énergiques et débordants (Tony Bianco, Hamid Drake, Mark Sanders, Tony Levin) et des grands formats de la contrebasse (Paul Rogers, John Edwards), Paul Dunmall est aussi l’homme du free jazz de chambre avec cordes principalement avec le guitariste Philip Gibbs, ses contrebassistes attitrés et parfois le flûtiste Neil Metcalfe. Lors de ces sessions on l’entend plus au sax soprano et parfois à la flûte ou la clarinette. Deux albums précédents avaient initié la collaboration avec l’excellent contrebassiste Ashley John Long, Now Has No Dimension et Seascapes et l’inévitable Phil Gibbs. Neil Metcalfe partageait la session de Seascapes. Pour Landscapes, c’est autour du violoniste alto Benedict Taylor, entendu fréquemment avec le clarinettiste Tom Jackson, lui-même un pote à Ashley John Long, et le guitariste Daniel Thompson, un compagnon de route de Neil Metcalfe. Si Dunmall, Metcalfe et aussi Phil Gibbs sont des « vétérans », Ashley, Benedict, Tom et Daniel sont de la « nouvelle génération apparue dans les années 2010. C’est dire à quel point cette scène britannique est multi-générationnelle. Si le point de départ de leur musique se situe dans le free-jazz libertaire, les cordistes tirent les débats dans le domaine improvisation libre plus radicale, tout à tour pointilliste, bruissant, ou exubérant. Les deux frotteurs de cordes s’entendent à faire grincer les cordes près du chevalet, frapper col legno, étirer les notes et leur hauteur, manipuler le son. Phil Gibbs a le médiator véloce et pointilleux et alterne avec un jeu en tapping sur les genoux tout en amplifiant à peine son instrument rendant sa sonorité proche de l’acoustique, le tout avec une dimension rythmique obsédante. Un solide client à la guitare au point où sa présence est devenue constitutive de la démarche de Paul Dunmall, lui-même un souffleur exceptionnel. L’ensemble tend à jouer avec la microtonalité altérant intelligemment les intervalles ce qui donne naissance à un flou harmonique fascinant. Si la voix instrumentale de Dunmall est essentiellement lyrique, la manière très ouverte et naturelle de travailler du quartet autorise les audaces instrumentales de Benedict Taylor contagieuses vis-à-vis du contrebassiste. Dunmall n’impose pas sa voix au soprano, mais s’intègre dans le jeu diffus de ses comparses, dans la végétation de lianes, feuillages, branchages, ombres au même titre que ses acolytes. Une véritable sagacité de l’instant ludique est partagée par chacun : on entend souvent les instrumentistes engager simultanément des approches différentes quant à la vitesse, les timbres, les motifs, les lignes mélodiques, les techniques de son, créant une diversité très étendue, organique et en perpétuelle métamorphose. Il devient dès lors très difficile de saisir et de considérer sur une seule écoute les tenants et aboutissants de leur cheminement. Celui-ci est à la fois éminemment ludique, intuitif, spontané, limpide et aboutit à une complexité qui oblige l’auditeur à plusieurs écoutes successives pour réaliser mentalement le cadre de leur univers. Certains enregistrement « excellents » , voire fabuleux, de musique improvisée posent leur démarche étant lisible tout de suite. Et donc, l'’auditeur averti peut en appréhender le(s) schéma(s), la direction, le tracé presqu’exact dès une première écoute. Dans la jungle de Dunmall, Gibbs et consorts, on semble rentrer dans un maquis superbement ordonné, mais inextricable qui semble se répandre dans de multiples formes et dimensions et sortir de l’infini. Aussi, le plaisir partagé oblitère tout sentiment de redondance et même pour les afficionados, une éventuelle lassitude, par leur capacité à dialoguer, à se différencier, à s’agréger, à s’extasier et à nous communiquer le plaisir intense de jouer avec les éléments.