13 novembre 2019

Guilherme Rodrigues - Harri Sjöström / Karoline Leblanc Yedo Gibson Luis Vicente Miguel Mira Paulo Ferreira Lopes / Benjamin Duboc - Sylvain Kassap / Graham Dunning Dirk Serries Benedict Taylor Martina Verhoeven Colin Webster /


The Treasures Are Guilherme Rodrigues & Harri Sjöström Creative Sources CS605CD

Un duo violoncelle (Guilherme Rodrigues) et saxophone soprano et sopranino (Harri Sjöström) basé à Berlin. Guilherme est attaché à la mouvance Creative Sources, label portugais dirigé par son père Ernesto et pour lequel il a enregistré une quantité innombrable d’albums dans la veine lower-case « minimaliste radicale. Harri Sjöström est connu pour avoir joué régulièrement avec Cecil Taylor, Phil Wachsmann, Paul Lovens, Gianni Mimmo.  Dans cet opus enthousiasmant, Guilherme nous fait découvrir son talent de violoncelliste plus proche de la tessiture « normale» de l’instrument en totale empathie avec le jeu étiré, serpentin et intense d’Harri Sjöström.  Chacun d’eux mettent en valeur une pluralité de caractères sonores expressifs, vibrants, cachés, découverts dans l’instant de leurs instruments respectifs. Angles, accents, épures, sursauts, extrêmes, graves ou suraigus. On pourra comparer avec le duo de Gianni Mimmo et Daniel Levin qui partage la même instrumentation (Turbulent Flow /Amirani). Ce que j’apprécie particulièrement dans ces Treasures est l’éventail follement exhaustif de très nombreuses variations dans le choix des timbres et les imbrications, tuilages, juxtapositions, contrastes, enchaînements, tournoiements,  qui les associent et nous donnent le tournis. Une forme de virtuosité véloce est contournée au profit d’une expressivité intense, d’échanges fructueux au niveau des palettes, des couleurs, des reflets rougeoyants, ambrés, ocres, fauves …. Je ne peux m'empêcher de réécouter cette merveilleuse suite dhistoires aux multiples rebondissements. C’est assurément un enregistrement unique de deux individus ouverts lun à l’autre et qui dépasse leur valeur intrinsèque propre, grâce à leur intense écoute mutuelle et la compréhension profonde de leurs registres intimes particuliers à partager expressément dans leur rencontre. Une musique pleine de plaisirs et de générosités. Un très grand disque. 

Double On The Brim Karoline Leblanc Yedo Gibson Luis Vicente Miguel Mira Paulo Ferreira Lopes atrito-afeito 011


Quintet archétypique du free jazz où brillent spécialement le trompettiste Luis Vicente et la pianiste Karoline Leblanc. L’ensemble est cohérent et les musiciens plus que compétents. Six compositions tremplins pour l’improvisation collective. Au lieu d’une contrebasse comme de coutume avec cette combinaison instrumentale, on trouve, un peu trop en retrait, le très prometteur Miguel Mira au violoncelle. À la batterie, l’énergétique Paulo Ferreira Lopes et aux saxophones ténor, alto et soprano, le dynamique souffleur Yedo Gibson qui chauffe à blanc l’air ambiant. Je me réjouis de la volonté d’improviser collectivement et alternativement, même si le registre du quintette se cantonne à un exercice exacerbé sur la tension, l’énergie, la prolixité, un jeu staccato du saxophoniste, le déferlement au clavier avec quelques points de relâchement qui ouvre l’atmosphère vers des choses tout aussi intéressantes (le final de Double on the Brim en 5). Cela dit le saxophoniste fort en verve a de belles idées de jeu quand le groupe se réoriente. Le trompettiste lui-même souvent lyrique peut très bien frictionner la colonne d’air ou trouver des contrepoints bienvenus lorsque son collègue Gibson s’envole. La pianiste a le chic de faire des incursions atonales en clusters avec une belle logique, un sens des voicings free et un enchaînement subtil de motifs polyrythmiques dont l’intensité, la vitesse varient naturellement. Un beau mélange d’intuition et de science. Lorsque Karine s’échappe dans l’azur sans que les souffleurs n’interviennent, le batteur maintient les pulsations en éclaircissant la charge des roulements, créant un excellent équilibre  aérien entre leurs deux pôles percussifs. Et lorsque Yedo Gibson les rejoint un instant, il relance le débat avec ingéniosité. À noter la fragmentation forcenée du souffle sur l’embouchure de la trompette de Vicente, entre autres trouvailles sonores. Évidemment, la déferlante obère trop souvent l’écoute du violoncelliste au sein de l’orchestre. Malgré tout, ce quintet devrait faire les beaux soirs des festivals par la conviction et leur engagement sans faille.

Benjamin Duboc – Sylvain Kassap Le Funambule Dark Tree DT12

Label français, Dark Tree se spécialise dans des albums inédits de John Carter, Bobby Bradford ou  Horace Tapscott et des nouvelles productions de l’actualité de la scène française. Deux albums des trios Sens Radiants  (Daunik Lazro, B.Duboc et Didier Lasserre) et En Corps (Eve Risser, Duboc et Edward Perraud), Julien Desprez avec Mette Rasmussen ou Tournesol, ... . Ce duo de Sylvain Kassap avec l’omniprésent Benjamin Duboc (cfr catalogue Dark Tree) révèle toute la musicalité de ce clarinettiste qui incarne autant le sens de la forme que de belles qualités d’improvisateur sensible et qui se sert de sa profonde connaissance musicale pour nourrir ses improvisations. Suivi à la trace par le jeu discret et aérien de son partenaire, il décante l’esprit et les traces du blues en ouverture (vers le bleu 16 :34). Benjamin Duboc cultive le sens du rythme même quand celui-ci est à peine marqué. Une fois l’ambiance installée lors de cet agréable  concert au Comptoir de Fontenay sous Bois, les échanges improvisés se précisent et l’imagination est sollicitée pour trouver des figures, des sons, des réactions instantanées que le morceau soit court (c’est narcisse qui danse 03 :32), ou beaucoup plus long (le ventre de socrate 19 :50). La clarinette basse grasseye, puis pépie et se lance franchement dans le registre aigu ou déboule en entraînant les graves en tranchant l’air avec les notes hautes qui mordent ou roucoulent, alors que le contrebassiste flotte dans le registre sombre, clair obscur faisant gronder doucement le bois de l’âme. Une musique à la fois franche et délicate. Benjamin Duboc  prend son temps avant de suggérer une idée aussitôt régurgitée dans le grésillement de l’anche. L’archet frôle la corde et c’est sa vibration qui se révèle à nous comme un gros insecte qui s’élève dans le soir tombant. Favorisant une construction lente, les duettistes vident le sac de l’instant, aspirent lentement le suc de la fleur avant d’asticoter le bec à coups de langue et de faire rebondir l’archet. Une histoire se raconte et on écoute les détails de la péripétie en se convaincant que le plus intense, le dénouement tragique est à venir au terme des dix neuf minutes qui égrènent lentement les timbres, les sons, la dynamique d’un jeu alangui. Sa marche ralentit jusqu’ au moment où pointe une mélodie fugace et les morsures du temps pour concentrer notre imagination d’auditeur dans un au-delà impalpable, inconnu. La musique de l’instant qui fuit. C’est beau. Le reste a le mérite d’ajouter du mystère. Une émotion sincère dans un registre polymodal / folklore imaginaire de bon aloi. Faites en cadeau à ceux que « notre » musique déroute, la musique de Kassap et Duboc est une belle porte d’entrée.

Tonus Ear Duration new wave of jazz  nwoj 0020
Une fois n’est pas de trop. Une belle tentative de jeu collectif à cinq improvisateurs basée sur l’écoute mutuelle avec un sens de l’espacement des interventions individuelles / sons épars dosés en se focalisant sur le timing, soit le moment exact le plus propice à créer du sens. Jeu autour du silence comme dans Set 3. Graham Dunning, caisse claire, objects / Dirk Serries, accordéon et guitare acoustique / Benedict Taylor, violon alto /  Martina Verhoeven, piano / Colin Webster, flute et sax alto. Ça grince, gratte, crisse, tremble, percute, frotte, rebondit... Chacun trouve un bref événement sonore, différencié, dans l’interstice du flux où il prend la balle au vol. Une manière de succession de cadavres exquis abstraits dont la dynamique se répercute par des respirations brèves et des altérations subtiles dans le son d’ensemble. La musique improvisée peut se révéler à nous de façons très variées, contradictoires, parfois aux antipodes l’une de l’autre. Ici on cultive la mise en évidence d’un processus ludique aléatoire et circulaire plutôt qu’une mise en forme intentionnelle. Aucun solo donc mais des éclats, scories, fragments, éclairs qui cristallisent la concentration d’un instant fugace et la discipline collective. Je salue sincèrement les artistes et le label nwoj pour nous soumettre ainsi un document qui s’il n’a aucune prétention à être considéré comme une œuvre, éclaire singulièrement une constante dans la pratique de l’improvisation libre.

6 novembre 2019

Matthias Bauer Emilio Gordoa Teppo Hauta-aho Veli Kujala Paul Lovens Libero Mureddu Dag Magnus Narvesen Evan Parker Harri Sjöström Sebi Tramontana Philipp Wachsmann / Eugene Chadbourne Duck Baker Randy Hutton/ Anton Mobin Benedict Taylor / Music for Bass Clarinets - Aural Terrains


The Balderin Sali Variations : Matthias Bauer Emilio Gordoa Teppo Hauta-aho Veli Kujala Paul Lovens Libero Mureddu Dag Magnus Narvesen Evan Parker Harri Sjöström Sebi Tramontana Philipp Wachsmann  Leo Records double CD LR 870-871.

Non, vous ne rêvez pas ! Un tel rassemblement d’improvisateurs à-la- Company. Non, ils ne jouent pas toujours tous ensemble : un seul tutti pour chacun des deux CD's. En début du premier (Balderin Sali 1, 12 :58) et en fin du second (Balderin Sali 13, 12 :41). Pour le reste, onze improvisations en duos, trios, quartettes etc... répartis de manière équilibrée en offrant des configurations instrumentales différentes. L’accordéoniste Veli Kujala en duo avec Harri Sjöström ou Evan Parker, le vibraphoniste Emilio Gordoa avec le bassiste Teppo Hauta-aho, le batteur Dag Magnus Narvesen et Evan Parker. Paul Lovens avec le pianiste Libero Mureddu  et le tromboniste Sebi Tramontana. Gordoa, Mureddu et le violoniste Philipp Wachsmann ou le contrebassiste Matthias Bauer avec Narvesen, Parker, Sjöström, Tramontana et Wachsmann etc… Il y eut sans doute d’autres combinaisons lors de ces concerts du 8 et 9 septembre 2018 à Helsinki. La sélection proposée offre sans doute les morceaux ou extraits les plus convaincants. Saxophone ténor, deux sax soprano, trombone, violon, deux contrebasses, deux percussions, un accordéon, un piano et un vibraphone, de quoi faire des Variations avec une instrumentation changeante. Des vétérans (Parker, Lovens, Wachsmann, Hauta-aho), des « jeunes » (Narvesen, Gordoa, Libero Mureddu) et des entre les deux (Bauer, Kujala). Il manque des joueuses, mais une belle diversité quand même : Finlandais, Mexicain, Allemand, Norvégien, Italiens, Britanniques. Un fil conducteur, la libre improvisation et aussi l’alternance des deux saxophonistes aisément reconnaissables entre eux sur huit morceaux. De beaux échanges. Les mauvaises langues diront que ces sentiers sont battus et rebattus. Je répondrai que dans le flux intarissable des nouveaux projets « identifiables » et  enregistrés que de nombreux artistes lancent sur le marché des concerts, clubs et festivals, depuis quand avons nous l’occasion d’entendre sur deux compacts bien fournis des libres associations instantanées entre improvisateurs et souhaitées par chacun d’eux ? C’est ici que l’éphémère et le « parfois » miracle se révèle dans son unicité, dans le sens de l’imprévu, de la rareté. Un éclair de bon sens : ah oui X, Y et Z :la plus belle constellation auquel personne n’avait songé. Les compétences de ces musiciens le permettent de calibrer leurs extravaganzas dans des durées moyennes entre les sept et douze minutes et de créer très souvent un momentum, un événement sonore remarquable sans devoir s’échauffer et ni tâtonner. Du sur mesure dans l’imprévu, une réaction immédiate dans l’instant. On y découvre toutes sortes d’atmosphères, d’intensités, de langueurs et de trouvailles. Une manière de dialoguer qui se renouvelle et évolue de plage en plage. Le n°5, par exemple, est une petite merveille de métamorphose des sons : l’accordéon de Veli Kujala, la contrebasse de Teppo Hauta-aho et la percussion de Paul Lovens nous font oublier l’instrumentation et ses caractéristiques propres pour un joyeux kaléidoscope de sons en liberté s’affranchissant des langages codés ou de ce qui semble libéré des conventions en se promenant comme dans un rêve. Le deuxième cd débute avec une nouvelle édition de Quintet Moderne où Sebi Tramontana remplace Paul Rutherford auprès de Teppo Hauta-aho, Paul Lovens, Harri Sjöström et Phil Wachsmann pour une improvisation collective véritablement réussie. Lovens y déconstruit le drumming conventionnel pour passer en revue des frappes, grattements, grincements, sifflements transformés en tracés pointillistes , ondes sonores, couleurs cuivrées, … Un duo Parker-Wachsmann nous fait regretter qu’ils n’aient pas encore publié un album en duo.  Pour ces raisons et bien d’autres, je décrète que la parution de ces Variations de Balderin Sali est salutaire.

Eugene Chadbourne Duck Baker Randy Hutton The Guitar Trio in Calgary 1977 Emanem.

En 1977, nous étions en train d’écouter, réécouter, décortiquer Lot 74, Improvisations, the London Concert de Derek Bailey que déjà sur le continent américain Eugene Chadbourne créait son propre univers. Je découvrirai quelques années plus tard ce Guitar Trio dans un album de Chadbourne, Guitar Trios (Parachute P-003) dont la face A réunissait Eugene, Henry Kaiser et Owen Maercks aux guiatres électriques la face B, les musiciens suscités en tout acoustique : Randy Hutton, Richard Duck Baker et E.C. Cette face B est ici rééditée (Two Peafowl version studio 27 : 22), il s’agit du dernier morceau de ce nouveau CD Emanem 5049 que je vous recommande vivement. Emanem fut le label qui fit un tabac avec le Duo d’Anthony Braxton et Derek Bailey, réédité à plusieurs reprises, et le fabuleux solo de Derek, Domestic and Public Pieces. Par la suite, Martin Davidson, le boss dEmanem, publia des albums en pagaille de Roger Smith, de John Russell et l’inoubliable perle acoustique d’Elliott Sharp, The Velocity of Hue. Créant ainsi un engouement sans précédent pour l’improvisation radicale à la guitare souvent en solo, Derek Bailey, sa pratique musicale et ses enregistrements ont poussé de nombreux jeunes auditeurs enthousiastes de l’époque à partir à la recherche d’autres  guitaristes étranges et innovateurs en solo bien souvent, lesquels furent sans nul doute encouragés à développer leur propres univers musicaux à la six cordes grâce à son exemple intransigeant. Fred Frith, dont deux albums présentaient aussi le travail d’autres collègues (Hans Reichel, Derek Bailey, G.F. Fitzgerald, entre autres), Hans Reichel, Raymond Boni, Ian Brighton, Eugene Chadbourne, Henry Kaiser, Davey Williams. De tous les albums de cette époque, je pense que ce magnifique Guitar Trio 1977  vaut vraiment le détour et devrait figurer en tête de liste des incontournables aux côtés du Spanish Guitar de Roger Smith, Domestic and Public Pieces de Bailey ou Le Soleil l’Arbre le Béton de Raymond Boni etc…  Leur musique est un superbe exemple des possibilités de la guitare acoustique dans le domaine du free-jazz. Duck Baker, qui joue une acoustique en nylon, en fait la démonstration la plus convaincante qui soit dans White with Foam, une composition personnelle de 2 :51 pleine d’un swing décalé ahurissant et qui devrait figurer dans une anthologie. Des doublements de tempo avec descente chromatiques, accents marqués en tempo élastique et intervalles casse-cou à faire pâlir les exégètes de Django et de Egberto Gismonti.
Il y a aussi Cards de Roscoe Mitchell, un solo d’Eugene Chadbourne bien enlevé où on entend poindre la personnalité du compositeur. Ces deux solos permettent de situer le style de chacun et d’extrapoler celui de Randy Hutton qui n'apparaît que dans les pièces en trio. EC et DB jouent aussi en duo sur Mary Mahoney. Même si de nombreux passages de Two Peafowl ont de fortes accointances avec la free music librement improvisée européenne, on pourrait qualifier pratiquement tous les morceaux ici joués de free – jazz. En effet, outre le Cards de Roscoe Mitchell qui a une carrure musique contemporaine, on a droit à un mystérieux Ornette Coleman Mashup, variation cubiste en medley avec Lonely Woman et Comme Il Faut d’Ornette et le Song For Che de Charlie Haden.  Étrange. Pour démarrer, on a droit à un super morceau entraînant de la plume de Randy Hutton, KJ is a DS. Dès les premières mesures (vite chahutées, bien entendu), on sait directement qu’on a affaire à des pointures qui déménagent en acoustique comme rarement on avait pu l’entendre avant eux. La coordination entre les trois guitaristes laisse rêveurs. La version live de Two peafowl en 2/ est nettement plus courte (11 :11). Cette pièce est une suite dans laquelle les trois guitaristes interprètent assez librement les instructions souvent très contrastées de Chadbourne. On est ici dans une démarche plus musique contemporaine qui fleure bon le délire de la free-music made in Europe, même si le parfum expressionniste est indéniablement américain. On les y entend aussi glisser  de concert leurs doigts mouillés sur la surface de leur caisse, ce qui produit des sons vocalisés. Bref, un album haut de gamme qui n’est pas qu’un album d’archives, et aurait mérité véritablement une publication à l’époque. Je dirais même qu’il est largement plus intéressant que le premier album d’Eugène pour Parachute – P-001.  À écouter attentivement, passionnément et…

Anton Mobin  Benedict Taylor Close / Quarters New Wave of Jazz nwoj/0021

New Wave of Jazz, le label du guitariste Dirk Serries prend une orientation vraiment intéressante, mettant entre autres l’usage du bruit, des sons produits par des instruments détournés de leurs conventions ou de leur usage traditionnel ou par des instruments, inventés – construits avec des objets et éventuellement amplifiés. Et Close / Quarters est à cet égard plus que digne d’intérêt. L’artiste sonore français Anton Mobin joue d’une prepared chamber, ou en français, une chambre préparée. Il s’agit d’une caisse en bois rectangulaire ouverte par le dessus et qui sert à la fois de support et de caisse de résonance d’une installation d’éléments métalliques, plastiques ou de matières diverses, ressorts de toutes formes et dimensions, tiges, fils tendus sur les parois, objets. Ceux-ci sont amplifiés au moyen de micro-contacts avec un sens de la dynamique et actionnés au moyen des doigts, d’objets, brosses, tiges, etc… et produisent des sons, des timbres, des textures. Frottements, percussions, agitations, grattages, picotements, secouages, tensions ou relâchements subits de cordes, sonorités industrielles ou parfois quasi-vocales concourent à créer un univers sonore bruitiste distinct de celui d’un instrument de musique. On devine la surface de ces objets, tour à tour leur grain, la densité, leur épaisseur, leur légèreté,  la volatilité. On songe bien entendu à Hugh Davies, un artiste exceptionnel dont il fait revivre l’esprit autant que le fort contenu signifiant.  L’altiste Benedict Taylor improvise en trouvant le parfait contrepoint, la dynamique idéale, et nous fait découvrir les ressources sonores étendues de son jeu exploratoire. Il transforme le timbre de son alto en forçant ou relâchant le frottement de l’archet, frappant avec le bois de celui-ci sur les surfaces de l’instrument, jouant en frôlant les cordes de la point de l’archet, vocalisant avec une qualité timbrale en constante variation et des secousses légères par dessus le chevalet. Il pratique un jeu à la fois très rapide avec des changements subits d’intensités, de cadences, et une concentration maniaque du détail, sur un son particulier, des grincements qui nous parlent. Il possède une « voix » personnelle immédiatement identifiable, autant que ses meilleurs collègues comme Mat Maneri, Szilard Mezei ou Charlotte Hug, tous altistes comme lui, ou comme des violonistes de l’envergure de Phil Wachsmann ou Malcolm Godstein. Mettant à l’écart la virtuosité trop évidente, il se consacre à trouver les sons les plus adéquats avec un sens du timing remarquable pour s’insérer, interpénétrer les ronflements, secousses, tremblements, étirements de son collègue, tout en se servant de sa profonde science harmonique. Il offre ainsi une vision instrumentale idéale pour le l’univers bruitiste insolite et curieux d’Anton Mobin. J’avais déjà entendu leur précédent opus, Stow Phasing pour le label Raw Tonk. Close / Quarters atteint une dimension supérieure.
Vraiment leur duo est une affaire à découvrir, à suivre, à réécouter, à méditer. Toutes mes félicitations !

Music for Bass Clarinets Christian Wolff Iancu Dimitrescu Thanos Chrysakis Hannes Kerschbaumer Georges Aperghis. Jason Alder Chris Cundy Tim Hodgkinson Heather Roche Yoni Silver Shadanga duo Aural Terrains TRRN 1341 http://auralterrains.com/releases/41  

Compositions de Wolff, Dimitrescu, Chrysakis, Kerschbaumer et Aperghis. Interprètes selon les morceaux : quintet ou quartet de clarinettes basses : Alder, Cundy, Hodgkinson, Silver et Roche pour Isn’t This A Time de Wolff et Gnomon de Chrysakis. Hogkinson solitaire à la clarinette pour Nuclear Aura de Dimitrescu, Shadanga Duo, soit Alder à la clarinette alto et Katalin Szanyi à la flûte alto pour gryet.debris de Kerschbaumer et Entwined Equinox de Chrysakis. Yoni Silver seul à la clarinette basse pour Simulacre IV d’Aperghis.
J’apprécie les ensembles subtilement décalés des clarinettes basses chez Wolf, une composition qui découpe et restructure le temps, la durée avec des mouvements amples et verticaux. La Nuclear Aura de Dumitrescu, avec qui Hodgkinson a travaillé il y a quelques années à Londres, est l’occasion de redécouvrir ce musicien à la clarinette en solo. Onze minutes dans lequel il nous fait découvrir le spectre sonore de quelques notes en intensifiant ou altérant la dynamique, glissant très lentement une note aigue ou cherchant d’un seul trait une  harmonique secrète. D’un rien, d’un glissement, d’un effort subit surgit une ombre, un cri, une lumière diffuse. Gnomon de Chrysakis, le responsable d’Aural Terrains, est le point de rencontre de notes tenues, de voicings fantômes, d’insistants grasseyements, répétitions d’une note sous différentes attaques… à deux ou trois voix simultanées qui passent de main durant toute l’exécution.  Les sons et les timbres flottent dans l’espace tel un nuage en transformation permanente. Je pourrais continuer à décrire cet album singulier. Je veux en signaler la cohérence des compositions les unes par rapport aux autres, complémentant chacune le propos de la précédente sous un autre angle, d’autres impressions. Les deux pièces allouées au Duo Shadanga mettent en valeur la volubilité et les registres secrets des flûte alto et clarinette alto, une combinaison instrumentale à laquelle il fallait penser et qui ouvre un autre champ des possibles et un agréable contraste avec le côté sombre presque macabre des basses. Harmoniques fantomatiques… Quant à Yoni Silver sa maîtrise des alternances d’intensité d’une note à l’autre, d’un staccato précis et soudainement interrompu mettent en valeur les pépiements vocalisés qui s’insèrent mystérieusement dans le phrasé instauré au début de la partition. Le développement d’Aperghis consacre une vision musicale empreinte de recherches sur le langage, la prononciation, syllabes immatérielles qui s’évanouissent...
Dans le prolongement de la série Music for….  d’Aural Terrains , un album excellemment conçu, réalisé et vécu avec des musiques de compositeur essentielles.  À recommander.  
PS - D’autres albums de cette série ont été chroniqués ici récemment. Il y eut Music for Two Organs and Two Bass Clarinets  avec Peer Schlechta, Thanos Chrysakis, Chris Cundy et Ove Volquartz,  et Music For Baritone Saxophone, Bass Clarinets and Electronics with Jason Alder, Thanos Chrysakis, Caroline Kraabel et Yoni Silver.