The Treasures Are Guilherme Rodrigues & Harri
Sjöström Creative
Sources CS605CD
Un duo
violoncelle (Guilherme Rodrigues) et
saxophone soprano et sopranino (Harri Sjöström)
basé à Berlin. Guilherme est attaché à la mouvance Creative Sources, label portugais
dirigé par son père Ernesto et pour lequel il a enregistré une quantité
innombrable d’albums dans la veine lower-case « minimaliste radicale.
Harri Sjöström est connu pour avoir joué régulièrement avec Cecil Taylor, Phil
Wachsmann, Paul Lovens, Gianni Mimmo.
Dans cet opus enthousiasmant, Guilherme nous fait découvrir son talent
de violoncelliste plus proche de la tessiture « normale» de l’instrument en
totale empathie avec le jeu étiré, serpentin et intense d’Harri Sjöström. Chacun d’eux mettent en valeur une pluralité
de caractères sonores expressifs, vibrants, cachés, découverts dans l’instant
de leurs instruments respectifs. Angles, accents, épures, sursauts, extrêmes, graves ou suraigus. On pourra comparer avec le duo de Gianni Mimmo et
Daniel Levin qui partage la même instrumentation (Turbulent Flow /Amirani). Ce que j’apprécie particulièrement dans
ces Treasures est l’éventail
follement exhaustif de très nombreuses variations dans le choix des timbres et
les imbrications, tuilages, juxtapositions, contrastes, enchaînements, tournoiements, qui les associent et nous donnent le tournis.
Une forme de virtuosité véloce est contournée au profit d’une expressivité
intense, d’échanges fructueux au niveau des palettes, des couleurs, des reflets
rougeoyants, ambrés, ocres, fauves …. Je ne peux m'empêcher de réécouter cette merveilleuse suite d’histoires aux multiples rebondissements. C’est
assurément un enregistrement unique de deux individus ouverts l’un à l’autre et qui dépasse
leur valeur intrinsèque propre, grâce à leur intense écoute mutuelle et la
compréhension profonde de leurs registres intimes particuliers à partager expressément dans leur rencontre. Une musique
pleine de plaisirs et de générosités. Un très grand disque.
Double On The Brim Karoline
Leblanc Yedo Gibson Luis Vicente Miguel Mira Paulo Ferreira Lopes
atrito-afeito 011
Quintet
archétypique du free jazz où brillent spécialement le trompettiste Luis Vicente
et la pianiste Karoline Leblanc. L’ensemble est cohérent et les musiciens plus
que compétents. Six compositions tremplins pour l’improvisation collective. Au
lieu d’une contrebasse comme de coutume avec cette combinaison instrumentale,
on trouve, un peu trop en retrait, le très prometteur Miguel Mira au
violoncelle. À la batterie, l’énergétique Paulo Ferreira Lopes et aux
saxophones ténor, alto et soprano, le dynamique souffleur Yedo Gibson qui
chauffe à blanc l’air ambiant. Je me réjouis de la volonté
d’improviser collectivement et alternativement, même si le registre du quintette se cantonne à un exercice exacerbé sur la tension, l’énergie, la prolixité, un
jeu staccato du saxophoniste, le déferlement au clavier avec quelques points de
relâchement qui ouvre l’atmosphère vers des choses tout aussi intéressantes (le
final de Double on the Brim en 5). Cela dit le saxophoniste fort en verve a de
belles idées de jeu quand le groupe se réoriente. Le trompettiste lui-même
souvent lyrique peut très bien frictionner la colonne d’air ou trouver des
contrepoints bienvenus lorsque son collègue Gibson s’envole. La pianiste a le
chic de faire des incursions atonales en clusters avec une belle logique, un
sens des voicings free et un enchaînement subtil de motifs polyrythmiques dont
l’intensité, la vitesse varient naturellement. Un beau mélange d’intuition et
de science. Lorsque Karine s’échappe dans l’azur sans que les souffleurs
n’interviennent, le batteur maintient les pulsations en éclaircissant la charge
des roulements, créant un excellent équilibre
aérien entre leurs deux pôles percussifs. Et lorsque Yedo Gibson les
rejoint un instant, il relance le débat avec ingéniosité. À noter la
fragmentation forcenée du souffle sur l’embouchure de la trompette de Vicente,
entre autres trouvailles sonores. Évidemment, la déferlante obère trop souvent
l’écoute du violoncelliste au sein de l’orchestre. Malgré tout, ce quintet
devrait faire les beaux soirs des festivals par la conviction et leur
engagement sans faille.
Benjamin Duboc – Sylvain Kassap Le Funambule Dark Tree DT12
Label
français, Dark Tree se spécialise dans des albums inédits de John Carter,
Bobby Bradford ou Horace Tapscott et des
nouvelles productions de l’actualité de la scène française. Deux albums des
trios Sens Radiants (Daunik Lazro, B.Duboc
et Didier Lasserre) et En Corps (Eve Risser, Duboc et Edward Perraud), Julien
Desprez avec Mette Rasmussen ou Tournesol, ... . Ce duo de Sylvain Kassap avec l’omniprésent Benjamin Duboc (cfr catalogue Dark Tree) révèle toute la musicalité
de ce clarinettiste qui incarne autant le sens de la forme que de belles qualités
d’improvisateur sensible et qui se sert de sa profonde connaissance musicale
pour nourrir ses improvisations. Suivi à la trace par le jeu discret et aérien
de son partenaire, il décante l’esprit et les traces du blues en ouverture
(vers le bleu 16 :34). Benjamin Duboc cultive le sens du rythme même quand
celui-ci est à peine marqué. Une fois l’ambiance installée lors de cet
agréable concert au Comptoir de Fontenay
sous Bois, les échanges improvisés se précisent et l’imagination est sollicitée
pour trouver des figures, des sons, des réactions instantanées que le morceau
soit court (c’est narcisse qui danse 03 :32), ou beaucoup plus long (le
ventre de socrate 19 :50). La clarinette basse grasseye, puis pépie et se
lance franchement dans le registre aigu ou déboule en entraînant les graves en
tranchant l’air avec les notes hautes qui mordent ou roucoulent, alors que le
contrebassiste flotte dans le registre sombre, clair obscur faisant gronder
doucement le bois de l’âme. Une musique à la fois franche et délicate. Benjamin
Duboc prend son temps avant de suggérer une
idée aussitôt régurgitée dans le grésillement de l’anche. L’archet frôle la
corde et c’est sa vibration qui se révèle à nous comme un gros insecte qui
s’élève dans le soir tombant. Favorisant une construction lente, les duettistes
vident le sac de l’instant, aspirent lentement le suc de la fleur avant
d’asticoter le bec à coups de langue et de faire rebondir l’archet. Une
histoire se raconte et on écoute les détails de la péripétie en se convaincant
que le plus intense, le dénouement tragique est à venir au terme des dix neuf
minutes qui égrènent lentement les timbres, les sons, la dynamique d’un jeu alangui.
Sa marche ralentit jusqu’ au moment où pointe une mélodie fugace et les
morsures du temps pour concentrer notre imagination d’auditeur dans un au-delà
impalpable, inconnu. La musique de l’instant qui fuit. C’est beau. Le reste a
le mérite d’ajouter du mystère. Une émotion sincère dans un registre polymodal /
folklore imaginaire de bon aloi. Faites en cadeau à ceux que
« notre » musique déroute, la musique de Kassap et Duboc est une
belle porte d’entrée.
Tonus Ear
Duration new wave of
jazz nwoj 0020
Une fois
n’est pas de trop. Une belle tentative de jeu collectif à cinq improvisateurs
basée sur l’écoute mutuelle avec un sens de l’espacement des interventions
individuelles / sons épars dosés en se focalisant sur le timing, soit le moment
exact le plus propice à créer du sens. Jeu autour du silence comme dans Set 3. Graham Dunning, caisse claire, objects
/ Dirk Serries, accordéon et guitare acoustique / Benedict Taylor, violon alto /
Martina Verhoeven, piano / Colin Webster, flute et sax alto. Ça
grince, gratte, crisse, tremble, percute, frotte, rebondit... Chacun trouve un
bref événement sonore, différencié, dans l’interstice du flux où il prend la
balle au vol. Une manière de succession de cadavres exquis abstraits dont la
dynamique se répercute par des respirations brèves et des altérations subtiles
dans le son d’ensemble. La musique improvisée peut se révéler à nous de façons
très variées, contradictoires, parfois aux antipodes l’une de l’autre. Ici on
cultive la mise en évidence d’un processus ludique aléatoire et circulaire
plutôt qu’une mise en forme intentionnelle. Aucun solo donc mais des éclats,
scories, fragments, éclairs qui cristallisent la concentration d’un instant
fugace et la discipline collective. Je salue sincèrement les artistes et le
label nwoj pour nous soumettre ainsi un document qui s’il n’a aucune prétention
à être considéré comme une œuvre, éclaire singulièrement une constante dans la
pratique de l’improvisation libre.