Dance Hall Stories Gratkowski Nabatov Mahnig Leo Records
Présent sur quatre morceaux, le percussionniste Dominik Mahning laisse une bonne partie de la durée de ces Dance Hall Stories au duo Frank Gratkowski et Simon Nabatov, une paire créative de premier ordre. J’aime outrageusement certains pianistes plus que d’autres et parmi mes préférés on compte Paul Bley, Cecil Taylor, Randy Weston ou Herbie Nichols du côté américain ou Fred Van Hove, Veryan Weston, Jacques Demierre, Nicola Guazzaloca, Alex von Schlippenbach, par exemple. Cela dit, un musicien de l’envergure et avec les moyens de Simon Nabatov ne laissera personne indifférent et c’est avec un grand plaisir et beaucoup d’intérêt que je me suis plongé dans ces histoires de Dance Hall. Il y a entre ces deux improvisateurs une connivence, un esprit d’équipe et une droiture musicienne vraiment peu commune. Il y a une dimension musicale profonde; des moments passionnants ; une énergie communicative. Le contraste entre le son à la fois charnu, étincelant du sax alto de Gratkowski et l’abattage résolu jamais pris en défaut des doigtés vertiginieux du pianiste n’est qu’un effet premier. Une fois la surprise passée, on suit l’émotion et les interactions à la trace, le plaisir croissant. Un bel album.
The Unit of Crystal Phil Durrant & Pascal Marzan Roam Download.
The crystal is characterized by both a definite external form and a definite internal structure. The internal structure is based on the unit of crystal which is the smallest grouping of the atoms that has the order and composition of the substance. The extension of the unit into space forms the whole crystal. But in spite of the relatively limited variety of internal structures, the external forms of crystals are limitless. (Varèse 1959) Rhythm, Form and Content
Edgard Varèse [1959]
Edgard Varèse [1959]
Une première de grande envergure. Ce duo de cordes acoustique défie l’entendement et les habitudes. Leur instrumentation laisse rêveur. Phil Durrant joue alternativement (c’est le cas de l’écrire) de la mandoline et de l’octave mandola, qui elle-même est une mandoline une octave plus basse. La mandoline est ce petit luth à quatre rangées de double cordes accordées en quarte d’origine napolitaine. Pascal Marzan est muni d’une guitare espagnole à dix cordes, telle que se l’était fait faire Narciso Yepes. Pour faire simple, il a accordé son instrument en sixième de ton, soit pas moins de trente-cinq intervalles à l’octave en utilisant des cordes de guitare de Ré et de Sol tant l’intervalle entre chaque corde est menu (1/3 de ton). De la sorte, il lui est impossible de jouer des accords, mais il a toute la liberté de créer les clusters de notes les plus invraisemblables et sa redoutable main droite harpille sa guitare de martien comme si c’était une harpe folle ou une épinette hallucinée. Son système d'accordage fédère la tonalité tempérée des sept tons, deux échelles en tiers de ton et une en sixième de ton. Par sa proximité avec le guitariste John Russell durant une quinzaine d’années (Trio Butcher Durrant Russell), Phil Durrant est entièrement du côté le plus étrange du manche et avec Pascal Marzan qui le complète à merveille, vous avez droit à la plus belle invention sonore sortie du droit fil des guitaristes allumés tels Derek Bailey, John Russell, Roger Smith, ou encore Eugene Chadbourne avec Duck Baker. D’ailleurs, Marzan fait déjà partie de la panoplie de ces guitaristes et de leurs enregistrements s’étant commis avec Smith et Russell en compact chez Emanem, et en duo, s’il vous plaît. Le contraste et la complémentarité entre les deux cordistes évoquent toutes les paires d’oiseaux les plus braves de la nature, à commencer par le pivert dont le bec rebondit sur la branche (Durrant) et le canard ou l’oie qui roucoule, jacasse, caquète, s’enroule et se déroule au fil de l’eau (Marzan) dans des variations et des nuances éternellement renouvelées. Jamais, je n’ai entendu des gratteux évoluer de la sorte en évoquant une volière aussi sauvage, saugrenue, improbable. Ces deux là ont non seulement inventé la poudre, mais aussi enregistré l’album de guitares le plus digne de figurer simultanément aux catalogues d’Incus et d’Emanem, vinyle et compact réunis. Si vous cauchemardez en essayant d’acquérir l’interminable intégrale de Derek Bailey, soulagez-vous de vos nuits sans sommeil pour vous plonger dans ce duo de cordes imprévisible. Alors que les cénacles bien-pensant minimalistes pariaient sur la fin inéluctable de «l’improvisation British», voici un produit qui vous convaincra du contraire. Rarement on entend une collaboration et une dynamique créative qui surpassent aussi allègrement la somme de ses parties aussi complexes soient-elles. Non content de jouer de la très bonne musique, ils ont aussi une histoire à raconter aussi expressive que les Aïda et autres Domestic Pieces de DB ou le Spanish Guitar de Smith.
The Paul Dunmall Nonet Interpretations of Beauty. FMRCD562-1119
À souligner expressément, les ramifications multiples de ce Nonet grandiose rassemblé par Paul Dunmall. Deux souffleurs qui s’intègrent dans l’ensemble plutôt que de s’imposer : le flûtiste Neil Metcalfe et le multi-instrumentiste Paul Dunmall (soprano et alto saxophone, clarinette, flûte alto et pennywhistle). Un percussionniste, Trevor Taylor, le patron de FMR, au marimba, vibraphone et percussions. Six cordistes parmi les plus distingués de la scène anglaise : Philip Gibbs, guitare, Hannah Marshall, violoncelle, Sarah Farmer et Alison Blunt, violons, Theo May, alto et violon, John Edwards, contrebasse. La musique navigue plus du côté de Penderecki et de la musique de chambre contemporaine que du « free-jazz ». Six pièces improvisées de différentes durées, la plus longue atteignant les 21 minutes (Interpretations of Beauty). Les auditeurs habitués à la musique de Paul Dunmall en trio ou quartet, tumultueuse et très énergique, seront sûrement étonnés par ce nonet - grand orchestre pas comme les autres qui évolue dans un registre musique de chambre contemporain particulièrement réussi. Le timbre des cordes à l’archet s’agrègent avec de belles dissonances et une intéressante variété de frottements, frappes discrètes, pincements ponctuels de la guitare, interventions diverses à la flûte ou aux percussions qui alternent, se succèdent se répondent avec des dynamiques et des intensités diversifiées, crescendo et decrescendo… À l’écoute, on ne peut pas dire si les musiciens suivent une partition ou si la musique est complètement spontanée, et si c’est le cas d’une improvisation intégrale, la qualité d’écoute mutuelle et de co-construction collective de leur musique est vraiment remarquable. On entend venir et se développer motifs, contretemps, signaux, tutti emportés, drones fugaces, conflagrations, mosaïques, arias bleutées, contrepoints suspendus, arabesques atonales, ostinatos bigarrés. Bref, vous en avez pour votre argent. Je peux vous faire écouter d’autres assemblages similaires nettement moins réussis. When all methods count : ce titre signifie pourquoi pas un air « folk » au pennywhistle de Dunmall, improvisateur plus à l’aise dans le rôle de responsable de l’équipe que dans celui du leader. Ce court morceau où il joue de ce flûtiau est tout à fait réussi du point de vue du son d’ensemble. Cette musique de chambre improvisée a une réelle force expressive à travers toutes les nuances de jeu et de couleurs sonores, textures et intensités auxquelles ces excellents musiciens ont recours pour nous convaincre. À force de voir défiler les nombreux enregistrements de Paul Dunmall pour FMR, on pourrait se dire « Encore !? », un peu embarassé. Mais détrompez-vous : ces six Interpretations of Beauty valent vraiment la peine d’avoir été publiée et d’être écoutée attentivement. De la musique de haut niveau qui échappe aux repères et aux poncifs de la free-music.
A Peripheral Time Mathieu Bec – Michel Doneda FMR
Duo percussions et saxophone soprano vachement improvisé. Si Michel Doneda mérite de défrayer la chronique autant que tous les Evan Parker, Butcher, Gustafsson et Brötzmann du monde pour ses phénoménales qualités de souffleur de l’impossible, il est temps de découvrir le percussionniste Mathieu Bec, originaire lui aussi de ce Midi – Ouest entre Béziers et Montpellier. Région où on a le sang chaud, mais aussi cette énergie communicative. Les prises de bec « de saxophone » de Doneda sont légendaires et son acolyte a trouvé le style, les frappes idoines sur son unique caisse claire qui coïncident à merveille avec les déflagrations de la colonne d’air du souffleur. Le titre de l’album Peripheral Time fait songer à un des nombreux vocables qui avait la faveur de cet improvisateur incontournable qu’était John Stevens, même si ce n’est pas voulu (cfr version CD de Spontaneous Music Ensemble : A New Distance track 8 : Peripheral Vision – Emanem 4115) . Face to Face, le fabuleux duo enregistré par Stevens et Trevor Watts en 1973, trouve un de ses meilleurs prolongements dans l’opus de nos deux méridionaux. Enregistré dans une chapelle, baignant dans l’acoustique réverbérante, A Peripheral Time se développe comme une recherche éperdue et poétique de sons dans les matières timbrales et physiques de la colonne d’air du saxophone soprano mise en vibration par le souffle, les positions des clés et de toutes les pressions possibles sur l’anche et le bec avec une précision infinitésimale (lèvres, dents, langue et l’air expiré ou inspiré et des frappes, chocs, frottements sur la peau et les bords de la caisse claire… Nos duettistes se suivent, s’écartent, se répondent dans des faisceaux d’énergies, de pleins et de vides, de résonnances et d’ombres clair-obscur, fauve, gris ferraille, sur la pierre du sol, contre la surface des voûtes et autour des piliers. Doneda cherche le lieu propice s’éloignant du micro mais se rapprochant de l’instant de vérité. Il faut suivre Michel Doneda à la trace depuis des décennies et ne pas perdre un enthousiaste convaincu comme Mathieu Bec de vue. Un duo essentiel de l’improvisation.