Historic Music Past Tense Future Peter Brötzmann Milford Graves William Parker Black Editions Archives BEA 001
https://milfordgraves-blackeditionsarchive.bandcamp.com/
MILFORD AGAIN !! Peter Brötzmann et Milford Graves se sont rencontrés musicalement en mai 1980 au Bloomdido à Bruxelles à l’invitation d’André Dael. Leur concert en duo a été enregistré par Michel Huon (l’ingé-son du légendaire Was It Me ? du duo Paul Lovens & Paul Lytton) et sa publication avait été envisagée il y a une quinzaine d’années. Malheureusement, un problème technique n’avait pu être surmonté et le projet fut abandonné. Ce nouveau double album vinyle publié aux États-Unis contient le concert du 29 mars 2002 à la CB’S Gallery à New York et se révèle être un brûlot follement inspiré et inextinguible avec l’incontournable contrebassiste William Parker. Crédité drums, vocal and dancing, Milford Graves donne de lui-même ce qu’il a de plus essentiel, un flux cataclysmique de frappes et roulements en constante mutation : vitesses, cadences, rebondissements accélérés et ralentis, organiques et sauvages, explosifs ou nuancés, africanistes et ensorcelés, arcanes vivantes de pulsations en liberté non surveillée. Une démarche unique dont les principes gestuels et rythmiques sont partagés par l’inénarrable Han Bennink avec qui Peter Brötzmann a vécu de nombreuses aventures. Et si jamais vous désirez retrouver la quintessence de l’art de Graves et Brötzmann, cette Historic Music est une pièce à conviction jubilatoire où le souffle de Peter B. s’abandonne dans un nirvana existentiel avec une puissance décuplée et surtout avec la plus profonde expression de son âme d’un seul tenant. Son jeu titanesque et explosif fait vibrer l’anche et la colonne d’air au-delà de la puissance humaine avec un engouement dont le timbre et les accents se rapprochent soudainement de l’émission sonore d’Albert Ayler. Et donc si Graves se montre ici sous un jour Jupitérien, déchaîné par les forces telluriques attisées par les ouragans et la foudre, il faut souligner l’engagement extraordinaire de William Parker qui nourrit le feu intérieur de ses deux acolytes. Comment parvient-il à immiscer la sève organique de ses cordages vibratiles entre le marteau et l’enclume de ces deux forces de la nature est l’expression d’un prodige. Revenons sur terre : cet album mirifique aurait gagné à être publié en CD en Europe afin d’éviter les taxes douanières prohibitives et assurer un meilleur rendu sonore que celui des sillons vinyliques limitatifs. En effet, la dimension sonore et architecturale du jeu de Milford Graves est sensiblement gommée par le médium LP lequel compresse certaines fréquences essentielles. Après être parvenu à l’acquérir via Peter Schlegel / Open Door à un prix acceptable, je ne vais pas tarder à acheter la version digitale (écoutez le streaming de la face C : https://milfordgraves-blackeditionsarchive.bandcamp.com/track/side-c ) afin d’en explorer les moindres recoins percussifs. Mais que les fanatiques de Milford Graves et Brötzmanniaques réunis se rassurent, l’enregistrement de ce trio angélico-diabolique est absolument incontournable. À titre de comparaison, le superbe Real Deal enregistré en duo par Milford et David Murray en 1991 (label DIW) est une affaire de studio très convaincante et fabuleuse, mais la pratique de cette musique incendiaire, profondément intime et inspirée, demande à être saisie au-devant d’auditeurs aussi inspirés que ceux qui assistèrent à cette réunion mémorable. Conclusion : ne laissez pas échapper cet opus surtout qu'il y a peu d'enregistrements de Milford Graves pour ses cinquante-cinq années de vie musicale !!
Spring Board Ian Carr Jeff Clyne Trevor Watts John Stevens Polydor International - Polydor Special. Réédition fac simile du vynile original (1966)
Le trompettiste Ian Carr et le contrebassiste Jeff Clyne se sont fait connaître et apprécier au sein du légendaire Don Rendell - Ian Carr Quintet durant les années soixante avant de briller au sein de Nucleus un des meilleurs groupes de « jazz-rock » dès 1970, avec une originalité musicale incontestable au niveau des meilleures formations américaines. Jeff Clyne a participé à plusieurs enregistrements et concerts avec les groupes de John Stevens et Trevor Watts, comme par exemple Prayer for Peace d’Amalgam (1969), Chemistry du John Stevens Quintet avec Kenny Wheeler, Trevor Watts et Ray Warleigh (1975) ou encore Splinters que j’ai chroniqué il y a peu. Enregistré sous le nom d’ Ian Carr et Jeff Clyne en 1966, Spring Board est autant un projet du tandem John Stevens et Trevor Watts car sa musique coïncide esthétiquement avec la démarche du Spontaneous Music Ensemble, le collectif de Stevens, Watts, Paul Rutherford etc… tel qu’on peut l’entendre dans Challenge, l’album du SME, publié la même année. Tout récemment, j’ai chroniqué le double CD The Spontaneous Music Ensemble – Questions and Answers 1966 et cet enregistrement est tout aussi emblématique de leur nouveau jazz « free » qui cherche à sortir des sentiers battus en suivant l’inspiration d’Ornette Coleman et d’Eric Dolphy. En outre, il faut noter que le dessin coloré de la pochette fut réalisé par Richie, le fils de John Stevens, lui-même artiste graphique accompli. À cette époque, ces musiciens figuraient comme des rares pionniers d'une nouvelle musique. Rien d’étonnant d’entendre Ian Carr participer à cette expérience qui lui semble tout à fait naturelle : en effet, John Stevens a eu le talent extraordinaire de convaincre de nombreux musiciens de jazz expérimentés aux aventures improvisées au sein du Spontaneous Music Ensemble. Un autre bon exemple est celui du trompettiste Kenny Wheeler ou du pianiste Stan Tracey. Dans son versant jazz moderne et « jazz-rock » Ian Carr assume avec grand talent l’influence de Miles Davis. Mais dans ce magnifique Spring Board, il adopte complètement la démarche free et improvisée en puisant à la fois dans sa technique et son imagination des ressources sonores inconnues dans le style post-bop ou modal. Travail du son, colorations, expressivité élargie au service d’une mélodie qui s’échappe, compositions décalées et ouvertes à l’improvisation individuelle coordonnées par des échanges dialogués où chacun « joue » comme soliste et où les idées passent de main en main, le tout suivi, commenté, accéléré ou ralenti par le drumming libre et élastique de John Stevens . L’orchestre évolue avec une grande liberté tant au niveau des parties des souffleurs que celles de la contrebasse (pizz, archet). C’est d’ailleurs Jeff Clyne qui énonce seul le thème du 3/ à la contrebasse suivi par les contre chants et allusions des souffleurs en alternance. On songe à l’esprit de Charlie Haden dans the Face of the Bass avec Ornette. Jeff, Trevor et Ian improvisent collectivement autour des notes de la gamme et des motifs mélodiques étirés et transformés. Les interventions de Stevens sont minimales. On peut trouver des albums plus puissants de ces musiciens dans ce registre. Mais pour une des premières sessions dans cette orientation musicale toute nouvelle en Europe vers 1966, c’est une belle réussite.
Nephlokokkygia 1992 Hans Koch et Paul Lovens Ezz-Thetics 1033
https://ezz-thetics.bandcamp.com/album/nephlokokkygia
Deuxième album de Paul Lovens pour Ezz-Thetics (ex Hart-Art / Hatology), le premier étant une superbe collaboration avec le guitariste Florian Stöffner (Tetratne Ezz-Thetics 1023) absolument incontournable, surtout qu’on trouve peu de duos affolants de Lovens à la fois disponibles et aussi convaincants. Et c’est bien ce que je répéterai pour ce Nephlokokkygia 1992 providentiel. Héritier prodigieux de la grandiose veine percussive et rythmique de Milford Graves et Han Bennink, Paul Lovens a creusé sa galerie de forçat du son et des sens cachés de la gestuelle batteristique dans une manière aussi explosive qu’introvertie – intimiste dans le but unique de créer un véritable dialogue avec ses camarades duettistes d’un jour (ici Hans Koch) ou de toujours (Günter Christmann, Paul Rutherford, Evan Parker, Paul Lytton, Alex von Schlippenbach, Paul Hubweber, etc..) en étendant presqu’à l’infini sa palette acoustique et expressive. Son secret tient dans la dynamique miraculeuse de son jeu. Sa méthode personnelle consiste à allier la complexité avec la simplicité, ses frappes (inspirées autant par la percussion contemporaine, l’art des tablas indiens, le souffle swinguant de Kenny Clarke et les vibrations rythmiques de Sunny Murray) sont d’une concision inouïe. Contrastés et surprenantes, ses volées percussives favorisent l’art du crescendo, de la déconstruction et un chassé-croisé d’accélérations éruptives et d’arrêts sur images actionnant cymbales chinoises, râcloirs, crotales, et une scie musicale entortillée sur la caisse claire amortie d’un sempiternel chiffon. Comme me l’a dit un jour Lê Quan Ninh très honnêtement : il est un grand maître de la percussion et maints fantastiques improvisateurs de la percussion libérée souffrent encore de la comparaison, …si c’est possible de comparer. Et ce que j’apprécie franchement chez Paul Lovens, c’est son absence de « … isme » dans le face à face avec quiconque joue avec lui, quelque soit son « langage » ou sa « grammaire ». Il n’a même pas à adapter son jeu à celui d’Hans Koch, souffleur free qui aime à introduire dans son jeu déjanté et mordant une subtile dimension mélodique un brin tortueuse. Au fil des quatre concerts (Sofia, Warna, Russe, Plovdiv) dont un extrait est chaque fois reproduit dans cet album (indispensable) avec une qualité sonore lisible, physique et réaliste, on peut suivre à la trace la merveilleuse évolution de leur entente mutuelle. Celle-ci s’ouvre à de nouvelles coïncidences au départ de digressions intuitives, lesquelles sont le fruit d’une expérience extrême de l’improvisation (libre) sans faux détours. On découvre la quintessence de l’articulation de ce singulier clarinettiste – saxophoniste helvétique autrefois valeur sûre des labels ECM, Intakt et Hat Art et qui cultive autant un déchiquetage du chant de la colonne d’air en cisaillant la vibration de l’anche que des flashbacks de fragments de mélodies et d’airs disparus ou des growls rauques et désincarnés. Une excellente paire de joyeux drilles aussi volatiles que concentrés à outrance.
Benjamin Duboc Volumes II Fiction musicale et chorégraphique. Création pour grand orchestre et corps actants Ensemble Icosikaihenagone. Dark Tree DT 15
https://www.darktree-records.com/ensemble-icosikaihenagone-volumes-ii-fiction-musicale-et-choregraphique-dt15
Et quel grand orchestre que cet étrange Ensemble Icosikaihenagone conçu par le bassiste et compositeur Benjamin Duboc ! Réunir de jeunes musiciens quasi inconnus (Émilie Aridon-Kociolek, piano voix, Sébastien Beliah, contrebasse, Alexis Persigan, trombone), des improvisateurs expérimentés de tous bords esthétiques (Jean-Luc Capozzo, Franz Hautzinger, Sylvain Kasssap, Guylaine Cosseron, Gaël Mevel, Jean-Sébastien Mariage) dont certains ne travaillent jamais ensemble, le batteur très classieux Thierry Waziniak, la tromboniste Christiane Bopp apparue comme un miracle sur Fou Records, un souffleur de poids révélé sur le tard comme Jean-Luc Petit ou la violiniste Patricia Bosshard, l’altiste Cyprien Busolini et la chanteuse Claire Bergerault, etc... pour un projet scénique et musical / sonore collectif avec les « corps actants » de Valérie Blanchon, Valérie Fontaine et Giuseppe Molino, textes et interviews des musiciens me semble aller à contre-courant des habitudes et des projets téléphonés. L’accent de ces Volumes II est posé essentiellement sur une idée de création proposée et composée par Benjamin Duboc dans une évidente dimension collective. Masses sonores contractées ou en expansion, textures rares, séquences jazz contemporain éclaté, narratifs pluriels et imaginaires. L’enregistrement retrace une performance publique d’une œuvre qui transcende la pratique artistique de recherche en mettant en exergue exclusive le contenu social de la musique et le partage de l’espace sonore et du temps entre chacun. Ne cherchez pas à savoir qui joue quoi, d’essayer de « reconnaître » les « solistes », les individualités impliquées ou même les différents instruments, cette musique est une pâte sonore collective, plastique, bruissante et qui se définit par le déroulement et l’intrication de ses composantes. Intéressante par instants, fascinante par moments, remise en question du processus de création musicale sans prétention ni agenda. Une réussite originale qui a l’heur de réunir et faire travailler ensemble des musiciens militants, au-delà des cercles relationnels qui fragmentent la scène des improvisateurs, pour créer, on l’espère, une dynamique féconde. Félicitations à tous et aussi à Bertrand Gastaut pour inclure un tel OVNI dans le catalogue de son label Dark Tree.
Consacré aux musiques improvisées (libre, radicale,totale, free-jazz), aux productions d'enregistrements indépendants, aux idées et idéaux qui s'inscrivent dans la pratique vivante de ces musiques à l'écart des idéologies. Nouveautés et parutions datées pour souligner qu'il s'agit pour beaucoup du travail d'une vie. Orynx est le 1er album de voix solo de J-M Van Schouwburg. https://orynx.bandcamp.com
21 mai 2022
11 mai 2022
Simon Rose Ernesto Rodrigues Guilherme Rodrigues Meinrad Kneer/ Stefan Östersjö & Katt Hernandez/ Albert Cirera & Witold Oleszak/ Ligia Liberatori Ernesto Rodrigues Guilherme Rodrigues Davide Piersanti / Marco Colonna & Enzo Rocco
Birds and Humans Simon Rose Ernesto Rodrigues Guilherme Rodrigues Meinrad Kneer Creative Sources CS 726 CD
https://guilhermerodrigues.bandcamp.com/album/birds-humans
Merveilleuse idée d’associer le saxophone baryton de Simon Rose avec le trio de cordes d’Ernesto Rodrigues Guilherme Rodrigues et Meinrad Kneer (violon alto, violoncelle et contrebasse) ! Les Rodrigues père et fils n’ont de cesse d’enregistrer de nombreux projets avec des instruments à cordes frottées de la famille du violon avec un grand nombre de musiciens peu connus, mais superlatifs, que leurs productions sur Creative Sources contribuent à mettre en valeur. Très souvent, il s’agit de belles réussites musicales pleines de sensibilité, d’empathie sonore et d’inventions instantanées. Avec Meinrad Kneer, ils ont trouvé un excellent collaborateur, d’ailleurs, il faut mentionner absolumentSequoia, ce fascinant quartet de contrebasses improvisés dont Meinrad fait partie et leur CD Rotations (Evil Rabbit ERR 21). Le son granuleux du sax baryton de Simon Rose s’intègre magnifiquement au sein des sonorités subtiles issues des pratiques contemporaines alternatives des cordes : harmoniques, friselis surréels, clusters, boucles virevoltantes, col legno aléatoires, graves majestueux, pianissimi murmurants. Il a de qui tenir : il faut écouter Bows and Arrows, un trio de saxophones avec Philippe Lemoine et Michel Doneda, pour saisir son degré d’implication dans un collectif. Simon Rose exploite la dynamique du souffle libéré dans des boucles vocalisées dont les accents se chevauchent et celles-ci trouvent un écho dans le mouvement giratoire ou saccadé de l’alto et du violoncelle. Sept remarquables improvisations où l’écoute mutuelle et la complémentarité s’expriment intensément. Le quartet évolue au départ d’un équilibre tempéré dans les interventions et les réactions dès les deux premiers morceaux (numérotés de I à VII et sans titres) vers des zones de turbulence, de tiraillements, où les excès expressifs surgissent subrepticement pour s’évanouir dans un no man’s land de glissandi et de résonances fantômes boisées et des tournoiements d’archets – ostinatos générant une polyphonie statique et débouchant sur une convergence harmonique libératoire de couleurs mystérieuses. La succession de ces tableaux sonores improvisés révèle le dessein formel d’une œuvre cohérente qui s’incarne sous nos yeux avec la plus belle évidence et de manière définitive. Chaque seconde de leur musique fait partie intégrante d’une forme sans qu’il faille en « éditer » le moindre des moments de son exécution. Un travail orchestral collectif fascinant qui transite de la bourrasque jusqu’au bord du silence.
Stefan Östersjö & Katt Hernandez Aeolian Duo at Edsviken Setola di Maiale SDM 4330
https://www.setoladimaiale.net/catalogue/view/SM4330
https://ltu.diva-portal.org/smash/get/diva2:1615696/FULLTEXT01.jpg
La marque italienne Setola Di Maiale s’est mué en label « S.O.S. » qui accueille des projets originaux de toute provenance, même celles extérieures au milieu transalpin de la scène marginale des musiques expérimentales et improvisées dont SDM est devenu la plateforme la plus importante, quantitativement et aussi qualitativement. Je n’avais jamais entendu parler ou lu quelque chose à propos de cet Aeolian Duo, ni du guitariste Stefan Östersjö ou de la violoniste Katt Hernandez. Leur musique s’est installée au bord de la mer, dans le sillage du vent et les mouvements de la marée, avec en fond sonore, cris d’oiseaux, appels de navires et de canards, murmures de l’air poussé par la brise, l’autoroute proche, etc... Le lieu est Edsviken, situé au nord de Stockholm au milieu de falaises et de rivages rocheux, non loin des villas et appartements… La guitare éolienne de Stefan Östersjö a des cordes qui s’étendent du chevalet aux branches des arbres sur le site. Ces cordes étendues permettent au musicien de révéler les harmoniques jouées par le souffle du vent, et aussi, de contrôler la hauteur des sons et le nombre des cordes jouées. Concurremment, Katt Hernandez joue un violon avec une scordatura grave, la scordatura étant une manière alternative d’accorder le violon dans une gamme qui engendre des intervalles de notes qui eux-mêmes en transforment la résonance physique de l’instrument. Avec une belle coïncidence empathique, les deux artistes créent un remarquable environnement sonore immergé dans une activité de plein-air ouverte sur l’espace, le paysage maritime et son univers sonore dans lequel leurs actions musicales s’inscrivent spontanément, naturellement. La musique est à proprement parler aérienne, surréelle et s’inscrit dans une pratique écologique non certifiée… mais évidente. J’apprécie beaucoup la sensibilité microtonale de la violoniste, rivée mentalement par les vibrations éoliennes de la guitare de son partenaire, et son jeu d’archet subtil, léger, aérien … La musique de cet Aeolian Duo est excellement rendue par la qualité sonore de l’enregistrement de terrain, réalisé avec une belle maîtrise, si on considère le travail technique difficile que cela représente. Leur univers sonore et musical unique s’insinue pour l’auditeur qui parviendra sans effort à se transporter dans cet environnement côtier.
Albert Cirera & Witold Oleszak Terra Plana Spontaneous Music Tribune Series Multikulti Project MPSMT 009
https://multikultiproject.bandcamp.com/album/terra-plana
Enregistré en 2017 et publié l’année suivante, cet album a attiré mon attention grâce à la présence conjointe du saxophoniste ténor et soprano Albert Cirera et du pianiste Witold Oleszak dans un travail ardu de recherches sonores avec les ressources mécaniques, physiques et timbrales de leurs instruments. Witold Oleszak s’est distingué avec le percussionniste Roger Turner . Je m’en réfère à leurs deux CD’s Fragments of Parts et Over The Title (label Free Form Association) ainsi que dans un document plus récent intitulé Spontaneous Live Series 003 Live at the Spontaneous Music Festival 2018. Un autre superbe album en duo avec la très remarquable saxophoniste Paulina Owczarek, Mono No Aware (Free Form Association cfr récente chronique) confirme son goût pour le parasitage du piano, du bruitisme dans les cordes à l’aide d’objets utilisés comme sourdines avec grattages, frottements et occurrences résonnantes dans un dialogue avec une ou un collègue inspiré à contorsionner et subvertir le souffle du saxophone. Comme dans cet opus d’apparence erratique qui se révèle de plus en plus convaincant au fil de 9 morceaux (Terra de Cristall, Terra de llops, Terra freda, La futura antiga terra, etc… ) et d’écoutes répétées. Musique au ralenti faites de scories, d’étranges vibrations de la colonne d’air, de méta-souffle d’harmoniques, sifflements contrôlés, murmures du bocal, grasseyements vocalisés dans le pavillon, effets d’air propulsé en douceur sur l’anche, réalisés avec la retenue de celui qui s’écoute intensément en adéquation avec les frictions et grondements de la caisse de résonance du piano. Alberto Cirera, saxophoniste Argentin découvert avec Agusti Fernandez, Carlos Zingaro, Ulrich Mitzlaff, Alvaro Rosso, Nicholas Field etc…, développe un art consommé d’une expressivité transcendantale du saxophone étendu au-delà des limites de ses mécanismes et de la configuration de la colonne d’air, des orifices et des tampons. Cette prédilection s’intègre réciproquement avec l’activité fébrile de Witold Oleszak dans la carcasse du piano, sur les cordages avec des sonorités bruissantes ou surréelles et des doigtés faussement nonchalants sur le clavier, lesquels peuvent aussi bien se révéler anguleux ou elliptiques. La richesse de leur travail sonore enfle, se dilate sur l’inconnu alors que notre écoute se métamorphose graduellement, faisant corps et âme avec les deux musiciens qui en profitent alors pour s’emballer (Terra d’Ogrues). Une session d’improvisation libre sincère et véritable à écouter, méditer et à tenir dans un endroit secret pour y replonger avec délice !
Radical Flowers Ligia Liberatori Ernesto Rodrigues Guilherme Rodrigues Davide Piersanti Creative Sources CS 718 CD
https://guilhermerodrigues.bandcamp.com/album/radical-flowers
Une constante des productions Creative Sources d’Ernesto Rodrigues, patron du label et superbe (violoniste) altiste consiste en une rencontre avec des improvisateurs – trices engagés-ées parmi les moins « visibles » / « notoires » dans le but de créer et partager un univers sonore bien défini dans une grande liberté collective et beaucoup d’empathie. Très souvent, son fils Guilherme Rodrigues, un fabuleux violoncelliste, l’assiste avec une complémentarité proverbiale, souvent avec d’autres musiciens à cordes frottées, mais aussi un pianiste, un saxophoniste ou un électronicien. On ne compte plus leurs très nombreux albums et celui-ci fait partie de ceux dont l’auditeur a envie de remettre dans le lecteur, tant l’ensemble et chacun de ses membres posent des questions et trouve des réponses subtiles ou inattendues. Une forme de multi-dialogue pluridimensionnel où de nombreux sons, effets de timbre et actions instrumentales engendrent des constructions musicales vivantes et spontanées dont on peut carrément visualiser les contours, les éclairs et les ombres. La vocaliste Ligia Liberatori surgit aux tournants imprévus par petites touches ; les lubies glissantes du tromboniste Davide Piersanti se font l’écho des glissandi et des oscillations des séries harmoniques des deux cordistes Rodrigues merveilleusement complémentaires. Leur talent incontournable pour les formes, les variations mouvantes de celles-ci et la dimension orchestrale (de chambre) de leurs improvisations créent une spirale magique qui propulse leurs deux partenaires en coloristes distingués et en inspirent les menues incartades expressives dans des tourbillons accidentés . Pouvoir s’agréger de la sorte avec cette belle expressivité n’est rien moins que providentiel, ajoutant encore une floche supplémentaire à la saga des Rodrigues et consorts telle qu’elle se développe inlassablement au sein du surprenant catalogue de Creative Sources.
Nine Improvisations for sax sopranino and electric guitar Marco Colonna & Enzo Rocco Setola Di Maiale SDM 4300/New Ethic Society-digital album ...
https://marcocolonna.bandcamp.com/album/nine-improvisations-for-sopranino-and-guitar-2
https://www.setoladimaiale.net/catalogue/view/SM4300
Dans la free music internationale, la guitare (électrique) a été mise à toutes les sauces à coup d’ampli, d’effets, de pédales (en cascade), d’objets etc… en empruntant à de multiples sources – inspirations (Hendrix, blues, jazz, classique, Cage, musiques du monde, bruitisme) en défiant les lois de la lutherie, à la suite des Sharrock, Bailey, Rowe, Reichel, Russell, Kaiser, Boni etc… J’ai toujours été impressionné par le prodigieux Roger Smith, un phénomème de la « spanish guitar » à deux fois cinq doigts et aux doigtés et positions de la main affolants et impossibles. Parmi ceux qui zigzaguent avec bonheur dans les cases, frettes et gammes au départ d’une connaissance approfondie du jazz (Jim Hall, Joe Pass, René Thomas) pour gambader dans les chemins de traverse sans se départir du jeu « note » à « note », en toute lisibilité, et des structures d’accords décodées avec une bonne virtuosité figure un artisan transalpin bien sympathique : Enzo Rocco ! Enzo s’est illustré aux côtés de forces de la nature comme le sax baryton international Carlo Actis Dato ou le plus poète d’entre tous les saxophonistes de premier plan, l’improbable Lol Coxhill, (sans parler de sa collaboration avec le tromboniste tubiste Giancarlo Schiaffini, pionnier en chef de la coulisse improvisée au même titre que Rutherford et Christmann). Fort heureusement, deux merveilleux albums en immortalisent la faconde réciproque : Paëlla & Norimaki avec Actis Dato publié par Splasch et Fine Tuning : The Gradisca Concert avec Coxhill sur le label Amirani du saxophoniste soprano Gianni Mimmo. On m’a deux ou trois fois chauffé les oreilles au sujet du duo de Gianni Mimmo et Enzo Rocco couplé avec un enregistrement de notre trio Sureau dans le CD The Leuven Concert (Setola Di Maiale), me faisant comprendre que c’était pas assez « non-idiomatique », radical que sais-je encore !! En ce qui me concerne, j’apprécie le musicianship et le talent musical d’un improvisateur sincère et doué quelque soient ses intentions et son esthétique à la condition que je ne m’ennuie pas et qu’en plus je prenne du plaisir à écouter. Or leur duo avait alors développé une empathie musicale rare, un dialogue étourdissant dans les registres harmoniques et le flux ludique. Le guitariste Enzo Rocco a une capacité plus que remarquable dans l’improvisation « mélodique » free en sollicitant un registre musical étendu de la six-cordes et un sens du dialogue interactif avisé. Son plectre tire la moindre note avec la dynamique la plus appropriée et face à son agile main gauche ce plectre tourbillonne par-dessus les frettes aiguës ou à proximité du chevalet dans une véritable chorégraphie manuelle. Un goût latin pour la mélodie inspirée des musiques populaires italiennes s’y affirme pour être ensuite méthodiquement subverti et décalé pour des séquences audacieuses selon les morceaux. Sa connaissance approfondie des structures harmoniques et son aisance instrumentale ne sont que le tremplin d’un jeu subtil et libre parfois tiré au cordeau ou joyeusement elliptique à la rencontre du souffle inspiré et accentué de ses collègues saxophonistes cités plus haut. Marco Colonna, lui-même clarinettiste de haut vol et ici saxophoniste sopranino audacieux, et Enzo créent neuf magnifiques dialogues, zig-zags, zébrures cambrées et cascades de notes hors gravitation. Ludique, lumineuse et enjouée leur musique se tend autour de thèmes canevas inventés dans l’instant ou avec des intentions télépathiques. Marco Colonna s’affirme depuis plusieurs années comme un des souffleurs à suivre en Italie : avant tout clarinettiste émérite, il s’essaie ici avec bonheur et justesse à faire vriller et tressauter un sax sopranino, ce qui n’est pas donné, même pour un saxophoniste expérimenté. C’est bien le moment de découvrir son talent multiforme. Un vrai régal disponible à la fois en CD chez Setola Di Maiale, le label du fantastique Stefano Giust, l'excellent batteur et en digital via la plateforme de New Ethic Society.
https://guilhermerodrigues.bandcamp.com/album/birds-humans
Merveilleuse idée d’associer le saxophone baryton de Simon Rose avec le trio de cordes d’Ernesto Rodrigues Guilherme Rodrigues et Meinrad Kneer (violon alto, violoncelle et contrebasse) ! Les Rodrigues père et fils n’ont de cesse d’enregistrer de nombreux projets avec des instruments à cordes frottées de la famille du violon avec un grand nombre de musiciens peu connus, mais superlatifs, que leurs productions sur Creative Sources contribuent à mettre en valeur. Très souvent, il s’agit de belles réussites musicales pleines de sensibilité, d’empathie sonore et d’inventions instantanées. Avec Meinrad Kneer, ils ont trouvé un excellent collaborateur, d’ailleurs, il faut mentionner absolumentSequoia, ce fascinant quartet de contrebasses improvisés dont Meinrad fait partie et leur CD Rotations (Evil Rabbit ERR 21). Le son granuleux du sax baryton de Simon Rose s’intègre magnifiquement au sein des sonorités subtiles issues des pratiques contemporaines alternatives des cordes : harmoniques, friselis surréels, clusters, boucles virevoltantes, col legno aléatoires, graves majestueux, pianissimi murmurants. Il a de qui tenir : il faut écouter Bows and Arrows, un trio de saxophones avec Philippe Lemoine et Michel Doneda, pour saisir son degré d’implication dans un collectif. Simon Rose exploite la dynamique du souffle libéré dans des boucles vocalisées dont les accents se chevauchent et celles-ci trouvent un écho dans le mouvement giratoire ou saccadé de l’alto et du violoncelle. Sept remarquables improvisations où l’écoute mutuelle et la complémentarité s’expriment intensément. Le quartet évolue au départ d’un équilibre tempéré dans les interventions et les réactions dès les deux premiers morceaux (numérotés de I à VII et sans titres) vers des zones de turbulence, de tiraillements, où les excès expressifs surgissent subrepticement pour s’évanouir dans un no man’s land de glissandi et de résonances fantômes boisées et des tournoiements d’archets – ostinatos générant une polyphonie statique et débouchant sur une convergence harmonique libératoire de couleurs mystérieuses. La succession de ces tableaux sonores improvisés révèle le dessein formel d’une œuvre cohérente qui s’incarne sous nos yeux avec la plus belle évidence et de manière définitive. Chaque seconde de leur musique fait partie intégrante d’une forme sans qu’il faille en « éditer » le moindre des moments de son exécution. Un travail orchestral collectif fascinant qui transite de la bourrasque jusqu’au bord du silence.
Stefan Östersjö & Katt Hernandez Aeolian Duo at Edsviken Setola di Maiale SDM 4330
https://www.setoladimaiale.net/catalogue/view/SM4330
https://ltu.diva-portal.org/smash/get/diva2:1615696/FULLTEXT01.jpg
La marque italienne Setola Di Maiale s’est mué en label « S.O.S. » qui accueille des projets originaux de toute provenance, même celles extérieures au milieu transalpin de la scène marginale des musiques expérimentales et improvisées dont SDM est devenu la plateforme la plus importante, quantitativement et aussi qualitativement. Je n’avais jamais entendu parler ou lu quelque chose à propos de cet Aeolian Duo, ni du guitariste Stefan Östersjö ou de la violoniste Katt Hernandez. Leur musique s’est installée au bord de la mer, dans le sillage du vent et les mouvements de la marée, avec en fond sonore, cris d’oiseaux, appels de navires et de canards, murmures de l’air poussé par la brise, l’autoroute proche, etc... Le lieu est Edsviken, situé au nord de Stockholm au milieu de falaises et de rivages rocheux, non loin des villas et appartements… La guitare éolienne de Stefan Östersjö a des cordes qui s’étendent du chevalet aux branches des arbres sur le site. Ces cordes étendues permettent au musicien de révéler les harmoniques jouées par le souffle du vent, et aussi, de contrôler la hauteur des sons et le nombre des cordes jouées. Concurremment, Katt Hernandez joue un violon avec une scordatura grave, la scordatura étant une manière alternative d’accorder le violon dans une gamme qui engendre des intervalles de notes qui eux-mêmes en transforment la résonance physique de l’instrument. Avec une belle coïncidence empathique, les deux artistes créent un remarquable environnement sonore immergé dans une activité de plein-air ouverte sur l’espace, le paysage maritime et son univers sonore dans lequel leurs actions musicales s’inscrivent spontanément, naturellement. La musique est à proprement parler aérienne, surréelle et s’inscrit dans une pratique écologique non certifiée… mais évidente. J’apprécie beaucoup la sensibilité microtonale de la violoniste, rivée mentalement par les vibrations éoliennes de la guitare de son partenaire, et son jeu d’archet subtil, léger, aérien … La musique de cet Aeolian Duo est excellement rendue par la qualité sonore de l’enregistrement de terrain, réalisé avec une belle maîtrise, si on considère le travail technique difficile que cela représente. Leur univers sonore et musical unique s’insinue pour l’auditeur qui parviendra sans effort à se transporter dans cet environnement côtier.
Albert Cirera & Witold Oleszak Terra Plana Spontaneous Music Tribune Series Multikulti Project MPSMT 009
https://multikultiproject.bandcamp.com/album/terra-plana
Enregistré en 2017 et publié l’année suivante, cet album a attiré mon attention grâce à la présence conjointe du saxophoniste ténor et soprano Albert Cirera et du pianiste Witold Oleszak dans un travail ardu de recherches sonores avec les ressources mécaniques, physiques et timbrales de leurs instruments. Witold Oleszak s’est distingué avec le percussionniste Roger Turner . Je m’en réfère à leurs deux CD’s Fragments of Parts et Over The Title (label Free Form Association) ainsi que dans un document plus récent intitulé Spontaneous Live Series 003 Live at the Spontaneous Music Festival 2018. Un autre superbe album en duo avec la très remarquable saxophoniste Paulina Owczarek, Mono No Aware (Free Form Association cfr récente chronique) confirme son goût pour le parasitage du piano, du bruitisme dans les cordes à l’aide d’objets utilisés comme sourdines avec grattages, frottements et occurrences résonnantes dans un dialogue avec une ou un collègue inspiré à contorsionner et subvertir le souffle du saxophone. Comme dans cet opus d’apparence erratique qui se révèle de plus en plus convaincant au fil de 9 morceaux (Terra de Cristall, Terra de llops, Terra freda, La futura antiga terra, etc… ) et d’écoutes répétées. Musique au ralenti faites de scories, d’étranges vibrations de la colonne d’air, de méta-souffle d’harmoniques, sifflements contrôlés, murmures du bocal, grasseyements vocalisés dans le pavillon, effets d’air propulsé en douceur sur l’anche, réalisés avec la retenue de celui qui s’écoute intensément en adéquation avec les frictions et grondements de la caisse de résonance du piano. Alberto Cirera, saxophoniste Argentin découvert avec Agusti Fernandez, Carlos Zingaro, Ulrich Mitzlaff, Alvaro Rosso, Nicholas Field etc…, développe un art consommé d’une expressivité transcendantale du saxophone étendu au-delà des limites de ses mécanismes et de la configuration de la colonne d’air, des orifices et des tampons. Cette prédilection s’intègre réciproquement avec l’activité fébrile de Witold Oleszak dans la carcasse du piano, sur les cordages avec des sonorités bruissantes ou surréelles et des doigtés faussement nonchalants sur le clavier, lesquels peuvent aussi bien se révéler anguleux ou elliptiques. La richesse de leur travail sonore enfle, se dilate sur l’inconnu alors que notre écoute se métamorphose graduellement, faisant corps et âme avec les deux musiciens qui en profitent alors pour s’emballer (Terra d’Ogrues). Une session d’improvisation libre sincère et véritable à écouter, méditer et à tenir dans un endroit secret pour y replonger avec délice !
Radical Flowers Ligia Liberatori Ernesto Rodrigues Guilherme Rodrigues Davide Piersanti Creative Sources CS 718 CD
https://guilhermerodrigues.bandcamp.com/album/radical-flowers
Une constante des productions Creative Sources d’Ernesto Rodrigues, patron du label et superbe (violoniste) altiste consiste en une rencontre avec des improvisateurs – trices engagés-ées parmi les moins « visibles » / « notoires » dans le but de créer et partager un univers sonore bien défini dans une grande liberté collective et beaucoup d’empathie. Très souvent, son fils Guilherme Rodrigues, un fabuleux violoncelliste, l’assiste avec une complémentarité proverbiale, souvent avec d’autres musiciens à cordes frottées, mais aussi un pianiste, un saxophoniste ou un électronicien. On ne compte plus leurs très nombreux albums et celui-ci fait partie de ceux dont l’auditeur a envie de remettre dans le lecteur, tant l’ensemble et chacun de ses membres posent des questions et trouve des réponses subtiles ou inattendues. Une forme de multi-dialogue pluridimensionnel où de nombreux sons, effets de timbre et actions instrumentales engendrent des constructions musicales vivantes et spontanées dont on peut carrément visualiser les contours, les éclairs et les ombres. La vocaliste Ligia Liberatori surgit aux tournants imprévus par petites touches ; les lubies glissantes du tromboniste Davide Piersanti se font l’écho des glissandi et des oscillations des séries harmoniques des deux cordistes Rodrigues merveilleusement complémentaires. Leur talent incontournable pour les formes, les variations mouvantes de celles-ci et la dimension orchestrale (de chambre) de leurs improvisations créent une spirale magique qui propulse leurs deux partenaires en coloristes distingués et en inspirent les menues incartades expressives dans des tourbillons accidentés . Pouvoir s’agréger de la sorte avec cette belle expressivité n’est rien moins que providentiel, ajoutant encore une floche supplémentaire à la saga des Rodrigues et consorts telle qu’elle se développe inlassablement au sein du surprenant catalogue de Creative Sources.
Nine Improvisations for sax sopranino and electric guitar Marco Colonna & Enzo Rocco Setola Di Maiale SDM 4300/New Ethic Society-digital album ...
https://marcocolonna.bandcamp.com/album/nine-improvisations-for-sopranino-and-guitar-2
https://www.setoladimaiale.net/catalogue/view/SM4300
Dans la free music internationale, la guitare (électrique) a été mise à toutes les sauces à coup d’ampli, d’effets, de pédales (en cascade), d’objets etc… en empruntant à de multiples sources – inspirations (Hendrix, blues, jazz, classique, Cage, musiques du monde, bruitisme) en défiant les lois de la lutherie, à la suite des Sharrock, Bailey, Rowe, Reichel, Russell, Kaiser, Boni etc… J’ai toujours été impressionné par le prodigieux Roger Smith, un phénomème de la « spanish guitar » à deux fois cinq doigts et aux doigtés et positions de la main affolants et impossibles. Parmi ceux qui zigzaguent avec bonheur dans les cases, frettes et gammes au départ d’une connaissance approfondie du jazz (Jim Hall, Joe Pass, René Thomas) pour gambader dans les chemins de traverse sans se départir du jeu « note » à « note », en toute lisibilité, et des structures d’accords décodées avec une bonne virtuosité figure un artisan transalpin bien sympathique : Enzo Rocco ! Enzo s’est illustré aux côtés de forces de la nature comme le sax baryton international Carlo Actis Dato ou le plus poète d’entre tous les saxophonistes de premier plan, l’improbable Lol Coxhill, (sans parler de sa collaboration avec le tromboniste tubiste Giancarlo Schiaffini, pionnier en chef de la coulisse improvisée au même titre que Rutherford et Christmann). Fort heureusement, deux merveilleux albums en immortalisent la faconde réciproque : Paëlla & Norimaki avec Actis Dato publié par Splasch et Fine Tuning : The Gradisca Concert avec Coxhill sur le label Amirani du saxophoniste soprano Gianni Mimmo. On m’a deux ou trois fois chauffé les oreilles au sujet du duo de Gianni Mimmo et Enzo Rocco couplé avec un enregistrement de notre trio Sureau dans le CD The Leuven Concert (Setola Di Maiale), me faisant comprendre que c’était pas assez « non-idiomatique », radical que sais-je encore !! En ce qui me concerne, j’apprécie le musicianship et le talent musical d’un improvisateur sincère et doué quelque soient ses intentions et son esthétique à la condition que je ne m’ennuie pas et qu’en plus je prenne du plaisir à écouter. Or leur duo avait alors développé une empathie musicale rare, un dialogue étourdissant dans les registres harmoniques et le flux ludique. Le guitariste Enzo Rocco a une capacité plus que remarquable dans l’improvisation « mélodique » free en sollicitant un registre musical étendu de la six-cordes et un sens du dialogue interactif avisé. Son plectre tire la moindre note avec la dynamique la plus appropriée et face à son agile main gauche ce plectre tourbillonne par-dessus les frettes aiguës ou à proximité du chevalet dans une véritable chorégraphie manuelle. Un goût latin pour la mélodie inspirée des musiques populaires italiennes s’y affirme pour être ensuite méthodiquement subverti et décalé pour des séquences audacieuses selon les morceaux. Sa connaissance approfondie des structures harmoniques et son aisance instrumentale ne sont que le tremplin d’un jeu subtil et libre parfois tiré au cordeau ou joyeusement elliptique à la rencontre du souffle inspiré et accentué de ses collègues saxophonistes cités plus haut. Marco Colonna, lui-même clarinettiste de haut vol et ici saxophoniste sopranino audacieux, et Enzo créent neuf magnifiques dialogues, zig-zags, zébrures cambrées et cascades de notes hors gravitation. Ludique, lumineuse et enjouée leur musique se tend autour de thèmes canevas inventés dans l’instant ou avec des intentions télépathiques. Marco Colonna s’affirme depuis plusieurs années comme un des souffleurs à suivre en Italie : avant tout clarinettiste émérite, il s’essaie ici avec bonheur et justesse à faire vriller et tressauter un sax sopranino, ce qui n’est pas donné, même pour un saxophoniste expérimenté. C’est bien le moment de découvrir son talent multiforme. Un vrai régal disponible à la fois en CD chez Setola Di Maiale, le label du fantastique Stefano Giust, l'excellent batteur et en digital via la plateforme de New Ethic Society.
7 mai 2022
Marteau Rouge & Haino Keiji / Marco Colonna & Francesco Cigana/ Matthias Bauer Lawrence Casserley Wilbert De Joode Floros Floridis Emilio Gordoa Kalle Kalima Veli Kujala Libero Mureddu Dag Magnus Narvesen Giancarlo Schiaffini Harri Sjöström Sebastiano Tramontana Philipp Wachsmann/ Derek Bailey Tony Coe
Marteau Rouge & Haino Keiji Lundi 13 Juillet 2009 à 21h Jazz à Luz Jean-Marc Foussat – Jean-François Pauvros – Makoto Sato & Haino Keiji FOU Records FR-CD 45.
Digital : https://fou-records.bandcamp.com/album/concert-2009
CD : https://www.fourecords.com/FR-CD45.htm
Enregistrée en concert en l’été 2009, cette prestation de Marteau Rouge, mémorable pour ceux qui étaient présents, méritait amplement d’être publiée par FOU Records, le label de Jean-Marc Foussat. Marteau Rouge est le trio formé par Jean-Marc Foussat (synthé VCS3, voix, jouets), Jean-François Pauvros (guitares électriques, voix) et Makoto Sato (batterie). Cette année-là, Marteau Rouge avait publié un autre CD avec Evan Parker en invité * sur le label In Situ et donc, pourquoi pas se joindre au guitariste psych-noise nippon habillé en noir jusqu’au bout des ongles, Keiji Haino ? Le critique Joël Pagier en avait écrit un compte rendu enthousiaste dans le magazine Improjazz. En écoutant attentivement bien des années plus tard, je peux vous assurer que ses sens en alerte et la puissante impression émotionnelle qu’il avait alors ressentie est extraordinairement confirmée par cet enregistrement d’un seul jet sulfureux de 58’46’’. Pour nous aider à nous frayer dans cette jungle bruitiste et électrocutée incandescente, J-MF a posé des jalons digitaux qui nous permettent de nous introduire directement au début de séquences dont la teneur énergétique et abrasive affirment un sens de l’évolution et du développement sonore perpétuellement renouvelés. L’improvisation noise électrique/ électronique avec, de surcroît, un synthé analogique, deux guitares électriques et une batterie est un genre difficile à manoeuvrer pour la simple raison que les sonorités peuvent s’amalgamer et s’épaissir sans fluidité, se dupliquer sans raison, s’étager sans perspective, le flux demeurer statique comme un bourdon continu de drones, d’éclairs soniques redondants, effets expressionnistes sans dynamique, le silence annihilé, l’écoute lassée. Très heureusement, l’atmosphère montagnarde et l’esprit d’ouverture de Jazz à Luz leur a été propice !! Et comment. Il y a de belles zones tour à tour ludiques, explosives, abrasives, introverties, un brin mélodiques, forces telluriques servant des dessins inconnus, des interpénétrations de timbres en fusion au bord de l’éclatement et qu’on distingue clairement dans ces amas de laves et glaces brûlantes, ces poussières cosmiques incandescentes, devenant des moments de grâce inespérés surgissant par surprise ou s’immisçant par mégarde. Les guitares saturées poussées à l’infini dans ces rhizomes improbables de pédales d’effets et de préamplis éjectent cette vocalité surréelle qui fait songer à celle du concert au Fillmore East le 31 décembre 1969 (Jimi Hendrix – Machine Gun – LP Band of Gypsies), exploit électrique qui a fondé inexorablement cette expression sonore dont ce Concert est une belle démonstration. Et aussi, faut-il le dire, l' enregistrement qualitatif de ces masses sonores et de cette expressivité électrique les rend fluides, palpables, lisibles, nous transmettant cette sensation / perception du vécu dans un espace et un temps donnés. Keiji Haino est crédité à droite du champ auditif de la stéréo et J-F Pauvros, à gauche. Cette dualité agissante est restituée avec un sens de la perspective réaliste. Faisant suite au 33 tours convaincant de Marteau Rouge « un jour se lève » (FOU FR LP 02), brûlot dévastateur s’il en est, ce Marteau Rouge & Keiji Haino atteint un sommet dans le genre déflagration paroxystique avec une multitude de nuances et variations peu prévisibles. Cela devrait trouver un écho certain, autant auprès des amateurs d’improvisation plus sérieuse, voire austère, que des mordus du noise. Au-delà des frontières !!
*Pour ceux qui l’ignorent, Evan Parker est redevable à Jean-Marc Foussat (en qualité de preneur de sons) pour de nombreux enregistrements cruciaux de sa carrière dès le début des années 80 et suivantes (Incus 37 - Pisa 80, Po Torch 10+11 - Detto Fra Di Noi, Leo Records 255 Live aux Instants Chavirés, LR 305 - 2X3 = 5, Potlatch 200 - Dark Rags, Fou Records CD 06 28 rue Dunois Juillet 82, Psi 02.06 at Instants Chavirés et la géniale boîte Topographie Parisienne - FOU CD 34-35-36-37) et il n’est pas le seul !! JMF est devenu au fil des décennies un mémorialiste instantané incontournable – indispensable dans la discographie – fil ténu du vivant de dizaines d’artistes essentiels… (Steve Lacy et Mal Waldron, Derek Bailey,Joëlle Léandre, Paul Lovens etc…). Outre son excellente qualité technique, le travail de documentation de Jean-Marc est une acte militant et non mercantile qu’il offre généreusement et sans relâche.
Shells Marco Colonna & Francesco Cigana New Ethic Society
https://newethicsociety.bandcamp.com/album/shells
Marco Colonna : Clarinettes basse , Mi-b piccolo et Si-b, Francesco Cigana : Batterie, Percussions, Objets. Un excellent album d’une musique improvisée à la fois énergétique, subtile et pleine de détails sonores expressifs : sinuosités microtonales et aériennes des clarinettes du souffleur et trouvailles soniques alliant frappes, grattages et résonances astucieuses du percussionniste. L’inspiration du souffleur et la magnifique fluidité de son jeu vont chercher autant dans la pratique de la musique contemporaine, l’inspiration microtonale et une tendance folklore imaginaire (Psalm). Le percussionniste sollicite une variété de frappes non conventionnelles et d’effets sonores multiples et variés avec autant de sensibilité expressive que de volonté à explorer de nouvelles facettes de leur duo. La finesse sonore du jeu, ses timbres et les affects du jeu de Marco Colonna dans l’évolution réactive de leurs échanges révèle toute l’intelligence musicale et émotionnelle de cet improvisateur, musicien incontournable dans la scène improvisée italienne. Sept compositions – improvisations pour une heure de musique enregistrée dont chacune recèle une identité et un univers sonore propres, clairement distincts des autres. Il en émane des ambiances furibondes ou intimistes, enjouées ou mystérieuses. Form (14’01’’), par exemple, incarne l’art de l’ellipse et de la boucle dans le chef du souffleur avec un choix de notes, d’inflexions et d’extrapolations d’intervalles pour faire un morceau d’anthologie par le contraste de la percussion faussement erratique de Cigana sur ses ustensiles désordonnés. Le lyrisme contenu de Marco Colonna fait corps avec le souffle inspiré et l’obsessionnelle sinuosité de son chalumeau et se maintient sur le fil du rasoir par-dessus les frappes folichonnes et roulements bruissants de son acolyte qui en profite pour asséner un furieux solo plein de dérapages et d’astuces polyrythmiques. Dans Frolica, Colonna souffle des rifs décalés et des bribes mélodiques faussées dans deux clarinettes Mi-b picollo et Si-b à la fois, le batteur commentant – transcrivant l’inspiration de son collègue. Il y a une dimension délicieusement poétique, gestuelle entre ces deux artistes aux affinités profondes. Une écoute mutuelle magnifique, un duo soudé, cohérent et vraiment inventif. Deux musiciens à suivre.
Soundscapes # 3 Munich Festival 2021 Schwere Reiter Matthias Bauer Lawrence Casserley Wilbert De Joode Floros Floridis Emilio Gordoa Kalle Kalima Veli Kujala Libero Mureddu Dag Magnus Narvesen Giancarlo Schiaffini Harri Sjöström Sebastiano Tramontana Philipp Wachsmann Fundacja Sluchaj 2CD
https://sluchaj.bandcamp.com/album/soundscapes-3-festival-munich-2021-schwerereiter
Double CD étonnant documentant une rencontre baptisée adroitement Soundscapes et réunissant quatorze improvisateurs de neuf pays différents jouant d’instruments aussi divers que la contrebasse (Matthias Bauer et Wilbert De Joode), les percussions (Steve Heather, Dag Magnus Narvesen et Emilio Gordoa, celui-ci uniquement vibraphoniste), l’accordéon au quart de ton (Veli Kujala), le piano (Libero Mureddu), le saxophone soprano (Harri Sjöström), les clarinettes (Floros Floridis), la guitare électrique (Kalle Kalima), le trombone (Sebastiano Tramontana et Giancarlo Schiaffini), le violon + électronique (Philipp Wachsmann) et le live signal processing avec ordinateurs (Lawrence Casserley). On sait que la musique improvisée libre et ses praticiens se veut imprévisible en (re)créant des sonorités et des formes nouvelles, voire inouïes en essayant de repousser normes, conventions et certitudes et nombre d’entre eux en font assez souvent une démonstration concluante et parfois irrévocable, comme on peut l’entendre avec surprise ou intérêt tout au long de ces quatorze improvisations collectives, constellations sonores sélectionnées avec soin tout au long des deux soirées du Soundscapes Festival des 1 et 2 octobre 2021 à Munich. Cette démarche créative qui consiste à rassembler des personnalités musicales aux parcours et centre d’intérêts très variés et de différentes générations, certains n’ayant jamais travaillé ensemble, a été explorée intensivement par Derek Bailey au sein de son groupe à géométrie et personnel variables, Company. De nombreuses éditions et tournées Britanniques de Company donnaient l’occasion aux musiciens de poursuivre leurs échanges interactifs durant plusieurs jours consécutifs, souvent durant une semaine complète. Certaines sessions évoluaient dans une éclatement esthétique quasi généralisé alors que d’autres se concentraient avec une évidente fascination télépathique dans une expression focalisée sur un dénominateur commun sonore tellement précis et unique en son genre que cela paraissait surréel (cfr le génial album double Epiphany, Epiphanies du Company 1983). Dans cet ordre d’idées, je dois dire que ces Soundscapes # 3 réunis pour deux soirées par Harri Sjöström me font l’effet d’une belle réussite – mise en abîme combinant les convictions individuelles de chacun, lesquelles peuvent se révéler, divergentes et des aléas inhérents à ces rencontres improbables, mais surmontés ici par une intransigeante volonté de dialogue, d’inventivité et de recherches sonores. On y trouve deux Tutti atmosphériques ouvrant et fermant l‘ordre des morceaux du double CD : les Soundscapes proprement dites, Opening Night Tutti Orchestra (CD 1, 1/ 15 :36) et Silence To Sound Tutti Orchestra (CD2, 7/ 10 :44). Une coexistence d’intentions, de fragments, d’interférences et de synergies du plus bel effet, instable mais cohérent. Et bien sûr une croustillante brochette de quatre duos, deux trios, cinq quartets, deux quintets enlevés avec une belle diversité dans les assemblages instrumentaux, les couleurs et les inspirations magnifiées d’une écoute mutuelle hors norme quelques soient les instruments individuels et l’orientation de chacun des groupes. Les titres tous intitulés « The Player is #1 » , #2 etc… jusque #12 Le point fort de la grande majorité de ces improvisations se concentre dans l’aspect émotionnel allant de pair avec la création de dialogues subtils, en mettant de côté une virtuosité excessive ou un trop plein d’informations sonores et de bouillonnements superflus. Dosage, précision et fantaisie sont les maîtres – mots. Parmi les duos, tous remarquables, on notera tout spécialement celui du tromboniste Sebastiano Tramontana et du violoniste Phil Wachsmann, un véritable bijou sensuel et d’une grande finesse où la démarche conceptuelle radicale de l’un s’unit aux vocalisations joyeuses et les glissandi bourdonnants et expressifs de l’instrument à coulisse. Autre moment de grâce en duo : Harri Sjöström au sax sopranino avec l’accordéon au quart de ton de Veli Kujala. Les vents et vibrations de l’air soufflé s’incurvent, s’étirent comme par magie. On songe à un songe de Lol Coxhill… Un curieux assemblage des percussionnistes (Gordoa, Heather, Narvesen) avec le signal processing de Lawrence Casserley se mue en ovni sonore fait de bruissements, vibrations, cliquetis, résonnances, sons de l’au-delà, murmures, légères stridences, souffles électriques, métamorphoses soniques dont il est impossible de deviner la source instrumentale. Cet agrégat de sonorités et de techniques percussives s’intensifie ou se réduit, permettant à Casserley d’insérer ses trouvailles sonores nourries des sons de ses trois collègues. Les quatre intervenants s’intègrent spontanément dans un univers sonore vraiment intéressant… Autre quartet attentif et curieux dans une magnifique interaction multidimensionnelle : Gordoa – De Joode – Schiaffini – Wachsmann …. Et ce délicieux dialogue de Giancarlo Schiaffini au trombone et Floros Floridis à la clarinette. Et l’intensité dans la recherche sonore se renforce dans le CD2 … Pour résumer, un magnifique portfolio d’échanges subtils – kaléidoscope tendu vers l’infini des possibilités sonores mouvantes et colorées créé en toute spontanéité.
Last word : This Soundscapes #3 double album is one great summary to where the free improvised music with an open mindset and creative mapping could go : an incredible kaleidoscopic journey through movements, interactions, colours , human mutual listening .... of dedicated collective improvisers concerned firstly about the overall significance of sharing the music with no individual agenda but pure commitment to sounds and musical meanings ....!!
Time Derek Bailey Tony Coe Incus – Honest Jon’s 2LP HJRLP 208
https://honestjonsrecords.bandcamp.com/album/time
Dans le flux incessant de rééditions d’albums de free-jazz et de musiques improvisées tous azimuts, une initiative de haute qualité éditoriale reprend (et étend) une bonne partie du catalogue Incus, le label historique de Derek Bailey et Evan Parker. Vinyles, pochettes, gravures, mixages soignés et améliorés : Honest Jon’s n’a rien laissé au hasard ! L’extraordinaire duo du guitariste Derek Bailey et du clarinettiste Tony Coe, Time, enregistré les 23 et 24 avril 1979, défaisait l’idée même de musique non idiomatique, tant leurs improvisations faisaient songer à la musique japonaise ( koto – shamisen – flûtes). Cette impression était alors renforcée par les titres des morceaux (Kuru, Sugu, Itsu, Koko, Ima, … Chiku, Taku, Toki…). Une deuxième session enregistrée les 4 avril et 14 mai 1979 par la BBC est proposée dans le deuxième LP et celle-ci nous offre ce à quoi nous nous serions attendu en connaissance de cause. Musique optimale. Improvisation « de chambre » acoustique. Improvisateur jusqu’au bout des ongles, Derek Bailey a toujours tenté de partager sa pratique de l’improvisation avec des personnalités musicales très différentes en parvenant mystérieusement à tirer parti de ses extraordinaires capacités imaginatives et techniques et en les suscitant dans le chef de ses partenaires. Un fort goût d’alcool nous vient à la bouche de manière allusive : les titres, Burgundy, Bourbon, Du Maine, Chartres, Lafitte, South Rampart, Basin. Allez comprendre ! Un double album exceptionnel parmi les nombreux trésors baileyiens. Signalons les rééditions d’Aïda avec un vinyle bonus, du légendaire Music Improvisation Company, du plus étonnant album de Company, Epiphany, Epiphanies en 3 doubles LP dont un contenant des inédits, des duos Bennink Bailey « Performances at Verity’s Place », Honsinger Bailey « Duo », Cyro Batista – Bailey (avec un LP Bonus) etc… LP's ou CD's Incus remastérisés à Abbey Road studio. Prix raisonnable et des surprises de taille !!
Digital : https://fou-records.bandcamp.com/album/concert-2009
CD : https://www.fourecords.com/FR-CD45.htm
Enregistrée en concert en l’été 2009, cette prestation de Marteau Rouge, mémorable pour ceux qui étaient présents, méritait amplement d’être publiée par FOU Records, le label de Jean-Marc Foussat. Marteau Rouge est le trio formé par Jean-Marc Foussat (synthé VCS3, voix, jouets), Jean-François Pauvros (guitares électriques, voix) et Makoto Sato (batterie). Cette année-là, Marteau Rouge avait publié un autre CD avec Evan Parker en invité * sur le label In Situ et donc, pourquoi pas se joindre au guitariste psych-noise nippon habillé en noir jusqu’au bout des ongles, Keiji Haino ? Le critique Joël Pagier en avait écrit un compte rendu enthousiaste dans le magazine Improjazz. En écoutant attentivement bien des années plus tard, je peux vous assurer que ses sens en alerte et la puissante impression émotionnelle qu’il avait alors ressentie est extraordinairement confirmée par cet enregistrement d’un seul jet sulfureux de 58’46’’. Pour nous aider à nous frayer dans cette jungle bruitiste et électrocutée incandescente, J-MF a posé des jalons digitaux qui nous permettent de nous introduire directement au début de séquences dont la teneur énergétique et abrasive affirment un sens de l’évolution et du développement sonore perpétuellement renouvelés. L’improvisation noise électrique/ électronique avec, de surcroît, un synthé analogique, deux guitares électriques et une batterie est un genre difficile à manoeuvrer pour la simple raison que les sonorités peuvent s’amalgamer et s’épaissir sans fluidité, se dupliquer sans raison, s’étager sans perspective, le flux demeurer statique comme un bourdon continu de drones, d’éclairs soniques redondants, effets expressionnistes sans dynamique, le silence annihilé, l’écoute lassée. Très heureusement, l’atmosphère montagnarde et l’esprit d’ouverture de Jazz à Luz leur a été propice !! Et comment. Il y a de belles zones tour à tour ludiques, explosives, abrasives, introverties, un brin mélodiques, forces telluriques servant des dessins inconnus, des interpénétrations de timbres en fusion au bord de l’éclatement et qu’on distingue clairement dans ces amas de laves et glaces brûlantes, ces poussières cosmiques incandescentes, devenant des moments de grâce inespérés surgissant par surprise ou s’immisçant par mégarde. Les guitares saturées poussées à l’infini dans ces rhizomes improbables de pédales d’effets et de préamplis éjectent cette vocalité surréelle qui fait songer à celle du concert au Fillmore East le 31 décembre 1969 (Jimi Hendrix – Machine Gun – LP Band of Gypsies), exploit électrique qui a fondé inexorablement cette expression sonore dont ce Concert est une belle démonstration. Et aussi, faut-il le dire, l' enregistrement qualitatif de ces masses sonores et de cette expressivité électrique les rend fluides, palpables, lisibles, nous transmettant cette sensation / perception du vécu dans un espace et un temps donnés. Keiji Haino est crédité à droite du champ auditif de la stéréo et J-F Pauvros, à gauche. Cette dualité agissante est restituée avec un sens de la perspective réaliste. Faisant suite au 33 tours convaincant de Marteau Rouge « un jour se lève » (FOU FR LP 02), brûlot dévastateur s’il en est, ce Marteau Rouge & Keiji Haino atteint un sommet dans le genre déflagration paroxystique avec une multitude de nuances et variations peu prévisibles. Cela devrait trouver un écho certain, autant auprès des amateurs d’improvisation plus sérieuse, voire austère, que des mordus du noise. Au-delà des frontières !!
*Pour ceux qui l’ignorent, Evan Parker est redevable à Jean-Marc Foussat (en qualité de preneur de sons) pour de nombreux enregistrements cruciaux de sa carrière dès le début des années 80 et suivantes (Incus 37 - Pisa 80, Po Torch 10+11 - Detto Fra Di Noi, Leo Records 255 Live aux Instants Chavirés, LR 305 - 2X3 = 5, Potlatch 200 - Dark Rags, Fou Records CD 06 28 rue Dunois Juillet 82, Psi 02.06 at Instants Chavirés et la géniale boîte Topographie Parisienne - FOU CD 34-35-36-37) et il n’est pas le seul !! JMF est devenu au fil des décennies un mémorialiste instantané incontournable – indispensable dans la discographie – fil ténu du vivant de dizaines d’artistes essentiels… (Steve Lacy et Mal Waldron, Derek Bailey,Joëlle Léandre, Paul Lovens etc…). Outre son excellente qualité technique, le travail de documentation de Jean-Marc est une acte militant et non mercantile qu’il offre généreusement et sans relâche.
Shells Marco Colonna & Francesco Cigana New Ethic Society
https://newethicsociety.bandcamp.com/album/shells
Marco Colonna : Clarinettes basse , Mi-b piccolo et Si-b, Francesco Cigana : Batterie, Percussions, Objets. Un excellent album d’une musique improvisée à la fois énergétique, subtile et pleine de détails sonores expressifs : sinuosités microtonales et aériennes des clarinettes du souffleur et trouvailles soniques alliant frappes, grattages et résonances astucieuses du percussionniste. L’inspiration du souffleur et la magnifique fluidité de son jeu vont chercher autant dans la pratique de la musique contemporaine, l’inspiration microtonale et une tendance folklore imaginaire (Psalm). Le percussionniste sollicite une variété de frappes non conventionnelles et d’effets sonores multiples et variés avec autant de sensibilité expressive que de volonté à explorer de nouvelles facettes de leur duo. La finesse sonore du jeu, ses timbres et les affects du jeu de Marco Colonna dans l’évolution réactive de leurs échanges révèle toute l’intelligence musicale et émotionnelle de cet improvisateur, musicien incontournable dans la scène improvisée italienne. Sept compositions – improvisations pour une heure de musique enregistrée dont chacune recèle une identité et un univers sonore propres, clairement distincts des autres. Il en émane des ambiances furibondes ou intimistes, enjouées ou mystérieuses. Form (14’01’’), par exemple, incarne l’art de l’ellipse et de la boucle dans le chef du souffleur avec un choix de notes, d’inflexions et d’extrapolations d’intervalles pour faire un morceau d’anthologie par le contraste de la percussion faussement erratique de Cigana sur ses ustensiles désordonnés. Le lyrisme contenu de Marco Colonna fait corps avec le souffle inspiré et l’obsessionnelle sinuosité de son chalumeau et se maintient sur le fil du rasoir par-dessus les frappes folichonnes et roulements bruissants de son acolyte qui en profite pour asséner un furieux solo plein de dérapages et d’astuces polyrythmiques. Dans Frolica, Colonna souffle des rifs décalés et des bribes mélodiques faussées dans deux clarinettes Mi-b picollo et Si-b à la fois, le batteur commentant – transcrivant l’inspiration de son collègue. Il y a une dimension délicieusement poétique, gestuelle entre ces deux artistes aux affinités profondes. Une écoute mutuelle magnifique, un duo soudé, cohérent et vraiment inventif. Deux musiciens à suivre.
Soundscapes # 3 Munich Festival 2021 Schwere Reiter Matthias Bauer Lawrence Casserley Wilbert De Joode Floros Floridis Emilio Gordoa Kalle Kalima Veli Kujala Libero Mureddu Dag Magnus Narvesen Giancarlo Schiaffini Harri Sjöström Sebastiano Tramontana Philipp Wachsmann Fundacja Sluchaj 2CD
https://sluchaj.bandcamp.com/album/soundscapes-3-festival-munich-2021-schwerereiter
Double CD étonnant documentant une rencontre baptisée adroitement Soundscapes et réunissant quatorze improvisateurs de neuf pays différents jouant d’instruments aussi divers que la contrebasse (Matthias Bauer et Wilbert De Joode), les percussions (Steve Heather, Dag Magnus Narvesen et Emilio Gordoa, celui-ci uniquement vibraphoniste), l’accordéon au quart de ton (Veli Kujala), le piano (Libero Mureddu), le saxophone soprano (Harri Sjöström), les clarinettes (Floros Floridis), la guitare électrique (Kalle Kalima), le trombone (Sebastiano Tramontana et Giancarlo Schiaffini), le violon + électronique (Philipp Wachsmann) et le live signal processing avec ordinateurs (Lawrence Casserley). On sait que la musique improvisée libre et ses praticiens se veut imprévisible en (re)créant des sonorités et des formes nouvelles, voire inouïes en essayant de repousser normes, conventions et certitudes et nombre d’entre eux en font assez souvent une démonstration concluante et parfois irrévocable, comme on peut l’entendre avec surprise ou intérêt tout au long de ces quatorze improvisations collectives, constellations sonores sélectionnées avec soin tout au long des deux soirées du Soundscapes Festival des 1 et 2 octobre 2021 à Munich. Cette démarche créative qui consiste à rassembler des personnalités musicales aux parcours et centre d’intérêts très variés et de différentes générations, certains n’ayant jamais travaillé ensemble, a été explorée intensivement par Derek Bailey au sein de son groupe à géométrie et personnel variables, Company. De nombreuses éditions et tournées Britanniques de Company donnaient l’occasion aux musiciens de poursuivre leurs échanges interactifs durant plusieurs jours consécutifs, souvent durant une semaine complète. Certaines sessions évoluaient dans une éclatement esthétique quasi généralisé alors que d’autres se concentraient avec une évidente fascination télépathique dans une expression focalisée sur un dénominateur commun sonore tellement précis et unique en son genre que cela paraissait surréel (cfr le génial album double Epiphany, Epiphanies du Company 1983). Dans cet ordre d’idées, je dois dire que ces Soundscapes # 3 réunis pour deux soirées par Harri Sjöström me font l’effet d’une belle réussite – mise en abîme combinant les convictions individuelles de chacun, lesquelles peuvent se révéler, divergentes et des aléas inhérents à ces rencontres improbables, mais surmontés ici par une intransigeante volonté de dialogue, d’inventivité et de recherches sonores. On y trouve deux Tutti atmosphériques ouvrant et fermant l‘ordre des morceaux du double CD : les Soundscapes proprement dites, Opening Night Tutti Orchestra (CD 1, 1/ 15 :36) et Silence To Sound Tutti Orchestra (CD2, 7/ 10 :44). Une coexistence d’intentions, de fragments, d’interférences et de synergies du plus bel effet, instable mais cohérent. Et bien sûr une croustillante brochette de quatre duos, deux trios, cinq quartets, deux quintets enlevés avec une belle diversité dans les assemblages instrumentaux, les couleurs et les inspirations magnifiées d’une écoute mutuelle hors norme quelques soient les instruments individuels et l’orientation de chacun des groupes. Les titres tous intitulés « The Player is #1 » , #2 etc… jusque #12 Le point fort de la grande majorité de ces improvisations se concentre dans l’aspect émotionnel allant de pair avec la création de dialogues subtils, en mettant de côté une virtuosité excessive ou un trop plein d’informations sonores et de bouillonnements superflus. Dosage, précision et fantaisie sont les maîtres – mots. Parmi les duos, tous remarquables, on notera tout spécialement celui du tromboniste Sebastiano Tramontana et du violoniste Phil Wachsmann, un véritable bijou sensuel et d’une grande finesse où la démarche conceptuelle radicale de l’un s’unit aux vocalisations joyeuses et les glissandi bourdonnants et expressifs de l’instrument à coulisse. Autre moment de grâce en duo : Harri Sjöström au sax sopranino avec l’accordéon au quart de ton de Veli Kujala. Les vents et vibrations de l’air soufflé s’incurvent, s’étirent comme par magie. On songe à un songe de Lol Coxhill… Un curieux assemblage des percussionnistes (Gordoa, Heather, Narvesen) avec le signal processing de Lawrence Casserley se mue en ovni sonore fait de bruissements, vibrations, cliquetis, résonnances, sons de l’au-delà, murmures, légères stridences, souffles électriques, métamorphoses soniques dont il est impossible de deviner la source instrumentale. Cet agrégat de sonorités et de techniques percussives s’intensifie ou se réduit, permettant à Casserley d’insérer ses trouvailles sonores nourries des sons de ses trois collègues. Les quatre intervenants s’intègrent spontanément dans un univers sonore vraiment intéressant… Autre quartet attentif et curieux dans une magnifique interaction multidimensionnelle : Gordoa – De Joode – Schiaffini – Wachsmann …. Et ce délicieux dialogue de Giancarlo Schiaffini au trombone et Floros Floridis à la clarinette. Et l’intensité dans la recherche sonore se renforce dans le CD2 … Pour résumer, un magnifique portfolio d’échanges subtils – kaléidoscope tendu vers l’infini des possibilités sonores mouvantes et colorées créé en toute spontanéité.
Last word : This Soundscapes #3 double album is one great summary to where the free improvised music with an open mindset and creative mapping could go : an incredible kaleidoscopic journey through movements, interactions, colours , human mutual listening .... of dedicated collective improvisers concerned firstly about the overall significance of sharing the music with no individual agenda but pure commitment to sounds and musical meanings ....!!
Time Derek Bailey Tony Coe Incus – Honest Jon’s 2LP HJRLP 208
https://honestjonsrecords.bandcamp.com/album/time
Dans le flux incessant de rééditions d’albums de free-jazz et de musiques improvisées tous azimuts, une initiative de haute qualité éditoriale reprend (et étend) une bonne partie du catalogue Incus, le label historique de Derek Bailey et Evan Parker. Vinyles, pochettes, gravures, mixages soignés et améliorés : Honest Jon’s n’a rien laissé au hasard ! L’extraordinaire duo du guitariste Derek Bailey et du clarinettiste Tony Coe, Time, enregistré les 23 et 24 avril 1979, défaisait l’idée même de musique non idiomatique, tant leurs improvisations faisaient songer à la musique japonaise ( koto – shamisen – flûtes). Cette impression était alors renforcée par les titres des morceaux (Kuru, Sugu, Itsu, Koko, Ima, … Chiku, Taku, Toki…). Une deuxième session enregistrée les 4 avril et 14 mai 1979 par la BBC est proposée dans le deuxième LP et celle-ci nous offre ce à quoi nous nous serions attendu en connaissance de cause. Musique optimale. Improvisation « de chambre » acoustique. Improvisateur jusqu’au bout des ongles, Derek Bailey a toujours tenté de partager sa pratique de l’improvisation avec des personnalités musicales très différentes en parvenant mystérieusement à tirer parti de ses extraordinaires capacités imaginatives et techniques et en les suscitant dans le chef de ses partenaires. Un fort goût d’alcool nous vient à la bouche de manière allusive : les titres, Burgundy, Bourbon, Du Maine, Chartres, Lafitte, South Rampart, Basin. Allez comprendre ! Un double album exceptionnel parmi les nombreux trésors baileyiens. Signalons les rééditions d’Aïda avec un vinyle bonus, du légendaire Music Improvisation Company, du plus étonnant album de Company, Epiphany, Epiphanies en 3 doubles LP dont un contenant des inédits, des duos Bennink Bailey « Performances at Verity’s Place », Honsinger Bailey « Duo », Cyro Batista – Bailey (avec un LP Bonus) etc… LP's ou CD's Incus remastérisés à Abbey Road studio. Prix raisonnable et des surprises de taille !!