Elliptic Time Ivo Perelman & Joe Morris Mahakala Music
https://mahakalamusic.bandcamp.com/album/elliptic-time
Le label Mahakala Music ne chôme pas, empilant les titres récents du saxophoniste Brésilien Ivo Perelman, cette fois-ci en duo avec le guitariste U.S. Joe Morris. Tous deux ont travaillé avec les mêmes musiciens :William Parker, Matthew Shipp, Whit Dickey, Mat Maneri etc… et ont déjà enregistré un album en duo : Blue / Leo Records 2016 et de remarquables trios avec le pianiste Matt Shipp (Shamanism) et l’alto Mat Maneri (Counterpoint) lesquels découlent de leurs duos respectifs. Une affaire de famille qui suit un but commun, celui de faire du sens et créer des émotions sincères en improvisant toute leur musique du début à la fin de chaque morceau. C’est d’ailleurs avec Ivo Perelman que je préfère écouter Joe Morris, un guitariste de jazz au départ, qui tente très adroitement de dériver les structures d’accord et de rythmes, l’inspiration mélodique et les doigtés vers le dodécaphonisme, le sérialisme et une forme d’abstraction tout en conservant un jeu clair et précis à la fois quasi-acoustique et amplifié sans effets. À l'écoute, le lien avec le jazz est évident. On va dire que les références question saxophone ténor d’Ivo Perelman évoquent Albert Ayler et l’Archie Shepp de la fin des années ‘60, début ’70, mais que son but est le dialogue intégral avec des duettistes basé sur une écoute mutuelle intense, et entièrement improvisé (ou en trio). Même au risque de la redondance et de l’épuisement de l’imagination, ces deux-là se démènent pour renouveler et étendre leur inspiration avec une foi inébranlable et un savoir faire étonnant sur quarante huit minutes en cinq improvisations. Joe Morris est un guitariste très remarquable parmi les deux ou trois piliers de l’instrument dans le free-jazz américain « à risques » librement improvisé et un cultivateur obstiné de l’improvisation collective non hiérarchique où chaque musicien joue sur un pied d’égalité avec son ou ses partenaires avec une volonté de cohérence orchestrale. Il a trouvé son meilleur alter - ego auprès d’Ivo Perelman, un champion de cette vision de la musique improvisée libre total. Leurs interventions individuelles (« solos ») sont plus que remarquables par le déploiement des sons, des phrasés et de leur idiome personnel. Rien que les enchevêtrements d’accords et de lignes cristallines du guitariste sont de la dentelle pour mélomane et les impossibles glissandi dans le suraigu et les harmoniques du sax ténor à la fois expressionniste et attentif au sens mélodique « inné » constituent un vrai délice pour les papilles de la fringale des oreilles avisées ou surprises par tant de charme. Mais la dimension auditive et interactive de leur merveilleux duo sublime et enrichit leurs jeux conjoints dans des faisceaux de motifs, d’élans, de contrepoints instantanés, de fragments mélodiques, d’intuitions créatives. Le souffle du saxophone oscille dans de multiples articulations, accents marqués et anche chauffée à blanc qui se livrent dans de multiples nuances, brûlantes ou nuageuses, explosives ou évanescentes, notes distendues, sonorités de la saudade brésilienne. La logique vif-argent labyrinthique à l’œuvre à la six-cordes basique de Joe aiguillonne, entoure, souligne, recycle les cascades vibratoires expressives et les spirales d’Ivo et nourrit son imagination. Et c’est tout aussi réciproque. Leur «confrontation » n’est pas frontale, mais tangentielle et elliptique; leurs courses en avant se croisent en permanence dans l’absorption mutuelle des trouvailles de l’autre et défilent en toute indépendance selon leur propre instinct. Contextualité de l’écriture spontanée. Les morceaux longs de 15 à 7 minutes avec un final de 3 minutes sont intitulés Elliptic Time, Invisible Mass, Gravitationnal Pull, Palpable Energy et Cosmic Rays Music et suggérés par une idée force ou une observation a posteriori. Même si votre résistance à cette plongée dans les tourbillons de l’improvisation et ses calmes plats inspirés a quelques limites, vous trouverez là matière au ravissement ne fût-ce qu’en abordant ce Temps Elliptique à petites doses. Si, par contre, les longues durées ne vous effraient pas, Mahakala propose une suite de douze duos d’Ivo avec des saxophonistes - clarinettistes : Murray, Lovano, Golia, Liebman, Irabagon, Carter, Mitchell, Mc Phee, Berne, Stetson, Vandermark, Anker, etc… L’embarras du choix , mais quel choix !
The Yorkshire Suite : Amalgam – Trevor Watts Colin McKenzie Liam Genockey Keith Rowe John Stevens Hi4Head records digital
https://hi4headtrevorwatts.bandcamp.com/album/the-yorkshire-suite
Vous avez bien lu : le groupe Amalgam de Trevor Watts réunissant ses deux acolytes réguliers le bassiste électrique « funk » Colin McKenzie et le batteur « rock » Liam Genockey avec Keith Rowe (d’AMM) à la guitare électrique « noise » et le batteur John Stevens avec qui Watts a intensément collaboré au sein du Spontaneous Music Ensemble et d’Amalgam, justement. Amalgam, au départ un groupe free-jazz dont Trevor composait la musique, a effectué un virage « rock-free-jazz-funk » avec guitares et basses électriques et rythmes binaires. Stevens et Watts sont repartis ensuite de leur côté bien que jouant encore ensemble en trio avec Barry Guy (LP No Fear etc…). Et cette collaboration à l’occasion de cette excellente session studio du 21.02.1979 , et produite par Peter Ritzema, devrait bien être la dernière. Aussi, quelques temps plus tard, Keith Rowe devient membre à part entière d’Amalgam pour une folle tournée britannique immortalisée par le coffret vynile Wipe Out (Impetus) avant que McKenzie s’enfuie, sans doute déstabilisé par le capharnaum sonore de Rowe. Venons-en à cette Yorkshire Suite composée par Watts et interprétée deux fois et de manière assez différente l’une en 25:58 et la deuxième, plus libre en 30 :26. L’intérêt de cette session particulière réside dans la présence de deux batteurs, ce qui profile l’assise rythmique de manière originale et, je dirais unique. Et la qualité de la prise de son est cristalline, on distingue très clairement le travail des deux batteurs, Stevens et Genockey, même s’il faut écouter très attentivement en se concentrant sur les deux batteries pour comprendre le rôle joué par chacun d’eux. C'est rare et passionnant pour les afficionados, d'écouter deux batteurs coopérer de la sorte avec autant de classe que d'invention. La basse serpente en rebondissant et facilite grandement la propulsion du souffleur qui livre ici des improvisations flamboyantes au sax alto. À mi – chemin de la suite , le tempo change et la musique s’aère et s’étale plus dans l’espace sonore avec de subtiles séquences de free-drumming étincelantes, raffinées, aériennes. On entend aussi assez brièvement le cornet ou la trompette de poche (non créditée dans les notes) de John Stevens et Trevor Watts empoigner ses sax alto et soprano à la fois pour souffler simultanément dans les deux becs. Le souffle impétueux et très inspiré de Trevor Watts fait ici merveille : son invention mélodique est saissante et les zig-zags de son articulation sont chargées de rage et d'émotion. Exceptionnel souffleur et sonorité merveilleuse et reconnaissable entre mille!! Et que vient faire Keith Rowe dans ce hors-bord rebondissant sur les lames de l’océan ? Du noise ! Hachant menu le son de sa guitare électrique amplifiée avec effets et objets, il tente adroitement de s’insérer dans le tohu-bohu polyrythmique de la section rythmique. Ça a l’air étrange. Mais ces free-improvisateurs britanniques ont toujours voulu très pragmatiquement la raison rationnelle. Le résultat est saisissant même si Pete Ritzema a dû se poser quelques questions. La bande magnétique originale a été transférée en digital par John Thurlow de Jazz In Britain qui a déjà publié un coffret intrigant du super groupe Splinters (Wheeler, Tubby Hayes, Trev Watts, Stan Tracey, Jeff Clyne, John Stevens et Phil Seamen). Je pense que The Yorkshire Suite mérite vraiment une publication distribuée, car je viens seulement de la découvrir sue le site de Hi4Head, le label de Nick Dart, largement dédié aux superbes enregistrements de "Trev". Un bon CD, s'il vous plaît ! À mon avis, c’est sans doute l’enregistrement le plus flatteur et le plus entier de la saga électrique d’Amalgam.
Dandelion Tom Jackson Dirk Serries Kris Vanderstraeten New Wave of Jazz nwoj056
https://newwaveofjazz.bandcamp.com/album/dandelion
Guitare acoustique (Dirk Serries), clarinette (Tom Jackson) et percussions (Kris Vanderstraeten) au menu de Dandelion, la fleur pissenlit dernier-née du label New Wave of Jazz enregistré au Sunny Side Studio à Anderlecht le 6 octobre 2021. Musique improvisée radicale ancrée dans l’écoute mutuelle et l’invention spontanée en utilisant les ressources sonores des trois instruments. Avec son attirail percussif fait maison, ses mini-tambours, métaux rares, une caisse claire, des tambours chinois, râcloirs, objets, moteurs, globe terrestre, pièces métalliques, ressorts, archets, fagot de baguettes disproportionnées, Kris Vanderstraeten personnifie le puriste de la percussion improvisée de l’ère bric-à-brac des Jamie Muir, Terry Day, Paul Lytton et Roger Turner. Il explore les surfaces et recoins de son improbable installation, une œuvre d’art en soi, arpentant secousses, frémissements et silences. Ses frappes menues et discrètes et toutes ses manipulations bruissante d’objets insolites offrent un champ d’action à ses deux acolytes, son volume sonore réduit et la dynamique de son jeu surréaliste contextualisent le modus opératoire du souffleur, majestueux et elliptique et du six-cordistes frénétique. Il faut bien du tempérament à Dirk Serries pour construire sa toile arachnéenne au travers des frettes, clusters volatiles et zig-zags. Striant les cordes d’un plectre ravageur, il fait éclater les armatures harmoniques comme les électrons, protons et neutrons de métaux rares en désintégration kinesthésique. Tournoyant comme un oiseau de proie fait d’air sifflant dans un mystérieux chalumeau, le clarinettiste Tom Jackson projette les volutes chantantes et lunaires au lyrisme oblique et les diffractions de sonorités en lorgnant le fatras bruitiste de ces deux partenaires affairés avec un regard en coin : contraste improbable qui rend leurs pirouettes désopilantes. L’intérêt réside dans les changements de dynamique et les incidences aléatoires ou prises en vol de la configuration interactive, tuilée ou de leurs actions musicales. Actions musicales comme on parlait d’action painting à propos de Pollock. Après la mise en bouche de 1/ Carnation Pink, les choses décollent sérieusement dans le déchaînement pointilliste de 2/ Dandelion, fleur traduite en français par Pissenlit mais dont le nom provient de Dent de Lion, soit en dents de scie – zig-zags entrecroisés et distordus. 3/ Violet Blue entame une autre perspective quasi visuelle, agitatrice, face au jeu flegmatique du souffleur pépiant comme un oiseau, lui-même, face aux facéties des deux autres garnements jusqu’à s’enrhumer le bocal où son anche douce est littéralement torturée ou son aura floutée. 4/ Dark Green enchaîne encore une autre narration bien distincte des précédentes, démontrant ainsi que la musique « abstraite » acquiert sous leurs doigts et avec leur sensibilité toute une imagerie imaginaire et imaginative qu’on n’a aucune peine à reconnaître et identifier d’une improvisation à l’autre. Une ludique fantaisie. Et le finale 5/ Bright Yellow démontre que l’attention des trois improvisateurs à renouveler la trame de leurs inventions est toujours aussi concentrée. Une session eemarquable et très réussie. Signalons sur le même label le trio de Kris Vanderstraeten avec John Russell et Stefan Keune (On Sunday), le duo de Tom Jackson avec le saxophoniste Colin Webster (the Other Lies) en ajoutant que Tom Jackson et Dirk Serries collaborent étroitement avec le violiste (alto) Benedict Taylor : Hunt at the Brook pour le premier et Puncture Cycle pour le deuxième, créant ainsi un esprit de famille ‘nwoj’. Ces quelques titres figureront en bonne place sous le sapin, rien de plus normal pour une musique pointue à aiguilles.
Five Ring Secrets Sabu Toyozumi Lao Dan Hisaharu Teruuchi CPCD-023.
https://www.chapchap-music.com/chap-chap-records/cpcd-023/
Un bel assemblage de trois duos entre le percussionniste nippon Sabu Toyozumi et le saxophoniste alto chinois Lao Dan, de deux trios avec le pianiste Hisaharu Teruuchi, lequel joue aussi un duo avec Lao Dan qu'on entend par ailleurs à la flûte de bambou. Enregistrées les 5 et 6 Juillet 2019 au légendaire club Aketa de Tokyo et à l’Airegin de Yokohama, ces 6 improvisations collectives de «hard free - free jazz » énergiques se clôturent par un trio de quinze minutes avec Hisaharu Teruuchi, Musashi you are late. Le précédent album de Sabu Toyozumi avec Lol Coxhill, John Russell et Veryan Weston pour Chap-Chap Records s’intitule Musashi The Water. Musashi est le nom du meilleur des escrimeurs dans toute la tradition historique japonaise. Et sans doute, Sabu Toyozumi a acquis une réputation de fabuleux manieur de baguettes et de balais à la batterie au Japon, félicité publiquement par John Coltrane et Charlie Mingus et jouant avec l’Art Ensemble of Chicago … à Chicago vers 1971. Musashi ? Souvent sollicité par les Brötzmann, Mengelberg, Barre Phillips, John Zorn, Leo Smith, John Russell, Mats Gustafsson, Paul Rutherford, Peter Kowald ainsi que ses compatriotes Kaoru Abe et Jojo Masayuki Takayanagi, Sabu aime tout autant jouer avec des musiciens basés en Asie comme Rick Countryman (Manille) ou tout récemment avec le saxophoniste chinois Lao Dan et en fait de nombreux artistes dont il croise la route. Si Sabu part jouer en Chine avec Lao Dan, il n’hésite pas un instant à lui faire faire la tournée des Grands – Ducs (Musashi) dans des clubs légendaires de Tokyo (Aketa) et Yokohama (Airegin). Une légende. On a peine à croire que cet homme de petite taille âgé de presque 80 ans puisse dégager autant d’énergie et de puissance sur sa batterie. Son style personnel est fait de tournoiements de pulsations aux tempi élastiques et mouvants et de coups de boutoir contrastés par de subtiles rafales sonores. Dès la première écoute, Sabu est immédiatement reconnaissable qu’il explose ou qu’il s’esquive en douceur . En Lao Dan et son souffle mordant et brûlant quasi-mystique, il a reconnu immédiatement un esprit libre, un shaman qui se consume littéralement sur scène soulevé par ses roulements fracassant et ses coups de fouets sur les cymbales. On peut entendre aussi Lao Dan à la flûte en bambou à six trous traditionnelle. Son jeu au commencement de l’album torture littéralement une mélodie impromptue avec un growl forcené de laquelle il décale les intervalles dans des mini- variations successives (Water Traveller). Efficace et sauvage, autant que la furia du batteur qui se déchaîne pour propulser son collègue et ses chapelets de notes brûlantes dans la stratosphère variant constamment les figures croisées polyrythmiques trépidantes . Et une fois bien allumé par le premier brûlot de 6 minutes (Water Traveller) et intimidé par les sifflements de l’anche et les morsures obsédantes du bec alternant avec des brins de phrase évasive de Gaia Tornade (6 minutes), le pianiste Hisaharu Teruuchi s’introduit en trio (Jimbraid) et leur apporte une dimension orchestrale poussant le jeu collectif dans une interaction plus sophistiquée, inversant la perspective de la prise de son. Le duo piano saxophone de Foots Yin & Yang nous ramène sur terre et c’est une autre facette de la musique en forme d’adroit dialogue entre le souffle et les touches révélant la sonorité de Lao Dan et ses dégringolades d’escaliers chromatiques entamées par ses morsures. Non seulement, Sabu est un batteur fétiche qui n’hésite pas à gratter adroitement ses cymbales dans Reverse Musashi où Lao Dan joue de la flûte et que se répand une subtile poésie, mais il est aussi un artiste graphique à-la-japonaise aspergeant délicatement des gouttes d’aquarelles colorées bleue encre, vert printemps, rose fleur de cerisier et jaune banane sur une feuille blanche pour décorer artistiquement le recto et le verso de la pochette. Y sont inscrits au pinceau chargé de noir anthracite le titre en Japonais et les trois prénoms Sabu, Teru et Dan ainsi que le patronyme et le prénom plus le titre en anglais au crayon épais rouge : Five Rings Secret. Secret des Cinq Anneaux. Lesquels ? Ceux de l’écoute, de la force expressive, de la liberté, de la foi et de l’amitié. Reverse Musashi est une pièce où sa science des rythmes devient transcendante et il faut écouter Musashi you are late en trio pour savoir pourquoi il faut se lever tôt, le secret de vie de Sabu Toyozumi. Je vous promets aussi de lui demander ce que vient faire ce Musashi dans le Secret des Cinq Anneaux.
Consacré aux musiques improvisées (libre, radicale,totale, free-jazz), aux productions d'enregistrements indépendants, aux idées et idéaux qui s'inscrivent dans la pratique vivante de ces musiques à l'écart des idéologies. Nouveautés et parutions datées pour souligner qu'il s'agit pour beaucoup du travail d'une vie. Orynx est le 1er album de voix solo de J-M Van Schouwburg. https://orynx.bandcamp.com
23 décembre 2022
18 décembre 2022
Recommended albums of free improvisation with electro-acoustic sounds - interactions
Recommended albums of free improvisation with electro-acoustic sounds interactions
not finished page : i am not a specialist of electro-acoustic - electronics and so on but I appreciate it aurally . This is not exhaustive.
Bark ! Contraption Paul Obermayer Rex Casswell Phil Marks psi 07.03
Bark ! Fume of Sighs psi 12.04
Furt Dead or Alive psi 04.09
Furt Richard Barrett & Paul Obermayer Omnivm psi 06.09
Essex Foam Party Grutronic David Ross Stephen Grew Nick Grew + Paul Obermayer, Orphy Robinson psi 09.07
Hiss and Viscera Audrey Chen & Richard Scott Sound Anatomy SA0004
Auslanders Richard Scott Lightning Ensemble R Scott David Birchall Phil Marks Jon Rose VR001 - SA006
Richard Scott Tales from the Voodoo Box Sound Anatomy SA12
Bark! That Irregular Galvanic Twitch SA15
Die Schauber Hans Tammen Joker Nies De Vega aha0701
Corpus Callosum Georg Wissel Joker Nies acheulian handaxe aha 1301
Adhara Lars Bröndum Per Gärdin Creative Sources Recordings CS 599 CD
D'où vient la lumière ? Jean-Marc Foussat - Jean-Luc Petit FOU Records FR-CD 13
Dans les Courbes Xavier Camarasa - Jean-Marc Foussat FOU Records FR-CD 26
Spiegelungen Jean-Marc Foussat Urs Leimgruber FOU Records FR-CD 31
Face to Face Jean-Marc Foussat & Thomas Lehn FOU Records FR-CD 32/33
Marteau Rouge & Keiji Haino, J-M Foussat, Jean-Marc Pauvros, Makoto Sato FR-CD 45
Several Circles Richard Scott Cusp 003
Concert in Iwaki Evan Parker Electroacoustic Quartet Evan Parker Uchimizu 02
Set Evan Parker Richard Barrett Paul Obermayer Barry Guy Paul Lytton Lawrence Casserley Walter Prati Marco Vecchi Psi 09.09
Furt Richard Barrett Paul Obermayer Live in Amsterdam 1994 X-OR FR2
Schnack 3 Paul Hubweber & Ulli Böttcher Nur Nicht Nur
Rot Roh Ulli Böttcher Martin Klapper Nur Nicht Nur
Maxwells Dämon Ulrich Böttcher Uwe Buhrdorff Ulrich Phillip Nefastis Machine Hybrid CD 12
Maxwells Dämon Rand Mitte Nur Nicht Nur 11 03 09
URL Konrad Doppert Joker Nies Wolfgang Schliemann Joachim Zoepf Nur Nicht Nur
"Do they do those in Red ?" Lytton/ Nies/ Scott/Wissel SA16
Alan Silva Burton Greene Parallel Words Long Song Records LSRCD 125
Old Paradise Airs Steve Beresford - John Butcher Illuso Records.
Startle the Echoes Matt Hutchinson & Phil Wachsmann Bead Records
Garuda Phil Wachsmann - Lawrence Casserley Bead Records
Though The Rings of Saturn Electro Phonic Art Trio Casserley Wachsmann Trevor Taylor FMRCD540-0519
Integument Lawrence Casserley – Adam Linson psi
MouthWind Lawrence Casserley – JM Van Schouwburg HEyeRMEarS / DISCORBIE HD CD 012
Isla Decepción Lawrence Casserley Yoko Miura J-M Van Schouwburg Setola di Maiale
On the Validity of Tractors Valid Tractor Pat Thomas Dominic Lash Lawrence Casserley FMRCD515-1018
Feldstärken Thomas Lehn Random Acoustics RA 027
Achtung Thomas Lehn Paul Lovens GROB 537
Temps Durée Thomas Lehn Günter Christmann Editions Explico Explico 10
Snake Eyes Pair A’ Dice Jeffrey Morgan Joker Nies Random Acoustics RA010
Near Vanha Pair A’ Dice Morgan – Nies Ninth World Music NWM 015
Hyperpunkt Richard Scott’s Lightning Ensemble Scott Marks Birchall + San Andreae SA013
Certain Questions Pat Thomas Charlotte Hug Unit UTR 4134
An established color and cunning Tender Buttons Tania Chen Tom Djill Gino Robair Rastascan RR BRD 072
fORCH Furt - Obermayer & Barrett - Phil Minton Ute Wassermann Lori Freedman John Butcher Rhodri Davies Paul Lovens Spukhafte Fernwirkung Treader trd 020
Hugh Davies performances 1969 – 1977 another timbre ltd ed cdr
An Alphabet of Fluctuation Gerard Lebik - Burkhard Beins inexhaustible editions ie-042
Quatuor Qwat Neum Jerome Noetinger Daunik Lazro Sophie Agnel Michael Nick Sixx Amor Fati Fatum 017
Electric Chair + Table MIMEO Christian Fennesz Marcus Schmickler Kaffe Matthews Matthews Phil Durrant Cor Fuhler Gert-Jan Prins Keith Rowe Rafael Toral Marcus Wettstein Thomas Lehn Jerome Noetinger GROB 206/7
Beinhaltung Phil Durrant Thomas Lehn Radu Malfatti Fringes 03
Evan Parker Electro Acoustic Ensemble : Towards The Margin/ Drawn Inward/ The Eleventh Hour/ Memory - Vision/ The Moments' Energy ECM CD.
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Bark ! Contraption Paul Obermayer Rex Casswell Phil Marks psi 07.03
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Essex Foam Party Grutronic David Ross Stephen Grew Nick Grew + Paul Obermayer, Orphy Robinson psi 09.07
Hiss and Viscera Audrey Chen & Richard Scott Sound Anatomy SA0004
Auslanders Richard Scott Lightning Ensemble R Scott David Birchall Phil Marks Jon Rose VR001 - SA006
Richard Scott Tales from the Voodoo Box Sound Anatomy SA12
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Die Schauber Hans Tammen Joker Nies De Vega aha0701
Corpus Callosum Georg Wissel Joker Nies acheulian handaxe aha 1301
Adhara Lars Bröndum Per Gärdin Creative Sources Recordings CS 599 CD
D'où vient la lumière ? Jean-Marc Foussat - Jean-Luc Petit FOU Records FR-CD 13
Dans les Courbes Xavier Camarasa - Jean-Marc Foussat FOU Records FR-CD 26
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Face to Face Jean-Marc Foussat & Thomas Lehn FOU Records FR-CD 32/33
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Set Evan Parker Richard Barrett Paul Obermayer Barry Guy Paul Lytton Lawrence Casserley Walter Prati Marco Vecchi Psi 09.09
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Integument Lawrence Casserley – Adam Linson psi
MouthWind Lawrence Casserley – JM Van Schouwburg HEyeRMEarS / DISCORBIE HD CD 012
Isla Decepción Lawrence Casserley Yoko Miura J-M Van Schouwburg Setola di Maiale
On the Validity of Tractors Valid Tractor Pat Thomas Dominic Lash Lawrence Casserley FMRCD515-1018
Feldstärken Thomas Lehn Random Acoustics RA 027
Achtung Thomas Lehn Paul Lovens GROB 537
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Snake Eyes Pair A’ Dice Jeffrey Morgan Joker Nies Random Acoustics RA010
Near Vanha Pair A’ Dice Morgan – Nies Ninth World Music NWM 015
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An established color and cunning Tender Buttons Tania Chen Tom Djill Gino Robair Rastascan RR BRD 072
fORCH Furt - Obermayer & Barrett - Phil Minton Ute Wassermann Lori Freedman John Butcher Rhodri Davies Paul Lovens Spukhafte Fernwirkung Treader trd 020
Hugh Davies performances 1969 – 1977 another timbre ltd ed cdr
An Alphabet of Fluctuation Gerard Lebik - Burkhard Beins inexhaustible editions ie-042
Quatuor Qwat Neum Jerome Noetinger Daunik Lazro Sophie Agnel Michael Nick Sixx Amor Fati Fatum 017
Electric Chair + Table MIMEO Christian Fennesz Marcus Schmickler Kaffe Matthews Matthews Phil Durrant Cor Fuhler Gert-Jan Prins Keith Rowe Rafael Toral Marcus Wettstein Thomas Lehn Jerome Noetinger GROB 206/7
Beinhaltung Phil Durrant Thomas Lehn Radu Malfatti Fringes 03
Evan Parker Electro Acoustic Ensemble : Towards The Margin/ Drawn Inward/ The Eleventh Hour/ Memory - Vision/ The Moments' Energy ECM CD.
9 décembre 2022
Tobias Delius Daniele D'Agaro Giovanni Maier Zlatko Kaucic/ Rick Countryman Christian Bucher Johnny Alegre Tetsuro Hori/ Richard Scott/ Maria Radich Maria Do Mar Anna Piosik Carla Santana Helena Espvall Joana Guerra
Disorder at The Border Plus Tobias Delius Daniele D'Agaro Giovanni Maier Zlatko Kaucic Kataklisma Fundacja Sluchaj/ Klopotec
https://sluchaj.bandcamp.com/album/kataklisma
Disorder at the Border est le trio du saxophoniste et clarinettiste Daniele D’Agaro et du contrebassiste Giovanni Maier, tous deux italiens, avec le batteur slovène Zlatko Kaucic et le saxophoniste Néerlandais Tobias Delius en invité "Plus". J’ai déjà couvert le précédent album de Disorder at the Border « Plus » en compagnie du bassiste Ewald Oberleitner, il y a presqu’un an. Voici mon impression d’alors : « C’est bien justement ce qui se passe dans ce merveilleux trio de jazz improvisé « modal – free » sans prétention peut – être, mais ô combien communicatif, chaleureux et finalement réussi. Un jazz libre de partage, d’émotions sincères et d’ouverture ». Je ne vais pas me répéter, mais plutôt insister. Leur manière d’envisager le jazz libre est aventureuse et lyrique que ce soit dans la longue suite de 40 :11 (The Spartno Odissey) que dans les trois improvisations concentrées qui suivent : Calls From Ithaca (7:32), Polypheumus (5 :09) et Kataklisma (4 :03). Leur musique libre est basée sur le dialogue pour lequel chaque improvisateur, qu’il soit souffleur, contrebassiste ou batteur, se place sur un pied d’égalité , l’autorisant à prendre l’initiative en inventant entièrement sa partie dans un flux d’échanges, d’interactions et une mise en commun des idées et propositions qui circulent et se relaient de main en main. Pour ce faire, non seulement, chacun est profondément indépendant des autres tout en cherchant à faire coïncider les lignes, courbes, spirales et pulsations dans un puzzle vivant et kaléïdoscopique. Le trio développe une narration évolutive, haussant graduellement la tension, imprimant morsures et déchirures dans les fils de la pâte sonore ou se focalisant sur un partage délicat et aéré (cfr minute 27 et suivantes du n°1) qui décolle vers des échanges plus vifs, sursauts mordants, pépiements volatiles, étirements dans l’aigu de la clarinette et atterrit dans une polyphonie fracturée par de multiples rebonds . Un vecteur est déterminant : le free drumming de Zlatko Kaucic construit flottements, cascades, frottements discrets, coups épars, actions pointillistes et détaillées sur ses accessoires percussifs, polyrythmie éclatée, etc... (cfr intro de n°2 Calls for Ithaca). Dans ce morceau les deux souffleurs au jeu anguleux et saturé à souhait entremêlent leurs accents, bribes mélodiques, intensités lyriques et volutes fragmentées. Les voix de Tobias Delius et Daniele D’Agaro s’interpénètrent dans une trame toute en rebondissements, contrechants et torsions des motifs créés en poussant les articulations vivaces de leurs coups de becs et d’anches jusqu’au growl giratoire truffé d’harmoniques suggérant un thème imaginaire camouflé par leur rage de jouer et entraîné inexorablement par le drive glouton du batteur. D’Agaro a tout à gagner en se commettant avec un puncheur comme Delius. Dans ce contexte, le travail obstiné du contrebassiste prend tout son sens, ancrant tant les subtilités et les embardées de ses trois collègues dans les limons d’une terrienne réalité et une perspective orchestrale suggérée par les improvisations des deux souffleurs. Une attention est accordée à diversifier les formes, les affects et les trouvailles individuelles par un sens très sûr de l’intermezzo, de l’interruption abrupte, ou d’une évolution créative de la continuité jusqu’à ce que son paysage soit entièrement transformé. Leur méthode est très inspirante. De véritables improvisateurs aux prises avec les cul-de-sac de l’inventivité qu’ils subliment et évitent à merveille. Cette maestria et ce savoir-faire élèvent la qualité leur musique collective bien au-delà de leur originalité individuelle intrinsèque d’artisans sincères du jazz libre improvisé dans l’instant. Rien de tel que le travail d’équipe.
River People Sol Expression Rick Countryman Christian Bucher Johnny Alegre Tetsuro Hori Chap-Chap Records CPCD-024
https://chapchaprecords.bandcamp.com/album/river-people-sol-expression
Le batteur Suisse Christian Bucher et le saxophoniste alto américain Rick Countryman n’en sont pas à leur premier coup d’essai chez Chap Chap Records dans leur démarche free – jazz . Leur trajectoire enregistrée a débuté en 2016 sous les auspices du label Improvising beings de Julien Palomo en compagnie du contrebassiste Simon Tan : Acceptance – Resistance ib 53, un beau témoignage d’un free jazz intense et calibré « made in Philippines Islands ». En effet, Rick Countryman provient de la galaxie Bert Wilson – Sonny Simmons (SoCal) et est établi à Manille depuis des années. Sur place, lui et ses camarades se sont construits un espace vital attirant bien des spectateurs enthousiasmés par l’énergie et l’engagement physique et spirituel de leur musique libre. Très vite, plusieurs enregistrements live incandescents en trio ont suivi avec le légendaire batteur Sabu Toyozumi et Simon Tan, sur le label Chap Chap de Takeo Suetomi, le supporter number one du batteur nippon : the Center of Contradiction (CPCD-012), Prelude and Prepositions (CPCD-013). Chap Chap s’est ensuite emballé avec le tandem Rick- Sabu : Blue Incarnation avec la joueuse de Kulintang Tusa Montes (CPCD-015), Future of Change avec le saxophoniste Yong Yandsen (CPCD-017) et le binôme Bucher-Countryman avec Simon Tan et le tromboniste Isla Antinero dans « Extremely Live in Manila » (CPCD-014). L’hémorragie continue avec les brûlots comme Misaki Castle Tower (duo Rick- Sabu), Chasing The Sun (Sabu en Solo), The First Bird (Rick Solo). Jya-Ne (No Label avec la mention Manilla Free Jazz) de Sabu Toyozumi avec Countryman et Simon Tan auxquels s’ajoutent Isla Antinero et la chanteuse Stella Ignacio pour une longue et intense demi-heure. Sont publiés aussi une série de CD’s chez le britannique FMR : Empathy, reAbstraction, Blue Spontaneity, I Am Village, Once, Turtle Bird, The Malaysia Live Fact Session et Once, albums où les deux batteurs, Sabu Toyozumi et Christian Bucher interviennent alternativement avec d’autres comparses comme Simon Tan ou Yong Yandsen au saxophone ténor. Je ne vous dis que cela. L’album Future of Change en trio avec Sabu et Yong Yandsen est sûrement le plus intensément allumé / hallucinant de toute cette saga countrymanienne.
Saxophoniste alto volubile avec une belle sonorité, Rick Countryman s’insère dans le continuum afro-américain, la lingua franca post-Bird / Ornette / Dolphy / Mc Lean exacerbant le timbre de leur instrument fétiche pour incarner le blues cosmique, étirant les notes, les vocalisant, incarnant le cri avec sensibilité et un lyrisme forcené avec autant d’outrances que de logique. Au fil de ses enregistrements successifs, on perçoit clairement une fuite en avant abrasive, complètement libertaire avec autant de hargne que de fluidité. Dans cette formation avec la contrebasse de Tetsuro Hori, la guitare de Johnny Alegre et la batterie de Christian Bucher, le souffle impétueux se situe au centre de l’attention, focalisant toute l’énergie sur le fil du rasoir de l’anche chauffée à blanc et la puissante vibration de la colonne d’air aux traits marqués par le blues et des altérations ataviques authentiquement afro-américaines. Le déchiquetage de l’élan mélodique avec une articulation décalée et virulente du phrasé, est accentuée par des effets sonores aigu-grave mordants et maniaques, accents désespérés de la dernière chance, et une facilité lyrique brûlante. L’urgence incarnée !! Le batteur accumule traits souples et élastiques, attentif aux variations d’intensité du souffleur au bord de la rupture, ou disruptif avec ses rafales de frappes et de roulements coordonnés librement au feeling ou à contre-courant, tel un rouleau compresseur, alternant le chaud et le froid en attisant les braises du délire. Le contrebassiste Tetsuro Hori fignole des doigtés souples et entiers dans les interstices , en contrepoint des embardées et envolées de la paire Countryman – Bucher, alors que le jeu du guitariste Johnny Alegre tisse une toile mouvante faite d’empilements d’accords troubles avec dérapages de single note et renversements de grappes de notes comme éjectées d’un ventilateur, fluidifiant les échanges sans excès de décibels, que du contraire. Son jeu électrique au début de Sol Expression (n°1) et dans deux autres morceaux sonne étrangement comme un orgue cosmique (Sun Ra ?). Les canevas multi-dimensionnels de la triade Alegre - Hori - Bucher fonctionnent comme un écrin ou une toile de fond animée colorée où s’inscrivent les arabesques rebelles et argentées et les outrances du souffle déchirant du saxophoniste. Cohérence et défiance. L’ensemble se fraie une dérive poétique sans concession dans un continuum spatio-temporel éclaté. Vraiment physique et attachant.
Richard Scott - Everything is Always at Once Discus
https://discusmusic.bandcamp.com/album/everything-is-always-at-once-133cd-2022
Incontournable artiste électronique que ce Richard Scott, un fana du Spontaneous Music Ensemble de John Stevens, groupe séminal de l’improvisation libre et un chercheur de sons de synthèse traité d’un point de vue rythmique intense et de la dynamique sonore. Son matériel consiste en des synthés modulaires analogiques d’un autre temps dont les différentes sources sont reliées par des touffes de câbles pinch multicolores. Interviennent aussi un Buchla 200, catArt et Max-Msp et que sais-je. Ne m’en demandez pas plus : il y a une description précise de son installation dans les notes incluses que ce soit dans la version CD et la digitale. Je mentionne le Spontaneous Music Ensemble, car non seulement Richard Scott a réalisé une brillante et profonde interview du percussionniste John Stevens, il a adopté des concepts « rythmiques » similaires à ceux qui sous-tendent la musique du duo Face To Face (cfr enreg. Emanem LP 303 – CD 4003) où le jeu très précis sur les pulsations devient spontanément millimétré jusqu’à l’obsession dans les échanges percussion – sax soprano entre Stevens et Trevor Watts. Bref , certains morceaux semblent incarner des boîtes à rythmes dans des spirales de pulsations dont la complexité et l’extraordinaire variétés de timbres dépassent l’entendement. Dans chaque morceau, Richard Scott a visiblement préparé ses matériaux avec une ou plusieurs idées de départ, mais la réalisation des pièces est entièrement improvisée dans l’instant. Cela sursaute, rebondit, ruisselle, tournoie, siffle, enfle avec une extrême lisibilité à travers plusieurs canaux (voix) qui s’interpénètrent, se croisent, se superposent simultanément dans un flux organique où textures, timbres, colorations, pulsations, densités, formes évoluent sans cesse avec une belle logique et un sens inné de la construction . Il ne craint pas de fissurer et démanteler ses extraordinaires édifices jusqu’à la rupture totale. Les facettes de son art sont démultipliées quasi à l’infini. Richard Scott est vraiment, à mon avis, un improvisateur – compositeur électronique incontournable dont il faut patiemment explorer la musique tant elle a à nous offrir d’inconnues et de trouvailles au niveau des formes. S’il s’affirme en solitaire avec une démarche « orchestrale » impressionnante, Richard Scott est aussi un improvisateur collectif dans l’âme depuis des décennies (déjà) auprès de personnalités telles que la chanteuse Ute Wassermann, le percussionniste Michael Vorfeld, le saxophoniste Frank Gratkowski, le guitariste Kasuhisa Uchihashi, le trompettiste Axel Dörner, la chanteuse Audrey Chen etc… et au sein des groupes Grutronic et Richard Scott’s Lightnin’ Ensemble. À suivre à la trace.
Lantana : Maria Radich Maria Do Mar Anna Piosik Carla Santana Helena Espvall Joana Guerra Elemental Cipsela CIP 011
https://cipsela.bandcamp.com/album/elemental
Un beau collectif « féminin » loué par Joëlle Léandre qui signe ici les notes de pochette : Lantana. Place aux femmes après autant de siècles durant lesquels la musique fut l’affaire des hommes. La contrebassiste a tout – à - fait raison d’insister et en partie grâce à son travail et celui de personnalités comme Maggie Nicols ou Irene Schweizer, les musiciennes ont commencé à trouver une place dans les cercles de la scène musique improvisée. Cela dit, mon opinion se situe dans la qualité, l’urgence et la musicalité de ce qu’on écoute et découvre au-delà des styles, des notoriétés, du sexe, du genre, de l’âge, de la nationalité, des préjugés. Six musiciennes portugaises prometteuses issues de cette scène lusitanienne vivace et florissante : la chanteuse Maria Radich, la violoniste Maria Do Mar, la trompettiste et vocaliste Anna Piosik, l’électronicienne Carla Santana, les deux violoncellistes Joana Guerra et Helena Espvall qu’on entend aussi à l’électronique. J’avais déjà entendu Helena Espvall et Maria Do Mar au sein d’albums particulièrement réussis : Helena dans Turquoise Dream avec Carlos Zingaro, Marta Warelis et Marcelo Dos Reis, Maria dans Live at MIA 2015 avec Adriano Orrù et Luis Rocha et toutes les deux dans des projets d’Ernesto Rodrigues. Joëlle Léandre évoque le « deep listening » car effectivement il y a une belle écoute et une empathie assumée dans cette musique de chambre à la fois équilibrée et fugace. Les improvisatrices ont pris le parti pour « un jeu continu » précis, poétique et fleuri en se focalisant sur l’aspect collectif et un recours partiel à une échelle modale . Jeu continu signifie que l’action instrumentale et vocale est quasi permanente tout au long des cinq pièces présentées ici. Dans Akalian, les deux vocalistes se lancent dans une manière de thème qui plane au-dessus du jeu des cordistes dont le col legno répété d’une violoncelliste, la ligne mélodique, instable étant reprise un instant par la trompettiste, les éléments modaux circulent d’un instrument à l’autre sous différentes formes et intensités. Un effet d’écho – résonance est ajouté et qu’on retrouve Dlonie Ducha. Ce deuxième morceau plus long repose sur des filetages d’aigus des cordes et un effet de bourdon proche d’un drone où la voix vient se loger dans un mode intime, alors que les trois archets font crisser les cordes en se rapprochant des sons électroniques émis par Carla Santana avec des effets de giration. La fabrique des sons est maintenant collective avec des glissandi délicats camouflés dans la pâte sonore de Lantana et la trompette d’Anna Piosik et la voix (au micro) de Maria Radich ajoutent des touches délicates qui font modifier le jeu orchestral des autres partenaires. Suites organiques évolutives aux facettes multiples qui se génèrent l’une de l’autre presqu’ insensiblement avec une belle sensibilité. Om Sagro débute avec un brouillard électronique soulevé par un agrégat de cordes et de sons indéterminés jusqu’à ce qu’une belle intervention à la trompette (ah (aïe), les effets !) secondée par un discret violoncelle introduise une improvisation collective en crescendo. Il y a une part de théâtralité (la voix), une écoute et une certaine cohérence plutôt qu’une interaction pointilliste « graphique » avec points, lignes, angles, courbes. Néanmoins, l’ensemble Lantana a une belle classe, un solide potentiel parmi les musiciennes: je pense spécialement au travail très fin des cordistes qui s’affirment de plus en plus au fur et à mesure que les morceaux défilent. La chanteuse trouve sa place dans des interventions variées qui relancent l’attention et la trompette place régulièrement son chant à bon escient dans chaque morceau. Le n° 4 offre encore une autre prespective bienvenue (I am an Ice, some kind of brightness). Voilà qui ferait un concert réussi pour exprimer « c’est quoi la musique improvisée collective ? » pour ceux qui n’ont jamais entendu cela et pourront s’orienter avec les repères misés adroitement tout au long de la performance. Une belle réalisation
https://sluchaj.bandcamp.com/album/kataklisma
Disorder at the Border est le trio du saxophoniste et clarinettiste Daniele D’Agaro et du contrebassiste Giovanni Maier, tous deux italiens, avec le batteur slovène Zlatko Kaucic et le saxophoniste Néerlandais Tobias Delius en invité "Plus". J’ai déjà couvert le précédent album de Disorder at the Border « Plus » en compagnie du bassiste Ewald Oberleitner, il y a presqu’un an. Voici mon impression d’alors : « C’est bien justement ce qui se passe dans ce merveilleux trio de jazz improvisé « modal – free » sans prétention peut – être, mais ô combien communicatif, chaleureux et finalement réussi. Un jazz libre de partage, d’émotions sincères et d’ouverture ». Je ne vais pas me répéter, mais plutôt insister. Leur manière d’envisager le jazz libre est aventureuse et lyrique que ce soit dans la longue suite de 40 :11 (The Spartno Odissey) que dans les trois improvisations concentrées qui suivent : Calls From Ithaca (7:32), Polypheumus (5 :09) et Kataklisma (4 :03). Leur musique libre est basée sur le dialogue pour lequel chaque improvisateur, qu’il soit souffleur, contrebassiste ou batteur, se place sur un pied d’égalité , l’autorisant à prendre l’initiative en inventant entièrement sa partie dans un flux d’échanges, d’interactions et une mise en commun des idées et propositions qui circulent et se relaient de main en main. Pour ce faire, non seulement, chacun est profondément indépendant des autres tout en cherchant à faire coïncider les lignes, courbes, spirales et pulsations dans un puzzle vivant et kaléïdoscopique. Le trio développe une narration évolutive, haussant graduellement la tension, imprimant morsures et déchirures dans les fils de la pâte sonore ou se focalisant sur un partage délicat et aéré (cfr minute 27 et suivantes du n°1) qui décolle vers des échanges plus vifs, sursauts mordants, pépiements volatiles, étirements dans l’aigu de la clarinette et atterrit dans une polyphonie fracturée par de multiples rebonds . Un vecteur est déterminant : le free drumming de Zlatko Kaucic construit flottements, cascades, frottements discrets, coups épars, actions pointillistes et détaillées sur ses accessoires percussifs, polyrythmie éclatée, etc... (cfr intro de n°2 Calls for Ithaca). Dans ce morceau les deux souffleurs au jeu anguleux et saturé à souhait entremêlent leurs accents, bribes mélodiques, intensités lyriques et volutes fragmentées. Les voix de Tobias Delius et Daniele D’Agaro s’interpénètrent dans une trame toute en rebondissements, contrechants et torsions des motifs créés en poussant les articulations vivaces de leurs coups de becs et d’anches jusqu’au growl giratoire truffé d’harmoniques suggérant un thème imaginaire camouflé par leur rage de jouer et entraîné inexorablement par le drive glouton du batteur. D’Agaro a tout à gagner en se commettant avec un puncheur comme Delius. Dans ce contexte, le travail obstiné du contrebassiste prend tout son sens, ancrant tant les subtilités et les embardées de ses trois collègues dans les limons d’une terrienne réalité et une perspective orchestrale suggérée par les improvisations des deux souffleurs. Une attention est accordée à diversifier les formes, les affects et les trouvailles individuelles par un sens très sûr de l’intermezzo, de l’interruption abrupte, ou d’une évolution créative de la continuité jusqu’à ce que son paysage soit entièrement transformé. Leur méthode est très inspirante. De véritables improvisateurs aux prises avec les cul-de-sac de l’inventivité qu’ils subliment et évitent à merveille. Cette maestria et ce savoir-faire élèvent la qualité leur musique collective bien au-delà de leur originalité individuelle intrinsèque d’artisans sincères du jazz libre improvisé dans l’instant. Rien de tel que le travail d’équipe.
River People Sol Expression Rick Countryman Christian Bucher Johnny Alegre Tetsuro Hori Chap-Chap Records CPCD-024
https://chapchaprecords.bandcamp.com/album/river-people-sol-expression
Le batteur Suisse Christian Bucher et le saxophoniste alto américain Rick Countryman n’en sont pas à leur premier coup d’essai chez Chap Chap Records dans leur démarche free – jazz . Leur trajectoire enregistrée a débuté en 2016 sous les auspices du label Improvising beings de Julien Palomo en compagnie du contrebassiste Simon Tan : Acceptance – Resistance ib 53, un beau témoignage d’un free jazz intense et calibré « made in Philippines Islands ». En effet, Rick Countryman provient de la galaxie Bert Wilson – Sonny Simmons (SoCal) et est établi à Manille depuis des années. Sur place, lui et ses camarades se sont construits un espace vital attirant bien des spectateurs enthousiasmés par l’énergie et l’engagement physique et spirituel de leur musique libre. Très vite, plusieurs enregistrements live incandescents en trio ont suivi avec le légendaire batteur Sabu Toyozumi et Simon Tan, sur le label Chap Chap de Takeo Suetomi, le supporter number one du batteur nippon : the Center of Contradiction (CPCD-012), Prelude and Prepositions (CPCD-013). Chap Chap s’est ensuite emballé avec le tandem Rick- Sabu : Blue Incarnation avec la joueuse de Kulintang Tusa Montes (CPCD-015), Future of Change avec le saxophoniste Yong Yandsen (CPCD-017) et le binôme Bucher-Countryman avec Simon Tan et le tromboniste Isla Antinero dans « Extremely Live in Manila » (CPCD-014). L’hémorragie continue avec les brûlots comme Misaki Castle Tower (duo Rick- Sabu), Chasing The Sun (Sabu en Solo), The First Bird (Rick Solo). Jya-Ne (No Label avec la mention Manilla Free Jazz) de Sabu Toyozumi avec Countryman et Simon Tan auxquels s’ajoutent Isla Antinero et la chanteuse Stella Ignacio pour une longue et intense demi-heure. Sont publiés aussi une série de CD’s chez le britannique FMR : Empathy, reAbstraction, Blue Spontaneity, I Am Village, Once, Turtle Bird, The Malaysia Live Fact Session et Once, albums où les deux batteurs, Sabu Toyozumi et Christian Bucher interviennent alternativement avec d’autres comparses comme Simon Tan ou Yong Yandsen au saxophone ténor. Je ne vous dis que cela. L’album Future of Change en trio avec Sabu et Yong Yandsen est sûrement le plus intensément allumé / hallucinant de toute cette saga countrymanienne.
Saxophoniste alto volubile avec une belle sonorité, Rick Countryman s’insère dans le continuum afro-américain, la lingua franca post-Bird / Ornette / Dolphy / Mc Lean exacerbant le timbre de leur instrument fétiche pour incarner le blues cosmique, étirant les notes, les vocalisant, incarnant le cri avec sensibilité et un lyrisme forcené avec autant d’outrances que de logique. Au fil de ses enregistrements successifs, on perçoit clairement une fuite en avant abrasive, complètement libertaire avec autant de hargne que de fluidité. Dans cette formation avec la contrebasse de Tetsuro Hori, la guitare de Johnny Alegre et la batterie de Christian Bucher, le souffle impétueux se situe au centre de l’attention, focalisant toute l’énergie sur le fil du rasoir de l’anche chauffée à blanc et la puissante vibration de la colonne d’air aux traits marqués par le blues et des altérations ataviques authentiquement afro-américaines. Le déchiquetage de l’élan mélodique avec une articulation décalée et virulente du phrasé, est accentuée par des effets sonores aigu-grave mordants et maniaques, accents désespérés de la dernière chance, et une facilité lyrique brûlante. L’urgence incarnée !! Le batteur accumule traits souples et élastiques, attentif aux variations d’intensité du souffleur au bord de la rupture, ou disruptif avec ses rafales de frappes et de roulements coordonnés librement au feeling ou à contre-courant, tel un rouleau compresseur, alternant le chaud et le froid en attisant les braises du délire. Le contrebassiste Tetsuro Hori fignole des doigtés souples et entiers dans les interstices , en contrepoint des embardées et envolées de la paire Countryman – Bucher, alors que le jeu du guitariste Johnny Alegre tisse une toile mouvante faite d’empilements d’accords troubles avec dérapages de single note et renversements de grappes de notes comme éjectées d’un ventilateur, fluidifiant les échanges sans excès de décibels, que du contraire. Son jeu électrique au début de Sol Expression (n°1) et dans deux autres morceaux sonne étrangement comme un orgue cosmique (Sun Ra ?). Les canevas multi-dimensionnels de la triade Alegre - Hori - Bucher fonctionnent comme un écrin ou une toile de fond animée colorée où s’inscrivent les arabesques rebelles et argentées et les outrances du souffle déchirant du saxophoniste. Cohérence et défiance. L’ensemble se fraie une dérive poétique sans concession dans un continuum spatio-temporel éclaté. Vraiment physique et attachant.
Richard Scott - Everything is Always at Once Discus
https://discusmusic.bandcamp.com/album/everything-is-always-at-once-133cd-2022
Incontournable artiste électronique que ce Richard Scott, un fana du Spontaneous Music Ensemble de John Stevens, groupe séminal de l’improvisation libre et un chercheur de sons de synthèse traité d’un point de vue rythmique intense et de la dynamique sonore. Son matériel consiste en des synthés modulaires analogiques d’un autre temps dont les différentes sources sont reliées par des touffes de câbles pinch multicolores. Interviennent aussi un Buchla 200, catArt et Max-Msp et que sais-je. Ne m’en demandez pas plus : il y a une description précise de son installation dans les notes incluses que ce soit dans la version CD et la digitale. Je mentionne le Spontaneous Music Ensemble, car non seulement Richard Scott a réalisé une brillante et profonde interview du percussionniste John Stevens, il a adopté des concepts « rythmiques » similaires à ceux qui sous-tendent la musique du duo Face To Face (cfr enreg. Emanem LP 303 – CD 4003) où le jeu très précis sur les pulsations devient spontanément millimétré jusqu’à l’obsession dans les échanges percussion – sax soprano entre Stevens et Trevor Watts. Bref , certains morceaux semblent incarner des boîtes à rythmes dans des spirales de pulsations dont la complexité et l’extraordinaire variétés de timbres dépassent l’entendement. Dans chaque morceau, Richard Scott a visiblement préparé ses matériaux avec une ou plusieurs idées de départ, mais la réalisation des pièces est entièrement improvisée dans l’instant. Cela sursaute, rebondit, ruisselle, tournoie, siffle, enfle avec une extrême lisibilité à travers plusieurs canaux (voix) qui s’interpénètrent, se croisent, se superposent simultanément dans un flux organique où textures, timbres, colorations, pulsations, densités, formes évoluent sans cesse avec une belle logique et un sens inné de la construction . Il ne craint pas de fissurer et démanteler ses extraordinaires édifices jusqu’à la rupture totale. Les facettes de son art sont démultipliées quasi à l’infini. Richard Scott est vraiment, à mon avis, un improvisateur – compositeur électronique incontournable dont il faut patiemment explorer la musique tant elle a à nous offrir d’inconnues et de trouvailles au niveau des formes. S’il s’affirme en solitaire avec une démarche « orchestrale » impressionnante, Richard Scott est aussi un improvisateur collectif dans l’âme depuis des décennies (déjà) auprès de personnalités telles que la chanteuse Ute Wassermann, le percussionniste Michael Vorfeld, le saxophoniste Frank Gratkowski, le guitariste Kasuhisa Uchihashi, le trompettiste Axel Dörner, la chanteuse Audrey Chen etc… et au sein des groupes Grutronic et Richard Scott’s Lightnin’ Ensemble. À suivre à la trace.
Lantana : Maria Radich Maria Do Mar Anna Piosik Carla Santana Helena Espvall Joana Guerra Elemental Cipsela CIP 011
https://cipsela.bandcamp.com/album/elemental
Un beau collectif « féminin » loué par Joëlle Léandre qui signe ici les notes de pochette : Lantana. Place aux femmes après autant de siècles durant lesquels la musique fut l’affaire des hommes. La contrebassiste a tout – à - fait raison d’insister et en partie grâce à son travail et celui de personnalités comme Maggie Nicols ou Irene Schweizer, les musiciennes ont commencé à trouver une place dans les cercles de la scène musique improvisée. Cela dit, mon opinion se situe dans la qualité, l’urgence et la musicalité de ce qu’on écoute et découvre au-delà des styles, des notoriétés, du sexe, du genre, de l’âge, de la nationalité, des préjugés. Six musiciennes portugaises prometteuses issues de cette scène lusitanienne vivace et florissante : la chanteuse Maria Radich, la violoniste Maria Do Mar, la trompettiste et vocaliste Anna Piosik, l’électronicienne Carla Santana, les deux violoncellistes Joana Guerra et Helena Espvall qu’on entend aussi à l’électronique. J’avais déjà entendu Helena Espvall et Maria Do Mar au sein d’albums particulièrement réussis : Helena dans Turquoise Dream avec Carlos Zingaro, Marta Warelis et Marcelo Dos Reis, Maria dans Live at MIA 2015 avec Adriano Orrù et Luis Rocha et toutes les deux dans des projets d’Ernesto Rodrigues. Joëlle Léandre évoque le « deep listening » car effectivement il y a une belle écoute et une empathie assumée dans cette musique de chambre à la fois équilibrée et fugace. Les improvisatrices ont pris le parti pour « un jeu continu » précis, poétique et fleuri en se focalisant sur l’aspect collectif et un recours partiel à une échelle modale . Jeu continu signifie que l’action instrumentale et vocale est quasi permanente tout au long des cinq pièces présentées ici. Dans Akalian, les deux vocalistes se lancent dans une manière de thème qui plane au-dessus du jeu des cordistes dont le col legno répété d’une violoncelliste, la ligne mélodique, instable étant reprise un instant par la trompettiste, les éléments modaux circulent d’un instrument à l’autre sous différentes formes et intensités. Un effet d’écho – résonance est ajouté et qu’on retrouve Dlonie Ducha. Ce deuxième morceau plus long repose sur des filetages d’aigus des cordes et un effet de bourdon proche d’un drone où la voix vient se loger dans un mode intime, alors que les trois archets font crisser les cordes en se rapprochant des sons électroniques émis par Carla Santana avec des effets de giration. La fabrique des sons est maintenant collective avec des glissandi délicats camouflés dans la pâte sonore de Lantana et la trompette d’Anna Piosik et la voix (au micro) de Maria Radich ajoutent des touches délicates qui font modifier le jeu orchestral des autres partenaires. Suites organiques évolutives aux facettes multiples qui se génèrent l’une de l’autre presqu’ insensiblement avec une belle sensibilité. Om Sagro débute avec un brouillard électronique soulevé par un agrégat de cordes et de sons indéterminés jusqu’à ce qu’une belle intervention à la trompette (ah (aïe), les effets !) secondée par un discret violoncelle introduise une improvisation collective en crescendo. Il y a une part de théâtralité (la voix), une écoute et une certaine cohérence plutôt qu’une interaction pointilliste « graphique » avec points, lignes, angles, courbes. Néanmoins, l’ensemble Lantana a une belle classe, un solide potentiel parmi les musiciennes: je pense spécialement au travail très fin des cordistes qui s’affirment de plus en plus au fur et à mesure que les morceaux défilent. La chanteuse trouve sa place dans des interventions variées qui relancent l’attention et la trompette place régulièrement son chant à bon escient dans chaque morceau. Le n° 4 offre encore une autre prespective bienvenue (I am an Ice, some kind of brightness). Voilà qui ferait un concert réussi pour exprimer « c’est quoi la musique improvisée collective ? » pour ceux qui n’ont jamais entendu cela et pourront s’orienter avec les repères misés adroitement tout au long de la performance. Une belle réalisation
2 décembre 2022
Seppe Gebruers Playing with Standards/ Christoph Gallio Dominique Girod & Dieter Ulrich/ Guilherme Rodrigues Acoustic Reverb
Playing with Standards Seppe Gebruers el Negocito Records 3CD eNR 116,117 & 118
https://elnegocitorecords.com/
L'album est enfin ligne sur le compte bandcamp d'el Negocito : https://www.elnegocitorecords.com/releases/eNR116+.html
Voici de quoi vous informez un peu plus :
https://rataplanvzw.be/e/seppe-gebruers-playing-with-standards
https://www.youtube.com/watch?v=xgzLkVvNZ14&t=5s
Rassurez – vous ! Vous avez bien lu : Playing with Standards ! Mais ce n’est pas ce que vous pourriez penser ou imaginer. Une explication s’impose. Pianiste improvisateur pointu et engagé dans « l’avant-garde » , le belge Seppe Gebruers a enregistré ce projet de longue haleine avec DEUX pianos accordés au quart de ton. Cela veut dire que l’ensemble des cordes de chacun des deux pianos est accordé à un quart de ton l’un de l’autre, créant ainsi une curieuse dissonance. On l’a entendu récemment à Gand lors d’un concert en duo avec le pianiste Charlemagne Palestine, tous deux aux prises avec quatre pianos accordés en quart de ton, une occasion unique de rentrer dans cet univers de claviers microtonaux. Se dit microtonale, une échelle de notes utilisant des intervalles plus courts que le demi-ton. Il se fait que j’invite personnellement le guitariste Pascal Marzan et sa guitare microtonale dix cordes accordée au tiers de ton (et sixième de ton, bien sûr) à Bruxelles pour un concert le 6 décembre prochain !. Donc je me sens un peu concerné.
Si j’ai beaucoup aimé le concert en duo de Gand, rien ne me préparait à ce magnifique ouvrage en trois albums compacts. C’est tout simplement, un des événements discographiques les plus convaincants de l’histoire des musiques improvisées concernant le piano lui-même. J’ai beaucoup écouté live et en disque Fred Van Hove, un phénomène extraordinaire et quand j’entends d’autres pianistes qui ont une démarche voisine je me dis que j’ai eu la chance peu commune de l’avoir rencontré et écouté au fil des décennies.
Et ce que j’apprécie dans la démarche radicale de Seppe Gebruers, un homme modeste et un peu introverti, c’est son indépendance d’esprit par rapport aux "-ismes" et que sa trajectoire qui s’annonce dans ce projet, ne ressemble à aucune autre.
D'ailleurs, il existe un Playing with Standards Trio avec Paul Lytton himself à la batterie, c'est tout dire. Dans ces trois albums, Seppe « ne joue pas les standards », mais il joue « avec ». Commençant à enfoncer les touches une à une ou deux à deux avec précaution, il entend un enchaînement de notes et, soudainement, les intervalles de la mélodie ou des fragments des harmonies d’un Standard du répertoire jazz lui viennent à l’esprit. Sous ses doigts, on en perçoit le « fantôme », une partie de la trame, un zeste de mélodie suggérée au milieu des dissonances, des clusters, en travers du phrasé et des interactions entre ces notes microtonales qui font coïncider fugacement des intervalles tempérés. Parfois, il faut faire un effort d’imagination ou de perceptions, ou alors, comme dans la « version » de Just A Gigolo, c’est Monk lui-même qui apparaît, et là, c’est digne de, ou même plus fort que, notre cher Misha Mengelberg disparu il y a quelques temps. En ce qui me concerne, c’est contagieux. Avec When You wish Upon a Star, et In The Wee Small Hours qui inaugurent le CD 1, c’est le répertoire de la période swing, l’époque de Billie et Lester. Après Just a Gigolo , on a droit à trois « versions » de You and the Night and The Music à la suite l’une de l’autre . Il joue aussi (Playing With) avec des intermezzos, Just Friends et, curieusement, La Vie En Rose chantée autrefois par Satchmo. Le CD 2 contient 8 fois une évocation de Never Let Me Go dont la première est enmanchée avec l’idée de What Is This Thing Called Love, mais il la ratrappe à chaque fois et encore 7 fois de suite en se posant encore la question What is This Thing Called Love ? Sous son dehors de bon élève rangé, Seppe a une forme d’humour à froid qui se décèle comme il se doit chez un Gantois pur jus. Distingué, le gentleman. Bye Bye Blackbyrd et The Folks Who Live On The Hill pour (en) finir. Chaque "version" ludique d'un de ces Standards est souvent très différente des précédentes. Au fil des plages, la sauce prend de mieux en mieux et la musique épaissit son mystère, enfume ses arcanes, délivre son message empoisonné. Never Entered My Mind : c’est bien ce qui se passe ici littéralement, on est médusé et … Born To Be Blue après The Days of Wine and Roses, car Everything Happens To Me. Un hymne de Bird coup sur coup en tryptique maudit : Donna Lee et soudainement des fantômes ressurgissent : Everything Happens To Me et Never Let Me Go à nouveau au milieu des touches et des résonnances. Car, c’est bien un des points importants de son travail : Seppe laisse résonner les cordes des deux pianos créant des empathies de sonorités décoiffantes, surréelles, vibrantes au bord du grincement métallique ou d'un brouillard polytonal. Il y a bien sûr des moments plus grisants que d’autres, mais pour arriver à ces résultats incontournables et irrévocables, l’artiste a dû se mettre en péril, solliciter toutes ses ressources, écouter les deux instruments simultanément et leurs vibrations parfois imprévisibles, tergiverser, communier avec elles, découvrir l’étendue de potentialités qui s’échappent, s’en souvenir, tâcher de les recontextualiser, laisser venir à lui les souvenirs de ces chansons d’un autre temps, celui de son apprentissage du jazz et de sa pratique journalière, celui des disques entendus, parfois entrevus en ouvrant une porte… Un cheminement improbable, obsessionnel, exhaustif comme s’il ne voulait rien en perdre. Le Petit Poucet et ses nombreux petits galets usés par le ressac et serrés au fond de ses poches.
Je conseille à tous les fadas de musique contemporaine ou improvisée, les fanas des pianistes hors-cadre tels Paul Bley, Misha Mengelberg, Ran Blake, Fred Van Hove, Jacques Demierre, les expérimentateurs de tout poil, d’essayer d’acquérir ce triple CD Playing with Standards et surtout d’en écouter ne fut ce que quelques morceaux un instant et puis un des CD’s à la file (et le 2ème , enfin le 3ème) et y revenir de temps à autre jusqu’à ce que l’ensemble de l’oeuvre s’insinue définitivement dans votre perception et transforme votre imagination, votre jeu de références. Parce que l’aspect le plus authentiquement « free-music » radicale, c’est le son ! Une sonorité fluide (cfr I Wish Upon a Star en ligne ici plus haut)mais qui peut souvent se révéler brute, terrienne, magmatique, assonnante - dissonnante ... Et une technique qui évacue le virtuosisme pour laisser vibrer les sons dans toutes leurs occurrences, leurs interférences troubles,sauvages comme si les deux carcasses métalliques de cordes tendues à craquer faisaient partie d’un environnement où l’industrie pianistique est revenue à l’état de nature. On peut découvrir un esprit voisin dans les recherches du pianiste Suisse Jacques Demierre. J’imagine encore Paul Lovens (avec qui Seppe a enregistré) déjeunant très à son aise et, quatre heures durant, passant et repassant vingt-trois fois Just a Gigolo et douze fois Everything Happens To Me en comptant les mesures avec ses doigts refermés percutant la surface de la table.
Un triple album indispensable à toute discothèque de « free-music » qui ne tolère que l’essentiel, le magique et l’imprévu. Une somme ! Il faut absolument que Seppe Gebruers puisse jouer un peu partout et ailleurs car son travail apporte de l'eau au grand moulin de la créativité la plus pointue pour qu'il puisse bonifier au fil des performances.
PS : Et chapeau à el Negocito Records et à Rogé pour la publication de ce recueil, emballé très originalement avec trois œuvres d’art inclues) …
Christoph Galio Dominique Girod Dieter Ulrich Day and Bus Creative Sources CS 720 CD
https://www.gallio.ch/percasogallioon-otherlabels/other-labels/day-bus/
Day and Bus est dans la lignée continuation du trio Day and Taxi, une incontournable enseigne du free helvétique animé depuis des lustres par le saxophoniste – compositeur Christoph Gallio, avec, entre autres, Girod et Ulrich. Gallio y joue comme d’habitude les saxophones soprano et alto, plus le C-melody. Deux saxophones et deux faces de son talent, le couineur anguleux et pointu-pointilliste au soprano quasi coxhillien dont les doigtés se chevauchent plus que de raison et le rentre-dedans expressionniste à l’alto chauffé à blanc et l’anche sans doute chauffée au briquet pour en durcir le tranchant. Car sa sonorité tranche comme la lame d’un bûcheron et les deux acolytes le poussent et le taraudent. Et surgit ensuite le C-melody sax, un ténor contrefait. Contrebassiste puissant et efficace, à ses côtés depuis des décennies (Day and Taxi), Dominique Girod soutient les incartades du souffleur comme du pain béni et le batteur, Dieter Ulrich, est un homme à tout faire de talent dans la free-music helvétique, subtil, à l’écoute et tout terrain. Une longue suite improvisée enregistrée le 18 mai 2021 au studio The Zoo à Berne durant une performance mémorable de 32 minutes 32 secondes. Fort heureusement, cette heureuse initiative est publiée avec son allure bon enfant, ses déchirures et sa superbe. Le « free » free-jazz ne supporte pas la complaisance, la redondance, la fausse liberté pour en revendiquer sa raison d’être. Day and Bus, sous sa dénomination anodine , cache bien son jeu : arcbouté, dru, sauvage, mordant, subtil et sans façon, le trio incarne cette musique vivante, rebelle, entière qui improvise sa survie, collective, cohérente mais délirante, obstinée et explosive sans forcer le trait. Les variations, changements de cap et de décor renouvellent constamment son orientation et la moëlle des os, la candeur des gestes et leur inspiration instantanée. Je vote pour !
Acoustic Reverb Guilherme Rodrigues solo Creative Sources CS 762 CD
https://guilhermerodrigues.bandcamp.com/album/acoustic-reverb
Ce n’est pas le premier album solo du violoncelliste portuguais Guilherme Rodrigues. Acoustic Reverb,tout un programme, fait suite à Cascata (chroniqué dans ces lignes) et se compose de 58 (oui, cinquante huit) miniatures enregistrées dans onze églises de Berlin : Passionskirche, Magdalenenkirche, Christuskirche, Herz-Jesu-Kirche, Evangelische Stephanus-Kirchegemeinde, St Christophorus Kirche, Ms Heimatland, Zwinglikirche, Sophienkirche, Zionskirche and Marthakirche. Chaque morceau porte le nom de la Kirche où elle a été enregistrée et est numérotée en chiffres romains jusque LVIII. Il s’agit d’un beau travail sur la qualité du son, de son grain particulier dans l’espace réverbérant de l’Église avec ses dalles de pierre ou de marbre et ses voûtes. Une multiplicité de formes, une qualité de silence et les résonnances particulières qui ronronnent lorsque les notes graves sont frottées par – dessus la touche ou vrillent l’acoustique lorsque l’archet frotte tout près du chevalet. La manière et la pratique de Guilherme Rodrigues sillonnent plusieurs domaines musicaux : minimaliste, expérimental, classique, improvisé; ou elles évoquent le polyphonique, le médiéval, le chant naturel ou ce que vos références suggéreront. Disons qu’il s’agit du violoncelle universel et d’un tour de force. En effet, concevoir instantanément autant de pièces réussies, dont la forme est concentrée dans une durée brève entre une et deux minutes, dans un laps de temps relativement court (Mai 2022) est la marque d’un grand talent et d’une belle inspiration. On peut s’hasarder à citer Telemann, Bach, Webern, Scelsi, Xenakis et les créations de Sigfried Palm il y a un demi-siècle, mais aussi, pourquoi pas, le chant des baleines ou Terry Riley. Le chant de l’âme en tout cas. J’aime ces staccatos flûtés, ces fragments de mélodie qui s’élancent le long d’une colonne, ces graves vibrants et ces aigus crissant maîtrisés comme un chant d’oiseau. Voilà de quoi écouter en profondeur, réécouter et piocher au hasard des 58 plages de l'album. Un bijou aux très nombreuses facettes qui révèlent leurs secrets au goutte à goutte. Bravo !
https://elnegocitorecords.com/
L'album est enfin ligne sur le compte bandcamp d'el Negocito : https://www.elnegocitorecords.com/releases/eNR116+.html
Voici de quoi vous informez un peu plus :
https://rataplanvzw.be/e/seppe-gebruers-playing-with-standards
https://www.youtube.com/watch?v=xgzLkVvNZ14&t=5s
Rassurez – vous ! Vous avez bien lu : Playing with Standards ! Mais ce n’est pas ce que vous pourriez penser ou imaginer. Une explication s’impose. Pianiste improvisateur pointu et engagé dans « l’avant-garde » , le belge Seppe Gebruers a enregistré ce projet de longue haleine avec DEUX pianos accordés au quart de ton. Cela veut dire que l’ensemble des cordes de chacun des deux pianos est accordé à un quart de ton l’un de l’autre, créant ainsi une curieuse dissonance. On l’a entendu récemment à Gand lors d’un concert en duo avec le pianiste Charlemagne Palestine, tous deux aux prises avec quatre pianos accordés en quart de ton, une occasion unique de rentrer dans cet univers de claviers microtonaux. Se dit microtonale, une échelle de notes utilisant des intervalles plus courts que le demi-ton. Il se fait que j’invite personnellement le guitariste Pascal Marzan et sa guitare microtonale dix cordes accordée au tiers de ton (et sixième de ton, bien sûr) à Bruxelles pour un concert le 6 décembre prochain !. Donc je me sens un peu concerné.
Si j’ai beaucoup aimé le concert en duo de Gand, rien ne me préparait à ce magnifique ouvrage en trois albums compacts. C’est tout simplement, un des événements discographiques les plus convaincants de l’histoire des musiques improvisées concernant le piano lui-même. J’ai beaucoup écouté live et en disque Fred Van Hove, un phénomène extraordinaire et quand j’entends d’autres pianistes qui ont une démarche voisine je me dis que j’ai eu la chance peu commune de l’avoir rencontré et écouté au fil des décennies.
Et ce que j’apprécie dans la démarche radicale de Seppe Gebruers, un homme modeste et un peu introverti, c’est son indépendance d’esprit par rapport aux "-ismes" et que sa trajectoire qui s’annonce dans ce projet, ne ressemble à aucune autre.
D'ailleurs, il existe un Playing with Standards Trio avec Paul Lytton himself à la batterie, c'est tout dire. Dans ces trois albums, Seppe « ne joue pas les standards », mais il joue « avec ». Commençant à enfoncer les touches une à une ou deux à deux avec précaution, il entend un enchaînement de notes et, soudainement, les intervalles de la mélodie ou des fragments des harmonies d’un Standard du répertoire jazz lui viennent à l’esprit. Sous ses doigts, on en perçoit le « fantôme », une partie de la trame, un zeste de mélodie suggérée au milieu des dissonances, des clusters, en travers du phrasé et des interactions entre ces notes microtonales qui font coïncider fugacement des intervalles tempérés. Parfois, il faut faire un effort d’imagination ou de perceptions, ou alors, comme dans la « version » de Just A Gigolo, c’est Monk lui-même qui apparaît, et là, c’est digne de, ou même plus fort que, notre cher Misha Mengelberg disparu il y a quelques temps. En ce qui me concerne, c’est contagieux. Avec When You wish Upon a Star, et In The Wee Small Hours qui inaugurent le CD 1, c’est le répertoire de la période swing, l’époque de Billie et Lester. Après Just a Gigolo , on a droit à trois « versions » de You and the Night and The Music à la suite l’une de l’autre . Il joue aussi (Playing With) avec des intermezzos, Just Friends et, curieusement, La Vie En Rose chantée autrefois par Satchmo. Le CD 2 contient 8 fois une évocation de Never Let Me Go dont la première est enmanchée avec l’idée de What Is This Thing Called Love, mais il la ratrappe à chaque fois et encore 7 fois de suite en se posant encore la question What is This Thing Called Love ? Sous son dehors de bon élève rangé, Seppe a une forme d’humour à froid qui se décèle comme il se doit chez un Gantois pur jus. Distingué, le gentleman. Bye Bye Blackbyrd et The Folks Who Live On The Hill pour (en) finir. Chaque "version" ludique d'un de ces Standards est souvent très différente des précédentes. Au fil des plages, la sauce prend de mieux en mieux et la musique épaissit son mystère, enfume ses arcanes, délivre son message empoisonné. Never Entered My Mind : c’est bien ce qui se passe ici littéralement, on est médusé et … Born To Be Blue après The Days of Wine and Roses, car Everything Happens To Me. Un hymne de Bird coup sur coup en tryptique maudit : Donna Lee et soudainement des fantômes ressurgissent : Everything Happens To Me et Never Let Me Go à nouveau au milieu des touches et des résonnances. Car, c’est bien un des points importants de son travail : Seppe laisse résonner les cordes des deux pianos créant des empathies de sonorités décoiffantes, surréelles, vibrantes au bord du grincement métallique ou d'un brouillard polytonal. Il y a bien sûr des moments plus grisants que d’autres, mais pour arriver à ces résultats incontournables et irrévocables, l’artiste a dû se mettre en péril, solliciter toutes ses ressources, écouter les deux instruments simultanément et leurs vibrations parfois imprévisibles, tergiverser, communier avec elles, découvrir l’étendue de potentialités qui s’échappent, s’en souvenir, tâcher de les recontextualiser, laisser venir à lui les souvenirs de ces chansons d’un autre temps, celui de son apprentissage du jazz et de sa pratique journalière, celui des disques entendus, parfois entrevus en ouvrant une porte… Un cheminement improbable, obsessionnel, exhaustif comme s’il ne voulait rien en perdre. Le Petit Poucet et ses nombreux petits galets usés par le ressac et serrés au fond de ses poches.
Je conseille à tous les fadas de musique contemporaine ou improvisée, les fanas des pianistes hors-cadre tels Paul Bley, Misha Mengelberg, Ran Blake, Fred Van Hove, Jacques Demierre, les expérimentateurs de tout poil, d’essayer d’acquérir ce triple CD Playing with Standards et surtout d’en écouter ne fut ce que quelques morceaux un instant et puis un des CD’s à la file (et le 2ème , enfin le 3ème) et y revenir de temps à autre jusqu’à ce que l’ensemble de l’oeuvre s’insinue définitivement dans votre perception et transforme votre imagination, votre jeu de références. Parce que l’aspect le plus authentiquement « free-music » radicale, c’est le son ! Une sonorité fluide (cfr I Wish Upon a Star en ligne ici plus haut)mais qui peut souvent se révéler brute, terrienne, magmatique, assonnante - dissonnante ... Et une technique qui évacue le virtuosisme pour laisser vibrer les sons dans toutes leurs occurrences, leurs interférences troubles,sauvages comme si les deux carcasses métalliques de cordes tendues à craquer faisaient partie d’un environnement où l’industrie pianistique est revenue à l’état de nature. On peut découvrir un esprit voisin dans les recherches du pianiste Suisse Jacques Demierre. J’imagine encore Paul Lovens (avec qui Seppe a enregistré) déjeunant très à son aise et, quatre heures durant, passant et repassant vingt-trois fois Just a Gigolo et douze fois Everything Happens To Me en comptant les mesures avec ses doigts refermés percutant la surface de la table.
Un triple album indispensable à toute discothèque de « free-music » qui ne tolère que l’essentiel, le magique et l’imprévu. Une somme ! Il faut absolument que Seppe Gebruers puisse jouer un peu partout et ailleurs car son travail apporte de l'eau au grand moulin de la créativité la plus pointue pour qu'il puisse bonifier au fil des performances.
PS : Et chapeau à el Negocito Records et à Rogé pour la publication de ce recueil, emballé très originalement avec trois œuvres d’art inclues) …
Christoph Galio Dominique Girod Dieter Ulrich Day and Bus Creative Sources CS 720 CD
https://www.gallio.ch/percasogallioon-otherlabels/other-labels/day-bus/
Day and Bus est dans la lignée continuation du trio Day and Taxi, une incontournable enseigne du free helvétique animé depuis des lustres par le saxophoniste – compositeur Christoph Gallio, avec, entre autres, Girod et Ulrich. Gallio y joue comme d’habitude les saxophones soprano et alto, plus le C-melody. Deux saxophones et deux faces de son talent, le couineur anguleux et pointu-pointilliste au soprano quasi coxhillien dont les doigtés se chevauchent plus que de raison et le rentre-dedans expressionniste à l’alto chauffé à blanc et l’anche sans doute chauffée au briquet pour en durcir le tranchant. Car sa sonorité tranche comme la lame d’un bûcheron et les deux acolytes le poussent et le taraudent. Et surgit ensuite le C-melody sax, un ténor contrefait. Contrebassiste puissant et efficace, à ses côtés depuis des décennies (Day and Taxi), Dominique Girod soutient les incartades du souffleur comme du pain béni et le batteur, Dieter Ulrich, est un homme à tout faire de talent dans la free-music helvétique, subtil, à l’écoute et tout terrain. Une longue suite improvisée enregistrée le 18 mai 2021 au studio The Zoo à Berne durant une performance mémorable de 32 minutes 32 secondes. Fort heureusement, cette heureuse initiative est publiée avec son allure bon enfant, ses déchirures et sa superbe. Le « free » free-jazz ne supporte pas la complaisance, la redondance, la fausse liberté pour en revendiquer sa raison d’être. Day and Bus, sous sa dénomination anodine , cache bien son jeu : arcbouté, dru, sauvage, mordant, subtil et sans façon, le trio incarne cette musique vivante, rebelle, entière qui improvise sa survie, collective, cohérente mais délirante, obstinée et explosive sans forcer le trait. Les variations, changements de cap et de décor renouvellent constamment son orientation et la moëlle des os, la candeur des gestes et leur inspiration instantanée. Je vote pour !
Acoustic Reverb Guilherme Rodrigues solo Creative Sources CS 762 CD
https://guilhermerodrigues.bandcamp.com/album/acoustic-reverb
Ce n’est pas le premier album solo du violoncelliste portuguais Guilherme Rodrigues. Acoustic Reverb,tout un programme, fait suite à Cascata (chroniqué dans ces lignes) et se compose de 58 (oui, cinquante huit) miniatures enregistrées dans onze églises de Berlin : Passionskirche, Magdalenenkirche, Christuskirche, Herz-Jesu-Kirche, Evangelische Stephanus-Kirchegemeinde, St Christophorus Kirche, Ms Heimatland, Zwinglikirche, Sophienkirche, Zionskirche and Marthakirche. Chaque morceau porte le nom de la Kirche où elle a été enregistrée et est numérotée en chiffres romains jusque LVIII. Il s’agit d’un beau travail sur la qualité du son, de son grain particulier dans l’espace réverbérant de l’Église avec ses dalles de pierre ou de marbre et ses voûtes. Une multiplicité de formes, une qualité de silence et les résonnances particulières qui ronronnent lorsque les notes graves sont frottées par – dessus la touche ou vrillent l’acoustique lorsque l’archet frotte tout près du chevalet. La manière et la pratique de Guilherme Rodrigues sillonnent plusieurs domaines musicaux : minimaliste, expérimental, classique, improvisé; ou elles évoquent le polyphonique, le médiéval, le chant naturel ou ce que vos références suggéreront. Disons qu’il s’agit du violoncelle universel et d’un tour de force. En effet, concevoir instantanément autant de pièces réussies, dont la forme est concentrée dans une durée brève entre une et deux minutes, dans un laps de temps relativement court (Mai 2022) est la marque d’un grand talent et d’une belle inspiration. On peut s’hasarder à citer Telemann, Bach, Webern, Scelsi, Xenakis et les créations de Sigfried Palm il y a un demi-siècle, mais aussi, pourquoi pas, le chant des baleines ou Terry Riley. Le chant de l’âme en tout cas. J’aime ces staccatos flûtés, ces fragments de mélodie qui s’élancent le long d’une colonne, ces graves vibrants et ces aigus crissant maîtrisés comme un chant d’oiseau. Voilà de quoi écouter en profondeur, réécouter et piocher au hasard des 58 plages de l'album. Un bijou aux très nombreuses facettes qui révèlent leurs secrets au goutte à goutte. Bravo !
28 novembre 2022
Reed Rapture in Brooklyn Ivo Perelman w. Vinny Golia Jon Irabagon Dave Liebman Tim Berne Joe Lovano Joe McPhee James Carter Roscoe Mitchell Colin Stetson Lotte Anker David Murray & Ken Vandermark/ Markus Eichenberger - Christoph Gallio/ Tell No Lies Edoardo Marraffa Filippo Orefice Nicolà Guazzaloca Luca Bernard Andrea Grillini
Reed Rapture in Brooklyn Ivo Perelman
https://ivoperelman.bandcamp.com/album/reed-rapture-in-brooklyn
Ivo Perelman tenor sax in duo on 12 CD's with:
Vinny Golia: soprillo, clarinet, basset horn, alto clarinet
Jon Irabagon : slide soprano sax , sopranino sax
Dave Liebman: soprano sax
Tim Berne: alto sax
Joe Lovano: C melody sax, F soprano sax
Joe McPhee: tenor sax
James Carter: baritone sax
Roscoe Mitchell: bass sax
Colin Stetson: contrabass sax, tubax
Lotte Anker: soprano, alto sax
David Murray: bass clarinet
Ken Vandermark: clarinet
Recorded, Mixed and Mastered by Jim Clouse at Park West Studios, Brooklyn, NY
Avec une telle assemblée de douze saxophonistes / clarinettistes de jazz (contemporain , free, …) américains (et une danoise !) aussi remarquables, voire légendaires, le Brésilien Ivo Perelman vient de monter un coup médiatique sans précédent en publiant un coffret de 12 CD contenant uniquement des duos improvisés, chaque compact documentant les échanges de chacun d’entre eux avec Ivo qui joue ici exclusivement du sax ténor. On ne l’entend d’ailleurs jamais qu’au sax ténor dans les innombrables albums qu’il a enregistré avec Matt Shipp, Michal Bisio, William Parker, Whit Dickey, Gerard Cleaver, Joe Morris, Mat Maneri, Bobby Kapp ou Andrew Cyrille… Tous basés sur la libre improvisation spontanée , sans thème, structure ou composition. Improvisation lyrique d’essence jazz qui découle des avancées d’un Albert Ayler et qui profite de l’expérience accumulée par les sax ténor les plus cruciaux : Coltrane, Rollins, Gordon, Getz, Mobley, etc… Ces dernières années, il s’est concentré dans des projets de duos ou de groupes avec des violonistes, altistes et violoncellistes (Mat Maneri, Mark Feldman, Hank Roberts, Phil Wachsmann, Benedict Taylor…) des guitaristes (Joe Morris et Pascal Marzan) et un clarinettiste basse, Rudi Mahall. Ce duo avec Rudi Mahall publié par Leo Records était sa première tentative de dialogue enregistré avec un instrument à anche, tellement réussie qu’un double CD fut produit. Une autre expérience enregistrée eut lieu avec le clarinettiste Chicagoan Jason Stein et est assez remarquable.
Il faut insister sur le fait qu’Ivo se consacre exclusivement à la musique improvisée telle qu’il la conçoit sans jamais rien concéder à des opportunités aux côtés de collègues qui ne correspondent pas à sa démarche basée sur l’improvisation libre d’égal à égal avec un ou plusieurs partenaires. Échanges - dialogues basés sur une écoute mutuelle intense et l’imagination dans les formes, couleurs et intensités. En invitant tous ses saxophonistes et clarinettistes « de rêve », Ivo avait une solide idée dans la tête. On retrouve donc ici la propension des improvisateurs afro-américains à enregistrer des duos à l’ère Braxton, Lewis, Lacy, Mitchell, Lake etc… des « créatives » années 70, avant que le post-bop retourne en force dans les années 80. Sans doute, pour diversifier les très nombreux duos sélectionnés et publiés ici, il a demandé à chacun d’eux, très souvent des multi-instrumentistes, de jouer un des instruments pour lesquels chaque collègue a une affinité particulière et qui pourrait complémenter intelligemment la sonorité de chaque duo ou contraster avantageusement celle du ténor. Le seul autre saxophone ténor de cette expérience est celui de Joe McPhee, le quel joue du soprano, de l’alto, de la clarinette et de la trompette. Il a bien eu raison, car c’est sur cet instrument que personnellement je préfère Joe (ah ce LP Ténor - Hat Hut C de ma jeunesse écouté des dizaines de fois, usé et racheté à nouveau !). Tim Berne joue aussi (bien naturellement) du sax alto, Dave Liebman du sax soprano (auquel il s’est consacré exclusivement durant des années), Joe Lovano du C Melody sax, Roscoe Mitchell du sax basse, David Murray de la clarinette basse, James Carter du baryton, Colin Stetson du sax contrebasse et du tubax, Ken Vandermark de la clarinette. Étrangement Joe Irabagon, ténor sax très impressionnant de son état, est ici au sopranino et joue même du slide soprano sax (!) et le poly-multi instrumentiste Vinny Golia a déniché un soprillo dans sa panoplie. Ainsi, sont revisités tous les instruments à anche des familles du saxophone et de la clarinette en compagnie du sax ténor joué par notre brésilien.
Aussi, la musique jouée par chaque duo correspond à la personnalité musicale de chaque invité, univers dans lequel Ivo Perelman se moule adroitement, diversifiant ainsi sa pratique et son expérience. D’un autre côté chaque invité joue un instrument spécifique afin d’élargir la palette globale d’un projet collectif dans lequel chaque improvisateur a un rôle à jouer, s’effaçant au sein de la grande famille des souffleurs de jazz. On trouve des similitudes avec les Company de Derek Bailey où les musiciens s’essayent à l’improvisation « totale » basée sur l’écoute mutuelle et une interaction instantanée et spontanée en relation avec le background et le « langage » de chaque intervenant et sa capacité et sa volonté d’explorer l’inconnu. La « jam-session » ou rencontre informelle est à la fois une tradition dans la musique de jazz et une des sources de son évolution vers sa modernité révolutionnaire en absorbant de nouvelles techniques compositionnelles, harmoniques et instrumentales jusqu’à ce que ce dernier enfante l’univers de la libre improvisation. Même à l’époque où les musiciens de jazz jouaient et enregistraient des œuvres relativement formelles et structurées avec rythmes réguliers, harmonies occidentales, barres de mesures etc…, nombre de musiciens s’essayaient en privé à jouer spontanément hors des sentiers battus en repoussant plus loin la logique et les limites de leur imaginaire. Dès les années cinquante, on en trouve des traces au hasard de disques de Giuffre, Tristano ou Mingus, jusqu’à ce que tout explose avec Cecil Taylor, Albert Ayler et Coltrane.
À propos de ce projet Reed Rapture, Ivo Perelman a exprimé clairement le sentiment et l’idée qu’à travers ces douze rencontres, il retrouvait le message de ses aînés les plus chers (Bird, Trane, Newk, Bean, Ben the Frog, Pres, Hank, Stan, Albert, Book…) par le truchement de ses collègues qui ont absorbé des éléments et des aspects du travail des anciens qui lui auraient échappé. Une mise en commun d’un savoir artisanal intime par-delà les générations autant que l’urgence de l’exploration de nouvelles correspondances sonores et poétiques, processus exacerbé par l’exigence que pose le choix des instruments pour chacun des intervenants et leur variété. Et aussi une propension à attraper le tournis dans les méandres incertains de ces souffles continus jusqu’à plus soif !
En écoutant chaque rencontre, piochant les morceaux un peu au hasard dû au fait que l’application QuickTime Player ne bénéficie pas de la possibilité de créer une playlist pour chaque duo, je suis ébahi par la profonde sincérité de tous. Chacun s’adonne à ce jeu de tout son cœur en essayant avec beaucoup d’énergie mentale et de concentration à donner le meilleur de lui-même. Oubliant sans doute son image d’artiste catalogué, la nature de son travail d’artiste « professionnel » impliqué dans des projets précis dont il espère retirer quelques revenus, sa trajectoire musicale, des personnalités comme David Murray, Joe Lovano ou James Carter étonneront leurs supporters. Il suffit d’entendre Tim Berne écraser méthodiquement une harmonique et ensuite insuffler un timbre diaphane sans qu’on puisse deviner qu’il s’agit d’un sax alto ou les secs coups de langue de David Murray qui enfantent une comptine infinie. Ou un Joe Lovano qui désarticule ses réflexes de souffleur biberonné au post-bop moderniste. Vous trouverez ici le caractère de chaque instrument à toutes les sauces et l’immense capacité du souffleur Brésilien à « rester lui-même », c’est-à-dire jouer « de tout » sans se trahir, face aux propositions musicales des autres duettistes et nous montrer de quoi il est capable face à ce foisonnement d’idées. D’autre part, les invités sont tous forcés de tenir compte de la prédilection de Perelman à étirer et moduler les harmoniques aiguës au-delà d’un registre « raisonnable ». C’est parfait pour la « petite clarinette » volubile de Ken Vandermark et très contrasté pour le sax basse de Roscoe Mitchell dans un dialogue tangentiel troué de silences qui dure 39 minutes où son sens de l’écoute et sa science de l’empâtement du son de cet énorme saxophone font merveille. L'angularité rageuse de Lotte Anker contraste avec la sinuosité d'un Joe Lovano. Une fois que les repères les plus évidents se révèlent au fil de la rencontre, chaque duettiste est sommé d’aller plus loin, d’imaginer des variations et de renouveler le paysage sonore pour ne pas (s’)ennuyer et fatiguer l’auditeur. Et je dois dire qu’ils ne s’en sortent plutôt bien dans le cadre d’une session de studio relativement minutée. Il s’agit de créateurs professionnels qui ont l’énergie de créer instantanément à un moment donné au milieu des aléas de la vie, des tournées et des usantes attentes infinies (gare, aéroport, taxi, bar, trottoir, backstage, chambre d’hôtel), face à de nouveaux challenges.
Ces douze rencontres vous apporteront leurs doses d’énergies, de ravissements, de découvertes et de surprises - c’est bien le moins qu’on puisse attendre de cette suite presqu’infinie de rencontres librement improvisées - en n’hésitant pas à conserver les pièces points de départ, esquisses et tentatives qui entraînent des déclics vers des instants passionnés et fascinants, tel un carnet de bord de l’utopie et retraçage de l’inspiration évolutive. Je vous laisse maintenant là avec mon texte et vos réflexions, car j'ai du pain sur la planche : écoute exhaustive des douze albums de Reed Rapture dont une des choses les pas moins fascinantes est de constituer un sacré pensum pour jazz-critic en mal de copie. Sera publié en coffret et, parait-il, séparément en CD's "single".
Voici, pour brouiller les pistes un duo d'anches complètement à l'opposé du spectre sonore et de l'inspiration de Reed Rapture :
Markus Eichenberger - Christoph Gallio Unison Polyphony ezz-thetics 1038
https://eichenberger.li/tontraeger/
Ce n’est pas la première fois que le clarinettiste suisse Markus Eichenberger enregistre pour ezz thetics / hatology. Son précédent album Suspended (2018) le réunissait avec le contrebassiste Daniel Studer, membre influent du duo de contrebasses Studer – Frey et du String Trio avec Harald Kimmig & Alfred Zimmerlin deux parmi mes groupes (suisses) préférés aux côtés du tandem Urs Leimgruber et Jacques Demierre, ou des individualités comme Charlotte Hug et Florian Stoffner. Le voici avec un autre Suisse impliqué depuis des décennies dans cette scène improvisée / free jazz helvétique : le saxophoniste Christoph Gallio (Day and Taxi), ici au soprano et au C-melody sax pour le dernier morceau.
Unison et Polyphony : voilà un bien curieux antagonisme. En variant légèrement la hauteur, la dynamique et le timbre de leurs notes à l’unisson, les deux souffleurs instaure une curieuse polyphonie minimaliste. À l’écoute, on dira qu’il s’agit d’une démarche conceptuelle, mais les titres des 10 morceaux révèlent leur état d’esprit empreint d’une forme de détachement descriptif : New Ways, When the Day is Short, When the Day is Long, How To Sleep Better, How Does My Cat Think, Strange Cave System, Gift of The Artists, Update, A Walkable Swamp, The Balance of a Clay Figure, quasi tous aussi non-sensiques. Une musique improbable défile, poseuse de questions, ignorante des réponses, traitant le son en dégradé avec de longues notes tenues parsemées de silence, notes qu’ils décalent minutieusement par un heureux hasard avec de timides pas de côté, entretenant un son diaphane et des légers et curieux hoquets parsemés de fragments de phrase. Plusieurs des 10 morceaux s’interrompent par surprise et s’immobilisent au bord du silence. Travail sur la dynamique. Le dialogue s’imbrique petit à petit au hasard d’un des morceaux et disparaît pour laisser place à cet Unison, suave idée fixe du projet. Une narration intuitive à propos de tout et de rien qui change nos habitudes et suggère une Polyphonie imaginaire dont quelques éléments s’invitent subrepticement dans le décor. La virtuosité si chère aux poids lourds du saxophone et de la clarinette est évacuée au profit d’une leçon de chose somme toute poétique et improbable.
Tell No Lies : Hide Nothing Edoardo Marraffa Filippo Orefice Nicolà Guazzaloca Luca Bernard Andrea Grillini Aut Records Aut083.
https://www.autrecords.com/store/tell-no-lies-hide-nothing/
Le quatrième cédé de ce quintet de jazz qui n’a rien d’autre à raconter que la vérité et pour cette occasion, rien à cacher ! Leur musique est chaloupée à souhait et fait songer au fabuleux Brotherhood of Breath de Chris Mc Gregor, fortement imprégnée de rhumba, d’influence latines et proche de la musiques kwela d’Afrique du Sud. Et bien sûr avec les deux acolytes du duo Les Ravageurs, le saxophoniste ténor Edoardo Marraffa et Nicolà Guazzaloca, il faut s’attendre à des dérapages free qui enrichissent leur musique. Nicolà est un de mes pianistes « free » préférés en Europe. Les labels Aut et Amirani ont publié plusieurs albums incontournables de Nicolà en solo (Tecniche Arcaïche et Tecniche Archaïche Live) ainsi que le trio avec Tim Trevor-Briscoe au saxophone et Szilard Mezei à l’alto, une référence dans l’improvisation. Et bien sûr le duo avec Marraffa ( Les Ravageurs sur Klopotec).
Ayant commencé sa carrière dans le jazz moderne pour bifurquer dans l’improvisation libre, Nicolà Guazzaloca a mis au point de superbes compositions sorties tout droit des townships que les Tell No Lies jouent aussi impeccablement que spontanément (et joyeusement). Filippo Orefice et E.Marraffa (sax ténor), Luca Bernard (contrebasse, Andrea Grillini (batterie) et le pianiste forment un groupe très soudé et sont rejoints par d’autres instrumentistes sur quelques morceaux comme le saxophoniste baryton Christian Ferlaino et le tromboniste Federico Pierantoni ou encore le violoncelliste Francesco Guerri, partenaire d’un autre duo avec Guazzaloca. Neuf compositions bien charpentées dont quatre sont enchaînées en medley (Pachenia/ Pomposa et Medea/ Levante) pour des durées moyennes entre cinq et huit minutes. Musique entraînante et inspirée avec un son et des couleurs distinctives, des breaks et des solos free, des nuances dans le traitement de l’improvisation, rythmes impairs. Et les thèmes sont exquis et chantants à souhait : la rhumba à l’état pur ! Les interventions des souffleurs du groupe et leurs invités sont complètement en phase avec la sensibilité et l’esprit de la musique tout en improvisant en décalage free. Chaque intervention détonnante free du pianiste vaut son pesant de mangues et d’ananas, coïncidant précisément avec la pulsation. Bref, voilà de quoi ravir le public de festivals comme Moers, Willisau, Wels, Banlieues Bleues, etc.. pour trouver une réponse enthousiasmante à la question de Prunelle dans les gags de Lagaffe : « Et si on danse ? » . Les deux ténors rivalisent dans Malatesta, premier morceau du CD où le batteur chahute la rythmique en bousculant le groupe et où le pianiste commet un virevoltant raid cubain bien saccadé sur les touches. Je vous dis que ça : avec le sérieux des Tell No Lies, pas de bobards, on s’amuse !
https://ivoperelman.bandcamp.com/album/reed-rapture-in-brooklyn
Ivo Perelman tenor sax in duo on 12 CD's with:
Vinny Golia: soprillo, clarinet, basset horn, alto clarinet
Jon Irabagon : slide soprano sax , sopranino sax
Dave Liebman: soprano sax
Tim Berne: alto sax
Joe Lovano: C melody sax, F soprano sax
Joe McPhee: tenor sax
James Carter: baritone sax
Roscoe Mitchell: bass sax
Colin Stetson: contrabass sax, tubax
Lotte Anker: soprano, alto sax
David Murray: bass clarinet
Ken Vandermark: clarinet
Recorded, Mixed and Mastered by Jim Clouse at Park West Studios, Brooklyn, NY
Avec une telle assemblée de douze saxophonistes / clarinettistes de jazz (contemporain , free, …) américains (et une danoise !) aussi remarquables, voire légendaires, le Brésilien Ivo Perelman vient de monter un coup médiatique sans précédent en publiant un coffret de 12 CD contenant uniquement des duos improvisés, chaque compact documentant les échanges de chacun d’entre eux avec Ivo qui joue ici exclusivement du sax ténor. On ne l’entend d’ailleurs jamais qu’au sax ténor dans les innombrables albums qu’il a enregistré avec Matt Shipp, Michal Bisio, William Parker, Whit Dickey, Gerard Cleaver, Joe Morris, Mat Maneri, Bobby Kapp ou Andrew Cyrille… Tous basés sur la libre improvisation spontanée , sans thème, structure ou composition. Improvisation lyrique d’essence jazz qui découle des avancées d’un Albert Ayler et qui profite de l’expérience accumulée par les sax ténor les plus cruciaux : Coltrane, Rollins, Gordon, Getz, Mobley, etc… Ces dernières années, il s’est concentré dans des projets de duos ou de groupes avec des violonistes, altistes et violoncellistes (Mat Maneri, Mark Feldman, Hank Roberts, Phil Wachsmann, Benedict Taylor…) des guitaristes (Joe Morris et Pascal Marzan) et un clarinettiste basse, Rudi Mahall. Ce duo avec Rudi Mahall publié par Leo Records était sa première tentative de dialogue enregistré avec un instrument à anche, tellement réussie qu’un double CD fut produit. Une autre expérience enregistrée eut lieu avec le clarinettiste Chicagoan Jason Stein et est assez remarquable.
Il faut insister sur le fait qu’Ivo se consacre exclusivement à la musique improvisée telle qu’il la conçoit sans jamais rien concéder à des opportunités aux côtés de collègues qui ne correspondent pas à sa démarche basée sur l’improvisation libre d’égal à égal avec un ou plusieurs partenaires. Échanges - dialogues basés sur une écoute mutuelle intense et l’imagination dans les formes, couleurs et intensités. En invitant tous ses saxophonistes et clarinettistes « de rêve », Ivo avait une solide idée dans la tête. On retrouve donc ici la propension des improvisateurs afro-américains à enregistrer des duos à l’ère Braxton, Lewis, Lacy, Mitchell, Lake etc… des « créatives » années 70, avant que le post-bop retourne en force dans les années 80. Sans doute, pour diversifier les très nombreux duos sélectionnés et publiés ici, il a demandé à chacun d’eux, très souvent des multi-instrumentistes, de jouer un des instruments pour lesquels chaque collègue a une affinité particulière et qui pourrait complémenter intelligemment la sonorité de chaque duo ou contraster avantageusement celle du ténor. Le seul autre saxophone ténor de cette expérience est celui de Joe McPhee, le quel joue du soprano, de l’alto, de la clarinette et de la trompette. Il a bien eu raison, car c’est sur cet instrument que personnellement je préfère Joe (ah ce LP Ténor - Hat Hut C de ma jeunesse écouté des dizaines de fois, usé et racheté à nouveau !). Tim Berne joue aussi (bien naturellement) du sax alto, Dave Liebman du sax soprano (auquel il s’est consacré exclusivement durant des années), Joe Lovano du C Melody sax, Roscoe Mitchell du sax basse, David Murray de la clarinette basse, James Carter du baryton, Colin Stetson du sax contrebasse et du tubax, Ken Vandermark de la clarinette. Étrangement Joe Irabagon, ténor sax très impressionnant de son état, est ici au sopranino et joue même du slide soprano sax (!) et le poly-multi instrumentiste Vinny Golia a déniché un soprillo dans sa panoplie. Ainsi, sont revisités tous les instruments à anche des familles du saxophone et de la clarinette en compagnie du sax ténor joué par notre brésilien.
Aussi, la musique jouée par chaque duo correspond à la personnalité musicale de chaque invité, univers dans lequel Ivo Perelman se moule adroitement, diversifiant ainsi sa pratique et son expérience. D’un autre côté chaque invité joue un instrument spécifique afin d’élargir la palette globale d’un projet collectif dans lequel chaque improvisateur a un rôle à jouer, s’effaçant au sein de la grande famille des souffleurs de jazz. On trouve des similitudes avec les Company de Derek Bailey où les musiciens s’essayent à l’improvisation « totale » basée sur l’écoute mutuelle et une interaction instantanée et spontanée en relation avec le background et le « langage » de chaque intervenant et sa capacité et sa volonté d’explorer l’inconnu. La « jam-session » ou rencontre informelle est à la fois une tradition dans la musique de jazz et une des sources de son évolution vers sa modernité révolutionnaire en absorbant de nouvelles techniques compositionnelles, harmoniques et instrumentales jusqu’à ce que ce dernier enfante l’univers de la libre improvisation. Même à l’époque où les musiciens de jazz jouaient et enregistraient des œuvres relativement formelles et structurées avec rythmes réguliers, harmonies occidentales, barres de mesures etc…, nombre de musiciens s’essayaient en privé à jouer spontanément hors des sentiers battus en repoussant plus loin la logique et les limites de leur imaginaire. Dès les années cinquante, on en trouve des traces au hasard de disques de Giuffre, Tristano ou Mingus, jusqu’à ce que tout explose avec Cecil Taylor, Albert Ayler et Coltrane.
À propos de ce projet Reed Rapture, Ivo Perelman a exprimé clairement le sentiment et l’idée qu’à travers ces douze rencontres, il retrouvait le message de ses aînés les plus chers (Bird, Trane, Newk, Bean, Ben the Frog, Pres, Hank, Stan, Albert, Book…) par le truchement de ses collègues qui ont absorbé des éléments et des aspects du travail des anciens qui lui auraient échappé. Une mise en commun d’un savoir artisanal intime par-delà les générations autant que l’urgence de l’exploration de nouvelles correspondances sonores et poétiques, processus exacerbé par l’exigence que pose le choix des instruments pour chacun des intervenants et leur variété. Et aussi une propension à attraper le tournis dans les méandres incertains de ces souffles continus jusqu’à plus soif !
En écoutant chaque rencontre, piochant les morceaux un peu au hasard dû au fait que l’application QuickTime Player ne bénéficie pas de la possibilité de créer une playlist pour chaque duo, je suis ébahi par la profonde sincérité de tous. Chacun s’adonne à ce jeu de tout son cœur en essayant avec beaucoup d’énergie mentale et de concentration à donner le meilleur de lui-même. Oubliant sans doute son image d’artiste catalogué, la nature de son travail d’artiste « professionnel » impliqué dans des projets précis dont il espère retirer quelques revenus, sa trajectoire musicale, des personnalités comme David Murray, Joe Lovano ou James Carter étonneront leurs supporters. Il suffit d’entendre Tim Berne écraser méthodiquement une harmonique et ensuite insuffler un timbre diaphane sans qu’on puisse deviner qu’il s’agit d’un sax alto ou les secs coups de langue de David Murray qui enfantent une comptine infinie. Ou un Joe Lovano qui désarticule ses réflexes de souffleur biberonné au post-bop moderniste. Vous trouverez ici le caractère de chaque instrument à toutes les sauces et l’immense capacité du souffleur Brésilien à « rester lui-même », c’est-à-dire jouer « de tout » sans se trahir, face aux propositions musicales des autres duettistes et nous montrer de quoi il est capable face à ce foisonnement d’idées. D’autre part, les invités sont tous forcés de tenir compte de la prédilection de Perelman à étirer et moduler les harmoniques aiguës au-delà d’un registre « raisonnable ». C’est parfait pour la « petite clarinette » volubile de Ken Vandermark et très contrasté pour le sax basse de Roscoe Mitchell dans un dialogue tangentiel troué de silences qui dure 39 minutes où son sens de l’écoute et sa science de l’empâtement du son de cet énorme saxophone font merveille. L'angularité rageuse de Lotte Anker contraste avec la sinuosité d'un Joe Lovano. Une fois que les repères les plus évidents se révèlent au fil de la rencontre, chaque duettiste est sommé d’aller plus loin, d’imaginer des variations et de renouveler le paysage sonore pour ne pas (s’)ennuyer et fatiguer l’auditeur. Et je dois dire qu’ils ne s’en sortent plutôt bien dans le cadre d’une session de studio relativement minutée. Il s’agit de créateurs professionnels qui ont l’énergie de créer instantanément à un moment donné au milieu des aléas de la vie, des tournées et des usantes attentes infinies (gare, aéroport, taxi, bar, trottoir, backstage, chambre d’hôtel), face à de nouveaux challenges.
Ces douze rencontres vous apporteront leurs doses d’énergies, de ravissements, de découvertes et de surprises - c’est bien le moins qu’on puisse attendre de cette suite presqu’infinie de rencontres librement improvisées - en n’hésitant pas à conserver les pièces points de départ, esquisses et tentatives qui entraînent des déclics vers des instants passionnés et fascinants, tel un carnet de bord de l’utopie et retraçage de l’inspiration évolutive. Je vous laisse maintenant là avec mon texte et vos réflexions, car j'ai du pain sur la planche : écoute exhaustive des douze albums de Reed Rapture dont une des choses les pas moins fascinantes est de constituer un sacré pensum pour jazz-critic en mal de copie. Sera publié en coffret et, parait-il, séparément en CD's "single".
Voici, pour brouiller les pistes un duo d'anches complètement à l'opposé du spectre sonore et de l'inspiration de Reed Rapture :
Markus Eichenberger - Christoph Gallio Unison Polyphony ezz-thetics 1038
https://eichenberger.li/tontraeger/
Ce n’est pas la première fois que le clarinettiste suisse Markus Eichenberger enregistre pour ezz thetics / hatology. Son précédent album Suspended (2018) le réunissait avec le contrebassiste Daniel Studer, membre influent du duo de contrebasses Studer – Frey et du String Trio avec Harald Kimmig & Alfred Zimmerlin deux parmi mes groupes (suisses) préférés aux côtés du tandem Urs Leimgruber et Jacques Demierre, ou des individualités comme Charlotte Hug et Florian Stoffner. Le voici avec un autre Suisse impliqué depuis des décennies dans cette scène improvisée / free jazz helvétique : le saxophoniste Christoph Gallio (Day and Taxi), ici au soprano et au C-melody sax pour le dernier morceau.
Unison et Polyphony : voilà un bien curieux antagonisme. En variant légèrement la hauteur, la dynamique et le timbre de leurs notes à l’unisson, les deux souffleurs instaure une curieuse polyphonie minimaliste. À l’écoute, on dira qu’il s’agit d’une démarche conceptuelle, mais les titres des 10 morceaux révèlent leur état d’esprit empreint d’une forme de détachement descriptif : New Ways, When the Day is Short, When the Day is Long, How To Sleep Better, How Does My Cat Think, Strange Cave System, Gift of The Artists, Update, A Walkable Swamp, The Balance of a Clay Figure, quasi tous aussi non-sensiques. Une musique improbable défile, poseuse de questions, ignorante des réponses, traitant le son en dégradé avec de longues notes tenues parsemées de silence, notes qu’ils décalent minutieusement par un heureux hasard avec de timides pas de côté, entretenant un son diaphane et des légers et curieux hoquets parsemés de fragments de phrase. Plusieurs des 10 morceaux s’interrompent par surprise et s’immobilisent au bord du silence. Travail sur la dynamique. Le dialogue s’imbrique petit à petit au hasard d’un des morceaux et disparaît pour laisser place à cet Unison, suave idée fixe du projet. Une narration intuitive à propos de tout et de rien qui change nos habitudes et suggère une Polyphonie imaginaire dont quelques éléments s’invitent subrepticement dans le décor. La virtuosité si chère aux poids lourds du saxophone et de la clarinette est évacuée au profit d’une leçon de chose somme toute poétique et improbable.
Tell No Lies : Hide Nothing Edoardo Marraffa Filippo Orefice Nicolà Guazzaloca Luca Bernard Andrea Grillini Aut Records Aut083.
https://www.autrecords.com/store/tell-no-lies-hide-nothing/
Le quatrième cédé de ce quintet de jazz qui n’a rien d’autre à raconter que la vérité et pour cette occasion, rien à cacher ! Leur musique est chaloupée à souhait et fait songer au fabuleux Brotherhood of Breath de Chris Mc Gregor, fortement imprégnée de rhumba, d’influence latines et proche de la musiques kwela d’Afrique du Sud. Et bien sûr avec les deux acolytes du duo Les Ravageurs, le saxophoniste ténor Edoardo Marraffa et Nicolà Guazzaloca, il faut s’attendre à des dérapages free qui enrichissent leur musique. Nicolà est un de mes pianistes « free » préférés en Europe. Les labels Aut et Amirani ont publié plusieurs albums incontournables de Nicolà en solo (Tecniche Arcaïche et Tecniche Archaïche Live) ainsi que le trio avec Tim Trevor-Briscoe au saxophone et Szilard Mezei à l’alto, une référence dans l’improvisation. Et bien sûr le duo avec Marraffa ( Les Ravageurs sur Klopotec).
Ayant commencé sa carrière dans le jazz moderne pour bifurquer dans l’improvisation libre, Nicolà Guazzaloca a mis au point de superbes compositions sorties tout droit des townships que les Tell No Lies jouent aussi impeccablement que spontanément (et joyeusement). Filippo Orefice et E.Marraffa (sax ténor), Luca Bernard (contrebasse, Andrea Grillini (batterie) et le pianiste forment un groupe très soudé et sont rejoints par d’autres instrumentistes sur quelques morceaux comme le saxophoniste baryton Christian Ferlaino et le tromboniste Federico Pierantoni ou encore le violoncelliste Francesco Guerri, partenaire d’un autre duo avec Guazzaloca. Neuf compositions bien charpentées dont quatre sont enchaînées en medley (Pachenia/ Pomposa et Medea/ Levante) pour des durées moyennes entre cinq et huit minutes. Musique entraînante et inspirée avec un son et des couleurs distinctives, des breaks et des solos free, des nuances dans le traitement de l’improvisation, rythmes impairs. Et les thèmes sont exquis et chantants à souhait : la rhumba à l’état pur ! Les interventions des souffleurs du groupe et leurs invités sont complètement en phase avec la sensibilité et l’esprit de la musique tout en improvisant en décalage free. Chaque intervention détonnante free du pianiste vaut son pesant de mangues et d’ananas, coïncidant précisément avec la pulsation. Bref, voilà de quoi ravir le public de festivals comme Moers, Willisau, Wels, Banlieues Bleues, etc.. pour trouver une réponse enthousiasmante à la question de Prunelle dans les gags de Lagaffe : « Et si on danse ? » . Les deux ténors rivalisent dans Malatesta, premier morceau du CD où le batteur chahute la rythmique en bousculant le groupe et où le pianiste commet un virevoltant raid cubain bien saccadé sur les touches. Je vous dis que ça : avec le sérieux des Tell No Lies, pas de bobards, on s’amuse !
19 novembre 2022
Sergio Armaroli Veli Kujala Harri Sjöström Giancarlo Schiaffini / Danny Kamins Vinny Golia Garrett Wingfield/ Jürg Solothurmann & Josep Maria Balanyà/ Udo Schindler & Michel Wintsch
Sergio Armaroli Veli Kujala Harri Sjöström Giancarlo Schiaffini Windows & Mirrors Milano DialoguesLeo Records CR LR 931.
https://harrisjostrom.bandcamp.com/album/windows-mirrors
Sergio Armaroli est un excellent vibraphoniste italien découvert auprès de musiciens essentiels tels que les percussionnistes Andrea Centazzo, Roger Turner et Fritz Hauser, le saxophoniste finlandais Harri Sjöström et le tromboniste Giancarlo Schiaffini. Voici que s’ajoute à cette liste un compatriote de Sjöström, l’accordéoniste Veli Kujala qui avait participé à l’enregistrement des superbes Soundscapes Festival #3 réunies dans un double CD Fundacja Sluchaj avec un aéropage impressionnant (Sjöström, leur instigateur, Phil Wachsmann, Giancarlo Schiaffini, Sebi Tramontana, Floros Floridis Lawrence Casserley, Emilio Gordoa, Matthias Bauer, Wilbert de Joode, Matthias Bauer, Dag Magnus Narvesen, Kalle Kalima…) que je me suis fait le plaisir de chroniquer ici, il y a quelques mois. Partie remise dans un quartette de chambre aérien et éthéré avec trois des précités. Harri Sjöström a fait l’extraordinaire expérience de jouer régulièrement avec Cecil Taylor et travaille depuis des décennies avec Paul Lovens et Phil Wachsmann. Veli Kujala est un prodige de l’accordéon et Giancarlo Schiaffini est un pionnier de l’improvisation libre au trombone depuis les sixties au même titre que Paul Rutherford. Le travail de ce quartet atypique (sax soprano ou sopranino, trombone, vibraphone et accordéon) se focalise sur une musicalité distinguée, raffinée, chaque musicien se situant dans une position égalitaire dans le champ auditif. Rien de tel pour stimuler l’écoute mutuelle en partageant les rôles, les interventions et les initiatives dans une démarche d’équilibres instables et mouvants lors de dix improvisations intitulées Windows #1 jusque #5 et Mirrors #1 à #5. Ici le verre, matière translucide, accède à la lumière extérieure ou reflète votre image … ou votre action musicale. Une dimension mélodique free s’ébauche dans les articulations obliques et légèrement vocalisées du souffleur au sax soprano ou sopranino contrebalancées par les effets de coulisse, lèvres et sourdines de Giancarlo Schiaffini au trombone. Une dimension harmonique éthérée s’insère adroitement entre les souffles conjoints ou centrifuges, la face percussive et cristalline du vibraphone et celle venteuse et mystérieuse de l’accordéon. Les jeux respectifs de Veli Kujala et Sergio Armaroli se complètent étrangement de manière inattendue. Le son du vibraphone peut presque s’éteindre au bord du silence lorsque le timbre du trombone s’étire dans de longues notes soutenues discrètement dans le grave (Windows #2). La déambulation presque chaotique de Windows #3 s’appuie sur de vifs accents partagés entre l’articulation en soubresauts du sax soprano et les virevoltes subtiles du vibraphone, l’accordéon soufflant des contrepoints sinueux par intermittence. L’intérêt profond de la démarche collective de ce quartet d’exception tient dans une succession très habile d’univers différents d’une pièce à l’autre, chacune ayant ses caractéristiques propres comme s’il s’agissait de compositions aux éléments structurels et semi- formels bien définis. L'auditeur les reconnaît immédiatement lorsqu’il zappe d’un morceau à l’autre ou lorsque notre écoute s’estompe pour se ressaisir durant le morceau suivant. Une application ludique des principes issus du Pierrot Lunaire de Schönberg en roue libre. La sonorité de Sjöström est exquise, charnelle et éthérée et fait écho au timbre caractéristique vocalisé, aux glissandi et froncements du pavillon de Schiaffini, sans nul doute une des paires saxophone – trombone les plus mémorables depuis l’époque lointaine Lacy – Rudd des Schooldays. Leurs interactions conjointes, parallèles ou frontales avec l’accordéon mystérieux de Kujala et le vibraphone d’Armaroli , tout en légèreté, sont simplement providentielles et défient les lois de la pesanteur et de la géométrie dans l’espace. Comme quoi l’improvisation est à la base de la création de formes musicales qu’on croirait composées et partiellement préméditées. Laissons la réponse à cette suggestion en suspens, la musique parle pour elle-même. Tout l'intérêt de leurs superbes intervenstions individuelles réside dans leur agencement dans l'espace et le temps. C’est véritablement du grand art et on songe parfois aux mobiles de Calder.
The Ojai Sessions Danny Kamins Vinny Golia Garrett Wingfield
https://dannykaminsvinnygoliagarrettwingfield.bandcamp.com/album/the-ojai-sessions
Danny Kamins Alto & Baritone saxophones Vinny Golia Sopranino Soprano & Baritone saxophones Garrett Wingfield Alto Tenor & Baritone saxophones
Trio de saxophones à la gloire du sax baryton ! En effet, les trois souffleurs se partagent la gamme des saxophones de l’aigu au grave : Vinny Golia s’attribue le soprano et le sopranino, Danny Kamins, l’alto, Garrett Wingfield le ténor et l’alto et tous trois font allégeance au saxophone baryton. Une belle volière de souffles, de pépiements, de morsures free, de spirales intenses, d’articulations fragmentées, de soupirs délicats, de battements d’anche, de quintoiements, de longues notes tenues en suspension, de grondements impétueux…. Avec tous ces matériaux diversifiés et techniques inspirées, se construit patiemment une belle variété de formes collectives et instantanées et un réseau de connivences durant sept improvisations. Un très bel ouvrage qui dépasse les qualités intrinsèques des trois solides souffleurs pour atteindre une dimension ludique et auditive mutuelle optimale comme si des rêves inachevés s’interpénètrent les uns aux autres pour créer des narratifs imaginaires fait de sons, de bruissements, de mélodies fugaces, de canons et de staccatos rageurs. Pour notre plus grand plaisir, le trio s’essaye à faire coïncider différentes approches d’effets de souffles simultanément (Part IV), créant ainsi une vision kaléidoscopique de sonorités. Notes tenues, ostinati, growls, stridences, échelles de notes élégiaques ou en staccato, parties disjointes ou conjointes, structures mobiles, spirales, boucles : en sélectionnant un élément parmi ces matériaux formels chacun des saxophonistes tient un rôle défini un court moment pour l’échanger ensuite dans un infini chassé-croisé, jeu de passe-passe tourneboulant où les variations importantes de dynamique jouent un rôle majeur dans l’étendue des registres de timbre, fréquences et sonorités. Y aurait-il un plan préconçu pour ces pièces qui s’emboîtent à merveille ? Leurs flux semblent couler naturellement comme l’eau d’une source, jaillir comme un torrent ou s’écouler où bon lui semble. En utilisant des micro-structures bien définies au départ et dont les agencements et corrélations sont ouvertes, les trois souffleurs créent un univers sonore fantasmagorique et finissent par faire éclater et saturer les colonnes d’air (Part VII). Pour en saisir toute la finesse, Il faut bien se repasser ces sept merveilles plusieurs fois d’affilée et je m’y applique avec beaucoup de plaisir. Une réussite en tous points remarquable et somme toute, vraiment rare.
Pour finir , deux duos piano – saxophone.
Natural Born Inventions Jürg Solothurmann & Josep Maria Balanyà Creative Works CW 1065.
https://www.creativeworks.ch/home/cd-shop/cw1065ccd/
Duo d’improvisation entre le saxophoniste suisse Jürg Solothurmann et le pianiste catalan Josep-Maria Balanyà. Neuf morceaux bien calibrés étalent avantageusement les capacités musicales des deux improvisateurs principalement en duo, deux d’entre eux étant dévolu à un solo de chacun. Si leur musique appartient à la lingua franca de la free music, on trouve ici de quoi largement étancher notre soif d’écoute et de plaisir à plusieurs niveaux. La musicalité et l’inspiration est au rendez-vous. Josep-Maria Balanyà est un excellent pianiste qui a digéré toute cette musique vingtiémiste et la pratique contemporaine et jazzique du grand piano dans plusieurs acceptions et « écoles » et de cette expérience, il crée sa musique avec une vraie cohérence et une richesse inspirée. Bref, en suivant ces doigts défiler sur les touches blanches et noires ou parfois plonger dans la table d’harmonie, l’auditeur n’a pas le temps de s’ennuyer. Son jeu foisonnant plein d’idées fournit une nourriture sonore et spirituelle à son camarade, souffleur inspiré et subtil et mélodiste inné qui apprécie autant un timbre soyeux que les vrilles énergiques du free-jazz. Une fois qu’on a identifié le territoire des deux musiciens et leurs belles capacités de dialogue instantané, s’impose le contenu profond de leur musique et une mise en commun d’idées, de formes, d’approches, de timbres, de sons (et même de sons vocaux !) qu’ils associent de manière stimulante, intelligemment contrastée dans des échanges ludiques et des « questions – réponses » en forme de cadavres exquis. Ou aussi les vagues de notes du pianiste et les spirales du saxophoniste dans Face to Face qui aboutissent à un joyeux thème final. Suit immédiatement ce From Above minimaliste où le silence est au départ l’élément déterminant avec quelques aigus murmurés par le souffleur et des notes perlées et savamment différenciées par J-M B ouvrant ainsi une autre approche sonore enrichissant le panorama de leurs échanges. Chaque morceau apporte un éclairage nouveau, une atmosphère différente, une part de mystère dévoilé avec patience et minutie. Comme s’ils avaient gardé et entretenu les espoirs utopistes d’une « nouvelle musique » qui avait enflammé leur jeunesse. On entend ici toute la vitalité de la free-music d’antan à l’état neuf par deux artistes qui essayent de donner le meilleur d’eux-mêmes en multipliant les meilleures facettes de leurs recherches musicales et en les associant adroitement avec celles de son camarade, vice et versa.
Udo Schindler & Michel Wintsch le démon de l’analogie FMRCD630-0422
https://arch-musik.de/project/udo-schindler-michel-wintsch-le-demon-de-lanalogie/
Duo improvisé entre l’excellent pianiste suisse Michel Wintsch et le souffleur allemand Udo Schindler aux clarinettes et saxophones enregistré le 30 septembre 2016 au 67ème Salon für Klang+Kunst à Krailing/ Munich. C’est sans doute le onzième album d’Udo Schindler pour le label FMR et sûrement un des plus convaincants et inspirés. Sa dédicace aux mots de Stéphane Mallarmé sont à la base des 8 titres de cette série d’improvisations lucides et concentrées. Il y a trois flagrantes fautes d’orthographe dans ces textes en français. Mais à l’intention des deux artistes et des lecteurs, voici la première phrase du poème de Mallarmé : « le Démon de l’Analogie » (1/ 6 :13) Des paroles (2/ 9:16) inconnues (3/ 2:22 ) chantèrent-elles (4/ 5 :07), sur vos lèvres (5/ 2:15) lambeaux maudits (6/ 6 :30) d’une phrase (7/ 8:27) absurde ? (8/ 1 :53). On retrouve dans ce duo la simplicité allusive et symboliste du poète. Michel Wintsch n’est pas un nouveau venu et a un solide parcours avec Gerry Hemingway et le contrebassiste Banz Oester (trio WHO) et avec Christian Weber et Christian Wolfath (trio WWW) trios avec lesquels il a gravé pour Leo Records, Hatology et Monotype de superbes albums de jazz d’avant-garde inspiré par la pratique du classique contemporain. Un pianiste de haut vol. Dans cet album très achevé s’établit un beau contraste entre son jeu pianistique virtuose un peu cérébral et le goût pour les sonorités free mordantes et l’action ludique. Cette dualité assumée dans le vécu individuel de l’improvisation et des échanges émotionnels confèrent à la rencontre tout son sel, sa dimension humaine. Udo Schindler se débat avec sa colonne d’air, les clés et l’embouchure pour exprimer l’essentiel d’un ressenti dans sa profondeur en recherchant des vibrations particulières du jeu du saxophone : growls, chuintages, saturations, expressionisme. La courte pièce finale "absurde" nous le fait entendre à la clarinette basse, instrument que j’avais beaucoup apprécié dans son superbe duo (de clarinettes basses) avec Ove Volquartz : Tales About Exploding Trees and Other Absurdities / FMRCD598-0920. Depuis quelques années Udo Schindler multiplie les enregistrements avec un grand nombre d’improvisateurs de manière exponantielle. Tout comme le CD précité en compagnie de Volquartz, voici un opus qu’ il ne faut pas hésiter à écouter.
https://harrisjostrom.bandcamp.com/album/windows-mirrors
Sergio Armaroli est un excellent vibraphoniste italien découvert auprès de musiciens essentiels tels que les percussionnistes Andrea Centazzo, Roger Turner et Fritz Hauser, le saxophoniste finlandais Harri Sjöström et le tromboniste Giancarlo Schiaffini. Voici que s’ajoute à cette liste un compatriote de Sjöström, l’accordéoniste Veli Kujala qui avait participé à l’enregistrement des superbes Soundscapes Festival #3 réunies dans un double CD Fundacja Sluchaj avec un aéropage impressionnant (Sjöström, leur instigateur, Phil Wachsmann, Giancarlo Schiaffini, Sebi Tramontana, Floros Floridis Lawrence Casserley, Emilio Gordoa, Matthias Bauer, Wilbert de Joode, Matthias Bauer, Dag Magnus Narvesen, Kalle Kalima…) que je me suis fait le plaisir de chroniquer ici, il y a quelques mois. Partie remise dans un quartette de chambre aérien et éthéré avec trois des précités. Harri Sjöström a fait l’extraordinaire expérience de jouer régulièrement avec Cecil Taylor et travaille depuis des décennies avec Paul Lovens et Phil Wachsmann. Veli Kujala est un prodige de l’accordéon et Giancarlo Schiaffini est un pionnier de l’improvisation libre au trombone depuis les sixties au même titre que Paul Rutherford. Le travail de ce quartet atypique (sax soprano ou sopranino, trombone, vibraphone et accordéon) se focalise sur une musicalité distinguée, raffinée, chaque musicien se situant dans une position égalitaire dans le champ auditif. Rien de tel pour stimuler l’écoute mutuelle en partageant les rôles, les interventions et les initiatives dans une démarche d’équilibres instables et mouvants lors de dix improvisations intitulées Windows #1 jusque #5 et Mirrors #1 à #5. Ici le verre, matière translucide, accède à la lumière extérieure ou reflète votre image … ou votre action musicale. Une dimension mélodique free s’ébauche dans les articulations obliques et légèrement vocalisées du souffleur au sax soprano ou sopranino contrebalancées par les effets de coulisse, lèvres et sourdines de Giancarlo Schiaffini au trombone. Une dimension harmonique éthérée s’insère adroitement entre les souffles conjoints ou centrifuges, la face percussive et cristalline du vibraphone et celle venteuse et mystérieuse de l’accordéon. Les jeux respectifs de Veli Kujala et Sergio Armaroli se complètent étrangement de manière inattendue. Le son du vibraphone peut presque s’éteindre au bord du silence lorsque le timbre du trombone s’étire dans de longues notes soutenues discrètement dans le grave (Windows #2). La déambulation presque chaotique de Windows #3 s’appuie sur de vifs accents partagés entre l’articulation en soubresauts du sax soprano et les virevoltes subtiles du vibraphone, l’accordéon soufflant des contrepoints sinueux par intermittence. L’intérêt profond de la démarche collective de ce quartet d’exception tient dans une succession très habile d’univers différents d’une pièce à l’autre, chacune ayant ses caractéristiques propres comme s’il s’agissait de compositions aux éléments structurels et semi- formels bien définis. L'auditeur les reconnaît immédiatement lorsqu’il zappe d’un morceau à l’autre ou lorsque notre écoute s’estompe pour se ressaisir durant le morceau suivant. Une application ludique des principes issus du Pierrot Lunaire de Schönberg en roue libre. La sonorité de Sjöström est exquise, charnelle et éthérée et fait écho au timbre caractéristique vocalisé, aux glissandi et froncements du pavillon de Schiaffini, sans nul doute une des paires saxophone – trombone les plus mémorables depuis l’époque lointaine Lacy – Rudd des Schooldays. Leurs interactions conjointes, parallèles ou frontales avec l’accordéon mystérieux de Kujala et le vibraphone d’Armaroli , tout en légèreté, sont simplement providentielles et défient les lois de la pesanteur et de la géométrie dans l’espace. Comme quoi l’improvisation est à la base de la création de formes musicales qu’on croirait composées et partiellement préméditées. Laissons la réponse à cette suggestion en suspens, la musique parle pour elle-même. Tout l'intérêt de leurs superbes intervenstions individuelles réside dans leur agencement dans l'espace et le temps. C’est véritablement du grand art et on songe parfois aux mobiles de Calder.
The Ojai Sessions Danny Kamins Vinny Golia Garrett Wingfield
https://dannykaminsvinnygoliagarrettwingfield.bandcamp.com/album/the-ojai-sessions
Danny Kamins Alto & Baritone saxophones Vinny Golia Sopranino Soprano & Baritone saxophones Garrett Wingfield Alto Tenor & Baritone saxophones
Trio de saxophones à la gloire du sax baryton ! En effet, les trois souffleurs se partagent la gamme des saxophones de l’aigu au grave : Vinny Golia s’attribue le soprano et le sopranino, Danny Kamins, l’alto, Garrett Wingfield le ténor et l’alto et tous trois font allégeance au saxophone baryton. Une belle volière de souffles, de pépiements, de morsures free, de spirales intenses, d’articulations fragmentées, de soupirs délicats, de battements d’anche, de quintoiements, de longues notes tenues en suspension, de grondements impétueux…. Avec tous ces matériaux diversifiés et techniques inspirées, se construit patiemment une belle variété de formes collectives et instantanées et un réseau de connivences durant sept improvisations. Un très bel ouvrage qui dépasse les qualités intrinsèques des trois solides souffleurs pour atteindre une dimension ludique et auditive mutuelle optimale comme si des rêves inachevés s’interpénètrent les uns aux autres pour créer des narratifs imaginaires fait de sons, de bruissements, de mélodies fugaces, de canons et de staccatos rageurs. Pour notre plus grand plaisir, le trio s’essaye à faire coïncider différentes approches d’effets de souffles simultanément (Part IV), créant ainsi une vision kaléidoscopique de sonorités. Notes tenues, ostinati, growls, stridences, échelles de notes élégiaques ou en staccato, parties disjointes ou conjointes, structures mobiles, spirales, boucles : en sélectionnant un élément parmi ces matériaux formels chacun des saxophonistes tient un rôle défini un court moment pour l’échanger ensuite dans un infini chassé-croisé, jeu de passe-passe tourneboulant où les variations importantes de dynamique jouent un rôle majeur dans l’étendue des registres de timbre, fréquences et sonorités. Y aurait-il un plan préconçu pour ces pièces qui s’emboîtent à merveille ? Leurs flux semblent couler naturellement comme l’eau d’une source, jaillir comme un torrent ou s’écouler où bon lui semble. En utilisant des micro-structures bien définies au départ et dont les agencements et corrélations sont ouvertes, les trois souffleurs créent un univers sonore fantasmagorique et finissent par faire éclater et saturer les colonnes d’air (Part VII). Pour en saisir toute la finesse, Il faut bien se repasser ces sept merveilles plusieurs fois d’affilée et je m’y applique avec beaucoup de plaisir. Une réussite en tous points remarquable et somme toute, vraiment rare.
Pour finir , deux duos piano – saxophone.
Natural Born Inventions Jürg Solothurmann & Josep Maria Balanyà Creative Works CW 1065.
https://www.creativeworks.ch/home/cd-shop/cw1065ccd/
Duo d’improvisation entre le saxophoniste suisse Jürg Solothurmann et le pianiste catalan Josep-Maria Balanyà. Neuf morceaux bien calibrés étalent avantageusement les capacités musicales des deux improvisateurs principalement en duo, deux d’entre eux étant dévolu à un solo de chacun. Si leur musique appartient à la lingua franca de la free music, on trouve ici de quoi largement étancher notre soif d’écoute et de plaisir à plusieurs niveaux. La musicalité et l’inspiration est au rendez-vous. Josep-Maria Balanyà est un excellent pianiste qui a digéré toute cette musique vingtiémiste et la pratique contemporaine et jazzique du grand piano dans plusieurs acceptions et « écoles » et de cette expérience, il crée sa musique avec une vraie cohérence et une richesse inspirée. Bref, en suivant ces doigts défiler sur les touches blanches et noires ou parfois plonger dans la table d’harmonie, l’auditeur n’a pas le temps de s’ennuyer. Son jeu foisonnant plein d’idées fournit une nourriture sonore et spirituelle à son camarade, souffleur inspiré et subtil et mélodiste inné qui apprécie autant un timbre soyeux que les vrilles énergiques du free-jazz. Une fois qu’on a identifié le territoire des deux musiciens et leurs belles capacités de dialogue instantané, s’impose le contenu profond de leur musique et une mise en commun d’idées, de formes, d’approches, de timbres, de sons (et même de sons vocaux !) qu’ils associent de manière stimulante, intelligemment contrastée dans des échanges ludiques et des « questions – réponses » en forme de cadavres exquis. Ou aussi les vagues de notes du pianiste et les spirales du saxophoniste dans Face to Face qui aboutissent à un joyeux thème final. Suit immédiatement ce From Above minimaliste où le silence est au départ l’élément déterminant avec quelques aigus murmurés par le souffleur et des notes perlées et savamment différenciées par J-M B ouvrant ainsi une autre approche sonore enrichissant le panorama de leurs échanges. Chaque morceau apporte un éclairage nouveau, une atmosphère différente, une part de mystère dévoilé avec patience et minutie. Comme s’ils avaient gardé et entretenu les espoirs utopistes d’une « nouvelle musique » qui avait enflammé leur jeunesse. On entend ici toute la vitalité de la free-music d’antan à l’état neuf par deux artistes qui essayent de donner le meilleur d’eux-mêmes en multipliant les meilleures facettes de leurs recherches musicales et en les associant adroitement avec celles de son camarade, vice et versa.
Udo Schindler & Michel Wintsch le démon de l’analogie FMRCD630-0422
https://arch-musik.de/project/udo-schindler-michel-wintsch-le-demon-de-lanalogie/
Duo improvisé entre l’excellent pianiste suisse Michel Wintsch et le souffleur allemand Udo Schindler aux clarinettes et saxophones enregistré le 30 septembre 2016 au 67ème Salon für Klang+Kunst à Krailing/ Munich. C’est sans doute le onzième album d’Udo Schindler pour le label FMR et sûrement un des plus convaincants et inspirés. Sa dédicace aux mots de Stéphane Mallarmé sont à la base des 8 titres de cette série d’improvisations lucides et concentrées. Il y a trois flagrantes fautes d’orthographe dans ces textes en français. Mais à l’intention des deux artistes et des lecteurs, voici la première phrase du poème de Mallarmé : « le Démon de l’Analogie » (1/ 6 :13) Des paroles (2/ 9:16) inconnues (3/ 2:22 ) chantèrent-elles (4/ 5 :07), sur vos lèvres (5/ 2:15) lambeaux maudits (6/ 6 :30) d’une phrase (7/ 8:27) absurde ? (8/ 1 :53). On retrouve dans ce duo la simplicité allusive et symboliste du poète. Michel Wintsch n’est pas un nouveau venu et a un solide parcours avec Gerry Hemingway et le contrebassiste Banz Oester (trio WHO) et avec Christian Weber et Christian Wolfath (trio WWW) trios avec lesquels il a gravé pour Leo Records, Hatology et Monotype de superbes albums de jazz d’avant-garde inspiré par la pratique du classique contemporain. Un pianiste de haut vol. Dans cet album très achevé s’établit un beau contraste entre son jeu pianistique virtuose un peu cérébral et le goût pour les sonorités free mordantes et l’action ludique. Cette dualité assumée dans le vécu individuel de l’improvisation et des échanges émotionnels confèrent à la rencontre tout son sel, sa dimension humaine. Udo Schindler se débat avec sa colonne d’air, les clés et l’embouchure pour exprimer l’essentiel d’un ressenti dans sa profondeur en recherchant des vibrations particulières du jeu du saxophone : growls, chuintages, saturations, expressionisme. La courte pièce finale "absurde" nous le fait entendre à la clarinette basse, instrument que j’avais beaucoup apprécié dans son superbe duo (de clarinettes basses) avec Ove Volquartz : Tales About Exploding Trees and Other Absurdities / FMRCD598-0920. Depuis quelques années Udo Schindler multiplie les enregistrements avec un grand nombre d’improvisateurs de manière exponantielle. Tout comme le CD précité en compagnie de Volquartz, voici un opus qu’ il ne faut pas hésiter à écouter.
10 novembre 2022
Toshinori Kondo & Henry Kaiser with Greg Goodman and John Oswald / Stefania Ladisa Marcello Giannandrea & Marcello Magliocchi/Lori Freedman & Scott Thompson / Don Malfon Florian Stoffner Vasco Trilla /
Renzoku Jump Toshinori Kondo Henry Kaiser Greg Goodman John Oswald
Henry Kaiser remembers Toshinori Kondo (1948 – 2022)
https://henrykaiser.bandcamp.com/album/renzoku-jump-henry-kaiser-remembers-toshinori-kondo-1948-2020
Alléchante constellation d’improvisateurs de choc révélés vers 1978 – 1980 dans le sillage de John Zorn, Eugene Chadbourne et Andrea Centazzo, mais aussi Evan Parker, Derek Bailey, Paul Lovens ou Roger Turner. Et cela en hommage au trompettiste disparu, Toshinori Kondo, celui qui fut le trompettiste le plus flamboyant et le plus spectaculaire de la scène improvisée libre au début des années 80. Il suffit d’écouter de vieux vinyles comme The Last Supper, le génial duo avec Paul Lovens (Po Torch PTR JWD 9) et Moose and Salmon (avec le guitariste Henry Kaiser et le saxophoniste John Oswald en 1980), ou encore « Protocol » (Metalanguage 102 - 1978) dont la face consacrée au duo Kaiser Kondo est partiellement reproduite ici en 2/,3/ et 4/. D’un point de vue improvisation libre, on tique un peu avec le long duo de Kaiser et Kondo qui s’étend au long des 17 minutes Light in the Shade avec force effets sonores électroniques , fort bien faits (hyper – pro), créant un décor sonore raffiné un brin new – age qui se laisse écouter et correspond à une autre facette de ces deux musiciens. Passé ce prélude, on a droit à la genèse de la collaboration entre le trompettiste nippon fou , spécialiste en arts martiaux, et le guitariste insaisissable as de la plongée sous-marine et fan notoire du Grateful Dead. Ces trois perles d’un autre temps, sont à classer au même rayon que le légendaire duo Evan – Derek intitulé the London Concert (Incus 16 , la plaque 4x4 au carré de l’impro libre) pour sa folie ludique et son insolence. Trois miniatures sauvages enfin rééditées à ne pas rater, même si trop brèves (1 :32, 02 :39, 4 :16), excellents comprimés contre la dépression post-free régurgitée et dég….
Suit un Live in San José de 25 :23 où le trompettiste s’essaie à son lyrisme lunatique et ses scories sonores (aïe les lèvres) face aux effets électro-acoustiques du guitariste et claviériste Greg Goodman, le même qui enregistra Abracadabra en duo avec Evan Parker (Metalanguage – The Beak Doctor). Enregistré en 1980, ce Live offre une perspective affolante du trompettiste physiquement le plus audacieux du monde. Exposer ses lèvres à ce point relève presque du masochisme, tant la pression et les risques physiques sont réels. Mais écoutez cela , vous allez être tétanisés, surtout si vous avez tâté un tant soit peu une embouchure. Démentiel ! Pour se souvenir de Toshinori Kondo, c’est tout à fait providentiel et on bénéficie des inventions de ses deux acolytes. Ensuite le trio Kondo, Kaiser avec le saxophoniste John Oswald rééditant les merveilles de Moose and Salmon de l’année précédente (LP de 1978 sur Music Gallery Editions) sous le titre Salmon Plus Moose in Toronto, extrait de concert de 14 :54 enregistré en 1979. Pour finir un duo récent la paire Kaiser-Kondo enregistré en 2020 où on réalise que les deux improvisateurs n’ont pas perdu le cap et leurs moyens sonores, avec autant de finesse et de subtilités que de rage froide radicale. Quel trompettiste incroyable avec ses vocalisations excessivement délirantes face au profil cool du savant fou de la guitare aux inombrables pédales d'effets ! À recommander donc, non seulement pour l’extraordinaire Toshinori Kondo, mais aussi pour le travail électro-acoustique novateur d’Henry Kaiser à la six cordes et les interventions uniques de Goodman et d’Oswald.
SE Stefania Ladisa Marcello Giannandrea & Marcello Magliocchi Plus Timbre
https://plustimbre.bandcamp.com/album/se
Un trio atypique multi-générationnel ! Stefania Ladisa au violon, Marcello Giannandrea au basson et le vétéran Marcello Magliocchiaux percussions. Tous les trois de la région de Bari dans les Pouilles. D’abord, il faut dire que les graves sinueux du basson et ses aigus glissants intrigants questionnent tout de suite. La violoniste strie le décor avec son archet grinçant, folichon , affolant ou subreptice alors que le batteur secoue l’ordonnancement en chahutant relativement discrètement les peaux et accessoires et diversifiant obsessionnellement frappes, chocs, touchers, rebonds, roulements dans la veine « post Bennink » qui fait songer aux Lovens, Lytton et Turner des temps heureux de l’impro libre radicale et qui se distingue du courant free des batteurs assez conventionnels qui se libèrent du tempo sans remettre en question l’approche sonore et le matériau physique en le grattant, le frottant, faisant résonner le métal sur les peaux ou frottant celui-ci avec un archet. Plus free que free, Marcello est un orfèvre en la matière. Dans le jeu de Marcello il y a une dimension faussement aléatoire « chaotique » bruitiste et un sens de l’espace, celle-ci donne une perspective orchestrale inédite aux inventions soniques délirantes de l’autre Marcello (Giannandrea) : vagissements, bourdonnements, bougonnements, aigus gauchis autour desquels la violoniste crée un contrepoint sauvage et presque sadique, torturant les textures de son violon « bien élevé » rendu à l’état de nature, la stridence d’un ébéniste. Et comme ils parviennent habilement à varier les plaisirs, les approches et les agrégats de sons dans l’instant et le flux ludique durant quatre longues ou moins longues improvisations, on n’a pas le temps de s’ennuyer avec ces deux flibustiers du conservatoire et ce percussionniste qui joue au chat et à la souris avec ses caisses et cymbales, éclaircies, assourdies, raclées, piquetées etc… Vraiment réjouissant et même fantastique.
Lori Freedman & Scott Thompson Amber Clean Feed CF606 CD
http://lorifreedman.com/fr/album/6444/amber/amber
http://lorifreedman.com
http://www.scottthomson.ca/trombone/
Duo clarinettes (Bb & bass – Lori Freedman) et trombone (Scott Thompson) enregistré le 3 juin 2021 à Montréal et engagé dans l’improvisation collective. Reconnue dans la scène internationale, Lori Freedman excelle dans l’interprétation d’œuvres contemporaines (Brian Ferneyhough ou Richard Barrett) et a sillonné les festivals et les salles de concerts avec Queen Mab, un trio avec la violonist Ig Henneman et la pianiste Marylin Lerner. Le tromboniste Scott Thompson doit à son mentor Roswell Rudd un amour inconsidéré pour le trombone révérant l’inventivité et la liberté intérieure de feu Paul Rutherford. Il a enregistré un superbe trio en compagnie de Roger Turner et du guitariste Arthur Bull, Monicker (Ambiances Magnétiques. Les deux musiciens partagent leur excellent duo en confrontant leurs deux expériences individuelles et leur imagination. Je dois dire que leur empathie et la sensibilité interactive tient compte de leurs différences et leurs appétits respectifs pour établir un dialogue intéressant entre toutes leurs idées de jeu, le flux spontané et contrasté de leurs trouvailles. Entre eux , se développent au fil de sept improvisations aux titres alambiqués (Sesquiterpenoids, Glessite, Cadinene, Zanzibaric etc...), une recherche de l’improbable, de l’invention subtile. Lori Freedman tire de sa clarinette Bb, des sons pointus, sussurés du bout des lèvres, dents serrées avec une précaution d’où est quasi bannie l’expressionnisme, sauf quand son articulation s’enflamme (un peu) comme dans Zanzibaric. Elle se concentre sur des harmoniques suraigües, des sifflements contrôlés, des multiphoniques éteintes ou des vocalisations d’une manière modeste sans jamais en faire trop tant elle est concentrée sur le sens profond des choses, cachant sa virtuosité naturelle. À la clarinette basse, elle sculpte méthodiquement growls et harmoniques, révélant le côté obscur de la mécanique de l’instrument et de sa colonne d’air. Avec un partenaire comme Scott Thompson on a droit à la panoplie des sons curieux du trombone, instrument auquel sourdines, vocalisations et effets de souffle explosent littéralement la logique pour en faire une machine à sons d’où n’est pas exclue une forme intelligente de lyrisme détaché et sinueux entre les intervalles « corrects » des gammes empilées et recroisées à l’envi. Complexe, joyeux et désenchanté à la fois, il s’évertue à maintenir un port de voix aussi longtemps que possible jusqu’à ce qu’il se laisse aller dans une gestuelle dégingandée ou une désarticulation fébrile de notes éclatées (Highgate Copalite). On songe à notre cher tromboniste Paul Rutherford, disparu il y a quelques années, ou à mon ami Paul Hubweber. On peut donc suivre leurs échanges avec intérêts, une passion certaine, même si il y a quelque chose de cérébral dans leur démarche. De toute manière, si vous n’avez jamais beaucoup écouté de l’impro libre « classe », vous allez être servi.
A Tiny Bell and His Restless Friends Don Malfon Florian Stoffner Vasco Trilla Spontaneous Music Tribune Series
https://multikultiproject.bandcamp.com/album/a-tiny-bell-and-its-restless-friends
Dès les premiers sons de la guitare électrique de Florian Stoffner, on songe immédiatement au Derek Bailey « arrivé à maturité » au début des années 70 et « première manière », celui qui explorait systématiquement toutes les possibilités sonores résonnantes sur la mécanique de l’instrument (harmoniques, effets de pédale de volume, un doigt sur les cordes derrière le chevalet, étouffements, glissandi curieux, stridences, etc…) en veillant à éviter l’effet constant de « drone » (dixit Derek) et à constamment transformer son discours. Don Malfon sollicite les articulations forcenées et des vocalisations mordantes ou glissantes de l’anche et de la colonne d’air de son saxophone. Quant à Vasco Trilla, le « free-drumming » cher aux Turner et Lovens est pour lui une seconde nature avec un sens du bruissement et de la dynamique atavique. Celle qui crée un espace immense à ses collègues tout en s’insérant dans leurs vibrations sonores, certaines inouïes, avec ses ustensiles vibrant et crépitant sur les peaux et dont il est complètement obsédé. Peut-être que ces trois musiciens ne sont pas des génies et qu’ils marchent dans les traces de leurs aînés d’il y a un demi-siècle. Mais on ne va pas s’en plaindre, car la communication et l’invention partagée est ici au zénith, exploitant des trouvailles pour faire bruisser, bourdonner et intriguer toutes les ressources sonores quasi -infinies de leurs instruments respectifs donnant l’impression qu’on n’entend pas cela tous les jours. Ce qui importe ici, c’est une intrication symbiotique du disparate, du sensible, des inventions sonores qui s’interpénètrent au point que nos sens les perçoivent comme une machine merveilleuse, une mise en commun utopique. Congruences apparemment aléatoires, mais en fait nées d’une volonté et d’une écoute mutuelle inébranlables. Ils tentent d’allonger la sauce en renouvelant les ingrédients au fil des neuf improvisations enregistrées en studio à Barcelone et ils y parviennent assez bien, tâche ardue lorsqu’il s’agit d’une première rencontre. Cela les mène à se métamorphoser complètement en nous perdant dans les limbes d’un rêve à demi-éveillé. Qui joue quoi ?? L’improvisation libre ne finit pas de nous réveiller dans un autre monde, à une autre vie et les moyens interactifs que Don Malfon, Florian Stoffner et Vasco Trilla actionnent presqu’inconsciemment, imaginativement ne peuvent être appris, appréhendés qu’après un apprentissage intime, personnel, hors de tout champ scolaire ou académique. Des improvisateurs authentiques.
Henry Kaiser remembers Toshinori Kondo (1948 – 2022)
https://henrykaiser.bandcamp.com/album/renzoku-jump-henry-kaiser-remembers-toshinori-kondo-1948-2020
Alléchante constellation d’improvisateurs de choc révélés vers 1978 – 1980 dans le sillage de John Zorn, Eugene Chadbourne et Andrea Centazzo, mais aussi Evan Parker, Derek Bailey, Paul Lovens ou Roger Turner. Et cela en hommage au trompettiste disparu, Toshinori Kondo, celui qui fut le trompettiste le plus flamboyant et le plus spectaculaire de la scène improvisée libre au début des années 80. Il suffit d’écouter de vieux vinyles comme The Last Supper, le génial duo avec Paul Lovens (Po Torch PTR JWD 9) et Moose and Salmon (avec le guitariste Henry Kaiser et le saxophoniste John Oswald en 1980), ou encore « Protocol » (Metalanguage 102 - 1978) dont la face consacrée au duo Kaiser Kondo est partiellement reproduite ici en 2/,3/ et 4/. D’un point de vue improvisation libre, on tique un peu avec le long duo de Kaiser et Kondo qui s’étend au long des 17 minutes Light in the Shade avec force effets sonores électroniques , fort bien faits (hyper – pro), créant un décor sonore raffiné un brin new – age qui se laisse écouter et correspond à une autre facette de ces deux musiciens. Passé ce prélude, on a droit à la genèse de la collaboration entre le trompettiste nippon fou , spécialiste en arts martiaux, et le guitariste insaisissable as de la plongée sous-marine et fan notoire du Grateful Dead. Ces trois perles d’un autre temps, sont à classer au même rayon que le légendaire duo Evan – Derek intitulé the London Concert (Incus 16 , la plaque 4x4 au carré de l’impro libre) pour sa folie ludique et son insolence. Trois miniatures sauvages enfin rééditées à ne pas rater, même si trop brèves (1 :32, 02 :39, 4 :16), excellents comprimés contre la dépression post-free régurgitée et dég….
Suit un Live in San José de 25 :23 où le trompettiste s’essaie à son lyrisme lunatique et ses scories sonores (aïe les lèvres) face aux effets électro-acoustiques du guitariste et claviériste Greg Goodman, le même qui enregistra Abracadabra en duo avec Evan Parker (Metalanguage – The Beak Doctor). Enregistré en 1980, ce Live offre une perspective affolante du trompettiste physiquement le plus audacieux du monde. Exposer ses lèvres à ce point relève presque du masochisme, tant la pression et les risques physiques sont réels. Mais écoutez cela , vous allez être tétanisés, surtout si vous avez tâté un tant soit peu une embouchure. Démentiel ! Pour se souvenir de Toshinori Kondo, c’est tout à fait providentiel et on bénéficie des inventions de ses deux acolytes. Ensuite le trio Kondo, Kaiser avec le saxophoniste John Oswald rééditant les merveilles de Moose and Salmon de l’année précédente (LP de 1978 sur Music Gallery Editions) sous le titre Salmon Plus Moose in Toronto, extrait de concert de 14 :54 enregistré en 1979. Pour finir un duo récent la paire Kaiser-Kondo enregistré en 2020 où on réalise que les deux improvisateurs n’ont pas perdu le cap et leurs moyens sonores, avec autant de finesse et de subtilités que de rage froide radicale. Quel trompettiste incroyable avec ses vocalisations excessivement délirantes face au profil cool du savant fou de la guitare aux inombrables pédales d'effets ! À recommander donc, non seulement pour l’extraordinaire Toshinori Kondo, mais aussi pour le travail électro-acoustique novateur d’Henry Kaiser à la six cordes et les interventions uniques de Goodman et d’Oswald.
SE Stefania Ladisa Marcello Giannandrea & Marcello Magliocchi Plus Timbre
https://plustimbre.bandcamp.com/album/se
Un trio atypique multi-générationnel ! Stefania Ladisa au violon, Marcello Giannandrea au basson et le vétéran Marcello Magliocchiaux percussions. Tous les trois de la région de Bari dans les Pouilles. D’abord, il faut dire que les graves sinueux du basson et ses aigus glissants intrigants questionnent tout de suite. La violoniste strie le décor avec son archet grinçant, folichon , affolant ou subreptice alors que le batteur secoue l’ordonnancement en chahutant relativement discrètement les peaux et accessoires et diversifiant obsessionnellement frappes, chocs, touchers, rebonds, roulements dans la veine « post Bennink » qui fait songer aux Lovens, Lytton et Turner des temps heureux de l’impro libre radicale et qui se distingue du courant free des batteurs assez conventionnels qui se libèrent du tempo sans remettre en question l’approche sonore et le matériau physique en le grattant, le frottant, faisant résonner le métal sur les peaux ou frottant celui-ci avec un archet. Plus free que free, Marcello est un orfèvre en la matière. Dans le jeu de Marcello il y a une dimension faussement aléatoire « chaotique » bruitiste et un sens de l’espace, celle-ci donne une perspective orchestrale inédite aux inventions soniques délirantes de l’autre Marcello (Giannandrea) : vagissements, bourdonnements, bougonnements, aigus gauchis autour desquels la violoniste crée un contrepoint sauvage et presque sadique, torturant les textures de son violon « bien élevé » rendu à l’état de nature, la stridence d’un ébéniste. Et comme ils parviennent habilement à varier les plaisirs, les approches et les agrégats de sons dans l’instant et le flux ludique durant quatre longues ou moins longues improvisations, on n’a pas le temps de s’ennuyer avec ces deux flibustiers du conservatoire et ce percussionniste qui joue au chat et à la souris avec ses caisses et cymbales, éclaircies, assourdies, raclées, piquetées etc… Vraiment réjouissant et même fantastique.
Lori Freedman & Scott Thompson Amber Clean Feed CF606 CD
http://lorifreedman.com/fr/album/6444/amber/amber
http://lorifreedman.com
http://www.scottthomson.ca/trombone/
Duo clarinettes (Bb & bass – Lori Freedman) et trombone (Scott Thompson) enregistré le 3 juin 2021 à Montréal et engagé dans l’improvisation collective. Reconnue dans la scène internationale, Lori Freedman excelle dans l’interprétation d’œuvres contemporaines (Brian Ferneyhough ou Richard Barrett) et a sillonné les festivals et les salles de concerts avec Queen Mab, un trio avec la violonist Ig Henneman et la pianiste Marylin Lerner. Le tromboniste Scott Thompson doit à son mentor Roswell Rudd un amour inconsidéré pour le trombone révérant l’inventivité et la liberté intérieure de feu Paul Rutherford. Il a enregistré un superbe trio en compagnie de Roger Turner et du guitariste Arthur Bull, Monicker (Ambiances Magnétiques. Les deux musiciens partagent leur excellent duo en confrontant leurs deux expériences individuelles et leur imagination. Je dois dire que leur empathie et la sensibilité interactive tient compte de leurs différences et leurs appétits respectifs pour établir un dialogue intéressant entre toutes leurs idées de jeu, le flux spontané et contrasté de leurs trouvailles. Entre eux , se développent au fil de sept improvisations aux titres alambiqués (Sesquiterpenoids, Glessite, Cadinene, Zanzibaric etc...), une recherche de l’improbable, de l’invention subtile. Lori Freedman tire de sa clarinette Bb, des sons pointus, sussurés du bout des lèvres, dents serrées avec une précaution d’où est quasi bannie l’expressionnisme, sauf quand son articulation s’enflamme (un peu) comme dans Zanzibaric. Elle se concentre sur des harmoniques suraigües, des sifflements contrôlés, des multiphoniques éteintes ou des vocalisations d’une manière modeste sans jamais en faire trop tant elle est concentrée sur le sens profond des choses, cachant sa virtuosité naturelle. À la clarinette basse, elle sculpte méthodiquement growls et harmoniques, révélant le côté obscur de la mécanique de l’instrument et de sa colonne d’air. Avec un partenaire comme Scott Thompson on a droit à la panoplie des sons curieux du trombone, instrument auquel sourdines, vocalisations et effets de souffle explosent littéralement la logique pour en faire une machine à sons d’où n’est pas exclue une forme intelligente de lyrisme détaché et sinueux entre les intervalles « corrects » des gammes empilées et recroisées à l’envi. Complexe, joyeux et désenchanté à la fois, il s’évertue à maintenir un port de voix aussi longtemps que possible jusqu’à ce qu’il se laisse aller dans une gestuelle dégingandée ou une désarticulation fébrile de notes éclatées (Highgate Copalite). On songe à notre cher tromboniste Paul Rutherford, disparu il y a quelques années, ou à mon ami Paul Hubweber. On peut donc suivre leurs échanges avec intérêts, une passion certaine, même si il y a quelque chose de cérébral dans leur démarche. De toute manière, si vous n’avez jamais beaucoup écouté de l’impro libre « classe », vous allez être servi.
A Tiny Bell and His Restless Friends Don Malfon Florian Stoffner Vasco Trilla Spontaneous Music Tribune Series
https://multikultiproject.bandcamp.com/album/a-tiny-bell-and-its-restless-friends
Dès les premiers sons de la guitare électrique de Florian Stoffner, on songe immédiatement au Derek Bailey « arrivé à maturité » au début des années 70 et « première manière », celui qui explorait systématiquement toutes les possibilités sonores résonnantes sur la mécanique de l’instrument (harmoniques, effets de pédale de volume, un doigt sur les cordes derrière le chevalet, étouffements, glissandi curieux, stridences, etc…) en veillant à éviter l’effet constant de « drone » (dixit Derek) et à constamment transformer son discours. Don Malfon sollicite les articulations forcenées et des vocalisations mordantes ou glissantes de l’anche et de la colonne d’air de son saxophone. Quant à Vasco Trilla, le « free-drumming » cher aux Turner et Lovens est pour lui une seconde nature avec un sens du bruissement et de la dynamique atavique. Celle qui crée un espace immense à ses collègues tout en s’insérant dans leurs vibrations sonores, certaines inouïes, avec ses ustensiles vibrant et crépitant sur les peaux et dont il est complètement obsédé. Peut-être que ces trois musiciens ne sont pas des génies et qu’ils marchent dans les traces de leurs aînés d’il y a un demi-siècle. Mais on ne va pas s’en plaindre, car la communication et l’invention partagée est ici au zénith, exploitant des trouvailles pour faire bruisser, bourdonner et intriguer toutes les ressources sonores quasi -infinies de leurs instruments respectifs donnant l’impression qu’on n’entend pas cela tous les jours. Ce qui importe ici, c’est une intrication symbiotique du disparate, du sensible, des inventions sonores qui s’interpénètrent au point que nos sens les perçoivent comme une machine merveilleuse, une mise en commun utopique. Congruences apparemment aléatoires, mais en fait nées d’une volonté et d’une écoute mutuelle inébranlables. Ils tentent d’allonger la sauce en renouvelant les ingrédients au fil des neuf improvisations enregistrées en studio à Barcelone et ils y parviennent assez bien, tâche ardue lorsqu’il s’agit d’une première rencontre. Cela les mène à se métamorphoser complètement en nous perdant dans les limbes d’un rêve à demi-éveillé. Qui joue quoi ?? L’improvisation libre ne finit pas de nous réveiller dans un autre monde, à une autre vie et les moyens interactifs que Don Malfon, Florian Stoffner et Vasco Trilla actionnent presqu’inconsciemment, imaginativement ne peuvent être appris, appréhendés qu’après un apprentissage intime, personnel, hors de tout champ scolaire ou académique. Des improvisateurs authentiques.