Before Then Tim Trevor Briscoe Szilard Mezei Nicolà Guazzaloca Not Two 4CD MW 1022-2.
https://www.nottwo.com/mw1022
L’entreprenant label polonais Not Two a l’habitude de publier des coffrets – albums de plusieurs compacts pilotés par des artistes comme Barry Guy, Ken Vandermark, Frode Gjerstad ou Mats Gustafsson avec d’étonnantes brochettes d’improvisateurs de haut vol ou des « bundles » colorés et encoffrés. Voici donc Before Then, une superbe somme de quatre concerts de 2019 enregistrés en Hongrie et en Serbie-«Vojvodine » par un singulier trio qui n’est pas à son premier coup d’essai. Établi à Novi-Sad dans le territoire de langue « magyar » de Serbie le long du Danube, l’altiste Szilard Mezei est une personnalité incontournable du jazz – free et des musiques improvisées, si on en juge par son abondante discographie (FMR, Not Two, Leo, Creative Sources etc…). Entendons – nous bien, altiste = « violoniste » qui joue de l’alto (comme Charlotte Hug, Ernesto Rodrigues, Mat Maneri ou Benedict Taylor), une denrée rare. Depuis une quinzaine d’années, il collabore étroitement avec le pianiste Nicolà Guazzaloca, un incontournable activiste des musiques improvisées et jazz tranchant à Bologne. Ces deux musiciens ont déjà un superbe album en duo : Lucca and Bologna Concerts (Amirani AMRN 050. Je mentionne aussi le fait que Nicolà réalise toutes les pochettes de ce label dirigé par Gianni Mimmo, le saxophoniste avec qui il a enregistré deux beaux albums. Mais, en fait, ils ont initié cette collaboration avec le saxophoniste clarinettiste Tim Trevor-Briscoe, un sujet britannique résident à Bologne, avec le CD Underflow en 2010 (Leo Records CD LR 614) et on mesure le progrès réalisé par leur trio quand la musique de Before Then défile pendant des heures qu’on ne sent pas passer. En 2015, leur collaboration en trio se précise lors d’un concert au Cantiere Simone Weil à Piacenza publié par AUT records (Aut024) et un autre à la SPMI de Bologne qu'on retrouve dans le CD Exuvia (FMR).
Avec ce quadruple album Before Then de 4 compacts contenant les enregistrements des concerts des 7, 8, 9 et 11 novembre 2019 à Szeged (HU), Novi Sad, Magyarkanisza et Budapest, le trio nous offre un exemplaire document révélant la consistance profonde et inspirée de leurs improvisations collectives, l’extrême qualité de leur musique de chambre qui peut très bien se muscler et s’intensifier dans de magnifiques crescendi – decrescendi ou de subites déconstructions décoiffantes. Chacun à son tour ou simultanément, les trois musiciens se portent « en avant » pour ensuite restreindre leur enjouement énergique pour laisser un ou les deux autre(s) occuper une position momentanée de « soliste ». Les passages « piano » ou « pianissimo » délicats ne manquent pas et s’équilibrent avec les moments d’emportement dynamiques, cadencés ou déconcertés. Une astucieuse cohabitation entre une dimension classique « vingtièmiste » très cohérente empreinte d’une sorte de suave cérémonial de haut-vol principalement lorsque Trevor-Briscoe joue de la clarinette et les incartades de la free-music, les risques de l’improvisation totale lorsque le même empoigne son sax alto avec ses cascades de détachés sursautant, par exemple. Le pianiste, Nicolà Guazzaloca, se révèle ici sous son meilleur jour, sa superbe qualité de toucher aux nuances multiples, sa virtuosité dynamique, la puissance délivrée avec une étonnante intensité. Je dois dire qu’il est un des pianistes européens de la scène improvisée les plus sous-employés par rapport à son grand talent. Outre ses deux camarades ici présents, il a tourné et enregistré avec son ami le saxophoniste Edoardo Marraffa, le flûtiste allemand Nils Gerold et son pote Stefano Giust, le batteur responsable de l’incontournable label Setola di Maiale et de ses centaines de CD’s publiés (!). Deux albums en solo « Tecniche Arcaiche » et un duo avec le pianiste Thollem Mc Donas. Tim Trevor-Briscoe m’avait déclaré ne pas connaître la scène britannique (!), ayant développé son art dans ce repaire d’artistes qu’est la ville de Bologne. À ma connaissance, on ne lui connaît pas d’autres affiliations que son travail en duo et en trio avec Guazzaloca et Mezei. Il adapte aisément son jeu et ses techniques « avancées » à la situation instantanée en constante métamorphose du trio. La fluidité et les nuances de son souffle à la clarinette nous font suggérer un intense travail dans le domaine classique. Sa superbe légèreté et son alégresse virtuose, est une fontaine de jouvence pour toutes les occurrences dynamiques, multi-rythmiques et ondulatoires de Guazzaloca au clavier. Avec Szilard Mezei et son copain pianiste, il a vraiment fort à faire, perpétuellement sur la brèche. Le violiste (viola – en anglais – c’est plus beau et explicite que le mot « alto », souvent confondu avec le saxophone du même nom dans la vulgate jazzique), il faut absolument le souligner, Szilard Mezei maîtrise magistralement (il faut le dire et le répéter) le jeu de la « viola » avec d’infimes nuances qui atteignent le niveau de qualité sonore des sifflements les plus inspirés des oiseaux – chanteurs parmi les plus remarquables. La grâce innée des glissandi et des oscillations lunaires de timbres raffinés de Szilard Mezei sont mirifiques tout comme ses pling-plong en pizz de guingois sur les cordes. Quasiment jamais, Mezei n’essaye ici de surjouer par-dessus les vagues sonores et les cascades du pianiste. Il reste fidèle à lui-même de bout en bout.
L’idée - identité même de leur trio repose autant sur leur empathie intime et leur cohérence tout à fait remarquable que sur les contrastes dont ils jouent finement et se délectent autant pour leur plaisir et pour le nôtre. Et quelques excès « free » endiablés qui surgissent çà et là ajoutent une solide dose de piment et cette folle énergie concentrée qui complète le tableau ou le voyage musical. Une écoute distraite fera dire à certains obnubilés par l’avant-garde à tout crin que ça sonne « classique ». Mais en réalité, ces quatre concerts enregistrés en quatre soirées consécutives dans une tournée est une véritable révélation : jouer ainsi d’un soir à l’autre sans quasiment se répéter ni ennuyer l’auditeur exigeant avec autant de créativité renouvelée et bonifiée est une véritable performance. Si Szilard Mezei est de toute évidence un rare « violiste » improvisateur qu’on compte sur les doigts d’une seule main, le talent de Nicolà Guazzaloca le fait figurer dans le peloton de tête des grands pianistes de la free-music européenne, peut – être un peu moins singulier que feu Fred Van Hove ou pas aussi colossal qu’Alex von S, mais sûrement à l’égal de tous ses pairs parmi les plus brillants. Sa virtuosité est d’ailleurs aussi intense que sa modestie. Dans le contexte de ce trio, la volonté créatrice et le savoir-faire expérimenté de Tim Trevor-Briscoe le hisse dans les hautes sphères, emporté dans les tourbillons, spirales ou instants suspendus de leur musique. Bravo !
Chess Music Axel Dörner Guilherme Rodrigues Stephen Flinn Jung-Jae Kim Creative Sources CS 801 CD
https://creativesources.bandcamp.com/album/chess-music
Dans la droite ligne des albums des débuts du label Creative Sources, une musique « minimaliste », « réductionniste ». Chess Music, sans doute parce qu’on avance coup par coup entre des moments de réflexion - silences mesurés comme dans une partie d’échec. Le souffle d’Axel Dörner traverse le tube de sa trompette au bord du silence ou en produisant une sonorité blanche indifférencié avec une seule note tenue un bref instant, quand ce n’est pas. L’archet de Guilherme Rodrigues percute une ou deux cordes bloquées de son violoncelle ou griffe celles-ci en grinçant. Jung-Jae Kim émet des « pop » sur l’anche de son saxophone ténor ou émet une crescendo grumeleux. Le percussionniste Stephen Flinn fait discrètement vibrer ou gronder les peaux de sa caisse claire et de sa grosse caisse à l’horizontale avec peu d’accessoires : mailloches une mini-cymbale et un bol métallique évasé. Frottements variés, subtiles mises en vibration de l’air qui résonne sous la peau. Succions du bec du sax, grésillements, bruitages ventilés du pavillon de la trompette, éclats des lèvres - harmoniques dans l’embouchure, glissandi oscillant à l’archet sur les cordes, pizzicato distrait ou crissements aigus insistants au violoncelle. Agrégats – strates sonores en suspens. Et silences. Lentement, presqu’insensiblement les effets sonores naissent, disparaissent, se diversifient, s’atténuent ou s’affirment, s’ajoutent et se soustraient. Bien plus qu’un exercice de style, c’est une réalité sonore et vibratile immanente, qui transcende ces techniques instrumentales ultra « alternatives » dans une construction temporelle presqu’immobile, sensitive immergée dans la perception du silence du lieu et du bruit incorporé dans une action musicale. Une seule performance de 40 :53 qui exprime très bien l’élasticité de la durée ressentie dans le temps et suscite une écoute intense des moindres sons – bruits – vibrations – silences.
Erhard Hirt Klaus Kürvers Dietrich Petzold Weiterbauen Creative Sources CS834CD
https://creativesources.bandcamp.com/album/weiterbauen
Trio à cordes pas comme les autres échappant aux occurrences sonores habituelles et au définitionnisme. Erhard Hirt joue ici du dobro, de l’e-guitare et des électroniques, Klaus Kürvers officie à la bonne vielle contrebasse et Dietrich Petzold est crédité violon, violon ténor, clavichord et métal joué à l’archet. Erhard Hirt revient plus à la surface au sein des « légendaires » XPACT II (deuxième édition) et King Übü Orchestrü (deuxième mouture) et fut immortalisé par le CD FMP-OWN « Two Concerts » en trio avec Phil Minton et John Butcher. Un des guitaristes « électroniques » les plus convaincants depuis une quarantaine d’années. S’il reste peu connu en dehors des auditeurs du label Creative Sources pour lequel il enregistre fréquemment et de la scène Berlinoise, Klaus Kürvers est un des contrebassistes pionniers du free-jazz en Allemagne avant même qu’on en mentionne l’existence dans les médias. Le violoniste Dietrich Petzold s’est fait entendre dans le quartet de cordes dis/con/sent avec Ernesto Rodrigues, Guilherme Rodrigues et Matthias Bauer, une solide référence parmi les quartets ou trios de cordes frottées improvisés, d’une qualité voisine de celles du String Trio de Zurich, du Stellari Quartet, ou de l’Iridium Quartet ou encore des Canadiens du Quatuor d’Occasion avec Malcolm Goldstein. Il suffit d’écouter leurs albums depuis leur premier (dis/con/sent CS 563 CD), une réussite dans ce domaine. Weiterbauen concentre l’exploratoire, la science appliquée des grincements, le glissando rotatif au plus proche du chevalet, l’étrange, le sonique exacerbé. Deux cordes frottées : le violon de Petzold s’échange contre le rare violon ténor, instrument bien souvent fait sur mesure comme pour Jon Rose dans son génial duo Temperaments avec Veryan Weston, et la contrebasse intuitive de Kürvers. Mais aussi le « bowed metal » de Petzold encore : s’agit-il d’une scie musicale, en fait ? Toujours est-il que cet ustensile fait bon ménage avec les sonorités irréelles émises par Erhard Hirt avec sa guitare électronique et une belle précision sonore d’une classe très peu ouïe ailleurs. Et que dire de son dobro « approximatif » …Cette diversité de sources sonores, d’intentions musicales distinctes chez chacune de ses individualités se croisent et s’interpénètrent dans une belle folie, de fascinantes dérives heuristiques , des interactions improbables. Cette efflorescence créative nous fait chasser l’idée des références à des artistes notoires « incontournables » ressassés par les critiques en mal d’inspiration. Évitons donc de faire allusion à Derek Bailey, Fred Frith, Joëlle Léandre ou Barre ou Barry, etc... On adore ces artistes. Mais il faut avouer que ces trois improvisateurs, Hirt , Kürvers et Petzold échappent aux pronostics, références, influences – repères en affirmant une joie sérieuse et un sérieux enjoué à nous faire découvrir des correspondances sonores coloristes, ludiques, fugitives, un brin farfelues, qui dépaysent l’atonalité, l’interactivité « logique », les jeux de bruitages ou de bruissements et créent de nouveaux équilibres – tensions librement improvisés qui leur appartiennent en propre. Vraiment original ce Weiterbauen !
Simon Rose Vienna Solo Small forms digital
https://smallforms.bandcamp.com/album/vienna-solo
Quatorze pièces au saxophone baryton en solo dans une remarquable performance enregistrée à Vienne au Château Rouge le 15 juin 2024. Chaleureux, sonore, graveleux, aérien ou tellurique, le souffle de Simon Rose est fait de boucles en souffle continu, grondements granuleux, harmoniques criantes ou d’un vent léger, diaphane selon les intensités, distillées avec autant de maîtrise du son, de délicatesse que de puissance. Le petit frère de Daunik Lazro avec qui on rêverait de le réunir. Cette pérégrination solitaire enclenche des rêveries subtiles au bord du silence, des ressacs gravillonnant, et ces girations animées dans les graves profonds en secousses et coups de langue prononcés, parfois proches du barrissement. Adroitement découpées en séquences – compositions relativement courtes, sa performance se transforme en narration échappée oscille dans différents états aériens, gazeux, fumées, bourdons empreints d’un véritable lyrisme qui vient du cœur. On l’entend aussi respirer inspirer dans le bec et sur l’anche produisant des effets sonores de souffle sans la vibration de la note dans le pavillon. La répétition relative de ses cycles courts de souffle continu, contenus ou distendus fascine, repose et nous fait planer alors qu’elle s’inscrit émotionnellement dans la profondeur terrienne faite de limons, humus, nappes phréatiques, sols moussus où se réunissent d’imaginaires écureuils, lapins sauvages, oiseaux des bois ou canards égarés. Magnifique parcours vibratoire superbement enregistré dans la belle acoustique du lieu, le Château Rouge. Que de chemins parcourus depuis son premier album avec Mark Sanders et Simon H.Fell, lui-même au sax soprano enregistré il y a si longtemps. Magnifique parcours de vie musicale, aussi !
Consacré aux musiques improvisées (libre, radicale,totale, free-jazz), aux productions d'enregistrements indépendants, aux idées et idéaux qui s'inscrivent dans la pratique vivante de ces musiques à l'écart des idéologies. Nouveautés et parutions datées pour souligner qu'il s'agit pour beaucoup du travail d'une vie. Orynx est le 1er album de voix solo de J-M Van Schouwburg. https://orynx.bandcamp.com
30 octobre 2024
23 octobre 2024
Paul Lytton & Georg Wissel/ Die Enttäuschung : Rudi Mahall Axel Dörner Jan Roder Michael Griener/ Marco Colonna Giulia Cianca Fabrizio Spera/ Ernesto Rodrigues Frank Gratkowski Guilherme Rodrigues Michael Griener
Loose Connections Paul Lytton Georg Wissel Confront Records core 46
https://confrontrecordings.bandcamp.com/album/loose-connections
Paul Lytton est crédité ici d’une « tabletop percussion » et « bits and pieces ». C’est l’autre facette de son travail de « batteur » qui contribue depuis des décennies à la magnificence du trio Evan Parker – Barry Guy – Paul Lytton. De multiples objets percussifs sont rassemblés pêle-mêle sur la surface de deux tables de camping : grattoirs, cloche parallélépipédique soudée, chaînes, afuche, , des castagnettes gnawa, une longue lame de tapissier à frotter à l’archet, deux ou trois petits tambours dont un avec une cordelette vibrante, woodblock, « lion’s roars » , grattoirs, crotales, cymbales, baguettes, mailloches, etc… Georg Wissel joue lui des « augmented alto et tenor saxophones » en insérant d’étranges sourdines dans le pavillon ou en fichant l’embouchure dans le sax sans le tuyau courbé. Deux explorateurs des sons et de la gestuelle d’instrumentiste à l’écart des sentiers battus. Cela fait bien plus d’une décennie qu’ils jouent ensemble, et donc, un enregistrement s’imposait. Le terme musique expérimentale n’a de meilleure exemplarité que dans ces Loose Connections. Tout au long de cette longue improvisation - déambulation bruiteuse et hasardeuse de 45 minutes, l’auditeur ne surprend jamais le saxophoniste à jouer un seul instant « normalement » même dans l’idiome « free », lequel a autant ses codes et ses poncifs que celui d’un guitariste rock. Les « préparations » qu’il inflige au sax écartent et subvertissent les intervalles entre les notes et la faible intensité de ses souffles, leurs irrégularités occasionnent d’étranges glissements à ces timbres lunatiques. À côté de sa table à malices percussives grouillante d’objets bruissant sous laquelle trône une grosse caisse, peut se trouver son installation amplifiée d'objets monté sur des cadres métalliques et décrite comme des "live electronics". Mais lors de cet enregistrement, cette installation était absente. Les ondulations hybrides du souffleur ondoient ou mordent par-dessus la table recouverte d’accessoires en mouvement ponctuel ou quasi perpétuel avec une ou deux mains et les dix doigts étonnamment indépendants les unes et les uns des autres. Parmi ses ustensiles, on compte une spatule métallique de plafonneur. Murmures, froissements, grattages, chocs, griffages, secousses animent cette table abracadabrante qui se transforme un instant en micro-batterie déjantée avec une frappe de grosse caisse occasionnelle ou soutenue ou s’évanouissent lorsque file le grincement de sa cloche rectangulaire en métal brut oxydé obtenu avec la pointe d’une baguette. L’alliance Lytton – Wissel n’a rien de fortuit ou d’aléatoire, mais s’envisage comme une dérive poétique existentielle. La trajectoire du souffleur s’inscrit dans le sillage de l’ Evan Parker du duo avec Lytton, des Doneda, Leimgruber et Zorn etc… mais, surtout, évolue sur son propre terrain particulier. Faut- il souligner que Paul Lytton figure parmi la poignée de « pionniers » des improvisateurs « bruitistes » radicaux de la première heure tout comme Eddie Prévost, Keith Rowe, Hugh Davies, etc... ? Vraiment convaincant.
Die Komplette Die Enttäuschung : Rudi Mahall Axel Dörner Jan Roder Michael Griener Two Nineteen Records 2-19 -011
https://dieenttaeuschung.bandcamp.com/album/die-komplette-entt-uschung
Music Minus One Die Enttäuschung Two Nineteen Records 2-19–010
https://dieenttaeuschung.bandcamp.com/album/music-minus-one
Die Enttäuschung, la Déception en Allemand, est un quartet de jazz « free-bop » et « collectif » en existence depuis le milieu des années 90. Les quatre musiciens, le clarinettiste (basse et Mi-bémol) Rudi Mahall, le trompettiste Axel Dörner, le contrebassiste Jan Roder et le batteur Michael Griener, composent chacun des titres enregistrés ici, à raison de 17 pour Music Minus One et de 18 pour Die Komplette, et qui se révèlent de superbes compositions de jazz contemporain. Ils ont commis l’exploit de produire deux double albums vinyles et un triple CD consacrés uniquement à toutes les compositions de Thelonious Monk. Deux de ces recueils « Monk’s Casino » ont été enregistrés en compagnie du pianiste Alex von Schlippenbach, lui-même un dévôt de Thelonious Monk. Le CD de Die Komplette Enttäuschung est livré avec un superbe catalogue haut en couleurs contenant les reproductions de toutes les oeuvres / collages de Katja Mahall qui ornent les pochettes de leurs CD’s tant pour le label Intakt que pour leur label fétiche 2 – 19. On va dire que les collages sont vraiment amusants et même humoristiques tout certains des arrangements et la conception des compositions. L’héritage du quartet d’Ornette Coleman période Atlantic est évident. Une bonne partie de la musique nous fait entendre les interventions croisées, questions – réponses, alternances de courts solos swinguant à souhait, avec une tendance aux dissonances avec de curieux intervalles, des changements de rythmes, un jeu de batterie léger, rebondissant et dynamique. Rudi Mahall drive énergiquement « à la Dolphy » , dont il reconnaît l’extraordinaire compétence instrumentale à la clarinette basse. On entend chez lui aussi l’influence Konitzienne et celle du swing à l’ancienne à la clarinette en Mi Bémol. Mais aussi quelque chose proche George Russell, des morceaux de Bill Dixon et New York Contemporary Five des premières années 60, si ces références vous passionnent. La connivence entre Rudi et Axel est absolument phénoménale, rare dans les annales du jazz. La science de l’emboîtement, de la suite dans les idées, de l’esprit d’à-propos, leur don d’ubiquité mélodique, leur allant lyrique et la symbiose interpersonnelle de leur travail collectif. Les deux souffleurs peuvent de mettre à improviser en même temps par-dessus le flux rythmique assuré solidement par ce bassiste attentif et subtil au niveau des tempi qu’est Jan Roder. Le jeu de Michael Griener a une classe extraordinaire jouant « free bop » avec une belle inventivité rythmique et sonore, tout en ajoutant quelques interventions isolées dans les silences entre deux interventions des souffleurs. Solos assez courts, contrechants et passages de témoin réciproques : tout se passe dans une bonne humeur teintée de nostalgie West- Coast avec quelques dérapages sonores, écho du travail musical « réductionniste d’Axel. Music Minus One est plus orienté Jazz, mais un album intitulé « 5 » et publié par Intakt il y a plusieurs années sonnait plus avant-garde, si je peux m’exprimer ainsi.Cfr https://dieenttuschungintakt.bandcamp.com/. Et j’attire l’attention sur l’empathie du tandem « rythmique » sans l’enjouement duquel et leurs très remarquables qualités, la musique de Die Enttäuschung ne tiendrait pas debout et n’avancerait pas. Et puis nos amis sont des intenses travailleurs de la musique. À chaque publication, ils nous soumettent une enfilade exponentielle de compositions, de thèmes, de codas, d’improvisations délurées, non-sensiques, imbriquées à souhait dans l’encâblure des thèmes et des riffs etc.. d’une réelle complexité. J’aime beaucoup le jazz et à la longue cette organisation structurelle et temporelle d’un morceau qui commence par un thème funky soul bluesy répété sur des douzaines de mesures et leur enfilade de solos de trompette, de saxophone, de piano avec le découpage préétabli de 32 mesures finit par être rasoir. Avec Die Enttäuschung, on ne s’ennuie jamais, on sourit et l’auditeur et les musiciens sont surpris, réjouis et tenus éveillés par les facéties de ces quatre joyeux lurons affairés qui ne se prennent pas au sérieux avec tout le sérieux musical du monde. La quintessence du jazz et les risques assumés.
Speaking in Tongues Grido : Marco Colonna Giulia Cianca Fabrizio Spera
https://marcocolonna.bandcamp.com/album/grido
Trio Romain original : clarinette basse (Marco Colonna), chant et voiw (Giulia Cianca), batterie Fabrizio Spera. Le très remarquable batteur Fabrizio Spera mène la danse avec des séquences polyrythmiques fluides et sonores et un beau son acoustique ; chaque morceau voit poindre de nouvelles idées et d’autres agencements de frappes, peaux ou métalliques. Un équilibre égalitaire unit le souffle grondant et tournoyant de la clarinette basse et la voix méditerranéenne de la chanteuse, ses effets vocaux et les mots chantés, étirés et brouillés des trois textes qu’elle a écrit pour l’occasion (cfr, Imparare a Tremare, Se Non Credessi et Custodirsi). Voies parallèles, commentaires, unissons, friselis de batterie ludiques , murmures graves de la clarinettes, aigus mordants, effets de souffle percussifs, diction vécue de la chanteuse dans la langue italienne et improvisation vocale audacieuse et expressive avec de super bruits buccaux. Marco Colonna use de ses moyens et de son jeu imaginatif pour diversifier le propos et créer des ambiances en empathie intime ou par contraste. Ou alors diffuser un blues à la manière d’un sax ténor … à la clarinette basse exaspérée. Ailleurs livre le grand jeu entre deux improvisations vocales engagées de Giulia Cianca (Push Up)/ Tous trois se révèlent être des improvisateurs très expérimentés, créant un univers poétique et musical original en mettant en commun leurs qualités qui se bonifient réciproquement et collectivement, sans se répéter avec un répertoire superbement équilibré. On pourra qualifier la démarche de « folklore imaginaire » (cfr la rythmique de Spera dans Se Non Credessi). C’est en fait une musique qui s’adresse idéalement à un public ouvert sensible aux authentiques musiques populaires qui sont ici renouvelées par une pratique plus libérée des jeux musicaux et des formes spontanées. En transmettant ainsi leurs sensibilités musicales, ces trois artistes transmettent des valeurs, des pensées, jouent de tout leur coeur et se donnent toutes les chances de convaincre un public peu préparé ou « moins » connaisseur du jazz contemporain et des musiques improvisées. Un superbe et touchant travail musical.
Unstable Molecules Ernesto Rodrigues Frank Gratkowski Guilherme Rodrigues Michael Griener. Creative Sources CS 843 CD
https://creativesources.bandcamp.com/album/unstable-molecules
Les Rodrigues père (Ernesto l’altiste) et fils (Guilherme le violoncelliste) se font un point d’honneur d’enregistrer avec un nombre incalculable d’improvisateurs de tout bords qu’ils soient des inconnus ou des « talents locaux » ou des artistes de notoriété internationale. Étrangement malgré leur grand talent, les deux Rodrigues n’éclaboussent pas les programmations importantes, festivals incontournables ou endroits renommés. On les a entendus souvent avec Axel Dörner, Alexander Frangenheim, Carlos Zingaro, Fred Lonberg Holm et une kyrielle exponentielle de camarades portugais mais aussi récemment avec Alexander von Schlippenbach et Gunther Sommer. Voici deux collaborateurs providentiels de la scène germanique parmi les musiciens les plus demandés : le classieux saxophoniste-clarinettiste Frank Gratkowski et le batteur Michael Griener, lui-même proche compagnon de route de l’autre clarinettiste-saxophoniste d’envergure en Allemagne, Rudi Mahall.
Trois improvisations enregistrées au Kühlspot Social Club à Berlin de respectivement 37 :22 (Fantastic), 15 :44 (Invisible) et le final de 3 :58 (Torch). Comme le titre l’indique la chimie interne d’un groupe d’improvisation libre totale sont l’affaire de Molécules Instables avec ceci près que l’écoute mutuelle et la sensibilité des improvisateurs peut très bien tendre à une empathie sonore et des efforts conjoints procédant à une création collective presqu’ inconsciemment concertée. Le souffle boisé de la clarinette basse interfère discrètement avec les frottements stylés des deux cordistes alto et violoncelle alternant judicieusement sons d’ensemble et virevoltes animées l’intensité et les nuances desquelles coïncident avec le tempérament fluctuant du souffleur et les métamorphoses de son jeu à la clarinette basse. Le percussionniste négocie ses frappes au compte-goutte entrechoquant au hasard quelques cymbales, cliquetant les bords et les métaux pour créer des commentaires discrets, subtils, et parfaitement intégrés à l’ensemble. La musique de Fantastic traverse plusieurs phases habilement coordonnées confinant parfois aux miracles, alliant successivement et avec succès, retenue contemporaine, luxuriance, empressement ludique, exploration lucide, un drone en suspension. Plusieurs occurrences naissent les unes des autres et leur suite est réalisée avec un raffinement qui ferait rougir bien des compositeurs patentés. Le travail de Gratkowski est superbement magnifique dans sa contemporanéité et la qualité de ses timbres jusqu’au moment où il écorche dramatiquement la colonne d’air de son sax alto par un cri instantané qui mène curieusement à une phase silencieuse. Musique de contrastes. Le flux sonore discrètement omniprésent d’Ernesto Rodrigues est soyeux et dynamique à souhait et profondément inspirant par ses oscillations - soniques boisées et ses harmoniques contraintes, ostinatos métamorphiques contrebalancés par les profonds coups d’archet de son alter ego au violoncelle, dans l’ombre duquel le murmure soudain de la clarinette basse vient se cacher dans un mouvement final vers l’inertie en lent decrescendo du meilleur effet. Une musique d'une richesse fabuleuse, du contemporain aussi habilement spontané que maîtrisé.
https://confrontrecordings.bandcamp.com/album/loose-connections
Paul Lytton est crédité ici d’une « tabletop percussion » et « bits and pieces ». C’est l’autre facette de son travail de « batteur » qui contribue depuis des décennies à la magnificence du trio Evan Parker – Barry Guy – Paul Lytton. De multiples objets percussifs sont rassemblés pêle-mêle sur la surface de deux tables de camping : grattoirs, cloche parallélépipédique soudée, chaînes, afuche, , des castagnettes gnawa, une longue lame de tapissier à frotter à l’archet, deux ou trois petits tambours dont un avec une cordelette vibrante, woodblock, « lion’s roars » , grattoirs, crotales, cymbales, baguettes, mailloches, etc… Georg Wissel joue lui des « augmented alto et tenor saxophones » en insérant d’étranges sourdines dans le pavillon ou en fichant l’embouchure dans le sax sans le tuyau courbé. Deux explorateurs des sons et de la gestuelle d’instrumentiste à l’écart des sentiers battus. Cela fait bien plus d’une décennie qu’ils jouent ensemble, et donc, un enregistrement s’imposait. Le terme musique expérimentale n’a de meilleure exemplarité que dans ces Loose Connections. Tout au long de cette longue improvisation - déambulation bruiteuse et hasardeuse de 45 minutes, l’auditeur ne surprend jamais le saxophoniste à jouer un seul instant « normalement » même dans l’idiome « free », lequel a autant ses codes et ses poncifs que celui d’un guitariste rock. Les « préparations » qu’il inflige au sax écartent et subvertissent les intervalles entre les notes et la faible intensité de ses souffles, leurs irrégularités occasionnent d’étranges glissements à ces timbres lunatiques. À côté de sa table à malices percussives grouillante d’objets bruissant sous laquelle trône une grosse caisse, peut se trouver son installation amplifiée d'objets monté sur des cadres métalliques et décrite comme des "live electronics". Mais lors de cet enregistrement, cette installation était absente. Les ondulations hybrides du souffleur ondoient ou mordent par-dessus la table recouverte d’accessoires en mouvement ponctuel ou quasi perpétuel avec une ou deux mains et les dix doigts étonnamment indépendants les unes et les uns des autres. Parmi ses ustensiles, on compte une spatule métallique de plafonneur. Murmures, froissements, grattages, chocs, griffages, secousses animent cette table abracadabrante qui se transforme un instant en micro-batterie déjantée avec une frappe de grosse caisse occasionnelle ou soutenue ou s’évanouissent lorsque file le grincement de sa cloche rectangulaire en métal brut oxydé obtenu avec la pointe d’une baguette. L’alliance Lytton – Wissel n’a rien de fortuit ou d’aléatoire, mais s’envisage comme une dérive poétique existentielle. La trajectoire du souffleur s’inscrit dans le sillage de l’ Evan Parker du duo avec Lytton, des Doneda, Leimgruber et Zorn etc… mais, surtout, évolue sur son propre terrain particulier. Faut- il souligner que Paul Lytton figure parmi la poignée de « pionniers » des improvisateurs « bruitistes » radicaux de la première heure tout comme Eddie Prévost, Keith Rowe, Hugh Davies, etc... ? Vraiment convaincant.
Die Komplette Die Enttäuschung : Rudi Mahall Axel Dörner Jan Roder Michael Griener Two Nineteen Records 2-19 -011
https://dieenttaeuschung.bandcamp.com/album/die-komplette-entt-uschung
Music Minus One Die Enttäuschung Two Nineteen Records 2-19–010
https://dieenttaeuschung.bandcamp.com/album/music-minus-one
Die Enttäuschung, la Déception en Allemand, est un quartet de jazz « free-bop » et « collectif » en existence depuis le milieu des années 90. Les quatre musiciens, le clarinettiste (basse et Mi-bémol) Rudi Mahall, le trompettiste Axel Dörner, le contrebassiste Jan Roder et le batteur Michael Griener, composent chacun des titres enregistrés ici, à raison de 17 pour Music Minus One et de 18 pour Die Komplette, et qui se révèlent de superbes compositions de jazz contemporain. Ils ont commis l’exploit de produire deux double albums vinyles et un triple CD consacrés uniquement à toutes les compositions de Thelonious Monk. Deux de ces recueils « Monk’s Casino » ont été enregistrés en compagnie du pianiste Alex von Schlippenbach, lui-même un dévôt de Thelonious Monk. Le CD de Die Komplette Enttäuschung est livré avec un superbe catalogue haut en couleurs contenant les reproductions de toutes les oeuvres / collages de Katja Mahall qui ornent les pochettes de leurs CD’s tant pour le label Intakt que pour leur label fétiche 2 – 19. On va dire que les collages sont vraiment amusants et même humoristiques tout certains des arrangements et la conception des compositions. L’héritage du quartet d’Ornette Coleman période Atlantic est évident. Une bonne partie de la musique nous fait entendre les interventions croisées, questions – réponses, alternances de courts solos swinguant à souhait, avec une tendance aux dissonances avec de curieux intervalles, des changements de rythmes, un jeu de batterie léger, rebondissant et dynamique. Rudi Mahall drive énergiquement « à la Dolphy » , dont il reconnaît l’extraordinaire compétence instrumentale à la clarinette basse. On entend chez lui aussi l’influence Konitzienne et celle du swing à l’ancienne à la clarinette en Mi Bémol. Mais aussi quelque chose proche George Russell, des morceaux de Bill Dixon et New York Contemporary Five des premières années 60, si ces références vous passionnent. La connivence entre Rudi et Axel est absolument phénoménale, rare dans les annales du jazz. La science de l’emboîtement, de la suite dans les idées, de l’esprit d’à-propos, leur don d’ubiquité mélodique, leur allant lyrique et la symbiose interpersonnelle de leur travail collectif. Les deux souffleurs peuvent de mettre à improviser en même temps par-dessus le flux rythmique assuré solidement par ce bassiste attentif et subtil au niveau des tempi qu’est Jan Roder. Le jeu de Michael Griener a une classe extraordinaire jouant « free bop » avec une belle inventivité rythmique et sonore, tout en ajoutant quelques interventions isolées dans les silences entre deux interventions des souffleurs. Solos assez courts, contrechants et passages de témoin réciproques : tout se passe dans une bonne humeur teintée de nostalgie West- Coast avec quelques dérapages sonores, écho du travail musical « réductionniste d’Axel. Music Minus One est plus orienté Jazz, mais un album intitulé « 5 » et publié par Intakt il y a plusieurs années sonnait plus avant-garde, si je peux m’exprimer ainsi.Cfr https://dieenttuschungintakt.bandcamp.com/. Et j’attire l’attention sur l’empathie du tandem « rythmique » sans l’enjouement duquel et leurs très remarquables qualités, la musique de Die Enttäuschung ne tiendrait pas debout et n’avancerait pas. Et puis nos amis sont des intenses travailleurs de la musique. À chaque publication, ils nous soumettent une enfilade exponentielle de compositions, de thèmes, de codas, d’improvisations délurées, non-sensiques, imbriquées à souhait dans l’encâblure des thèmes et des riffs etc.. d’une réelle complexité. J’aime beaucoup le jazz et à la longue cette organisation structurelle et temporelle d’un morceau qui commence par un thème funky soul bluesy répété sur des douzaines de mesures et leur enfilade de solos de trompette, de saxophone, de piano avec le découpage préétabli de 32 mesures finit par être rasoir. Avec Die Enttäuschung, on ne s’ennuie jamais, on sourit et l’auditeur et les musiciens sont surpris, réjouis et tenus éveillés par les facéties de ces quatre joyeux lurons affairés qui ne se prennent pas au sérieux avec tout le sérieux musical du monde. La quintessence du jazz et les risques assumés.
Speaking in Tongues Grido : Marco Colonna Giulia Cianca Fabrizio Spera
https://marcocolonna.bandcamp.com/album/grido
Trio Romain original : clarinette basse (Marco Colonna), chant et voiw (Giulia Cianca), batterie Fabrizio Spera. Le très remarquable batteur Fabrizio Spera mène la danse avec des séquences polyrythmiques fluides et sonores et un beau son acoustique ; chaque morceau voit poindre de nouvelles idées et d’autres agencements de frappes, peaux ou métalliques. Un équilibre égalitaire unit le souffle grondant et tournoyant de la clarinette basse et la voix méditerranéenne de la chanteuse, ses effets vocaux et les mots chantés, étirés et brouillés des trois textes qu’elle a écrit pour l’occasion (cfr, Imparare a Tremare, Se Non Credessi et Custodirsi). Voies parallèles, commentaires, unissons, friselis de batterie ludiques , murmures graves de la clarinettes, aigus mordants, effets de souffle percussifs, diction vécue de la chanteuse dans la langue italienne et improvisation vocale audacieuse et expressive avec de super bruits buccaux. Marco Colonna use de ses moyens et de son jeu imaginatif pour diversifier le propos et créer des ambiances en empathie intime ou par contraste. Ou alors diffuser un blues à la manière d’un sax ténor … à la clarinette basse exaspérée. Ailleurs livre le grand jeu entre deux improvisations vocales engagées de Giulia Cianca (Push Up)/ Tous trois se révèlent être des improvisateurs très expérimentés, créant un univers poétique et musical original en mettant en commun leurs qualités qui se bonifient réciproquement et collectivement, sans se répéter avec un répertoire superbement équilibré. On pourra qualifier la démarche de « folklore imaginaire » (cfr la rythmique de Spera dans Se Non Credessi). C’est en fait une musique qui s’adresse idéalement à un public ouvert sensible aux authentiques musiques populaires qui sont ici renouvelées par une pratique plus libérée des jeux musicaux et des formes spontanées. En transmettant ainsi leurs sensibilités musicales, ces trois artistes transmettent des valeurs, des pensées, jouent de tout leur coeur et se donnent toutes les chances de convaincre un public peu préparé ou « moins » connaisseur du jazz contemporain et des musiques improvisées. Un superbe et touchant travail musical.
Unstable Molecules Ernesto Rodrigues Frank Gratkowski Guilherme Rodrigues Michael Griener. Creative Sources CS 843 CD
https://creativesources.bandcamp.com/album/unstable-molecules
Les Rodrigues père (Ernesto l’altiste) et fils (Guilherme le violoncelliste) se font un point d’honneur d’enregistrer avec un nombre incalculable d’improvisateurs de tout bords qu’ils soient des inconnus ou des « talents locaux » ou des artistes de notoriété internationale. Étrangement malgré leur grand talent, les deux Rodrigues n’éclaboussent pas les programmations importantes, festivals incontournables ou endroits renommés. On les a entendus souvent avec Axel Dörner, Alexander Frangenheim, Carlos Zingaro, Fred Lonberg Holm et une kyrielle exponentielle de camarades portugais mais aussi récemment avec Alexander von Schlippenbach et Gunther Sommer. Voici deux collaborateurs providentiels de la scène germanique parmi les musiciens les plus demandés : le classieux saxophoniste-clarinettiste Frank Gratkowski et le batteur Michael Griener, lui-même proche compagnon de route de l’autre clarinettiste-saxophoniste d’envergure en Allemagne, Rudi Mahall.
Trois improvisations enregistrées au Kühlspot Social Club à Berlin de respectivement 37 :22 (Fantastic), 15 :44 (Invisible) et le final de 3 :58 (Torch). Comme le titre l’indique la chimie interne d’un groupe d’improvisation libre totale sont l’affaire de Molécules Instables avec ceci près que l’écoute mutuelle et la sensibilité des improvisateurs peut très bien tendre à une empathie sonore et des efforts conjoints procédant à une création collective presqu’ inconsciemment concertée. Le souffle boisé de la clarinette basse interfère discrètement avec les frottements stylés des deux cordistes alto et violoncelle alternant judicieusement sons d’ensemble et virevoltes animées l’intensité et les nuances desquelles coïncident avec le tempérament fluctuant du souffleur et les métamorphoses de son jeu à la clarinette basse. Le percussionniste négocie ses frappes au compte-goutte entrechoquant au hasard quelques cymbales, cliquetant les bords et les métaux pour créer des commentaires discrets, subtils, et parfaitement intégrés à l’ensemble. La musique de Fantastic traverse plusieurs phases habilement coordonnées confinant parfois aux miracles, alliant successivement et avec succès, retenue contemporaine, luxuriance, empressement ludique, exploration lucide, un drone en suspension. Plusieurs occurrences naissent les unes des autres et leur suite est réalisée avec un raffinement qui ferait rougir bien des compositeurs patentés. Le travail de Gratkowski est superbement magnifique dans sa contemporanéité et la qualité de ses timbres jusqu’au moment où il écorche dramatiquement la colonne d’air de son sax alto par un cri instantané qui mène curieusement à une phase silencieuse. Musique de contrastes. Le flux sonore discrètement omniprésent d’Ernesto Rodrigues est soyeux et dynamique à souhait et profondément inspirant par ses oscillations - soniques boisées et ses harmoniques contraintes, ostinatos métamorphiques contrebalancés par les profonds coups d’archet de son alter ego au violoncelle, dans l’ombre duquel le murmure soudain de la clarinette basse vient se cacher dans un mouvement final vers l’inertie en lent decrescendo du meilleur effet. Une musique d'une richesse fabuleuse, du contemporain aussi habilement spontané que maîtrisé.
9 octobre 2024
Annick Nozati & Daunik Lazro duo et en quartet w.Paul Lovens & Fred Van Hove / Music for Trumpets Bass Clarinets & Saxophones John Cage Gérard Grisey Giacinto Scelsi, Thanos Chrysakis, Julie Kjaer, Tim Hodgkinson/ GUSH Mats Gustafsson Ray Strid Sten Sandell with Sofia Jernberg, Anders Nyqvist Philipp Wachsmann Christine Albelnour Pete Soderberg Jörgen Adolfsson Sven Åke Johansson.
Sept Fables sur l’Invisible Annick Nozati – Daunik Lazro Mazeto Square Concert enregistré au Festival Musique Action 1994.
Voir références ici à la BNF : https://nouveautes-editeurs.bnf.fr/accueil?id_declaration=10000001039483&titre_livre=Sept_fables_sur_l%27invisible
De la part d’Annick Nozati, cette performance en duo avec le saxophoniste Daunik Lazro révèle sa facette la plus intimiste, la plus « vocale » ou éventuellement plus introvertie par rapport au disque suivant (cfr ci - dessous Résumé of A Century/ FOU) où elle s’imposait avec un urgent expressionnisme à ses collègues (Résumé of a Century avec Daunik Lazro Paul Lovens Annick Nozati Fred Van Hove). Dans ces Sept Fables, sa voix et ses extrêmes sont de toute beauté, quelques soient les registres qu’elle incarne et vivifie avec son extraordinaire inspiration et son talent unique. Pour que sa musique et son chant se hissent autant que sa voix monte dans les aigus, il lui faut la compagnie d’un frère en musique aussi intensément impliqué, aussi sincère, aussi profond que Daunik Lazro. Celui-ci fait vibrer, éclater et transcender les colonnes d’air de ses deux saxophones, le son tranchant du sax alto au son brûlant et le grave baryton qui éructe et gronde. La voix d’Annick Nozati exprime ici une plénitude, un sens poétique universel en intériorisant la puissance de sa vocalité dans une constante métamorphose. Une complémentarité évidente surgit dès le premier morceau entre les harmoniques hachurées et brûlantes du saxophoniste et les tressautements raffinés de la voix de chanteuse – devin. S’élancent des glissandi sensuels ou notes soutenues et ondulantes dans les graves qui sous-tendent une mélodie qui s’érode ou renaît. Nous avons droit à toutes ses occurrences : filet de voix, prière …murmures, chant puissant, complainte, gargouillis, éclats, rage, intériorité retenue ou colère expressionniste. Daunik entame une trame lyrique bourdonnante au sax baryton autour de quelques notes qui s’élancent suspendues ou grondent granuleuses. Son jeu peut éclater de mille scories incendiaires contorsionnant la colonne d’air et la sonorité éclatante de son sax alto, registre « non-idiomatique". Leur connivence revêt de multiples formes, merveilleux cas de figure ouvrant constamment de nouvelles perspectives qui enrichissent par magie leur superbe communion émotionnelle et sonore. Les Sept Fables se succèdent, s’enchâssent, s’étendent dans une plasticité inouïe et une densité musicale la plus intense. Les 48 minutes se déroulent en transcendant la perception du temps, vécu comme si c’était un instant d’exception et une durée intangible. Le free français a accouché d’un concept dans le sillage des Workshop de Lyon et du Marvelous Band : le « folklore imaginaire ». En voici, la plus belle manifestation à l’écart des logiques musicologiques / esthétiques déterministes et déterminantes. Une liberté insolente, grave, unique… Sa performance, taillée d’une seule pièce, est intimement poétique avec un aspect théâtral qui vient à la fois de sa réflexion et de ses tripes et d'où un ou deux textes affleurent naturellement ...ou quand son délire explose. Daunik Lazro maintient l’inspiration avec une empathie sans faille au service de ce narratif spontané avec la fraîcheur des sources les plus pures les plus vivifiantes. Il faut souligner la capacité des deux artistes de prendre des respirations et des silences qui apportent une manère majestueuse, quasi hiératique dans le cheminement de ce concert. Un sentiment profond d'infini et de plénitude... J’ai écouté plusieurs de ses consœurs, chanteuses improvisatrices de haut vol parmi les plus inspirées (Maggie, Julie, Ute, Tamia, Isabelle, Jeanne, Sainkho, Iva) aussi inventives, touchantes ou bouleversantes les unes que les autres : je ressens ici que c’est le moment de grâce ultime immortalisé par un seul enregistrement. Voix - saxophone ... Fabuleux ...
Résumé of a Century Daunik Lazro Paul Lovens Annick Nozati Fred Van Hove FOU Records FR – CD 65
https://www.fourecords.com/FR-CD65.htm
Voir références ici à la BNF : https://nouveautes-editeurs.bnf.fr/accueil?id_declaration=10000001039483&titre_livre=Sept_fables_sur_l%27invisible
De la part d’Annick Nozati, cette performance en duo avec le saxophoniste Daunik Lazro révèle sa facette la plus intimiste, la plus « vocale » ou éventuellement plus introvertie par rapport au disque suivant (cfr ci - dessous Résumé of A Century/ FOU) où elle s’imposait avec un urgent expressionnisme à ses collègues (Résumé of a Century avec Daunik Lazro Paul Lovens Annick Nozati Fred Van Hove). Dans ces Sept Fables, sa voix et ses extrêmes sont de toute beauté, quelques soient les registres qu’elle incarne et vivifie avec son extraordinaire inspiration et son talent unique. Pour que sa musique et son chant se hissent autant que sa voix monte dans les aigus, il lui faut la compagnie d’un frère en musique aussi intensément impliqué, aussi sincère, aussi profond que Daunik Lazro. Celui-ci fait vibrer, éclater et transcender les colonnes d’air de ses deux saxophones, le son tranchant du sax alto au son brûlant et le grave baryton qui éructe et gronde. La voix d’Annick Nozati exprime ici une plénitude, un sens poétique universel en intériorisant la puissance de sa vocalité dans une constante métamorphose. Une complémentarité évidente surgit dès le premier morceau entre les harmoniques hachurées et brûlantes du saxophoniste et les tressautements raffinés de la voix de chanteuse – devin. S’élancent des glissandi sensuels ou notes soutenues et ondulantes dans les graves qui sous-tendent une mélodie qui s’érode ou renaît. Nous avons droit à toutes ses occurrences : filet de voix, prière …murmures, chant puissant, complainte, gargouillis, éclats, rage, intériorité retenue ou colère expressionniste. Daunik entame une trame lyrique bourdonnante au sax baryton autour de quelques notes qui s’élancent suspendues ou grondent granuleuses. Son jeu peut éclater de mille scories incendiaires contorsionnant la colonne d’air et la sonorité éclatante de son sax alto, registre « non-idiomatique". Leur connivence revêt de multiples formes, merveilleux cas de figure ouvrant constamment de nouvelles perspectives qui enrichissent par magie leur superbe communion émotionnelle et sonore. Les Sept Fables se succèdent, s’enchâssent, s’étendent dans une plasticité inouïe et une densité musicale la plus intense. Les 48 minutes se déroulent en transcendant la perception du temps, vécu comme si c’était un instant d’exception et une durée intangible. Le free français a accouché d’un concept dans le sillage des Workshop de Lyon et du Marvelous Band : le « folklore imaginaire ». En voici, la plus belle manifestation à l’écart des logiques musicologiques / esthétiques déterministes et déterminantes. Une liberté insolente, grave, unique… Sa performance, taillée d’une seule pièce, est intimement poétique avec un aspect théâtral qui vient à la fois de sa réflexion et de ses tripes et d'où un ou deux textes affleurent naturellement ...ou quand son délire explose. Daunik Lazro maintient l’inspiration avec une empathie sans faille au service de ce narratif spontané avec la fraîcheur des sources les plus pures les plus vivifiantes. Il faut souligner la capacité des deux artistes de prendre des respirations et des silences qui apportent une manère majestueuse, quasi hiératique dans le cheminement de ce concert. Un sentiment profond d'infini et de plénitude... J’ai écouté plusieurs de ses consœurs, chanteuses improvisatrices de haut vol parmi les plus inspirées (Maggie, Julie, Ute, Tamia, Isabelle, Jeanne, Sainkho, Iva) aussi inventives, touchantes ou bouleversantes les unes que les autres : je ressens ici que c’est le moment de grâce ultime immortalisé par un seul enregistrement. Voix - saxophone ... Fabuleux ...
Résumé of a Century Daunik Lazro Paul Lovens Annick Nozati Fred Van Hove FOU Records FR – CD 65
https://www.fourecords.com/FR-CD65.htm
Fou a encore frappé. Jean- Marc Foussat a tellement proposé ses services bénévolement pour collecter toutes ces musiques improvisées libres dans ses moments les plus éclatés, déroutants et submergés d’émotions que sa litanie devient infinie ! Résumé of A Century (in Memoriam Annick et Fred). Les musiciens : le parcours du pianiste anversois Fred Van Hove est tellement particulier (et finalement peu connu des cognoscenti) qu’il semble être, à mon avis, un symbole d’ouverture, une qualité intrinsèque à ce « genre de pratique musicale. Vers le milieu des années 80, il entame une riche collaboration avec Annick Nozati, chanteuse actrice « habitée » et force de la nature aussi improbable pour un tel « intellectuel » du piano, instrument dont il maîtrise toutes les couleurs possibles au-delà de l’entendement humain. Si Fred nous a quitté au crépuscule d’une vie intensément remplie, Annick Nozati, une personnalité peu commune nous a quitté trop tôt. Elle incarnait la violence des sentiments les plus entiers, une furie délirante capable de crier et de moduler sa voix de manière irrépressible, une vraie révolutionnaire au plus profond d’elle-même. Il y eut au plus fort de l’explosion improvisée libre, une sororité de vocalistes aussi audacieuses et créatives les unes que les autres (Julie, Maggie, Jeanne Lee, Dorothea, Tamia, Ute bien plus tard), mais elle était la plus furieuse, la plus improbable, la plus déraisonnable, la plus intensément populaire, la plus dingue, la « folie » scénique étant une qualité incontournable dans ce milieu des improvisateurs , dixint Van Hove et cie. Et cette capacité à murmurer, à mordre, à éructer ou incarner un rapide instant de grandiloquence ou un filet de voix – mélopée suspendue dans l’espace... Alors quand vous avez un Daunik Lazro et son sax alto halluciné , son baryton bourdonnant en boucles et son écoute attentive l’extraordinaire lutin des percussions libérées qu’était Paul Lovens, vous pouviez être certain que vous alliez être transporté dans un autre monde. Deux longues improvisations centrées sur la chanteuse (on lui doit bien ça) : Facing the Facts 29:57 et Consequences 20:58 avec des séquences à l’accordéon de Fred pour fluidifier le flux et ouvrir les débats. On est en 1999 comme pour clôturer le siècle qui vit se développer cette utopie musicale. Impossible de définir cette musique en constante mutation faite de riens, d’idées lumineuses, de moments d’attente et d’écoute, d’embardées, de cris et de méditations. La baryton mordant et borborygmique de Daunik, la scie musicale sifflante de Paul, la voix irréelle d’Annick au bord du silence ou ses appels répétés, ses chamailleries exacerbées…les perles de Fred… tous ces échanges. Les cataclysmes retenus et contrôlés aux percussions… Des portions inespérées de recherches, de trouvailles, de métamorphoses qui se concrétisent en se concentrant dans la deuxième partie, assez étonnante où le groupe fait corps l’une et l’un à l’autre et tous ensemble de manière joyeusement ou dramatiquement anarchique. Merci, Jean-Marc d’avoir exhumé ces instants essentiels qui échappent à l’échelle des valeurs esthétiques parce qu’ils incarnent le sens de la vraie vie.
Music for Trumpets Bass Clarinets & Saxophones John Cage Gérard Grisey Giacinto Scelsi, Thanos Chrysakis, Julie Kjaer, Tim Hodgkinson Aural Terrains TRRN 1854.
Five : John Cage – Anubis : Gérard Grisey – Doe of Stars : Thanos Chrysakis – Maknongen : Giacinto Scelsi – Theatrum Mundi : Thanos Chrysakis – Grain : Julie Kjaer – Spelaion : Tim Hodgkinson.
https://www.auralterrains.com/releases/54
Thanos Chrysakis poursuit, imperturbable, son grand œuvre d’éditeur, concepteur et compositeur à la base de projets « musique contemporaine » de haut niveau impliquant instrumentistes et compositeurs spécialisés dans cette musique et des improvisateurs libres. Parmi ces derniers, Music for Trumpets Bass Clarinets & Saxophones rassemblent Tim Hodgkinson, Julie Kjaer Yoni Silver, Chris Cundy. Son parcours discographique est focalisé essentiellement sur des instruments de souffle : clarinettes (basses et contrebasses bien souvent, saxophones, tubas, trombones etc…, recrutés en Grande Bretagne. Sept compositions signées par Thanos lui-même (deux), les incontournables John Cage, Gérard Grisey, et Giacinto Scelsi et les outsiders Jule Kjaer et Tim Hodgkinson. Sans jeter un seul coup d’œil, cette fois, aux indications de pochette, j’ai laissé tourner le compact en me plongeant dans l’écoute sans chercher à savoir qui et quoi j’entendais pour me laisser emporter par les sons, les strates, unissons, voix parallèles, oscillations, crescendos, détails et vue d’ensemble, comme si je contemplais un paysage. Cette musique parle autant sans qu’on doive comparer le travail de chaque compositeur car cette musique est habitée et vécue par des musiciens qui lui insufflent une rare dimension intérieure. On sonde la profondeur, le mouvement, les textures, le débit, les strates, les bourdonnements, les techniques alternatives éventuelles, la beauté, la clarinette contrebasse solitaire, … Un goût pour le spectralisme est une constante dans les productions de Chrysakis. Cet enregistrement, son déroulement quasi scénographique, les trouvailles musicales, les sonorités, la fluidité, les idées, la richesse des différentes propositions devient un merveilleux voyage, surprenant dans une autre réalité par rapport à celle de la musique improvisée libre à laquelle mon travail d’écriture se rattache. J’ai donc éprouvé un vrai plaisir à parcourir ce nouvel album confectionné avec soin par le compositeur Grec Thanos Chrysakis, établi à Brest en Biélorussie, et duquel je ne rate aucune des parutions chez Aural Terrains, car elles incarnent valablement un démarche complémentaire à l’objet de mon blog.
Gush 30 Krakòw 2018 Not Two Records 3CD Mats Gustafson Sten Sandell & Ray Strid avec Sofia Jernberg, Anders Nyqvist Philipp Wachsmann Christine Albelnour Pete Soderberg Jörgen Adolfson Sven Åke Johansson.
https://www.nottwo.com/mw1020
Avec son premier CD Gush From Things to Gush et sa première longue tournée européenne, ce trio séminal Suédois s’est fait connaître dans les milieux de la scène improvisée européenne. Très vite , le saxophoniste Mats Gustafson, le pianiste Sten Sandell et le percussionniste Raymond Strid collaborent avec Paul Lovens, Barry Guy, Phil Wachsmann, Günter Christmann, Sven Åke Johansson, Marylin Crispell avec qui individuellement ou collectivement ils enregistrent des albums très vite remarqués qui deviennent cultes auprès des auditeurs « branchés » de la génération précédente. Nothing To Read : duo Mats Gustafsson - Paul Lovens en 1991, GushWachs augmenté de Wachsmann, Dogs Eating Trees : Gustafsson avec Lovens et Barry Guy ou You Forget To Answer MG et Strid avec Guy etc… Quelques années plus tard, Mats Gustafsson initie d’intenses collaborations avec Peter Brötzmann, Ken Vandermark, Jim O Rourke etc… et devient le « jeune » saxophoniste le plus en vue – tête d’affiche de la scène internationale avec son extraordinaire expressionnisme explosif sonore, sa stature de quasi rock star, mais aussi subtilement chercheur… entraînant avec lui d’autres musiciens comme le batteur Pale Nilsson Love ou le bassiste Ingebrigt Håker Flaten. J’ai toujours trouvé que Gush est le groupe fétiche qui aurait alors dû se profiler plus avant dans les tournées pour la simple raison du potentiel de contrastes, de dynamiques et d’imaginaires alimentées par la spécificité de leurs différences, de leurs personnalités. Un souffleur délirant, sax baryton puissant et explosif, les shrapnels fragmentés au sax soprano joué avec une embouchure de flûte et la vocalité vorace et agressive au sax ténor, la physicalité et l’énergie affolante de ses performances scéniques : Mats G. Un pianiste de haute volée aux doigtés sophistiqués, une connaissance approfondie et vivante de la musique « sérieuse » utilisée comme un atout diversificateur de la démarche pianistique avant-gardiste et une puissance détonante voisine des Irene S.. et Fred Van Hove. Ces deux pôles s’attirent et se repoussent et leur présence active simultanées mettent en valeur les outrances de l’un et la magnificence de l’autre. Le batteur Raymond Strid est un percussionniste pointilliste voisin des Tony Oxley et Roger Turner – Paul Lovens jouant avec ses accessoires de manière subtilement visuelle et subversive sans jamais surjouer mais avec cette violence intériorisée et cette légèreté qui catapulte les deux autres larrons dans une épique et virulente foire d’empoigne. Cette formule en trio est voisine des légendaires trios Brötzmann Van Hove Bennink des années 69-76 et von Schlippenbach avec Evan Parker et Paul Lovens ou encore le trio d’Irene Schweizer Rudiger Carl et Louis Moholo. C’est l’enfance de l’ art ! Au fil des inombrables parutions Gustafsoniennes , j’ai décroché (question budget aussi) surtout face à la croissance des catalogues Emanem, Maya, Creative Sources, Rastascan, NurNichtNur etc… Donc, ce retour aux sources trentième anniversaire est bienvenu, surtout avec la présence de la chanteuse Sofia Jernberg, du trompettiste Anders Nyqvist dans le CD 1, du violoniste légendaire Phil Wachsmann et de la saxophoniste libanaise Christine Abdelnour au CD2 et la grand-messe pataphysique en compagnie du grand Sven Åke Johansson à la voix avec le luthiste Peter Söderberg et du saxophoniste Jörgen Adolfson. Dans ces rencontres se tapit une belle diversité et aussi la mesure de ce que nous avons manqué durant au moins deux décennies entre les parutions des Live at The Fäsching, Tampere, Norrköping, etc… Un bon document sur un groupe vital qui n’hésite pas à se remettre en question et prendre quelques risques.
4 octobre 2024
Steve Lacy Archives : Solo & w. Andrea Centazzo & Kent Carter / Ivo Perelman Fay Victor Joe Morris Ramon Lopez/ Ove Volquartz Yoko Miura Claude Parle Makoto Sato
Steve Lacy Ictus Archives volume 1 et volume 2 vinyles Ictus RE 0007 et RE 0008 Inédits de Steve Lacy solo ( cinq compositions), Duo avec Andrea Centazzo (deux morceaux) et une pièce en Trio avec Kent Carter et Centazzo.
Trio Live - Lacy / Carter / Centazzo – Ictus RE 003. Un classique !!
Pas de lien audio sur le web pour les Ictus Archives : achetez les deux albums, vous ne serez pas volé, surtout si vous avez peu d’albums de Steve Lacy des années 70 en solo ou en duo – trio « exploratoire ».
https://www.discogs.com/release/27636615-Steve-Lacy-The-Ictus-Archives-Vol-1
https://www.discogs.com/release/27636651-Steve-Lacy-The-Ictus-Archives-Vol-2
https://www.discogs.com/release/21736126-Steve-Lacy-Andrea-Centazzo-Kent-Carter-Trio-Live
Ce sont deux albums neufs bien présentés d’enregistrements de Steve Lacy inédits de qualité et réalisés lors des premiers concerts de Steve Lacy en duo avec le percussionniste Andrea Centazzo le 18 février 1976 (Vol.1) et en trio avec son fidèle contrebassiste Kent Carter et Centazzo (Vol.2) le 5 décembre 1976. Les enregistrements sont d’excellente qualité technique et mettent en valeur la musique. Andrea Centazzo est le maître d’oeuvre des publications Ictus, un label incontournable de la deuxième moitié des années 70 et début 80. Ces deux rencontres successives ont été documentées dans deux albums majeurs publiés à l’époque.
Premièrement, Clangs du duo Lacy - Centazzo jouant des compositions du maître du sax soprano et enregistré à Udine le 20 février 1976. Cet album inaugurait le cycle des rencontres / albums en duo de Lacy avec Michael Smith, Kent Carter et Masa Kwaté et ses propres compositions, d'une part et d'autre part avec Derek Bailey (Company 3/ Incus) et Maarten Altena (High Low and Order/ Claxon) en improvisation totale. À cette époque, Steve Lacy s’affirmait comme créateur solitaire de ses propres compositions d’une expressivité extraordinaire pour un instrument « difficile », le sax soprano, un sens magique de la forme et une sonorité à nulle autre pareille. Références ultimes : les deux albums Avignon and After Volume 1 Emanem 5023 (Août 1972 et Avril 1974) et Avignon and After Volume 2 Emanem 5031 ainsi que Hooky Emanem 4042 (Mars 1976). En se lançant dans des duos (tendance dans les années 70), il approfondit son art en le mettant en exergue face à un autre improvisateur. De fait, avec les Solos, ce sont ses enregistrements les plus « lisibles » pour les auditeurs qui veulent se concentrer essentiellement sur jeu de saxophone si particulier.
Deuxièmement, Trio Live (Ictus Re 003), le superbe trio de Lacy avec Kent Carter et Andrea Centazzo enregistré (aussi) à Udine le 5 décembre 1976 lors du concert dont Ictus avait publié l’essentiel de la musique dans le vinyle original, Trio Live et dont le cœur est la légendaire Tao Suite partiellement jouée ici (Existence - The Way - Bone) introduite par the Crust et avec le très amusant Ducks en final sous le titre Trio Live. Cet album Trio Live est aujourd’hui réédité en vinyle par Ictus (Ictus re 0003), tout comme Clangs et Drops en duo avec Derek Bailey. Les enregistrements chroniqués ici, Trio Live et les Ictus Archives Vol 1 & 2, ainsi que Clangs ont été excellemment enregistrés par Leonardo Venturini et c’est en lisant son nom et les détails des dates des concerts que je les ai illico achetés via Discogs à la personne qui a réalisé leurs pressages. En effet, on peut parfois craindre des enregistrements « fonds de tiroir » qualité « cassette » comme cela est arrivé chez Ictus pour une ou deux publications en CD. Ici , le client a droit au TOP (sommet) musical et acoustique. En ce qui me concerne et vu mon expérience d’auditeur de pas mal d’autres albums de Steve Lacy, Trio Live /Ictus est un des albums les plus réussis de Steve dans lequel on peut écouter l’essence profonde de sa musique et aussi la profondeur et le timbre caractéristique de la contrebasse de Kent Carter qui apporte un surplus de magie en compagnie du jeu précis, coloré et aérien d’Andrea Centazzo, un spécialiste des « métaux ». Aussi, le son du saxophone est rendu dans toute sa plénitude et son expressivité tout comme lors de la session parisienne avec Kent et le percussionniste Masahiko Togashi, Spiritual Moments. Ou encore l’abum Horo en duo avec Kent, Catch. Ce sont là les quelques albums portes d’entrée "lisibles" de l'univers de Steve Lacy parmi les plus fondamentaux à mon avis.
Ictus Archives Vol 1 nous livre deux versions optimales de Figment (je devrais chercher dans ma collection l’autre titre exact sous lequel ce morceau connu a été enregistré) et Coastline, entendu à l’époque dans l’album solo Stabs Live in Berlin 1975 (SAJ – 05). Je me souviens avoir prêté cet album à un copain qui m’avait rapporté de Londres mes deux premiers LP’s Incus : Tony Oxley Incus 18 et Synopsis d’Howard Riley avec Barry Guy et Oxley à cette époque lointaine où « ces » disques étaient ultra-rares et bouleversants. En me le rendant, il m’a dit : « Ouais , il fait des exercices de saxophone, Lacy ! » . Bien sûr, Steve ne s’éclatait pas comme Coltrane quand celui-ci jouait un My Favourite Things endiablé avec un Elvin ou un Rashied Ali explosifs ! Mais, ce que certains auditeurs ne réalisent pas, c’est que pratiquement, je n’ai (on n’a) jamais entendu aucun autre saxophoniste « soprano » capable de jouer autant de sonorités, d’accents et de textures aussi différentes en « densité », intensité, durée précise, inflexions, jeu « au-dessus » de la tessiture normale, ces harmoniques si précises et travaillées avec une plasticité fabuleuse, et oui , avec ces intervalles si difficiles à maîtriser etc… et tous ces éléments distinctifs à la suite les unes des autres avec cette expressivité fabuleuse et cette logique poétique. Et bien sûr la configuration quasiment antinomique de son bec "ouvert" et du calibre de ses anches devrait être un cauchemar pour nombre de saxophonistes et "un exercice" mission impossible. À cela s’ajoute cette vocalité absolue et intime issue du blues au point que nous entendons quelqu’un nous parler, nous ouvrir son cœur, méditer et nous faire rêver à la réalité immédiate, le vécu intense … La musique en solo de Lacy est un exercice périlleux et... qui d’autre ait jamais essayé ? ! Je pense qu’un saxophoniste comme Evan Parker peut ou doit être considéré comme un géant du sax soprano avec son extraordinaire technique et ses innovations révolutionnaires. Mais à quelques reprises, j’ai entendu Evan saluer humblement Steve lorsqu’il était surpris par l’arrivée de son ami dans le foyer ou « backstage » d’un concert, en disant simplement « Oh ! Master » avec une profond sentiment intérieur de révérence et d’estime. J’ai rencontré assez souvent Evan pour ressentir son émotion sincère et son admiration à ces moments-là. Steve Lacy a été « un élève » de Sonny Rollins lorsqu’il a commencé à jouer avec Thelonious Monk. Car Sonny détenait les secrets d’interprétation des thèmes de Monk mieux que quiconque et les transmettaient généreusement et patiemment à ses collègues qui devaient apprendre cette musique pleine de mystères et ses secrets de fabrication, une musique sans doute la plus emblématique et la plus profonde esthétiquement du jazz dit moderne, « bop ». Sonny , Monk et par la suite Lacy, c’est le sens absolu de la forme. Et c’est pour cela que les pièces en solo de Steve et leurs enregistrements sont absolument incontournables. La simplicité apparente de sa musique au saxophone si évidente est en fait quasi-injouable avec le bec et l'anche qu'il a adoptés, sa technique n'est pas démonstrative ni "bluffante". Mais elle ne sert qu'à transmettre son message et toucher le coeur et la sensibilité du public sans qu'on puisse s'étonner de l'exploit instrumental. Emanem a saisi la mission de nous livrer pas moins de cinq compacts en solo fort heureusement et on n’arrive pas en s’en lasser, seulement enlacer auditivement ses miracles du son et de sa musique existentielle. Et les solos qui figurent dans ces deux volumes d’archives Ictus de 1976 sont des pièces d’anthologie. Pour notre bonheur, les versions en duo de Hooky et the Duck du volume 1 offrent aussi une superbe facette du travail d’Andrea Centazzo qui se déchaîne subtilement dans The Duck en mettant en valeur sa maestria de percussionniste tirant les sons les plus appropriés de sa large panoplie de tambours, cymbales, woodblocks, lionblocks, crotales et cloches en les utilisant tous simultanément. Ébouriffant ! the Duck se retrouve sous le titre Ducks en final du LP Trio Live.
Ictus Archives Volume 2 contient une autre mouture incomplète de la Tao Suite en solo : Name - The Way - Bone, différente que celle qu’il joue plus loin dans ce concert avec Carter et Centazzo (Existence The Way Bone). Entre nous, je crois entendre Existence, cette composition dédiée à John Coltrane. Cette suite figure déjà dans le LP Saravah « Lapis » en solo , album que je trouve inférieur aux Live In Avignon au Chêne Noir, Stabs (FMP SAJ) ou Clinkers (Hat Hut) et ces albums-ci. Depuis 1975 – 76 , l’album légendaire Emanem 301 « Solo in Avignon – au théâtre du Chêne Noir » est resté longtemps impossible à trouver même si son prix collector est resté modeste jusqu’à présent (35€). Il fut enfin réédité sous le titre Weal and Woe en CD par Emanem bien plus tard. Curiosité magnifique : Feline joué en trio avec Kent Carter qui fouine et fouaille à l’archet comme je ne l’ai quasi jamais entendu faire sauf au sein du Quintet, concurrencé alors par la présence du violoncelle d'Irene Aebi et la puissance sonore de la batterie d’Oliver Johnson. Ici, on peut apprécier distinctement son magnifique travail dans un enregistrement clair et bien détaillé avec celui très équilibré et dynamique de Centazzo. La suite du Tao en solo est un modèle de délicatesse quasi introvertie qui vaut les autres versions enregistrées, avec un surcroît d’âme. Jouant en solo plus d’une vingtaine de minutes avant la prestation en Trio lors de ce concert, il a mis toute la gomme émotionnelle avec une réserve intimiste sans forcer le ton, afin sans doute de contraster avec l’énergie du Trio. Centazzo et Carter sont des collaborateurs d’exception apportant une vision esthétique et une sensibilité musicale qui pousse le souffleur dans un moment d’extase esthétique.
Donc, on peut conseiller ces trois albums vinyles de Steve Lacy, surtout si vous n’avez pas d’enregistrements de Steve à cette période cruciale d’épanouissement et des expériences les plus réussies durant les seventies et avec cette qualité de son incisive qui s’estompera dans les décennies ultérieures. À l’époque où il allait commencer un peu à parcourir le monde tant en Europe qu’en Amérique et au Japon, il lui arrivait d’avoir faim, d’être sans le sou, de devoir attendre encore d’être « reconnu » , de ne pas pouvoir payer son loyer, de répéter inlassablement et de travailler d’arrache-pied à concevoir des dizaines de compositions note à note … et quelles notes !!
Messa di Voce Ivo Perelman Fay Victor Joe Morris Ramon Lopez Mahakala Music
https://ivoperelman.bandcamp.com/album/messa-di-voce
Enregistré en janvier 2018, cet enregistrement réunit la chanteuse Fay Victor connue pour son excellent enregistrement Kaiso Stories avec le groupe Other Dimensions in Music où officient deux superbes souffleurs inspirés, Daniel Carter et William Campbell en compagnie de William Parker et du batteur Charles Downs. Chanter conjointement avec des souffleurs, elle connaît. Ivo Perelman qui est un fréquent collaborateur de William Parker avait déjà enregistré avec les chanteuses Flora Purim et Iva Bittova avec laquelle il a signé Vox Populi enregistré quelques mois plus tôt avec le soutien du bassiste Michael Bisio, un autre parmi ses collaborateurs les plus proches, si on en juge par le nombre d’albums en commun. Mais dans cette Messa di Voce et ses 9 improvisations, il bénéficie de l’apport attentif du contrebassiste Joe Morris et du batteur Franco-Espagnol Ramon Lopez. Très bon point que ce Ramon Lopez pour la dynamique transparente voire délicate de son jeu et la légèreté de ses interventions, toutes deux idéales pour jouer avec une chanteuse. On songe au grand Barry Altschul qui suggérait plus les rythmes dans une multitude de petites touches dynamiques et élégantes, plutôt que d’appuyer et « d’enfoncer » le rythme trop lourdement. On appréciera le travail de Morris à l‘archet. Perelman et Victor évoluent tous deux en parallèle avec leurs énergies respectives et leurs expressions bien distinctes. Si Fay Victor utilise sa voix magnifique comme un véritable instrument avec de remarquables nuances expressives, le souffle impétueux d’Ivo Perelman a une qualité vocale surtout quand il étire ses notes dans l’aigu au-delà de la tessiture (ah le jeu des harmoniques) avec cette sonorité « saudade brésilienne ». Cet artiste unique, dont la voix est immédiatement reconnaissable dès la deuxième note peut aussi exploser le timbre du sax ténor, faire éclater les notes « à la Albert Ayler », et même vocaliser abruptement avec la seule embouchure et une de ses mains mouvantes en guise de sourdine mouvant. Se crée alors une sorte de dialogue d’énergies, d’expressions hardies, voire endiablées, de diffractions sonores tempérées par le raffinement des frappes subtiles de Ramon Lopez et la qualité étincelante de son toucher des peaux et cymbales. Paradoxalement, cette légèreté dans le jeu de Lopez, cette sensation de flotter dans l’espace auditif renforce le lyrisme brûlant du saxophoniste et la puissance des vocalises de cette aventurière de la voix, une des rares chanteuses improvisatrices « free » afro-américaines qui a repris le flambeau de l’extraordinaire Jeanne Lee dans un registre bien différent, mais tout aussi prenant. Leurs spirales, ellipses, méandres lumineux de la voix et du souffle oscillent brillamment autour des lignes boisées et élastiques de Joe Morris, un curieux guitariste, ici à la contrebasse avec beaucoup d’à-propos.
PS : j'ai déjà beaucoup rédigé sur l'exégèse d'Ivo Perelman dans ce blog. N'hésitez pas à rechercher certains de mes textes précédents à son sujet.
Chasing the Wild Goose Ove Volquartz Yoko Miura Claude Parle Makoto Sato Setola di Maiale SM 4800
https://www.setoladimaiale.net/catalogue/view/SM4800
Un bien curieux assemblage : Ove Volquartz à la clarinette basse, Claude Parle à l’accordéon, Yoko Miura au piano et Makoto Sato à la batterie ! Mais cela fonctionne très bien avec une belle écoute mutuelle et une intéressante variété de climats, de tensions, de cadences, respirations paisibles, imbrications complexes, charivaris et motifs mélodiques obliques qui s’insinuent ou s’évanouissent sans oublier de merveilleux quasi silences. Ove et Yoko ont souvent joué ensemble, depuis leur rencontre Bruxelloise il y … si longtemps avec le contrebassiste Jean Demey : Discovery of Mysteries – Tag Trio pour le même label Setola Di Maiale. On les a aussi entendus avec le saxophoniste Gianni Mimmo. Claude Parle et Makoto Sato se rencontrent fréquemment sur scène dans la région Parisienne comme par exemple au Babilo ou avec Jean Marc Foussat. On appréciera les interventions dosées et toujours bienvenues du percussionniste Makoto Sato, le souffle et les accords – agrégats de notes ou clusters langoureux ou étrangement pneumatiques de l’accordéon de Claude Parle les haikus bienveillants et cristallins de Yoko Miura au piano et les rêveries boisées de la clarinette basse d’Ove Volquartz ou ses aigus vocalisés. Au fil des successifs Beaming Around The Bush 1-2-3-4 et des Every Cloud has a Silver Lining 1-2-3-4, huit morceaux – narratifs tournent avec distinction autour des quatre – six minutes sans verbiages. Des ambiances quasi ouatées, parfois accidentées, polyphonies sauvages et enlacements giratoires, attentes - hésitations feintes qui débouchent sur quelques pièces de bravoure. Un ensemble unique et fascinant qui prend le temps de jouer et d'étendre ses ramifications dans le temps et l'espace.Toute la qualité de cette rencontre qu’on aurait pu penser « improbable » trouve sa réussite musicale (ses formes, ses couleurs, ses interactions) par la grâce de cette capacité à coexister, dialoguer et partager. Au fur à mesure que le concert évolue de magnifiques turbulences apparaissent, des interactions vivaces prennent corps, la clarinette basse et l’accordéon apportant une nécessaire et fluide vocalité en ondoyant ou tournoyant par-dessus les frappes étoilées ou soutenues sur les peaux de la batterie, le tout aiguillonnée par les intervalles spécifiques des doigtés de la pianiste ou les saccades tortueuses du souffleur (quelle sonorité !) . Un super concert qui livre finalement plusieurs belles surprises.
Trio Live - Lacy / Carter / Centazzo – Ictus RE 003. Un classique !!
Pas de lien audio sur le web pour les Ictus Archives : achetez les deux albums, vous ne serez pas volé, surtout si vous avez peu d’albums de Steve Lacy des années 70 en solo ou en duo – trio « exploratoire ».
https://www.discogs.com/release/27636615-Steve-Lacy-The-Ictus-Archives-Vol-1
https://www.discogs.com/release/27636651-Steve-Lacy-The-Ictus-Archives-Vol-2
https://www.discogs.com/release/21736126-Steve-Lacy-Andrea-Centazzo-Kent-Carter-Trio-Live
Ce sont deux albums neufs bien présentés d’enregistrements de Steve Lacy inédits de qualité et réalisés lors des premiers concerts de Steve Lacy en duo avec le percussionniste Andrea Centazzo le 18 février 1976 (Vol.1) et en trio avec son fidèle contrebassiste Kent Carter et Centazzo (Vol.2) le 5 décembre 1976. Les enregistrements sont d’excellente qualité technique et mettent en valeur la musique. Andrea Centazzo est le maître d’oeuvre des publications Ictus, un label incontournable de la deuxième moitié des années 70 et début 80. Ces deux rencontres successives ont été documentées dans deux albums majeurs publiés à l’époque.
Premièrement, Clangs du duo Lacy - Centazzo jouant des compositions du maître du sax soprano et enregistré à Udine le 20 février 1976. Cet album inaugurait le cycle des rencontres / albums en duo de Lacy avec Michael Smith, Kent Carter et Masa Kwaté et ses propres compositions, d'une part et d'autre part avec Derek Bailey (Company 3/ Incus) et Maarten Altena (High Low and Order/ Claxon) en improvisation totale. À cette époque, Steve Lacy s’affirmait comme créateur solitaire de ses propres compositions d’une expressivité extraordinaire pour un instrument « difficile », le sax soprano, un sens magique de la forme et une sonorité à nulle autre pareille. Références ultimes : les deux albums Avignon and After Volume 1 Emanem 5023 (Août 1972 et Avril 1974) et Avignon and After Volume 2 Emanem 5031 ainsi que Hooky Emanem 4042 (Mars 1976). En se lançant dans des duos (tendance dans les années 70), il approfondit son art en le mettant en exergue face à un autre improvisateur. De fait, avec les Solos, ce sont ses enregistrements les plus « lisibles » pour les auditeurs qui veulent se concentrer essentiellement sur jeu de saxophone si particulier.
Deuxièmement, Trio Live (Ictus Re 003), le superbe trio de Lacy avec Kent Carter et Andrea Centazzo enregistré (aussi) à Udine le 5 décembre 1976 lors du concert dont Ictus avait publié l’essentiel de la musique dans le vinyle original, Trio Live et dont le cœur est la légendaire Tao Suite partiellement jouée ici (Existence - The Way - Bone) introduite par the Crust et avec le très amusant Ducks en final sous le titre Trio Live. Cet album Trio Live est aujourd’hui réédité en vinyle par Ictus (Ictus re 0003), tout comme Clangs et Drops en duo avec Derek Bailey. Les enregistrements chroniqués ici, Trio Live et les Ictus Archives Vol 1 & 2, ainsi que Clangs ont été excellemment enregistrés par Leonardo Venturini et c’est en lisant son nom et les détails des dates des concerts que je les ai illico achetés via Discogs à la personne qui a réalisé leurs pressages. En effet, on peut parfois craindre des enregistrements « fonds de tiroir » qualité « cassette » comme cela est arrivé chez Ictus pour une ou deux publications en CD. Ici , le client a droit au TOP (sommet) musical et acoustique. En ce qui me concerne et vu mon expérience d’auditeur de pas mal d’autres albums de Steve Lacy, Trio Live /Ictus est un des albums les plus réussis de Steve dans lequel on peut écouter l’essence profonde de sa musique et aussi la profondeur et le timbre caractéristique de la contrebasse de Kent Carter qui apporte un surplus de magie en compagnie du jeu précis, coloré et aérien d’Andrea Centazzo, un spécialiste des « métaux ». Aussi, le son du saxophone est rendu dans toute sa plénitude et son expressivité tout comme lors de la session parisienne avec Kent et le percussionniste Masahiko Togashi, Spiritual Moments. Ou encore l’abum Horo en duo avec Kent, Catch. Ce sont là les quelques albums portes d’entrée "lisibles" de l'univers de Steve Lacy parmi les plus fondamentaux à mon avis.
Ictus Archives Vol 1 nous livre deux versions optimales de Figment (je devrais chercher dans ma collection l’autre titre exact sous lequel ce morceau connu a été enregistré) et Coastline, entendu à l’époque dans l’album solo Stabs Live in Berlin 1975 (SAJ – 05). Je me souviens avoir prêté cet album à un copain qui m’avait rapporté de Londres mes deux premiers LP’s Incus : Tony Oxley Incus 18 et Synopsis d’Howard Riley avec Barry Guy et Oxley à cette époque lointaine où « ces » disques étaient ultra-rares et bouleversants. En me le rendant, il m’a dit : « Ouais , il fait des exercices de saxophone, Lacy ! » . Bien sûr, Steve ne s’éclatait pas comme Coltrane quand celui-ci jouait un My Favourite Things endiablé avec un Elvin ou un Rashied Ali explosifs ! Mais, ce que certains auditeurs ne réalisent pas, c’est que pratiquement, je n’ai (on n’a) jamais entendu aucun autre saxophoniste « soprano » capable de jouer autant de sonorités, d’accents et de textures aussi différentes en « densité », intensité, durée précise, inflexions, jeu « au-dessus » de la tessiture normale, ces harmoniques si précises et travaillées avec une plasticité fabuleuse, et oui , avec ces intervalles si difficiles à maîtriser etc… et tous ces éléments distinctifs à la suite les unes des autres avec cette expressivité fabuleuse et cette logique poétique. Et bien sûr la configuration quasiment antinomique de son bec "ouvert" et du calibre de ses anches devrait être un cauchemar pour nombre de saxophonistes et "un exercice" mission impossible. À cela s’ajoute cette vocalité absolue et intime issue du blues au point que nous entendons quelqu’un nous parler, nous ouvrir son cœur, méditer et nous faire rêver à la réalité immédiate, le vécu intense … La musique en solo de Lacy est un exercice périlleux et... qui d’autre ait jamais essayé ? ! Je pense qu’un saxophoniste comme Evan Parker peut ou doit être considéré comme un géant du sax soprano avec son extraordinaire technique et ses innovations révolutionnaires. Mais à quelques reprises, j’ai entendu Evan saluer humblement Steve lorsqu’il était surpris par l’arrivée de son ami dans le foyer ou « backstage » d’un concert, en disant simplement « Oh ! Master » avec une profond sentiment intérieur de révérence et d’estime. J’ai rencontré assez souvent Evan pour ressentir son émotion sincère et son admiration à ces moments-là. Steve Lacy a été « un élève » de Sonny Rollins lorsqu’il a commencé à jouer avec Thelonious Monk. Car Sonny détenait les secrets d’interprétation des thèmes de Monk mieux que quiconque et les transmettaient généreusement et patiemment à ses collègues qui devaient apprendre cette musique pleine de mystères et ses secrets de fabrication, une musique sans doute la plus emblématique et la plus profonde esthétiquement du jazz dit moderne, « bop ». Sonny , Monk et par la suite Lacy, c’est le sens absolu de la forme. Et c’est pour cela que les pièces en solo de Steve et leurs enregistrements sont absolument incontournables. La simplicité apparente de sa musique au saxophone si évidente est en fait quasi-injouable avec le bec et l'anche qu'il a adoptés, sa technique n'est pas démonstrative ni "bluffante". Mais elle ne sert qu'à transmettre son message et toucher le coeur et la sensibilité du public sans qu'on puisse s'étonner de l'exploit instrumental. Emanem a saisi la mission de nous livrer pas moins de cinq compacts en solo fort heureusement et on n’arrive pas en s’en lasser, seulement enlacer auditivement ses miracles du son et de sa musique existentielle. Et les solos qui figurent dans ces deux volumes d’archives Ictus de 1976 sont des pièces d’anthologie. Pour notre bonheur, les versions en duo de Hooky et the Duck du volume 1 offrent aussi une superbe facette du travail d’Andrea Centazzo qui se déchaîne subtilement dans The Duck en mettant en valeur sa maestria de percussionniste tirant les sons les plus appropriés de sa large panoplie de tambours, cymbales, woodblocks, lionblocks, crotales et cloches en les utilisant tous simultanément. Ébouriffant ! the Duck se retrouve sous le titre Ducks en final du LP Trio Live.
Ictus Archives Volume 2 contient une autre mouture incomplète de la Tao Suite en solo : Name - The Way - Bone, différente que celle qu’il joue plus loin dans ce concert avec Carter et Centazzo (Existence The Way Bone). Entre nous, je crois entendre Existence, cette composition dédiée à John Coltrane. Cette suite figure déjà dans le LP Saravah « Lapis » en solo , album que je trouve inférieur aux Live In Avignon au Chêne Noir, Stabs (FMP SAJ) ou Clinkers (Hat Hut) et ces albums-ci. Depuis 1975 – 76 , l’album légendaire Emanem 301 « Solo in Avignon – au théâtre du Chêne Noir » est resté longtemps impossible à trouver même si son prix collector est resté modeste jusqu’à présent (35€). Il fut enfin réédité sous le titre Weal and Woe en CD par Emanem bien plus tard. Curiosité magnifique : Feline joué en trio avec Kent Carter qui fouine et fouaille à l’archet comme je ne l’ai quasi jamais entendu faire sauf au sein du Quintet, concurrencé alors par la présence du violoncelle d'Irene Aebi et la puissance sonore de la batterie d’Oliver Johnson. Ici, on peut apprécier distinctement son magnifique travail dans un enregistrement clair et bien détaillé avec celui très équilibré et dynamique de Centazzo. La suite du Tao en solo est un modèle de délicatesse quasi introvertie qui vaut les autres versions enregistrées, avec un surcroît d’âme. Jouant en solo plus d’une vingtaine de minutes avant la prestation en Trio lors de ce concert, il a mis toute la gomme émotionnelle avec une réserve intimiste sans forcer le ton, afin sans doute de contraster avec l’énergie du Trio. Centazzo et Carter sont des collaborateurs d’exception apportant une vision esthétique et une sensibilité musicale qui pousse le souffleur dans un moment d’extase esthétique.
Donc, on peut conseiller ces trois albums vinyles de Steve Lacy, surtout si vous n’avez pas d’enregistrements de Steve à cette période cruciale d’épanouissement et des expériences les plus réussies durant les seventies et avec cette qualité de son incisive qui s’estompera dans les décennies ultérieures. À l’époque où il allait commencer un peu à parcourir le monde tant en Europe qu’en Amérique et au Japon, il lui arrivait d’avoir faim, d’être sans le sou, de devoir attendre encore d’être « reconnu » , de ne pas pouvoir payer son loyer, de répéter inlassablement et de travailler d’arrache-pied à concevoir des dizaines de compositions note à note … et quelles notes !!
Messa di Voce Ivo Perelman Fay Victor Joe Morris Ramon Lopez Mahakala Music
https://ivoperelman.bandcamp.com/album/messa-di-voce
Enregistré en janvier 2018, cet enregistrement réunit la chanteuse Fay Victor connue pour son excellent enregistrement Kaiso Stories avec le groupe Other Dimensions in Music où officient deux superbes souffleurs inspirés, Daniel Carter et William Campbell en compagnie de William Parker et du batteur Charles Downs. Chanter conjointement avec des souffleurs, elle connaît. Ivo Perelman qui est un fréquent collaborateur de William Parker avait déjà enregistré avec les chanteuses Flora Purim et Iva Bittova avec laquelle il a signé Vox Populi enregistré quelques mois plus tôt avec le soutien du bassiste Michael Bisio, un autre parmi ses collaborateurs les plus proches, si on en juge par le nombre d’albums en commun. Mais dans cette Messa di Voce et ses 9 improvisations, il bénéficie de l’apport attentif du contrebassiste Joe Morris et du batteur Franco-Espagnol Ramon Lopez. Très bon point que ce Ramon Lopez pour la dynamique transparente voire délicate de son jeu et la légèreté de ses interventions, toutes deux idéales pour jouer avec une chanteuse. On songe au grand Barry Altschul qui suggérait plus les rythmes dans une multitude de petites touches dynamiques et élégantes, plutôt que d’appuyer et « d’enfoncer » le rythme trop lourdement. On appréciera le travail de Morris à l‘archet. Perelman et Victor évoluent tous deux en parallèle avec leurs énergies respectives et leurs expressions bien distinctes. Si Fay Victor utilise sa voix magnifique comme un véritable instrument avec de remarquables nuances expressives, le souffle impétueux d’Ivo Perelman a une qualité vocale surtout quand il étire ses notes dans l’aigu au-delà de la tessiture (ah le jeu des harmoniques) avec cette sonorité « saudade brésilienne ». Cet artiste unique, dont la voix est immédiatement reconnaissable dès la deuxième note peut aussi exploser le timbre du sax ténor, faire éclater les notes « à la Albert Ayler », et même vocaliser abruptement avec la seule embouchure et une de ses mains mouvantes en guise de sourdine mouvant. Se crée alors une sorte de dialogue d’énergies, d’expressions hardies, voire endiablées, de diffractions sonores tempérées par le raffinement des frappes subtiles de Ramon Lopez et la qualité étincelante de son toucher des peaux et cymbales. Paradoxalement, cette légèreté dans le jeu de Lopez, cette sensation de flotter dans l’espace auditif renforce le lyrisme brûlant du saxophoniste et la puissance des vocalises de cette aventurière de la voix, une des rares chanteuses improvisatrices « free » afro-américaines qui a repris le flambeau de l’extraordinaire Jeanne Lee dans un registre bien différent, mais tout aussi prenant. Leurs spirales, ellipses, méandres lumineux de la voix et du souffle oscillent brillamment autour des lignes boisées et élastiques de Joe Morris, un curieux guitariste, ici à la contrebasse avec beaucoup d’à-propos.
PS : j'ai déjà beaucoup rédigé sur l'exégèse d'Ivo Perelman dans ce blog. N'hésitez pas à rechercher certains de mes textes précédents à son sujet.
Chasing the Wild Goose Ove Volquartz Yoko Miura Claude Parle Makoto Sato Setola di Maiale SM 4800
https://www.setoladimaiale.net/catalogue/view/SM4800
Un bien curieux assemblage : Ove Volquartz à la clarinette basse, Claude Parle à l’accordéon, Yoko Miura au piano et Makoto Sato à la batterie ! Mais cela fonctionne très bien avec une belle écoute mutuelle et une intéressante variété de climats, de tensions, de cadences, respirations paisibles, imbrications complexes, charivaris et motifs mélodiques obliques qui s’insinuent ou s’évanouissent sans oublier de merveilleux quasi silences. Ove et Yoko ont souvent joué ensemble, depuis leur rencontre Bruxelloise il y … si longtemps avec le contrebassiste Jean Demey : Discovery of Mysteries – Tag Trio pour le même label Setola Di Maiale. On les a aussi entendus avec le saxophoniste Gianni Mimmo. Claude Parle et Makoto Sato se rencontrent fréquemment sur scène dans la région Parisienne comme par exemple au Babilo ou avec Jean Marc Foussat. On appréciera les interventions dosées et toujours bienvenues du percussionniste Makoto Sato, le souffle et les accords – agrégats de notes ou clusters langoureux ou étrangement pneumatiques de l’accordéon de Claude Parle les haikus bienveillants et cristallins de Yoko Miura au piano et les rêveries boisées de la clarinette basse d’Ove Volquartz ou ses aigus vocalisés. Au fil des successifs Beaming Around The Bush 1-2-3-4 et des Every Cloud has a Silver Lining 1-2-3-4, huit morceaux – narratifs tournent avec distinction autour des quatre – six minutes sans verbiages. Des ambiances quasi ouatées, parfois accidentées, polyphonies sauvages et enlacements giratoires, attentes - hésitations feintes qui débouchent sur quelques pièces de bravoure. Un ensemble unique et fascinant qui prend le temps de jouer et d'étendre ses ramifications dans le temps et l'espace.Toute la qualité de cette rencontre qu’on aurait pu penser « improbable » trouve sa réussite musicale (ses formes, ses couleurs, ses interactions) par la grâce de cette capacité à coexister, dialoguer et partager. Au fur à mesure que le concert évolue de magnifiques turbulences apparaissent, des interactions vivaces prennent corps, la clarinette basse et l’accordéon apportant une nécessaire et fluide vocalité en ondoyant ou tournoyant par-dessus les frappes étoilées ou soutenues sur les peaux de la batterie, le tout aiguillonnée par les intervalles spécifiques des doigtés de la pianiste ou les saccades tortueuses du souffleur (quelle sonorité !) . Un super concert qui livre finalement plusieurs belles surprises.
28 septembre 2024
Monk’s Casino Die Enttäusschung & Alexander von Schlippenbach live/ Kris Vanderstraeten Daniel Duchamp Luis Ferin Timo Van Luyck/ Pierre Michel Zaleski & Antoine Herran
Quelques super LP's produits avec amour !!
Monk’s Casino Die Enttaüschung & Alexander von Schlippenbach live vom 6.11.2011 im Au Topsi Pohl Berlin Two-Nineteen Records 2-19-007.
Alexander von Schlippenbach, Axel Dörner, Rudi Mahall, Jan Roder, Michael Griener.
https://dieenttaeuschung.org/
Monk’s Casino est aussi le titre de l’intégrale des compositions de Thelonious Monk enregistrée par ces mêmes musiciens pour le label Intakt dont c’était la centième publication en 2005. Avec ce triple CD d’il y a vingt ans, les quatre de Die Enttäuschung, le clarinettiste (basse) Rudi Mahall, le trompettiste Axel Dörner, le bassiste Jan Roder et le batteur Uli Jennessen ont acquis un solide début de reconnaissance. Cela leur a permis de tourner et d’avoir au catalogue Intakt avec quelques albums passionnants avec la musique de leur cru . Présenté alors par les chroniqueurs comme un projet sous la houlette d’Alex von Schlippenbach, ccela revenait à méconnaître le talent et le travail du quartet Die Enttäuschung (la Déception) qui travaillait d’arrache-pied toutes les compositions de Monk depuis des années en créant des arrangements – collisions avec trompe l’œil narquois et dérapages concertés déconcertants depuis plus de dix ans. En témoigne le premier double album vinyle de Die Enttäuschung enregistré en 1995 entièrement consacré entièrement aux compositions de Thelonious Monk avec pas moins de 16 morceaux … de connaisseurs, parmi lesquelles on trouve Ask Me Now, Let’s Cool One, Humph, Hornin’In, Coming on the Hudson, Let’s Call This, Four In One, Think of One, Evidence, Shuffle Boil. Ça nous change des hommages où on récite benoîtement Round Midnight, Straight No Chaser ou Blue Monk comme à l’école. Tout Monk, un sacré défi de 68 compositions, jouées dans ce merveilleux coffret CD , Monk’s Casino InTakt 100 ! C’est une musique qui demande un aplomb rythmique essentiel. Le grand maître du Monkisme des années 50 au niveau saxophone n’était personne d’autre que Sonny Rollins : Newk était présent aux répétitions lorsqu’un nouveau saxophoniste s’initiait aux mystères du Moine pour expliquer par l’exemple le moindre détail de chaque partie, accents, rythmes, intonations, doigtés... On retrouve aussi des compositions de Monk dans leur vinyle suivant paru sur le label US Crouton. Avec le batteur Uli Jenessen et ensuite, Michael Griener, et le bassiste Jan Roder, le quartet a une assise rythmique solide, fluctuante, attentive à tous les écarts et les fulgurances des deux souffleurs tant Rudi Mahall à la clarinette basse qu’Axel Dörner à la trompette. Celui-ci s’est révélé être un avant-gardiste réductionniste « lower case » époustouflant en inventant une nouvelle pratique instrumentale et musicale radicale, implosant le jeu de la trompette dans un « bruitage » permanent qui, à l’écoute attentive, se révèle tout aussi complexe que celle de la génération précédente des Evan Parker, Günter Christmann, Bailey ou Paul Lovens. On l’a entendu avec John Butcher et Xavier Charles, Mark Sanders, Jim Denley, Keith Rowe, Burkhard Beins, Tony Buck, Fred Lonberg-Holm dans des concerts et des albums carrément « anti-jazz » au point que plusieurs improvisateurs libres patentés dénigraient cette démarche. Mais Axel est un excellent trompettiste et un solide musicien, il suffit pour les amateurs de jazz « moderne » stricto sensu d’écouter les enregistrements de Monk’s Casino. Rudi Mahall, lui s’affirme comme un jazzman dans le fil de la tradition avec une vision anarchiste free, une éthique anti show-biz et pas mal d’humour. Il a un seul privilège : être le seul clarinettiste basse qui incarne le dolphysme tout en avouant qu’Eric Dolphy reste toujours imbattable sur son terrain depuis sa mort en 1964. Il swingue à mort en sursautant avec une vivacité extraordinaire et un souffle déchirant avec un sens de la répartie immédiate qui est la marque des grands improvisateurs. Axel et Rudi s’entendent comme des larrons en foire pour synchroniser leurs efforts, dialoguer un instant et parfois disrupter l’ordonnancement des riffs et embranchements mélodiques en télescopages et collisions ubuesques. Tous deux conçoivent des arrangements des morceaux de Monk pleins de malice et basés sur des « mistakes » (erreurs !). Rudi est déjà un virtuose qui transgresse ses propres limites sonores et de souffle en n’hésitant pas à encanailler le son, grailler les graves et mordiller avec délice et rage les aigus dans des écarts d’intervalles audacieux avec sens du rythme phénoménal. La présence profondément acoustique de Michael Griener entretient une sonorité de batterie à l’ancienne et un style éminemment personnel directement reconnaissable surtout en quartet. Leur batteur précédent, Uli Jenessen, un maillon essentiel de l’équipe, avait malheureusement quitté le groupe et Mahall s’est alors tourné vers Michael Griener, son ami d’adolescence avec qui il improvisait régulièrement. Le jeune Griener découvrit Paul Lovens dans les concerts organisés par Günter Christmann à Hanovre et fut entièrement convaincu : il devint dès lors un des collaborateurs les plus proches de Christmann. Jan Roder et son flair de bassiste puissant et lucide assure la continuité du flux tout en se concentrant sur les aléas rythmiques peu prévisibles du quartet en action – réaction. Aussi, on l'entend dans plusieurs groupes "locaux" d'allumés d'envergure. À ces joyeux drôles, s’adjoint ici le légendaire pianiste Alexander von Schlippenbach, un pionnier incontournable du free-jazz à l’européenne, un expert en piano classique et contemporain ainsi qu'en jazz moderne. Et quel compositeur ! Comme improvisateur « free », il est un pianiste hors du commun alliant un sens des pulsations, des harmonies et un toucher rares avec une imagination déconcertante et une énergie exponentielle, spécialement en trio ou quartet avec Paul Lovens et Evan Parker, groupe à la fructueuse longévité. Sa présence ajoute « un peu de sérieux » et une assise puissante à Monk’s Casino, sous – titré « Die Enttäuschung & Alexander von Schlippenbach ». Tout au long de sa longue carrière (il est né en 1937), Alex a toujours joué des pièces de Thelonious Monk. Soit avec le Globe Unity Orchestra : Evidence dans Globe Unity Special 1975 avec Steve Lacy, le monkien par excellence et Ruby My Dear dans Pearls avec Braxton à l’alto. Ou en trio avec Sunny Murray et Nobuyoshi Ino, Light Blue - Schlippenbach Plays Monk (Enja) et en solo, Schlippenbach Plays Monk (InTakt. Il choisit souvent les pièces de Monk les moins jouées par d’autres. Avec Die Enttäuschung, il joue les thèmes monkiens avec une belle fermeté et souplesse et improvise dans un style voisin des pianistes contemporains de Monk,comme Sonny Clark par exemple, tout en adhérant imperturbablement aux fluctuations du tandem rythmique et aux « erreurs » , fulgurances, errements et pied-de-nez endiablés ou narquois des deux souffleurs, sans parler des emboîtements saugrenus entre deux compositions. Comme toujours les pochettes de leurs disques ou cd’s sont ornées par les collages abracadabrant de Katja Mahall.
Le programme de Monk’s Casino n°2 en vinyle : Side 1 : Thelonious, Locomotive, Trinkle Trinkle, Let’s Cool One, Let’s Call This.
Side 2 : Coming on the Hudson, Bemsha Swing, 52nd Street Theme, Pannonica, Friday the 13th.
Side 3 : Evidence, Misterioso, Sixteen, Skippy.
Side 4 : Green Chimneys, Little Rootie-Tootie, Off Minor, Hackensack, San Francisco Holiday.
Au vu de ces titres, on constate qu’ils ont tenu à enregistrer d’autres morceaux que ceux qui figurent dans le double album inaugural Two Nineteen 001 de 1995 (sans Schlippenbach). On mesure aussi l’évolution de leur savoir-faire et la maturité de leur inspiration. Un des groupes de jazz contemporain les plus remarquables dont les autres albums « 4 », « 5 », Vier Halbe et Lavaman publiés par Intakt en cd et les CD’s 2-19 Music Minus One et Die Komplette Enttaüschung (inclus dans un catalogue des pochettes - collages colorés de Katja Mahall) nous font découvrir une musique d’une finesse rare, plus improvisée et free qui se révèle être un enchantement pour ceux qui connaissent bien le jazz pointu et le free-jazz créatif. Il faut entendre Rudi Mahall joindre les deux bouts en intégrant le message dolphyen, des soupçons d’héritage konitzo-tristanien et l’improvisation sonore radicale. Chacune de leurs interventions individuelles s’imbriquent dans l’instant avec celles des autres avec une dynamique, un dynamisme, la surprise de l'instant et une écoute hyper active.
Ces musiciens sont surtout connus en Allemagne et comme ils ne courtisent pas les musiciens les plus en vue provenant des USA ou d’ailleurs qui alimentent les médias spécialisés et les festivals importants, afin de multiplier les opportunités en invitant X ou Y etc… Préférant leurs potes de la riche scène locale ,Die Enttaüschung demeure un groupe trop méconnu par rapport à leur cohérence, leur talent et leur humour. NB pas de lien audio pour ce double LP et les autres albums 2-19, mais acheter les disques Two Nineteen directement, ils ne sont pas distribués. Adressez-vous à https://dieenttaeuschung.org/
Kris Vanderstraeten Daniel Duchamp Luis Ferin Timo Van Luyck Traces du Hasard La Scie Dorée scie 3824
https://lasciedoree.be/shop/lp/timo-van-luijk-kris-vanderstraeten-daniel-duchamp-luis-ferin-traces-du-hasard-lp/
https://timovanluijkkrisvanderstraeten.bandcamp.com/album/traces-du-hasard
Cet album Traces du Hasard relate la première rencontre de l’artiste sonore Timo Van Luyck avec un bel échantillon des fanatiques de la free music de la région de Bruxelles. Kris Vanderstraeten est un curieux percussionniste inventeur – bricoleur de son propre kit truffé d’accessoires et d’objets comme vous n’en trouvez plus aujourd’hui. Un échappé de la mouvance Paul Lovens Paul Lytton John Stevens et Andrea Centazzo. Lui et son pote Daniel Duchamp ont commencé à jouer ensemble lors de leur service militaire : ils jouaient dans le placard de leur chambrée, Kris du sax et Daniel du cornet, pour ne pas importuner le sergent. Daniel, je crois était alors un fan de Leo Smith et un ferré de Derek Bailey, Peter Kowald et cie, tout comme Kris. Ils ne rataient aucun concert ou festival, y compris Moers à la grande époque ou Actual 1980. Par la suite, Kris a inventé ses batteries successives tout en prenant un cours du soir de percussion et Daniel a exploré la contrebasse. Parmi leurs copains, le saxophoniste Luis Ferin, originaire de Madère, a opté pour le sax soprano. Ici, à la guitare et au sax, Luis était de la bande des créatifs de la défunte Médiathèque de Belgique. Qu’est-il devenu ? Daniel s’est orienté par la suite brillamment dans la musique électronique après avoir officié dans le Van Trio avec Kris et moi-même. Lorsque vous êtes comme Kris et moi des chercheurs avides de trente-trois tours de free-music, impossible d’éviter Timo Van Luyck, qui trônait au comptoir de Pêle-Mêle, la plus antique source bruxelloise de raretés discographiques de nos collections naissantes puis encombrantes. Le voici , crédité auto-harp, sound effects, percussion. Au début des années nonante, Timo cherchait sa voie et collaborait avec Peter Faes, le sonorisateur d’Univers Zéro, au sein du légendaire Noise Maker’s Fife. Puis sont venus Af Ursin, Asra, Andrew Chalk (In Camera ) , Christoph Heemann (Elodie), son label vinyle la Scie Dorée, High Noon, le duo avec Kris (+50 concerts !) et son extraordinaire label Metaphon qui documente des artistes sonores expérimentaux et des compositeurs atypiques dans de somptueux albums ou coffrets CD’s. Timo est un producteur d’albums perfectionniste et de haut vol. Dans la foulée, il n’a pas hésité à se plonger dans ses archives pour faire revivre cette première rencontre hasardeuse mais néanmoins réussie, enregistrée dans le hangar de la gare de Zichem, village fétiche de la culture littéraire flamande (cr De Witte d’Ernest Claes). Mystères, acoustique un peu caverneuse , développement spontané d’improvisations instantanées dont Timo a sélectionné des les extraits les plus évidents. Les musiciens étaient réunis pour chercher, s'essayer à inventer, s’écouter, dériver poétiquement avec autant de cohérence que d’indépendance, à l’abri du show, du besoin de convaincre, dans une quête introspective voire introvertie et tout autant expressionniste. Un document finalement éclairant, sans prétention, mais reflétant la volonté affirmée de s’exprimer sans frein ni arrière-pensée avec un intense plaisir de jouer. Pochette ornée d'un beau collage de Timo Van Luyck. J'ajoute encore que Daniel Duchamp est un excellent photographe et Kris, un graphiste et dessinateur talentueux, exposé à plusieurs reprises.
Pierre Michel Zaleski et Antoine Herran Le paysage réservé LP vinyle auto-produit
Pierre Michel Zaleski est un vocaliste autodidacte avec du coffre et une voix de basse démentielle. Il a commencé à improviser suite à une expérience dans le blues, un travail artistique théâtral et un autre comme caméraman vidéo de talent en Pologne, puis en Belgique. On lui doit d’ailleurs un documentaire sur Mats Gustafsson. Au fil d’expériences avec le contrebassiste Peter Jacquemyn, la danseuse Sofia Kakouri, le guitariste Valentin Becmann et plusieurs rencontres et ateliers, il s’est affirmé comme un vocaliste improvisateur de scène impressionnant. Nous nous sommes tous deux commis en duo à Bruxelles et à Londres et dans des ateliers d’improvisation. Il avait dans l’idée de réaliser un album vocal en solitaire et il s’est adressé à Antoine Herran pour l’enregistrer. Ce qui fut fait dans une vieille maison d’Ixelles. Antoine se trouvait en Roumanie lorsque la pandémie s’est déclenchée et a été forcé d’y rester. Comme il avait les enregistrements à portée de la main, il s’est mis à concevoir méticuleusement une trame musicale avec des guitares, une mandoline, un tambour, des objets pour essayer de coïncider avec le flux vocal, les mélodies, les accents de la vocalité de Pierre Michel. Celui-ci chante en « yaourt » (sans paroles ou dans un langage imaginaire) avec son énorme voix grave, graveleuse, growlante à souhait, créant exhortations chamaniques, diplophonies dignes de celles des montagnards bouriates ou des pasteurs mongols. Il grogne, éructe, murmure, halète. On décèle comme une saveur, des échelles de notes qui proviendraient d’une musique d’une contrée d’Asie Centrale et, heureusement une belle coïncidence se dessine dans les gammes « primitives » non tempérées du jeu de guitare et de mandoline déjanté d’Antoine Herran. Celui-ci a la sensibilité et l’inspiration requises pour ne pas dénaturer le travail de Zaleski, mais l’enrichir, l’ensauvager plus encore et transformer cette aventure en OSNI. Une manière de « folk » free extra-européen alimenté par le blues frappadingue des trous perdus du Mississipi et un Orient inconnu imaginaire ou fantasmé, mais authentique, au-delà du ressenti superficiel ou de l’emprunt anecdotique. Certains morceaux sont parsemés d’effets de guitare électrique qui ajoute une touche punk ou noise, sans doute pour familiariser les auditeurs biberonnés au rock « expérimental ou expérimétal » (que sais-je ?). Une bien belle réussite et un travail de production de haut niveau : pochette du LP double encart, présentation, son, mixage et les multi-pistes réussis du dernier morceau d’anthologie de la fin de la face B. Pour acquérir le disque 33T Le paysage réservé, s'adresser à Pierre Michel Zaleski : pmichel.zaleski@gmail.com
Monk’s Casino Die Enttaüschung & Alexander von Schlippenbach live vom 6.11.2011 im Au Topsi Pohl Berlin Two-Nineteen Records 2-19-007.
Alexander von Schlippenbach, Axel Dörner, Rudi Mahall, Jan Roder, Michael Griener.
https://dieenttaeuschung.org/
Monk’s Casino est aussi le titre de l’intégrale des compositions de Thelonious Monk enregistrée par ces mêmes musiciens pour le label Intakt dont c’était la centième publication en 2005. Avec ce triple CD d’il y a vingt ans, les quatre de Die Enttäuschung, le clarinettiste (basse) Rudi Mahall, le trompettiste Axel Dörner, le bassiste Jan Roder et le batteur Uli Jennessen ont acquis un solide début de reconnaissance. Cela leur a permis de tourner et d’avoir au catalogue Intakt avec quelques albums passionnants avec la musique de leur cru . Présenté alors par les chroniqueurs comme un projet sous la houlette d’Alex von Schlippenbach, ccela revenait à méconnaître le talent et le travail du quartet Die Enttäuschung (la Déception) qui travaillait d’arrache-pied toutes les compositions de Monk depuis des années en créant des arrangements – collisions avec trompe l’œil narquois et dérapages concertés déconcertants depuis plus de dix ans. En témoigne le premier double album vinyle de Die Enttäuschung enregistré en 1995 entièrement consacré entièrement aux compositions de Thelonious Monk avec pas moins de 16 morceaux … de connaisseurs, parmi lesquelles on trouve Ask Me Now, Let’s Cool One, Humph, Hornin’In, Coming on the Hudson, Let’s Call This, Four In One, Think of One, Evidence, Shuffle Boil. Ça nous change des hommages où on récite benoîtement Round Midnight, Straight No Chaser ou Blue Monk comme à l’école. Tout Monk, un sacré défi de 68 compositions, jouées dans ce merveilleux coffret CD , Monk’s Casino InTakt 100 ! C’est une musique qui demande un aplomb rythmique essentiel. Le grand maître du Monkisme des années 50 au niveau saxophone n’était personne d’autre que Sonny Rollins : Newk était présent aux répétitions lorsqu’un nouveau saxophoniste s’initiait aux mystères du Moine pour expliquer par l’exemple le moindre détail de chaque partie, accents, rythmes, intonations, doigtés... On retrouve aussi des compositions de Monk dans leur vinyle suivant paru sur le label US Crouton. Avec le batteur Uli Jenessen et ensuite, Michael Griener, et le bassiste Jan Roder, le quartet a une assise rythmique solide, fluctuante, attentive à tous les écarts et les fulgurances des deux souffleurs tant Rudi Mahall à la clarinette basse qu’Axel Dörner à la trompette. Celui-ci s’est révélé être un avant-gardiste réductionniste « lower case » époustouflant en inventant une nouvelle pratique instrumentale et musicale radicale, implosant le jeu de la trompette dans un « bruitage » permanent qui, à l’écoute attentive, se révèle tout aussi complexe que celle de la génération précédente des Evan Parker, Günter Christmann, Bailey ou Paul Lovens. On l’a entendu avec John Butcher et Xavier Charles, Mark Sanders, Jim Denley, Keith Rowe, Burkhard Beins, Tony Buck, Fred Lonberg-Holm dans des concerts et des albums carrément « anti-jazz » au point que plusieurs improvisateurs libres patentés dénigraient cette démarche. Mais Axel est un excellent trompettiste et un solide musicien, il suffit pour les amateurs de jazz « moderne » stricto sensu d’écouter les enregistrements de Monk’s Casino. Rudi Mahall, lui s’affirme comme un jazzman dans le fil de la tradition avec une vision anarchiste free, une éthique anti show-biz et pas mal d’humour. Il a un seul privilège : être le seul clarinettiste basse qui incarne le dolphysme tout en avouant qu’Eric Dolphy reste toujours imbattable sur son terrain depuis sa mort en 1964. Il swingue à mort en sursautant avec une vivacité extraordinaire et un souffle déchirant avec un sens de la répartie immédiate qui est la marque des grands improvisateurs. Axel et Rudi s’entendent comme des larrons en foire pour synchroniser leurs efforts, dialoguer un instant et parfois disrupter l’ordonnancement des riffs et embranchements mélodiques en télescopages et collisions ubuesques. Tous deux conçoivent des arrangements des morceaux de Monk pleins de malice et basés sur des « mistakes » (erreurs !). Rudi est déjà un virtuose qui transgresse ses propres limites sonores et de souffle en n’hésitant pas à encanailler le son, grailler les graves et mordiller avec délice et rage les aigus dans des écarts d’intervalles audacieux avec sens du rythme phénoménal. La présence profondément acoustique de Michael Griener entretient une sonorité de batterie à l’ancienne et un style éminemment personnel directement reconnaissable surtout en quartet. Leur batteur précédent, Uli Jenessen, un maillon essentiel de l’équipe, avait malheureusement quitté le groupe et Mahall s’est alors tourné vers Michael Griener, son ami d’adolescence avec qui il improvisait régulièrement. Le jeune Griener découvrit Paul Lovens dans les concerts organisés par Günter Christmann à Hanovre et fut entièrement convaincu : il devint dès lors un des collaborateurs les plus proches de Christmann. Jan Roder et son flair de bassiste puissant et lucide assure la continuité du flux tout en se concentrant sur les aléas rythmiques peu prévisibles du quartet en action – réaction. Aussi, on l'entend dans plusieurs groupes "locaux" d'allumés d'envergure. À ces joyeux drôles, s’adjoint ici le légendaire pianiste Alexander von Schlippenbach, un pionnier incontournable du free-jazz à l’européenne, un expert en piano classique et contemporain ainsi qu'en jazz moderne. Et quel compositeur ! Comme improvisateur « free », il est un pianiste hors du commun alliant un sens des pulsations, des harmonies et un toucher rares avec une imagination déconcertante et une énergie exponentielle, spécialement en trio ou quartet avec Paul Lovens et Evan Parker, groupe à la fructueuse longévité. Sa présence ajoute « un peu de sérieux » et une assise puissante à Monk’s Casino, sous – titré « Die Enttäuschung & Alexander von Schlippenbach ». Tout au long de sa longue carrière (il est né en 1937), Alex a toujours joué des pièces de Thelonious Monk. Soit avec le Globe Unity Orchestra : Evidence dans Globe Unity Special 1975 avec Steve Lacy, le monkien par excellence et Ruby My Dear dans Pearls avec Braxton à l’alto. Ou en trio avec Sunny Murray et Nobuyoshi Ino, Light Blue - Schlippenbach Plays Monk (Enja) et en solo, Schlippenbach Plays Monk (InTakt. Il choisit souvent les pièces de Monk les moins jouées par d’autres. Avec Die Enttäuschung, il joue les thèmes monkiens avec une belle fermeté et souplesse et improvise dans un style voisin des pianistes contemporains de Monk,comme Sonny Clark par exemple, tout en adhérant imperturbablement aux fluctuations du tandem rythmique et aux « erreurs » , fulgurances, errements et pied-de-nez endiablés ou narquois des deux souffleurs, sans parler des emboîtements saugrenus entre deux compositions. Comme toujours les pochettes de leurs disques ou cd’s sont ornées par les collages abracadabrant de Katja Mahall.
Le programme de Monk’s Casino n°2 en vinyle : Side 1 : Thelonious, Locomotive, Trinkle Trinkle, Let’s Cool One, Let’s Call This.
Side 2 : Coming on the Hudson, Bemsha Swing, 52nd Street Theme, Pannonica, Friday the 13th.
Side 3 : Evidence, Misterioso, Sixteen, Skippy.
Side 4 : Green Chimneys, Little Rootie-Tootie, Off Minor, Hackensack, San Francisco Holiday.
Au vu de ces titres, on constate qu’ils ont tenu à enregistrer d’autres morceaux que ceux qui figurent dans le double album inaugural Two Nineteen 001 de 1995 (sans Schlippenbach). On mesure aussi l’évolution de leur savoir-faire et la maturité de leur inspiration. Un des groupes de jazz contemporain les plus remarquables dont les autres albums « 4 », « 5 », Vier Halbe et Lavaman publiés par Intakt en cd et les CD’s 2-19 Music Minus One et Die Komplette Enttaüschung (inclus dans un catalogue des pochettes - collages colorés de Katja Mahall) nous font découvrir une musique d’une finesse rare, plus improvisée et free qui se révèle être un enchantement pour ceux qui connaissent bien le jazz pointu et le free-jazz créatif. Il faut entendre Rudi Mahall joindre les deux bouts en intégrant le message dolphyen, des soupçons d’héritage konitzo-tristanien et l’improvisation sonore radicale. Chacune de leurs interventions individuelles s’imbriquent dans l’instant avec celles des autres avec une dynamique, un dynamisme, la surprise de l'instant et une écoute hyper active.
Ces musiciens sont surtout connus en Allemagne et comme ils ne courtisent pas les musiciens les plus en vue provenant des USA ou d’ailleurs qui alimentent les médias spécialisés et les festivals importants, afin de multiplier les opportunités en invitant X ou Y etc… Préférant leurs potes de la riche scène locale ,Die Enttaüschung demeure un groupe trop méconnu par rapport à leur cohérence, leur talent et leur humour. NB pas de lien audio pour ce double LP et les autres albums 2-19, mais acheter les disques Two Nineteen directement, ils ne sont pas distribués. Adressez-vous à https://dieenttaeuschung.org/
Kris Vanderstraeten Daniel Duchamp Luis Ferin Timo Van Luyck Traces du Hasard La Scie Dorée scie 3824
https://lasciedoree.be/shop/lp/timo-van-luijk-kris-vanderstraeten-daniel-duchamp-luis-ferin-traces-du-hasard-lp/
https://timovanluijkkrisvanderstraeten.bandcamp.com/album/traces-du-hasard
Cet album Traces du Hasard relate la première rencontre de l’artiste sonore Timo Van Luyck avec un bel échantillon des fanatiques de la free music de la région de Bruxelles. Kris Vanderstraeten est un curieux percussionniste inventeur – bricoleur de son propre kit truffé d’accessoires et d’objets comme vous n’en trouvez plus aujourd’hui. Un échappé de la mouvance Paul Lovens Paul Lytton John Stevens et Andrea Centazzo. Lui et son pote Daniel Duchamp ont commencé à jouer ensemble lors de leur service militaire : ils jouaient dans le placard de leur chambrée, Kris du sax et Daniel du cornet, pour ne pas importuner le sergent. Daniel, je crois était alors un fan de Leo Smith et un ferré de Derek Bailey, Peter Kowald et cie, tout comme Kris. Ils ne rataient aucun concert ou festival, y compris Moers à la grande époque ou Actual 1980. Par la suite, Kris a inventé ses batteries successives tout en prenant un cours du soir de percussion et Daniel a exploré la contrebasse. Parmi leurs copains, le saxophoniste Luis Ferin, originaire de Madère, a opté pour le sax soprano. Ici, à la guitare et au sax, Luis était de la bande des créatifs de la défunte Médiathèque de Belgique. Qu’est-il devenu ? Daniel s’est orienté par la suite brillamment dans la musique électronique après avoir officié dans le Van Trio avec Kris et moi-même. Lorsque vous êtes comme Kris et moi des chercheurs avides de trente-trois tours de free-music, impossible d’éviter Timo Van Luyck, qui trônait au comptoir de Pêle-Mêle, la plus antique source bruxelloise de raretés discographiques de nos collections naissantes puis encombrantes. Le voici , crédité auto-harp, sound effects, percussion. Au début des années nonante, Timo cherchait sa voie et collaborait avec Peter Faes, le sonorisateur d’Univers Zéro, au sein du légendaire Noise Maker’s Fife. Puis sont venus Af Ursin, Asra, Andrew Chalk (In Camera ) , Christoph Heemann (Elodie), son label vinyle la Scie Dorée, High Noon, le duo avec Kris (+50 concerts !) et son extraordinaire label Metaphon qui documente des artistes sonores expérimentaux et des compositeurs atypiques dans de somptueux albums ou coffrets CD’s. Timo est un producteur d’albums perfectionniste et de haut vol. Dans la foulée, il n’a pas hésité à se plonger dans ses archives pour faire revivre cette première rencontre hasardeuse mais néanmoins réussie, enregistrée dans le hangar de la gare de Zichem, village fétiche de la culture littéraire flamande (cr De Witte d’Ernest Claes). Mystères, acoustique un peu caverneuse , développement spontané d’improvisations instantanées dont Timo a sélectionné des les extraits les plus évidents. Les musiciens étaient réunis pour chercher, s'essayer à inventer, s’écouter, dériver poétiquement avec autant de cohérence que d’indépendance, à l’abri du show, du besoin de convaincre, dans une quête introspective voire introvertie et tout autant expressionniste. Un document finalement éclairant, sans prétention, mais reflétant la volonté affirmée de s’exprimer sans frein ni arrière-pensée avec un intense plaisir de jouer. Pochette ornée d'un beau collage de Timo Van Luyck. J'ajoute encore que Daniel Duchamp est un excellent photographe et Kris, un graphiste et dessinateur talentueux, exposé à plusieurs reprises.
Pierre Michel Zaleski et Antoine Herran Le paysage réservé LP vinyle auto-produit
Pierre Michel Zaleski est un vocaliste autodidacte avec du coffre et une voix de basse démentielle. Il a commencé à improviser suite à une expérience dans le blues, un travail artistique théâtral et un autre comme caméraman vidéo de talent en Pologne, puis en Belgique. On lui doit d’ailleurs un documentaire sur Mats Gustafsson. Au fil d’expériences avec le contrebassiste Peter Jacquemyn, la danseuse Sofia Kakouri, le guitariste Valentin Becmann et plusieurs rencontres et ateliers, il s’est affirmé comme un vocaliste improvisateur de scène impressionnant. Nous nous sommes tous deux commis en duo à Bruxelles et à Londres et dans des ateliers d’improvisation. Il avait dans l’idée de réaliser un album vocal en solitaire et il s’est adressé à Antoine Herran pour l’enregistrer. Ce qui fut fait dans une vieille maison d’Ixelles. Antoine se trouvait en Roumanie lorsque la pandémie s’est déclenchée et a été forcé d’y rester. Comme il avait les enregistrements à portée de la main, il s’est mis à concevoir méticuleusement une trame musicale avec des guitares, une mandoline, un tambour, des objets pour essayer de coïncider avec le flux vocal, les mélodies, les accents de la vocalité de Pierre Michel. Celui-ci chante en « yaourt » (sans paroles ou dans un langage imaginaire) avec son énorme voix grave, graveleuse, growlante à souhait, créant exhortations chamaniques, diplophonies dignes de celles des montagnards bouriates ou des pasteurs mongols. Il grogne, éructe, murmure, halète. On décèle comme une saveur, des échelles de notes qui proviendraient d’une musique d’une contrée d’Asie Centrale et, heureusement une belle coïncidence se dessine dans les gammes « primitives » non tempérées du jeu de guitare et de mandoline déjanté d’Antoine Herran. Celui-ci a la sensibilité et l’inspiration requises pour ne pas dénaturer le travail de Zaleski, mais l’enrichir, l’ensauvager plus encore et transformer cette aventure en OSNI. Une manière de « folk » free extra-européen alimenté par le blues frappadingue des trous perdus du Mississipi et un Orient inconnu imaginaire ou fantasmé, mais authentique, au-delà du ressenti superficiel ou de l’emprunt anecdotique. Certains morceaux sont parsemés d’effets de guitare électrique qui ajoute une touche punk ou noise, sans doute pour familiariser les auditeurs biberonnés au rock « expérimental ou expérimétal » (que sais-je ?). Une bien belle réussite et un travail de production de haut niveau : pochette du LP double encart, présentation, son, mixage et les multi-pistes réussis du dernier morceau d’anthologie de la fin de la face B. Pour acquérir le disque 33T Le paysage réservé, s'adresser à Pierre Michel Zaleski : pmichel.zaleski@gmail.com
15 septembre 2024
Urs Leimgruber Duos w : Joëlle Léandre Magda Mayas Dorothea Schurch/ Karoline Leblanc Paulo J Ferreira Lopes/ Mia Zabelka Yoko Miura Lawrence Casserley
AIR Vol 2 Urs Leimgruber Duo with : Joëlle Léandre Magda Mayas Dorothea Schurch 3CD Creative Works CW1076
https://www.creativeworks.ch/home/cd-shop/cw1076ccd/
Le Volume deux du projet AIR du souffleur Urs Leimgruber au sax soprano en compagnie de trois musiciennes improvisatrices essentielles : la contrebassiste Joëlle Léandre, la pianiste Magda Mayas ici au « clavinet » et la vocaliste Dorothea Schurch qui joue aussi de la scie musicale ou singing saw en anglais. Le 1er volume d’Air en 4 CD réunissait Thomas Lehn, Hans Peter Pfammatter, Jacques Demierre et Gerry Hemingway, chacun en duo avec Urs. Suite au travail intense de Steve Lacy, le saxophone soprano a acquis droit de cité dans les sphères du jazz contemporain ainsi que du « jazz libre » et/ou de l’improvisation libre collective. Steve a effectué une recherche novatrice sur la technique et la philosophie de ce saxophone particulier en en étendant son registre au-delà de « l’aigu » en maîtrisant ses harmoniques et en créant une grammaire sonore, une nouvelle syntaxe et des formes musicales révolutionnaires qu’il synthétisait dans un système de compositions ouvertes et polytonales, tout en étant inscrites dans la trajectoire du jazz moderne et de souffleurs aussi incontournables que Lester Young et Sonny Rollins. Ce dernier point mérite sans doute une explication de ma part. Mais passons. La génération suivante a vu l’éclosion de saxophonistes soprano de très haut niveau qui ont élargi et transcendé ce territoire lacyen avec d’autres techniques, d’autres intentions esthétiques, d’autres sensibilités dans le cadre de l’improvisation totale. Parmi les praticiens de cet instrument difficile qu’est le sax soprano dans le contexte de son évolution, il faut absolument citer Lol Coxhill, Evan Parker, Michel Doneda et Urs Leimgruber, mais aussi Trevor Watts au sein du Spontaneous Music Ensemble et Larry Stabbins qui fut le premier improvisateur de cette énorme scène londonienne à prester une performance de saxophone solo à l’étage du Ronnie ‘s Scott Club en 1973, à la même époque que les premiers concerts solo de Steve Lacy. (Théâtre du Chêne Noir, Avignon). Il y en a d’autres comme John Butcher, Adrian Northover ou Martin Küchen et au sopranino, JJ Duerinckx et Dirk Marwedel. Aussi, dès 1967, John Stevens a assigné une place particulière au sax soprano, joué respectivement et successivement par Evan Parker et Trevor Watts en duo avec sa mini batterie dans une démarche d’exploration sonore, et d'écoute mutuelle intense dans une dimension rythmique libre et télépathique. C’est à la suite de ce long cheminement musical qu’Urs Leimgruber a été amené construire sa musique dans l’instant en se servant d’un large éventail des possibilités soniques et expressives de cet instrument difficile à maîtriser. Si la démarche d’un Steve Lacy consiste à jouer ses nombreuses compositions et celle d’un Evan Parker est de créer des compositions instantanées en multipliant les boucles et les harmoniques émises en souffle « circulaire » avec l’ « illusion d’une polyphonie », celle de Leimgruber s’apparente à celle d’un poète des signes et des gestes comme s’il dérivait à travers ses impressions et ses émotions instantanées sans se fier à une quelconque logique ou un plan déterminé. C’est devenu très clair avec ses récents albums AIR Vol1 et le solo magique de Now and Always.
Joëlle Léandre initie les 7 pièces de leur duo comme si elle voulait établir spontanément une structure, une suite dans les idées avec une belle expressivité face aux sonorités extrêmes soufflées au creux du silence et du bout des lèvres. Torsades à l’archet qui veulent coïncider un instant avec le battement de la langue sur le bord de l’anche ou d’harmoniques évasives. Dialogues précis et écarts nourrissant de nouvelles recherches. Une qualité intime dans l’expression, prendre tout son temps pour joue. Qualité du son de la contrebasse et souffle racé au soprano qui s’évanouit dans l’air quand le frottement de l’archet gronde et fait vibrer ces graves magnifiques ou éclate en morsures incisives, puis résorbées dans des boucles à deux notes et des étirements de textures. Mais au fil des morceaux improvisés, la contrebassiste se laisse prendre au jeu et réagit spontanément dans l’instant aux incursions sonores d’Urs dans les recoins de son soprano, ses nuances infinies, laissant les traces de sa personnalité entière et de sa rage de jouer du tac-au-tac. Que voulez-vous faire quand le souffle consiste à grogner et bruiter dans le bec ou le pavillon ou à se livre à des interjections subites et intermittentes ? Point de politesses, ni de façons, on est dans le vif du sujet de l’improvisation libre et dans son devenir imprévisible, musique à la fois sincère, sauvage et sans détour, attirant l’ouïe et la sensibilité des auditeurs dans leur intimité profonde, celle des deux musiciens en dialogue et celle de celui qui découvre au même instant que ces deux-là. On oublie alors qui fait quoi et quoi faire quand survient ceci ou cela : l’indépendance est totale mais l’écoute aussi Une belle aventure ouverte sur l’inconnu.
Le jeu de Magda Mayas, personnalité musicale bien différente de Léandre, se sert du piano en grattant, grinçant ou pinçant les cordes, celui-ci devient harpe mécanique, machine à bruits, objet résonnant, méconnaissable, un chambre résonnante et vibrante. La contrepartie d’Urs Leimgruber s’envole en spirales tronquées, fragments mélodiques saturés, harmoniques effeuillées, hyper-aigus surréels jouées avec d’exquises nuances acides, perçantes ou corrosives. De multiples changements de registre se font jour et leur duo s’enrichit de leur imaginaire instantané et sautes d’humeurs existentielles. Le caractère improbable de leurs interactions voilées et tangentielles se prolongent dans le duo avec la vocaliste Dorothea Schurch avec laquelle Urs a travaillé au sein de l’Ensemble 6ix (avec Lehn et Demierre avec qui il a gravé AIR Vol 1 et collabore dans le trio LDL, Roger Turner, son partenaire duettiste et Okkyung Lee). Dorothea incarne un véritable phénomène vocal intensément sonore hors des sentiers battus de la vocalité free : un véritable exploratrice aussi explosive qu’elle peut se révéler introvertie. La photographie sur la pochette la montre avec une sorte de porte-voix déformant et amplifiant de curieuses occurrences sonores fragiles, murmurantes, sifflantes, hullulantes, bourdonnantes jusqu’à ce que son gosier éructe, grogne outrageusement, émet des borborygmes, la vocalité sauvage brutalise et râcle les cordes vocales qui vibrent comme une machinerie découpant du métal ou broyant du granit. Le morceau suivant un filet de voix sifflant évasivement - ou est ce la scie musicale (?)- fait écho au souffle doucement flûté des harmoniques du saxophoniste. On est autant dans le bruitage éruptif, expressionnisme brut que dans un rêve éveillé tout en délicatesse et poésie au creux d’un silence hanté. Des musiques organiques, spontanées, ouvertes à la recherche de sons : un intense vécu !
Karoline Leblanc Paulo J Ferreira Lopes Edge Once Fractured atrito afeito 013
https://karolineleblanc.bandcamp.com/album/edged-once-fractured
Ce n’est pas la première fois que la pianiste Canadienne Karoline Leblanc et le percussionniste Paulo J Ferreira Lopes enregistre : The Way Wends Round, un album solo de Leblanc pour lequel Ferreira joue sur trois morceaux comme batteur et pour le même label. Edge Once Fractured contient seule longue improvisation superbement enregistrée de 32 :36 où fusionnent complètement les sonorités produites par l’activité instrumentale exploratoire dans un véritable pandémonium sonique « méta-musical » (cfr AMM). Les deux acolytes trustent une douzaine d’instruments : K.L. , clavecin, piano, orgue à tuyaux, hochets en bois, corne en coquillage, bulbul tarang et taal ; P.J.F.L. , gongs, tinplates, ressorts, cymbales et cloches. C’est lui aussi qui a réalisé la décoration de la pochette. Pour information, un bulbul tarang est un instrument indien à cordes et clavier connu au Balouchistan sous le nom de benju et provient du Japon où il sert d’instrument pédagogique. Un remarquable CD Buda – Musiques du Monde produit par Jean During, un expert reconnu des musiques d’Asie Centrale, contient de magnifiques morceaux où le benju rivalise avec la vièle sorud (Balouchistan Bardes du Makran). Le piano de Karoline et toutes les nuances et trouvailles sonores dans les cordes du piano avec son infinie résonance occupe une place centrale dans cet enregistrement superlatif. Leur musique est si minutieusement bien intégrée qu’on a la sensation qu’il n’y a qu’une seule personne, une seule voix. Cela me fait songer au titre du premier album de l’extraordinaire duo de Paul Lovens et Paul Lytton , « Was It Me » ? (Po Torch – jwd 1) enregistré en 1976. Bien sûr on devine que c’est bien Karoline Leblanc qui actionne les cordes du piano dans de multiples facettes. Mais tout ce qui est joué ici participe d’une mise en commun totale d’une qualité rare. Il n’y a pas de « rythmes » , de pulsations, d’harmonies etc… seulement des sons qui s’étendent dans l’espace, suspendus, vibrants, s’éteignant, se complétant avec une intensité relâchée. Un déroulement infini dans le temps de strates sonores métalliques, crissantes, réverbérantes, scintillantes, sourdes , irisées, qui naissent les unes des autres comme par enchantement dans un souffle aussi ténu que puissant. Edge Once Fractured est un album cinq étoiles où les musiciens subliment l’acte de jouer et de partager sans doute au-delà de leurs limites musicales et instrumentales. Frémissant! Fabuleux !
MYL trio Mia Zabelka Yoko Miura Lawrence Casserley Parallel Universes. Setola di Maiale SM 4760
https://miazabelka.bandcamp.com/album/parallel-universes
La violoniste Mia Zabelka apporte sa voix à ce trio d’improvisation peu commun qui réunit la pianiste Yoko Miura et le signal processing instrument de Lawrence Casserley, une extraordinaire installation de transformation du son en temps réel dont Lawrence est le créateur. Chacune des trois personnalités est bien différente avec son univers personnel qui comme m’indique le titre de l’album évoluent dans de curieux parallélismes, arcanes d’interactions pas directement évidentes. Les sonorités issues du processing de Lawrence peuvent s’incarner dans une multitude de textures, dynamiques, transformations inouïes de l’enveloppe sonore, vitesses, glissandi, harmonies surréelles dans une plasticité surprenante. Quand on songe qu’il ne fait que capter les sons de ses acolytes pour les métamorphoser immédiatement… 6 improvisations enregistrées en tournée à Göteborg, Stockholm et Ostrava à la fin de l’été 2023 aux durées longues (15 et 22 minutes) ou écourtées et concentrées entre 3 :48 et 6 :37. S’y développent l’intuition de l’instant, l’infini et l’indéfini, l’imagination réactive, les échanges fructueux. On procède autant au dialogue qu’à l’étagement, on exprime l’étonnement et des fuites en avant instrumentales happées soudainement par les micros du signal processing de Casserley qui en distille de complexes métamorphoses ou alors s’insère subrepticement entre les fréquences de ses deux collègues. Yoko Miura est la prêtresse d’haikus polymodaux cristallins où consonnance et dissonance interfèrent subtilement avec des passages soufflés et languissants au mélodéon (une sorte de mélodica). Quand elle ne hulule des vocaux contorsionnés, l’archet de Mia Zabelka fait osciller des spasmes texturaux boisés dont Casserley transforme l’enveloppe sonore en en projetant le trafic du processing instantané en décalage. Mia est « complètement free » tant au violon qu’avec sa vocalité complètement éclatée alors que Yoko est attachée à une pratique du piano « plus conventionnelle », ou cristalline. Chacune des deux instrumentistes, cordes ou clavier, gravite dans son propre univers parallèle (cfr le titre Parallel Universes) comme si elles jouaient chacune leur propre musique sans essayer de faire coïncider ou se rencontrer leurs actions, harmonies, pulsations ou alors de très loin grâce à leur sens précis du timing. Tout au crédit de Lawrence Casserley, cet art inné (et expérimenté) de créer des sons, des formes, des dynamiques, des actions (cascades, vents, tourbillons, nappes en constante évolution, sifflements, grondements. qui rassemblent et intègrent ses collègues dans une totalité qui révèle petit à petit toute sa cohérence. Il y a là des moments éphémères iridescents ou fantomatiques, élégiaques ou centrifuges, des paysages sonores qui se distinguent tant par leur originalité, leur clarté ou l’art achevé de clairs – obscurs. Sans doute un des projets les plus réussis que ces trois artistes ont mené à bien.
https://www.creativeworks.ch/home/cd-shop/cw1076ccd/
Le Volume deux du projet AIR du souffleur Urs Leimgruber au sax soprano en compagnie de trois musiciennes improvisatrices essentielles : la contrebassiste Joëlle Léandre, la pianiste Magda Mayas ici au « clavinet » et la vocaliste Dorothea Schurch qui joue aussi de la scie musicale ou singing saw en anglais. Le 1er volume d’Air en 4 CD réunissait Thomas Lehn, Hans Peter Pfammatter, Jacques Demierre et Gerry Hemingway, chacun en duo avec Urs. Suite au travail intense de Steve Lacy, le saxophone soprano a acquis droit de cité dans les sphères du jazz contemporain ainsi que du « jazz libre » et/ou de l’improvisation libre collective. Steve a effectué une recherche novatrice sur la technique et la philosophie de ce saxophone particulier en en étendant son registre au-delà de « l’aigu » en maîtrisant ses harmoniques et en créant une grammaire sonore, une nouvelle syntaxe et des formes musicales révolutionnaires qu’il synthétisait dans un système de compositions ouvertes et polytonales, tout en étant inscrites dans la trajectoire du jazz moderne et de souffleurs aussi incontournables que Lester Young et Sonny Rollins. Ce dernier point mérite sans doute une explication de ma part. Mais passons. La génération suivante a vu l’éclosion de saxophonistes soprano de très haut niveau qui ont élargi et transcendé ce territoire lacyen avec d’autres techniques, d’autres intentions esthétiques, d’autres sensibilités dans le cadre de l’improvisation totale. Parmi les praticiens de cet instrument difficile qu’est le sax soprano dans le contexte de son évolution, il faut absolument citer Lol Coxhill, Evan Parker, Michel Doneda et Urs Leimgruber, mais aussi Trevor Watts au sein du Spontaneous Music Ensemble et Larry Stabbins qui fut le premier improvisateur de cette énorme scène londonienne à prester une performance de saxophone solo à l’étage du Ronnie ‘s Scott Club en 1973, à la même époque que les premiers concerts solo de Steve Lacy. (Théâtre du Chêne Noir, Avignon). Il y en a d’autres comme John Butcher, Adrian Northover ou Martin Küchen et au sopranino, JJ Duerinckx et Dirk Marwedel. Aussi, dès 1967, John Stevens a assigné une place particulière au sax soprano, joué respectivement et successivement par Evan Parker et Trevor Watts en duo avec sa mini batterie dans une démarche d’exploration sonore, et d'écoute mutuelle intense dans une dimension rythmique libre et télépathique. C’est à la suite de ce long cheminement musical qu’Urs Leimgruber a été amené construire sa musique dans l’instant en se servant d’un large éventail des possibilités soniques et expressives de cet instrument difficile à maîtriser. Si la démarche d’un Steve Lacy consiste à jouer ses nombreuses compositions et celle d’un Evan Parker est de créer des compositions instantanées en multipliant les boucles et les harmoniques émises en souffle « circulaire » avec l’ « illusion d’une polyphonie », celle de Leimgruber s’apparente à celle d’un poète des signes et des gestes comme s’il dérivait à travers ses impressions et ses émotions instantanées sans se fier à une quelconque logique ou un plan déterminé. C’est devenu très clair avec ses récents albums AIR Vol1 et le solo magique de Now and Always.
Joëlle Léandre initie les 7 pièces de leur duo comme si elle voulait établir spontanément une structure, une suite dans les idées avec une belle expressivité face aux sonorités extrêmes soufflées au creux du silence et du bout des lèvres. Torsades à l’archet qui veulent coïncider un instant avec le battement de la langue sur le bord de l’anche ou d’harmoniques évasives. Dialogues précis et écarts nourrissant de nouvelles recherches. Une qualité intime dans l’expression, prendre tout son temps pour joue. Qualité du son de la contrebasse et souffle racé au soprano qui s’évanouit dans l’air quand le frottement de l’archet gronde et fait vibrer ces graves magnifiques ou éclate en morsures incisives, puis résorbées dans des boucles à deux notes et des étirements de textures. Mais au fil des morceaux improvisés, la contrebassiste se laisse prendre au jeu et réagit spontanément dans l’instant aux incursions sonores d’Urs dans les recoins de son soprano, ses nuances infinies, laissant les traces de sa personnalité entière et de sa rage de jouer du tac-au-tac. Que voulez-vous faire quand le souffle consiste à grogner et bruiter dans le bec ou le pavillon ou à se livre à des interjections subites et intermittentes ? Point de politesses, ni de façons, on est dans le vif du sujet de l’improvisation libre et dans son devenir imprévisible, musique à la fois sincère, sauvage et sans détour, attirant l’ouïe et la sensibilité des auditeurs dans leur intimité profonde, celle des deux musiciens en dialogue et celle de celui qui découvre au même instant que ces deux-là. On oublie alors qui fait quoi et quoi faire quand survient ceci ou cela : l’indépendance est totale mais l’écoute aussi Une belle aventure ouverte sur l’inconnu.
Le jeu de Magda Mayas, personnalité musicale bien différente de Léandre, se sert du piano en grattant, grinçant ou pinçant les cordes, celui-ci devient harpe mécanique, machine à bruits, objet résonnant, méconnaissable, un chambre résonnante et vibrante. La contrepartie d’Urs Leimgruber s’envole en spirales tronquées, fragments mélodiques saturés, harmoniques effeuillées, hyper-aigus surréels jouées avec d’exquises nuances acides, perçantes ou corrosives. De multiples changements de registre se font jour et leur duo s’enrichit de leur imaginaire instantané et sautes d’humeurs existentielles. Le caractère improbable de leurs interactions voilées et tangentielles se prolongent dans le duo avec la vocaliste Dorothea Schurch avec laquelle Urs a travaillé au sein de l’Ensemble 6ix (avec Lehn et Demierre avec qui il a gravé AIR Vol 1 et collabore dans le trio LDL, Roger Turner, son partenaire duettiste et Okkyung Lee). Dorothea incarne un véritable phénomène vocal intensément sonore hors des sentiers battus de la vocalité free : un véritable exploratrice aussi explosive qu’elle peut se révéler introvertie. La photographie sur la pochette la montre avec une sorte de porte-voix déformant et amplifiant de curieuses occurrences sonores fragiles, murmurantes, sifflantes, hullulantes, bourdonnantes jusqu’à ce que son gosier éructe, grogne outrageusement, émet des borborygmes, la vocalité sauvage brutalise et râcle les cordes vocales qui vibrent comme une machinerie découpant du métal ou broyant du granit. Le morceau suivant un filet de voix sifflant évasivement - ou est ce la scie musicale (?)- fait écho au souffle doucement flûté des harmoniques du saxophoniste. On est autant dans le bruitage éruptif, expressionnisme brut que dans un rêve éveillé tout en délicatesse et poésie au creux d’un silence hanté. Des musiques organiques, spontanées, ouvertes à la recherche de sons : un intense vécu !
Karoline Leblanc Paulo J Ferreira Lopes Edge Once Fractured atrito afeito 013
https://karolineleblanc.bandcamp.com/album/edged-once-fractured
Ce n’est pas la première fois que la pianiste Canadienne Karoline Leblanc et le percussionniste Paulo J Ferreira Lopes enregistre : The Way Wends Round, un album solo de Leblanc pour lequel Ferreira joue sur trois morceaux comme batteur et pour le même label. Edge Once Fractured contient seule longue improvisation superbement enregistrée de 32 :36 où fusionnent complètement les sonorités produites par l’activité instrumentale exploratoire dans un véritable pandémonium sonique « méta-musical » (cfr AMM). Les deux acolytes trustent une douzaine d’instruments : K.L. , clavecin, piano, orgue à tuyaux, hochets en bois, corne en coquillage, bulbul tarang et taal ; P.J.F.L. , gongs, tinplates, ressorts, cymbales et cloches. C’est lui aussi qui a réalisé la décoration de la pochette. Pour information, un bulbul tarang est un instrument indien à cordes et clavier connu au Balouchistan sous le nom de benju et provient du Japon où il sert d’instrument pédagogique. Un remarquable CD Buda – Musiques du Monde produit par Jean During, un expert reconnu des musiques d’Asie Centrale, contient de magnifiques morceaux où le benju rivalise avec la vièle sorud (Balouchistan Bardes du Makran). Le piano de Karoline et toutes les nuances et trouvailles sonores dans les cordes du piano avec son infinie résonance occupe une place centrale dans cet enregistrement superlatif. Leur musique est si minutieusement bien intégrée qu’on a la sensation qu’il n’y a qu’une seule personne, une seule voix. Cela me fait songer au titre du premier album de l’extraordinaire duo de Paul Lovens et Paul Lytton , « Was It Me » ? (Po Torch – jwd 1) enregistré en 1976. Bien sûr on devine que c’est bien Karoline Leblanc qui actionne les cordes du piano dans de multiples facettes. Mais tout ce qui est joué ici participe d’une mise en commun totale d’une qualité rare. Il n’y a pas de « rythmes » , de pulsations, d’harmonies etc… seulement des sons qui s’étendent dans l’espace, suspendus, vibrants, s’éteignant, se complétant avec une intensité relâchée. Un déroulement infini dans le temps de strates sonores métalliques, crissantes, réverbérantes, scintillantes, sourdes , irisées, qui naissent les unes des autres comme par enchantement dans un souffle aussi ténu que puissant. Edge Once Fractured est un album cinq étoiles où les musiciens subliment l’acte de jouer et de partager sans doute au-delà de leurs limites musicales et instrumentales. Frémissant! Fabuleux !
MYL trio Mia Zabelka Yoko Miura Lawrence Casserley Parallel Universes. Setola di Maiale SM 4760
https://miazabelka.bandcamp.com/album/parallel-universes
La violoniste Mia Zabelka apporte sa voix à ce trio d’improvisation peu commun qui réunit la pianiste Yoko Miura et le signal processing instrument de Lawrence Casserley, une extraordinaire installation de transformation du son en temps réel dont Lawrence est le créateur. Chacune des trois personnalités est bien différente avec son univers personnel qui comme m’indique le titre de l’album évoluent dans de curieux parallélismes, arcanes d’interactions pas directement évidentes. Les sonorités issues du processing de Lawrence peuvent s’incarner dans une multitude de textures, dynamiques, transformations inouïes de l’enveloppe sonore, vitesses, glissandi, harmonies surréelles dans une plasticité surprenante. Quand on songe qu’il ne fait que capter les sons de ses acolytes pour les métamorphoser immédiatement… 6 improvisations enregistrées en tournée à Göteborg, Stockholm et Ostrava à la fin de l’été 2023 aux durées longues (15 et 22 minutes) ou écourtées et concentrées entre 3 :48 et 6 :37. S’y développent l’intuition de l’instant, l’infini et l’indéfini, l’imagination réactive, les échanges fructueux. On procède autant au dialogue qu’à l’étagement, on exprime l’étonnement et des fuites en avant instrumentales happées soudainement par les micros du signal processing de Casserley qui en distille de complexes métamorphoses ou alors s’insère subrepticement entre les fréquences de ses deux collègues. Yoko Miura est la prêtresse d’haikus polymodaux cristallins où consonnance et dissonance interfèrent subtilement avec des passages soufflés et languissants au mélodéon (une sorte de mélodica). Quand elle ne hulule des vocaux contorsionnés, l’archet de Mia Zabelka fait osciller des spasmes texturaux boisés dont Casserley transforme l’enveloppe sonore en en projetant le trafic du processing instantané en décalage. Mia est « complètement free » tant au violon qu’avec sa vocalité complètement éclatée alors que Yoko est attachée à une pratique du piano « plus conventionnelle », ou cristalline. Chacune des deux instrumentistes, cordes ou clavier, gravite dans son propre univers parallèle (cfr le titre Parallel Universes) comme si elles jouaient chacune leur propre musique sans essayer de faire coïncider ou se rencontrer leurs actions, harmonies, pulsations ou alors de très loin grâce à leur sens précis du timing. Tout au crédit de Lawrence Casserley, cet art inné (et expérimenté) de créer des sons, des formes, des dynamiques, des actions (cascades, vents, tourbillons, nappes en constante évolution, sifflements, grondements. qui rassemblent et intègrent ses collègues dans une totalité qui révèle petit à petit toute sa cohérence. Il y a là des moments éphémères iridescents ou fantomatiques, élégiaques ou centrifuges, des paysages sonores qui se distinguent tant par leur originalité, leur clarté ou l’art achevé de clairs – obscurs. Sans doute un des projets les plus réussis que ces trois artistes ont mené à bien.