3 juin 2018

Maresuke Okamoto Guy-Frank Pellerin Eugenio Sanna/ Udo Schindler Ove Volquartz Gunnar Geisse/ Axel Dörner Torne Snekkestad Flavio Zanuttini Florian Walter/ João Pedro Viegas & Paulo Chagas/ Elisabeth Harnik

OPS Maresuke Okamoto Guy-Frank Pellerin Eugenio Sanna Setola di maiale sdm 3620

Oups ! OPS pour Okamoto, (cello & voice), Pellerin  (sax soprano, ténor et baryton, gong) et Eugenio Sanna (amplified guitar, metal sheets, balloons, red cellophane, voice). Départ énergétique dans la veine des trios de Company One(Bailey, Parker, Honsinger, Altena/ Incus 1976) avec une instrumentation similaire. Vouloir enfermer les recherches sonores et la démarche du trio OPS sous une quelconque étiquette relève du délire. Chacune des dix improvisations ouvertes et souvent imprévisibles du trio , aux titres en phase avec la démarche, se révèle tour à tour ludique, énergique, abrasive, âpre voire astringente, laminaire (AMM), faussement minimaliste, chambriste, pointilliste, grinçante, bruitiste, dense et éthérée etc…. Comme Eugenio Sanna et Guy-Frank Pellerin sont établis dans la péninsule, on dira que leur pratique de l’improvisation détonne par rapport à la conception disons un peu plus conventionnellement proche du jazz et du sens mélodique de la scène improvisée transalpine. Quant au nippon Maresuke Okamoto, il tourne intensivement en Italie chaque année et fait presque partie des meubles. La guitare amplifiée d’Eugenio Sanna est traitée comme une source sonore, caisse résonnante tendue de cordages manipulés, grattés, frottés en utilisant harmoniques, notes à vide et intervalles joyeusement dissonants, sonorités en suspension rendues possible par un recours systématique aux techniques alternatives et l’utilisation d’une plaque de métal dont le contact avec cordes et pick-up colore son jeu de manière industrielle/ bruitiste. On songe aux sonorités d’un Hugh Davies. Maresuke Okamoto frotte son violoncelle de manière souvent outrageuse ou avec une belle nuance chambriste tandis que Pellerin apporte des colorations / altérations intéressantes en pressurant la colonne d’air de manière que le timbre parfois lunaire du saxophone, qu’il soit soprano, ténor ou baryton, s’intègre complètement dans le processus de l’improvisation collective en se mariant parfaitement à celles électrisées de la guitare. On dira de même des vibrations du violoncelle, organiques et bruissantes à souhait, l’action de l’archet se révélant hargneuse, évasive ou crissante selon les phases. Une fois parvenus dans une phase « bordélique » , mais sous contrôle, où son pizzicato furieux emporte tout sur son passage, G-F Pellerin contorsionne la colonne d’air « avec le cri du cochon qu’on égorge » (ainsi étaient décrits les sons inouïs d’Evan Parker dans le JazzMag de ma jeunesse). L’hyper-activité de Acustica est vraiment ressentie. Les quelques interventions vocales soulignent le caractère dramatique, intense ou absurde de l’action musicale, ajoutant un vrai plus bienvenu dans cette remarquable performance, reproduite ici d’une traite (San Martino, Ulmiano, Pisa 18 mai 2017). L’anima della carta rossamontre qu’ils savent se renouveler en fin de parcours. Une belle mise en commun de sonorités, de timbres, parfois de phrases, d’intentions, d’aléatoire, d’écoute et d’invention.  Un panorama de l’imagination au pouvoir. Et des surprises ! On parle souvent de non – idiomatique (expression qui a, à mon avis, les défauts de ses qualités et vice et versa) : en voici, sans doute, le meilleur exemple transalpin de la free-(improvised) music sans concession, ni ronds de jambe. Oolyakoo !


Udo Schindler Ove Volquartz Gunnar Geisse arToxinUnit records Utr 4806

Deux souffleurs avec clarinette basse et contrebasse, Udo Schindler et Ove Volquartzen trio avec le guitariste /laptopiste Gunnar Geisse aussi crédité virtual instruments. Une musique atmosphérique où les vents graves se complètent et s’interpénètrent lentement mais sûrement. Les deux clarinettistes font plier et grincer subtilement les hauteurs des notes, trembler les colonnes d’air, créant d’abord une musique statique, aérienne, sombre et légère  à la fois. Les interventions vif argent multi-soniques du guitariste électronique Gunnar Geisse ont de nombreuses caractéristiques et qualités semblables (mais avec des moyens différents) à celles des ingénieux Richard Scott, Paul Obermayer, Thomas Lehn ou Ulli Böttcher. Et une fois établie la connivence micro-tonale des deux clarinettistes, ceux-ci creusent leur imagination pour concevoir instantanément des contrepoints et des vocalisations de la colonne d’air de leurs tubes monstrueux en empathie avec les sonorités volatiles et insituables de Geisse. Ils savent instiller une douceur ferme, une légèreté majestueuse, en proposant des sons, des timbres, des glissandi, des étirements de notes plutôt que de  débiter des phrases prédigérées et des canevas mélodiques usuels. En cela ils font véritablement œuvre d’improvisateurs dans le temps et surtout dans l’espace  Jouant les mêmes instruments, Ils font plus que se répondre : les idées de l’un trouvent instantanément une contrepartie organique chez l’autre. L’utilisation raffinée des harmoniques obtenues en augmentant l’intensité du souffle démontre la grande précision de leur jeu. Le contrôle du son des clarinettes basses est homogène sur toute la tessiture sur chaque instrument. Il est d’ailleurs difficile de les identifier individuellement mais leur interaction, elle, est unique en son genre ! Le guitariste ( ?) surprend par la diversité de ses sonorités et de la dimension polyphonique qu’il crée et renouvelle. Il a pris grand soin de saisir les paramètres particuliers des deux (étranges) souffleurs au fil du développement du concert pour insérer et multiplier ses actions sonores particulièrement intriguantes. Une relative angularité des interventions du trio  se pointe çà et là avec un bel à-propos, créant des chassé-croisé ludiques qui surprennent subitement l’auditeur, surtout avec de tels instruments, « lourds » et graves. arToxin, enregistré dans la galerie du même nom est une suite où se développe une recherche sonore de grande envergure où plusieurs dimensions, dynamiques, flottements à la limite de l’égarement, coexistent, s’éclipsent ou réapparaissent, se nourrissent mutuellement et s’inventent un univers peu commun.

Bruit 4 Axel Dörner Torne Snekkestad Flavio Zanuttini Florian Walter Umland records 14 



Les crédits sont assez intrigants voire fantaisistes : Axel Dörner Firebird Trumpet, Torber Snekkestad Reed Trumpet, Flavio Zanuttini Trumpet et Florian Walter Hechtyphone. Mais rassurez-vous, la Firebird Trumpet est une trompette créée par le luthier Larry Ramirez à la demande de Maynard Ferguson en 1978. Outre les trois pistons habituels, Ramirez a jouté une coulisse comme pour le trombone, mais avec seulement quatre positions contre les sept du trombone. C’est un instrument particulièrement rare. Je suppose que la reed-trumpet consiste à remplacer l’embouchure par une anche comme le font certains musiciens (Joe McPhee).  Torben Snekkestad est un saxophoniste classique danois impliqué dans l’improvisation : il a enregistré avec Barry Guy (je n’ai pas écouté leur album). Rien d’étonnant qu’un spécialiste des anches joue ainsi de cette trompette. Zanuttini ne se casse pas la tête, la bonne vieille trompette lui suffit. Quant au Hechtyphone du saxophoniste Florian Walter, c’est une étrange trompette hybride à anche construite par le musicien et son pote Wolfram Lakaszus. Un prototype fonctionne avec une anche d’hautbois, un piston et deux pavillons horizontaux et un vertical. L’autre, aperçu sur le site de Florian Walter contient une anche et une embouchure de sax (soprano) et le musicien avait ajouté une sourdine sur le pavillon vertical. Comme la musique de Bruit 4 est jouée en quartet improvisé , il faut vraiment se concentrer et réécouter l’album  pour essayer de distinguer chaque instrument. Les pièces enregistrées sont dans le droit fil des concerts solos de Dörner (Trumpet/ à bruit secret) et ses duos avec Leonel Kaplan etc… En schématisant, on pourrait qualifier son travail de minimaliste ou lower case. Il s’agit donc d’un travail sur le son, le souffle et les textures qui porte le titre de Eight Sound Objects, total : 42 minutes. Superbement enregistré ! La combinaison des possibilités sonores des quatre instruments à la fois semblables et différents crée un univers de timbres mystérieux, de vibrations d’infra-trompette, d’effets de souffle, de déchirures de la colonne d’air, de percussions étouffées de l’embouchure, de bourdonnements placides, d’exacerbations d’une harmonique, murmures. Même si le flux est assez statique, voire en suspension, on reste attentif à l’écoute en raison de la multiplication et de la profusion des idées qui s’enchaînent, se superposent et aussi d’une relative fantaisie. L’art du flottement aléatoire plutôt que celui du contrepoint. La forme semble rester la même, mais le renouvellement des sonorités et des actions concertées la font évoluer, se dissiper, renaître. On finit par avoir la sensation d’écouter comme dans un rêve où la notion du temps s’efface au profit de la matière sonore et de sa très remarquable  diversité, même quand l’un ou l’autre reste imperturbablement sur la même hauteur de note. Quarante deux minutes, c’est long et si on ne perçoit pas leur existence et la durée respective des Huit Objets Sonoresindiqués, (on remarque à peine les silences entre chaque mouvement), on perçoit sensiblement les intentions des quatre souffleurs et la réussite de l’entreprise.  Un des procédés consiste à ce qu’un seul musicien joue un court instant « seul » , entraînant une proposition sonore différente qui s’ajoute ou parfois un « faux » unisson. Une belle réussite musicale où la mélodie est bannie, mais surtout pas l’inventivité. 

The legendary story of a slug and beetleJoão Pedro Viegas & Paulo Chagas Pan Y Rosas Discos PYR 152

Voici une belle collaboration en duo sous le signe de l’amitié de deux piliers de la scène improvisée lisboète. Souffleurs de l’indicible, des nuances de l’air vibrant dans le bocal des clarinettes basses et soprano (João Pedro Viegas) ou sopranino (Paulo Chagas) ou titillant l’anche double du hautbois (Chagas encore). La flûte, elle, crée des diversions bienvenues. Une musique sensible, basée essentiellement sur l’écoute mutuelle et la création instantanée de motifs mélodiques partagés, échangés, ritournelles intimistes, expression d’un folklore imaginaire. Les deux souffleurs prennent le temps de jouer, de s’écouter, de se répondre au fil de quatorze miniatures aux titres expressifs (Soft Malicious, Cogenital Indecision, Discussion, etc…). Slug and Beetleexprime sans doute le fait que chacun a la capacité de se mouvoir à son propre rythme dans sa dimension propre. Il est fréquent que dans leurs duos l’émotion et le tempérament de chacun divergent au cours de la même improvisation, se complétant par leur inspiration et leur inventivité respectives en toute indépendance. Ils évitent soigneusement de se répondre de manière explicite, sans se sentir obligé de se servir du matériau (mélodique, sonore) de l’autre. Leur musique crée un esprit de rencontre, de partage de complémentarité au-delà des formes, ou d’une futile virtuosité instrumentale. Leur connivence réciproque est intensifiée par leurs collaborations mutuelles dans de nombreux projets et concerts. Il en résulte une connaissance intime du sens donné par chacun aux moindres sons, phrases, étirements d’harmoniques, intervalles qui surgissent dans la construction de chacune de ces pièces. C’est cette complicité profonde qui donne à leur musique relativement paisible toute sa valeur intrinsèque et sa signification.

Elisabeth Harnik Ways of My Hands Music for Piano klopotec IZK CD 076

Superbe album de piano solitaire  et contemporain par une des meilleures improvisatrices de la scène autrichienne pour un total de 48’08’’ enregistrées en concert. Trois morceaux / compositions sont dédiées respectivement à Conlon Nancarrow (Everytime he punched a hole), Jeanne Lee (As the crow flies north) et Anthony Braxton (Flow and construction- en quatre parties). Tout un programme. Harnik met en perspective des pratiques du piano  différentes, contrastées, stimulantes, construisant intelligemment et avec une belle sensibilité, un concert ramassé, concentré, dynamique. Ses doigtés fugueurs et son toucher resplendissant crée de belles couleurs avec un instrument réputé pour sa « régularité » sonore académique (Ragged). Dans Jaw to ear, elle aborde le registre grave et un brin aléatoire tout en faisant bruisser et percuter les recoins du cadre de l’instrument jusqu’au bord du silence. Avec la petite suite dédiée à Braxton on navigue dans le grand art. Quelle pianiste ! De bout en bout un remarquable concert (2015) que Iztok Zupan a eu le flair d‘enregistrer et de publier sur son label Klopotek. 

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