PS : il s'agit de leur douzième album en trio depuis 1983 et ils en ont enregistré cinq autres avec des invités comme Paul Rutherford, Marylin Crispell, Agusti Fernandez et Peter Evans.
Consacré aux musiques improvisées (libre, radicale,totale, free-jazz), aux productions d'enregistrements indépendants, aux idées et idéaux qui s'inscrivent dans la pratique vivante de ces musiques à l'écart des idéologies. Nouveautés et parutions datées pour souligner qu'il s'agit pour beaucoup du travail d'une vie. Orynx est le 1er album de voix solo de J-M Van Schouwburg. https://orynx.bandcamp.com
28 juin 2020
Evan Parker Barry Guy & Paul Lytton/ Paolo Pascolo Stefano Giust / Matthias Boss & Marcello Magliocchi
PS : il s'agit de leur douzième album en trio depuis 1983 et ils en ont enregistré cinq autres avec des invités comme Paul Rutherford, Marylin Crispell, Agusti Fernandez et Peter Evans.
25 juin 2020
King Übü Örchestrü - Wolfgang Fuchs/ Paul Lytton - Nate Wooley/ John Russell, Ray Russell, Henry Kaiser, Olie Brice / Avertissement
20 juin 2020
Cecil Taylor & Tony Oxley Birdland Neuburg/ Chris Burn & Simon H. Fell / José Lencastre Nau Quartet/ Simon Nabatov Time Labyrinth.
Cecil Taylor and Tony Oxley Birdland Neuburg 2011 Fundacja Sluchaj
Première remarque : excellente qualité sonore « bien détaillée » de l’enregistrement estampillé Bayerische Rundfunk, ç-à-d. optimal, vu que c'est le preneur de son musique classique de la Bayerische bien au fait des techniques musicales contemporaines. Du Oxley et du Taylor comme cela doit sonner dans une chaîne hi-fi digne de ce nom.
Deuxième remarque : si vous tenez absolument à mettre la main sur l’album physique, il est temps de commander Birdland Neuburg 2011 immédiatement : https://sluchaj.bandcamp.com/ , car les copies CD s’envolent…. sinon il vous restera à télécharger l'album digital. Et comme le catalogue du label est vraiment intéressant, vous pourrez coupler cet achat avec d’autres trouvailles, comme le duo Paul Lytton – Nate Wooley (Known/Unknown). Parmi les quelques duos et trios enregistrés par le pianiste avec le percussionniste, ce présent album nous fait entendre au mieux la quintessence du jeu percussif spécifique de Tony Oxley et c’est sans doute leur premier album que je mettrai au sommet de la pile de cd’s pour me replonger dans leur collaboration musicale. La qualité de la construction pas à pas de leur musique dans le temps et l’espace sonore s’impose avec une évidence lumineuse. Au fil des décennies et en se rapprochant de la fin de sa vie, Cecil Taylor, "l'inventeur du free jazz", a épuré son jeu pianistique : pour ceux qui cherchent à s’initier à son univers sans en craindre « une indigestion » en raison de l’extrême densité et intensité de sa musique en concert, Birdland Neuburg est sans doute une porte d’entrée idéale. Cet enregistrement permet de saisir la subtilité, les détails du jeu et la qualité du toucher du pianiste et du percussionniste et de mieux comprendre ce qui unit réellement les deux artistes. On attribue aux batteurs le rôle parfois simpliste de « kicker », de propulseur de l’autre, pianiste ou souffleur. Comme si un phénomène comme Cecil Taylor avait besoin qu’on le pousse et l’emporte dans une débauche de roulements et de frappes pour délivrer l’énergie inextinguible de sa musique. Tony Oxley ajoute des couleurs, des friselis délicats sur les cymbales et des micro-roulements et commente subtilement les doigtés ondoyants du pianiste en laissant ouvert une bonne partie de l’espace sonore , nous permettant d’entendre distinctement l'extraordinaire toucher au clavier, toute la dynamique de son jeu et sa richesse harmonique. Oxley se maintient en permanence sur le qui-vive pour changer subitement de registre en fonction des multiples mouvements de cette suite, certains surgissant par surprise. On trouve dans cet enregistrement un équilibre idéal dans les durées de chaque séquence de cette œuvre. De l’intensité en piano, voire pianissimo et celles en crescendo vers le forte. Comme le fût en son temps, un album comme Silent Tongues (1974), l’enchaînement des motifs simples vers des constructions plus complexes acquiert ici une qualité didactique tout en étant ludique, tonique et spontanée et permet à de nombreux auditeurs moins au fait de la musique Taylorienne de pénétrer dans son univers, lequel évoque indubitablement la danse et les mouvements libres du corps.
Continuous Fragment Chris Burn et Simon H.Fell Bruce’s Fingers BF 139.
Un duo contrebasse - piano improvisé de 24 minutes qui contient l’essentiel de ce que deux improvisateurs / instrumentistes de haut-vol peuvent vous offrir de mieux avec leurs deux instruments. Extrait d’un concert le 21 janvier 2010 au Café Oto organisé et enregistré par Simon Reynell, le responsable du label another timbre, label insigne de la « nouvelle improvisation » (réductionnisme, lower case, New Silence, post AMM, malfattisme, keith rowisme, accointances cagiennes et feldmaniennes etc…). Chris Burn et Simon H. Fell ont été historiquement deux artistes importants (et plus âgés) à s’être inscrits dans cette transition vers ce renouveau de la musique improvisée libre dans la « radicalité », sans pour autant en adopter « l’attitude » etc… Rappelez – vous : Mark Wastell, Rhodri Davies, Phil Durrant, Axel Dörner, Jim Denley … Chris Burn explore les mécanismes, les cordes et la carcasse intérieure / table d’harmonie du grand piano et le jeu nerveux de Simon H. Fell sur sa contrebasse se coule dans une profonde empathie. L’improvisation se déroule à la fois de manière paisible et tendue, avec de superbes nuances dans les touchers, les contrastes fins, les techniques alternatives rendant l’écoute de cette expression « abstraite » et exacerbée naturelle et allant de soi. Leurs précieux pincements, frottements et chocs légers attirent nos oreilles au plus près de la surface vibrante de leurs deux énormes instruments. Tour à tour, le tintement métallique des cordes du piano et les chocs sourds sur la table d’harmonie se distinguent clairement ou se fondent au cœur des vibrations frottées et des harmoniques aiguës des cordes et du chevalet du gros violon. En semblant effleurer leurs instruments, les duettistes développent un parcours focalisé sur l’essentiel, l’infime et l’extension de la palette sonore qui font vivre ces magnifiques 24 minutes comme si elles oscillaient généreusement entre une ou deux fois soixante secondes et une (presqu’) heure dans laquelle interfèrent / prolifèrent des événements sonores merveilleux (trop peu souvent ouïs par les temps qui courent) sans que la durée pèse et doive s’inscrire dans la patience de l’auditeur. Niente esbrouffe. Spontanéité de l’invention sonore immédiate parfaitement conjointe à des intentions musicales finement ciblées. Du grand art indispensable sans lequel l’improvisation perdrait toute son acuité.
José Lencastre Nau Quartet Live In Moscow Clean Feed.
Avec Rodrigo Pinheiro au piano, Hernani Faustino à la contrebasse et João Lencastre à la batterie, le saxophoniste alto José Lencastre nous envoie un opus supplémentaire, et enregistré live à Moscou, de son Nau Quartet. Nau en portugais signifie nef ou navire. Le Nau Quartet flotte élégamment et affronte vaillamment les vagues , les lames de fond et les bourrasques des éléments même au milieu des steppes de la lointaine Russie. Le Nau quartet s’articule autour des formidables articulations d’un tandem émérite qu’on retrouve fréquemment la collaboration soudée et empathique dans plusieurs groupes Lisboètes et internationaux : Hernâni Faustino et Rodrigo Pinheiro. Avec des « pointures » comme Peter Evans, John Butcher, Luis Vicente, et le maître de céans, Rodrigo Amado (label Clean Feed). José Lencastre développe un jeu lyrique et sinueux empreint de lyrisme et les baguettes de João (son frère ?) confère une cohérence polyrythmique à l’entreprise. Bien sûr, on retrouve ici la géométrie conventionnelle du jazz libre : sax – piano – contrebasse – batterie. Mais d’emblée, ce quartet prend parti pour des contrastes féconds : les cris lointains et désespérés du sax alto vs les vagues ciselées de notes savamment agencées du pianiste secondés par le remarquable jeu free du batteur. Le quartet jouit de cette connivence qui font les groupes « intelligents » : après cinq minutes, où le piano mène la danse, il s’octroie une pause – intermède où le jeu de José Lencastre s’ouvre et s’intériorise tout en nouant de belles volutes. Ce passage est d’une grande clarté, car l’écoute du groupe est intense et sans défaut : ils réagissent dans l’instant et transitent simultanément vers un autre feeling. Ce quartet s’élance d’une zone de confort issue du jazz moderne vers des tensions énergiques et des torsions de manière peu prévisible et originale en diversifiant leurs jeux et leurs approches sonores. Au fil de quatre (semi) longues improvisations en concert, ils mettent en valeur les trouvailles de leurs recherches musicales et sonores avec un esprit de suite, un évident à propos, diversifiant les occurrences de sonorités et d’interactions. Tout est question de dosage, de trouver le moment idéal pour virer de bord et profiter d’une éclaircie ou du grain naissant. Face à l’aisance du pianiste dans toutes les cadences et la qualité aérienne de son toucher, le saxophoniste distend les intervalles avec une sonorité goulue, expressive à la limite du glissando coxhillien et une intensité non feinte. Le batteur cultive l’archétype de la batterie free-jazz avec goût et énergie. L’enregistrement n’est pas favorable au contrebassiste, mais on perçoit sa belle maîtrise dans les moments d’accalmie. Il y a sûrement des saxophonistes encore plus imposants que José Lencastre et quelques pianistes plus créatifs encore que Rodriguo Pinheiro, mais leur Quartet Nau cultive bien des qualités au niveau de la navigation, même dans les eaux les plus agitées : cohérence, inventivité collective, équilibre, sens de la construction et de l’évolution graduelle, clarté dans les intentions tant individuelles que collectives. Et donc, c’est un groupe dont la musique est magnifiée par une forme de clairvoyance qu’on cherche parfois en vain sur les plaques de certaines têtes de file trop sûres d’eux. Quand on improvise librement en collectif, on repart en fait de zéro pour créer un cheminement comme celui qui s’est fait jour ce 20 septembre 2018 au Dom de Moscou.
Time Labyrinth Simon Nabatov Leo Records
Œuvre composée à la fois dense, complexe et remarquablement bien jouée/ interprétée du pianiste Simon Nabatov dont la grande virtuosité et ses talents d’improvisateurs ne doivent pas faire oublier ceux du compositeur. Et quel compositeur ! À la fois, exigeant, ambitieux, subtil et surtout intrépide. S’il est assez fréquent que dans le monde du jazz contemporain certains s’affublent du titre de compositeur alors qu’ils tracent quelques schémas et portées au service de l’improvisation, souvent sur des structures rythmiques formatées, on peut dire que Nabatov assume le rôle du compositeur jusqu’au bout tout en se focalisant sur la dimension sonore de l’improvisation. Car ses musiciens sont avant tout des improvisateurs qui envisagent leur démarche dans le cadre composé par S.N. en tant qu’improvisateurs inspirés à la fois par le jazz libre et la composition contemporaine dans une synthèse remarquable. Il y a quelques décennies, Anthony Braxton avait intitulé sa maison d’éditions Synthesis Music en signifiant qu’au cœur de sa démarche de compositeur – improvisateur, il voulait synthétiser ou, mieux, mettre en symbiose le meilleur de chaque univers. C’est ici un excellent témoignage enregistré d’une démarche similaire vraiment réussie. Pour saisir cela, il suffit de considérer l’équipe qu’il a réunie. Son collaborateur le plus proche, le saxophoniste et clarinettiste Frank Gratkowski, qu’on entend ici à la flûte, le saxophoniste ténor Matthias Schubert, le tromboniste Shannon Barnett, le tubiste Melvin Poore, le contrebassiste Dieter Manderscheid, Hans w. Koch au synthétiseur et lui-même au piano. Six pièces de musique de chambre (entre 8 et 12 minutes) qui tentent d’exprimer plusieurs réalités et métamorphoses du temps musical dans différentes réalités sonores, car le temps dit-il mesure la vie humaine et aussi la durée d’un morceau de musique. Et donc il a écrit une série de compositions avec des manières différentes par lesquelles le temps peut être perçu et vécu. Le septet est dirigé par le truchement d’un conducteur digital via l’application Max Msp et un moniteur en vue de chaque instrumentiste.
Waves débute avec de discrètes gouttes de son émergeant d’un océan de silence. Ces éléments se convergent ici avec un suspense entier et un aspect assez sombre. Les bribes s’allongent quelque peu, se connectant et formant petit à petit un mouvement similaire à des vagues. Vers la fin, elles sont remplacées insensiblement par des formations verticales de masses microtonales, telles une lave sonore se fixant dans un sentiment hors-temps. Pour une grande part de Metamorph, il travaille avec un flux continu, lequel est organisé de manière dialectique. Des fragments de mouvements chaotiques (thèse) sont suivis par des fragments gelés (antithèse - immobile), dans un cercle. Par la suite, une séquence d’accords domine les fragments « freeze » contribuant à un matériau additionnel pour le solo de sax ténor de Matthias Schubert. Reader est conçu par le compositeur comme un soliloque philosophique récité par Frank Gratkowski à la flûte. Le reste du groupe propose en arrière- plan / ombrage des motifs – gestes verticaux. L’équilibre serein est contrarié dans la partie médiane quand la flûte est rejointe par le synthétiseur de Hans W. Koch. La reprise vers la fin est enrichie par un solo de contrebasse de Dieter Manderscheid. Le but de Repeated est de créer un sentiment de temps suspendu, mais pas entièrement amorphe. Une partition partiellement graphique compacte avec des indications très précises des durées et du temps pour plusieurs actions de mouvements synchronisés au sein de la pression du champ temporel élastique. Je n’hésite pas à dire que c’est tout à fait remarquable et très bien servi par les sept musiciens. Une musique contemporaine ouverte, dynamique et originale. Etc… (tel que Nabatov décrit brièvement ses compositions). Ce sera une belle surprise pour ceux qui se font une idée préconçue du travail musical de Simon Nabatov à travers ses enregistrements plus jazz. Time Labyrinth est une première mouture d’un projet compositionnel de longue haleine, Changing Perspectives. Initiative aussi intéressante que courageuse pour un pianiste réputé à la carrière déjà bien remplie qui s’efforce d’évoluer dans un autre domaine musical avec un réel talent.
14 juin 2020
Pascal Marzan & Alex Ward/ Jean-Marc Foussat Daunik Lazro Evan Parker/ Quentin Rollet & Romain Perrot
1 juin 2020
Birgit Ulher & Franz Hautzinger/ Mia Zabelka/ Henry Marić Boris Janje Stefano Giust/ Cene Resnik Giovanni Maier Stefano Giust/ Luca Collivasone et Gianni Mimmo
Ce n’est pas le premier album de duo de trompettes que l’hambourgeoise Birgit Ulher a publié pour Relative Pitch : en 2015, nous avions eu droit à Stereo Trumpet avec Leonel Kaplan. Il faudrait trouver le temps pour comparer les deux albums. Celui-ci commence lentement en mode respiratoire avec une prise de son très rapprochée, chaque musicien, Frantz Hautzinger et Birgit Ulher occupant chacun un canal de la stéréo. Sous la pression des poumons et des joues, l’air s’échappe dans les tuyaux sans le chant précis de l’embouchure et se colore petit à petit de nuances infimes, bruits naturels produits par des procédés techniques alternatifs. Très vite, un dialogue de sonorités, de percussions buccales, d’effets de lèvres, crissements, déchirures, bourdonnements mouvants oscillent, s’interpénètrent, relaient leurs dynamiques. Un excellent point chez Ulher a toujours été l’aspect rythmique, une articulation spasmodique liée à un sens aigu du timing (Firn ). Il est ici partagé et tellement bien intégré au sein du duo que la performance individuelle et sa trace est complètement oblitérée au profit du travail collectif. Qui joue quoi ? On en n’a cure. L’écoute mutuelle de chaque geste, de chaque timbre est palpable, précise, vivace. Ce qui importe c’est la combinatoire des sonorités, des timbres, du bruitage, du souffle cru de l’air qui envahit l’espace auditif capté par les micros. Chaque pièce a son caractère propre, mais à l’intérieur de chacune d’elles, règne un emboîtement d’univers, de stases, de fragmentations du son, de contorsions de timbres, de grondements de machines, expressions de bruits blancs puis roses, bisous exacerbés. Le silence point au troisième morceau, Filz. Au fur et à mesure que leur musique se déroule et s’étend, se diversifie et évolue, on est surpris par son renouvellement constant au niveau des formes, alors qu’on perçoit un feedback permanent d’éléments sonores déjà exploités. La mise en place et l’agencement méticuleux des effets sonores est intense et les duettistes en sollicite toujours de nouveaux qui déniaisent de plus en plus l’oreille. Leur démarche est basée sur l’utilisation systématique de techniques étendues et bien des amateurs d’improvisation en sont curieux, voire friands parce que c’est d’avant-garde, etc… Mais au-delà de la curiosité, c’est surtout leur capacité à les étendre presqu’à l’infini et à en architecturer les éléments dans des formes et des paysages en constante mutation sans lassitude. Du grand art. Métaphysique des tubes ? Plutôt, dialectique des bruissements de l’air, dramaturgie buissonnière des embouchures, des lèvres, du froissement de la colonne d’air et une capacité narrative qui sublime leur esthétique dite « abstraite » et se révèle nourrie d’images et d’imaginaire. Une évidente réussite.
Mia Zabelka Myasmo Setola di Maiale SM4100
Dans le courant de l’année 2019, Mia Zabelka, violoniste et viennoise, a donné plusieurs concerts solos à I’Klectic à Londres, à PiedNu au Havre, au Café Korb à Vienne lors du Wien Modern Festival (en 2018) et à Tønsberg au NonFigurativ Festival. Elle a rassemblé ici les compositions instantanées les plus convaincantes dans ce beau recueil étalant les intervalles dissonants, les glissandi et soubresauts pointillistes, les étendant avec une belle suite dans les idées ou se laissant conquérir par les audaces de son imagination. Une musique intrigante, pure, volontaire faite de logique instrumentale et d’accidents, gestuelles des pulsions du corps et des impressions de l’âme. Si son jeu peut se révéler aussi vif que les bonds acrobatiques d’un écureuil roux dans les branches d’arbre en arbre, elle a le chic de poser l’archet en douceur faisant vibrer et chanter un croquis dodécaphonique en suspension ou gratter nerveusement les cordes sur le chevalet pour faire crier les tripes de la table d’harmonie. De temps en temps, sa voix interpelle son action percussive sur les cordes avec des phonèmes, comme au début de Tønsberg, sans doute, avec ses dix-huit minutes concentrées, la pièce maîtresse de cet opus. Sous ses doigts le violon dévoile sa voix, sa consistance. Sa pensée musicale et son sens de la narration lui fait accentuer les notes hautes de ses gammes hasardeuses, ses coups de griffes ou les contorsions de frottements compulsifs comme si elle voulait toujours atteindre cette autre dimension inconnue où son esprit et sa volonté la guide. Après maints efforts à la recherche de sa proie imaginaire, elle assume le retour d’un air grave confronté au silence pour le faire monter en graine dans un crescendo minutieux d’énergie libérée, concluant son long périple solitaire de manière irrévocable. Saluons l’audace de Mia Zabelka face aux éléments et au violon seul, livré à lui-même dans l’espace sonore.
NB : nouvelles pochettes cartonnées et colorées chez Setola di Maiale.
JARS Henry Marić Boris Janje Stefano Giust Setola di Maiale SM4050
Classique trio souffleur (Henry Marić clarinette basse, clarinette), contrebasse (Boris Janje) et batterie (Stefano Giust). Oped Mravi ouvre l’album : le clarinettiste basse découpe des lambeaux de mélodie qui flottent au vent soutenu par une contrebasse minimale et l’activité rythmique du batteur dans la droite ligne du meilleur John Stevens. J’entends par là (Stevens), le travail particulier sur la mise en tension de cellule rythmiques par un jeu sec et rivé à l’essentiel. Dès le deuxième morceau intervient la guitare électrique préparée d’Henry Marić et on a droit à un méta-dialogue épuré, subtil et détaillé jusqu’aux sons les plus infimes. Le trio sort alors de l’attraction polarisée souffleur – basse – batterie du free jazz pour s’ouvrir complètement aux champs sonores et à des recherches sonores durant les morceaux 2, 3 et 4 : Jazzavac u kuhinji, Mačkaste Kocke. Au 5, Slon zivaca, c’est un léger tempo binaire ralenti (excellent et authentique batteur), puis en crescendo endiablé qui sert à merveille les déchirures des harmoniques de la clarinette basse. Henry Mansić joue de manière réservée, voire hiératique par allusions et suggestions dans le registre grave alternant des harmoniques tenues plutôt comme s’il était un peintre (6 : Avtobus). Le contrebassiste joue au centre laissant l’espace aux frappes multidirectionnelles et très fines de Stefano Giust. Ayant choisi la voie opposée à l’expressionisme et aux climats de tensions et d’amoncellements d’énergie, ce trio ouvre la porte grande à l’expressivité du moindre mouvement, de la dynamique du toucher du bout des doigts, du ralenti, d’un motif mélodique à peine énoncé, une manière de rêve inachevé dont le déroulement est suspendu. Dans ce jeu collectif très retenu, le clarinettiste excelle à soustraire les notes inutiles pour nous laisser quelques signaux expressifs et songeurs, face auxquels l’inventivité du batteur fait merveille. Son style est insituable et ses interventions toujours à propos même lorsqu’il actionne à peine deux clochettes et une petite cymbale (9 Stara Kuina) alors que la clarinette suggère la démarche d’un pivert inquiet et l’archet la branche sur laquelle le volatile évolue… Musique poétique à revers des sentiers (a)battus. On sait que nombre d’afficionados raffolent des débauches d’énergies de trios free frénétiques, mais il faut bien écouter aussi dans la direction diamétralement opposée et s’imprégner de calme et de plénitude.
Through Eons To Now: Ombak Trio Cene Resnik Giovanni Maier Stefano Giust Setola di Maiale SM4070
Avec Stefano Giust, de nouveau à la batterie, le trio Ombak réunit le souffleur Cene Resnik au sax ténor et soprano et le solide contrebassiste Giovanni Maier. Trois morceaux dont le dernier est un opus de longue haleine. Les deux premiers servant de mise en bouche (Rapidly Changing Contexts) ou d’introduction animée (A Wrong Way To Be Right). Dès le départ, la profonde et intense écoute mutuelle s’impose à l’auditeur. Elle est au centre de leur projet collectif : jouer et construire la musique de manière à ce que chacun des trois musiciens soient simultanément au poste de pilotage de l’équipe qu’il soit contrebassiste, batteur ou saxophoniste, alors que ce dernier instrument étant toujours considéré comme le soliste et les deux autres, les « accompagnateurs »… Comme auditeur, on se concentre sur les formes et les sonorités de cette musique improvisée et sur l’originalité individuelle de tel ou tel musicien. Or, il s’agit aussi d’un travail collectif où les musiciens se mettent en valeur réciproquement dans une solidarité auditive et sensible, en évitant de faire des « solos » ce qui peut revenir à se mettre en avant au détriment des autres. C’est bien une des qualités de cet Ombak Trio. Tout en créant leur édifice en mouvement perpétuel, chaque instrumentiste explore les possibilités expressives sonores et texturales de la contrebasse et de la percussion de manière très lisible alors que le souffleur établit patiemment des corrélations sinusoïdales avec un matériau mélodique ouvert en soufflant avec âme et une vraie sensibilité. Mélodique ? Plus exactement, deux ou trois échelles modales incomplètes et connectées lui permettent de faire voyager sa sonorité et ses articulations dans un dédale d’intervalles et de motifs dont les secrets se révèlent par sa capacité à faire parler son saxophone et lui faire raconter une histoire. Il n’y a pas de thème per se mais un déploiement de notes bien calibrées qui illustre un thème imaginaire, jeu de marelle tonal, repères Concurremment, le batteur concocte une rythmique ludique, tournoyante et sautillante aux accents mouvants embrayant les effets rotatifs du souffleur, jusqu’à ce que la contrebasse prenne le relais pour un changement d’atmosphère, recueillie celle-là. Dans cette configuration de dialogues multiples règne un équilibre toujours renouvelé qui transite subtilement au fil de l’évolution des séquences successives. Aucune ne se ressemble et chacun semble suivre son propre chemin tout en manifestant une empathie avec les deux autres. Non content de faire vivre remarquablement leur concept – mode de vie durant les deux premiers morceaux, Rapidly Chaging Contexts (12:18) et A Wrong Way to Be Right (7:52), ils ont entrepris d’en faire une suite de presque quarante minutes faisant évoluer la démarche : Practice of A Principle (9:37) qui s’enchaîne à Watching Under a Carpet (9:48), Consequences of a Doubt (8:09) et End of a Western Criteria (12:15). Après une introduction méditative jouée avec ce qu’il faut de sons pour exprimer une sensation de solitude ou béatitude, Stefano s’active avec ses balais créant la tension nécessaire pour que le sax soprano de Cene Resnik s’ébatte dans les notes hautes traçant son histoire en recyclant / altérant une bribe de mélodie qu’il triture alors que le contrebassiste ajoute de moelleux coups d’archet. Séquence suivante au ténor, le contrebassiste joue au ralenti au milieu des vibrations et frottements éparpillés sur les caisses et cymbales. Le chant du saxophone monte lentement, comme s’il énonçait une prière à un esprit disparu. Un crescendo se déploie lentement, le contrebassiste percute les cordes bloquées près du chevalet alors que toute la batterie bruisse en étageant des strates percussives amorties et le souffleur égrène les éléments épars de sa litanie dans un arc. Consequences of a Doubt démarre sur un duo question réponse empressé et rebondissant de la contrebasse et des percussions dans lequel s’insère avec adresse le saxophoniste en nous contant la suite de son histoire. Les intervalles et le motif mélodique de la partie précédente ressurgissent et leurs affects sont prolongés avec une autre intention. Au morceau suivant, l’usage sauvage de l’archet sur les percussions coordonné avec celui des mailloches donne le signal d’une improvisation plus texturale en trilogue sans solution de fin : l’instant s’affirme et tourne sur lui-même. Bref, ces artistes ont le pouvoir d’exprimer bon nombre de choses avec autant de subtilité et d’énergie que de simplicité. Ils tirent parti de leurs capacités respectives avec imagination en assumant et sublimant la somme de leurs talents par la ferveur, l’empathie et ce sens inné de l’improvisation collective qui transporte les auditeurs dans un autre monde.
Rumpus Room Luca Collivasone et Gianni Mimmo Amirani #064
On ne dirait pas mieux. Luca Collivasone joue d’un bien curieux instrument auto-construit, le cacophonator. Gianni Mimmo a un malin plaisir à insérer son jeu mélodique un brin répétitif et minimaliste au saxophone soprano dans les vibrations étranges, glissandi éthérés, battements mécaniques et sonorités d’outre-tombe de l’appareil mystérieux. Le but de Mimmo est de toute évidence ajouter encore plus de mystères, de signaux secrets, créant des mélodies où pointent des aigus magiques et des descentes de gamme asymétriques. Deux sensibilités très différentes se font face et se contredisent intelligemment comme dans le 5. Nattmara. Le cacophonator est assurément une installation très originale qui multiplie les possibilités sonores de l’électronique ou du sampling, comme si c’était une machine absurde, douée de raison ou de déraison, transformant aussi la voix et les phrases. Luca Collivasone entretient bien des capacités narratives avec ce qu’il faut d’humour à bon escient. Gianni Mimmo cultive un art concis de l’intervention avec une légère dimension ludique pour les huit improvisations de ce très réussi Rumpus Room. Sa sonorité lunaire et son sens de l’ellipse rencontre de manière imprévisible la douce folie de son partenaire. Leurs efforts conjugués s’évadent dans un univers poétique peu commun. Comme le suggère l’auteur des notes de pochette, une entreprise qu’on aurait pu trouver sur la fameuse liste de Nurse With Wound. Excellent.