‘t other Benedict Taylor & Daniel Thompson empty birdcage records
https://emptybirdcagerecords.bandcamp.com/album/tother
Nouveau label lancé par le guitariste improvisateur britannique Daniel Thompson , empty birdcage records exprime par ce nom un peu non sense que la musique improvisée est libre de cages, barres verticales, et autres espaces clos. Daniel Thompson a convié un de ses meilleurs camarades, l’altiste Benedict Taylor, lui-même un phénomène du (violon) alto qui aime à étirer les notes des gammes de manière aussi instinctive que systématique. Pour situer la démarche du guitariste (acoustique) , on peut citer deux musiciens : Derek Bailey (version purement acoustique) et John Russell, avec qui il a pris quelques cours voilà une dizaine d’années. Usage abusif des harmoniques, d’intervalles dissonants, techniques alternatives, son sec et abrupt, parcours arachnéen faisant éclater les gammes, sens aigu des variations, Daniel a un beau parcours de collaborations enregistrées à son actif : trios avec Benedict Taylor et les clarinettistes Tom Jackson et Alex Ward, duo et trio avec le flûtiste Neil Metcalfe (+ Guillaume Viltard), duo avec le percussionniste Andrew Lisle, duo avec Adrian Northover et trio avec Northover et Steve Noble, et tout récemment avec les Bellowing Earwigs, etc….
Dans ‘t other, les deux musiciens ont choisi d’explorer au maximum les possibilités sonores en confiant au support digital l’intégrale d’une session où le sens ludique et la volonté d’aller jusqu’au plus profond de leur endurance instrumentale et de leurs ressources. Dans de longues et moins longues improvisations, les deux musiciens parviennent à étendre leur rayon d’action, l’altiste en faisant frémir la boiserie de son instrument dont il étire les timbres et les intervalles dans une dimension microtonale tout à fait identifiable : du Benedict Taylor ! Le guitariste partage avec Derek Bailey une goguenardise expressive et irrésistible. Les positions de ses doigts de la main gauche écartèlent les configurations de notes sensées les harmoniser et les coups de griffes imprévisibles du plectre font le reste. Ils auraient pu éditer la quintessence de leurs improvisations comme le faisait Derek Bailey, mais ils ont préféré nous livrer leur travail d’un bloc à travers de longues improvisations de plus de 20 minutes, 18, 16, 13, 12, 9, 8 et 7 minutes dans lesquelles nous pouvons suivre leur cheminement progressif dans leurs recherches expressives où se confrontent, se juxtaposent et se nouent leurs inventions sur les timbres, bruissements, variations insensées, grattages minutieux, ambiances magiques, affolements lyriques, questionnements, pizzicati maniaques … À vous de localiser les séquences les plus remarquables, délirantes ou même extatiques, la fureur ou le recueillement. Ces deux-là sont faits pour s’entendre et à ma connaissance, il n’existe pas d’enregistrement de Bailey, Russell ou Roger Smith (acoustique !! ) en duo avec Wachsmann, Zingaro , Goldstein, Rose etc… ou un autre violoniste de haute volée. Et comme leurs personnalités musicales sont fortement affirmées, il s’agit à mon avis d’un must listen. J’ajoute encore qu’un (violon) alto se révèle être un instrument finalement plus fascinant dans le domaine de l’exploration de textures, sonorités,… microtonalité etc.. qu’un violon. Pour pas mal de choses, ‘t other est une véritable merveille.
Frequency Disasters Steve Beresford Pierpaolo Martino Valentina Magaletti confront core series / core 18
https://www.confrontrecordings.com/frequency-disasters
On peut féliciter Mark Wastell, musicien et responsable de Confront Records, pour sa volonté de proposer des musiques parfois vraiment différentes de celle pour laquelle il est impliqué personnellement. C’est un réflexe de synergie et de bon sens élémentaire, voire de survie. Son catalogue Confront attire la curiosité et l’intérêt de personnes sensées écouter les musiques de secteurs spécifiques et très variés de l’improvisation et de l’expérimental et lesquelles se révèlent en majorité être les mêmes individus. Son tout récent album Twenty du trio The Sealed Knot avec Rhodri Davies et Burkhard Beins se situe aux antipodes de la musique inclassable de Frequency Disasters. Pierpaolo Martini est un contrebassiste originaire des Pouilles en Italie qui cherche à s’exprimer de manière valable et intéressante. Pour notre plus grand bonheur, il forme équipe avec un musicien improvisateur parmi les plus curieux et le moins prétentieux du monde, le pianiste Steve Beresford, et une « batteuse » originale qui a le chic de coller à l’esprit vagabond et la démarche dégingandée du pianiste, Valentina Magaletti. Un trio cohérent pour un trajet musical pas vraiment cohérent en apparence, mais qui réserve des surprises et vous rendra la joie de vivre, même dans cette période sinistrée.
Au contraire de pas mal de pianistes virtuoses de la scène improvisée, Steve Beresford se distingue par son jeu de piano viscéralement anti-académique. Comme Thelonious Monk ou Misha Mengelberg, il ne joue pas des paquets de notes avec des doigtés savants et ultra-logiques qui découlent d’une pratique intensive issue de l’enseignement dans les Conservatoires et dont on ressent la pratique, l’organisation mentale et le système inscrit dans l’ADN de nombreux collègues qui sonnent quasi tous un peu (voire beaucoup) pareils. Son parcours est buissonnier et ses idées n’appartiennent qu’à lui. Aucune idée fixe quant à ce que « doit » être la musique improvisée « idéale ».
Comme Steve adore jouer pour le plaisir dans la scène des gigs londoniens avec qui se présente depuis bientôt cinq décennies, il a développé une pratique de musique électronique low-fi avec une kyrielle d’instruments bon marché, Casio, porte-voix, effets, jouets sonores, gadgets. Souvent, ces instruments sont à portée du grand piano et il en joue plus ou moins simultanément de manière imprévisible et surprenante avec un sens du timing précis et ultra-convainquant. Ayant souvent joué en duo avec Han Bennink, ceci explique cela. Aussi, S.B. est un enthousiaste de la musique des autres musiciens assistant à un nombre incalculable de concerts sans le moindre préjugé, sachant par expérience que les artistes sont en évolution permanente et qu’il y a toujours quelque chose de bon ou d’intéressant à partager. Son attitude et celle de nombre de ses pairs et nombreux copains font que la scène Londonienne est sans doute la plus cool d’Europe. Et cet état d’esprit se reflète dans cette séance londonienne et pas comme les autres.
Étrangement, une ambiance à base de kalimba, de pizzicati bourdonnant et de bruissements discrets introduit l’album, des grattements de cordes et de clés de piano, archet sombre et glissandi sur la touche, quelques notes au clavier, vibrations de cymbales (Low Gulp 9:34) brouillent complètement les cartes, mais avec finesse et délicatesse avant que le parcours de la session nous délivre sa trajectoire improbable. Ce premier jet agit comme une plongée égalitaire dans l’écoute mutuelle approfondie, laquelle permet de s’envoler. 2/ Studded Shirt 2 :34 affirme une sorte de monkisme assumé, joyeux et personnel de la part du pianiste dans lequel s’inscrit le jeu malicieux,ludique et décalé de Valentina Magaletti. Fin abrupte introduisant 3/ Tuttodipunta (7 :11), un trilogue délirant dont la logique échappe aux radars des donneurs de leçons continentaux, genre prof sérieux qui sont incapables de s’amuser : ostinato obsessif sur la contrebasse et la batterie où le piano (clavier ou intérieur grinçant) ou quelques effets électroniques interviennent et se superposent. Imprévisible, ludique, narquois, cocasse. 4/ Pink Quote surgit du continuum dans sa lignée en offrant une tout autre perspective : électronique cheap zézayante, rafallettes de fines baguettes sur le rebord de la caisse claire, un joyeux contraste de l’indéfinissable et du récurrent, du fortuit et du persiflage. Cette observation se vérifie au fil de l’écoute. 5/ A Clumsy Title : Rythmique sautillante, claudicante et bruitages. Se succèdent des occurrences de sons, d’idées, d’inventions spontanées, de bruitages, d’ostinatos curieux.. d’une diversité quasi maniaque (Energetic Binge)qui forcent l’écoute, amuse ou affole l’auditeur. Tout ça n’a pas l’air sérieux, cadré, répertorié, soupesé, matière à thèse musicologique, carte de visite pour festival guindé, projet pour Université élitiste ou label pointilleux géré par un ponte omniscient. Que sais-je encore.
Surtout on échappe à la démonstration irréfutable du talent et de la maîtrise de la musique savante pour laisser libre cours à des intuitions originales, des idées folles, des tentatives de la dernière seconde qui font mouche. Une mention toute spéciale à la "batteuse" Valentina qui à l'art de mettre des accents suggestifs et d'inventer une répartie savoureuse / clin d'oeil jubilatoire aux frasques deu pianiste. Les percussionnistes qui parviennent à s'adapter avec une vraie créativité dans les circonstances hasardeuses de la free-music sont denrée rare. Voilà qu'on en tient une comme Valentina Magaletti, il ne faut pas la laisser s'échapper : "savoir jouer" est une chose, mais apporter sa part de folie, de plaisir et d'astuce comme elle le fait n'est pas choase courante ! Bravo ! Et dans la 7/ Cosmic Blunders, des accents au piano fort convainquant ou un brin de mélancolie dans 8/ Boyish Animation : un mignon jeu de chat à la souris entre les deux mains au clavier. Valentina a donc tout compris et son pote de bassiste donne la bonne dose à la contrebasse qui agit comme un pivot unificateur. Pierpaolo Martino a d’ailleurs un sens du groove discret, mais efficace qui apporte une manière enjouée dans les derniers morceaux quoi que fasse Steve Beresford avec ces jouets et objets sonores ou Valentina Magaletti avec son imagination. Le dernier et onzième morceau s’intitule Delusion Metabolist (sic !).
Inclassable. Cette caractéristique, vous allez me dire, n’est pas un but en soi, mais quand cela devient un aboutissement folichon, réellement amusant et unique en son genre, on ne peut que se régaler, se réjouir et passer un excellent moment.
Tatatsuki Trio Quartett Live in Hessen with Matthias Schubert and Dirk Marwedel Creative Sources CS682CD
Tatatsuki est un Trio itinérant qui ne se produit qu’avec un quatrième invité, ici avec le saxophone ténor de Matthias Schubert le 21.05.2019 à la Kulturhaus Dock4, Kassel (28 :32) et avec le saxophone étendu de Dirk Marwedel (33 :04) le 08.11.2019 à la Mauritius-Mediathek, Wiesbaden. Le Trio Tatatsuki proprement dit est composé de Rieko Okuda, piano, alto et voix, d’Antti Virtaranta, contrebasse et de Joshua Weitsel, guitare et shamisen. En compagnie de Matthias Schubert, le Tatatsuku Trio tisse un réseau sonore exploratoire en introduisant au départ des lignes aérées et légères, froissements de timbres, glissements sur les cordes dans lesquels s’insèrent l’extrême aigu du sax ténor. Ouverture introspective et retenue, jusqu’à ce que Matthias Schubert introduise un jeu saccadé en tordant son excellente articulation. Les trois autres, alto, guitare électrique et contrebasse, réagissent de manière ludique, pointilliste en évoluant à des cadences divergentes. Le piano de Rieko Okuda entre ensuite en scène faisant face au shamisen de Joshua Weitzel. L’ADN du groupe est marqué autant par une volonté de concentrer l’improvisation dans une direction définie qu’en juxtaposant des cheminements individuels presque contrastés, voire centrifuges. Une dimension heuristique à la limite de l’insouciance, exprimant une joie de jouer et la curiosité face à la confrontation de démarches individuelles dans le jeu instrumental et la pratique de l’improvisation à l’écart des formalisations théorisantes que d’aucuns ressentent comme excessives. Exultation, dérive, introspection, jeu de dés, tentative, exploration, confrontations de sonorités, textures, actions et réactions. Dans la longue improvisation de Wiesbaden, on transite depuis un no man’s land où interviennent les cycles harmoniques du piano contemporain, les cordes frappées du shamisen et le souffle extensible et éthéré jusqu’à des altérations métamusicales vraiment curieuses où l’effort de l’écoute n’arrive plus à départager l’origine instrumentale des sonorités murmurantes, vibratoires, mystérieuses qui se développent dans un consensus partagé. Questions posées diversement à l’inverse de solutions réconfortantes. L’improvisation collective revêt ici l’irrésolu, l’éphémère, des instants - séquences qui échappent à une forme de rationalité pour revêtir la primauté du moment vécu, rêvé ou secrètement désiré.
Paul Jolly & Mike Adcock Risky Furniture 33xtreme 013
Le saxophoniste Paul Jolly fut un des membres du People Band, formation séminale de l’improvisation libre britannique (Terry Day, Mel Davis, Mike Figgis, George Khan, Davey Payne, Charlie Hart, Tony Edwards, etc…) entre 1965 et 1972 et rassemblée à nouveau de 2008 à 2014. Paul Jolly avait même produit leur « Live at Café Oto » (33eXtreme 007) avant la disparition de Mel Davis, une des « têtes pensantes » du groupe. Encore si on pouvait définir la musique anarchiste du People Band comme celle d’un groupe plutôt qu’un état d’esprit partagé ou disputé. On retrouve pour cette parution 33eXtreme, un intrigant duo de Paul Jolly aux saxophones sopranino, soprano et ténor et clarinette basse avec le pianiste Mike Adcock, lui-même un accordéoniste surprenant. On se souvient du Café de la Place en compagnie d’un Lol Coxhill de haute volée (label Nato) et de l’étonnant duo Sleep It Off avec le flûtiste Clive Bell, un très bel album publié par Emanem qui ne ressemble à aucun autre. Et dans cet opus il doublait au piano. Sous un côté faussement folk et introspectif, c’est encore au piano qu’on le trouve face à un souffleur inspiré dans ce vraiment Risky Furniture. Leur musique est parfois tellement de guingois qu’on ne se risquera pas ranger nos catégories dans leur mobilier. Pas de grandes envolées, mais une approche sensible, épurée à petites touches, vibrations de ses doigts et mains sur le clavier qui se meuvent à l’écoute du souffle sinueux de son camarade. Mike Adcock use des dissonances et couleurs sonores comme un peintre sur sa palette. Complètement anti-académique, son jeu free est agréablement et profondément réjouissant et ses doigtés rivalisent avec les circonvolutions de Paul Jolly au sax soprano (What Not). Avec la clarinette basse, une marche sombre est relevée par une forme d’humour à froid minimaliste dont l’allant impavide jusqu’au dérisoire fait tourner le marcheur en rond avec des sursauts dégingandés. À l’instar de leurs compatriotes Lol Coxhill, Steve Beresford, Terry Day, Paul Rutherford, Jon Rose, nos deux lascars peuvent tout se permettre, leur délire mené jusqu’à l’absurde conserve une réelle crédibilité quoi qu’il arrive. Comme le Fred Van Hove de Verloren Maandag (SAJ 1977), Mike Adcock a un don inné pour jouer avec les couleurs du piano et d’en extraire des lignes mélodiques improbables. Paul Jolly imprime un lyrisme touchant tout en enfonçant le clou d’un persiflage tout juste palpable. Le dosage de cet humour délicieux transcende les formes que leurs improvisations investissent pour leur faire exprimer ce que notre imagination nous suggère. The Accidental Splinter nous fait entendre des harmoniques criardes par-dessus un toucher de piano hésitant et méchamment dissonant. Dans Bureau of Change, ils se permettent de réclamer la monnaie en nous jouant un tour : comment friser le ténu, l’accessoire avec pas grand-chose : quelques notes bancales au piano et des bribes de mélodies dans l’aigu du sax soprano et un peu d’audace suffisent à exprimer le trouble. Changement de registre avec une main gauche fofolle (by the fainting couch) et quelques consonances un peu farce : la dose exacte de dérision sans qu’il n’y paraisse. Ces deux improvisateurs, s’ils ne font pas montre de virtuosité et de brilliance, sont passés maîtres dans la suggestion, l’expressivité improbable d’éléments mélodiques en apparence simples et presque convenus , répétitifs ou consonants, issus d’une pratique empirique voire « populaire » de la musique. Le trait n’étant pas du tout forcé, l’entreprise de Jolly & Adcock passe aisément la rampe. Un bel album.
Thollem A Day in The Leap Setola di Maiale.
https://www.setoladimaiale.net/catalogue/view/SM4190
Thollem Mc Donas, un solide pianiste, virtuose, dense et précis, avait enregistré deux remarquables albums énergétiques et racés avec le saxophoniste ténor Edoardo Marraffa et le puissant batteur Stefano Giust pour Amirani et Setola di Maiale, label dont Stefano est le maître d’œuvre. Rien d’étonnant de voir venir cet étonnant opus, A Day in The Leap, surgir au catalogue du label de Porcia, Pordenone. Et, figurez-vous, un chef d’œuvre de musique électronique où le pianiste est aux prises avec un Korg Wavestate, un clavier électronique dont l’instrumentiste peut modifier les paramètres sonores, attaques, dynamique, registres, pulsations, fréquences pour atteindre un véritable raffinement et une palette instrumentale fascinante. On retrouve dans son travail une extension de sa musique au piano avec une dimension percussive et pulsatoire avec une richesse dans les timbres qui empruntent aux marimbas, vibraphones, orgues électriques, instruments à vents, en trafiquant les tonalités et jonglant avec les boucles au point où on oublie le prosaïsme de ce procédé banal. Thollem Mc Donas appartient à cette génération de chercheurs en musique électronique pour qui l’aspect du rythme est une valeur aussi importante que la dimension sonore : Thomas Lehn, Richard Scott, Paul Obermayer, Richard Barrett, Julien Palomo, Lawrence Casserley, Joker Nies, Alan Silva, ou Veryan Weston et sa keystation et son pote Steve Beresford et sa table recouverte d’instruments vintage, jouets et gadgets, etc… Une démarche musicale défendant l’option « complexité » face à la grisaille minimaliste focalisée sur les textures et les drones qui parfois peut lasser ou à certaines démarches frisant la facilité. Qu’on n’aime ou pas la musique électronique per se, on conviendra, à moins d’être faux jeton, du réel talent de ce musicien. De toute façon, un pianiste de free-music n’a pas le choix. Ceux qui aiment jouer dans leur environnement immédiat et rencontrer d’autres camarades pour le plaisir ne trouvent pas toujours/ souvent un piano à demeure et cela dans de nombreux lieux. Et donc, nombre de ces improvisateurs militants ont développé une musique intéressante avec d’autres moyens, souvent électroniques (Steve Beresford, Pat Thomas, Veryan Weston). Dans le cas de Thollem Mc Donas, c’est une véritable réussite esthétique et musicale. Cecil Taylor décrivait sa musique au piano comme représentant les mouvements un danseur dans l’espace (hors gravitation). C’est l’effet ressenti à l’écoute d’A Day in The Leap.
Consacré aux musiques improvisées (libre, radicale,totale, free-jazz), aux productions d'enregistrements indépendants, aux idées et idéaux qui s'inscrivent dans la pratique vivante de ces musiques à l'écart des idéologies. Nouveautés et parutions datées pour souligner qu'il s'agit pour beaucoup du travail d'une vie. Orynx est le 1er album de voix solo de J-M Van Schouwburg. https://orynx.bandcamp.com
30 novembre 2020
23 novembre 2020
Ivo Perelman with Nate Wooley, with Matthew Shipp & Whit Dickey & with Matthew Shipp & Joe Morris. Duo Ivo Perelman & Pascal Marzan
Polarity Ivo Perelman & Nate Wooley burning ambulance CD https://ivoperelman-bam.bandcamp.com/album/polarity
There is a long story of trumpet and saxophone tenor playing, moving and singing as a pair. Remember Don Cherry and Albert Ayler, Miles Davis and John Coltrane, Buck Clayton and Lester Young, Clifford Brown and Sonny Rollins, Kenny Dorham and Joe Henderson, this is the endless motion of creativity of two elements – principles – dynamics inside the longstanding process of the mutual listening and spontaneous invention which permeates through the works of the artists inventors of the jazz to be and to come. Two poles of different timbres and sounds which are in need of each other, contrasting from or complementing each other. The Brazilian tenor sax player Ivo Perelman and the American trumpet instrumentalist Nate Wooley are firm believers of the value of jazz music and heirs of their own jazz heroes and fondly involved in free improvisation based on instant invention and close mutual listening through a process of extending and discovering new sounds and their impromptu aggregations in unexpected ways. So if there is a kind of throwing dices way of doing, a very subtle logic and a deep sensitivity are at work. They use some short melodic patterns which jump and vanish, various manners of glissandi, buzzing, harmonics and split tones which are echoing between them, odd accents, repetitions and disjoint articulations, bits and pieces extracted out of the realms of jazz soloing and dancing on shared invisible moving beats. Exact mutual listening is happening here each minute, each second or even nano-second. They don’t follow a map or a route, but they invent an imaginary score made of beautiful sounds from their souls in the almost jazz canon and / or from the shrapnel shards from the free jazz explosion. Speed, spirals and endless curves are mingled with subdued rallentando, voice-like overtone, outrageous note bending and odd pitch placements. Perhaps one will say that this is not new as Albert Ayler and Don Cherry or Roscoe Mitchell and Lester Bowie already played and recorded that kind of stuff fifty years ago. But their work fits amazingly well in a complete reconsideration of jazz practice through the process of total free-improvisation without any kind of previous discussion and agreement of what to play in the line of such European improvisers like Evan Parker and Derek Bailey, John Stevens and Trevor Watts. No score, no theme, no solo, no comping. The rewards of their improvising method, their sensitivity and skills are offering us constant variations and extensions of forms, feelings and sounds. Their improvising journey are made of quite different – ever moving musical pieces, ten instant compositions from exquisite miniatures around the two minutes and others stretching longer as the opening (6:53) and the closing (10:49). This kind of man to man dialogue was made possible because they have worked together in other projects with Matthew Shipp (Philosopher’s Stone) and Mat Maneri (Strings 3). While trying at succeeding in such challenges, they build in the same time what could happen next. Their duo was not planned but answered to an existential need of creating beauty and surprise.
Garden of Jewels Ivo Perelman – Matthew Shipp – Whit Dickey Taoforms
J’étais en train de finir l’écriture et la traduction d’un livre sur la musique d’Ivo Perelman et Matthew Shipp en duo et leurs nombreux albums, voici que me parviennent huit joyaux du studio de Jim Clouse : Garden of Jewels. C’est leur première session depuis le pic de la pandémie à NYC. À leurs côtés, le fidèle percussionniste Whit Dickey. Quelque chose a changé dans le jeu du souffleur, la vocalité de son timbre s’est épanouie et il malaxe l’articulation vers les suraigus et dans un tendre legato, on croit entendre sa peau trembler. Sans doute, est-ce la conséquence de tous les exercices intenses durant l’inactivité de la pandémie. La qualité du dialogue entre Ivo et Matthew, s’est encore renforcée au niveau de l’acuité des accents et du dialogue. Qui connaît Matthew Shipp en solo ou en trio, (sans Ivo), sera surpris par son style épuré qui embrasse littéralement le souffle poétique de son collègue et par les métamorphoses de son jeu au fil de chaque improvisation. Leur musique n’est pas faite de thèmes et de solos individuels où le pianiste « accompagne » le souffleur. Il s’agit de jouer et faire corps ensemble en distillant la musique vers l’essentiel dans l’instant et une écoute mutuelle totale. Leur musique improvisée raconte une histoire inventée qui cherche en permanence de nouvelles formes nées du jeu et de leur imagination. Whit Dickey s’introduit dans leur dialogue en sélectionnant ses frappes, les vibrations des cymbales et en évitant les roulements. Un sens de l’espace et un jeu plus pointilliste qui s’agrège à l’ensemble et s’en détache lorsque l’intuition point. On sent Whit Dickey entièrement à l’écoute des enchaînements mélodiques spontanés et mouvants du piano et du souffle éperdu. Chacun de ces joyaux exprime un autre état de conscience, un feeling renouvelé. Onyx semble commencer comme des rêves croisés et finit par se déplacer par rebonds simultanés des trois musiciens, échancrés par quelques élans d'Ivo Perelman auquel fait écho trois ou quatre notes du piano en guise d’accord. Turquoise démarre en vives questions - réponses soutenues avec un motif au piano énoncé brièvement et tenu en réserve, et comme souvent et de manière peu prévisible, les trois musiciens ralentissent et s’étalent, le motif apparu brièvement ressurgit et entraîne des contrepoints tournoyants en cascade alors que le batteur décroise les battements. Cette proximité de plus en plus fertile entre le pianiste et le saxophoniste s’est communiquée au batteur. Nous avons déjà aperçu cette empathie profonde, ce sentiment d’unité lors de la session d’Ineffable Joy avec Bobby Kapp et William Parker. Nous ressentons très fort ici leur communion intense dans la qualité sonore et les réactions intimes à la fraction de seconde près. Ces trois musiciens ne pensent plus « sax ténor » « piano » ou « batterie », mais sonorités, langages, dialogue, images, couleurs, nuances, mouvements mêmes infimes, émotions, déchirements ou apaisements, intériorité ou surgissement de l’expression comme au cœur de Sapphire. Un joyau
Shamanism Ivo Perelman Joe Morris Matthew Shipp Mahakala Music https://ivoperelman.bandcamp.com/album/shamanism
Ces trois musiciens partagent une histoire commune : le guitariste Joe Morris a joué et enregistré séparément avec le pianiste Matthew Shipp en duo (Thesis - Hatology) et en groupe et plus récemment avec le saxophoniste Ivo Perelman : Blue en duo et Counterpoint en trio avec le violoniste Mat Maneri (Leo Records), lequel est un habitué des sessions de Shipp et Morris. Et bien sûr, Ivo et Matt partagent un duo incontournable pour lequel de nombreux albums ont été publiés (Corpo, Callas, Saturn, Oneness, Efflorescence Vol.1, Live In Brussels et In Nuremberg) leur dernier en date étant Amalgam chez Mahakala Music, justement. Dans tous leurs efforts communs et ce nouveau trio , Perelman, Morris et Shipp confient à Jim Clouse, leur ingénieur du son, une musique entièrement improvisée sur l’instant, sans thèmes ni schémas préétablis, en s’unissant sur la seule base de l’écoute mutuelle et d’interactions toujours renouvelées. Bien sûr, leurs connaissances approfondies du jazz moderne et de la musique classique vingtiémiste s’agrègent à une capacité étincelante d’improvisateurs expérimentés. Si le tandem saxophone – piano profite d’une complémentarité évidente, de même la combinaison guitare - saxophone, associer un piano avec une guitare dans le domaine de l’improvisation totale, n’est pas une mince affaire. À titre de comparaison, un duo tel que celui de Bill Evans et Jim Hall navigue à vue en combinant les solos improvisés respectifs du pianiste et du guitariste avec l’accompagnement de l’autre partenaire sur la base de compositions, l’invention mélodique de chaque « soliste » reposant sur la trame harmonique et rythmique fournie par son partenaire. C’est un art qui fonctionne sur des règles éprouvées et auquel de tels musiciens ont conféré une aura exceptionnelle.
Mais une fois que tous les coups sont permis dans une totale liberté « free », cette combinaison piano - guitare devient ardue et l’entreprise risque d’être lassante : la guitare et le piano étant deux instruments harmoniques qui se suffisent déjà à eux-mêmes une fois solitaire. On risque en improvisant continuellement de part et d’autre, de superposer deux pensées musicales voisines de manière abstraite en surchargeant les échanges ou en se contredisant, rendant la collaboration verbeuse et indigeste. D’ailleurs, Cecil Taylor et Derek Bailey ont enregistré une seule fois en 1988 (Pleistozaen mit Wasser- FMP), et à mon avis, c’est ce qu’on appelle une « tentative », … sans lendemain. Ils ne l’ont d’ailleurs jamais rééditée, alors que le scoop était géant ! De même, cherchez dans la discographie des Don Pullen, Muhal Abrams, Marylin Crispell, Alex von Schlippenbach, Fred Van Hove, Irene Schweizer, Agusti Fernandez, Craig Taborn, Sylvie Courvoisier, Veryan Weston etc… , vous constaterez que le sujet est bien évité. Quant à Derek Bailey, c’est une option qu’il n’a jamais choisie en duo ou en trio, alors qu’il est sans doute l’improvisateur libre qui a tout essayé. Donc, Thesis était un essai fort honorable, intéressant, mais pas vraiment attirant pour certaines oreilles, si je me souviens. Dans le morceau final de Shamanism, Religious Ecstacy, il y a toute une séquence en duo piano - guitare où les doigtés du pianiste font accélérer et tournoyer l’inventivité échevelée du guitariste sur le manche, lequel actionne son seul plectre face aux dix doigts sur le clavier. Il règne alors une tension électrique à la limite du déraillement et on a l’impression de se diriger vers un cul de sac que détourne l’intervention du saxophoniste.
Alors, nos trois apôtres se sont dits : « Et avec un saxophone en plus ? ». La bonne idée ! Et ça marche à merveille, à ma plus grande surprise. Et pourtant, a-t-on entendu Steve Lacy et Mal Waldron, Trevor Watts et Veryan Weston ou Dave Burrell et David Murray etc.. s’adjoindre un guitariste ? Ce serait tout à fait incongru. Dans ce triangle aux proportions mouvantes, les trois improvisateurs multiplient les opportunités géométriques dans l’espace et, dans les architectures successives des neuf improvisations, insufflent spontanément dynamisme, énergie, expressivité, rage et langueur jonglant avec les articulations de leurs phrasés qu’ils combinent avec un vrai bonheur, parfois comme un acrobate évoluant sur un fil tendu au-dessus du vide. Ici les zig-zags intrépides du guitariste peuvent compter sur l’articulation abrupte ou coulante du saxophoniste, elle-même hérissée d’harmoniques mordantes et chantantes, alors que le pianiste percute des accords brisés à contre – courant. Lorsqu’Ivo Perelman lance un motif dans Trance ou dans Divination, Matthew Shipp trouve instantanément une cadence dans laquelle le guitariste s’insère en faisant rebondir ses notes aiguës obliquement, le schéma ainsi créé se métamorphose naturellement au fil des secondes en enchaînant des variations qui s’imbriquent comme un puzzle en trois dimensions. Dans ce partage égalitaire à trois, Ivo Perelman confère une puissance à l’étonnante douceur de son souffle saisi par ces extrêmes aigus expressifs et mordants et des circonvolutions microtonales ouatées et faussement suaves. Cette propension à étirer ses notes au-delà du simple effet pour se muer littéralement en chanteur (influence de la saudade ou d’un flamenco aylérien) confère une coloration tropicale aux harmonies complexes et nourries de ces deux compagnons. Il pousse le cri du free-jazz « sauvage » dans ses derniers retranchements avec une suavité et un lyrisme paradoxal. Si Matthew et Joe rivalisent de science harmonique généreusement appliquée (comme on dit « les sciences appliquées ») à leurs échanges virevoltants, majestueux ou saccadés, leur performance déjà fascinante d’invention se voit conférer un merveilleux supplément d’âme, Ivo déployant son extraordinaire inventivité mélodique à travers les registres de son sax ténor qu’il distend avec excès tout en maintenant une expressivité lyrique. On note d’ailleurs une mutation récente dans la vocalité de son style. Mais les deux autres ne sont pas sans reste : on appréciera la qualité de leur toucher et les nuances des timbres qui transcende leurs échappées folles au travers des cycles harmoniques, montagnes russes chromatiques et cascades limpides. Du grand art !
Chacun s’active à varier les plaisirs et à trouver des solutions à la fois contrastées et complémentaires aux questions posées par leurs partenaires, qui, s’ils manifestent le plus profond fair-play, ne se gênent pas pour s’exprimer de manière exigeante, poussant leurs collègues dans leur derniers retranchements ou les forçant à faire couler la sève lors d’une ballade en porte-à-faux. Afin sans doute de procurer des zones de relâchement à l’attention du « spectateur » auditeur de ces extravaganza colorées, Matt Shipp propose trois courts solos agréablement calibrés et laissant libre cours à sa magnifique sonorité : 1/Prophet and Healers, 5/ Altered States of Consciousness et 9/ Supernatural Faith, lequel introduit le tournoiement final et infini de 10/ Religious Ecstacy, une conclusion haletante vers un point final en ralentando habilement négocié pour se solder par un parcours très accidenté et anguleux où s’exténue l’articulation trépidante du souffleur. Tout en s’exprimant avec lyrisme et connivence heureuses, le trio explore des territoires agités et des constructions éphémères avec un sens du challenge impressionnant et une lucide pureté d’intentions.
Dust of Light/Ears Drawing Sounds on Setola di Maiale SM4200 : Pascal Marzan & Ivo Perelman https://ivoperelmanmusic.bandcamp.com/album/dust-of-light-ears-drawing-sounds
Coincidence came out at the meeting of French guitarist Pascal Marzan with Ivo Perelman. Like Ivo, but later in his life, Pascal Marzan dedicated his time to the learning and the mastering the classical acoustic guitar, studying and performing the same Brazilian composer that the young Ivo teethed as a youngster : Heitor Villa-Lobos and his Préludes, Études and Guitar Concerto … But after having performed classical music and also improvised music with legendary British improvisers like guitarist John Russell, violinist Phil Wachsmann, saxist Urs Leimgruber and clarinettist Alex Ward, Pascal decided very recently to refound completely his practice of his axe in tuning it very differently. He bought a new ten strings classical guitar build at the requirements of the legendary virtuoso Narciso Yepes, one of the greatest guitarist of the Twentieth Century. With a lucid and premonitory intuition, he tuned each string with an interval of a third of a tone from the next string in order to develop a kind of microtonality. Coincidentally, one of the closest musical mate of Ivo, alto virtuoso improviser Mat Maneri is completely involved in this microtonal universe since he learned it from his father, the now deceased composer and reed maestro, Joe Maneri. They even both recorded for the ECM label. When Pascal and Ivo met at one London gig, they both clicked like twins. I would add that Pascal’s tuning is allowing to play in sixth of tone, because, as you know, guitar frets are slicing one tone in two half-tones… and in two different scales of thirds of tones and also in equal temperament as the “normal” notes are still available. Mindboggling. Ivo Perelman strives to challenge his own diving in microtones playing above or below the “pure” notes adjusting meticulously his reed and mouthpiece air pressure and sticking to no Forte, but a softer breath with more nuances. As the intervals of the notes of this 6th tone guitar are so tiny, you wonder at listening to Dust of Light/ Ears Drawing Sounds. Is it a hybrid string instrument, a harp or a harpsichord? For my opinion of dedicated writer about improvised music, this is the most brilliant and deepest guitar concept in contemporary improvisation since the legendary Derek Bailey. Strangely, this string arrangement produces a spooky reverberation revealing the frail nature of the Spanish guitar body made of glued tiny pieces of wood. The session went unnoticed and the result went beyond any expectation. Confronted to all kinds of plucking and touching the strings with Pascal Marzan incredible right hand, fingers and nails and his multivoiced wild arpeggios,Ivo Perelman exceeds his current inspiration concentrating his breath and fingering to extend forcefully his high soaring notes and his singing alto range while you hear clear ruminations of past jazz heroes like Ben Webster and Don Byas or nods to Albert Ayler. The variety of musical forms created in the spur of the moment is absolutely amazing and strangely lyrical and earthy, both players making a tour de force of this unexpected musique de chambre.
Please Note that physical CD's are available here : https://www.setoladimaiale.net/catalogue/view/SM4200 Pascal Marzan (arcantilege@gmail.com) has copies of Dust Of Light in his hom in London. By now the bandcamp https://ivoperelmanmusic.bandcamp.com/album/dust-of-light-ears-drawing-sounds is providing only digital albums for logistic reasons.
There is a long story of trumpet and saxophone tenor playing, moving and singing as a pair. Remember Don Cherry and Albert Ayler, Miles Davis and John Coltrane, Buck Clayton and Lester Young, Clifford Brown and Sonny Rollins, Kenny Dorham and Joe Henderson, this is the endless motion of creativity of two elements – principles – dynamics inside the longstanding process of the mutual listening and spontaneous invention which permeates through the works of the artists inventors of the jazz to be and to come. Two poles of different timbres and sounds which are in need of each other, contrasting from or complementing each other. The Brazilian tenor sax player Ivo Perelman and the American trumpet instrumentalist Nate Wooley are firm believers of the value of jazz music and heirs of their own jazz heroes and fondly involved in free improvisation based on instant invention and close mutual listening through a process of extending and discovering new sounds and their impromptu aggregations in unexpected ways. So if there is a kind of throwing dices way of doing, a very subtle logic and a deep sensitivity are at work. They use some short melodic patterns which jump and vanish, various manners of glissandi, buzzing, harmonics and split tones which are echoing between them, odd accents, repetitions and disjoint articulations, bits and pieces extracted out of the realms of jazz soloing and dancing on shared invisible moving beats. Exact mutual listening is happening here each minute, each second or even nano-second. They don’t follow a map or a route, but they invent an imaginary score made of beautiful sounds from their souls in the almost jazz canon and / or from the shrapnel shards from the free jazz explosion. Speed, spirals and endless curves are mingled with subdued rallentando, voice-like overtone, outrageous note bending and odd pitch placements. Perhaps one will say that this is not new as Albert Ayler and Don Cherry or Roscoe Mitchell and Lester Bowie already played and recorded that kind of stuff fifty years ago. But their work fits amazingly well in a complete reconsideration of jazz practice through the process of total free-improvisation without any kind of previous discussion and agreement of what to play in the line of such European improvisers like Evan Parker and Derek Bailey, John Stevens and Trevor Watts. No score, no theme, no solo, no comping. The rewards of their improvising method, their sensitivity and skills are offering us constant variations and extensions of forms, feelings and sounds. Their improvising journey are made of quite different – ever moving musical pieces, ten instant compositions from exquisite miniatures around the two minutes and others stretching longer as the opening (6:53) and the closing (10:49). This kind of man to man dialogue was made possible because they have worked together in other projects with Matthew Shipp (Philosopher’s Stone) and Mat Maneri (Strings 3). While trying at succeeding in such challenges, they build in the same time what could happen next. Their duo was not planned but answered to an existential need of creating beauty and surprise.
Garden of Jewels Ivo Perelman – Matthew Shipp – Whit Dickey Taoforms
J’étais en train de finir l’écriture et la traduction d’un livre sur la musique d’Ivo Perelman et Matthew Shipp en duo et leurs nombreux albums, voici que me parviennent huit joyaux du studio de Jim Clouse : Garden of Jewels. C’est leur première session depuis le pic de la pandémie à NYC. À leurs côtés, le fidèle percussionniste Whit Dickey. Quelque chose a changé dans le jeu du souffleur, la vocalité de son timbre s’est épanouie et il malaxe l’articulation vers les suraigus et dans un tendre legato, on croit entendre sa peau trembler. Sans doute, est-ce la conséquence de tous les exercices intenses durant l’inactivité de la pandémie. La qualité du dialogue entre Ivo et Matthew, s’est encore renforcée au niveau de l’acuité des accents et du dialogue. Qui connaît Matthew Shipp en solo ou en trio, (sans Ivo), sera surpris par son style épuré qui embrasse littéralement le souffle poétique de son collègue et par les métamorphoses de son jeu au fil de chaque improvisation. Leur musique n’est pas faite de thèmes et de solos individuels où le pianiste « accompagne » le souffleur. Il s’agit de jouer et faire corps ensemble en distillant la musique vers l’essentiel dans l’instant et une écoute mutuelle totale. Leur musique improvisée raconte une histoire inventée qui cherche en permanence de nouvelles formes nées du jeu et de leur imagination. Whit Dickey s’introduit dans leur dialogue en sélectionnant ses frappes, les vibrations des cymbales et en évitant les roulements. Un sens de l’espace et un jeu plus pointilliste qui s’agrège à l’ensemble et s’en détache lorsque l’intuition point. On sent Whit Dickey entièrement à l’écoute des enchaînements mélodiques spontanés et mouvants du piano et du souffle éperdu. Chacun de ces joyaux exprime un autre état de conscience, un feeling renouvelé. Onyx semble commencer comme des rêves croisés et finit par se déplacer par rebonds simultanés des trois musiciens, échancrés par quelques élans d'Ivo Perelman auquel fait écho trois ou quatre notes du piano en guise d’accord. Turquoise démarre en vives questions - réponses soutenues avec un motif au piano énoncé brièvement et tenu en réserve, et comme souvent et de manière peu prévisible, les trois musiciens ralentissent et s’étalent, le motif apparu brièvement ressurgit et entraîne des contrepoints tournoyants en cascade alors que le batteur décroise les battements. Cette proximité de plus en plus fertile entre le pianiste et le saxophoniste s’est communiquée au batteur. Nous avons déjà aperçu cette empathie profonde, ce sentiment d’unité lors de la session d’Ineffable Joy avec Bobby Kapp et William Parker. Nous ressentons très fort ici leur communion intense dans la qualité sonore et les réactions intimes à la fraction de seconde près. Ces trois musiciens ne pensent plus « sax ténor » « piano » ou « batterie », mais sonorités, langages, dialogue, images, couleurs, nuances, mouvements mêmes infimes, émotions, déchirements ou apaisements, intériorité ou surgissement de l’expression comme au cœur de Sapphire. Un joyau
Shamanism Ivo Perelman Joe Morris Matthew Shipp Mahakala Music https://ivoperelman.bandcamp.com/album/shamanism
Ces trois musiciens partagent une histoire commune : le guitariste Joe Morris a joué et enregistré séparément avec le pianiste Matthew Shipp en duo (Thesis - Hatology) et en groupe et plus récemment avec le saxophoniste Ivo Perelman : Blue en duo et Counterpoint en trio avec le violoniste Mat Maneri (Leo Records), lequel est un habitué des sessions de Shipp et Morris. Et bien sûr, Ivo et Matt partagent un duo incontournable pour lequel de nombreux albums ont été publiés (Corpo, Callas, Saturn, Oneness, Efflorescence Vol.1, Live In Brussels et In Nuremberg) leur dernier en date étant Amalgam chez Mahakala Music, justement. Dans tous leurs efforts communs et ce nouveau trio , Perelman, Morris et Shipp confient à Jim Clouse, leur ingénieur du son, une musique entièrement improvisée sur l’instant, sans thèmes ni schémas préétablis, en s’unissant sur la seule base de l’écoute mutuelle et d’interactions toujours renouvelées. Bien sûr, leurs connaissances approfondies du jazz moderne et de la musique classique vingtiémiste s’agrègent à une capacité étincelante d’improvisateurs expérimentés. Si le tandem saxophone – piano profite d’une complémentarité évidente, de même la combinaison guitare - saxophone, associer un piano avec une guitare dans le domaine de l’improvisation totale, n’est pas une mince affaire. À titre de comparaison, un duo tel que celui de Bill Evans et Jim Hall navigue à vue en combinant les solos improvisés respectifs du pianiste et du guitariste avec l’accompagnement de l’autre partenaire sur la base de compositions, l’invention mélodique de chaque « soliste » reposant sur la trame harmonique et rythmique fournie par son partenaire. C’est un art qui fonctionne sur des règles éprouvées et auquel de tels musiciens ont conféré une aura exceptionnelle.
Mais une fois que tous les coups sont permis dans une totale liberté « free », cette combinaison piano - guitare devient ardue et l’entreprise risque d’être lassante : la guitare et le piano étant deux instruments harmoniques qui se suffisent déjà à eux-mêmes une fois solitaire. On risque en improvisant continuellement de part et d’autre, de superposer deux pensées musicales voisines de manière abstraite en surchargeant les échanges ou en se contredisant, rendant la collaboration verbeuse et indigeste. D’ailleurs, Cecil Taylor et Derek Bailey ont enregistré une seule fois en 1988 (Pleistozaen mit Wasser- FMP), et à mon avis, c’est ce qu’on appelle une « tentative », … sans lendemain. Ils ne l’ont d’ailleurs jamais rééditée, alors que le scoop était géant ! De même, cherchez dans la discographie des Don Pullen, Muhal Abrams, Marylin Crispell, Alex von Schlippenbach, Fred Van Hove, Irene Schweizer, Agusti Fernandez, Craig Taborn, Sylvie Courvoisier, Veryan Weston etc… , vous constaterez que le sujet est bien évité. Quant à Derek Bailey, c’est une option qu’il n’a jamais choisie en duo ou en trio, alors qu’il est sans doute l’improvisateur libre qui a tout essayé. Donc, Thesis était un essai fort honorable, intéressant, mais pas vraiment attirant pour certaines oreilles, si je me souviens. Dans le morceau final de Shamanism, Religious Ecstacy, il y a toute une séquence en duo piano - guitare où les doigtés du pianiste font accélérer et tournoyer l’inventivité échevelée du guitariste sur le manche, lequel actionne son seul plectre face aux dix doigts sur le clavier. Il règne alors une tension électrique à la limite du déraillement et on a l’impression de se diriger vers un cul de sac que détourne l’intervention du saxophoniste.
Alors, nos trois apôtres se sont dits : « Et avec un saxophone en plus ? ». La bonne idée ! Et ça marche à merveille, à ma plus grande surprise. Et pourtant, a-t-on entendu Steve Lacy et Mal Waldron, Trevor Watts et Veryan Weston ou Dave Burrell et David Murray etc.. s’adjoindre un guitariste ? Ce serait tout à fait incongru. Dans ce triangle aux proportions mouvantes, les trois improvisateurs multiplient les opportunités géométriques dans l’espace et, dans les architectures successives des neuf improvisations, insufflent spontanément dynamisme, énergie, expressivité, rage et langueur jonglant avec les articulations de leurs phrasés qu’ils combinent avec un vrai bonheur, parfois comme un acrobate évoluant sur un fil tendu au-dessus du vide. Ici les zig-zags intrépides du guitariste peuvent compter sur l’articulation abrupte ou coulante du saxophoniste, elle-même hérissée d’harmoniques mordantes et chantantes, alors que le pianiste percute des accords brisés à contre – courant. Lorsqu’Ivo Perelman lance un motif dans Trance ou dans Divination, Matthew Shipp trouve instantanément une cadence dans laquelle le guitariste s’insère en faisant rebondir ses notes aiguës obliquement, le schéma ainsi créé se métamorphose naturellement au fil des secondes en enchaînant des variations qui s’imbriquent comme un puzzle en trois dimensions. Dans ce partage égalitaire à trois, Ivo Perelman confère une puissance à l’étonnante douceur de son souffle saisi par ces extrêmes aigus expressifs et mordants et des circonvolutions microtonales ouatées et faussement suaves. Cette propension à étirer ses notes au-delà du simple effet pour se muer littéralement en chanteur (influence de la saudade ou d’un flamenco aylérien) confère une coloration tropicale aux harmonies complexes et nourries de ces deux compagnons. Il pousse le cri du free-jazz « sauvage » dans ses derniers retranchements avec une suavité et un lyrisme paradoxal. Si Matthew et Joe rivalisent de science harmonique généreusement appliquée (comme on dit « les sciences appliquées ») à leurs échanges virevoltants, majestueux ou saccadés, leur performance déjà fascinante d’invention se voit conférer un merveilleux supplément d’âme, Ivo déployant son extraordinaire inventivité mélodique à travers les registres de son sax ténor qu’il distend avec excès tout en maintenant une expressivité lyrique. On note d’ailleurs une mutation récente dans la vocalité de son style. Mais les deux autres ne sont pas sans reste : on appréciera la qualité de leur toucher et les nuances des timbres qui transcende leurs échappées folles au travers des cycles harmoniques, montagnes russes chromatiques et cascades limpides. Du grand art !
Chacun s’active à varier les plaisirs et à trouver des solutions à la fois contrastées et complémentaires aux questions posées par leurs partenaires, qui, s’ils manifestent le plus profond fair-play, ne se gênent pas pour s’exprimer de manière exigeante, poussant leurs collègues dans leur derniers retranchements ou les forçant à faire couler la sève lors d’une ballade en porte-à-faux. Afin sans doute de procurer des zones de relâchement à l’attention du « spectateur » auditeur de ces extravaganza colorées, Matt Shipp propose trois courts solos agréablement calibrés et laissant libre cours à sa magnifique sonorité : 1/Prophet and Healers, 5/ Altered States of Consciousness et 9/ Supernatural Faith, lequel introduit le tournoiement final et infini de 10/ Religious Ecstacy, une conclusion haletante vers un point final en ralentando habilement négocié pour se solder par un parcours très accidenté et anguleux où s’exténue l’articulation trépidante du souffleur. Tout en s’exprimant avec lyrisme et connivence heureuses, le trio explore des territoires agités et des constructions éphémères avec un sens du challenge impressionnant et une lucide pureté d’intentions.
Dust of Light/Ears Drawing Sounds on Setola di Maiale SM4200 : Pascal Marzan & Ivo Perelman https://ivoperelmanmusic.bandcamp.com/album/dust-of-light-ears-drawing-sounds
Coincidence came out at the meeting of French guitarist Pascal Marzan with Ivo Perelman. Like Ivo, but later in his life, Pascal Marzan dedicated his time to the learning and the mastering the classical acoustic guitar, studying and performing the same Brazilian composer that the young Ivo teethed as a youngster : Heitor Villa-Lobos and his Préludes, Études and Guitar Concerto … But after having performed classical music and also improvised music with legendary British improvisers like guitarist John Russell, violinist Phil Wachsmann, saxist Urs Leimgruber and clarinettist Alex Ward, Pascal decided very recently to refound completely his practice of his axe in tuning it very differently. He bought a new ten strings classical guitar build at the requirements of the legendary virtuoso Narciso Yepes, one of the greatest guitarist of the Twentieth Century. With a lucid and premonitory intuition, he tuned each string with an interval of a third of a tone from the next string in order to develop a kind of microtonality. Coincidentally, one of the closest musical mate of Ivo, alto virtuoso improviser Mat Maneri is completely involved in this microtonal universe since he learned it from his father, the now deceased composer and reed maestro, Joe Maneri. They even both recorded for the ECM label. When Pascal and Ivo met at one London gig, they both clicked like twins. I would add that Pascal’s tuning is allowing to play in sixth of tone, because, as you know, guitar frets are slicing one tone in two half-tones… and in two different scales of thirds of tones and also in equal temperament as the “normal” notes are still available. Mindboggling. Ivo Perelman strives to challenge his own diving in microtones playing above or below the “pure” notes adjusting meticulously his reed and mouthpiece air pressure and sticking to no Forte, but a softer breath with more nuances. As the intervals of the notes of this 6th tone guitar are so tiny, you wonder at listening to Dust of Light/ Ears Drawing Sounds. Is it a hybrid string instrument, a harp or a harpsichord? For my opinion of dedicated writer about improvised music, this is the most brilliant and deepest guitar concept in contemporary improvisation since the legendary Derek Bailey. Strangely, this string arrangement produces a spooky reverberation revealing the frail nature of the Spanish guitar body made of glued tiny pieces of wood. The session went unnoticed and the result went beyond any expectation. Confronted to all kinds of plucking and touching the strings with Pascal Marzan incredible right hand, fingers and nails and his multivoiced wild arpeggios,Ivo Perelman exceeds his current inspiration concentrating his breath and fingering to extend forcefully his high soaring notes and his singing alto range while you hear clear ruminations of past jazz heroes like Ben Webster and Don Byas or nods to Albert Ayler. The variety of musical forms created in the spur of the moment is absolutely amazing and strangely lyrical and earthy, both players making a tour de force of this unexpected musique de chambre.
Please Note that physical CD's are available here : https://www.setoladimaiale.net/catalogue/view/SM4200 Pascal Marzan (arcantilege@gmail.com) has copies of Dust Of Light in his hom in London. By now the bandcamp https://ivoperelmanmusic.bandcamp.com/album/dust-of-light-ears-drawing-sounds is providing only digital albums for logistic reasons.
17 novembre 2020
Yoni Silver Mark Sanders Tom Wheatley/ Ivo Perelman Matthew Shipp Whit Dickey/Detail + John Stevens Frode Gjerstad Johny Dyani Paul Rutherford Barry Guy/ Rhodri Davies/ Trio Eskimo/ Urs Blöchlinger Revisited
NAX/XUS Yoni Silver Mark Sanders Tom Wheatley Confront ccs66 https://confrontrecordings.bandcamp.com/album/nas-xus
Trio homogène travaillant dans le sombre, les ombres et reflets occasionnés par une instrumentation tout à fait particulière, orientée vers les sonorité graves. Clarinette basse de Yoni Silver, peaux, woodblocks et cymbales de Mark Sanders, contrebasse à l’archet de Tom Wheatley. Après un départ grasseyant, harmoniques et vocalisations, vibrations et graves tout dehors, s’installe une zone d’échange ponctuant le silence par des murmures et des frappes délicates et qui aspire notre écoute. L’enregistrement date de 2015 et a eu lieu à la Hundred Years Gallery de Graham McKeachan, endroit de création providentiel où tout un chacun peut proposer un projet sans avoir à craindre la moindre retouche, suggestion malhabile et considération oiseuse. Tout en sculptant les sons et modulant les timbres, le trio évoque au détour d’un méandre de leur inconscient, un lambeau de folklore imaginaire. Grâce et légèreté, idées fixes, but encore inconnu, nos trois improvisateurs se fraient un chemin dans la jungle des possibilités sonores et des agrégats de pulsations, frottements boisés, résonances métalliques, souffle intériorisé d’une clarinette basse onirique, traçant là une fresque de l’instant parmi les plus édifiantes qu’il nous a été donné d’entendre. Point de programme, d’expressivité appuyée, de manifeste (cagien ou autre), mais la vérité nue de l’intime, la propagation de l’écoute intense, mutuelle face au silence et à son franchissement à peine perceptible dans le feutré. Depuis les Carpathes de Peter Kowald, Michel Pilz et Paul Lovens (1976), nous n’avions éprouvé une telle plénitude dans un registre voisin mais très différent avec cette proximité contrebasse et clarinette basse (Wheatley – Silver), deux instruments frère et sœur aux aptitudes soniques complémentaires et empathiques, enlacées par la magie de la percussion (Sanders). Une belle plongée dans les mystères de l’improvisation libre et un des meilleurs albums parus chez Confront. Et en légère pochette en papier recyclé faute d'avoir commandé à temps pour obtenir la version avec le fameux boîtier métallique Confront CC, (le cauchemar des étagères).
Garden of Jewels Ivo Perelman – Matthew Shipp – Whit Dickey Taoforms https://taoforms.bandcamp.com/
J’étais en train de finir l’écriture et la traduction d’un livre sur la musique d’Ivo Perelman et Matthew Shipp en duo et leurs nombreux albums, voici que me parviennent huit joyaux du studio de Jim Clouse : Garden of Jewels. C’est leur première session depuis le pic de la pandémie à NYC. À leurs côtés, le fidèle percussionniste Whit Dickey. Quelque chose a changé dans le jeu du souffleur, la vocalité de son timbre s’est épanouie et il malaxe l’articulation vers les suraigus et dans un tendre legato, on croit entendre sa peau trembler. Sans doute, est-ce la conséquence de tous les exercices intenses durant l’inactivité de la pandémie. La qualité du dialogue entre Ivo et Matthew, s’est encore renforcée au niveau de l’acuité des accents et du dialogue. Qui connaît Matthew Shipp en solo ou en trio, (sans Ivo), sera surpris par son style épuré qui embrasse littéralement le souffle poétique de son collègue et par les métamorphoses de son jeu au fils de chaque improvisation. Leur musique n’est pas faite de thèmes et de solos individuels où le pianiste « accompagne » le souffleur. Il s’agit de jouer et faire corps ensemble en distillant la musique vers l’essentiel dans l’instant et une écoute mutuelle totale. Un sens de l'épure se marque de toute évidence dans les signaux qu'ils s'échangent. Leur musique improvisée raconte une histoire inventée qui cherche en permanence de nouvelles formes nées du jeu et de leur imagination. Whit Dickey s’introduit dans leur dialogue en sélectionnant ses frappes, les vibrations des cymbales et en évitant les roulements. Un sens de l’espace et un jeu plus pointilliste qui s’agrège à l’ensemble et s’en détache lorsque l’intuition point. On sent Whit Dickey entièrement à l’écoute des enchaînements mélodiques spontanés et mouvants du piano et du souffle éperdu. Chacun de ces joyaux exprime un autre état de conscience, un feeling renouvelé. Onyx semble commencer comme des rêves croisés et finit par se déplacer par rebonds simultanés des trois musiciens, échancrés par quelques élans du saxophoniste auquel fait écho trois ou quatre notes du piano en guise d’accord. Turquoise démarre en vives questions - réponses soutenues avec un motif au piano énoncé brièvement et tenu en réserve, et comme souvent et de manière peu prévisible, les trois musiciens ralentissent et s’étalent, le motif apparu brièvement ressurgit et entraîne des contrepoints tournoyants en cascade alors que le batteur décroise les battements. Cette proximité de plus en plus fertile entre Matthew Shipp et Ivo Perelman s’est communiquée au batteur. Nous avons déjà aperçu cette empathie profonde, ce sentiment d’unité lors de la session d’Ineffable Joy avec Bobby Kapp et William Parker. Nous ressentons très fort ici leur communion intense dans la qualité sonore et les réactions intimes à la fraction de seconde près, épurée et expressive sans excès mais avec cette puissance véritable qui n'a rien avoir avec le volume. Ces trois musiciens ne pensent plus « sax ténor » « piano » ou « batterie », mais sonorités, langages, dialogue, images, couleurs, nuances, mouvements mêmes infimes, émotions, déchirements ou apaisements, transparence ou harmonique extrême, intériorité ou surgissement de l’expression comme au cœur de Sapphire. Un joyau.
Detail + : A Concert . Frode Gjerstad – Johny Dyani – John Stevens + Paul Rutherford & Barry Guy Circulasione Totale CT 067 https://frodegjerstad.bandcamp.com/album/a-concert-detail Enregistré par la Radio Norvégienne le 11 septembre 1983 à Hennie Onstad Cultural Centre.
Voici un brelan d’as de première grandeur avec le roi du lyrisme désolé et insolent, Paul Rutherford le roi de la synergie personnifiée, John Stevens et trois as de cœur, Frode Gjerstad, Johny Dyani et Barry Guy. Je dis la synergie car celle-ci est à la base de la musique improvisée collective libre ou libérée… et le batteur est sans doute la personne (disparue en 1994) qui a laissé de ce point de vue l’empreinte la plus profonde dans la scène Londonienne dont ont fait partie physiquement et mentalement les musiciens présents dans ce concert pas comme les autres. Detail était un trio très remarquable réunissant Johny Dyani et John Stevens, une paire basse – batterie essentielle qui s’était promis une, fidélité éternelle depuis le temps aujourd’hui immémorial lorsqu’ils œuvraient au sein du Spontaneous Music Ensemble en compagnie de Maggie Nicols et de Trevor Watts (Oliv & Familie – SME – Emanem 4033) ou avec Mongezi Fesa, Kenny Wheeler ou Derek Bailey. Une fois établi en Suède, Dyani tourna avec le trompettiste Mongezi Fesa et le percussionniste Okay Temiz, Dollar Brand et puis, les Blue Notes recomposées vers les années 77-79. Au début des années 80, un jeune saxophoniste Norvégien, frode Gjerstad, réunit John et Johny en parcourant les scènes norvégiennes d’Oslo à Tromsö pour faire revivre un free-jazz totalement improvisé. Batterie post-Ed Blackwell polyrythmique allumée, contrebasse puissante et amplifiée et doigtés frénétiques, souffle enflammé, Frode, alors aux saxes ténor embrumé et soprano volatile et, parfois, le cornet de John. Et fréquemment des invités, et du beau monde : il y eut l'unique cornettiste Bobby Bradford, le violoniste Billy Bang, le saxophoniste Courtney Pine. Et les voici en novembre 1983 avec deux autres fondateurs du Spontaneous Music Ensemble : le bassiste Barry Guy et le tromboniste Paul Rutherford, lesquels ont collaboré durant des décennies au sein du trio Iskra 1903, parangon de l'mprovisation libre. Les voici dans un univers « plus free-jazz » et je dois ajouter qu’au milieu des années soixante, Barry Guy et John Stevens étaient embarqués dans un trio qui préfigurait Detail en compagnie de Trevor Watts au sax alto. Depuis cette époque, Frode Gjerstad a compris que sa destinée passait par le sax alto et c’est avec cet instrument que Detail a livré sa plus belle et dernière bataille : Last Detail- Live at Café Sting (Cadence) avec Kent Carter à la contrebasse le 2 mai 1994, quelques années après la disparition de Johny Dyani (R.I.P. 30-11-1945 – 24-10-1986) et peu avant celle de John Stevens (R.I.P. 10-06-1940 – 13-09-1994). Revenons au Hennie Onstad Centre près d’Oslo. Ce concert est un pari sur l’ouverture d’esprit où un groupe avec une trajectoire donnée et bien établie accueille des artistes qui vont inévitablement entraîner le centre de gravité et l’intérêt ludique dans une direction différente qui pourrait sembler contradictoire. En effet, lors de la très longue deuxième partie (4 ) on a droit à un véritable duo Barry Guy – Paul Rutherford lequel n’a jamais été entendu sur un quelconque album en tant que tel alors qu’ils ont joué par exemple au festival de Moers en 1977. Le concert commence par une apostrophe de contrebassistes atypique et caractéristique par Johny Dyani et Barry Guy. On réalise combien ils peuvent s’intégrer l’un à l’autre, flagellant et percutant leurs deux gros violons dans une véritable improvisation et faisant gémir les cordes et leurs amplis avec leurs archets en triturant aigus et harmoniques d'une expressivité dramatique rare. Une belle narration place magistralement le début du concert en abordant des nuances mystérieuses, des timbres fragiles, frôlant les cordes près du chevalet. John Stevens s’immisce délicatement aux balais et le duo nous livre déjà une apothéose frottée d’anthologie. Frode Gjerstad, alors encore vert, n’aura plus droit à la bienveillance. Il pourra cristalliser toute son énergie, sa faconde et se dépasser. Mais voilà ! Tel un djinn se prélassant sur un coussin d’air, le chant ineffable de Paul Rutherford s’élève et se joue de tous les subtilités harmoniques dans un lyrisme confondant, sinueux, développant des volutes nacrées dans des coups de lèvres imprévisibles avec un sens inné et majestueux de la décontraction par-dessus les volées de baguettes sur peaux et cymbales et l’articulation déjantée du souffleur complètement allumé. Compagnie étonnante, ce Detail Plus transcende l’idée de jam, de rencontre pour livrer l’essentiel en escamotant l’accessoire (les scories et les passages où on songe à recentrer le débat) par le truchement de la foi, de l’énergie dans des instants merveilleux qui nous font oublier les quelques longueurs, mises en bouche de formidables plats consistants. Entendre Paul Rutherford avec Frode Gjerstad est une belle récompense, le phrasé magique et nostalgique du tromboniste illumine les échanges et font que leur connivence a un parfum de sainteté. On a trop peu demandé à Paul Rutherford de jouer ce rôle d’alter ego cool avec ces épiques souffleurs d’anches, sa musicalité et ses qualités innées d’improvisateur ayant, selon moi, la capacité de faire monter les enchères, celles de la créativité. C’est moi-même qui ait voulu que Paul joue aux côtés d’Evan Parker en août 1985 et que l’enregistrement étincelant soit publié (Emanem 4030). L’invention mélodique de Rutherford apporte toujours un supplément d’âme et relève le niveau. Au fur et à mesure que la musique évolue, ce quintette à deux contrebasses évoque sans crainte l’ébullition du groupe d’Archie Shepp à deux trombones (Rudd et Moncur) du Live at Donaueschingen (1967) où un jeune Paul Lovens reçoit le baptême du feu dans l’assistance. Il fut par la suite un compagnon fidèle du tromboniste. Ce qui rend la fête crédible et enjouée, ces écarts - apartés que se donnent les acolytes : le soliloque si troublant de Rutherford au trombone ou un magnifique solo de contrebasse de Dyani. On mesure la puissance de sa poigne par la résonance et la tension de la corde, et les miaulements, bourdonnements et glissandi sous un archet folâtre qui trouvent un écho dans le cornet faussement naïf de Stevens. De cadences bien orchestrées, on s’égare volontairement dans un inconnu mouvant, articulations sinueuses et acides du sax soprano, aigus du cornet, percussions sur la contrebasse dérivant sans faillir. La batterie reprend ses droits et le trio Detail nous offre dans une autre séquence une autre perspective. Entraînant ses deux camarades, John module des rythmes croisés en alternant roulements et accents, dans une insistance africaine, tribale vers la transe. Son agilité à la cymbale ride est hypnotique. Le solo « absolu » de Rutherford (sans « accompagnement » haha !) survient après que le trio ait usé sa verve jusqu’à un cul de sac. Ses vocalisations mêlées aux harmoniques, ses sauts constants de registre expriment un lyrisme unique qui n’appartient qu’à lui. Jouer autrement du trombone, quand on l’entend, serait malpoli, presque vulgaire. Cette rencontre offre au sein du même concert ce qui distingue les personnalités musicales présentes et ce qui les rassemble dans une exploration temporelle, insistante, échevelée, par l’affirmation de conceptions esthétiques qui peuvent paraître divergentes pour les « connaisseurs ». Pour l’auditeur – spectateur lambda de ce concert de 1983 en Norvège, ce concert s’est imposé comme une extraordinaire leçon de choses et une magnifique expérience, rien que pour le drumming polyrythmique flamboyant de John Stevens et toutes les qualités de ses compagnons. Durant plus d'une heure, vous trouvez plusieurs options improvisées qui se succèdent comme dans un beau livre, et le plaisir !
Telyn Rawn Rhodri Davies amgen 001 https://rhodridavies.bandcamp.com/album/telyn-rawn
Nouvel album solo du harpiste gallois Rhodri Davies. Il s’est fait faire une harpe ancienne « Telyn Rawn » comme elle apparaissait dans la littérature musicale et poétique galloise du 14ème siècle. Cette harpe est aussi le symbole du Pays de Galles. Un instrument archaïque sans pédale, avec un cadre nettement moins imposant que la harpe moderne et des cordes de crin de cheval noir, reconstitué en se fiant à des écrits anciens et en s’appuyant sur la technique de fabrication des harpes africaines. Accordée dans une gamme non tempérée, cette harpe est jouée avec des motifs tournoyants, voire répétitifs et des intervalles et des écarts tonaux qui font songer à un « folklore » extra-européen : on songe à la kora de l’Afrique de l’Ouest (Mali, Côte d’Ivoire) ou même à la harpe birmane saung (Myanmar). Rhodri Davies est aussi un locuteur expérimenté en langue galloise, d’ailleurs il a écrit les notes de pochette dans les deux langues anglaise et galloise. Pour lui, en retrouvant une harpe galloise antique qu’elle soit idéalisée ou proche de ce que la Telyn Rawn aurait pu être, il affirme son attachement à la culture gaélique, à sa musique et à une identité nationale forte. La langue du Pays de Galles est encore et toujours parlée et écrite tant officiellement que dans la chanson, la poésie, la littérature et la vie de tous les jours. Cette musique est aussi fraîche et limpide que l’eau d’une source et semble tourner sur elle-même comme un pas de vis magique ou une danse de l’au-delà. Il utilise aussi l’archet dans une forme d’ostinato avec une qualité de timbre sauvage et étoffée. La musique de Telyn Rawn échappe à l’histoire et à un quelconque folklore, terme qui évoque la naphtaline par rapport à une tradition vivante qu’il semble ressusciter ou recréer. Son jeu à la harpe fait vibrer en nous ces tonalités perçues ailleurs à l’instar du violon hardanger norvégienne, les launeddas sardes ou la zampouna hellénique, vestiges vivaces des musiques européennes disparues. L’accordage spécifique de la Telyn Rawn engendre des résonances d’harmoniques mystérieuses et divergentes. Un magnifique travail musical inlassable et salutaire. Connu pour ses innovations révolutionnaires et son radicalisme musical et sonore, Rhodri Davies étonnera, avec ce nouvel opus, ceux qui croient connaître sa personnalité et ses choix esthétiques. Un magnifique album solo.
Fumàna Trio Eskimo Alberto Bertoni Enrico Trebbi Ivan Valentini + Ospite Luca Perciballi Setola di Maiale SM 4130.
Le Trio Eskimo est une association chaleureuse entre deux poètes italiens s’exprimant dans un dialecte, Alberto Bertoni et Enrico Trebbi et un saxophoniste Ivan Valentini. Comme il se doit au pays de l’accueil généreux, un « Ospite » (invité en français), le guitariste Luca Perciballi, crédité aussi live electronics et harmonica. Les poèmes dits par leurs deux auteurs sont le fil conducteur de l’enregistrement, les deux improvisateurs établissant des commentaires sonores ponctuant ou soulignant le texte qui défile, familier à mes oreilles (l’auteur de cette chronique étant un locuteur expérimenté en langue italienne) même avec ses élisions caractéristiques qui font disparaître les voyelles terminales. Je ne comprends pas tout, mais l’élocution aiguillonnée par les instrumentistes finit par s’incarner de manière à la fois plus physique et plus intime. Le travail des deux improvisateurs – instrumentistes fait preuve de sensibilité et d’à-propos en apportant la dose exacte nécessaire à l’équilibre et à la finesse de l’entreprise, mettant en valeur les voix, la diction et la respiration de l’œuvre. Bribes de mélodie, effets de guitare originaux, friselis des doigts au milieu des cordes, scansion du souffle et boucles au sax alto. Limpide. On aurait aimé avoir une notice indiquant l’origine du dialecte et les motivations des poètes, même si leurs poèmes sont imprimés dans le livret accompagnateur de ce digipack orné d’un paysage presqu’immaculé et nu sur lequel se détachent trois arbres dépareillés au creux de l’hiver dans un coin perdu de la plaine du Pô, cloîtré dans un brouillard presqu’aussi blanc que la neige qui couvre les sillons du champ bordé par l’alignement des troncs noirs hérissés de branches dénudées. Une belle surprise telle que, seul, le label Setola di Maiale nous offre dans son parcours utopiste.
Urs Blöchlinger Revisited Harry Doesn’t Mind Leo Records CD LR 885
Urs Blöchlinger (1954 - 1995) était un jeune musicien Suisse prodige, saxophoniste alto et basse et compositeur – chef d’orchestre émérite et qui nous a quitté il y a trop longtemps sans avoir pu sans doute apporter une contribution reconnue dans le jazz contemporain européen. Car son talent dépassait les frontières étriquées de la Confédération Helvétique, patrie de nombreux improvisateurs plus que remarquables : Irene Schweizer, Urs Leimgruber, Jacques Demierre, Léon Francioli, Charlotte Hug, Peter K Frey, Pierre Favre, Daniel Studer, Alfred Zimmerlin et Peter Schärli, lequel fut un compagnon indéfectible de ce saxophoniste qui croyait au Folklore Imaginaire, le leitmotiv du Workshop de Lyon. Je n’ai malheureusement pas suivi Urs Blöchlinger à cette époque (années 80-90), car il est impossible de suivre la trace de toutes les propositions esthétiques dans le jazz d’avant-garde. Mais l’écoute de cet album du Urs Blöchlinger Revisited vaut vraiment le détour. Quand les Suisses squattent Leo Records, ce n’est pas pour parader, et il y en a de ces jours des suisses au catalogue Leo ! Un véritable orchestre de solides pointures s’est constitué pour faire revivre de manière dynamique et salutaire le répertoire de ce saxophoniste qui n’hésitait pas à intégrer son sax basse dans la section de cuivres. Le batteur Dieter Ulrich a écrit des notes de pochette foisonnantes qui retracent les origines et le pourquoi de chacune des compositions interprétées et rejouées ici par un orchestre soudé et particulièrement brillant, tant par l’engagement personnel de ses membres et la coordination synergique des talents réunis pour cette aventure (U.B. Revisited) depuis plus de dix ans. Certains des musiciens sont d’ailleurs ses camarades d’il y a presque quarante ans, le batteur Dieter Ulrich, le pianiste Christoph Baumann, le bassiste Neal Davis. Son propre fils Lino Blöchlinger, le saxophoniste Sebastian Strinning, le tromboniste Beat Unternährer et le trompettiste Silvan Schmid complètenet cette fine équipe. La musique parle d’elle-même. On dira pour faire court que c’est proche de Willem Breuker mais avec plus d’audaces, de recherche et de complexité jazziques, rythmiques et harmoniques. Et le swing ! L’inspiration va chercher dans les musiques roumaines et bulgares et dans toutes sortes d’influences littéraires - musicales (Adorno - Hans Eisler, Adrian Rollini ( !)) ainsi qu’une fascination pour les rythmes impairs créant des mouvements tournoyants. Les thèmes s’enchâssent dans des sections improvisées peu prévisibles et l’écriture défie les paramètres conventionnels mêmes ceux du jazz risqué et « avant ». Écoute jouïssive et conseillée à qui veut écrire du jazz contemporain et n’a pas perdu le sens de l’humour et une forme de réflexion lucide.
Trio homogène travaillant dans le sombre, les ombres et reflets occasionnés par une instrumentation tout à fait particulière, orientée vers les sonorité graves. Clarinette basse de Yoni Silver, peaux, woodblocks et cymbales de Mark Sanders, contrebasse à l’archet de Tom Wheatley. Après un départ grasseyant, harmoniques et vocalisations, vibrations et graves tout dehors, s’installe une zone d’échange ponctuant le silence par des murmures et des frappes délicates et qui aspire notre écoute. L’enregistrement date de 2015 et a eu lieu à la Hundred Years Gallery de Graham McKeachan, endroit de création providentiel où tout un chacun peut proposer un projet sans avoir à craindre la moindre retouche, suggestion malhabile et considération oiseuse. Tout en sculptant les sons et modulant les timbres, le trio évoque au détour d’un méandre de leur inconscient, un lambeau de folklore imaginaire. Grâce et légèreté, idées fixes, but encore inconnu, nos trois improvisateurs se fraient un chemin dans la jungle des possibilités sonores et des agrégats de pulsations, frottements boisés, résonances métalliques, souffle intériorisé d’une clarinette basse onirique, traçant là une fresque de l’instant parmi les plus édifiantes qu’il nous a été donné d’entendre. Point de programme, d’expressivité appuyée, de manifeste (cagien ou autre), mais la vérité nue de l’intime, la propagation de l’écoute intense, mutuelle face au silence et à son franchissement à peine perceptible dans le feutré. Depuis les Carpathes de Peter Kowald, Michel Pilz et Paul Lovens (1976), nous n’avions éprouvé une telle plénitude dans un registre voisin mais très différent avec cette proximité contrebasse et clarinette basse (Wheatley – Silver), deux instruments frère et sœur aux aptitudes soniques complémentaires et empathiques, enlacées par la magie de la percussion (Sanders). Une belle plongée dans les mystères de l’improvisation libre et un des meilleurs albums parus chez Confront. Et en légère pochette en papier recyclé faute d'avoir commandé à temps pour obtenir la version avec le fameux boîtier métallique Confront CC, (le cauchemar des étagères).
Garden of Jewels Ivo Perelman – Matthew Shipp – Whit Dickey Taoforms https://taoforms.bandcamp.com/
J’étais en train de finir l’écriture et la traduction d’un livre sur la musique d’Ivo Perelman et Matthew Shipp en duo et leurs nombreux albums, voici que me parviennent huit joyaux du studio de Jim Clouse : Garden of Jewels. C’est leur première session depuis le pic de la pandémie à NYC. À leurs côtés, le fidèle percussionniste Whit Dickey. Quelque chose a changé dans le jeu du souffleur, la vocalité de son timbre s’est épanouie et il malaxe l’articulation vers les suraigus et dans un tendre legato, on croit entendre sa peau trembler. Sans doute, est-ce la conséquence de tous les exercices intenses durant l’inactivité de la pandémie. La qualité du dialogue entre Ivo et Matthew, s’est encore renforcée au niveau de l’acuité des accents et du dialogue. Qui connaît Matthew Shipp en solo ou en trio, (sans Ivo), sera surpris par son style épuré qui embrasse littéralement le souffle poétique de son collègue et par les métamorphoses de son jeu au fils de chaque improvisation. Leur musique n’est pas faite de thèmes et de solos individuels où le pianiste « accompagne » le souffleur. Il s’agit de jouer et faire corps ensemble en distillant la musique vers l’essentiel dans l’instant et une écoute mutuelle totale. Un sens de l'épure se marque de toute évidence dans les signaux qu'ils s'échangent. Leur musique improvisée raconte une histoire inventée qui cherche en permanence de nouvelles formes nées du jeu et de leur imagination. Whit Dickey s’introduit dans leur dialogue en sélectionnant ses frappes, les vibrations des cymbales et en évitant les roulements. Un sens de l’espace et un jeu plus pointilliste qui s’agrège à l’ensemble et s’en détache lorsque l’intuition point. On sent Whit Dickey entièrement à l’écoute des enchaînements mélodiques spontanés et mouvants du piano et du souffle éperdu. Chacun de ces joyaux exprime un autre état de conscience, un feeling renouvelé. Onyx semble commencer comme des rêves croisés et finit par se déplacer par rebonds simultanés des trois musiciens, échancrés par quelques élans du saxophoniste auquel fait écho trois ou quatre notes du piano en guise d’accord. Turquoise démarre en vives questions - réponses soutenues avec un motif au piano énoncé brièvement et tenu en réserve, et comme souvent et de manière peu prévisible, les trois musiciens ralentissent et s’étalent, le motif apparu brièvement ressurgit et entraîne des contrepoints tournoyants en cascade alors que le batteur décroise les battements. Cette proximité de plus en plus fertile entre Matthew Shipp et Ivo Perelman s’est communiquée au batteur. Nous avons déjà aperçu cette empathie profonde, ce sentiment d’unité lors de la session d’Ineffable Joy avec Bobby Kapp et William Parker. Nous ressentons très fort ici leur communion intense dans la qualité sonore et les réactions intimes à la fraction de seconde près, épurée et expressive sans excès mais avec cette puissance véritable qui n'a rien avoir avec le volume. Ces trois musiciens ne pensent plus « sax ténor » « piano » ou « batterie », mais sonorités, langages, dialogue, images, couleurs, nuances, mouvements mêmes infimes, émotions, déchirements ou apaisements, transparence ou harmonique extrême, intériorité ou surgissement de l’expression comme au cœur de Sapphire. Un joyau.
Detail + : A Concert . Frode Gjerstad – Johny Dyani – John Stevens + Paul Rutherford & Barry Guy Circulasione Totale CT 067 https://frodegjerstad.bandcamp.com/album/a-concert-detail Enregistré par la Radio Norvégienne le 11 septembre 1983 à Hennie Onstad Cultural Centre.
Voici un brelan d’as de première grandeur avec le roi du lyrisme désolé et insolent, Paul Rutherford le roi de la synergie personnifiée, John Stevens et trois as de cœur, Frode Gjerstad, Johny Dyani et Barry Guy. Je dis la synergie car celle-ci est à la base de la musique improvisée collective libre ou libérée… et le batteur est sans doute la personne (disparue en 1994) qui a laissé de ce point de vue l’empreinte la plus profonde dans la scène Londonienne dont ont fait partie physiquement et mentalement les musiciens présents dans ce concert pas comme les autres. Detail était un trio très remarquable réunissant Johny Dyani et John Stevens, une paire basse – batterie essentielle qui s’était promis une, fidélité éternelle depuis le temps aujourd’hui immémorial lorsqu’ils œuvraient au sein du Spontaneous Music Ensemble en compagnie de Maggie Nicols et de Trevor Watts (Oliv & Familie – SME – Emanem 4033) ou avec Mongezi Fesa, Kenny Wheeler ou Derek Bailey. Une fois établi en Suède, Dyani tourna avec le trompettiste Mongezi Fesa et le percussionniste Okay Temiz, Dollar Brand et puis, les Blue Notes recomposées vers les années 77-79. Au début des années 80, un jeune saxophoniste Norvégien, frode Gjerstad, réunit John et Johny en parcourant les scènes norvégiennes d’Oslo à Tromsö pour faire revivre un free-jazz totalement improvisé. Batterie post-Ed Blackwell polyrythmique allumée, contrebasse puissante et amplifiée et doigtés frénétiques, souffle enflammé, Frode, alors aux saxes ténor embrumé et soprano volatile et, parfois, le cornet de John. Et fréquemment des invités, et du beau monde : il y eut l'unique cornettiste Bobby Bradford, le violoniste Billy Bang, le saxophoniste Courtney Pine. Et les voici en novembre 1983 avec deux autres fondateurs du Spontaneous Music Ensemble : le bassiste Barry Guy et le tromboniste Paul Rutherford, lesquels ont collaboré durant des décennies au sein du trio Iskra 1903, parangon de l'mprovisation libre. Les voici dans un univers « plus free-jazz » et je dois ajouter qu’au milieu des années soixante, Barry Guy et John Stevens étaient embarqués dans un trio qui préfigurait Detail en compagnie de Trevor Watts au sax alto. Depuis cette époque, Frode Gjerstad a compris que sa destinée passait par le sax alto et c’est avec cet instrument que Detail a livré sa plus belle et dernière bataille : Last Detail- Live at Café Sting (Cadence) avec Kent Carter à la contrebasse le 2 mai 1994, quelques années après la disparition de Johny Dyani (R.I.P. 30-11-1945 – 24-10-1986) et peu avant celle de John Stevens (R.I.P. 10-06-1940 – 13-09-1994). Revenons au Hennie Onstad Centre près d’Oslo. Ce concert est un pari sur l’ouverture d’esprit où un groupe avec une trajectoire donnée et bien établie accueille des artistes qui vont inévitablement entraîner le centre de gravité et l’intérêt ludique dans une direction différente qui pourrait sembler contradictoire. En effet, lors de la très longue deuxième partie (4 ) on a droit à un véritable duo Barry Guy – Paul Rutherford lequel n’a jamais été entendu sur un quelconque album en tant que tel alors qu’ils ont joué par exemple au festival de Moers en 1977. Le concert commence par une apostrophe de contrebassistes atypique et caractéristique par Johny Dyani et Barry Guy. On réalise combien ils peuvent s’intégrer l’un à l’autre, flagellant et percutant leurs deux gros violons dans une véritable improvisation et faisant gémir les cordes et leurs amplis avec leurs archets en triturant aigus et harmoniques d'une expressivité dramatique rare. Une belle narration place magistralement le début du concert en abordant des nuances mystérieuses, des timbres fragiles, frôlant les cordes près du chevalet. John Stevens s’immisce délicatement aux balais et le duo nous livre déjà une apothéose frottée d’anthologie. Frode Gjerstad, alors encore vert, n’aura plus droit à la bienveillance. Il pourra cristalliser toute son énergie, sa faconde et se dépasser. Mais voilà ! Tel un djinn se prélassant sur un coussin d’air, le chant ineffable de Paul Rutherford s’élève et se joue de tous les subtilités harmoniques dans un lyrisme confondant, sinueux, développant des volutes nacrées dans des coups de lèvres imprévisibles avec un sens inné et majestueux de la décontraction par-dessus les volées de baguettes sur peaux et cymbales et l’articulation déjantée du souffleur complètement allumé. Compagnie étonnante, ce Detail Plus transcende l’idée de jam, de rencontre pour livrer l’essentiel en escamotant l’accessoire (les scories et les passages où on songe à recentrer le débat) par le truchement de la foi, de l’énergie dans des instants merveilleux qui nous font oublier les quelques longueurs, mises en bouche de formidables plats consistants. Entendre Paul Rutherford avec Frode Gjerstad est une belle récompense, le phrasé magique et nostalgique du tromboniste illumine les échanges et font que leur connivence a un parfum de sainteté. On a trop peu demandé à Paul Rutherford de jouer ce rôle d’alter ego cool avec ces épiques souffleurs d’anches, sa musicalité et ses qualités innées d’improvisateur ayant, selon moi, la capacité de faire monter les enchères, celles de la créativité. C’est moi-même qui ait voulu que Paul joue aux côtés d’Evan Parker en août 1985 et que l’enregistrement étincelant soit publié (Emanem 4030). L’invention mélodique de Rutherford apporte toujours un supplément d’âme et relève le niveau. Au fur et à mesure que la musique évolue, ce quintette à deux contrebasses évoque sans crainte l’ébullition du groupe d’Archie Shepp à deux trombones (Rudd et Moncur) du Live at Donaueschingen (1967) où un jeune Paul Lovens reçoit le baptême du feu dans l’assistance. Il fut par la suite un compagnon fidèle du tromboniste. Ce qui rend la fête crédible et enjouée, ces écarts - apartés que se donnent les acolytes : le soliloque si troublant de Rutherford au trombone ou un magnifique solo de contrebasse de Dyani. On mesure la puissance de sa poigne par la résonance et la tension de la corde, et les miaulements, bourdonnements et glissandi sous un archet folâtre qui trouvent un écho dans le cornet faussement naïf de Stevens. De cadences bien orchestrées, on s’égare volontairement dans un inconnu mouvant, articulations sinueuses et acides du sax soprano, aigus du cornet, percussions sur la contrebasse dérivant sans faillir. La batterie reprend ses droits et le trio Detail nous offre dans une autre séquence une autre perspective. Entraînant ses deux camarades, John module des rythmes croisés en alternant roulements et accents, dans une insistance africaine, tribale vers la transe. Son agilité à la cymbale ride est hypnotique. Le solo « absolu » de Rutherford (sans « accompagnement » haha !) survient après que le trio ait usé sa verve jusqu’à un cul de sac. Ses vocalisations mêlées aux harmoniques, ses sauts constants de registre expriment un lyrisme unique qui n’appartient qu’à lui. Jouer autrement du trombone, quand on l’entend, serait malpoli, presque vulgaire. Cette rencontre offre au sein du même concert ce qui distingue les personnalités musicales présentes et ce qui les rassemble dans une exploration temporelle, insistante, échevelée, par l’affirmation de conceptions esthétiques qui peuvent paraître divergentes pour les « connaisseurs ». Pour l’auditeur – spectateur lambda de ce concert de 1983 en Norvège, ce concert s’est imposé comme une extraordinaire leçon de choses et une magnifique expérience, rien que pour le drumming polyrythmique flamboyant de John Stevens et toutes les qualités de ses compagnons. Durant plus d'une heure, vous trouvez plusieurs options improvisées qui se succèdent comme dans un beau livre, et le plaisir !
Telyn Rawn Rhodri Davies amgen 001 https://rhodridavies.bandcamp.com/album/telyn-rawn
Nouvel album solo du harpiste gallois Rhodri Davies. Il s’est fait faire une harpe ancienne « Telyn Rawn » comme elle apparaissait dans la littérature musicale et poétique galloise du 14ème siècle. Cette harpe est aussi le symbole du Pays de Galles. Un instrument archaïque sans pédale, avec un cadre nettement moins imposant que la harpe moderne et des cordes de crin de cheval noir, reconstitué en se fiant à des écrits anciens et en s’appuyant sur la technique de fabrication des harpes africaines. Accordée dans une gamme non tempérée, cette harpe est jouée avec des motifs tournoyants, voire répétitifs et des intervalles et des écarts tonaux qui font songer à un « folklore » extra-européen : on songe à la kora de l’Afrique de l’Ouest (Mali, Côte d’Ivoire) ou même à la harpe birmane saung (Myanmar). Rhodri Davies est aussi un locuteur expérimenté en langue galloise, d’ailleurs il a écrit les notes de pochette dans les deux langues anglaise et galloise. Pour lui, en retrouvant une harpe galloise antique qu’elle soit idéalisée ou proche de ce que la Telyn Rawn aurait pu être, il affirme son attachement à la culture gaélique, à sa musique et à une identité nationale forte. La langue du Pays de Galles est encore et toujours parlée et écrite tant officiellement que dans la chanson, la poésie, la littérature et la vie de tous les jours. Cette musique est aussi fraîche et limpide que l’eau d’une source et semble tourner sur elle-même comme un pas de vis magique ou une danse de l’au-delà. Il utilise aussi l’archet dans une forme d’ostinato avec une qualité de timbre sauvage et étoffée. La musique de Telyn Rawn échappe à l’histoire et à un quelconque folklore, terme qui évoque la naphtaline par rapport à une tradition vivante qu’il semble ressusciter ou recréer. Son jeu à la harpe fait vibrer en nous ces tonalités perçues ailleurs à l’instar du violon hardanger norvégienne, les launeddas sardes ou la zampouna hellénique, vestiges vivaces des musiques européennes disparues. L’accordage spécifique de la Telyn Rawn engendre des résonances d’harmoniques mystérieuses et divergentes. Un magnifique travail musical inlassable et salutaire. Connu pour ses innovations révolutionnaires et son radicalisme musical et sonore, Rhodri Davies étonnera, avec ce nouvel opus, ceux qui croient connaître sa personnalité et ses choix esthétiques. Un magnifique album solo.
Fumàna Trio Eskimo Alberto Bertoni Enrico Trebbi Ivan Valentini + Ospite Luca Perciballi Setola di Maiale SM 4130.
Le Trio Eskimo est une association chaleureuse entre deux poètes italiens s’exprimant dans un dialecte, Alberto Bertoni et Enrico Trebbi et un saxophoniste Ivan Valentini. Comme il se doit au pays de l’accueil généreux, un « Ospite » (invité en français), le guitariste Luca Perciballi, crédité aussi live electronics et harmonica. Les poèmes dits par leurs deux auteurs sont le fil conducteur de l’enregistrement, les deux improvisateurs établissant des commentaires sonores ponctuant ou soulignant le texte qui défile, familier à mes oreilles (l’auteur de cette chronique étant un locuteur expérimenté en langue italienne) même avec ses élisions caractéristiques qui font disparaître les voyelles terminales. Je ne comprends pas tout, mais l’élocution aiguillonnée par les instrumentistes finit par s’incarner de manière à la fois plus physique et plus intime. Le travail des deux improvisateurs – instrumentistes fait preuve de sensibilité et d’à-propos en apportant la dose exacte nécessaire à l’équilibre et à la finesse de l’entreprise, mettant en valeur les voix, la diction et la respiration de l’œuvre. Bribes de mélodie, effets de guitare originaux, friselis des doigts au milieu des cordes, scansion du souffle et boucles au sax alto. Limpide. On aurait aimé avoir une notice indiquant l’origine du dialecte et les motivations des poètes, même si leurs poèmes sont imprimés dans le livret accompagnateur de ce digipack orné d’un paysage presqu’immaculé et nu sur lequel se détachent trois arbres dépareillés au creux de l’hiver dans un coin perdu de la plaine du Pô, cloîtré dans un brouillard presqu’aussi blanc que la neige qui couvre les sillons du champ bordé par l’alignement des troncs noirs hérissés de branches dénudées. Une belle surprise telle que, seul, le label Setola di Maiale nous offre dans son parcours utopiste.
Urs Blöchlinger Revisited Harry Doesn’t Mind Leo Records CD LR 885
Urs Blöchlinger (1954 - 1995) était un jeune musicien Suisse prodige, saxophoniste alto et basse et compositeur – chef d’orchestre émérite et qui nous a quitté il y a trop longtemps sans avoir pu sans doute apporter une contribution reconnue dans le jazz contemporain européen. Car son talent dépassait les frontières étriquées de la Confédération Helvétique, patrie de nombreux improvisateurs plus que remarquables : Irene Schweizer, Urs Leimgruber, Jacques Demierre, Léon Francioli, Charlotte Hug, Peter K Frey, Pierre Favre, Daniel Studer, Alfred Zimmerlin et Peter Schärli, lequel fut un compagnon indéfectible de ce saxophoniste qui croyait au Folklore Imaginaire, le leitmotiv du Workshop de Lyon. Je n’ai malheureusement pas suivi Urs Blöchlinger à cette époque (années 80-90), car il est impossible de suivre la trace de toutes les propositions esthétiques dans le jazz d’avant-garde. Mais l’écoute de cet album du Urs Blöchlinger Revisited vaut vraiment le détour. Quand les Suisses squattent Leo Records, ce n’est pas pour parader, et il y en a de ces jours des suisses au catalogue Leo ! Un véritable orchestre de solides pointures s’est constitué pour faire revivre de manière dynamique et salutaire le répertoire de ce saxophoniste qui n’hésitait pas à intégrer son sax basse dans la section de cuivres. Le batteur Dieter Ulrich a écrit des notes de pochette foisonnantes qui retracent les origines et le pourquoi de chacune des compositions interprétées et rejouées ici par un orchestre soudé et particulièrement brillant, tant par l’engagement personnel de ses membres et la coordination synergique des talents réunis pour cette aventure (U.B. Revisited) depuis plus de dix ans. Certains des musiciens sont d’ailleurs ses camarades d’il y a presque quarante ans, le batteur Dieter Ulrich, le pianiste Christoph Baumann, le bassiste Neal Davis. Son propre fils Lino Blöchlinger, le saxophoniste Sebastian Strinning, le tromboniste Beat Unternährer et le trompettiste Silvan Schmid complètenet cette fine équipe. La musique parle d’elle-même. On dira pour faire court que c’est proche de Willem Breuker mais avec plus d’audaces, de recherche et de complexité jazziques, rythmiques et harmoniques. Et le swing ! L’inspiration va chercher dans les musiques roumaines et bulgares et dans toutes sortes d’influences littéraires - musicales (Adorno - Hans Eisler, Adrian Rollini ( !)) ainsi qu’une fascination pour les rythmes impairs créant des mouvements tournoyants. Les thèmes s’enchâssent dans des sections improvisées peu prévisibles et l’écriture défie les paramètres conventionnels mêmes ceux du jazz risqué et « avant ». Écoute jouïssive et conseillée à qui veut écrire du jazz contemporain et n’a pas perdu le sens de l’humour et une forme de réflexion lucide.
11 novembre 2020
Giancarlo Schiaffini with Errico de Fabritiis Luca Tilli Jørgen Teller and with Giuseppe Giuliano / Antoine Beuger par C.L. Hübsch & P-Y Martel/ Terry Day Derek Bailey Trevor Watts + Amazing Band / Dirk Marwedel Jeff Platz Georg Wolf Jörg Fisher/ New Thing Unit Paulo Alexandre Jorge Ernesto Rodrigues Eduardo Chagas Manuel Guimaraes Miguel Mira Pedro Santo
Kammermusik & Elektrisk guitar Errico de Fabritiis Giancarlo Schiaffini Luca Tilli + Jørgen Teller Setola di Maiale. SM4140
Enfin ! Un groupe qui a compris. Point de batterie et de percussion. La dynamique et les relations – interactions entre chaque instrumentiste ont la possibilité de s’échapper, de dilater, de se préciser. Ce n’est pas que je n’aime pas la batterie, mais il n’en faut pas à tous les coups. Kammermusik est un remarquable trio saxophones – trombone – violoncelle (Errico De Fabritiis, Giancarlo Schiaffini, Luca Tilli) qui s’est adjoint un excellent guitariste électrique à la fois bruitiste et ludique (Jørgen Teller). Neuf improvisations dont une Kammersuite en cinq parties. Les cadences et les échanges se transforment et s’altèrent dans chaque morceau et à l’intérieur de celui-ci. Il est fréquent que l’un des musiciens s’arrête de jouer, change de cap, passe du coq à l’âne ou trouve une répartie astucieuse. La variété des formes et des séquences et leurs enchaînements sont constamment contrariées par les interventions ludiques ou celles-ci établissent des fragments de dialogue mouvants, tournants. On aimera le jeu bruissant avec sourdine du tromboniste, les coups d’archet tranchants du violoncelliste, les explosions contenues du guitariste et sa logique imparable et les formes courtes du saxophoniste (soprano, alto et ténor). Et surtout d’entendre des bribes de phrase énoncée par le trombone ou le violoncelle et répercutée subtilement par un des autres musiciens. Une qualité d’écoute sensible et d’interaction lucide se fait jour et nourrit les échanges créant un panorama sonore en constante évolution – révolution qui suscite l’envie d’une réécoute pour en mesurer les détails, les recoins, les reliefs. Glissandi, sursauts pointillistes, vocalisations, légers crescendos, techniques alternatives, harmonies éclatées, accents surprenants, chocs, fragments mélodiques, morsures et évanescences ; la pluralité des procédés habille et étoffe les moments éphémères, la dilatation du temps, la distorsion de son rapport à l’espace. Des formes naissent, éclosent, se métamorphosent, s’évanouissent remplacées par de nouvelles inventions, réitérations du désir et affirmations d’un langage en gestation. Équilibres instables. Exemplaire.
What’s that noise ? Giancarlo Schiaffini Giuseppe Giuliano Setola di Maiale SM4000
Vous m’excuserez de n’avoir pas chroniqué cet album du tromboniste Giancarlo Schiaffini avec le pianiste Giuseppe Giuliano plus tôt. J’avais un problème de lecture avec mon vieil appareil HHB qui est aussi une machine à enregistrer des CD’r dont ceux destinés à imprimer des masters professionnels. Il fait des siennes surtout lorsque mes doigts sont maculés d’avoir mangé juste avant. Rien à dire : c’est un grand plaisir d’écouter Giancarlo Schiaffini, un tromboniste free improvisateur des tous débuts avec un talent rare, des sonorités travaillées, graveleuses, étirées, vocalisées, avec des recherches de timbre et un travail sur la dynamique. Son collègue joue du piano dans un style vingtiémiste qui en contrastant avec les sonorités ferraillantes et pneumatiques du tromboniste renforce son acuité et sa singularité. Quatre compositions sont interprétées ici : Traccia Sospesa de Giovanni Costantini avec electronics, Coniugazioni de Corrado Rojac pour piano solo, Strati de Stanislav Makovsky et l’Oca di Giuseppe de Giancarlo Schiaffini. Les cinq autres morceaux sont des improvisations libres réjouissantes et bien calibrées. Si on aime Paul Rutherford at Günter Christmann, il faut absolument écouter Giancarlo Schiaffini. Son Memo From en duo avec Michele Iannacone paru sur le légendaire label Cramps est une pièce maîtresse de la free music européenne. Il faut vraiment écouter ces quatre compositions car elles apportent une toute autre perspective à cet album et aux improvisations. Franchement, cet album est une réelle réussite et les notes de pochette comportent des commentaires bienvenus. J’écoute avec grand plaisir Giancarlo et son pote pianiste dialoguer et jouer le mieux possible les compositions. Un bel album . What’s that noise ? But music !!
Dedekind duos (2003) Antoine Beuger par Carl Ludwig Hübsch et Pierre-Yves Martel. Inexhaustible editions ie-023 https://inexhaustibleeditions.bandcamp.com/album/dedekind-duos
Le label Inexhaustible editions s’affirme comme une plate-forme incontournable et pointue en matière de musiques improvisées et « composées – alternatives » contemporaines (comme Confront, another timbre, Potlatch, Creative Sources, etc…). Leurs pochettes monochromes blanches avec caractères d’imprimerie noirs recèlent des compositeurs travaillant à la frange de l’improvisation. Antoine Beuger a écrit les dedekind duos (2003), en se référant à Julius Wilhelm Richard Dedekind (6-10-31 – 12-02-1916), tout en adressant cette composition à des musiciens (de préférence) amis, car dit-il, ils doivent le connaître personnellement pour interpréter sa musique. Ici, le tandem Carl Ludwig Hübsch (tuba) et Pierre-Yves Martel (viole de gambe) joue ces dedekind duos dont le compositeur dissèque certains tenants et aboutissants dans des notes de pochette éclairantes. À l’écoute, on entend les artistes très concentrés soutenir des notes tenues assez brèves dont la résonnance/ réverbération s’échappe dans le silence et dont l’architecture linéaire - où le sens de la perspective est infime – est constamment modifiée avec une lente et précise application, paramètre par paramètre… dans des détails pas toujours immédiatement perceptibles. Il faut écouter avec la même attention que pour un album de musique plus complexe et plus « fourni ». Les deux artistes développent la musique durant 49 minutes 33 secondes. C’est en soi une véritable performance. Ce travail est aussi à la base du travail instrumental le plus basique auquel ils confèrent une profonde dimension esthétique. Il faut entendre la vibration de chaque corde frottée par Pierre-Yves Martel évoluer dans des registres de timbres très différents sans jamais fausser le caractère fondamental de la composition. Son compagnon choisit l’intonation dans son embouchure en symbiose avec celle de la viole de gambe, instrument roi de la musique d’une autre temps, celui du Roi Soleil, autre fois souverain du Canada, pays d’origine du cordiste.
À ceux qui parmi les afficionados de l’improvisation qu’on qualifierait de plus « conventionnelle », car moins minimaliste, et qui récuse cette forme de « minimalisme », je peux témoigner, en tant que chanteur vocaliste, que l’implication totale de ces deux artistes est l’évidence même. En effet, selon mon expérience de vocaliste autodidacte n’ayant jamais suivi aucun cours ( !) et dont le talent est reconnu par des « pointures légendaires », la base même du chant organique est de pouvoir tenir UNE SEULE NOTE dans un temps précis (avec crescendo , haha !) sans la moindre déviation (vers le haut ou le bas) et changement de timbre avec une certaine majesté et que cela demande autant de concentration, de technique et d’effort que de « jouer », chanter et se laisser aller à improviser librement, à parcourir les gammes en piochant dans leur ordonnancement. De là à ce que des musiciens fassent de cette pratique l’objet d’une œuvre est donc bien légitime. Ici les micro-sections évoluent pour le plaisir de nos oreilles, il faut de la patience pour s’en apercevoir. Et la patience est le maître mot des musiciens itinérants face aux aléas de la scène et de la vie. Un très bon point.
Cela dit, la question de « l’amitié » requise par Beuger (dans son texte) pour improviser valablement en duo est, à mon avis, contredite par les circonstances effectives de la vie des improvisateurs. J’ai dû moi-même improviser sur scène avec des musiciens que je n’avais jamais rencontré auparavant et l’expérience fut concluante , enregistrements à l’appui. C’est d’ailleurs à cela que de nombreux improvisateurs sont forcés s’ils veulent sortir de leur trou et évoluer positivement. Je viens encore de produire un chef d’œuvre de deux musiciens qui ne se connaissaient pas auparavant et ont enregistré leur premier duo sans avoir même pu essayer cette formule avant la session proprement dite. Une fois ce premier pas franchi, c’est un véritable esprit amical qui naît, indispensable à une entente créative ultérieure. Le mystère de la musique.
Derek Bailey Terry Day Trevor Watts + Amazing Band at the Little Theatre Club. Café OTO DL https://www.cafeoto.co.uk/shop/derek-bailey-trevor-watts-terry-day-at-ltc-amazing/
Un enregistrement cassette mixé et masterisé par Yadley Day, le fils de Terry Day. Cela a dû être enregistré au Little Theatre Club, Garrick’s Yard, St Martin’s Lane, lieu minuscule situé au troisième étage d’un bâtiment londonien accessible par ses escaliers extérieurs. Date non précisée et si on se fie aux sonorités des musiciens, cela devrait être vers 1973/74. L’endroit qui accueillait un théâtre était le point de convergence d’une micro-scène musicale, fréquenté par une poignée de curieux et les musiciens qui contribuèrent à créer la musique improvisée libre « londonienne » et cela de 1966 à 1974. John Stevens, Trevor Watts, Derek Bailey, Evan Parker, Chris Mc Gregor, Paul Rutherford, Barry Guy et Terry Day, … Au fil des ans, s’ajoutèrent Jamie Muir, Maggie Nicols, Christine Jeffrey, Johny Dyani, Steve Beresford, John Russell, Marcio Mattos, Phil Wachsmann, David Toop, Lol Coxhill, Ian Brighton, Roger Smith et beaucoup d’autres. Le Café Oto, lieu actuel le plus important aujourd’hui, offre dans son site web des vinyles et cd’s estampillés OTO ainsi que des téléchargements d’albums virtuels tels que celui-ci. On reconnaît volontiers la guitare électrique et webernienne de Derek Bailey avec ses harmoniques, le style intense vocalisé et hérissé au sax soprano de Trevor Watts et la frappe aiguë et volatile de Terry Day. Participent aussi un pianiste non mentionné dans les crédits, le murmure de l’ampli et la voix lointaine d’un homme qui devait raconter une histoire à Jean Pritchard, la propriétaire des lieux. Celle-ci accueillait volontiers cette série de concerts passés dans la légende. Trois morceaux avec ce trio (plus ?) de 7, 6 et 16 minutes. En final, Watts et Day rejoints durant 27 minutes par l’Amazing Band, un groupe Londonien légendaire qui fut fondé par le trompettiste et dessinateur Mal Dean, connu pour le dessin de pochette du vinyle duo de Derek Bailey et Han Bennink, Performances at Verity’s Place (Incus 9) et dont le batteur initial fut Robert Wyatt, le guitariste, Jim Mullen. Aux côtés de Mal Dean à cette époque le groupe était composé du saxophoniste Mike Brannen un pilier du groupe, le tromboniste Radu Malfatti (alors Londonien), John Russell à la guitare, Marcio Mattos à la contrebasse et Terry Day. La musique est volatile et on distingue les musiciens et … des conversations. Il s’agit sans doute d’un des derniers concerts de ce groupe dont un seul album a été publiés il y a une vingtaine d’années par FMR. Présents et reconnaissables, Dean, Malfatti, Day, Mattos, Watts, Brannen, mais point de John Russell. On entend aussi, un instrument à vent qui évoque les grognements d’une clarinette contrebasse. Force est de constater qu’à travers ce rare témoignage le concernant, Terry Day avait acquis un style très personnel, et imprimé sa marque d’un excellent batteur. Son jeu aéré, détaillé et concentré convient parfaitement à cette musique atomisée et évolutive. On découvre la trompette sinueuse de Mal Dean et ce qui distingue Watts de Brannen, l’articulation contrôlée et la fureur expressionniste de part et d'autre, le style caractéristique de Radu Malfatti, qui avait alors enregistré Balance (Incus 11) avec Frank Perry, Ian Brighton, Phil Wachsmann et Colin Wood, un authentique et rare chef d’œuvre. Cet album digital Oto est intéressant, spécialement pour Terry Day, musicien très très peu documenté à cette époque. Paul Lytton m’a révélé avoir découvert ce qu’était vraiment l’improvisation libre en entendant Terry Day improviser au saxophone dans son atelier de peintre où siégeait une modèle alors qu’il fréquentait déjà le LTC auparavant dès 1967.
Dirk Marwedel Jeff Platz Georg Wolf Jörg Fischer Pebbles and Pearls Setola di Maiale
Setola di Maiale est un label énorme par le volume considérable de compact discs et cd’r produits (420 !) et qui, jusqu’il y a quelques années, se cantonnait à la musique improvisée – free jazz – expérimentale italienne. Outre son responsable, le batteur Stefano Giust, une personnalité solaire avec une énergie hors du commun, on relève des artistes italiens comme Massimo Falascone, Nicola Guazzaloca, Giorgio Pacorig, Edoardo Marraffa, Giancarlo Schiaffini, Gianni Mimmo, Gianni Gebbia, Alessandra Novaga, Marcello Magliocchi. Depuis quelques années, Thollem McDonas, Tim Hodgkinson, Yoko Miura, Ove Volquartz, moi-même, Lawrence Casserley, Evan Parker, Ivo Perelman se retrouvent sur ce label au graphisme très soigné. Voici maintenant un groupe allemand avec un invité américain, le guitariste Jeff Platz. Trois personnalités de l’improvisation libre pointue germaniques : le saxophoniste Dirk Marwedel, le contrebassiste Georg Wolf et le percussionniste Jörg Fischer, développent ici une dynamique, un tissu d’interventions émaillé de silences révélateurs, et de détails sonores expressifs et singuliers. Sur la plage on distingue des perles au milieu des galets usés par le flux incessant de la musique : Pebbles and Pearls. On distingue particulièrement les trouvailles soniques de Jörg Fischer dont la batterie est truffée d’accessoires créant une espèce de parcours d’obstacles ludiques de timbres et de bruits curieux vers lequel notre écoute en devient aimantée. Un pointillisme de l’instant où le silence joue un rôle moteur : un bel exemple d’improvisation libre radicale où le sens des pulsations joue un rôle aussi prépondérant que la capacité innée à moduler textures, courbes, spirales, harmoniques… À noter : les efforts récompensés du guitariste Jeff Platz pour s’insérer dans les constructions rhénanes, le travail exemplaire du contrebassiste Georg Wolf à l’archet et la prise de son de son acolyte Ulli Philipp avec qui G.W. forme un magnifique duo de contrebasses, cfr Tensid – NurNicht Nur. Ce label accueille aussi les projets de Dirk Marwedel, un saxophoniste remarquable. La musique du collectif est parfois aiguillée vers une zone plus proche du free jazz et une configuration nettement plus dense des énergies, en apothéose. Leur pratique de l’improvisation tranche avec celle plus lyrique et linéaire des artistes de la péninsule documentés par le label Setola di Maiale. J’ai toujours pensé que les labels de musiques improvisées à ligne éditoriale très définie travaillaient à contre-emploi quel que soit leur orientation. Présenter des musiques (très) différentes enrichit la scène musicale et permet au public des auditeurs de tous bords d’appréhender des esthétiques différentes, car le champ de ces musiques est basé avant tout sur la rencontre et le dialogue, la recherche et le plaisir d’écouter la musique sans préjugé, a priori et définitionnisme… Et on trouve souvent le même musicien dans des aventures aux aspects diamétralement opposés. Je pense à cet extraordinaire contrebassiste et compositeur qui vient de nous quitter, Simon H Fell. Un excellent album à mettre dans les mains des supporters des labels Not Two Records, No Business, Clean Feed, Impakt, Fudacja Sluchaj, etc... C’est cette ouverture esthétique qui fait jouer un rôle incontournable au label de Stefano Giust dans la scène italienne, bien dans la ligne d’un leitmotiv de la scène improvisée libre : Nothing is allowed. Everything may (or can) happen ! Celui qui pourra citer l’auteur de cet adage, recevra un cédé surprise !!
New Thing Unit For Cecil Taylor : Paulo Alexandre Jorge Ernesto Rodrigues Eduardo Chagas Manuel Guimaraes Miguel Mira Pedro Santo. Creative Sources CS 527 CD
On retrouve l’esprit de Cecil Taylor et de son Unit dans cette musique « free-jazz » enregistrée au Studio Namouche à Lisbonne. On n’aurait jamais imaginé il y a quinze ou même sept ans entendre un tel album chez Creative Sources, ni trouver le très classieux altiste Ernesto Rodrigues en telle compagnie. Le violoncelliste Miguel Mira est plus coutumier du fait avec Rodrigo Amado et Gabriel Ferrandini. Mais foin de spéculations esthétiques, vous avez ici du bon vieux free jazz joué collectivement avec deux excellents cordistes qui virevoltent , un pianiste compétent, un tromboniste allumé, un saxophoniste ténor enflammé et un batteur qui se bonifie tout au long de la session. Quatre parties dont les deux premières hautes en couleur avec des vagues incandescentes, des parties monodiques des cuivres évoluant par-dessus l’activité trépidante autour du batteur et du violoncelliste. Le troisième morceau se focalise sur les deux cordes qui scient à tout va, le tromboniste Eduardo Chagas hachant menu la colonne d’air et le pianiste piquetant ses commentaires avisés. Le sax emboîte le pas en faisant chuinter, grincer sa sonorité jusqu’aux harmoniques sauvages et frustes et le tromboniste soufflant à pleins poumons. Le travail de Jorge dans les harmoniques est méritant et la sensibilité et les idées d’Ernesto Rodrigues remonte à la surface apportant une couleur qui complète les morsures sur l’anche du saxophoniste. Chacun apporte sa pierre à l’édifice en faisant varier les plaisirs pour que cela s’écoute encore après vingt minutes et plus. Ça joue à l’emporte-pièce et cela me rappelle l’excitation éprouvée avec ces albums ESp, BYG et America de Frank Wright, Sunny Murray, Alan Shorter etc... Ça évolue dans des sphères plus mystérieuses et espacées tout en soutenant l’atmosphère un peu dramatique. La quatrième partie commence avec un riff du violoncelliste et le jeu passionné et extrême du violoniste, introduisant un motif mélodique ressassé du ténor, et les raclements du trombone, parfait leitmotiv pour l’empoignade finale … Du free en somme. Pour Cecil Taylor.
Enfin ! Un groupe qui a compris. Point de batterie et de percussion. La dynamique et les relations – interactions entre chaque instrumentiste ont la possibilité de s’échapper, de dilater, de se préciser. Ce n’est pas que je n’aime pas la batterie, mais il n’en faut pas à tous les coups. Kammermusik est un remarquable trio saxophones – trombone – violoncelle (Errico De Fabritiis, Giancarlo Schiaffini, Luca Tilli) qui s’est adjoint un excellent guitariste électrique à la fois bruitiste et ludique (Jørgen Teller). Neuf improvisations dont une Kammersuite en cinq parties. Les cadences et les échanges se transforment et s’altèrent dans chaque morceau et à l’intérieur de celui-ci. Il est fréquent que l’un des musiciens s’arrête de jouer, change de cap, passe du coq à l’âne ou trouve une répartie astucieuse. La variété des formes et des séquences et leurs enchaînements sont constamment contrariées par les interventions ludiques ou celles-ci établissent des fragments de dialogue mouvants, tournants. On aimera le jeu bruissant avec sourdine du tromboniste, les coups d’archet tranchants du violoncelliste, les explosions contenues du guitariste et sa logique imparable et les formes courtes du saxophoniste (soprano, alto et ténor). Et surtout d’entendre des bribes de phrase énoncée par le trombone ou le violoncelle et répercutée subtilement par un des autres musiciens. Une qualité d’écoute sensible et d’interaction lucide se fait jour et nourrit les échanges créant un panorama sonore en constante évolution – révolution qui suscite l’envie d’une réécoute pour en mesurer les détails, les recoins, les reliefs. Glissandi, sursauts pointillistes, vocalisations, légers crescendos, techniques alternatives, harmonies éclatées, accents surprenants, chocs, fragments mélodiques, morsures et évanescences ; la pluralité des procédés habille et étoffe les moments éphémères, la dilatation du temps, la distorsion de son rapport à l’espace. Des formes naissent, éclosent, se métamorphosent, s’évanouissent remplacées par de nouvelles inventions, réitérations du désir et affirmations d’un langage en gestation. Équilibres instables. Exemplaire.
What’s that noise ? Giancarlo Schiaffini Giuseppe Giuliano Setola di Maiale SM4000
Vous m’excuserez de n’avoir pas chroniqué cet album du tromboniste Giancarlo Schiaffini avec le pianiste Giuseppe Giuliano plus tôt. J’avais un problème de lecture avec mon vieil appareil HHB qui est aussi une machine à enregistrer des CD’r dont ceux destinés à imprimer des masters professionnels. Il fait des siennes surtout lorsque mes doigts sont maculés d’avoir mangé juste avant. Rien à dire : c’est un grand plaisir d’écouter Giancarlo Schiaffini, un tromboniste free improvisateur des tous débuts avec un talent rare, des sonorités travaillées, graveleuses, étirées, vocalisées, avec des recherches de timbre et un travail sur la dynamique. Son collègue joue du piano dans un style vingtiémiste qui en contrastant avec les sonorités ferraillantes et pneumatiques du tromboniste renforce son acuité et sa singularité. Quatre compositions sont interprétées ici : Traccia Sospesa de Giovanni Costantini avec electronics, Coniugazioni de Corrado Rojac pour piano solo, Strati de Stanislav Makovsky et l’Oca di Giuseppe de Giancarlo Schiaffini. Les cinq autres morceaux sont des improvisations libres réjouissantes et bien calibrées. Si on aime Paul Rutherford at Günter Christmann, il faut absolument écouter Giancarlo Schiaffini. Son Memo From en duo avec Michele Iannacone paru sur le légendaire label Cramps est une pièce maîtresse de la free music européenne. Il faut vraiment écouter ces quatre compositions car elles apportent une toute autre perspective à cet album et aux improvisations. Franchement, cet album est une réelle réussite et les notes de pochette comportent des commentaires bienvenus. J’écoute avec grand plaisir Giancarlo et son pote pianiste dialoguer et jouer le mieux possible les compositions. Un bel album . What’s that noise ? But music !!
Dedekind duos (2003) Antoine Beuger par Carl Ludwig Hübsch et Pierre-Yves Martel. Inexhaustible editions ie-023 https://inexhaustibleeditions.bandcamp.com/album/dedekind-duos
Le label Inexhaustible editions s’affirme comme une plate-forme incontournable et pointue en matière de musiques improvisées et « composées – alternatives » contemporaines (comme Confront, another timbre, Potlatch, Creative Sources, etc…). Leurs pochettes monochromes blanches avec caractères d’imprimerie noirs recèlent des compositeurs travaillant à la frange de l’improvisation. Antoine Beuger a écrit les dedekind duos (2003), en se référant à Julius Wilhelm Richard Dedekind (6-10-31 – 12-02-1916), tout en adressant cette composition à des musiciens (de préférence) amis, car dit-il, ils doivent le connaître personnellement pour interpréter sa musique. Ici, le tandem Carl Ludwig Hübsch (tuba) et Pierre-Yves Martel (viole de gambe) joue ces dedekind duos dont le compositeur dissèque certains tenants et aboutissants dans des notes de pochette éclairantes. À l’écoute, on entend les artistes très concentrés soutenir des notes tenues assez brèves dont la résonnance/ réverbération s’échappe dans le silence et dont l’architecture linéaire - où le sens de la perspective est infime – est constamment modifiée avec une lente et précise application, paramètre par paramètre… dans des détails pas toujours immédiatement perceptibles. Il faut écouter avec la même attention que pour un album de musique plus complexe et plus « fourni ». Les deux artistes développent la musique durant 49 minutes 33 secondes. C’est en soi une véritable performance. Ce travail est aussi à la base du travail instrumental le plus basique auquel ils confèrent une profonde dimension esthétique. Il faut entendre la vibration de chaque corde frottée par Pierre-Yves Martel évoluer dans des registres de timbres très différents sans jamais fausser le caractère fondamental de la composition. Son compagnon choisit l’intonation dans son embouchure en symbiose avec celle de la viole de gambe, instrument roi de la musique d’une autre temps, celui du Roi Soleil, autre fois souverain du Canada, pays d’origine du cordiste.
À ceux qui parmi les afficionados de l’improvisation qu’on qualifierait de plus « conventionnelle », car moins minimaliste, et qui récuse cette forme de « minimalisme », je peux témoigner, en tant que chanteur vocaliste, que l’implication totale de ces deux artistes est l’évidence même. En effet, selon mon expérience de vocaliste autodidacte n’ayant jamais suivi aucun cours ( !) et dont le talent est reconnu par des « pointures légendaires », la base même du chant organique est de pouvoir tenir UNE SEULE NOTE dans un temps précis (avec crescendo , haha !) sans la moindre déviation (vers le haut ou le bas) et changement de timbre avec une certaine majesté et que cela demande autant de concentration, de technique et d’effort que de « jouer », chanter et se laisser aller à improviser librement, à parcourir les gammes en piochant dans leur ordonnancement. De là à ce que des musiciens fassent de cette pratique l’objet d’une œuvre est donc bien légitime. Ici les micro-sections évoluent pour le plaisir de nos oreilles, il faut de la patience pour s’en apercevoir. Et la patience est le maître mot des musiciens itinérants face aux aléas de la scène et de la vie. Un très bon point.
Cela dit, la question de « l’amitié » requise par Beuger (dans son texte) pour improviser valablement en duo est, à mon avis, contredite par les circonstances effectives de la vie des improvisateurs. J’ai dû moi-même improviser sur scène avec des musiciens que je n’avais jamais rencontré auparavant et l’expérience fut concluante , enregistrements à l’appui. C’est d’ailleurs à cela que de nombreux improvisateurs sont forcés s’ils veulent sortir de leur trou et évoluer positivement. Je viens encore de produire un chef d’œuvre de deux musiciens qui ne se connaissaient pas auparavant et ont enregistré leur premier duo sans avoir même pu essayer cette formule avant la session proprement dite. Une fois ce premier pas franchi, c’est un véritable esprit amical qui naît, indispensable à une entente créative ultérieure. Le mystère de la musique.
Derek Bailey Terry Day Trevor Watts + Amazing Band at the Little Theatre Club. Café OTO DL https://www.cafeoto.co.uk/shop/derek-bailey-trevor-watts-terry-day-at-ltc-amazing/
Un enregistrement cassette mixé et masterisé par Yadley Day, le fils de Terry Day. Cela a dû être enregistré au Little Theatre Club, Garrick’s Yard, St Martin’s Lane, lieu minuscule situé au troisième étage d’un bâtiment londonien accessible par ses escaliers extérieurs. Date non précisée et si on se fie aux sonorités des musiciens, cela devrait être vers 1973/74. L’endroit qui accueillait un théâtre était le point de convergence d’une micro-scène musicale, fréquenté par une poignée de curieux et les musiciens qui contribuèrent à créer la musique improvisée libre « londonienne » et cela de 1966 à 1974. John Stevens, Trevor Watts, Derek Bailey, Evan Parker, Chris Mc Gregor, Paul Rutherford, Barry Guy et Terry Day, … Au fil des ans, s’ajoutèrent Jamie Muir, Maggie Nicols, Christine Jeffrey, Johny Dyani, Steve Beresford, John Russell, Marcio Mattos, Phil Wachsmann, David Toop, Lol Coxhill, Ian Brighton, Roger Smith et beaucoup d’autres. Le Café Oto, lieu actuel le plus important aujourd’hui, offre dans son site web des vinyles et cd’s estampillés OTO ainsi que des téléchargements d’albums virtuels tels que celui-ci. On reconnaît volontiers la guitare électrique et webernienne de Derek Bailey avec ses harmoniques, le style intense vocalisé et hérissé au sax soprano de Trevor Watts et la frappe aiguë et volatile de Terry Day. Participent aussi un pianiste non mentionné dans les crédits, le murmure de l’ampli et la voix lointaine d’un homme qui devait raconter une histoire à Jean Pritchard, la propriétaire des lieux. Celle-ci accueillait volontiers cette série de concerts passés dans la légende. Trois morceaux avec ce trio (plus ?) de 7, 6 et 16 minutes. En final, Watts et Day rejoints durant 27 minutes par l’Amazing Band, un groupe Londonien légendaire qui fut fondé par le trompettiste et dessinateur Mal Dean, connu pour le dessin de pochette du vinyle duo de Derek Bailey et Han Bennink, Performances at Verity’s Place (Incus 9) et dont le batteur initial fut Robert Wyatt, le guitariste, Jim Mullen. Aux côtés de Mal Dean à cette époque le groupe était composé du saxophoniste Mike Brannen un pilier du groupe, le tromboniste Radu Malfatti (alors Londonien), John Russell à la guitare, Marcio Mattos à la contrebasse et Terry Day. La musique est volatile et on distingue les musiciens et … des conversations. Il s’agit sans doute d’un des derniers concerts de ce groupe dont un seul album a été publiés il y a une vingtaine d’années par FMR. Présents et reconnaissables, Dean, Malfatti, Day, Mattos, Watts, Brannen, mais point de John Russell. On entend aussi, un instrument à vent qui évoque les grognements d’une clarinette contrebasse. Force est de constater qu’à travers ce rare témoignage le concernant, Terry Day avait acquis un style très personnel, et imprimé sa marque d’un excellent batteur. Son jeu aéré, détaillé et concentré convient parfaitement à cette musique atomisée et évolutive. On découvre la trompette sinueuse de Mal Dean et ce qui distingue Watts de Brannen, l’articulation contrôlée et la fureur expressionniste de part et d'autre, le style caractéristique de Radu Malfatti, qui avait alors enregistré Balance (Incus 11) avec Frank Perry, Ian Brighton, Phil Wachsmann et Colin Wood, un authentique et rare chef d’œuvre. Cet album digital Oto est intéressant, spécialement pour Terry Day, musicien très très peu documenté à cette époque. Paul Lytton m’a révélé avoir découvert ce qu’était vraiment l’improvisation libre en entendant Terry Day improviser au saxophone dans son atelier de peintre où siégeait une modèle alors qu’il fréquentait déjà le LTC auparavant dès 1967.
Dirk Marwedel Jeff Platz Georg Wolf Jörg Fischer Pebbles and Pearls Setola di Maiale
Setola di Maiale est un label énorme par le volume considérable de compact discs et cd’r produits (420 !) et qui, jusqu’il y a quelques années, se cantonnait à la musique improvisée – free jazz – expérimentale italienne. Outre son responsable, le batteur Stefano Giust, une personnalité solaire avec une énergie hors du commun, on relève des artistes italiens comme Massimo Falascone, Nicola Guazzaloca, Giorgio Pacorig, Edoardo Marraffa, Giancarlo Schiaffini, Gianni Mimmo, Gianni Gebbia, Alessandra Novaga, Marcello Magliocchi. Depuis quelques années, Thollem McDonas, Tim Hodgkinson, Yoko Miura, Ove Volquartz, moi-même, Lawrence Casserley, Evan Parker, Ivo Perelman se retrouvent sur ce label au graphisme très soigné. Voici maintenant un groupe allemand avec un invité américain, le guitariste Jeff Platz. Trois personnalités de l’improvisation libre pointue germaniques : le saxophoniste Dirk Marwedel, le contrebassiste Georg Wolf et le percussionniste Jörg Fischer, développent ici une dynamique, un tissu d’interventions émaillé de silences révélateurs, et de détails sonores expressifs et singuliers. Sur la plage on distingue des perles au milieu des galets usés par le flux incessant de la musique : Pebbles and Pearls. On distingue particulièrement les trouvailles soniques de Jörg Fischer dont la batterie est truffée d’accessoires créant une espèce de parcours d’obstacles ludiques de timbres et de bruits curieux vers lequel notre écoute en devient aimantée. Un pointillisme de l’instant où le silence joue un rôle moteur : un bel exemple d’improvisation libre radicale où le sens des pulsations joue un rôle aussi prépondérant que la capacité innée à moduler textures, courbes, spirales, harmoniques… À noter : les efforts récompensés du guitariste Jeff Platz pour s’insérer dans les constructions rhénanes, le travail exemplaire du contrebassiste Georg Wolf à l’archet et la prise de son de son acolyte Ulli Philipp avec qui G.W. forme un magnifique duo de contrebasses, cfr Tensid – NurNicht Nur. Ce label accueille aussi les projets de Dirk Marwedel, un saxophoniste remarquable. La musique du collectif est parfois aiguillée vers une zone plus proche du free jazz et une configuration nettement plus dense des énergies, en apothéose. Leur pratique de l’improvisation tranche avec celle plus lyrique et linéaire des artistes de la péninsule documentés par le label Setola di Maiale. J’ai toujours pensé que les labels de musiques improvisées à ligne éditoriale très définie travaillaient à contre-emploi quel que soit leur orientation. Présenter des musiques (très) différentes enrichit la scène musicale et permet au public des auditeurs de tous bords d’appréhender des esthétiques différentes, car le champ de ces musiques est basé avant tout sur la rencontre et le dialogue, la recherche et le plaisir d’écouter la musique sans préjugé, a priori et définitionnisme… Et on trouve souvent le même musicien dans des aventures aux aspects diamétralement opposés. Je pense à cet extraordinaire contrebassiste et compositeur qui vient de nous quitter, Simon H Fell. Un excellent album à mettre dans les mains des supporters des labels Not Two Records, No Business, Clean Feed, Impakt, Fudacja Sluchaj, etc... C’est cette ouverture esthétique qui fait jouer un rôle incontournable au label de Stefano Giust dans la scène italienne, bien dans la ligne d’un leitmotiv de la scène improvisée libre : Nothing is allowed. Everything may (or can) happen ! Celui qui pourra citer l’auteur de cet adage, recevra un cédé surprise !!
New Thing Unit For Cecil Taylor : Paulo Alexandre Jorge Ernesto Rodrigues Eduardo Chagas Manuel Guimaraes Miguel Mira Pedro Santo. Creative Sources CS 527 CD
On retrouve l’esprit de Cecil Taylor et de son Unit dans cette musique « free-jazz » enregistrée au Studio Namouche à Lisbonne. On n’aurait jamais imaginé il y a quinze ou même sept ans entendre un tel album chez Creative Sources, ni trouver le très classieux altiste Ernesto Rodrigues en telle compagnie. Le violoncelliste Miguel Mira est plus coutumier du fait avec Rodrigo Amado et Gabriel Ferrandini. Mais foin de spéculations esthétiques, vous avez ici du bon vieux free jazz joué collectivement avec deux excellents cordistes qui virevoltent , un pianiste compétent, un tromboniste allumé, un saxophoniste ténor enflammé et un batteur qui se bonifie tout au long de la session. Quatre parties dont les deux premières hautes en couleur avec des vagues incandescentes, des parties monodiques des cuivres évoluant par-dessus l’activité trépidante autour du batteur et du violoncelliste. Le troisième morceau se focalise sur les deux cordes qui scient à tout va, le tromboniste Eduardo Chagas hachant menu la colonne d’air et le pianiste piquetant ses commentaires avisés. Le sax emboîte le pas en faisant chuinter, grincer sa sonorité jusqu’aux harmoniques sauvages et frustes et le tromboniste soufflant à pleins poumons. Le travail de Jorge dans les harmoniques est méritant et la sensibilité et les idées d’Ernesto Rodrigues remonte à la surface apportant une couleur qui complète les morsures sur l’anche du saxophoniste. Chacun apporte sa pierre à l’édifice en faisant varier les plaisirs pour que cela s’écoute encore après vingt minutes et plus. Ça joue à l’emporte-pièce et cela me rappelle l’excitation éprouvée avec ces albums ESp, BYG et America de Frank Wright, Sunny Murray, Alan Shorter etc... Ça évolue dans des sphères plus mystérieuses et espacées tout en soutenant l’atmosphère un peu dramatique. La quatrième partie commence avec un riff du violoncelliste et le jeu passionné et extrême du violoniste, introduisant un motif mélodique ressassé du ténor, et les raclements du trombone, parfait leitmotiv pour l’empoignade finale … Du free en somme. Pour Cecil Taylor.
5 novembre 2020
Musica Elettronica Viva/ Stefan Keune - John Russell - Kris Vanderstraeten/ Trevor Taylor Oscillations Jazz Quintet/ No Base Trio
Musica Elettronica Viva Symphony 108 Live at Brno Philarmonic HermesEar / Ad Sensum Bonum HE 015 / aSB 03
À Rome, il y a plus de cinquante ans, trois freak-out de la musique contemporaine académique en mal de liberté, s’unissent pour former Musica Elettronica Viva avec d’autres personnalités (dont Ivan Vandor qui joua un rôle non négligeable dans le domaine de l’ethnomusicologie via le Conseil International de la Musique de l’Unesco, Steve Lacy etc…). Alvin Curran, Frederic Rzewski, Richard Teitelbaum et leur instrumentarium diversifié s’il en est. Aujourd’hui, l’écoute de cette SYMPHONY 108 publiée par Jozef Cseres sur son label Hermès Ear en collaboration avec ad Sensum Bonum et enregistrée au Brno Philarmonic, nous aiguille vers un véritable no man’s land esthétique où se croisent sens, signifiants, pratiques dans un merveilleux refus de l’homogénéité ou d’une cohérence programmée. Le clavier d’un grand piano classique se voit martelé quand des bruitages, kazoo et sonorités électroniques se télescopent par-dessus. On n’est en fait pas loin du bric-à-brac des Alterations (Beresford, Cusack, Day, Toop) ou de notre délirant I Belong To The Band (Bohman, Mayne, Sörès, Van Schouwburg), si ce n’est que le pedigree académico-historique des membres du trio MEV semble les rendre plus crédibles… Rzewski, pianiste fabuleux devant l’éternel, a été le successeur d’Henri Pousseur au Conservatoire de Liège et Teitelbaum a bien professé dans des cénacles de haut niveau. Quoi que ces musiciens aient pu faire comme projets sérieux et raffinés durant leur carrière, il faut admettre l’évidence ! Musica Elettronica Viva est une aventure déconcertante, subversive et qui remet à zéro nos habitudes d’écoute et sollicite notre imagination avec une dose de provocation aussi tranchante que subtile et une dimension délirante. Un sens de la collision et du contraste quasi surréaliste. Les transformations des sonorités électroniques par exemple sont remarquables (Teitelbaum : midi keyboardn Apple McBook Pro with Ableton Live Software, crackle box et Curran : computer, midi keyboard) et elles voisinent étrangement avec le shofar, le kazoo, la voix parlée de FR. Ce n’est pas un chef d’œuvre, car telle n’est pas leur intention, MAIS un chantier, un éclatement de contradictions, un faisceau d’informations, de commentaires, une conversation symbolique à bâtons rompus, un happening déstabilisant et non consensuel. Une façon radicale d’improviser invariante comme à l’époque où tout semblait possible dans un moche garage de la banlieue romaine pour des transfuges utopistes du Conservatoire. Il faut entendre les exclamations, râles et vociférations à la minute 39… pour le croire ! La beauté convulsive.
On Sunday Stefan Keune - John Russell - Kris Vanderstraeten New Wave of Jazz nwaj0036
https://newwaveofjazz.bandcamp.com/album/on-sunday
Un concert de 2010 à l’Archiduc à Bruxelles dans une atmosphère intime et un lieu de rêve. En effet, si les bars sont souvent bruyants, à L’Archiduc, la magie de ce lieu Art Déco fait qu’on écoute avec attention et que rarement une conversation vient interférer avec la musique. Stefan Keune et John Russell jouent ensemble depuis 2000 et une mémorable tournée japonaise. Quoi de plus naturel qu’ils improvisent un dimanche après-midi en trio avec un percussionniste aussi visuel et poète des sons que Kris Vanderstraeten, lui-même un habitué du label NWJA de Dirk Serries et graphiste d'excaption. Stefan a développé un jeu exacerbé avec une articulation des extrêmes – harmoniques aigües, faux doigtés, frictions de la colonne d’air, éclats de scories, morsures du bec , glissements du timbre – et un sens sériel des harmonies. John Russell a reconsidéré entièrement la guitare archtop (cordes tendues par-dessus un chevalet) pour la faire sonner de manière méta-musicale, surréaliste en exploitant les harmoniques. Harmoniques, faut-il expliquer, produites en levant immédiatement le doigt posé contre la corde lorsque le plectre la fait vibrer. En alternant harmoniques et intervalles dissonants, en grattant et percutant les cordes, John Russell construit d'une manière arachnéenne un canevas mouvant sériel / atonal avec une expressivité fascinante et fantomatique dans lequel les autres improvisateurs doués s’insèrent merveilleusement. Confronté avec les deux duettistes, Kris Vanderstraeten s’inscrit parfaitement dans le continuum en nourrissant leurs inspirations et créant un espace avec son sens de la dynamique. Empathie. Il faut voir sa batterie faite main avec sa grosse caisse de 8,5 cm d’épaisseur, ses tambours chinois et objets insolites qui parsèment son installation et se promènent sur la surface des peaux. Il y a même un globe terrestre et un curieux objet lumineux qui tournoie désespérément. On Sunday ajoute une belle pièce au catalogue de Keune – Russell. Ça explose en se désintégrant ! Pour info, en duo : Excerpts and Offerings / Acta 14 – 2000, Frequency of Use / Nur Nicht Nur - 2002, et un morceau de 21 minutes, Mama Yi Says Hello dans Freedom of the City 2003 Small Groups / Emanem 4212. En collaboration : Deluxe Improvisation Series Vol. 2: 2001 Pt. 1/ ASE-03, Nothing Particularly Horrible avec Paul Lovens et Hannes Schneider / FMR 1993. À ne pas manquer !
Oscillations 12 Tone Music For Jazz Quintet Trevor Taylor FMR avec Shanti Paul Jayashina Josh Ison Dan Banks Jose Canha. FMR pas de trace dans le site ! Est-ce publié ?
L’infatigable Trevor Taylor, responsable enthousiaste du label FMR, se démène pour publier une suite impressionnante d’albums de free-music improvisée / free-jazz / expérimental au point qu’il devient un peu difficile de s’y retrouver, étant souvent débordé vu le nombre de projets auquel il a acquiescé sans même se donner le temps de réfléchir. La générosité même. Dans son catalogue trône Paul Dunmall, Trevor Watts, Frode Gjerstad, mais aussi Lawrence Casserley et ses vieux amis Ian Brighton et Phil Wachsmann avec qui il improvisait il y a déjà … cinquante ans. Dans les notes de pochette ce tout récent opus dont il a écrit les compositions en 12 tons (dodécaphonie) pour un Quintet de Jazz, il raconte l’anecdote d’un concert donné dans un pub avec le saxophoniste alto Jim Liversy. Leur musique était en fait du jazz dodécaphonique qui faisait dresser les cheveux de la tenancière qui s’écria « Too Hairy » ! Qui aurait pu penser qu’il puisse se mettre cinquante ans plus tard à écrire dans cet idiome avant gardiste du jazz des Fifties et des Sixties. En effet, Trevor est connu pour son travail de percussionniste avec ses percussions électroniques, marimba, vibraphones dont témoignent des enregistrements FMR avec le groupe Strings (Brighton Wachsmann Mattos), Lawrence Casserley & Phil Wachsmann (The Rings of Saturn), Paul Dunmall et Phil Gibbs (New Atmospheres) ou Ian Brighton et Steve Beresford (Kontakte). Un profil résolument contemporain et électronique. Toutefois, comme toute une génération de musiciens britanniques free, lui et ses pareils ont d’abord appris à jouer du vrai jazz moderne (Mattos, Brighton, Watts, Coxhill, …). Aujourd’hui , le voici à la tête avec un sérieux groupe de jazz contemporain réellement hors des sentiers battus. Ce sont d’excellents musiciens, peut-être pas des grand stylistes, mais ce qui importe ici c’est qu’ils rendent avec un grand talent l’architecture et l’esprit de la musique de jazz dodécaphonique conçue et écrite par Trevor dans laquelle un réel espace de créativité existe pour les musiciens. Les pièces jouées sont en fait un tremplin pour improviser dans les structures harmoniques et les canevas qui en découlent. C’est tout à fait convaincant, swinguant, aérien, subtil et puissant. Un véritable voyage dans les subtilités de la musique dodécaphonique swinguante ! Vraiment recommandable.
NO Base Trio : No Base Trio Jonathan Suazo Gabriel Vicens Leonardo Osuna Setola di Maiale
https://www.setoladimaiale.net/catalogue/view/SM4180
Basé à Porto Rico, le No Base Trio est composé de trois jazzmen de l’île qui en pratiquant le jazz moderne ont petit à petit évolué vers des formes musicales ouvertes et, comme le nom du groupe l’indique, ils ont supprimé les « bases » conventionnelles ou formelles du jazz traditionnel ou du moins cherché ailleurs leurs inspirations. Dans le graphisme de la pochette les lettres BASE ont été inversées haut/bas pour exprimer leur rupture. Et comme ils l’expliquent, lors de leurs parties de concert lorsqu’il se lançaient dans l’improvisation, ils prirent conscience du plaisir qu’ils en éprouvaient. À la guitare électrique, Gabriel Vicens, au sax alto et Ewi, Jonathan Suazo et à la batterie, Leonardo Osuna. À mon avis, le guitariste manie particulièrement bien les pédales d’effets avec une belle coordination simultanée en créant avec logique et un sens dramatique un momentum réussi sur la plupart des pièces, basées sur des riffs et des séquences repérables. Ses ressources sonores et ses alliages de timbre sont détaillés et diversifiés à souhait. Un pro inspiré plutôt par la mouvance jazz-rock avec une dose d’ambient que par le jazz per se. Le batteur a vraiment du métier et manie avec bonheur les rythmes multipliés et les enchaînements de pulsations en dosant ses efforts pour maintenir l’équilibre du trio. Du côté du souffleur, on dira qu’il est OK dans un registre « modal » et qu’il utilise consciencieusement et avec fougue des intervalles choisis, comme dans EXT VII. Les huit morceaux sont Intitulés EXT I, EXT II, etc… jusque VIII. C’est dans le VIII, qu’on peut entendre plus ou moins leurs improvisations les plus audacieuses. Le tout est excellemment produit. Les trois artistes envisagent leur démarche enregistrée comme étant complètement improvisée live et cite une série de musiciens de jazz comme Terry Line Carrington, Larry Polansky, Danilo Perez, George Garzone, Ray Anderson, Joe Lovano. Je pense que ce collectif est en train de se détacher des formes usuelles vers de nouveaux horizons créant un foyer actif à Puerto Rico. S’il leur semble avoir atteint un aboutissement avec ce No Base, on espère bien qu’il s’agisse d’un point de départ vers de nouvelles aventures qui les surprendront plus encore.
À Rome, il y a plus de cinquante ans, trois freak-out de la musique contemporaine académique en mal de liberté, s’unissent pour former Musica Elettronica Viva avec d’autres personnalités (dont Ivan Vandor qui joua un rôle non négligeable dans le domaine de l’ethnomusicologie via le Conseil International de la Musique de l’Unesco, Steve Lacy etc…). Alvin Curran, Frederic Rzewski, Richard Teitelbaum et leur instrumentarium diversifié s’il en est. Aujourd’hui, l’écoute de cette SYMPHONY 108 publiée par Jozef Cseres sur son label Hermès Ear en collaboration avec ad Sensum Bonum et enregistrée au Brno Philarmonic, nous aiguille vers un véritable no man’s land esthétique où se croisent sens, signifiants, pratiques dans un merveilleux refus de l’homogénéité ou d’une cohérence programmée. Le clavier d’un grand piano classique se voit martelé quand des bruitages, kazoo et sonorités électroniques se télescopent par-dessus. On n’est en fait pas loin du bric-à-brac des Alterations (Beresford, Cusack, Day, Toop) ou de notre délirant I Belong To The Band (Bohman, Mayne, Sörès, Van Schouwburg), si ce n’est que le pedigree académico-historique des membres du trio MEV semble les rendre plus crédibles… Rzewski, pianiste fabuleux devant l’éternel, a été le successeur d’Henri Pousseur au Conservatoire de Liège et Teitelbaum a bien professé dans des cénacles de haut niveau. Quoi que ces musiciens aient pu faire comme projets sérieux et raffinés durant leur carrière, il faut admettre l’évidence ! Musica Elettronica Viva est une aventure déconcertante, subversive et qui remet à zéro nos habitudes d’écoute et sollicite notre imagination avec une dose de provocation aussi tranchante que subtile et une dimension délirante. Un sens de la collision et du contraste quasi surréaliste. Les transformations des sonorités électroniques par exemple sont remarquables (Teitelbaum : midi keyboardn Apple McBook Pro with Ableton Live Software, crackle box et Curran : computer, midi keyboard) et elles voisinent étrangement avec le shofar, le kazoo, la voix parlée de FR. Ce n’est pas un chef d’œuvre, car telle n’est pas leur intention, MAIS un chantier, un éclatement de contradictions, un faisceau d’informations, de commentaires, une conversation symbolique à bâtons rompus, un happening déstabilisant et non consensuel. Une façon radicale d’improviser invariante comme à l’époque où tout semblait possible dans un moche garage de la banlieue romaine pour des transfuges utopistes du Conservatoire. Il faut entendre les exclamations, râles et vociférations à la minute 39… pour le croire ! La beauté convulsive.
On Sunday Stefan Keune - John Russell - Kris Vanderstraeten New Wave of Jazz nwaj0036
https://newwaveofjazz.bandcamp.com/album/on-sunday
Un concert de 2010 à l’Archiduc à Bruxelles dans une atmosphère intime et un lieu de rêve. En effet, si les bars sont souvent bruyants, à L’Archiduc, la magie de ce lieu Art Déco fait qu’on écoute avec attention et que rarement une conversation vient interférer avec la musique. Stefan Keune et John Russell jouent ensemble depuis 2000 et une mémorable tournée japonaise. Quoi de plus naturel qu’ils improvisent un dimanche après-midi en trio avec un percussionniste aussi visuel et poète des sons que Kris Vanderstraeten, lui-même un habitué du label NWJA de Dirk Serries et graphiste d'excaption. Stefan a développé un jeu exacerbé avec une articulation des extrêmes – harmoniques aigües, faux doigtés, frictions de la colonne d’air, éclats de scories, morsures du bec , glissements du timbre – et un sens sériel des harmonies. John Russell a reconsidéré entièrement la guitare archtop (cordes tendues par-dessus un chevalet) pour la faire sonner de manière méta-musicale, surréaliste en exploitant les harmoniques. Harmoniques, faut-il expliquer, produites en levant immédiatement le doigt posé contre la corde lorsque le plectre la fait vibrer. En alternant harmoniques et intervalles dissonants, en grattant et percutant les cordes, John Russell construit d'une manière arachnéenne un canevas mouvant sériel / atonal avec une expressivité fascinante et fantomatique dans lequel les autres improvisateurs doués s’insèrent merveilleusement. Confronté avec les deux duettistes, Kris Vanderstraeten s’inscrit parfaitement dans le continuum en nourrissant leurs inspirations et créant un espace avec son sens de la dynamique. Empathie. Il faut voir sa batterie faite main avec sa grosse caisse de 8,5 cm d’épaisseur, ses tambours chinois et objets insolites qui parsèment son installation et se promènent sur la surface des peaux. Il y a même un globe terrestre et un curieux objet lumineux qui tournoie désespérément. On Sunday ajoute une belle pièce au catalogue de Keune – Russell. Ça explose en se désintégrant ! Pour info, en duo : Excerpts and Offerings / Acta 14 – 2000, Frequency of Use / Nur Nicht Nur - 2002, et un morceau de 21 minutes, Mama Yi Says Hello dans Freedom of the City 2003 Small Groups / Emanem 4212. En collaboration : Deluxe Improvisation Series Vol. 2: 2001 Pt. 1/ ASE-03, Nothing Particularly Horrible avec Paul Lovens et Hannes Schneider / FMR 1993. À ne pas manquer !
Oscillations 12 Tone Music For Jazz Quintet Trevor Taylor FMR avec Shanti Paul Jayashina Josh Ison Dan Banks Jose Canha. FMR pas de trace dans le site ! Est-ce publié ?
L’infatigable Trevor Taylor, responsable enthousiaste du label FMR, se démène pour publier une suite impressionnante d’albums de free-music improvisée / free-jazz / expérimental au point qu’il devient un peu difficile de s’y retrouver, étant souvent débordé vu le nombre de projets auquel il a acquiescé sans même se donner le temps de réfléchir. La générosité même. Dans son catalogue trône Paul Dunmall, Trevor Watts, Frode Gjerstad, mais aussi Lawrence Casserley et ses vieux amis Ian Brighton et Phil Wachsmann avec qui il improvisait il y a déjà … cinquante ans. Dans les notes de pochette ce tout récent opus dont il a écrit les compositions en 12 tons (dodécaphonie) pour un Quintet de Jazz, il raconte l’anecdote d’un concert donné dans un pub avec le saxophoniste alto Jim Liversy. Leur musique était en fait du jazz dodécaphonique qui faisait dresser les cheveux de la tenancière qui s’écria « Too Hairy » ! Qui aurait pu penser qu’il puisse se mettre cinquante ans plus tard à écrire dans cet idiome avant gardiste du jazz des Fifties et des Sixties. En effet, Trevor est connu pour son travail de percussionniste avec ses percussions électroniques, marimba, vibraphones dont témoignent des enregistrements FMR avec le groupe Strings (Brighton Wachsmann Mattos), Lawrence Casserley & Phil Wachsmann (The Rings of Saturn), Paul Dunmall et Phil Gibbs (New Atmospheres) ou Ian Brighton et Steve Beresford (Kontakte). Un profil résolument contemporain et électronique. Toutefois, comme toute une génération de musiciens britanniques free, lui et ses pareils ont d’abord appris à jouer du vrai jazz moderne (Mattos, Brighton, Watts, Coxhill, …). Aujourd’hui , le voici à la tête avec un sérieux groupe de jazz contemporain réellement hors des sentiers battus. Ce sont d’excellents musiciens, peut-être pas des grand stylistes, mais ce qui importe ici c’est qu’ils rendent avec un grand talent l’architecture et l’esprit de la musique de jazz dodécaphonique conçue et écrite par Trevor dans laquelle un réel espace de créativité existe pour les musiciens. Les pièces jouées sont en fait un tremplin pour improviser dans les structures harmoniques et les canevas qui en découlent. C’est tout à fait convaincant, swinguant, aérien, subtil et puissant. Un véritable voyage dans les subtilités de la musique dodécaphonique swinguante ! Vraiment recommandable.
NO Base Trio : No Base Trio Jonathan Suazo Gabriel Vicens Leonardo Osuna Setola di Maiale
https://www.setoladimaiale.net/catalogue/view/SM4180
Basé à Porto Rico, le No Base Trio est composé de trois jazzmen de l’île qui en pratiquant le jazz moderne ont petit à petit évolué vers des formes musicales ouvertes et, comme le nom du groupe l’indique, ils ont supprimé les « bases » conventionnelles ou formelles du jazz traditionnel ou du moins cherché ailleurs leurs inspirations. Dans le graphisme de la pochette les lettres BASE ont été inversées haut/bas pour exprimer leur rupture. Et comme ils l’expliquent, lors de leurs parties de concert lorsqu’il se lançaient dans l’improvisation, ils prirent conscience du plaisir qu’ils en éprouvaient. À la guitare électrique, Gabriel Vicens, au sax alto et Ewi, Jonathan Suazo et à la batterie, Leonardo Osuna. À mon avis, le guitariste manie particulièrement bien les pédales d’effets avec une belle coordination simultanée en créant avec logique et un sens dramatique un momentum réussi sur la plupart des pièces, basées sur des riffs et des séquences repérables. Ses ressources sonores et ses alliages de timbre sont détaillés et diversifiés à souhait. Un pro inspiré plutôt par la mouvance jazz-rock avec une dose d’ambient que par le jazz per se. Le batteur a vraiment du métier et manie avec bonheur les rythmes multipliés et les enchaînements de pulsations en dosant ses efforts pour maintenir l’équilibre du trio. Du côté du souffleur, on dira qu’il est OK dans un registre « modal » et qu’il utilise consciencieusement et avec fougue des intervalles choisis, comme dans EXT VII. Les huit morceaux sont Intitulés EXT I, EXT II, etc… jusque VIII. C’est dans le VIII, qu’on peut entendre plus ou moins leurs improvisations les plus audacieuses. Le tout est excellemment produit. Les trois artistes envisagent leur démarche enregistrée comme étant complètement improvisée live et cite une série de musiciens de jazz comme Terry Line Carrington, Larry Polansky, Danilo Perez, George Garzone, Ray Anderson, Joe Lovano. Je pense que ce collectif est en train de se détacher des formes usuelles vers de nouveaux horizons créant un foyer actif à Puerto Rico. S’il leur semble avoir atteint un aboutissement avec ce No Base, on espère bien qu’il s’agisse d’un point de départ vers de nouvelles aventures qui les surprendront plus encore.