TREVOR WATTS A World View Fundacja Sluchaj 5CD Coffret 80ème Anniversaire FRS 26/2020
CD01 Trevor Watts’ Moiré Music Group The Empty Bottle 2000
CD02 Enjambre Acustico Urukungolo. Gibran Cervantes, TW et Jamie Harris.
CD03 Trevor Watts’ Moiré Music Drum Orchestra Radio Lugano Broadcast 1996
CD04 Trevor Watts & Jamie Harris. 2004-2006
CD05 Mark Hewins & Trevor Watts. 2014
https://sluchaj.bandcamp.com/album/a-world-view
Pour fêter les 80 ans de Trevor Watts, un pionnier du free-jazz européen Fundacja Sluchaj a mis les petits plats dans les grands : coffret de cinq albums retraçant quelques-unes de ses aventures, parmi les plus diversifiées et surprenantes de ce saxophoniste alto et soprano, compositeur – improvisateur qui défie à lui tout seul le cursus vitae standard du musicien free. Il faudrait en fait un coffret de quinze ou vingt albums offrant chacun des musiques souvent très variées pour se faire une idée de son parcours. Il existe, à juste titre, des cultes rendus à plusieurs saxophonistes altos du free-jazz aujourd’hui décédés (ou presque) : Jimmy Lyons, Julius Hemphill, Marion Brown Sonny Simmons, eux-mêmes challengers / héritiers d’Ornette et Dolphy, sans parler de Kaoru Abe et cela par de nombreux connaisseurs – collectionneurs, etc… . Je suis frappé que ces personnes ont peu d’égard ou d’intérêt pour Trevor Watts. Son jeu au sax alto est d’une merveilleuse richesse sonore, nourrie par une plasticité fabuleuse, une connaissance approfondie des harmonies et des dissonances et une capacité à créer une matériau mélodique en jonglant avec les modes les plus complexes et les signatures rythmiques les plus off-the wall. Écoutez les premiers Moiré Music Orchestra avec le pianiste Veryan Weston et vous allez tomber de votre chaise ! Outre le saxophone alto, il a acquis une maîtrise hallucinante et poétique du saxophone soprano. On dira peut-être qu’il y a des sax sopranos plus insignes (Evan Parker, Steve Lacy et Lol Coxhill). Mais demandez aux meilleurs saxophonistes de maîtriser l’alto et le soprano quasiment au même niveau au point de vue créatif, beaucoup vont décliner l’invitation, car ce qui est requis (au nanomètre près) pour la maîtrise de l’un, vous empêche de vous consacrer pleinement à l’autre.
Il faudrait écrire un livre pour situer l’étendue de son travail dans de nombreux projets différents : l’évolution au sein du Spontaneous Music Ensemble (SME), de son groupe Amalgam, des groupes de John Stevens, des Moiré Music successifs, son duo avec Veryan Weston, etc... Le présent coffret n’en dévoile que quelques aspects. La dénomination Moiré Music chapeaute une série de groupes et de répertoires reliés les uns aux autres par leur intense dimension rythmique et la participation de percussionnistes africains et du bassiste Colin McKenzie avec qui Trevor Watts a travaillé durant des années. TW a une obsession pour les cycles complexes de pulsations imbriquées dont il a une maîtrise exceptionnelle et qui fleure bon l’Afrique et l’Amérique Latine. Les deux concerts de Moiré Music Drum Group présentés ici aux CD‘s 1 et 3 rentrent parfaitement dans la catégorie « world music » sans que ce soit un terme péjoratif. La musique est dansante et les roulements giratoires et accents entêtants et contrastés alimentent le lyrisme éperdu de Trevor et elle a atteint le plus large public dans des tournées mondiales sur plusieurs continents, dont l’Amérique Latine où le Moiré Drum Orchestra s’est produit dans des grandes salles de concerts et des festivals importants. Le groupe de Lugano est composé d’une équipe étoffée de percussionnistes africains : Jojo Yates, Kofi Adu, Nanah Appiah auxquels s’adjoint le batteur Marc Parnell, l’énergique successeur de Liam Genockey qui lui-même a traversé toute la saga Amalgam – Moiré la plus essentielle dont les présents Moiré Music Drum Orchestra et Group constituent l’achèvement final.
De cette aventure, on débouche dans une fantastique collaboration avec le Mexicain Gibran Cervantès et son instrument inventé, l’ Urukungolo, soit un énorme instrument percussif à cordes vibrantes évoquant une cithare surréaliste étagée en trois dimensions, sculpture sonore tropicale improbable (CD4). Gibran, qui joue en dansant au milieu de sa « sculpture », a composé la plupart des morceaux. Trevor joue et improvise chaleureusement sur leur trame mélodico-rythmique. Son inspiration est multiple et syncrétique : elle provient autant des musiques celtiques, africaines ou orientales et son jeu s’apparente à une fontaine kaléidoscopique de trouvailles mélodiques agrémentées de multiples variations et affects puissants et subtils, fragrances happées au fil d’une vie entière au service d’un idéal musical coopératif et ouvert au monde et les peuples qui essaient de survivre à sa surface. Dans l’ensemble Urukungolo, Gibran et Trevor sont assistés par le joueur de djembés Jamie Harris, un musicien natif d’Hastings où TW habite depuis plus de 40 ans. On retrouve Jamie Harris en duo avec Trevor dans le CD 4 évoluant toujours dans cette mouvance musiques du monde « imaginaire » dans laquelle s’inscrit son travail de saxophoniste polymodal - free. En écoutant cette succession d’albums, l’auditeur sera surpris de la diversité formelle et spirituelle des rythmes abordés et développés et comment notre vieux renard du free européen s’exprime de manière naturelle et inspirée dans ce vivace panorama musical. En outre, c’est lui-même qui a instruit tous ces percussionnistes à jouer ensemble et à s’accorder dans ce fouillis de rythmes croisés et superposés, car Trevor est un grand MAÎTRE de la chose rythmique, un des plus grands que l’univers du jazz ait jamais compté. Pour la fine bouche, il nous réserve la primeur du duo avec le guitariste « Canterburyen » Mark Hewins, partenaire d’Elton Dean et de la mouvance Soft Machine, Hugh Hopper, etc…
Si le bien nommé a world view est consacré à sa musique d’obédience africaine métissée, ce n’est qu’une partie de son travail. Pour preuve Trevor a excellé dans plusieurs enregistrements parmi les plus représentatifs du free-jazz mondial. Toutes les pépites du Spontaneous Music Ensemble avec John Stevens comme Oliv (Maggie Nichols et Johny Dyani), Face To Face (duo avec Stevens), Birds of Feather (Julie Driscoll, Ron Herman), So What Do You Think We Are ? (Bailey, David Holland, Kenny Wheeler), The Quintessence (Evan Parker, Derek Bailey, Kent Carter) sont à elles seules un parcours très singulier où Trevor et le SME ne se répètent JAMAIS. Et bien sûr, Dynamics of the Impromptu avec Derek Bailey et John Stevens au Little Theatre Club. Pensons maintenant aux albums free-bop de John Stevens : Chemistry (Wheeler, Jeff Clyne, Ray Warleigh) et No Fear (Barry Guy) et free-free-jazz : Application, Interaction and… (Barry Guy) et Endgames (Howard Riley, Barry Guy). Et le Love Dream du cornettiste Bobby Bradford avec Stevens et Carter ! Son propre Amalgam en mode free-jazz : Prayer For Peace (un des top alto sax albums des sixties !!) et Innovation (avec Keith Tippett) et en veine free-rock-jazz agressif : Sammana, Another Time, Deep, etc.. avec le batteur rock Liam Genockey et le bassiste funky Colin McKenzie , puis free rock jazz noise .. …. Keith Rowe à la guitare noise dans le quadruple LP live Wipe Out et Over the Rainbow, un OVNI utopique dérangeant.
Ensuite, le TW Moiré Music Orchestra avec le pianiste Veryan Weston, Lol Coxhill, Simon Picard, Genockey, vocaliste, percussionnistes, accordéoniste etc… est une innovation qui n’a aucun autre équivalent dans toute l’histoire du jazz. Ce fut aussi un véritable apostolat pour le leader - compositeur qui parvint à faire jouer ce groupe contraignant dans de nombreux festivals et à faire évoluer le concept jusqu’aux Moiré Music Drum O. & G. qui figurent dans a world view. On y croise le violoniste de Steeleye Span, Peter Knight, avec qui il fit un album en duo, Reunion. En solo, Trev a publié trois albums merveilleux qui incarnent sa pensée musicale et les inspirations décrites plus haut (World Sonic, Veracity, Lockdown Solos). Et bien sûr, un des deux plus réussis duos saxophone - piano du jazz libre (avec le tandem Matt Shipp – Ivo Perelman) : Dialogues avec Trevor Watts et Veryan Weston dont Emanem a publié deux CD (Six Dialogues & Five More Dialogues) et dont on retrouve les témoignages sur les labels Hi4Head (Dialogues in Two Places), ForTune (at ad libitum) et FMR (Dialogues for Ornette), plus un DVD en quartette avec John Edwards et Mark Sanders. Aussi, sa participation au LJCO de Barry Guy.
Je m’arrête là ! Trevor Watts est aussi une des huit ou dix personnes qui s'est le plus impliqué JOURNELLEMENT dans l'éclosion de la musique improvisée libre (afflubée du vocable indécis - imprécis de non-idiomatique) à Londres, scène qui a eu une influence prépondérante au niveau international avec AMM, Derek Bailey, Evan Parker, Paul Rutherford, John Stevens, Tony Oxley, Paul Lytton, Maggie Nichols, Lol Coxhill. Face To Face et Dynamic of the Impromptu en sont les meilleurs exemples. D'ailleurs qui connaît Trevor Watts comme saxophoniste alto "free-jazz" serait incapable d'imaginer que c'est le même musicien qui fait imploser son sax soprano avec John Stevens dans Face To Face, un album qui a eu une influence déterminante sur John Zorn, selon ses propres dires.
Sans nul doute, un des artistes du free-jazz les plus sous-estimés. La raison est assez simple : il n’a jamais essayé de tourner avec des légendes vivantes dans le circuit des festivals ou avec des musiciens de sa génération qui avaient les bonnes filières. Tout au plus, une fois avec Breuker et Harry Miller. Et ses choix ont dérouté les critiques et certains supporters. Il a d’ailleurs réussi à se disputer avec Archie Shepp qui a voulu se servir de lui comme faire valoir, alors que, plus tard, ses propres projets créatifs ont été sollicités dans des festivals partout dans le monde au point où ses tournées ont fait vivre ses équipes. C’est donc un artiste qui n’a jamais fait de concession et qui a brillé avant tout par son exceptionnel talent et la majesté de son jeu au saxophone. Au centre de sa pensée, il y a avant tout l’amitié et une éthique du collectif. Un travailleur acharné, un artisan modeste, amical, jovial et blagueur. Trevor Watts Forever !!
TAO : STEVE LACY & ANDREA CENTAZZO Ictus 131
https://ictusrecords.bandcamp.com/album/tao
Publié il y a des années lorsqu’Andrea Centazzo a ressuscité son label Ictus 30 ans après sa fondation en 1976. Le premier album du label, Clangs (20 février 1976), était consacré au duo de Steve Lacy et d'Andrea Centazzo autour des compositions de Steve, sans nul doute un des meilleurs albums de Lacy, le maître à jouer du saxophone soprano du XXème siècle. Inoubliable !! Par la suite, Ictus publia un superbe trio Live avec Lacy, Kent Carter et Centazzo. Bien qu’il ait acquis une formation de batteur … imbattable (élève de Pierre Favre), Andrea Centazzo a développé un langage musical de percussionniste free innovant et est devenu en quelques années une personnalité incontournable de la scène improvisée, jouant et enregistrant avec Derek Bailey, Evan Parker, Lol Coxhill, Carlos Zingaro, Pierre Favre, Henry Kaiser, Toshinori Kondo, Rova Sax Quartet, Davey Williams et LaDonna Smith etc… composant et dirigeant son propre orchestre et publiant de nombreux albums sur son label Ictus. Ce label publia aussi deux albums solos de Lol Coxhill et d’Andrew Cyrille. Dans les années 80, il partit vivre en Californie et devint compositeur. En 1984, il y eut encore une session du duo Centazzo - Lacy à Bologne qui figure ici sous la dénomination Tao #1, Tao #2 jusque Tao #6. Il s’agit des six compositions de Steve Lacy de la Tao Suite qu’on retrouve entièrement ou partiellement reprise dans plusieurs de ses albums et qui constitue l’ossature de son répertoire des années 70 : Existence, The Way, Bone, Name, The Breath, Life on Its Way. Ces pièces figurent sous la forme d’une suite dans l’album Hat Hut « The Way » du Quintet de Steve Lacy (1979). La version en duo de cette Tao Suite est ici superbement interprétée tant dans le chef de Steve Lacy qu'à travers le travail percussif (libre !?) d’Andrea Centazzo qui lui crée un magnifique écrin. Magie.
La set list de l’album Clangs contenait d’autres morceaux (The Owl, Torments), et donc, cette présente publication est plus que justifiée : un service rendu à la bonne cause. Tao #1 nous fait découvrir son style « drumming free » virevoltant sur les peaux et accessoires avec des successions de contretemps, sursauts et incessants changements de timbre en rafale avec un superbe sens de la dynamique. Puissance et légèreté : cette partie de percussion devrait figurer dans toute anthologie consacrée à la percussion free aux côtés des Andrew Cyrille, Milford Graves, Paul Lovens…. La version de Bone y est particulièrement astucieuse, car ce morceau évoquant une biguine ésotérique avait été conçu pour être jouée en trio avec contrebasse ou en solo. Ici, le percussionniste sollicite principalement des sonorités métalliques avec beaucoup de sensibilité au lieu de jouer « de la batterie ». Tao #5 est impérial et étourdissant. La rencontre de leurs deux univers (Lacy vs Centazzo), leur confère une dimension unique, inespérée qui sublime leurs contributions individuelles. Les quatre autres plages de Tao (Tao #7 à Tao#10) reprennent l’enregistrement d’un concert qui eut lieu le 18 février 1976, deux jours avant furent enregistrées les faces de Clangs. S’y trouvent quelques un des thèmes de cet album dont ce morceau où interviennent le Bird Calls et la crackle-box de Michel Waiszwisz et qui est encore plus réussi que sur le concert du 20 février. La qualité de l’enregistrement de ces bonus étant au rendez-vous, vous pouvez plonger sur ce rare document. Historique et incontournable. Si vous aimez Steve Lacy, je pense pouvoir dire qu’il s’agit du plus fascinant album EN DUO de Steve impliquant un alter ego.
PS : J’ai mis bien du temps à écrire au sujet de cet album (paru il y a plus de dix ans), car je viens seulement de l’acquérir et comme il est superbement bien enregistré (en plus !) , je n’ai pu résister à vous en faire part !
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