Simao Costa piano Beat With Out Byte (un) learning machine Cipsela cip 010
https://cipsela.bandcamp.com/album/beat-with-out-byte
Dixième opus du label portugais qui nous a déjà offert des Vincent Ceccaldi en solo ou en duo avec Joëlle Léandre, Burton Greene avec Marcelo Dos Reis et compagnie, Joe McPhee solo, Marcelo Dos Reis en solo et avec Angelica Salvi, Luis Vicente solo, Daniel Levin et Rob Brown après avoir démarré sur chapeaux de roue avec l’extraordinaire performance de Carlos Zingaro dans le Mosteiro de Santa Clara. Je ne connaissais pas du tout le pianiste Simao Costa et c’est une très belle surprise. À mon avis leur album le plus original (avec le très puissant solo de Zingaro) parmi tous ces artistes vraiment originaux. Quatre compositions : 1 Beat 2 With 3 Out 4 Byte centrée sur le son du piano et ses ressources sonores. Comme il l’annonce tous les sons enregistrés sont acoustiques, produits par les cordes du piano et des aimants utilisant action ou induction. J’ignore si Simao Costa est un « grand » pianiste ou un quelconque génie, mais je peux vous assurer que c’est du grand art. Dans ce style exploratoire avec accessoires magnétiques, un artiste, même doué, peut se révéler « pas assez convaincant », voire un peu ennuyeux ou limité. Beat est sa version du minimalisme avec un toucher voisin de Tilbury et la résonance magnétique de la vibration des cordes. Le son meurt dans le silence. With exploite cette technique avec ondulations, oscillations, murmures et ensuite battements et grondements de cordes graves articulées avec un évident sens de la pulsation créant petit à petit un ostinato dont chaque élément est subtilement escamoté dans de multiples variations qui se croisent et s’accumulent. C’est fort et digne question force expressive des pianistes pionniers qui ont inscrit irrévocablement la pratique de l’improvisation radicale de la bourgeois beast à 88 touches et câbles tendus : Fred Van Hove, Alex von Schlippenbach, Irène Schweizer, Keith Tippett. Out répète inlassablement la même note grave alternant avec des percussions synchronisées sur les cordes avec des cadences inoubliables. J’avais un grand copain disquaire il y a plus de quarante ans et aujourd’hui disparu. Il adorait le « répétitif » et était fou de rythmes. Mon pote aurait été servi Bref, courez vite : il y en a seulement 300 copies. C’est à se taper la tête contre les murs.
Nothing Gianni Lenoci – Franco Degrassi 2CD Setola di Maiale SM 4240 – 4250
https://www.setoladimaiale.net/catalogue/view/SM4240-4250
A Few Steps Beyond Gianni Lenoci Amirani AMRN065
Nothing ! Je me souviens que le vinyle « Percussion Ensemble de Milford Graves featuring Sonny Morgan (ESP Disk 1015) contenait des morceaux intitulés « Nothing » numérotés 5-7 11-10, etc… Nothing = rien. À l’époque (1965), c’était sans doute un des quelques enregistrements parmi les plus jusqu’au boutistes du free et de la new music improvisée.
Il ne reste plus RIEN que des sons en libertés mus avec rien d’autre que l’imagination dans les associations de sons, de timbres et pulsations, pas de thème, de mélodie etc… C’est un peu le sentiment qu’on a en écoutant ce double CD NOTHING, juste après avoir survolé A Few Steps Beyond, l’album solo du regretté Gianni Lenoci paru chez Amirani. Il y interprète de manière dense et intense Lorraine et Latin Gernetics (Ornette), Ida Lupino et Blues Waltz (C Bley), All the Things You Are et Goodbye, mettant en évidence sa grande maîtrise du clavier et son inspiration à mi-chemin entre classique et jazz contemporain. Mais Nothing est un beau legs de son travail résolument contemporain (nettement plus avant-garde) et improvisé. Ses pianismes aériens, sombres ou lumineux, ses incursions précises dans le corps du piano, son sens du silence suspendu et la qualité de son toucher, sont ici confrontées aux trouvailles de Franco De Grassi, un spécialiste remarquable des live electronics. Tous deux sont aussi crédités Sonorous Bodies… mystère ! Chaque CD contient une longue improvisation , Nothing 1 (49 :30 – CD1) et Nothing 2 (54 :33 – CD2) et tous deux ont été enregistrés en Juillet et Août 2019 à Monopoli dans les Pouilles, la ville de Gianni Lenoci. L’installation électronique de Franco Degrassi se compose de micros « classiques » et de contact, les quels reprennent des sons captés hors du studio et un ordinateur pour effectuer un processing en temps réel d’un autre enregistrement plus ancien de Gianni. F.D. a ensuite édité en éliminant des instants « redondants » sans affecter la nature du matériau enregistré.
J’ai entendu et rencontré une fois Gianni Lenoci en concert avec Gianni Mimmo et j’ai été frappé par son magnifique esprit d’ouverture, sa capacité à exprimer ses intentions musicales dans l’instant en accordance avec son, sa ou ses partenaires et le moment vécu.
Il a joué fréquemment avec Joëlle Léandre, Francesco Cusa, Gianni Mimmo, Kent Carter, Steve Potts, Irene Aebi, Marcello Magliocchi. Gianni appartient autant au monde de la musique savante issue de la tradition classique ouverte vers l’inconnu que celui du jazz libre et de l’improvisation. Si A Few Steps est un beau témoignage de sa pratique personnelle du jazz au piano, Nothing n’est rien d’autre pour moi qu’un magnifique achèvement avant le grand départ dans l’au-delà un salut de l’artiste.
Ce Nothing exprime pour moi beaucoup de choses : une démarche sensible, un sens de la poésie, une science de la musique d’aujourd’hui, une qualité d’empathie avec un autre artiste très différent de lui, Franco De Grassi. Et c’est cette empathie exprimée ici qui est au centre de ce dialogue entre la puissance retenue des touches d’ivoire et les vibrations des cordes et les sons effilés et surprenants de son partenaire. Adieu, Gianni, et merci pour tout.
Hydra ensemble Voltas Gonçalo Almeida Nina Hitz Lucija Gregov Rutger Zuyderveldt inexhaustible editions ie-035
https://inexhaustibleeditions.bandcamp.com/album/voltas
Quartet on ne peut plus singulier : Hydra Ensemble. Contrebasse : Gonçalo Almeida, violoncelles : Nina Hitz et Lucija Gregov et électroniques : Rutger Zuyderveldt. Six pièces numérotées en chiffres romains de différentes durées ( de 15 minutes à 3, 6 et 9 approximativement) sous le titre général de Voltas. La musique s’étale dans le temps et l’espace dans de profondes et glissantes variations de drones à la fois scintillantes, grondantes, murmures sourds et harmoniques crissantes, vibrations de l’au-delà, battements d’archets, vagues et courants, le mouvement de l’eau (hydra). L’électronique contextualise le flux et contraint les cordes à plus de mystères, de force contenue… Il s’agit d’une musique conçue comme une installation sonore dans le temps, l’allongeant, le dilatant (I – 15 :24). Fort heureusement, le morceau II (-3 :18) a un point de départ mental et formel qui se détache de l’impression de masse du premier (I) pour évoquer une danse languissante avec de sombres frottements d’archet de toute beauté dans le grave. En III (6 :26), un sifflement persistant de l’électronique fait naître un murmure souterrain (la contrebasse) suivi par des mélismes fantomatiques d’harmoniques racées du violoncelle. IV (6 :51), le pouvoir suggestif d’un léger ostinato agrégé en hoquets de pizz auxquels s’agrègent de curieux sons électroniques et des frottements cadencés de cordes : une pièce très bien construite. Tout en restant fidèles à une démarche qu’on peut qualifier de minimaliste, les musiciens d’Hydra Ensemble maximalisent le pouvoir expressif de leur volonté de restreindre le flux musical. Avec Voltas, je me prends à rêver en apesanteur, le silence intégré aux sons, le flux maîtrisé, le recueillement des sens emportent la conscience dans le brumeux, les lueurs, l’espace de bords de mer et du songe. Voilà bien un projet qui transcende les éléments constitutifs de son accomplissement pour créer une véritable fascination. Je n’applaudis pas, mais je murmure de bonheur, et à la fin je m’écarquille.
Superimpose Matthias Müller & Christian Marien with John Butcher, Sofia Jernberg, Nate Wooley inexhaustible editions ie-33 Coffret 3 cédés.
https://inexhaustibleeditions.bandcamp.com/album/with-john-butcher-sofia-jernberg-nate-wooley
Un magnifique objet témoignage en trois cédés de l’évolution de Superimpose, le duo trombone - percussions de Matthias Müller et Christian Marien dans des rencontres avec un invité par CD, et cela depuis l’époque presque lointaine de leur premier album « Superimpose » publié en 2007 par Creative Sources (CS 092 CD) avec l’ampoule électrique de la pochette, suivi de Talk Talk (Leo Records 2010). On avait alors découvert un duo d’improvisation radical avec de nombreuses qualités qui évoquait les dialogues de Günther Christmann et Detlev Schönenberg ou Paul Lovens ou le tandem de Paul Rutherford et Tony Rusconi qui nous a laissé de rares témoignages. Sens de la dynamique, multiplicité des modes de jeu, clarté des intentions, remarquables recherches de timbres, dialogues assumés, libertés et écoute mutuelle active. La musique de Superimpose répond clairement et précisément à la question : Qu’est-ce la musique improvisée libre collective ? La free – music à la fois multidirectionnelle et amoureuse des détails sonores. Le trombone est l’archétype de l’instrument ingrat qui paradoxalement autorise toutes les folies sonores, l’aléatoire des troubles de la colonne d’air et des dérapages infligés aux lèvres serrées ou relâchées à travers lesquelles le tromboniste est tenu de chanter ou peut se laisser aller au délire de son imagination. Les hauteurs sur cet instrument découlent à la fois de la position de la coulisse et du chant buccal et ces deux aspects rentrent très souvent en collision dans la pratique de l’improvisateur radical bien avisé. L’éclatement sonore possible au trombone est complètement en phase avec le champ infini de sonorités qu’un percussionniste facétieux et adroit peut tirer de son attirail sur lequel il a tout loisir de déposer des ustensiles et objets en tous genres.
Dans ce coffret, j’aurais aimé y trouver un cédé en duo car cette association instrumentale trombone – percussion est en fait une chose rarement enregistrée et on aurait pu goûter les spécificités sonores de leur duo, abouti(es) au fil d’une étroite collaboration au fil des ans.
À mon avis, il est tout à fait justifié pour Müller et Marien de s’associer avec le saxophoniste John Butcher, car la démarche de celui-ci coïncide d’assez près à la leur. John a l’heur de s’introduire au sein d’une équipe qui joue comme lui de manière équilibrée, détaillée et logique et, ensemble, ils développent un super sens de la construction associé à leur esprit ludique, inspiré aussi par les plus récents développements de l’improvisation. On appréciera les super aigus sifflants et les growls en détachés de J.B. et son art consommé à déposer la cerise sur le gâteau des moments de grâce garnis d’effets de souffle irréels ou de riffs de trombone vocalisé. La chanteuse Sofia Jernberg, outre le fait qu’elle a un grand talent d’improvisatrice et de vocaliste est un choix tout aussi intéressant, même si la durée des deux improvisations de 27 et 6 minutes est caractéristique du « set de gig » Londonien durant lequel des copains aiment à se rencontrer « pour essayer » et le plaisir de jouer sans arrière-pensée au lieu d’une heure complète d’un « vrai » groupe. J’ai peine à dire si leur trio dépasse le plafond de verre qui sépare le vrai groupe assumé / légitime et la configuration ad hoc d’un set au point de vue du son d’ensemble. Mais un élément déroutant, fascinant apporte un plus, et accroche l’oreille. La dame a une voix très originale, féérique, immatérielle, physique et délicate. Mon sentiment de chanteur vocaliste improvisateur. Spontanément, sa vocalité nous fait oublier que Sofia est une artiste ayant passé par le cursus académique en Suède. Un pur produit authentique de la scène improvisée. Et cela s’intègre à ravir avec la stratégie souffle cuivre – peaux du duo et leurs scansions tournoyantes.
Une remarque pour le trio avec le trompettiste Nate Wooley dans le troisième CD : il y a une forte proximité sonore entre la trompette de NW et le trombone de MM aux niveaux des effets de timbre et de souffle. Il y a de fortes chances qu’en jouant le mieux possible comme ils le font ici, un duo Wooley – Müller se serait situé au meilleur des croisements de constellations. Bien sûr, et heureusement, le trio s’écoute agréablement, car ce sont d’excellents musiciens et de super improvisateurs. Des questions sont posées ! On obtient des réponses. Et oui, le trombone était bien l’instrument clé de la révolution improvisée (libre) européenne et la percussion libérée en est le complément idéal. On trouve ce fort feeling dans tout ce que touche Superimpose en duo ou accompagné.
Consacré aux musiques improvisées (libre, radicale,totale, free-jazz), aux productions d'enregistrements indépendants, aux idées et idéaux qui s'inscrivent dans la pratique vivante de ces musiques à l'écart des idéologies. Nouveautés et parutions datées pour souligner qu'il s'agit pour beaucoup du travail d'une vie. Orynx est le 1er album de voix solo de J-M Van Schouwburg. https://orynx.bandcamp.com
29 septembre 2021
21 septembre 2021
Roger Turner - Percussionnist - Reviews with Urs Lemgruber - Lol Coxhill - Michel Doneda - John Russell - Witold Olezsak - Phil Wachsmann - Pat Thomas - Isabelle Duthoit - Alex Frangenheim - Martin Klapper - Axel Dörner - Dom Lash - Eugenio Sanna - Edoardo Ricci - Birgit Uhler - Günter Christmann
Dance Steps Sergio Armaroli & Roger Turner Leo Records CD LR 899.
http://www.leorecords.com/?m=select&id=CD_LR_899
photography by Bruce Milpied.
Sergio Armaroli est un bien intéressant vibraphoniste « free » que nous avons découvert aux côtés d’Andrea Centazzo, Giancarlo Schiaffini, Harri Sjöström et Fritz Hauser. C’est avec ces deux derniers qu’il nous a livré ces deux meilleurs opus : Duos and Trios avec le saxophoniste soprano Harri Sjöström et le tromboniste Giancarlo Schiaffini sur deux morceaux et Angelica avec le percussionniste suisse Fritz Hauser, tous deux pour Leo Records, label auquel il semble abonné. Orbits avec Centazzo, Schiaffini et Sjöström et réalisé pour Ictus avait été préfacé par Evan Parker. Et voici maintenant des Dance Steps publiés à nouveau par Leo en compagnie du percussionniste Roger Turner, un des grands originaux de la percussion improvisée qui défie souvent les pronostics. Dialogues détaillés, échappées dans l’imaginaire, extension – extrapolation de la pratique du swing cosmique, introspection consciente et spontanée de la gestuelle du batteriste, souvent à la limite du silence, frôlements des surfaces et étirements continuels de suggestions mélodiques dans le chef du vibraphoniste. Armaroli louvoie aux confins des gammes. Une dérive poétique, rêve éveillé, sollicitant des atavismes rythmiques inscrits au fond des neurones et dans la sensibilité des duettistes sans le moindre cliché - réflexe. La trajectoire de Roger Turner est une exception mal comprise qui se révèle aux côtés d'originaux insituables tel Sergio Armaroli
Witold Oleszak & Roger Turner Fragments of Part Freeform Association cd FFA651
Voici le deuxième acte enregistré du tandem piano – percussion de Witold Oleszak et Roger Turner. Pas moins de 16 morceaux dont neuf autour des deux minutes et quelques-uns de 4 ou 5 minutes. Echanges vifs, explorations du cadre, piano préparé, sens en éveil, espaces ajourés, poésie du son, … Roger Turner est sans doute un improvisateur relativement insituable qui peut se révéler aussi intimiste et secret avec Phil Minton qu’explosif et ultra-polyrythmique avec Hannes Bauer et Alan Silva… Avec le pianiste Witold Oleszak, il vise la pertinence du propos soulignant ou commentant les digressions du clavier via les mécanismes, le cadre et la résonance de la « caisse » ou en poursuivant les vagues des doigtés. La musique est concise, sèche, et elle va droit au but, cultivant l’essentiel d’une belle idée par morceau. C’est un beau témoignage d’improvisations qui respirent et se meuvent dans l’évidence sans en faire trop. Le piano imprime souvent les pulsations et le percussionniste a un malin plaisir à les contourner avec légèreté et subtilité. L’attention est captée la plupart du temps avec des arrêts sur image et une foultitude de détails qui stimulent l’écoute. Alors que nombre de ses collègues essayent de se commettre avec ceux qui comptent sur la scène (notoriété et visibilité), Roger Turner montre encore une fois qu’il a plaisir à jouer avec des amis rencontrés sur la route et qui comme lui ont la plus haute idée de la musique et de la scène improvisée radicale : prendre un réel plaisir avec un excellent partenaire avec qui la communication et l’échange est une manifestation de la vie et le langage du cœur en ne souciant guère du reste. Un excellent enregistrement. On doit aussi à ce label une somme fantastique du trio légendaire the Recedents (Lol Coxhill Mike Cooper Roger Turner) en cinq cédés : Wish you were here !!
Recent Croaks Martin Klapper – Roger Turner Acta Records 1997
ROT / ROH Ulli Boettcher – Martin Klapper NurNichtNur 2007
A dix ans d’intervalle, deux enregistrements révélateurs de l’art de la table recouverte d’une kyrielle d’instruments électroniques d’un autre temps et de jouets en compagnie de deux improvisateurs parmi ceux chez qui le don d’improviser confine à l’urgence immédiate et à une intuition infaillible. Le percussionniste vif-argent Roger Turner a trouvé chez l’objétiste tchèque Martin Klapper une capacité à répondre, anticiper, imaginer et détourner (à) toutes les associations de sons qui peuvent / doivent survenir. Cela dépasse les limites du dialogue, de l’interaction ou même de l’entendement dans les liens de causes à effets, soulignés par le contraste saisissant entre la fine sensibilité du percussionniste et l’aspect brut de décoffrage des bruitages de son acolyte. Recent Croaks est une rencontre aussi imagée et joyeusement ludique qu’elle requiert un sens très aigu de l’acte d’improviser basé sur une réflexion profonde et imaginative. Artiste visuel praguois impliqué dans le cinéma expérimental et danois d’adoption, Martin Klapper a sillonné les scènes nordiques et allemandes avec tout ce qui compte dans la scène improvisée active de base de Hambourg à Vienne et de Berlin à Amsterdam et Londres. Depuis le début des années nonante, il a croisé les Butcher, Chris Burn, Jeffrey Morgan, Birgit Uhler, Ulli Philipp, Roger Turner, Adam Bohman, Clive Graham, Ray Strid, etc... Contraint par l’urgence des situations, il a développé une capacité à se servir de ses objets amplifiés, gadgets électroniques, vieux tourne-disque, thérémine d’avant-guerre, dictaphone et cassettes pré-enregistrées avec un à propos ludique et une dynamique remarquable. Dans Recent Croaks, l’imagination de Roger Turner et sa frappe hyper-kinétique font des merveilles pour inventer les agrégats de sons qui semblent jaillir des bruitages de Martin Klapper. Celui-ci conserve un sang-froid admirable en contenant / contournant ce qui simule une activité débordante dans le chef du percussionniste virtuose. On rentre dans l’intimité de la complémentarité des contraires. Bon nombre de commentateurs sont obnubilés soit par l’hyper-virtuosité d’improvisateurs renommés (Evan Parker, Derek Bailey, Barry Guy ou Paul Lovens) ou la maîtrise de la concentration zen (Eddie Prévost, John Tilbury) et ne conçoivent pas qu’un virtuose brillant comme Roger Turner puisse faire sens avec un « non-musicien » devenu au fil des ans un solide artiste sonore. L’aspect humoristique « bandes dessinées » des inventions de Klapper ne doit pas occulter la conscience partagée de toutes les possibilités d’agencement spontané des sons au fil de leurs improvisations. Recent Croaks en est un véritable guide pratique. J’ajoute encore, qu’à Copenhagen, Martin Klapper dispose d’un arsenal effarant de jouets étalés sur deux tables de quatre mètres et qu’il ne peut pas transporter en voyage.
Autre percussionniste, passé celui-là dans le camp de l’électro-acoustique, Ulli Boettcher est un vétéran du collectif très pointu de Wiesbaden qui a fédéré bien des énergies autour de leur Humanoise Festival. Il a utilisé le système LISA mis au point par le STEIM d’Amterdam pour l’adapter à sa conception rythmico-pulsatoire du live-signal-processing. Cela consiste à transformer les sons d’un instrumentiste improvisateur en temps réels et pour celui-ci à dialoguer avec des éléments transformés de sa propre musique, parfois au-delà de l’imaginable. On l’a entendu en duo avec le tromboniste Paul Hubweber et leurs inventions méritaient mieux qu’une distribution confidentielle (Schnack ! NurNichtNur). Paul Hubweber est un improvisateur exceptionnel et un collaborateur de prédilection de Paul Lovens et John Edwards depuis plus de dix ans (PaPaJo). Le duo Boettcher/Hubweber est un sommet d’intégration interactive de tous les paramètres musicaux / sonores dans le cadre électro-acoustique live. L’exemple parfait de la symbiose la plus intelligente qui puisse exister dans ce domaine. C’est pourquoi, je pense, il faut écouter Rot/ Roh avec deux grilles de lectures. Les sons inventifs complètement fous de Klapper ont un côté potache évident qui amusera la galerie. Mais la construction de l’album, composé de 15 pièces distinctes, est munie de 59 ID qu’on peut utiliser en mode aléatoire en zappant d’un moment à un autre au gré de sa fantaisie. Il en résulte une cohésion dans le mariage des timbres et l'enchaînement des actions alors que la démarche semble aléatoire. Fort heureusement, Martin Klapper joue ici avec de nombreux jouets qui apportent une dynamique différente. La musique de son partenaire est réalisée en temps réel en captant et transformant les échantillons des sons de l’objétiste danois. Le duo atteint un degré de sophistication inouï dans les échanges / emprunts qui rend cette rencontre d’un type nouveau naturellement spontanée. Le sens du timing du tandem Martin Klapper – Ulli Boettcher est impressionnant. Mais qui joue quoi ? On s’en fiche ! Hautement recommandable.
Oleszak/ Turner Over the Title FreeForm Association Multi Kulti
Il y a un musicien dont la communauté improvisée peut être fier car il personnifie l'esprit éternellement insatisfait, investigateur, remise en question permanente et qu'il demeure toujours pertinent quelque soit le contexte : le percussionniste Roger Turner. En plus et visiblement, Roger n'est pas encombré par sa notoriété, il fait volontiers œuvre utile avec des artistes complètement inconnus partageant les aléas de la collaboration comme s'il était un novice. Sincère jusqu'au bout musicalement et esthétiquement. Et cet album en est un précieux témoignage. Vraiment pas gâté par les opportunités de la scène improvisée internationale à ses débuts, il s'est accroché avec l'énergie du désespoir pour survivre en ne faisant que cela : improvisation libre radicale en développant une approche personnelle et profondément originale, entre autres avec le vocaliste Phil Minton. Il faudrait quand même que les critiques qui s'extasient devant le phénomène vocal que constitue Phil Minton réalisent qu'il a un alter-ego instrumental percutant : Roger Turner, avec qui il partage une relation musicale féconde et irremplaçable depuis plus de trente années. Ces 39 minutes d'improvisation enregistrées en 2010 en Pologne avec le pianiste ("d'intérieur") Witold Oleszak confirment cette réputation et surprennent par la qualité de la dynamique du percussionniste dont les sons n'encombrent jamais l'espace autour des cordages pincés et frottés du piano. Voilà le genre d'album qu'on recommande volontiers pour répondre à la question "musique improvisée libre c'est quoi ?". En tout point remarquable. Que dire de plus sinon, écouter et y prendre du plaisir.
The Spirit Guide : Urs Leimgruber & Roger Turner Creative Works.
On tient là une belle série de duos tout frais enregistrés en 2015 ou 2016 et impliquant un instrument à vent ou deux (Lazro - McPhee). Des enregistrements bien souvent assez courts car ils expriment un moment dans un lieu (ou plusieurs) lieux face à un public, découvreur, enthousiaste ou attentif. Et de ces conditions de jeu naissent une ambiance, une couleur sonore, une concentration, une manifestation vitale. Urs Leimgruber et Roger Turner (sax soprano et ténor & percussions) ont trouvé un terrain d’entente et de complicités dans le détail, les signes, les timbres. Urs tirebouchonne la colonne d’air vocalisant les harmoniques avec une précision rare. On songe au travail de Lol Coxhill durant les dernières années sans qu’il n’y ait bien sûr le moindre emprunt à son aîné. Roger cherche, invente, tintinnabule et puis s’oublie évoquant la stature et la manière d’un Milford Graves transcendé… Urs triture le ténor comme personne … Les deux duettistes travaillent en duo depuis plusieurs années et on ne peut trouver comparses aussi bien assortis. Après autant d’années recherches dans le son et l’improvisation totale, Roger Turner & Urs Leimgruber gravent dans l’espace et le temps l’équivalent d’une fresque tracée pour l’éternité au fond d’un abîme il y a des millénaires par des humains illuminés et vierges de l’aliénation qui oppresse nos semblables. The Spirit Guide a été enregistré au Havre lors d’un beau concert de la très méritante organisation Pied Nu. Magique !
The Recedents wishing you were here : Lol Coxhill - Mike Cooper – Roger Turner Coffret 5 CD Free Form Association. Enregistrements de 1985, 1995, 2000, 2002, 2003 et 2008.
Les quatre premières plages du premier CD me sont familières, car non seulement j’étais présent lors du concert à Waterloo le 17 août 1985, mais qu’en plus … j’en fus l’organisateur. Le CD Emanem Waterloo 1985 d’Evan Parker, Paul Rutherford, Hans Schneider et Paul Lytton provient du même festival. Mike Cooper est un des trois explorateurs de base de la guitare « couchée » , traitée et manipulée avec des objets en tout genre, morceaux de verre ou de bois, vis, gommes, ressorts, boîtes, tiges métalliques, lames etc…. avant que cette pratique soit devenue une mode. Les deux autres sont Keith Rowe et Fred Frith qui ont tous deux joué et enregistré eux aussi avec Lol Coxhill, un incontournable du saxophone soprano, inimitable. Notre saxophoniste adoré disparu a en commun avec Cooper une pratique « alternative » du blues, proche du jazz libéré. Ils se sont croisés durant les années soixante. Roger Turner est un explorateur de la percussion libérée comme il y en a quatre ou cinq dans cette scène (Lovens, Stevens, Lytton, …). Le mélange improbable, parfois tangentiel ou explosif, de leurs trois pratiques et sensibilités différentes, si pas dissemblables, procure un état permanent d’anarchie et de surprise exploratoire et s’ajuste à l’écart de toute logique. Evacuons le définitionnisme et la mesure de toute chose vue sous la lorgnette du pseudo-rationnel… et amusons-nous ! The Recedents fut un groupe à nul autre pareil et pareil à rien d'autre et cette série d’enregistrements qui le prouve est complètement décoiffante. Les trouvailles sonores et accélérations de roulement tous azimuts de Roger Turner accrochent l’oreille et entraînent l’imagination dans un dédale volatile… Pendant qu’il ferraille avec un sens de la dynamique hors norme, Mike Cooper redéfinit la guitare sur table « amplifélectronoise ». C’est dans ce contexte que Lol Coxhill nous livrait son approche la plus sonique, la plus radicale… et puis tout à trac, un air caraïbe s’insinue… A la recherche des sons dans l’instant here and now… Au fil des ans, ce trio a peaufiné son approche en équilibre instable jusqu’au dernier concert … Mike Cooper et Roger Turner ont fait mettre en vente ce magnifique coffret avec un livret contenant des photos improbables, des anecdotes, des textes, des reproductions de coupures de presse et d’affiches qui nous replongent dans l’esprit de cette musique rebelle. Le producteur : Vitold Oleszak un excellent pianiste improvisateur polonais qui a aussi enregistré un beau duo avec Roger Turner.
TIN : Axel Dörner/ Dominic Lash / Roger Turner Uncanny Valley confront ccs 73
https://www.confrontrecordings.com/tin-uncanny-valley
Le label Confront de Mark Wastell, lui-même improvisateur radical émérite, a encore frappé : une superbe et audacieuse collaboration entre deux pôles de l’improvisation libre dite « non-idiomatique ». Le percussionniste Roger Turner représente ce courant tel qu’il existe depuis les années septante tout en ayant évolué dans le raffinement sonore et tiré les conclusions de décennies de pratique. Depuis environ 45 ans, cet artiste a mûri et est devenu un incontournable de la percussion libérée. Le trompettiste Axel Dörner, au départ jazzman de haut-vol (cfr Monk’s Casino avec Alex Schlippenbach et Rudi Mahall où ces musiciens interprètent l’intégrale de la musique de Monk !), s’est imposé comme un des deux ou trois principaux chefs de file de la remise en question radicale des paramètres et de la pratique de cette improvisation libre « non-idiomatique » (quel pensum !) vers la césure de l’an 2000, sous la forme du « réductionnisme » minimaliste ou « New Silence » a/k/a « lower case ». Cette démarche a d’ailleurs été moquée par Roger Turner et le contrebassiste Dominic Lash ne s’en est pas porté plus mal, apparu quelques années plus tard avec le formidable Imaginary Trio avec Phil Wachsmann et Bruno Guastalla (Bead Records). Dominic fut d’ailleurs un élève du contrebassiste Simon H.Fell, lequel a introduit ces formes musicales minimalistes avec leurs deux plus fameux prosélytes, Mark Wastell et le harpiste gallois Rhodri Davies.
Anyway. Ce que je trouve formidable dans cette Uncanny Valley, enregistrée par Simon Reynell du label another timbre, est que ces trois instrumentistes, réunis sous le nom de guerre "TIN " arrivent à marier leurs démarches respectives tout en restant fidèles à leur credo musical. Il en résulte une musique d’une grande richesse sonore, d’actions – réactions peu prévisibles, et d’une mise en évidence de leurs musicalités respectives, malgré les pronostics. Les règles inhérentes (et volatiles) à ce genre musical concernent plus la stratégie et la compréhension des tactiques individuelles intimes à mettre en œuvre dans le cadre instantané du collectif que d’ânonner des bréviaires et de gloser indéfiniment. Ici le contraste est complètement oblitéré par les sensibilités et le jeu intelligent et pointu des trois concertistes, les manies de l’un mettant en évidence celles de l’autre, trouvant des connivences fortuites, savantes, brutes ou instiguées. Assurément, un des meilleurs albums d’improvisation récents, par-delà des nombreux sub-genres déclinés dans l’univers de la free-music.
Almost even further 6 i x Jacques Demierre Okkyung Lee Thomas Lehn Urs Leimgruber Dorothea Schurch Roger Turner. Leo Records LR CD 644. (publié en décembre 2012)
Chacun de ses six artistes compte parmi ces musiciens exceptionnels sur les épaules de qui peut reposer en toute confiance les performances les plus risquées, parmi les plus inénarrables de la planète improvisation. Si la réputation de Jacques Demierre (piano), Urs Leimgruber (saxophone), Thomas Lehn (synthé analogique) et Roger Turner (percussion) n’est plus à faire, ceux qui, par exemple, écouteront Okkyung Lee improviser en solo au violoncelle, vont redécouvrir cet instrument sous un jour nouveau. Quant à Dorothea Schurch, c’est une vocaliste très prisée par ses collègues en Suisse et en Allemagne. Solistes réputés, ils sont aussi par conviction et avec la modestie la plus sincère, des partisans de l’aspect collectif de l’improvisation, celle où la voix individuelle sacrifie parfois sa singularité pour se mettre au service du tout. C’est dans cette voie difficile qu’ils nous convient avec almost even further, presqu’un peu plus loin. Presque, parce que la réussite n’est jamais totale, un musicien exigeant restant souvent insatisfait, même pour un détail. Un peu, car dans de tels groupes, le peu est aussi significatif et complexe que le nombre et la profusion. Plus loin, les limites existent pour être dépassées. 6 i x se transforme insensiblement en trio, quartet, quintet et sextet. Chaque improvisateur évolue à une vitesse différente souvent dans une réelle indépendance, créant des espaces pour autrui, intervervant au moment opportun, donnant un réel sens à des gestes simples et des sons singuliers qui se posent avec une belle évidence. Des contrastes, des presques rien appuyés, des murmures, des sons qui se meurent, tout concourt à créer un univers tactile et lisible de bout en bout. Aussi chacun excelle à interrompre ses interventions pour laisser ouvert l'espace sonore, transformé en chantier bruitiste naturel. Les quatre pièces enregistrées (26:36, 5:52, 18:32, 8:05) s’évanouissent sans que le temps se fasse sentir. On a l’impression que leur musique de chambre puisse revêtir les métamorphoses les plus variées, l’imagination et l’imaginaire individuels se nourrissent et se dilatent au contact les uns des autres. Exemplaire. Fascinant même.
The Pancake Tour Urs Leimgruber / Roger Turner duo Relative Pitch RPR 1007
Une telle association , du suisse Urs Leimgruber et du britannique Roger Turner, provient sans doute des nombreuses rencontres et retrouvailles au fil des concerts et festivals où ces deux artistes ont été amenés à s'apprécier mutuellement. Saxophoniste ténor et soprano ( UL) et percussionniste (RT), ils ont en commun un attachement au jazz qu'ils ont pratiqué très jeunes et, surtout, une auto-exigence musicale et esthétique, une forme de lucidité. Et cette exigence apparaît dès les premières secondes de "The Pancake" (12:12). Pas question d'étaler la technique virtuose et de débouler avec un paquet de notes et de sons. Une recherche méticuleuse des timbres, des souffles et des frappes, une mise en évidence de signes, de gestes, des corrélations de l'intention, plutôt. Quelques morceaux assez brefs (Art Jungle, At the Church Path et The Walking Bar) et un long déambulatoire improbable, Middle Walk (22:51) permettent soit de concentrer au plus court ou soit d'étirer les échanges à l'infini en racontant une histoire. Urs Leimgruber et Roger Turner évitent les lieux communs et pour qui connaît le saxophoniste via ces albums solos (# 13/ Leo), ce sera une belle surprise. Ses prises de bec dans la marge extrême de l'instrument expriment l'essentiel, des sons bruts, torturés ou même d'un lyrisme rare qui font la part belle à l'invention pure. Le percussionniste refuse les connexions évidentes et ne fait confiance qu'à son imagination subversive. Il gratte, frote, secoue, percute, déplace ses objets sur les peaux et les parties métalliques, frappes, résonances, collisions,. Une recherche simultanée de l'inouï et de l'évidence qui s'impose naturellement. L'exemple parfait de musiciens accomplis et reconnus, qui cherchent encore à se renouveler, à se mettre en question tout en faisant du sens. Si ces deux-là passent non loin de chez vous, n'hésitez pas un instant, allez les écouter et vous serez surpris, même par rapport à ce Pancake tour dont ils réinventent jour après jour la recette.
Berlin Kinesis WTTF Quartet Philipp Wachsmann Roger Turner Pat Thomas Alexander Frangenheim Creative Sources CS 313.
Pochette cartonnée, du neuf chez C.S. ! Un album fascinant suite au premier CD de ce quartet intrigant, Gateway 97 sur le même label et à plusieurs concerts en Allemagne et ailleurs durant lesquels ils ont gravé les huit pièces où il est question de More, Less, Front, Back et Little. Little : petit à petit, un peu plus, un peu moins, plus devant, moins derrière. Un calibrage permanent de la perspective, du portrait vivant glissant vers arrêt sur image ou s’évanouissant dans un perpétuel changement de registre. Je me suis fait souvent entendre dire, quelques années après l’enregistrement de Gateway 97 (en 1997), que ces musiciens jouaient au passé de l’actualité de l’improvisation radicale d’alors, new silence, réductionnisme et post AMM. J’ai même lu que cette musique venait du free jazz. Et bien, je ne connais pas d’équivalent dans la masse des enregistrements de l’improvisation libre, auquels j’ai eu accès, qui approche l’univers musical de ce groupe. Intégrant une multitude d’éléments sonores et musicaux dans une construction kaléidoscopique où à aucun instant on entend ce qu’il convient d’appeler « un solo » ou un enchaînement de phrases développant un discours individuel. La continuité est perpétuellement brisée. Ici chaque membre du WTTF ajoute ou soustrait une intervention subrepticement et chacune de leurs idées - interjections s’emboîte dans celles des autres avec cette capacité remarquable que chacun pense à s’arrêter de jouer quasiment à tout moment et à bon escient. Quand cela ressemble à une voix, cela ne dure jamais plus que dix ou quinze secondes. Une science de la retenue poussée très loin avec un parti pris ludique. Des jeux à tiroirs multiples sur une myriade de pulsations qui semblent déconnectées l’une de l’autre. Si Alexander Frangenheim et Philipp Wachsmann sont faits pour aller l’un avec l’autre, contrebasse et violon complices, Pat Thomas semble faire bande à part et alterne le clavier du piano et l’échantillonnage complexe. Roger Turner s’intercale avec un sens de l’épure et une légèreté qui fait dire qu’il ne joue sûrement pas de la batterie. Sa personnalité hyperkinétique commente en grattant et piquetant le sommet de ces instruments percussifs, cymbales et objets métalliques, frappes déclinées sur des peaux amorties au timbre changeant sous la pression des doigts. Le guitariste prodige Roger Smith qui tirait son extraordinaire science rythmique de la pratique des percussionnistes free parlait de sérialisme rythmique. Thomas et Wachsmann utilisent des sons électroniques par bribes projetées entre un pizz et un roulement. Lyrisme secret, spasmes décalés, pas d’élan démesuré ni d’emphase. Une science du mouvement.
Alizarin Phil Wachsmann Roger Turner Bead Recordssp CD10
Enregistré récemment suite à plusieurs rencontres successives, ce duo consacre la synthèse et l’aboutissement de la recherche improvisée radicale « libre » après une réflexion et une pratique de toute une vie, dédiée quasi – exclusivement à cette expression musicale dans la « tradition » londonienne… J’ai fait, il y a peu la chronique de Gateway 97, un quartet (WTTF pour Phil Wachsmann, Pat Thomas, Roger Turner et Alexander Frangenheim) dans le quel interviennent ces improvisateurs essentiels que sont Phil Wachsmann pour le violon et Roger Turner pour la percussion. J’étais ébloui par les éclairs d’imagination qui traversaient ce chef d’œuvre. C’est dans une autre direction que se développe la musique de ce beau duo, Alizarin, dont les titres font allusion aux couleurs vives du « trompe l’œil set » de Catherine Hope – Jones qui s’étend sur les surfaces de la pochette et du CD. Red introduction, bitter black, salt green, viridian black, on the edge of white… etc … On aimerait caractériser les improvisations minutieuses et relâchées qui défilent, mais le ton donné aux échanges et l’inspiration sereine nous obligent à écouter avec profondeur cette musique avant de nous mettre à penser à ce à quoi elle ressemble. Alizarin nous permet de suivre l’infini cheminement de la pensée et de la gestuelle précise et retenue de deux orfèvres de l’exploration improvisée. Plutôt dans les tracés hyperboliques et des dérapages peu prévisibles que dans « les matières ». Phil Wachsmann privilégie une qualité sonore « musique de chambre » et un sens mélodique évident même lorsque ses idées frisent l’abstraction. Roger Turner semble s’égarer sur les surfaces de ses peaux et métaux.
Le duo se concentre et développe des échanges dans un mode léger voire sautillant aux antipodes des décharges énergétiques auxquelles se livrent le batteur avec le tromboniste Hannes Bauer et le clavier électronique d’Alan Silva ou avec l’équipe abrasive de Konk Pack (Thomas Lehn, Tim Hodgkinson et RT). …. Le travail sur le son est corroboré par un sens de la forme évident. Une élégance rare et une écoute récompensée de bout en bout. Le violoniste s’écarte du virtuosisme pour affirmer une maestria vivifiante des intervalles incertains « post Schönberg – Cage » avec un sourire en coin bien British. Le percussionniste sollicite une variété de frappes, grattements, résonnances, piquetages, secousses etc… très étendue avec la plus grande légèreté. Un sens de l’épure elliptique partagé et une dynamique sonore relâchée est l’atout cœur de cette musique. Evitant les pétarades hyper-kinétiques de la free-music, auxquelles Wachsmann et Turner sont historiquement associés, elle trace un extraordinaire manifeste du ralenti. Comment s’exprimer en prenant son temps sans se presser. Une écoute à l’écart des chemins aujourd’hui balisés des ismes en tout genre.
Le label Bead a initié la documentation des improvisateurs radicaux londoniens un peu à la même époque qu’Incus (label de Derek Bailey et Evan Parker) durant les années septante et prolonge son existence en distillant de petites merveilles telles que cet Alizarin. Toujours à suivre même après quarante ans d’existence.
Light air still gets dark Isabelle Duthoit Alex Frangenheim Roger Turner Creative Sources CS 398CD
Du n° 340 (Spielä) à 398 (Light Air Still...), le label Creative Sources file à toute allure laissant de rares trésors sur le côté à l’insu de bien des cognoscenti. Ainsi cet « air léger qui (malgré tout) reste sombre » en hommage au tromboniste Hannes Bauer, disparu cette année et avec qui Roger Turner, le percussionniste de ce trio, a joué durant plus d’une vingtaine d’années en compagnie d’Alan Silva (In The Tradition / In Situ). La chanteuse et clarinettiste Isabelle Duthoit avait elle-même initié un autre trio avec Hannes Bauer et Luc Ex un peu avant qu’Hannes nous quitte prématurément. Compagnon régulier de Roger Turner au sein de plusieurs projets, le très fin contrebassiste Alex Frangenheim complète l’équipée. Et quelle équipée !! On ne compte plus les collaborations hallucinantes qui lient cet extraordinaire percussionniste aux personnalités les plus marquantes de la free music tels Phil Minton, Hannes Bauer, Lol Coxhill, John Russell, Phil Wachsmann, Pat Thomas, Birgit Ulher, Urs Leimgruber etc.. pour en écrire l’histoire la plus vive. Voici maintenant que notre grand poète de la percussion improvisée poursuit l’aventure avec une vocaliste de l’impossible, la vestale du cri primal, la prêtresse du gosier libéré : Isabelle Duthoit ! En s’alliant les services d’un inventeur de sons à la contrebasse, animé d’une écoute et d’un sens de la répartie peu communs, Alex Frangenheim, le percussionniste trouve un partenaire qui se situe à jeu égal avec lui. Ces deux-là ne se contentent pas de variations d’un discours instrumental « créatif », mais s’efforcent d’inventer et de rechercher des sons rares, des idées folles, des voies extrêmes avec une expressivité et une subtilité inouïes, si on compare avec pas mal d’autres improvisateurs de même calibre … nettement plus formatés. L’indépendance totale et la complémentarité intuitive. Ce faisant, les deux instrumentistes laissent le champ libre à la vocaliste pour explorer la face la plus cachée de la voix humaine. Ce qu’Isabelle fait est indescriptible. La variation infinie des affects du cri, du spasme, de la glottisation du sifflement, du râle, le délire surréel à côté duquel la supposée poésie sonore semble platement à un effet théâtral. Il y a une émotion indicible, le voile de la souffrance, le désespoir de la raison… A la clarinette, elle torture la colonne d’air et évoque les extrémités auxquelles elle soumet son organe vocal. Ces deux compagnons traduisent cette furieuse inventivité en inventant sans relâche des parties instrumentales requérantes modifiant en permanence les paramètres sonores, les timbres, les pulsations dans un flux vibrant qui attire et stimule l’écoute. C’est un enregistrement intense, inouï, un produit parmi les plus authentiques de l’improvisation libre, une démarche musicale qui, après plus de quarante ans d’évolutions, n’a pas fini de nous étonner. Il y a d’ailleurs un parallèle indubitable à faire au niveau de la qualité entre Light air still gets dark et le CD Spielä de PaPaJo (Hubweber/Lovens/Edwards) que je viens de chroniquer ici plus haut. A tomber des nues, une fois pour toutes !!
Gateway ’97 WTTF Phil Wachsmann Pat Thomas Roger Turner Alexander Frangenheim Creative Sources.
Publié récemment par Creative Sources, Gateway ’97 est une session inédite et miraculeuse d’ « improvisation libre » enregistrée au studio Gateway (Evan Parker et cie) à l’époque ou des labels de CD’s comme Emanem ou Incus prenaient leur envol. Je trouve bien dommage que personne n’ait publié cet album car, voyez-vous, il y a la musique improvisée qui se « ressemble » et celle qui se distingue par sa singularité. Ici une manière de jouer ensemble qui remet en question les habitudes et évite l’ennui, les réflexes et le flux systématique non-stop. Entre autres, chaque instrumentiste joue systématiquement avec les silences et intervient subitement au moment très précis où son partenaire s’arrête. La musique s’enchâsse avec un découpage de séquences ultra-courtes contrastant avec les intentions de chacun ou les prolongeant. Sur quasiment tous les morceaux, on les entend très rarement à quatre en même temps, tant ils parviennent à coordonner leur virevolte d’interjections en interactivité. Etonnamment ludique et difficilement descriptible. Pat Thomas jongle avec une batterie improbable d’échantillons sonores ou s’affaire au piano, Wachsmann épure le propos avec des effets électroniques rares et une quintessence mélodique épurée et Roger Turner distille des raclements métalliques dans le registre aigu de son appareillage percussif. Un peu à l’écart, l’archet rêveur du contrebassiste Alex Frangenheim s’échappe un instant dans une distance recueillie. Wachsmann et Pat Thomas ont participé au Tony Oxley Quartet (BIMP Quartet Floating Phantoms a/l/l 001) lequel a aussi compté Derek Bailey (Incus cd et Jazz Werkstatt). Wachsmann a été longtemps associé à Oxley et Barry Guy dans les années septante et quatre-vingt, bien qu’il n’en reste que deux témoignages enregistrés(the Glider and the Grinder /Bead et February Papers /Incus 18). Gateway 97 est le summum de cette saga et fait oublier largement les albums précités et la monotonie de trop nombreuses publications de ces quinze dernières années. Dynamique, extrême variété sonore, qualité de l’écoute mutuelle, sens collectif, imagination, fantaisie : cet album récolte un 10 sur 10 tout azimut. L’improvisation libre fantasmée devenue réalité !!
Je répète encore : c’est très dommage que cet album n’ait pas été publié à l’époque car la musique est aussi originale qu’optimale.
The Cigar That Talks Doneda Russell Turner Collection PiedNu
Michel Doneda est un des artistes majeurs de la scène d’improvisation radicale à avoir remis en question l’utilisation de modes de jeux qui datent parfois de l’époque où ses deux partenaires de cet album admirable se sont rencontrés au début des années 70. Il a trouvé ici avec le guitariste John Russell et le percussionniste Roger Turner deux complices aux ressources insoupçonnées. Ces deux britanniques n’ont aucune idée préconçue où peut les emmener l’improvisation. J’avais souligné les qualités de cet enregistrement publié par Bab Ili Lef : « Une Chance Pour L’Ombre » et qui rassemblait Doneda, Tetsu Saitoh, Kazue Sawaï, Kazuo Imai et Lê Quan Ninh. On retrouve ici cette ouverture, cette dimension profondément naturelle et organique. Ce dernier mot est souvent galvaudé, mais connaissant la profonde sincérité des trois protagonistes, c’est une véritable plongée dans la nature la plus vivante des sons en liberté qui nous envahit en douceur. Points de guitarismes, de percussionnismes ou de saxophonismes ici ! Mais des nuances dans une approche intelligente de la simplicité. Surtout, une profonde recherche partagée pour établir un univers sonore sensible souvent éloigné de l’idée qu’on pourrait se faire d’un tel trio pour qui connaît ces trois personnalités. Tous Toux (plage 4) rétablit cette image, mais avec toutes les qualités développées précédemment (pour autant que l’ordre des plages respecte celui des pièces enregistrées au studio Honolulu). Eyes on Uncle, la cinquième et dernière plage, débute par une séquence qui évoque un Topography of the Lungs miniature particulièrement enlevé et complètement réactualisé. Cela s’égare ensuite dans un univers onirique qui bonifie les acquits des échanges précédents. Les trois compères ont développé un grand choix d’options. L’écoute en est complètement stimulée. Un cédé remarquable et d’un groupe à recommander chaudement. Bravo à Piednu ! Le titre fumant est dû à Roger Turner.
Edoardo Ricci Eugenio Sanna Roger Turner I Signali della Ritratta Burp Publications MHMusic MHM7 1999
Parmi tous les albums de Roger Turner, il y en a un que les amateurs d'émotions fortes et d'improvisation radicale échevelée feraient bien de dénicher. Un enregistrement live de 1999 à Pise avec deux des pointures locales de l'improvisation : le guitariste Eugenio Sanna et le saxophoniste alto, clarinettiste basse et, ici, cornettiste Edoardo Ricci. À l'instar de Roger Turner, Edoardo Ricci est une bâte de scène délirante et un sérieux client niveau instrument. Vous ajoutez à ça les pratiques sonores bruitistes et décapantes d'Eugenio Sanna à la guitare électrique avec objets et plaques de métal entre les cordes, et vous avez affaire à une sauvage rencontre du troisième type. Roger est un percussionniste pointu et sophistiqué idéal pour des improvisateurs appliqués et plus introspectifs comme Urs Leimgruber, John Russell ou Phil Wachsmann ou encore Phil Minton qui s'il a l'air fou, ne se commet pas dans des folies expressionnistes. Non seulement, Roger aime prendre son pied avec des musiciens "locaux" peu connus, il considère cela comme étant aussi excitant que ses partenaires habituels avec qui il essaye de faire des tournées. En plus, il se prête joyeusement à tous les excès, délires et outrances "expressionnistes" et scéniques et cela sans jamais perdre de vue sa "raison sociale" de chercher des sonorités rares, des actions intrépides, des rafales de coups épars et contrastés, frottements singuliers, micro roulements hystériques, aterrissages catastrophes. Edoardo Ricci n'est pas en reste articulant sons vocalisés et couinements frénétiques, usant vicieusement du microphone. Eugenio Sanna développe une panoplie de sons électriques les moins usités avec glissandi dangereux, harmoniques, crissements, harmonies dingues, intervalles disjoints, travaillant sa pédale de volume comme un forcené. Plus "non-idiomatique" que Bailey lui-même car il adore les bruits purs, l'électricité rebelle, etc... et évite de s'enfermer dans un "style". Il crée un contrepoint, contraste, univers sonore aussi distant que complémentaire. Une coordinations de gestes, sons affolants, accents imprévisibles, trouvailles sonores, rafales à tout berzingue, moments d'humour, instants introspectifs - exploratoires et fracas qui laissent l'auditeur pantois. Bailey/ Bennink / Parker se sont rendus incontournables avec l'album mythique Topography of the Lungs (Incus 1 - 1970). Cette équipe Pisane entonnent I Signali della Ritrata et après ça, on n'a qu'à plus se tailler, car plus dingue que ça, tu meurs ! Sperrgut Birgit Uhler / Damon Smith/ Martin Blume Balance Point Acoustics BPA 009
Umlaut trio PUT ( Birgit Uhler Ulrich Philipp Roger Turner) NurNichtNur.
Label californien du contrebassiste Damon Smith, BPA relate ses aventures sonores avec des improvisateurs européens tels Tony Bevan (un des rares saxophonistes basse de la planète improvisation), Wolfgang Fuchs, Joëlle Léandre, Phil Wachsmann, Martin Blume, etc.. et ses potes états-uniens, comme l’excellent percussionniste Jerome Bryerton ou la chanteuse Aurora Josephson. Three October Meetings avec Wolfgang Fuchs est à cet égard un enregistrement à recommander. Faisant suite à l’exceptionnel trio PUT de Birgit Uhler avec Roger Turner et le contrebassiste Ulrich Phillipp (Umlaut Nurnichtnur), sperrgut est une rencontre vive du tandem Damon Smith et Martin Blume avec LA trompettiste de la scène improvisée européenne. Cet enregistrement d’un concert de 2004 nous laisse entendre le moindre détail du jeu des improvisateurs. Birgit Uhler favorise les morceaux courts et concentrés, comme dans ce Umlaut et son duo avec la chanteuse Ute Wassermann (Kuntstoff – Creative Sources). Curieusement, chaque morceau est titré par des mesures de volume comme s’il s’agissait de mesures de cadres pour chaque tableau sonique. Côté pochette comme toujours avec notre trompettiste de Hambourg, nous avons droit à un élégant gribouillage sur polaroïd. Je recommande ce cédé car il est sans doute son album le plus accessible et un des meilleurs qu’elle ait produit. Martin Blume est excellent dans l’art du dialogue et sa frappe caractéristique est particulièrement variée. Elle est immédiatement reconnaissable par sa qualité boisée et son jeu très fin sur les cymbales et accessoires métalliques. Damon Smith est un contrebassiste sensible et inspiré qui laisse vibrer l’instrument de manière particulièrement adéquate pour un tel trio. Les deux hommes laissent le champ sonore complètement ouvert aux introspections de la trompettiste et aux infinies nuances de son jeu. J’avais déjà chroniqué très positivement les albums de BU pour Creative Sources. Parmi eux, Scatter est un remarquable et audacieux solo de trompette. Sperrgut est donc un disque excellent (super gut !), mais rien là ne nous prépare à la claque magistrale reçue à l’écoute de Umlaut par le trio PUT, mentionné plus haut. (Umlaut / 2000 - Nurnichtnur 1000425). On sait qu’une partie des improvisateurs allumés engagés actuellement dans un renouvellement de l’improvisation libre par des voies plus minimalistes tient ce « style » de musique improvisée pour dépassé ou daté, comme pouvait nous sembler le devenir le « free jazz » à l’époque nous nous essayions à devenir « non-idiomatiques » (!). On pourrait mettre beaucoup au défi de jouer avec autant de précision. C’est absolument renversant. On a là le meilleur de Roger Turner et Ulrich Philipp démontre qu’il est un contrebassiste beaucoup trop sous-estimé. Son feeling à l’archet est absolument unique. Il vaut parfois mieux faire un retour en arrière de quelques années pour découvrir un joyau passé inaperçu que de se précipiter sur les nouveautés recensées par le site de Peter Stubley. Une musique collective avec absence d’ego et une invention surprenante. J’adore car il y a une qualité unique dans cette musique que vous ne trouverez que dans ce disque. Jimmy Giuffre enregistra en juin 55, un album génial : « Tangents in Jazz ». Ici, on a affaire à « Tangents in Free Improvisation ». A découvrir absolument.
-Vario 41 Boris Baltschun John Butcher Gunther Christmann Michael Griener edition explico 14 (2004 cdr à120 copies)
-Vario 44 John Butcher Gunther Christmann Thomas Lehn John Russell Dorothea Schürch Roger Turner edition explico 15 ( 2006 cdr à 250 copies)
-In Time Gunther Christmann Alberto Braida edition explico 16 (2010 cdr à 120 copies)
Il fut un temps très éloigné où Gunther Christmann était un improvisateur libre aussi bien documenté en disques que ne l’étaient Derek Bailey et Evan Parker et ses disques étaient relativement bien distribués dans le réseau Incus- FMP-Moers-ICP-Futura etc…. Chef de file de l’improvisation radicale sur le continent, le tromboniste - contrebassiste, et puis violoncelliste, avait publié pas moins de quatre albums avec son compère Detlev Schönenberg (un percussionniste mémorable qui a définitivement abandonné la scène il y a trente ans) pour FMP et Ring Records. Lorsque Ring se transforma en Moers Music, le label n’eut pas moins de quatre vinyles de Christmann à son catalogue. Tous ces documents sont aujourd’hui indisponibles sur le marché. Les copies qu’on trouve en « occasion » ou en « collectors » restent à un prix relativement accessible car le patronyme de cet improvisateur essentiel ne fait pas l’objet du snobisme des acheteurs branchés de raretés, lesquels sont souvent/parfois plus fétichistes que mélomanes, si j’en crois les résultats du site collectorsfrenzy. Quant à la production de Gunther Christmann de ces vingt dernières années et de son projet Vario, elle échappe au radar des labels qui furent, il n’y a guère, bien distribués (Emanem, Incus, FMP, Intakt, Victo, Potlatch). Sur la foi de la participation de Paul Lovens et Mats Gustafsson, FMP - repris en main par Jost Gebers – a bien édité un superbe trio enregistré à l’époque où le souffleur nordique commençait à défrayer la chronique, mais je pense qu’il a dû passer inaperçu. Le tromboniste de Langenhagen, qu’on entend aujourd’hui jamais bien loin d’Hambourg ou d’Hanovre, confie l’essentiel de sa production à sa modeste edition explico, sous forme de CDr publiés dans leur boîtier d’origine sur le quel est collé une plaque de bois ou avec une épreuve photographique originale, Christmann étant aussi un artiste graphique pour le besoin de la cause. Ainsi le morceau de bois rectangulaire de Vario 44 a le titre tamponné trois fois à l’encre rouge en tête bêche, transformant ainsi le CDR (excellente qualité sonore) en pièce de collection / œuvre d’art qu’il vend exclusivement à un prix supérieur au CD sans même en livrer des copies aux critiques ou à ses copains et même, je parie, à ses collègues les plus chers. C’est pourquoi on n’a peu d’échos de sa production même si Vario 34-2 , sorti en en 1999 chez Concepts of Doing, rassemblait Paul Lovens, Mats Gustafsson, Christmann lui-même, Thomas Lehn, Frangenheim et le guitariste suédois Christian Munthe, alors complice habituel de Mats G et compte parmi les meilleurs exemples d’improvisation collective qui sublime les marottes individuelles des participants pour surprendre et raviver nos sens. Vario est donc un ensemble à géométrie variable, fondé en 1979 et, sans doute, l’alternative la plus réussie aux Company de Derek Bailey. Depuis 1976 et son album solo publié par C/S, Gunther Christmann a initié le sens de l’épure bien avant tout le monde. Savoir exprimer un enchaînement d’idées complexes en moins de deux minutes.
Ici, le grand art est au tournant, spécialement, cette conversation à six de Vario 44 où la profusion des voix individuelles et des paramètres possibles revête une exemplaire dimension constructive et interactive. Vous entendrez très rarement des improvisateurs (très) réputés adopter ces modes de jeux qui permettent à plus de trois ou quatre musiciens de se faire entendre et développer la musique collective aussi bien qu’en trio. Comme souvent chez Christmann, on a droit à la déclinaison de l’ensemble dans toutes les formules à raison de 20 morceaux. Souvent les « connaisseurs » se réfèrent à des noms d’artistes réputés, ici John Butcher, Thomas Lehn, John Russell, Roger Turner, pour porter une évaluation a priori du groupe… Vous pouvez oublier cette façon de voir les choses ici. Si, par exemple, un Derek Bailey avait dû se joindre à Vario 44, cela aurait été à contremploi. Par contre, un Phil Minton aurait été tout indiqué. Dorothea Schurch s’intègre d’ailleurs parfaitement en ajoutant une touche poétique. Joëlle Léandre insiste toujours pour que dans de tels groupes (sextet , septet), on organise le déroulement du concert de manière à tirer parti du potentiel en duos, trios , quintet avec un sens de la forme et une logique. Les auditeurs ne sont pas là pour s’emmerder. Rompu à ces exercices et grâce à l’exigence de Christmann, les musiciens parviennent à marier l’équilibre instable de l’improvisation avec un sens de la forme exceptionnel et les outrances sonores radicales.
Cette session de 2006 fut aussi l’occasion pour John Russell et Roger Turner de renouer avec leur camarade et d’apporter leur grain de sel éminemment british dans cette super-session. Édité à 250 copies, il en reste encore : edition.explico.music.art@web.de . Quant au duo du pianiste Alberto Braida avec Christmann, sa fraîcheur et l’esprit de recherche qui les anime fait qu’on réécoute volontiers leur In Time. J’ajoute encore qu’Edition Explico avait publié un superbe témoignage de la rencontre de G.C. avec Phil Minton, For Friends and Neighbours. Cet opus rend Edition Explico incontournable…. . Il vaut mieux tard que jamais …
http://www.leorecords.com/?m=select&id=CD_LR_899
photography by Bruce Milpied.
Sergio Armaroli est un bien intéressant vibraphoniste « free » que nous avons découvert aux côtés d’Andrea Centazzo, Giancarlo Schiaffini, Harri Sjöström et Fritz Hauser. C’est avec ces deux derniers qu’il nous a livré ces deux meilleurs opus : Duos and Trios avec le saxophoniste soprano Harri Sjöström et le tromboniste Giancarlo Schiaffini sur deux morceaux et Angelica avec le percussionniste suisse Fritz Hauser, tous deux pour Leo Records, label auquel il semble abonné. Orbits avec Centazzo, Schiaffini et Sjöström et réalisé pour Ictus avait été préfacé par Evan Parker. Et voici maintenant des Dance Steps publiés à nouveau par Leo en compagnie du percussionniste Roger Turner, un des grands originaux de la percussion improvisée qui défie souvent les pronostics. Dialogues détaillés, échappées dans l’imaginaire, extension – extrapolation de la pratique du swing cosmique, introspection consciente et spontanée de la gestuelle du batteriste, souvent à la limite du silence, frôlements des surfaces et étirements continuels de suggestions mélodiques dans le chef du vibraphoniste. Armaroli louvoie aux confins des gammes. Une dérive poétique, rêve éveillé, sollicitant des atavismes rythmiques inscrits au fond des neurones et dans la sensibilité des duettistes sans le moindre cliché - réflexe. La trajectoire de Roger Turner est une exception mal comprise qui se révèle aux côtés d'originaux insituables tel Sergio Armaroli
Witold Oleszak & Roger Turner Fragments of Part Freeform Association cd FFA651
Voici le deuxième acte enregistré du tandem piano – percussion de Witold Oleszak et Roger Turner. Pas moins de 16 morceaux dont neuf autour des deux minutes et quelques-uns de 4 ou 5 minutes. Echanges vifs, explorations du cadre, piano préparé, sens en éveil, espaces ajourés, poésie du son, … Roger Turner est sans doute un improvisateur relativement insituable qui peut se révéler aussi intimiste et secret avec Phil Minton qu’explosif et ultra-polyrythmique avec Hannes Bauer et Alan Silva… Avec le pianiste Witold Oleszak, il vise la pertinence du propos soulignant ou commentant les digressions du clavier via les mécanismes, le cadre et la résonance de la « caisse » ou en poursuivant les vagues des doigtés. La musique est concise, sèche, et elle va droit au but, cultivant l’essentiel d’une belle idée par morceau. C’est un beau témoignage d’improvisations qui respirent et se meuvent dans l’évidence sans en faire trop. Le piano imprime souvent les pulsations et le percussionniste a un malin plaisir à les contourner avec légèreté et subtilité. L’attention est captée la plupart du temps avec des arrêts sur image et une foultitude de détails qui stimulent l’écoute. Alors que nombre de ses collègues essayent de se commettre avec ceux qui comptent sur la scène (notoriété et visibilité), Roger Turner montre encore une fois qu’il a plaisir à jouer avec des amis rencontrés sur la route et qui comme lui ont la plus haute idée de la musique et de la scène improvisée radicale : prendre un réel plaisir avec un excellent partenaire avec qui la communication et l’échange est une manifestation de la vie et le langage du cœur en ne souciant guère du reste. Un excellent enregistrement. On doit aussi à ce label une somme fantastique du trio légendaire the Recedents (Lol Coxhill Mike Cooper Roger Turner) en cinq cédés : Wish you were here !!
Recent Croaks Martin Klapper – Roger Turner Acta Records 1997
ROT / ROH Ulli Boettcher – Martin Klapper NurNichtNur 2007
A dix ans d’intervalle, deux enregistrements révélateurs de l’art de la table recouverte d’une kyrielle d’instruments électroniques d’un autre temps et de jouets en compagnie de deux improvisateurs parmi ceux chez qui le don d’improviser confine à l’urgence immédiate et à une intuition infaillible. Le percussionniste vif-argent Roger Turner a trouvé chez l’objétiste tchèque Martin Klapper une capacité à répondre, anticiper, imaginer et détourner (à) toutes les associations de sons qui peuvent / doivent survenir. Cela dépasse les limites du dialogue, de l’interaction ou même de l’entendement dans les liens de causes à effets, soulignés par le contraste saisissant entre la fine sensibilité du percussionniste et l’aspect brut de décoffrage des bruitages de son acolyte. Recent Croaks est une rencontre aussi imagée et joyeusement ludique qu’elle requiert un sens très aigu de l’acte d’improviser basé sur une réflexion profonde et imaginative. Artiste visuel praguois impliqué dans le cinéma expérimental et danois d’adoption, Martin Klapper a sillonné les scènes nordiques et allemandes avec tout ce qui compte dans la scène improvisée active de base de Hambourg à Vienne et de Berlin à Amsterdam et Londres. Depuis le début des années nonante, il a croisé les Butcher, Chris Burn, Jeffrey Morgan, Birgit Uhler, Ulli Philipp, Roger Turner, Adam Bohman, Clive Graham, Ray Strid, etc... Contraint par l’urgence des situations, il a développé une capacité à se servir de ses objets amplifiés, gadgets électroniques, vieux tourne-disque, thérémine d’avant-guerre, dictaphone et cassettes pré-enregistrées avec un à propos ludique et une dynamique remarquable. Dans Recent Croaks, l’imagination de Roger Turner et sa frappe hyper-kinétique font des merveilles pour inventer les agrégats de sons qui semblent jaillir des bruitages de Martin Klapper. Celui-ci conserve un sang-froid admirable en contenant / contournant ce qui simule une activité débordante dans le chef du percussionniste virtuose. On rentre dans l’intimité de la complémentarité des contraires. Bon nombre de commentateurs sont obnubilés soit par l’hyper-virtuosité d’improvisateurs renommés (Evan Parker, Derek Bailey, Barry Guy ou Paul Lovens) ou la maîtrise de la concentration zen (Eddie Prévost, John Tilbury) et ne conçoivent pas qu’un virtuose brillant comme Roger Turner puisse faire sens avec un « non-musicien » devenu au fil des ans un solide artiste sonore. L’aspect humoristique « bandes dessinées » des inventions de Klapper ne doit pas occulter la conscience partagée de toutes les possibilités d’agencement spontané des sons au fil de leurs improvisations. Recent Croaks en est un véritable guide pratique. J’ajoute encore, qu’à Copenhagen, Martin Klapper dispose d’un arsenal effarant de jouets étalés sur deux tables de quatre mètres et qu’il ne peut pas transporter en voyage.
Autre percussionniste, passé celui-là dans le camp de l’électro-acoustique, Ulli Boettcher est un vétéran du collectif très pointu de Wiesbaden qui a fédéré bien des énergies autour de leur Humanoise Festival. Il a utilisé le système LISA mis au point par le STEIM d’Amterdam pour l’adapter à sa conception rythmico-pulsatoire du live-signal-processing. Cela consiste à transformer les sons d’un instrumentiste improvisateur en temps réels et pour celui-ci à dialoguer avec des éléments transformés de sa propre musique, parfois au-delà de l’imaginable. On l’a entendu en duo avec le tromboniste Paul Hubweber et leurs inventions méritaient mieux qu’une distribution confidentielle (Schnack ! NurNichtNur). Paul Hubweber est un improvisateur exceptionnel et un collaborateur de prédilection de Paul Lovens et John Edwards depuis plus de dix ans (PaPaJo). Le duo Boettcher/Hubweber est un sommet d’intégration interactive de tous les paramètres musicaux / sonores dans le cadre électro-acoustique live. L’exemple parfait de la symbiose la plus intelligente qui puisse exister dans ce domaine. C’est pourquoi, je pense, il faut écouter Rot/ Roh avec deux grilles de lectures. Les sons inventifs complètement fous de Klapper ont un côté potache évident qui amusera la galerie. Mais la construction de l’album, composé de 15 pièces distinctes, est munie de 59 ID qu’on peut utiliser en mode aléatoire en zappant d’un moment à un autre au gré de sa fantaisie. Il en résulte une cohésion dans le mariage des timbres et l'enchaînement des actions alors que la démarche semble aléatoire. Fort heureusement, Martin Klapper joue ici avec de nombreux jouets qui apportent une dynamique différente. La musique de son partenaire est réalisée en temps réel en captant et transformant les échantillons des sons de l’objétiste danois. Le duo atteint un degré de sophistication inouï dans les échanges / emprunts qui rend cette rencontre d’un type nouveau naturellement spontanée. Le sens du timing du tandem Martin Klapper – Ulli Boettcher est impressionnant. Mais qui joue quoi ? On s’en fiche ! Hautement recommandable.
Oleszak/ Turner Over the Title FreeForm Association Multi Kulti
Il y a un musicien dont la communauté improvisée peut être fier car il personnifie l'esprit éternellement insatisfait, investigateur, remise en question permanente et qu'il demeure toujours pertinent quelque soit le contexte : le percussionniste Roger Turner. En plus et visiblement, Roger n'est pas encombré par sa notoriété, il fait volontiers œuvre utile avec des artistes complètement inconnus partageant les aléas de la collaboration comme s'il était un novice. Sincère jusqu'au bout musicalement et esthétiquement. Et cet album en est un précieux témoignage. Vraiment pas gâté par les opportunités de la scène improvisée internationale à ses débuts, il s'est accroché avec l'énergie du désespoir pour survivre en ne faisant que cela : improvisation libre radicale en développant une approche personnelle et profondément originale, entre autres avec le vocaliste Phil Minton. Il faudrait quand même que les critiques qui s'extasient devant le phénomène vocal que constitue Phil Minton réalisent qu'il a un alter-ego instrumental percutant : Roger Turner, avec qui il partage une relation musicale féconde et irremplaçable depuis plus de trente années. Ces 39 minutes d'improvisation enregistrées en 2010 en Pologne avec le pianiste ("d'intérieur") Witold Oleszak confirment cette réputation et surprennent par la qualité de la dynamique du percussionniste dont les sons n'encombrent jamais l'espace autour des cordages pincés et frottés du piano. Voilà le genre d'album qu'on recommande volontiers pour répondre à la question "musique improvisée libre c'est quoi ?". En tout point remarquable. Que dire de plus sinon, écouter et y prendre du plaisir.
The Spirit Guide : Urs Leimgruber & Roger Turner Creative Works.
On tient là une belle série de duos tout frais enregistrés en 2015 ou 2016 et impliquant un instrument à vent ou deux (Lazro - McPhee). Des enregistrements bien souvent assez courts car ils expriment un moment dans un lieu (ou plusieurs) lieux face à un public, découvreur, enthousiaste ou attentif. Et de ces conditions de jeu naissent une ambiance, une couleur sonore, une concentration, une manifestation vitale. Urs Leimgruber et Roger Turner (sax soprano et ténor & percussions) ont trouvé un terrain d’entente et de complicités dans le détail, les signes, les timbres. Urs tirebouchonne la colonne d’air vocalisant les harmoniques avec une précision rare. On songe au travail de Lol Coxhill durant les dernières années sans qu’il n’y ait bien sûr le moindre emprunt à son aîné. Roger cherche, invente, tintinnabule et puis s’oublie évoquant la stature et la manière d’un Milford Graves transcendé… Urs triture le ténor comme personne … Les deux duettistes travaillent en duo depuis plusieurs années et on ne peut trouver comparses aussi bien assortis. Après autant d’années recherches dans le son et l’improvisation totale, Roger Turner & Urs Leimgruber gravent dans l’espace et le temps l’équivalent d’une fresque tracée pour l’éternité au fond d’un abîme il y a des millénaires par des humains illuminés et vierges de l’aliénation qui oppresse nos semblables. The Spirit Guide a été enregistré au Havre lors d’un beau concert de la très méritante organisation Pied Nu. Magique !
The Recedents wishing you were here : Lol Coxhill - Mike Cooper – Roger Turner Coffret 5 CD Free Form Association. Enregistrements de 1985, 1995, 2000, 2002, 2003 et 2008.
Les quatre premières plages du premier CD me sont familières, car non seulement j’étais présent lors du concert à Waterloo le 17 août 1985, mais qu’en plus … j’en fus l’organisateur. Le CD Emanem Waterloo 1985 d’Evan Parker, Paul Rutherford, Hans Schneider et Paul Lytton provient du même festival. Mike Cooper est un des trois explorateurs de base de la guitare « couchée » , traitée et manipulée avec des objets en tout genre, morceaux de verre ou de bois, vis, gommes, ressorts, boîtes, tiges métalliques, lames etc…. avant que cette pratique soit devenue une mode. Les deux autres sont Keith Rowe et Fred Frith qui ont tous deux joué et enregistré eux aussi avec Lol Coxhill, un incontournable du saxophone soprano, inimitable. Notre saxophoniste adoré disparu a en commun avec Cooper une pratique « alternative » du blues, proche du jazz libéré. Ils se sont croisés durant les années soixante. Roger Turner est un explorateur de la percussion libérée comme il y en a quatre ou cinq dans cette scène (Lovens, Stevens, Lytton, …). Le mélange improbable, parfois tangentiel ou explosif, de leurs trois pratiques et sensibilités différentes, si pas dissemblables, procure un état permanent d’anarchie et de surprise exploratoire et s’ajuste à l’écart de toute logique. Evacuons le définitionnisme et la mesure de toute chose vue sous la lorgnette du pseudo-rationnel… et amusons-nous ! The Recedents fut un groupe à nul autre pareil et pareil à rien d'autre et cette série d’enregistrements qui le prouve est complètement décoiffante. Les trouvailles sonores et accélérations de roulement tous azimuts de Roger Turner accrochent l’oreille et entraînent l’imagination dans un dédale volatile… Pendant qu’il ferraille avec un sens de la dynamique hors norme, Mike Cooper redéfinit la guitare sur table « amplifélectronoise ». C’est dans ce contexte que Lol Coxhill nous livrait son approche la plus sonique, la plus radicale… et puis tout à trac, un air caraïbe s’insinue… A la recherche des sons dans l’instant here and now… Au fil des ans, ce trio a peaufiné son approche en équilibre instable jusqu’au dernier concert … Mike Cooper et Roger Turner ont fait mettre en vente ce magnifique coffret avec un livret contenant des photos improbables, des anecdotes, des textes, des reproductions de coupures de presse et d’affiches qui nous replongent dans l’esprit de cette musique rebelle. Le producteur : Vitold Oleszak un excellent pianiste improvisateur polonais qui a aussi enregistré un beau duo avec Roger Turner.
TIN : Axel Dörner/ Dominic Lash / Roger Turner Uncanny Valley confront ccs 73
https://www.confrontrecordings.com/tin-uncanny-valley
Le label Confront de Mark Wastell, lui-même improvisateur radical émérite, a encore frappé : une superbe et audacieuse collaboration entre deux pôles de l’improvisation libre dite « non-idiomatique ». Le percussionniste Roger Turner représente ce courant tel qu’il existe depuis les années septante tout en ayant évolué dans le raffinement sonore et tiré les conclusions de décennies de pratique. Depuis environ 45 ans, cet artiste a mûri et est devenu un incontournable de la percussion libérée. Le trompettiste Axel Dörner, au départ jazzman de haut-vol (cfr Monk’s Casino avec Alex Schlippenbach et Rudi Mahall où ces musiciens interprètent l’intégrale de la musique de Monk !), s’est imposé comme un des deux ou trois principaux chefs de file de la remise en question radicale des paramètres et de la pratique de cette improvisation libre « non-idiomatique » (quel pensum !) vers la césure de l’an 2000, sous la forme du « réductionnisme » minimaliste ou « New Silence » a/k/a « lower case ». Cette démarche a d’ailleurs été moquée par Roger Turner et le contrebassiste Dominic Lash ne s’en est pas porté plus mal, apparu quelques années plus tard avec le formidable Imaginary Trio avec Phil Wachsmann et Bruno Guastalla (Bead Records). Dominic fut d’ailleurs un élève du contrebassiste Simon H.Fell, lequel a introduit ces formes musicales minimalistes avec leurs deux plus fameux prosélytes, Mark Wastell et le harpiste gallois Rhodri Davies.
Anyway. Ce que je trouve formidable dans cette Uncanny Valley, enregistrée par Simon Reynell du label another timbre, est que ces trois instrumentistes, réunis sous le nom de guerre "TIN " arrivent à marier leurs démarches respectives tout en restant fidèles à leur credo musical. Il en résulte une musique d’une grande richesse sonore, d’actions – réactions peu prévisibles, et d’une mise en évidence de leurs musicalités respectives, malgré les pronostics. Les règles inhérentes (et volatiles) à ce genre musical concernent plus la stratégie et la compréhension des tactiques individuelles intimes à mettre en œuvre dans le cadre instantané du collectif que d’ânonner des bréviaires et de gloser indéfiniment. Ici le contraste est complètement oblitéré par les sensibilités et le jeu intelligent et pointu des trois concertistes, les manies de l’un mettant en évidence celles de l’autre, trouvant des connivences fortuites, savantes, brutes ou instiguées. Assurément, un des meilleurs albums d’improvisation récents, par-delà des nombreux sub-genres déclinés dans l’univers de la free-music.
Almost even further 6 i x Jacques Demierre Okkyung Lee Thomas Lehn Urs Leimgruber Dorothea Schurch Roger Turner. Leo Records LR CD 644. (publié en décembre 2012)
Chacun de ses six artistes compte parmi ces musiciens exceptionnels sur les épaules de qui peut reposer en toute confiance les performances les plus risquées, parmi les plus inénarrables de la planète improvisation. Si la réputation de Jacques Demierre (piano), Urs Leimgruber (saxophone), Thomas Lehn (synthé analogique) et Roger Turner (percussion) n’est plus à faire, ceux qui, par exemple, écouteront Okkyung Lee improviser en solo au violoncelle, vont redécouvrir cet instrument sous un jour nouveau. Quant à Dorothea Schurch, c’est une vocaliste très prisée par ses collègues en Suisse et en Allemagne. Solistes réputés, ils sont aussi par conviction et avec la modestie la plus sincère, des partisans de l’aspect collectif de l’improvisation, celle où la voix individuelle sacrifie parfois sa singularité pour se mettre au service du tout. C’est dans cette voie difficile qu’ils nous convient avec almost even further, presqu’un peu plus loin. Presque, parce que la réussite n’est jamais totale, un musicien exigeant restant souvent insatisfait, même pour un détail. Un peu, car dans de tels groupes, le peu est aussi significatif et complexe que le nombre et la profusion. Plus loin, les limites existent pour être dépassées. 6 i x se transforme insensiblement en trio, quartet, quintet et sextet. Chaque improvisateur évolue à une vitesse différente souvent dans une réelle indépendance, créant des espaces pour autrui, intervervant au moment opportun, donnant un réel sens à des gestes simples et des sons singuliers qui se posent avec une belle évidence. Des contrastes, des presques rien appuyés, des murmures, des sons qui se meurent, tout concourt à créer un univers tactile et lisible de bout en bout. Aussi chacun excelle à interrompre ses interventions pour laisser ouvert l'espace sonore, transformé en chantier bruitiste naturel. Les quatre pièces enregistrées (26:36, 5:52, 18:32, 8:05) s’évanouissent sans que le temps se fasse sentir. On a l’impression que leur musique de chambre puisse revêtir les métamorphoses les plus variées, l’imagination et l’imaginaire individuels se nourrissent et se dilatent au contact les uns des autres. Exemplaire. Fascinant même.
The Pancake Tour Urs Leimgruber / Roger Turner duo Relative Pitch RPR 1007
Une telle association , du suisse Urs Leimgruber et du britannique Roger Turner, provient sans doute des nombreuses rencontres et retrouvailles au fil des concerts et festivals où ces deux artistes ont été amenés à s'apprécier mutuellement. Saxophoniste ténor et soprano ( UL) et percussionniste (RT), ils ont en commun un attachement au jazz qu'ils ont pratiqué très jeunes et, surtout, une auto-exigence musicale et esthétique, une forme de lucidité. Et cette exigence apparaît dès les premières secondes de "The Pancake" (12:12). Pas question d'étaler la technique virtuose et de débouler avec un paquet de notes et de sons. Une recherche méticuleuse des timbres, des souffles et des frappes, une mise en évidence de signes, de gestes, des corrélations de l'intention, plutôt. Quelques morceaux assez brefs (Art Jungle, At the Church Path et The Walking Bar) et un long déambulatoire improbable, Middle Walk (22:51) permettent soit de concentrer au plus court ou soit d'étirer les échanges à l'infini en racontant une histoire. Urs Leimgruber et Roger Turner évitent les lieux communs et pour qui connaît le saxophoniste via ces albums solos (# 13/ Leo), ce sera une belle surprise. Ses prises de bec dans la marge extrême de l'instrument expriment l'essentiel, des sons bruts, torturés ou même d'un lyrisme rare qui font la part belle à l'invention pure. Le percussionniste refuse les connexions évidentes et ne fait confiance qu'à son imagination subversive. Il gratte, frote, secoue, percute, déplace ses objets sur les peaux et les parties métalliques, frappes, résonances, collisions,. Une recherche simultanée de l'inouï et de l'évidence qui s'impose naturellement. L'exemple parfait de musiciens accomplis et reconnus, qui cherchent encore à se renouveler, à se mettre en question tout en faisant du sens. Si ces deux-là passent non loin de chez vous, n'hésitez pas un instant, allez les écouter et vous serez surpris, même par rapport à ce Pancake tour dont ils réinventent jour après jour la recette.
Berlin Kinesis WTTF Quartet Philipp Wachsmann Roger Turner Pat Thomas Alexander Frangenheim Creative Sources CS 313.
Pochette cartonnée, du neuf chez C.S. ! Un album fascinant suite au premier CD de ce quartet intrigant, Gateway 97 sur le même label et à plusieurs concerts en Allemagne et ailleurs durant lesquels ils ont gravé les huit pièces où il est question de More, Less, Front, Back et Little. Little : petit à petit, un peu plus, un peu moins, plus devant, moins derrière. Un calibrage permanent de la perspective, du portrait vivant glissant vers arrêt sur image ou s’évanouissant dans un perpétuel changement de registre. Je me suis fait souvent entendre dire, quelques années après l’enregistrement de Gateway 97 (en 1997), que ces musiciens jouaient au passé de l’actualité de l’improvisation radicale d’alors, new silence, réductionnisme et post AMM. J’ai même lu que cette musique venait du free jazz. Et bien, je ne connais pas d’équivalent dans la masse des enregistrements de l’improvisation libre, auquels j’ai eu accès, qui approche l’univers musical de ce groupe. Intégrant une multitude d’éléments sonores et musicaux dans une construction kaléidoscopique où à aucun instant on entend ce qu’il convient d’appeler « un solo » ou un enchaînement de phrases développant un discours individuel. La continuité est perpétuellement brisée. Ici chaque membre du WTTF ajoute ou soustrait une intervention subrepticement et chacune de leurs idées - interjections s’emboîte dans celles des autres avec cette capacité remarquable que chacun pense à s’arrêter de jouer quasiment à tout moment et à bon escient. Quand cela ressemble à une voix, cela ne dure jamais plus que dix ou quinze secondes. Une science de la retenue poussée très loin avec un parti pris ludique. Des jeux à tiroirs multiples sur une myriade de pulsations qui semblent déconnectées l’une de l’autre. Si Alexander Frangenheim et Philipp Wachsmann sont faits pour aller l’un avec l’autre, contrebasse et violon complices, Pat Thomas semble faire bande à part et alterne le clavier du piano et l’échantillonnage complexe. Roger Turner s’intercale avec un sens de l’épure et une légèreté qui fait dire qu’il ne joue sûrement pas de la batterie. Sa personnalité hyperkinétique commente en grattant et piquetant le sommet de ces instruments percussifs, cymbales et objets métalliques, frappes déclinées sur des peaux amorties au timbre changeant sous la pression des doigts. Le guitariste prodige Roger Smith qui tirait son extraordinaire science rythmique de la pratique des percussionnistes free parlait de sérialisme rythmique. Thomas et Wachsmann utilisent des sons électroniques par bribes projetées entre un pizz et un roulement. Lyrisme secret, spasmes décalés, pas d’élan démesuré ni d’emphase. Une science du mouvement.
Alizarin Phil Wachsmann Roger Turner Bead Recordssp CD10
Enregistré récemment suite à plusieurs rencontres successives, ce duo consacre la synthèse et l’aboutissement de la recherche improvisée radicale « libre » après une réflexion et une pratique de toute une vie, dédiée quasi – exclusivement à cette expression musicale dans la « tradition » londonienne… J’ai fait, il y a peu la chronique de Gateway 97, un quartet (WTTF pour Phil Wachsmann, Pat Thomas, Roger Turner et Alexander Frangenheim) dans le quel interviennent ces improvisateurs essentiels que sont Phil Wachsmann pour le violon et Roger Turner pour la percussion. J’étais ébloui par les éclairs d’imagination qui traversaient ce chef d’œuvre. C’est dans une autre direction que se développe la musique de ce beau duo, Alizarin, dont les titres font allusion aux couleurs vives du « trompe l’œil set » de Catherine Hope – Jones qui s’étend sur les surfaces de la pochette et du CD. Red introduction, bitter black, salt green, viridian black, on the edge of white… etc … On aimerait caractériser les improvisations minutieuses et relâchées qui défilent, mais le ton donné aux échanges et l’inspiration sereine nous obligent à écouter avec profondeur cette musique avant de nous mettre à penser à ce à quoi elle ressemble. Alizarin nous permet de suivre l’infini cheminement de la pensée et de la gestuelle précise et retenue de deux orfèvres de l’exploration improvisée. Plutôt dans les tracés hyperboliques et des dérapages peu prévisibles que dans « les matières ». Phil Wachsmann privilégie une qualité sonore « musique de chambre » et un sens mélodique évident même lorsque ses idées frisent l’abstraction. Roger Turner semble s’égarer sur les surfaces de ses peaux et métaux.
Le duo se concentre et développe des échanges dans un mode léger voire sautillant aux antipodes des décharges énergétiques auxquelles se livrent le batteur avec le tromboniste Hannes Bauer et le clavier électronique d’Alan Silva ou avec l’équipe abrasive de Konk Pack (Thomas Lehn, Tim Hodgkinson et RT). …. Le travail sur le son est corroboré par un sens de la forme évident. Une élégance rare et une écoute récompensée de bout en bout. Le violoniste s’écarte du virtuosisme pour affirmer une maestria vivifiante des intervalles incertains « post Schönberg – Cage » avec un sourire en coin bien British. Le percussionniste sollicite une variété de frappes, grattements, résonnances, piquetages, secousses etc… très étendue avec la plus grande légèreté. Un sens de l’épure elliptique partagé et une dynamique sonore relâchée est l’atout cœur de cette musique. Evitant les pétarades hyper-kinétiques de la free-music, auxquelles Wachsmann et Turner sont historiquement associés, elle trace un extraordinaire manifeste du ralenti. Comment s’exprimer en prenant son temps sans se presser. Une écoute à l’écart des chemins aujourd’hui balisés des ismes en tout genre.
Le label Bead a initié la documentation des improvisateurs radicaux londoniens un peu à la même époque qu’Incus (label de Derek Bailey et Evan Parker) durant les années septante et prolonge son existence en distillant de petites merveilles telles que cet Alizarin. Toujours à suivre même après quarante ans d’existence.
Light air still gets dark Isabelle Duthoit Alex Frangenheim Roger Turner Creative Sources CS 398CD
Du n° 340 (Spielä) à 398 (Light Air Still...), le label Creative Sources file à toute allure laissant de rares trésors sur le côté à l’insu de bien des cognoscenti. Ainsi cet « air léger qui (malgré tout) reste sombre » en hommage au tromboniste Hannes Bauer, disparu cette année et avec qui Roger Turner, le percussionniste de ce trio, a joué durant plus d’une vingtaine d’années en compagnie d’Alan Silva (In The Tradition / In Situ). La chanteuse et clarinettiste Isabelle Duthoit avait elle-même initié un autre trio avec Hannes Bauer et Luc Ex un peu avant qu’Hannes nous quitte prématurément. Compagnon régulier de Roger Turner au sein de plusieurs projets, le très fin contrebassiste Alex Frangenheim complète l’équipée. Et quelle équipée !! On ne compte plus les collaborations hallucinantes qui lient cet extraordinaire percussionniste aux personnalités les plus marquantes de la free music tels Phil Minton, Hannes Bauer, Lol Coxhill, John Russell, Phil Wachsmann, Pat Thomas, Birgit Ulher, Urs Leimgruber etc.. pour en écrire l’histoire la plus vive. Voici maintenant que notre grand poète de la percussion improvisée poursuit l’aventure avec une vocaliste de l’impossible, la vestale du cri primal, la prêtresse du gosier libéré : Isabelle Duthoit ! En s’alliant les services d’un inventeur de sons à la contrebasse, animé d’une écoute et d’un sens de la répartie peu communs, Alex Frangenheim, le percussionniste trouve un partenaire qui se situe à jeu égal avec lui. Ces deux-là ne se contentent pas de variations d’un discours instrumental « créatif », mais s’efforcent d’inventer et de rechercher des sons rares, des idées folles, des voies extrêmes avec une expressivité et une subtilité inouïes, si on compare avec pas mal d’autres improvisateurs de même calibre … nettement plus formatés. L’indépendance totale et la complémentarité intuitive. Ce faisant, les deux instrumentistes laissent le champ libre à la vocaliste pour explorer la face la plus cachée de la voix humaine. Ce qu’Isabelle fait est indescriptible. La variation infinie des affects du cri, du spasme, de la glottisation du sifflement, du râle, le délire surréel à côté duquel la supposée poésie sonore semble platement à un effet théâtral. Il y a une émotion indicible, le voile de la souffrance, le désespoir de la raison… A la clarinette, elle torture la colonne d’air et évoque les extrémités auxquelles elle soumet son organe vocal. Ces deux compagnons traduisent cette furieuse inventivité en inventant sans relâche des parties instrumentales requérantes modifiant en permanence les paramètres sonores, les timbres, les pulsations dans un flux vibrant qui attire et stimule l’écoute. C’est un enregistrement intense, inouï, un produit parmi les plus authentiques de l’improvisation libre, une démarche musicale qui, après plus de quarante ans d’évolutions, n’a pas fini de nous étonner. Il y a d’ailleurs un parallèle indubitable à faire au niveau de la qualité entre Light air still gets dark et le CD Spielä de PaPaJo (Hubweber/Lovens/Edwards) que je viens de chroniquer ici plus haut. A tomber des nues, une fois pour toutes !!
Gateway ’97 WTTF Phil Wachsmann Pat Thomas Roger Turner Alexander Frangenheim Creative Sources.
Publié récemment par Creative Sources, Gateway ’97 est une session inédite et miraculeuse d’ « improvisation libre » enregistrée au studio Gateway (Evan Parker et cie) à l’époque ou des labels de CD’s comme Emanem ou Incus prenaient leur envol. Je trouve bien dommage que personne n’ait publié cet album car, voyez-vous, il y a la musique improvisée qui se « ressemble » et celle qui se distingue par sa singularité. Ici une manière de jouer ensemble qui remet en question les habitudes et évite l’ennui, les réflexes et le flux systématique non-stop. Entre autres, chaque instrumentiste joue systématiquement avec les silences et intervient subitement au moment très précis où son partenaire s’arrête. La musique s’enchâsse avec un découpage de séquences ultra-courtes contrastant avec les intentions de chacun ou les prolongeant. Sur quasiment tous les morceaux, on les entend très rarement à quatre en même temps, tant ils parviennent à coordonner leur virevolte d’interjections en interactivité. Etonnamment ludique et difficilement descriptible. Pat Thomas jongle avec une batterie improbable d’échantillons sonores ou s’affaire au piano, Wachsmann épure le propos avec des effets électroniques rares et une quintessence mélodique épurée et Roger Turner distille des raclements métalliques dans le registre aigu de son appareillage percussif. Un peu à l’écart, l’archet rêveur du contrebassiste Alex Frangenheim s’échappe un instant dans une distance recueillie. Wachsmann et Pat Thomas ont participé au Tony Oxley Quartet (BIMP Quartet Floating Phantoms a/l/l 001) lequel a aussi compté Derek Bailey (Incus cd et Jazz Werkstatt). Wachsmann a été longtemps associé à Oxley et Barry Guy dans les années septante et quatre-vingt, bien qu’il n’en reste que deux témoignages enregistrés(the Glider and the Grinder /Bead et February Papers /Incus 18). Gateway 97 est le summum de cette saga et fait oublier largement les albums précités et la monotonie de trop nombreuses publications de ces quinze dernières années. Dynamique, extrême variété sonore, qualité de l’écoute mutuelle, sens collectif, imagination, fantaisie : cet album récolte un 10 sur 10 tout azimut. L’improvisation libre fantasmée devenue réalité !!
Je répète encore : c’est très dommage que cet album n’ait pas été publié à l’époque car la musique est aussi originale qu’optimale.
The Cigar That Talks Doneda Russell Turner Collection PiedNu
Michel Doneda est un des artistes majeurs de la scène d’improvisation radicale à avoir remis en question l’utilisation de modes de jeux qui datent parfois de l’époque où ses deux partenaires de cet album admirable se sont rencontrés au début des années 70. Il a trouvé ici avec le guitariste John Russell et le percussionniste Roger Turner deux complices aux ressources insoupçonnées. Ces deux britanniques n’ont aucune idée préconçue où peut les emmener l’improvisation. J’avais souligné les qualités de cet enregistrement publié par Bab Ili Lef : « Une Chance Pour L’Ombre » et qui rassemblait Doneda, Tetsu Saitoh, Kazue Sawaï, Kazuo Imai et Lê Quan Ninh. On retrouve ici cette ouverture, cette dimension profondément naturelle et organique. Ce dernier mot est souvent galvaudé, mais connaissant la profonde sincérité des trois protagonistes, c’est une véritable plongée dans la nature la plus vivante des sons en liberté qui nous envahit en douceur. Points de guitarismes, de percussionnismes ou de saxophonismes ici ! Mais des nuances dans une approche intelligente de la simplicité. Surtout, une profonde recherche partagée pour établir un univers sonore sensible souvent éloigné de l’idée qu’on pourrait se faire d’un tel trio pour qui connaît ces trois personnalités. Tous Toux (plage 4) rétablit cette image, mais avec toutes les qualités développées précédemment (pour autant que l’ordre des plages respecte celui des pièces enregistrées au studio Honolulu). Eyes on Uncle, la cinquième et dernière plage, débute par une séquence qui évoque un Topography of the Lungs miniature particulièrement enlevé et complètement réactualisé. Cela s’égare ensuite dans un univers onirique qui bonifie les acquits des échanges précédents. Les trois compères ont développé un grand choix d’options. L’écoute en est complètement stimulée. Un cédé remarquable et d’un groupe à recommander chaudement. Bravo à Piednu ! Le titre fumant est dû à Roger Turner.
Edoardo Ricci Eugenio Sanna Roger Turner I Signali della Ritratta Burp Publications MHMusic MHM7 1999
Parmi tous les albums de Roger Turner, il y en a un que les amateurs d'émotions fortes et d'improvisation radicale échevelée feraient bien de dénicher. Un enregistrement live de 1999 à Pise avec deux des pointures locales de l'improvisation : le guitariste Eugenio Sanna et le saxophoniste alto, clarinettiste basse et, ici, cornettiste Edoardo Ricci. À l'instar de Roger Turner, Edoardo Ricci est une bâte de scène délirante et un sérieux client niveau instrument. Vous ajoutez à ça les pratiques sonores bruitistes et décapantes d'Eugenio Sanna à la guitare électrique avec objets et plaques de métal entre les cordes, et vous avez affaire à une sauvage rencontre du troisième type. Roger est un percussionniste pointu et sophistiqué idéal pour des improvisateurs appliqués et plus introspectifs comme Urs Leimgruber, John Russell ou Phil Wachsmann ou encore Phil Minton qui s'il a l'air fou, ne se commet pas dans des folies expressionnistes. Non seulement, Roger aime prendre son pied avec des musiciens "locaux" peu connus, il considère cela comme étant aussi excitant que ses partenaires habituels avec qui il essaye de faire des tournées. En plus, il se prête joyeusement à tous les excès, délires et outrances "expressionnistes" et scéniques et cela sans jamais perdre de vue sa "raison sociale" de chercher des sonorités rares, des actions intrépides, des rafales de coups épars et contrastés, frottements singuliers, micro roulements hystériques, aterrissages catastrophes. Edoardo Ricci n'est pas en reste articulant sons vocalisés et couinements frénétiques, usant vicieusement du microphone. Eugenio Sanna développe une panoplie de sons électriques les moins usités avec glissandi dangereux, harmoniques, crissements, harmonies dingues, intervalles disjoints, travaillant sa pédale de volume comme un forcené. Plus "non-idiomatique" que Bailey lui-même car il adore les bruits purs, l'électricité rebelle, etc... et évite de s'enfermer dans un "style". Il crée un contrepoint, contraste, univers sonore aussi distant que complémentaire. Une coordinations de gestes, sons affolants, accents imprévisibles, trouvailles sonores, rafales à tout berzingue, moments d'humour, instants introspectifs - exploratoires et fracas qui laissent l'auditeur pantois. Bailey/ Bennink / Parker se sont rendus incontournables avec l'album mythique Topography of the Lungs (Incus 1 - 1970). Cette équipe Pisane entonnent I Signali della Ritrata et après ça, on n'a qu'à plus se tailler, car plus dingue que ça, tu meurs ! Sperrgut Birgit Uhler / Damon Smith/ Martin Blume Balance Point Acoustics BPA 009
Umlaut trio PUT ( Birgit Uhler Ulrich Philipp Roger Turner) NurNichtNur.
Label californien du contrebassiste Damon Smith, BPA relate ses aventures sonores avec des improvisateurs européens tels Tony Bevan (un des rares saxophonistes basse de la planète improvisation), Wolfgang Fuchs, Joëlle Léandre, Phil Wachsmann, Martin Blume, etc.. et ses potes états-uniens, comme l’excellent percussionniste Jerome Bryerton ou la chanteuse Aurora Josephson. Three October Meetings avec Wolfgang Fuchs est à cet égard un enregistrement à recommander. Faisant suite à l’exceptionnel trio PUT de Birgit Uhler avec Roger Turner et le contrebassiste Ulrich Phillipp (Umlaut Nurnichtnur), sperrgut est une rencontre vive du tandem Damon Smith et Martin Blume avec LA trompettiste de la scène improvisée européenne. Cet enregistrement d’un concert de 2004 nous laisse entendre le moindre détail du jeu des improvisateurs. Birgit Uhler favorise les morceaux courts et concentrés, comme dans ce Umlaut et son duo avec la chanteuse Ute Wassermann (Kuntstoff – Creative Sources). Curieusement, chaque morceau est titré par des mesures de volume comme s’il s’agissait de mesures de cadres pour chaque tableau sonique. Côté pochette comme toujours avec notre trompettiste de Hambourg, nous avons droit à un élégant gribouillage sur polaroïd. Je recommande ce cédé car il est sans doute son album le plus accessible et un des meilleurs qu’elle ait produit. Martin Blume est excellent dans l’art du dialogue et sa frappe caractéristique est particulièrement variée. Elle est immédiatement reconnaissable par sa qualité boisée et son jeu très fin sur les cymbales et accessoires métalliques. Damon Smith est un contrebassiste sensible et inspiré qui laisse vibrer l’instrument de manière particulièrement adéquate pour un tel trio. Les deux hommes laissent le champ sonore complètement ouvert aux introspections de la trompettiste et aux infinies nuances de son jeu. J’avais déjà chroniqué très positivement les albums de BU pour Creative Sources. Parmi eux, Scatter est un remarquable et audacieux solo de trompette. Sperrgut est donc un disque excellent (super gut !), mais rien là ne nous prépare à la claque magistrale reçue à l’écoute de Umlaut par le trio PUT, mentionné plus haut. (Umlaut / 2000 - Nurnichtnur 1000425). On sait qu’une partie des improvisateurs allumés engagés actuellement dans un renouvellement de l’improvisation libre par des voies plus minimalistes tient ce « style » de musique improvisée pour dépassé ou daté, comme pouvait nous sembler le devenir le « free jazz » à l’époque nous nous essayions à devenir « non-idiomatiques » (!). On pourrait mettre beaucoup au défi de jouer avec autant de précision. C’est absolument renversant. On a là le meilleur de Roger Turner et Ulrich Philipp démontre qu’il est un contrebassiste beaucoup trop sous-estimé. Son feeling à l’archet est absolument unique. Il vaut parfois mieux faire un retour en arrière de quelques années pour découvrir un joyau passé inaperçu que de se précipiter sur les nouveautés recensées par le site de Peter Stubley. Une musique collective avec absence d’ego et une invention surprenante. J’adore car il y a une qualité unique dans cette musique que vous ne trouverez que dans ce disque. Jimmy Giuffre enregistra en juin 55, un album génial : « Tangents in Jazz ». Ici, on a affaire à « Tangents in Free Improvisation ». A découvrir absolument.
-Vario 41 Boris Baltschun John Butcher Gunther Christmann Michael Griener edition explico 14 (2004 cdr à120 copies)
-Vario 44 John Butcher Gunther Christmann Thomas Lehn John Russell Dorothea Schürch Roger Turner edition explico 15 ( 2006 cdr à 250 copies)
-In Time Gunther Christmann Alberto Braida edition explico 16 (2010 cdr à 120 copies)
Il fut un temps très éloigné où Gunther Christmann était un improvisateur libre aussi bien documenté en disques que ne l’étaient Derek Bailey et Evan Parker et ses disques étaient relativement bien distribués dans le réseau Incus- FMP-Moers-ICP-Futura etc…. Chef de file de l’improvisation radicale sur le continent, le tromboniste - contrebassiste, et puis violoncelliste, avait publié pas moins de quatre albums avec son compère Detlev Schönenberg (un percussionniste mémorable qui a définitivement abandonné la scène il y a trente ans) pour FMP et Ring Records. Lorsque Ring se transforma en Moers Music, le label n’eut pas moins de quatre vinyles de Christmann à son catalogue. Tous ces documents sont aujourd’hui indisponibles sur le marché. Les copies qu’on trouve en « occasion » ou en « collectors » restent à un prix relativement accessible car le patronyme de cet improvisateur essentiel ne fait pas l’objet du snobisme des acheteurs branchés de raretés, lesquels sont souvent/parfois plus fétichistes que mélomanes, si j’en crois les résultats du site collectorsfrenzy. Quant à la production de Gunther Christmann de ces vingt dernières années et de son projet Vario, elle échappe au radar des labels qui furent, il n’y a guère, bien distribués (Emanem, Incus, FMP, Intakt, Victo, Potlatch). Sur la foi de la participation de Paul Lovens et Mats Gustafsson, FMP - repris en main par Jost Gebers – a bien édité un superbe trio enregistré à l’époque où le souffleur nordique commençait à défrayer la chronique, mais je pense qu’il a dû passer inaperçu. Le tromboniste de Langenhagen, qu’on entend aujourd’hui jamais bien loin d’Hambourg ou d’Hanovre, confie l’essentiel de sa production à sa modeste edition explico, sous forme de CDr publiés dans leur boîtier d’origine sur le quel est collé une plaque de bois ou avec une épreuve photographique originale, Christmann étant aussi un artiste graphique pour le besoin de la cause. Ainsi le morceau de bois rectangulaire de Vario 44 a le titre tamponné trois fois à l’encre rouge en tête bêche, transformant ainsi le CDR (excellente qualité sonore) en pièce de collection / œuvre d’art qu’il vend exclusivement à un prix supérieur au CD sans même en livrer des copies aux critiques ou à ses copains et même, je parie, à ses collègues les plus chers. C’est pourquoi on n’a peu d’échos de sa production même si Vario 34-2 , sorti en en 1999 chez Concepts of Doing, rassemblait Paul Lovens, Mats Gustafsson, Christmann lui-même, Thomas Lehn, Frangenheim et le guitariste suédois Christian Munthe, alors complice habituel de Mats G et compte parmi les meilleurs exemples d’improvisation collective qui sublime les marottes individuelles des participants pour surprendre et raviver nos sens. Vario est donc un ensemble à géométrie variable, fondé en 1979 et, sans doute, l’alternative la plus réussie aux Company de Derek Bailey. Depuis 1976 et son album solo publié par C/S, Gunther Christmann a initié le sens de l’épure bien avant tout le monde. Savoir exprimer un enchaînement d’idées complexes en moins de deux minutes.
Ici, le grand art est au tournant, spécialement, cette conversation à six de Vario 44 où la profusion des voix individuelles et des paramètres possibles revête une exemplaire dimension constructive et interactive. Vous entendrez très rarement des improvisateurs (très) réputés adopter ces modes de jeux qui permettent à plus de trois ou quatre musiciens de se faire entendre et développer la musique collective aussi bien qu’en trio. Comme souvent chez Christmann, on a droit à la déclinaison de l’ensemble dans toutes les formules à raison de 20 morceaux. Souvent les « connaisseurs » se réfèrent à des noms d’artistes réputés, ici John Butcher, Thomas Lehn, John Russell, Roger Turner, pour porter une évaluation a priori du groupe… Vous pouvez oublier cette façon de voir les choses ici. Si, par exemple, un Derek Bailey avait dû se joindre à Vario 44, cela aurait été à contremploi. Par contre, un Phil Minton aurait été tout indiqué. Dorothea Schurch s’intègre d’ailleurs parfaitement en ajoutant une touche poétique. Joëlle Léandre insiste toujours pour que dans de tels groupes (sextet , septet), on organise le déroulement du concert de manière à tirer parti du potentiel en duos, trios , quintet avec un sens de la forme et une logique. Les auditeurs ne sont pas là pour s’emmerder. Rompu à ces exercices et grâce à l’exigence de Christmann, les musiciens parviennent à marier l’équilibre instable de l’improvisation avec un sens de la forme exceptionnel et les outrances sonores radicales.
Cette session de 2006 fut aussi l’occasion pour John Russell et Roger Turner de renouer avec leur camarade et d’apporter leur grain de sel éminemment british dans cette super-session. Édité à 250 copies, il en reste encore : edition.explico.music.art@web.de . Quant au duo du pianiste Alberto Braida avec Christmann, sa fraîcheur et l’esprit de recherche qui les anime fait qu’on réécoute volontiers leur In Time. J’ajoute encore qu’Edition Explico avait publié un superbe témoignage de la rencontre de G.C. avec Phil Minton, For Friends and Neighbours. Cet opus rend Edition Explico incontournable…. . Il vaut mieux tard que jamais …
14 septembre 2021
Urs Leimgruber & Jacques Demierre/ Sue Lynch Adrian Northover Dawid Frydryk Ed Lucas Thanos Chrysakis/ Yves Charruest & Benedict Taylor/Sergio Armaroli & Roger Turner
Urs Leimgruber Jacques Demierre it forgets about the snow 2CD Creative Works CW 1067/1068.
https://www.creativeworks.ch/home/cd-shop/cw1067ccd/#cc-m-product-14612847032
Cela fait quelques décennies que le label helvétique Creative Works suit son petit bonhomme de chemin. Livré dans une pochette blanche 001 immaculée indiquant it forgets about the snow et les noms des deux artistes fréquemment associés, le saxophoniste Urs Leimgruber et le pianiste Jacques Demierre. « On connaît » vous allez dire, car le duo a enregistré bon nombre d’albums pointus en trio avec le légendaire contrebassiste Barre Phillips pour les labels Victo, Psi et Jazzwerkstatt. Ils ont développé un travail intense focalisé dans l’improvisation radicale et une recherche minutieuse de timbres rares avec une connivence créative unique. Mais après avoir écouté plusieurs albums les impliquants tous deux, nombre d'entre vous seront persuadés d'être en territoire connu et reconnu. Détrompez-vous ! Dans ce nouvel album dont un cd est enregistré en studio et le deuxième en live, Jacques Demierre a remisé son grand piano dont il aime à faire vibrer la carcasse en explorant les cordes, les mécanismes et les surfaces. On l’entend ici avec une épinette amplifiée alors qu’Urs Leimgruber se concentre sur la seule colonne d’air du sax soprano. L’instrument antique de Demierre est une épinette construite en 1771 à Marseille, une réplique d’un modèle conçu par le facteur Bas. L'épinette à la française ou clavecin traverso, dite en aile d'oiseau (de l'allemand) : la construction est en général franco-flamande, le plan – plus ramassé – est proche de celui d'un clavecin, mais avec un seul rang de cordes. Cette épinette possède un seul chevalet vibrant comme le clavecin et le clavecythérium. Le sillet est fixé sur un sommier rectiligne, planté de chevilles, placé au-dessus du clavier. Le clavier possède des leviers de touche de longueurs égales comme le clavecin. (cfr Wikipedia). Demierre s’en sert comme d’un objet sonore, l’amplification lui servant à renforcer la sonorité métallique comme s’il ferraillait avec l’instrument, mettant en valeur de multiples modes de vibrations, de touchers, résonances, grincements, tremblements, éclats de cordes tendues avec je ne sais quel accessoire. On pourrait croire qu’il s’agit d’un appareil électronique, d’une cithare désaccordée, ou d’une sculpture sonore très élaborée comme celles de Hans Karsten Raecke. Les deux improvisateurs établissent un curieux dialogue en sélectionnant des sons épars, isolés le saxophoniste allant au-delà de la pratique « normale » - conventionnelle de l’instrument en insérant systématiquement des zones de silence. Il ne s’agit pas d’un « phrasé » volubile ou d’un souffle continu mais plutôt des échantillons de sons curieux, pinçages d’hanche, pépiements, susurrations, aspirations, imitations d’oiseaux, harmoniques extrêmes, vocalisations dans l’anche, sifflements… et respiration circulaire dans les aigus, séquences courtes séparés par des silences marqués et les interventions de son comparse. Bruitiste, si on veut. Cette dimension bruitiste est partagée par Demierre quand il fait craquer les cordes tendues frottant le fil de cuivre qui entoure les plus graves. Le CD2 – Live enregistré à Offene Ohren / Munich contient des passages plus animés alors que le CD1 – Studio est plus expérimental ou proche de la dissection du corps improvisé. Que Leimgruber évoque quelques volatiles n’a rien d’étonnant, les cordes de l’épinette sont traditionnellement pincées par les calamus (tiges) de plumes d’oiseaux.
Dans la constante évolution de l’improvisation libre, une approche délibérément originale qui se distingue à la fois du pointillisme post SME, des avatars post AMM, du réductionnisme / lower case, etc.. Voici le langage des signes sonores poétiques en écho successif, défiant les logiques et les notions de flux et de continuité. Pas de narratif, mais des sons à perte de vue.
Five Shards Sue Lynch Adrian Northover Dawid Frydryk Ed Lucas Thanos Chrysakis Aural Terrains
https://auralterrains.com/releases/46
Notre ami Thanos Chrysakis, claviériste, improvisateur, compositeur, concepteur de projets et responsable du label Aural Terrains persévère et assume toute la complexité et l’originalité de sa démarche de recherches musicales et d’éditions. La série d’enregistrements publiée ces dernières années par Aural Terrains avec ses clarinettistes basses Ove Volquartz, Chris Cundy, Yoni Silver, Tim Hodgkinson, les saxophonistes Sue Lynch et maintenant , Adrian Northover, l’organiste Peer Schlechta, Steve Noble, le maître à l’orgue, aux claviers, à l’électronique et au piano,ses propres compositions et ses compositions de commande, … toutes ces initiatives qui s’enchaînent au fil des dernières années finissent par constituer un catalogue de chefs d’œuvre et de réussites exemplaires connectant plusieurs démarches dans un tout lisible, créatif, récurrent et … en tout point remarquable.
Les saxophonistes Sue Lynch (aussi à la flûte) et Adrian Northover (au soprano), se sont joints au trompettiste Dawid Frydryk (au TC Helicon et voicelive) , au tromboniste Ed Lucas et à Thanos C à l’ordinateur, aux synthés et au piano. Par rapport à ses autres albums sur Aural Terrains, une approche semi minimaliste, épurée, détaillée, flottante. Tutti, vibrations électroniques oscillantes, effets d’anches et d’embouchures, bruissements, explorations minutieuses de timbre au bord du silence, drones, techniques alternatives, scories free, science de l’infra-son. Cinq pièces intitulées Shards 1, 2, 3, 4 et 5 mettent en formes et en sons des idées – propositions organiques et partagées intensément par chacun(e) des musicens-nne. Une démarche à la fois collective et originale d'une grande cohérence.
Knotted Threads Yves Charruest – Benedict Taylor tour de bras / inexhaustible edition tdb 90048 – ie - 040
https://inexhaustibleeditions.bandcamp.com/album/knotted-threads
Saxophoniste Québecquois, Yves Charuest aime à manipuler les clés de son sax alto tout en insufflant des infrasons dans la colonne d’air alors que son comparse, le violiste Benedict Taylor titille les cordes pressées sur la touche tout archet tournoyant et rebondissant à mi-voix. Ensemble, ils extraient des vibrations sonores, zébrures irisées et ondoyantes, boucles irrésolues d’où sourd des occurrences sonores fraternelles. Knotted Threads, en effet. Un mouvement perpétuel de tresses organiques nouées et tordues par l’énergie contenue de leurs actions : articulations rotatoires d’un souffle contraint et serpentins de glissandi et de frottements assourdis, va et vient d’intensités contrôlés par l’instinct. Cinq improvisations – ossel hitch – round lashing – poldo tackle – chain sinnet – bimini twist aux durées décroissantes à mesure que la densité des échanges s’échauffe ou se polarise. Enregistré le 4 – 12 – 2019 à Montréal et coproduit par le label canadien tour de bras et le slovène inexhaustible editions, une fructueuse association intercontinentale. Cela me fait plaisir de découvrir un saxophoniste alto confronté avec un violiste (altiste) vif éclair tel que Benedict Taylor : une combinaison originale qui dévoile des moments secrets et dont les deux duettistes s’efforcent volontairement à étendre les registres, les sinuosités, les diffractions d’harmoniques et toute la gamme de sonorités mises à jour dans leur empressement à en étirer les possibilités comme des orpailleurs de l’impossible. Yves Charuest se surpasse en croisant sans cesse les articulations et doigtés dans des boucles infinies alors que Benedict Taylor confirme toujours la finesse étincelante de son magique coup d’archet. Une magnifique conversation sans paroles ni gestes, seulement l’évidence d’une écoute mutuelle et d’une invention spontanée servie par une belle maîtrise des éléments sonores.
Dance Steps Sergio Armaroli & Roger Turner Leo Records CD LR 899.
http://www.leorecords.com/?m=select&id=CD_LR_899
Sergio Armaroli est un bien intéressant vibraphoniste « free » que nous avons découvert aux côtés d’Andrea Centazzo, Giancarlo Schiaffini, Harri Sjöström et Fritz Hauser. C’est avec ces deux derniers qu’il nous a livré ces deux meilleurs opus : Duos and Trios avec le saxophoniste soprano Harri Sjöström et le tromboniste Giancarlo Schiaffini sur deux morceaux et Angelica avec le percussionniste suisse Fritz Hauser, tous deux pour Leo Records, label auquel il semble abonné. Orbits avec Centazzo, Schiaffini et Sjöström et réalisé pour Ictus avait été préfacé par Evan Parker. Et voici maintenant des Dance Steps publiés à nouveau par Leo en compagnie du percussionniste Roger Turner, un des grands originaux de la percussion improvisée qui défie souvent les pronostics. Dialogues détaillés, échappées dans l’imaginaire, extension – extrapolation de la pratique du swing cosmique, introspection consciente et spontanée de la gestuelle du batteriste, souvent à la limite du silence, frôlements des surfaces et étirements continuels de suggestions mélodiques dans le chef du vibraphoniste. Armaroli louvoie aux confins des gammes. Une dérive poétique, rêve éveillé, sollicitant des atavismes rythmiques inscrits au fond des neurones et dans la sensibilité des duettistes sans le moindre cliché - réflexe. La trajectoire de Roger Turner est une exception mal comprise qui se révèle aux côtés d'originaux insituables tel Sergio Armaroli une exception
https://www.creativeworks.ch/home/cd-shop/cw1067ccd/#cc-m-product-14612847032
Cela fait quelques décennies que le label helvétique Creative Works suit son petit bonhomme de chemin. Livré dans une pochette blanche 001 immaculée indiquant it forgets about the snow et les noms des deux artistes fréquemment associés, le saxophoniste Urs Leimgruber et le pianiste Jacques Demierre. « On connaît » vous allez dire, car le duo a enregistré bon nombre d’albums pointus en trio avec le légendaire contrebassiste Barre Phillips pour les labels Victo, Psi et Jazzwerkstatt. Ils ont développé un travail intense focalisé dans l’improvisation radicale et une recherche minutieuse de timbres rares avec une connivence créative unique. Mais après avoir écouté plusieurs albums les impliquants tous deux, nombre d'entre vous seront persuadés d'être en territoire connu et reconnu. Détrompez-vous ! Dans ce nouvel album dont un cd est enregistré en studio et le deuxième en live, Jacques Demierre a remisé son grand piano dont il aime à faire vibrer la carcasse en explorant les cordes, les mécanismes et les surfaces. On l’entend ici avec une épinette amplifiée alors qu’Urs Leimgruber se concentre sur la seule colonne d’air du sax soprano. L’instrument antique de Demierre est une épinette construite en 1771 à Marseille, une réplique d’un modèle conçu par le facteur Bas. L'épinette à la française ou clavecin traverso, dite en aile d'oiseau (de l'allemand) : la construction est en général franco-flamande, le plan – plus ramassé – est proche de celui d'un clavecin, mais avec un seul rang de cordes. Cette épinette possède un seul chevalet vibrant comme le clavecin et le clavecythérium. Le sillet est fixé sur un sommier rectiligne, planté de chevilles, placé au-dessus du clavier. Le clavier possède des leviers de touche de longueurs égales comme le clavecin. (cfr Wikipedia). Demierre s’en sert comme d’un objet sonore, l’amplification lui servant à renforcer la sonorité métallique comme s’il ferraillait avec l’instrument, mettant en valeur de multiples modes de vibrations, de touchers, résonances, grincements, tremblements, éclats de cordes tendues avec je ne sais quel accessoire. On pourrait croire qu’il s’agit d’un appareil électronique, d’une cithare désaccordée, ou d’une sculpture sonore très élaborée comme celles de Hans Karsten Raecke. Les deux improvisateurs établissent un curieux dialogue en sélectionnant des sons épars, isolés le saxophoniste allant au-delà de la pratique « normale » - conventionnelle de l’instrument en insérant systématiquement des zones de silence. Il ne s’agit pas d’un « phrasé » volubile ou d’un souffle continu mais plutôt des échantillons de sons curieux, pinçages d’hanche, pépiements, susurrations, aspirations, imitations d’oiseaux, harmoniques extrêmes, vocalisations dans l’anche, sifflements… et respiration circulaire dans les aigus, séquences courtes séparés par des silences marqués et les interventions de son comparse. Bruitiste, si on veut. Cette dimension bruitiste est partagée par Demierre quand il fait craquer les cordes tendues frottant le fil de cuivre qui entoure les plus graves. Le CD2 – Live enregistré à Offene Ohren / Munich contient des passages plus animés alors que le CD1 – Studio est plus expérimental ou proche de la dissection du corps improvisé. Que Leimgruber évoque quelques volatiles n’a rien d’étonnant, les cordes de l’épinette sont traditionnellement pincées par les calamus (tiges) de plumes d’oiseaux.
Dans la constante évolution de l’improvisation libre, une approche délibérément originale qui se distingue à la fois du pointillisme post SME, des avatars post AMM, du réductionnisme / lower case, etc.. Voici le langage des signes sonores poétiques en écho successif, défiant les logiques et les notions de flux et de continuité. Pas de narratif, mais des sons à perte de vue.
Five Shards Sue Lynch Adrian Northover Dawid Frydryk Ed Lucas Thanos Chrysakis Aural Terrains
https://auralterrains.com/releases/46
Notre ami Thanos Chrysakis, claviériste, improvisateur, compositeur, concepteur de projets et responsable du label Aural Terrains persévère et assume toute la complexité et l’originalité de sa démarche de recherches musicales et d’éditions. La série d’enregistrements publiée ces dernières années par Aural Terrains avec ses clarinettistes basses Ove Volquartz, Chris Cundy, Yoni Silver, Tim Hodgkinson, les saxophonistes Sue Lynch et maintenant , Adrian Northover, l’organiste Peer Schlechta, Steve Noble, le maître à l’orgue, aux claviers, à l’électronique et au piano,ses propres compositions et ses compositions de commande, … toutes ces initiatives qui s’enchaînent au fil des dernières années finissent par constituer un catalogue de chefs d’œuvre et de réussites exemplaires connectant plusieurs démarches dans un tout lisible, créatif, récurrent et … en tout point remarquable.
Les saxophonistes Sue Lynch (aussi à la flûte) et Adrian Northover (au soprano), se sont joints au trompettiste Dawid Frydryk (au TC Helicon et voicelive) , au tromboniste Ed Lucas et à Thanos C à l’ordinateur, aux synthés et au piano. Par rapport à ses autres albums sur Aural Terrains, une approche semi minimaliste, épurée, détaillée, flottante. Tutti, vibrations électroniques oscillantes, effets d’anches et d’embouchures, bruissements, explorations minutieuses de timbre au bord du silence, drones, techniques alternatives, scories free, science de l’infra-son. Cinq pièces intitulées Shards 1, 2, 3, 4 et 5 mettent en formes et en sons des idées – propositions organiques et partagées intensément par chacun(e) des musicens-nne. Une démarche à la fois collective et originale d'une grande cohérence.
Knotted Threads Yves Charruest – Benedict Taylor tour de bras / inexhaustible edition tdb 90048 – ie - 040
https://inexhaustibleeditions.bandcamp.com/album/knotted-threads
Saxophoniste Québecquois, Yves Charuest aime à manipuler les clés de son sax alto tout en insufflant des infrasons dans la colonne d’air alors que son comparse, le violiste Benedict Taylor titille les cordes pressées sur la touche tout archet tournoyant et rebondissant à mi-voix. Ensemble, ils extraient des vibrations sonores, zébrures irisées et ondoyantes, boucles irrésolues d’où sourd des occurrences sonores fraternelles. Knotted Threads, en effet. Un mouvement perpétuel de tresses organiques nouées et tordues par l’énergie contenue de leurs actions : articulations rotatoires d’un souffle contraint et serpentins de glissandi et de frottements assourdis, va et vient d’intensités contrôlés par l’instinct. Cinq improvisations – ossel hitch – round lashing – poldo tackle – chain sinnet – bimini twist aux durées décroissantes à mesure que la densité des échanges s’échauffe ou se polarise. Enregistré le 4 – 12 – 2019 à Montréal et coproduit par le label canadien tour de bras et le slovène inexhaustible editions, une fructueuse association intercontinentale. Cela me fait plaisir de découvrir un saxophoniste alto confronté avec un violiste (altiste) vif éclair tel que Benedict Taylor : une combinaison originale qui dévoile des moments secrets et dont les deux duettistes s’efforcent volontairement à étendre les registres, les sinuosités, les diffractions d’harmoniques et toute la gamme de sonorités mises à jour dans leur empressement à en étirer les possibilités comme des orpailleurs de l’impossible. Yves Charuest se surpasse en croisant sans cesse les articulations et doigtés dans des boucles infinies alors que Benedict Taylor confirme toujours la finesse étincelante de son magique coup d’archet. Une magnifique conversation sans paroles ni gestes, seulement l’évidence d’une écoute mutuelle et d’une invention spontanée servie par une belle maîtrise des éléments sonores.
Dance Steps Sergio Armaroli & Roger Turner Leo Records CD LR 899.
http://www.leorecords.com/?m=select&id=CD_LR_899
Sergio Armaroli est un bien intéressant vibraphoniste « free » que nous avons découvert aux côtés d’Andrea Centazzo, Giancarlo Schiaffini, Harri Sjöström et Fritz Hauser. C’est avec ces deux derniers qu’il nous a livré ces deux meilleurs opus : Duos and Trios avec le saxophoniste soprano Harri Sjöström et le tromboniste Giancarlo Schiaffini sur deux morceaux et Angelica avec le percussionniste suisse Fritz Hauser, tous deux pour Leo Records, label auquel il semble abonné. Orbits avec Centazzo, Schiaffini et Sjöström et réalisé pour Ictus avait été préfacé par Evan Parker. Et voici maintenant des Dance Steps publiés à nouveau par Leo en compagnie du percussionniste Roger Turner, un des grands originaux de la percussion improvisée qui défie souvent les pronostics. Dialogues détaillés, échappées dans l’imaginaire, extension – extrapolation de la pratique du swing cosmique, introspection consciente et spontanée de la gestuelle du batteriste, souvent à la limite du silence, frôlements des surfaces et étirements continuels de suggestions mélodiques dans le chef du vibraphoniste. Armaroli louvoie aux confins des gammes. Une dérive poétique, rêve éveillé, sollicitant des atavismes rythmiques inscrits au fond des neurones et dans la sensibilité des duettistes sans le moindre cliché - réflexe. La trajectoire de Roger Turner est une exception mal comprise qui se révèle aux côtés d'originaux insituables tel Sergio Armaroli une exception
9 septembre 2021
Cecil Taylor Ensemble Göttingen/ Tom Jackson & Vid Drasler/ Violeta Garcia & Émilie Girard-Charest / Barre Philipps John Butcher Ståle Liavik Solberg
Cecil Taylor Ensemble Göttingen Live at Junges Theater Göttingen sep 15th 1990 Fundacja Sluchaj FSR 10/2021 double CD.
https://sluchaj.bandcamp.com/album/gottingen
En 1988, Cecil Taylor avait été invité à Berlin pour une extraordinaire résidence d’artiste en compagnie de musiciens improvisateurs européens par la coopérative de musiciens FMP fondée par Kowald, Schlippenbach, Brötzmann, Jost Gebers, etc… FMP qui est aussi un label publia ensuite un imposant coffret de onze CD’s réunissant ces concerts Berlinois : In Berlin 88. On y trouvait des duos avec les percussionnistes Han Bennink, Tony Oxley, Paul Lovens, Gunther Sommer et Louis Moholo et le guitariste Derek Bailey, un trio avec Evan Parker et Tristan Honsinger, un album solo et deux grands orchestres. Le premier rassemblait la crème de la crème improvisée : Bennink, Sclavis, Evan Parker, Brötzmann, Enrico Rava, Gunter Hampel, William Parker, Evan Parker, Hannes Bauer, Martin Mayes, le deuxième orchestre était le fruit d’un travail d’atelier et répétitions avec des musiciens moins connus et certains plus jeunes (« amateurs »). L’enregistrement de leur concert dirigé par Taylor portait le titre « Legba Crossing » et la référence FMP CD 0 dans le catalogue FMP. Ce cd n’était disponible qu’en achetant le coffret entier, comme si c’était un bonus. Sans doute, les responsables de FMP n’ont pas cru bon le publier en CD séparé comme les autres albums inclus dans le coffret. Un peu frustrant pour les musiciens qui eux, avaient travaillé durant de longues journées pour obtenir les arrangements et les sons désirés par le maître. J’ajoute que parmi ces musiciens, nombreux sont devenus des « valeurs sûres » , comme le pianiste canadien Paul Plimley, le violoniste Harald Kimmig, les contrebassistes Georg Wolf et Alexander Frangenheim, les batteurs Peter Uuskyla et H Lukas Lindenmayer et les souffleurs Birgit Vinkeloe et Ove Volquartz. Cecil était enthousiaste et favorablement impressionné par cet ensemble au point qu’il invita Harald Kimmig à se joindre à lui par la suite (Looking Berlin version – Corona FMP CD 31). Qu’à cela ne tienne, Ove Volquartz, lui-même enseignant dans la ville de Göttingen, parvient à monter un projet de grand orchestre en invitant Cecil avec une grande partie des membres du workshop Berlinois de 1988 et quelques nouveaux dont le saxophoniste Martin Speicher et le percussionniste Kojo Samuels. Après plusieurs journées intenses de répétitions et de mises au point, le Cecil Taylor Ensemble tint un concert titanesque à Göttingen pour le festival de jazz de la ville. Il délivra aussi une performance à la Documenta de Kassel, ville toute proche, devant un très large public ébahi. Chacun des deux CD’s contient le Set 1 (cd1) et le Set 2 + le rappel (cd2), chaque set étant divisée en deux parties (44’04’’ – 28’24’’ et 43’34’’ – 12’58’’ et le rappel 9’33’’). Taylor a établi des structures et des ostinati – modules tournoyant et sur les quels s’appuient chacun des solistes. Il y joue du piano et on compte un trompettiste, un trombone, trois anches, un violoniste, trois contrebassistes, trois batteurs et un percussionniste africain, Kojo Samuels qu’on entend au balafon et à l’elephanthorn. Cecil s’adonne à la poésie en direct et on le distingue clairement au piano haranguant public et musiciens, secondé par les contrebasses à l’archet, Kojo Samuels et un des batteurs, par exemple dans le Set 1 – Part Two. Il s’agit d’un document révélateur et donc, pas vraiment d’un enregistrement réalisé avec une prise de sons détaillée. Toutefois, à l’aide du casque d’écoute, un volume puissant et une chaîne hi-fi un peu pointue, les deux cd’s délivrent leurs secrets et dévoilent l’énergie énorme insufflée par cette équipe follement enthousiaste, engagée et, disons-le, en transe. Une intrication de segments et de spirales éruptives, de riffs stratosphériques, un vortex d’appels et de contrepoints hyper vitaminés. On sait que nombre de spécialistes et d’auditeurs n’ont d’yeux que pour les improvisateurs connus, célébrés et imaginent qu’il faut être une pointure très expérimentée pour partager une telle expérience avec Cecil Taylor. Mais quand vous avez affaire à Cecil Taylor comme compositeur et chef d’orchestre vous êtes projeté dans un univers intense, dans la fascination de son extraordinaire énergie et de son engagement total au point qu’une intense communion unit les corps et les esprits au-delà du sens commun et de la normalité de ce bas monde. Chaque musicien avec un talent réel et une profonde envie à relever le défi, se sent aspiré vers le haut, emporté par ces vagues de cycles interactifs, une africanisation forcenée. À plusieurs reprises, l’Ensemble semble revenir sur terre et la puissance des décibels s’évanouit pour basculer dans une communion presque introvertie toute en esquisse d’hésitants pas de danse.Quelques musiciens choisis pour leur instrument ou leur personnalité accompagnent Cecil au piano en toute légèreté avec des sonorités remarquables ou surprenantes jusqu’à ce que se dessinent graduellement de nouveaux motifs de quelques notes qui, en se croisant et s’empilant, débouchent finalement dans un long mouvement giratoire tendant vers une phase déflagratoire. Le Set 2 est tout à fait révélateur à cet égard : il faut signaler la partie cruciale du violoniste Harald Kimmig et la connivence polyrythmiques des percussionnistes.
Un mot sur l’initiateur de cet enregistrement taylorien : Ove Volquartz est un as des anches (sax ténor & soprano, flûtes et clarinettes). Avec sa maîtrise des clarinettes basse et contrebasse, celle-ci dans un mode lyrique étonnamment fluide et subtil, il incarne parfaitement cette scène improvisée – free-jazz « régionale » peuplée de pointures peu communes qu’on entend trop rarement à l’étranger. On songe à Paul Hubweber, Carl Ludwig Hübsch, Martin Speicher, Stefan Keune, Georg Wissel, Georg Wolf, Hans Schneider, Harald Kimmig, Uwe Oberg, Ulli Böttcher, Erhard Hirt, Michael Vorfeld, Olaf Rupp, Philipp Zoubek, Elisabeth Coudoux etc…
Très intéressant à écouter, malgré la hi-fi … Très impressionnant de toute façon.
Tom Jackson & Vid Drasler At The Cultural Home Zavod Sploh ZAS CD 23
https://sploh.bandcamp.com/album/at-the-cultural-home
Zavod Sploh, label slovène d’avant-garde, s’est heureusement commis dans des musiques décoiffantes qui sortent souvent de l’ordinaire et incluses dans des pochettes au graphisme peu commun, avec notes et détails griffonnés, dessins ou photos surréalistes , colorés ou noir et blanc. Chaque conception de pochettes cultive son univers propre, mais elles ont toutes des points communs avec leurs graffitti maladroits, fil conducteur du label. On leur doit des OVNI sonores comme le lump in the throat de la chanteuse Irena Z. Tomazin avec son épais carnet de graphismes à l’encre (artiste Matej Stupica) relié au fil noir (ZASCD 018) et les opus du contrebassiste Tomaz Grom en duo avec le percussionniste Zlatko Kaucic (the ear is the shadow of the eye ZASCD 020) et avec le trompettiste Axel Dörner qui pousse le Berlinois au plus haut de son savoir faire inégalé (confined movement ZASCD 19). Le comble du délire (expressionniste grinçant) est atteint par stutter and strike du saxophoniste Martin Küchen et du bruiteur Samo Kutin, armé d’une vielle à roue modifiée, de ressorts acoustiques réverbérants et d’autres accessoires (ZASCD 021). Tous ces albums joyeusement dérangeants ont été décrits dans ce blog, vous pouvez en rechercher la trace, bon amusement. Un peu plus dans les « conventions » musicales, ZS nous propose un magnifique duo entre la clarinette batifolante et aérienne de Tom Jackson et les percussions subtiles de Vid Drasler. Tournoyant et sursautant en dosant astucieusement son souffle, le timbre et les colorations de son instrument à anche, Tom Jackson s’impose comme un des grands de la profession tels que son camarade Alex Ward ou ce très remarquable outsider qu’est Xavier Charles. T.J. truste de multiples expériences et acquits dans plusieurs domaines, jazz swing, bebop ou « avant », classique, contemporain, etc… et sa pratique délivre une remarquable synthèse de tous ces courants dans un style aussi affirmé que louvoyant. Dans ce concert remarquable développe ici un enchaînement d’improvisations au travers de nombreux affects, caractéristiques sonores et des girations et circonvolutions propres au chalumeau intensifié, souligné ou apaisé par les frappes obliques et chavirantes de Vid Drasler. L’art du rebondissement fécond et de l’ellipse sinusoïdale, celle-ci astucieusement en phase avec les volutes de son camarade. Ce n’est pas toutes les semaines qu’on croise un percussionniste aussi original. Deux improvisation détaillent à merveille le panorama des potentialités des deux duettistes : Before durant 34’13’’ et After pour 9’13’’. Ils se nourrissent mutuellement de leurs inventions, enrichissant ainsi notre perception d’un dialogue tangentiel instantané de haut niveau.
Impermanence Violeta Garcia & Émilie Girard-Charest tour de bras / inexhaustible editions tdb90049 / ie-041
https://inexhaustibleeditions.bandcamp.com/album/impermanence
Deux violoncellistes provenant du Canada et impliquées dans la mouvance du label collectif tour de bras, lequel entame une édition conjointe avec le label slovène inexhaustible editions dont je vous entretiens au fil de ses (très) intéressantes parutions. Cinq improvisations illustrant soniquement les ressources sonores et vibratoires de deux violoncelles en symbiose. I -II -III -IV -V pour 5 :57 – 13 :23 – 7 :43 – 7 :30 – 7 :17). Très remarquable duo qu’on peut faire tourner à l’envi sur le lecteur CD en diffusant les échappées et mises en commun auditives et ludiques créant des formes musicales aussi pertinentes et fascinantes les unes que les autres. Ça zig-zague, s’imbrique, chante à l’unisson, sature la vibration, s’entre choque, frappe col legno, rebondit, sursaute, dérappe, mordille, grince... L’empathie entre les deux musiciennes se situe au zénith. J’avais déjà profité joyeusement d’un super Quatuor d’Occasion où Émilie Girard Charest excellait aux côtés de Malcolm Golstein, Joshua Zubot et Jean René (violons, alto et cello) (http://www.actuellecd.com/fr/cat/et_22/) . Vous avez bien lu : Malcolm Goldstein ! Joshua Zubot est le violoniste de choix de Tristan Honsinger au sein d’In The Sea… hum ! Donc, si vous avez quelques considérations pour les recherches violonistiques de l’éminent Dr Johannes Rosenberg, Impermanence sera pour vous un album de première bourre, un talisman précieux et le moyen de passer des instants délicieux et roboratifs question spleen morose engendré par cette pandémie qui n’en finit pas. La création libre contemporaine par excellence. Félicitations encore à Laszlo Juhasz pour initier cette collaboration musicale outre-atlantique entre le Québec et la Slovénie. On pourra lui commander des albums d’Amérique du Nord en restant au sein de l’U.E. et éviter frais de douane et TVA abusifs.
Barre Philips John Butcher Ståle Liavik Solberg We Met And Then Relative Pitch RPR1122
https://johnbutcher1.bandcamp.com/album/we-met-and-then-2
Enregistré dans deux des plus actifs bastions de l’improvisation : les morceaux 1,2 et 3 à Blow Out durant leur Festival en août 2019 à Oslo et les morceaux 4,5 et 6 à Offene Ohren à Munich, ce trio multigénérationnel place la barre très haut musicalement tout en maintenant une ouverture d’inspiration et une grande clarté dans les échanges. On retrouve la quintessence de la contrebasse : Barre Phillips. La plénitude dans le frottement vibré de l'archet, miroitement d efréquences rares John Butcher fascine l’auditeur tout en créant un espace dynamique et auditif, un équilibre qui met ses collègues en valeur. Une recherche sonore quasi scientifique de timbres rares, prises de bec acides,résonnances, harmoniques pincées et souffle fragmenté en cristaux et gravats, jeu mesuré et articulé avec des silences étudiés et ressentis. Cela nous permet de nous focaliser dans les détails aussi dosés que foisonnants des frappes précises d’une grande variété de sons mats ou scintillants et de figures gestuelles alimentées par le batteur, Ståle Liavik Solberg, un improvisateur norvégien découvert aux côtés de feu John Russell, John Edwards, Steve Beresford, etc… Le contrebassiste se veut ici aussi méthodique que ses alter egos laissant filtrer un lyrisme qui sourd au delà de toute atteinte. Saluons aussi ces quelques silences soudains qui happent notre attention vers les équilibres instables et fugaces qui surgissent quelques instants plus tard. Un album merveilleux qui rassemble de nombreux points forts de cette musique interactive basée sur l’écoute mutuelle et la coexistence de personnalités différentes en empathie totale. Rappelons que nous avons entendu très souvent Barre Philips aux côtés de saxophonistes chercheurs comme Urs Leimgruber ou Michel Doneda. Tout à fait naturel de l’entendre en compagnie de John Butcher, avec S.L. Solberg en troisième homme providentiel tissant un écrin pour l'octogénaire du gros violon inspiré. Très recommandé !
https://sluchaj.bandcamp.com/album/gottingen
En 1988, Cecil Taylor avait été invité à Berlin pour une extraordinaire résidence d’artiste en compagnie de musiciens improvisateurs européens par la coopérative de musiciens FMP fondée par Kowald, Schlippenbach, Brötzmann, Jost Gebers, etc… FMP qui est aussi un label publia ensuite un imposant coffret de onze CD’s réunissant ces concerts Berlinois : In Berlin 88. On y trouvait des duos avec les percussionnistes Han Bennink, Tony Oxley, Paul Lovens, Gunther Sommer et Louis Moholo et le guitariste Derek Bailey, un trio avec Evan Parker et Tristan Honsinger, un album solo et deux grands orchestres. Le premier rassemblait la crème de la crème improvisée : Bennink, Sclavis, Evan Parker, Brötzmann, Enrico Rava, Gunter Hampel, William Parker, Evan Parker, Hannes Bauer, Martin Mayes, le deuxième orchestre était le fruit d’un travail d’atelier et répétitions avec des musiciens moins connus et certains plus jeunes (« amateurs »). L’enregistrement de leur concert dirigé par Taylor portait le titre « Legba Crossing » et la référence FMP CD 0 dans le catalogue FMP. Ce cd n’était disponible qu’en achetant le coffret entier, comme si c’était un bonus. Sans doute, les responsables de FMP n’ont pas cru bon le publier en CD séparé comme les autres albums inclus dans le coffret. Un peu frustrant pour les musiciens qui eux, avaient travaillé durant de longues journées pour obtenir les arrangements et les sons désirés par le maître. J’ajoute que parmi ces musiciens, nombreux sont devenus des « valeurs sûres » , comme le pianiste canadien Paul Plimley, le violoniste Harald Kimmig, les contrebassistes Georg Wolf et Alexander Frangenheim, les batteurs Peter Uuskyla et H Lukas Lindenmayer et les souffleurs Birgit Vinkeloe et Ove Volquartz. Cecil était enthousiaste et favorablement impressionné par cet ensemble au point qu’il invita Harald Kimmig à se joindre à lui par la suite (Looking Berlin version – Corona FMP CD 31). Qu’à cela ne tienne, Ove Volquartz, lui-même enseignant dans la ville de Göttingen, parvient à monter un projet de grand orchestre en invitant Cecil avec une grande partie des membres du workshop Berlinois de 1988 et quelques nouveaux dont le saxophoniste Martin Speicher et le percussionniste Kojo Samuels. Après plusieurs journées intenses de répétitions et de mises au point, le Cecil Taylor Ensemble tint un concert titanesque à Göttingen pour le festival de jazz de la ville. Il délivra aussi une performance à la Documenta de Kassel, ville toute proche, devant un très large public ébahi. Chacun des deux CD’s contient le Set 1 (cd1) et le Set 2 + le rappel (cd2), chaque set étant divisée en deux parties (44’04’’ – 28’24’’ et 43’34’’ – 12’58’’ et le rappel 9’33’’). Taylor a établi des structures et des ostinati – modules tournoyant et sur les quels s’appuient chacun des solistes. Il y joue du piano et on compte un trompettiste, un trombone, trois anches, un violoniste, trois contrebassistes, trois batteurs et un percussionniste africain, Kojo Samuels qu’on entend au balafon et à l’elephanthorn. Cecil s’adonne à la poésie en direct et on le distingue clairement au piano haranguant public et musiciens, secondé par les contrebasses à l’archet, Kojo Samuels et un des batteurs, par exemple dans le Set 1 – Part Two. Il s’agit d’un document révélateur et donc, pas vraiment d’un enregistrement réalisé avec une prise de sons détaillée. Toutefois, à l’aide du casque d’écoute, un volume puissant et une chaîne hi-fi un peu pointue, les deux cd’s délivrent leurs secrets et dévoilent l’énergie énorme insufflée par cette équipe follement enthousiaste, engagée et, disons-le, en transe. Une intrication de segments et de spirales éruptives, de riffs stratosphériques, un vortex d’appels et de contrepoints hyper vitaminés. On sait que nombre de spécialistes et d’auditeurs n’ont d’yeux que pour les improvisateurs connus, célébrés et imaginent qu’il faut être une pointure très expérimentée pour partager une telle expérience avec Cecil Taylor. Mais quand vous avez affaire à Cecil Taylor comme compositeur et chef d’orchestre vous êtes projeté dans un univers intense, dans la fascination de son extraordinaire énergie et de son engagement total au point qu’une intense communion unit les corps et les esprits au-delà du sens commun et de la normalité de ce bas monde. Chaque musicien avec un talent réel et une profonde envie à relever le défi, se sent aspiré vers le haut, emporté par ces vagues de cycles interactifs, une africanisation forcenée. À plusieurs reprises, l’Ensemble semble revenir sur terre et la puissance des décibels s’évanouit pour basculer dans une communion presque introvertie toute en esquisse d’hésitants pas de danse.Quelques musiciens choisis pour leur instrument ou leur personnalité accompagnent Cecil au piano en toute légèreté avec des sonorités remarquables ou surprenantes jusqu’à ce que se dessinent graduellement de nouveaux motifs de quelques notes qui, en se croisant et s’empilant, débouchent finalement dans un long mouvement giratoire tendant vers une phase déflagratoire. Le Set 2 est tout à fait révélateur à cet égard : il faut signaler la partie cruciale du violoniste Harald Kimmig et la connivence polyrythmiques des percussionnistes.
Un mot sur l’initiateur de cet enregistrement taylorien : Ove Volquartz est un as des anches (sax ténor & soprano, flûtes et clarinettes). Avec sa maîtrise des clarinettes basse et contrebasse, celle-ci dans un mode lyrique étonnamment fluide et subtil, il incarne parfaitement cette scène improvisée – free-jazz « régionale » peuplée de pointures peu communes qu’on entend trop rarement à l’étranger. On songe à Paul Hubweber, Carl Ludwig Hübsch, Martin Speicher, Stefan Keune, Georg Wissel, Georg Wolf, Hans Schneider, Harald Kimmig, Uwe Oberg, Ulli Böttcher, Erhard Hirt, Michael Vorfeld, Olaf Rupp, Philipp Zoubek, Elisabeth Coudoux etc…
Très intéressant à écouter, malgré la hi-fi … Très impressionnant de toute façon.
Tom Jackson & Vid Drasler At The Cultural Home Zavod Sploh ZAS CD 23
https://sploh.bandcamp.com/album/at-the-cultural-home
Zavod Sploh, label slovène d’avant-garde, s’est heureusement commis dans des musiques décoiffantes qui sortent souvent de l’ordinaire et incluses dans des pochettes au graphisme peu commun, avec notes et détails griffonnés, dessins ou photos surréalistes , colorés ou noir et blanc. Chaque conception de pochettes cultive son univers propre, mais elles ont toutes des points communs avec leurs graffitti maladroits, fil conducteur du label. On leur doit des OVNI sonores comme le lump in the throat de la chanteuse Irena Z. Tomazin avec son épais carnet de graphismes à l’encre (artiste Matej Stupica) relié au fil noir (ZASCD 018) et les opus du contrebassiste Tomaz Grom en duo avec le percussionniste Zlatko Kaucic (the ear is the shadow of the eye ZASCD 020) et avec le trompettiste Axel Dörner qui pousse le Berlinois au plus haut de son savoir faire inégalé (confined movement ZASCD 19). Le comble du délire (expressionniste grinçant) est atteint par stutter and strike du saxophoniste Martin Küchen et du bruiteur Samo Kutin, armé d’une vielle à roue modifiée, de ressorts acoustiques réverbérants et d’autres accessoires (ZASCD 021). Tous ces albums joyeusement dérangeants ont été décrits dans ce blog, vous pouvez en rechercher la trace, bon amusement. Un peu plus dans les « conventions » musicales, ZS nous propose un magnifique duo entre la clarinette batifolante et aérienne de Tom Jackson et les percussions subtiles de Vid Drasler. Tournoyant et sursautant en dosant astucieusement son souffle, le timbre et les colorations de son instrument à anche, Tom Jackson s’impose comme un des grands de la profession tels que son camarade Alex Ward ou ce très remarquable outsider qu’est Xavier Charles. T.J. truste de multiples expériences et acquits dans plusieurs domaines, jazz swing, bebop ou « avant », classique, contemporain, etc… et sa pratique délivre une remarquable synthèse de tous ces courants dans un style aussi affirmé que louvoyant. Dans ce concert remarquable développe ici un enchaînement d’improvisations au travers de nombreux affects, caractéristiques sonores et des girations et circonvolutions propres au chalumeau intensifié, souligné ou apaisé par les frappes obliques et chavirantes de Vid Drasler. L’art du rebondissement fécond et de l’ellipse sinusoïdale, celle-ci astucieusement en phase avec les volutes de son camarade. Ce n’est pas toutes les semaines qu’on croise un percussionniste aussi original. Deux improvisation détaillent à merveille le panorama des potentialités des deux duettistes : Before durant 34’13’’ et After pour 9’13’’. Ils se nourrissent mutuellement de leurs inventions, enrichissant ainsi notre perception d’un dialogue tangentiel instantané de haut niveau.
Impermanence Violeta Garcia & Émilie Girard-Charest tour de bras / inexhaustible editions tdb90049 / ie-041
https://inexhaustibleeditions.bandcamp.com/album/impermanence
Deux violoncellistes provenant du Canada et impliquées dans la mouvance du label collectif tour de bras, lequel entame une édition conjointe avec le label slovène inexhaustible editions dont je vous entretiens au fil de ses (très) intéressantes parutions. Cinq improvisations illustrant soniquement les ressources sonores et vibratoires de deux violoncelles en symbiose. I -II -III -IV -V pour 5 :57 – 13 :23 – 7 :43 – 7 :30 – 7 :17). Très remarquable duo qu’on peut faire tourner à l’envi sur le lecteur CD en diffusant les échappées et mises en commun auditives et ludiques créant des formes musicales aussi pertinentes et fascinantes les unes que les autres. Ça zig-zague, s’imbrique, chante à l’unisson, sature la vibration, s’entre choque, frappe col legno, rebondit, sursaute, dérappe, mordille, grince... L’empathie entre les deux musiciennes se situe au zénith. J’avais déjà profité joyeusement d’un super Quatuor d’Occasion où Émilie Girard Charest excellait aux côtés de Malcolm Golstein, Joshua Zubot et Jean René (violons, alto et cello) (http://www.actuellecd.com/fr/cat/et_22/) . Vous avez bien lu : Malcolm Goldstein ! Joshua Zubot est le violoniste de choix de Tristan Honsinger au sein d’In The Sea… hum ! Donc, si vous avez quelques considérations pour les recherches violonistiques de l’éminent Dr Johannes Rosenberg, Impermanence sera pour vous un album de première bourre, un talisman précieux et le moyen de passer des instants délicieux et roboratifs question spleen morose engendré par cette pandémie qui n’en finit pas. La création libre contemporaine par excellence. Félicitations encore à Laszlo Juhasz pour initier cette collaboration musicale outre-atlantique entre le Québec et la Slovénie. On pourra lui commander des albums d’Amérique du Nord en restant au sein de l’U.E. et éviter frais de douane et TVA abusifs.
Barre Philips John Butcher Ståle Liavik Solberg We Met And Then Relative Pitch RPR1122
https://johnbutcher1.bandcamp.com/album/we-met-and-then-2
Enregistré dans deux des plus actifs bastions de l’improvisation : les morceaux 1,2 et 3 à Blow Out durant leur Festival en août 2019 à Oslo et les morceaux 4,5 et 6 à Offene Ohren à Munich, ce trio multigénérationnel place la barre très haut musicalement tout en maintenant une ouverture d’inspiration et une grande clarté dans les échanges. On retrouve la quintessence de la contrebasse : Barre Phillips. La plénitude dans le frottement vibré de l'archet, miroitement d efréquences rares John Butcher fascine l’auditeur tout en créant un espace dynamique et auditif, un équilibre qui met ses collègues en valeur. Une recherche sonore quasi scientifique de timbres rares, prises de bec acides,résonnances, harmoniques pincées et souffle fragmenté en cristaux et gravats, jeu mesuré et articulé avec des silences étudiés et ressentis. Cela nous permet de nous focaliser dans les détails aussi dosés que foisonnants des frappes précises d’une grande variété de sons mats ou scintillants et de figures gestuelles alimentées par le batteur, Ståle Liavik Solberg, un improvisateur norvégien découvert aux côtés de feu John Russell, John Edwards, Steve Beresford, etc… Le contrebassiste se veut ici aussi méthodique que ses alter egos laissant filtrer un lyrisme qui sourd au delà de toute atteinte. Saluons aussi ces quelques silences soudains qui happent notre attention vers les équilibres instables et fugaces qui surgissent quelques instants plus tard. Un album merveilleux qui rassemble de nombreux points forts de cette musique interactive basée sur l’écoute mutuelle et la coexistence de personnalités différentes en empathie totale. Rappelons que nous avons entendu très souvent Barre Philips aux côtés de saxophonistes chercheurs comme Urs Leimgruber ou Michel Doneda. Tout à fait naturel de l’entendre en compagnie de John Butcher, avec S.L. Solberg en troisième homme providentiel tissant un écrin pour l'octogénaire du gros violon inspiré. Très recommandé !
4 septembre 2021
Schlippenbach Quartett (Alex von S - Kowald - Lovens - Parker) / Evan Parker Lawrence Casserley Joel Ryan Paul Lytton / Kasuhisa Uchihashi & Roger Turner/ Richard Duck Baker
Schlippenbach Quartett : Three Nails Left (FMP 0210) Corbett vs Dempsey
https://www.corbettvsdempsey.com/records/three-nails-left/
Album absolument atypique dans le parcours du trio et (ou) quartette d’Alex von Schlippenbach enregistré live au festival de Moers en juin 1974 et à Berlin en février 1975 avec Evan Parker, Peter Kowald et Paul Lovens. Sur la pochette, une photo noir et blanc du légendaire atelier de Lovens à Aix-la Chapelle exposant son matériel percussif et ses outils accrochés aux murs ou empilé sur le sol, des bandes magnétiques, le réveil-matin à résonateur sous la fenêtre violemment éclairée par un soleil invisible et un étau bien utile pour adapter ou réparer ses instruments. Ce réveil-matin est visible sur la pochette d’Inside – Outside Refections , le LP du Dieter Scherf Trio. On voit aussi un xylophone africain sur le mur de droite, preuve irréfutable de l’influence benninkienne des débuts. Un morceau de Moers sur la face 1 du vinyle, Range signé Kowald/Schlippenbach (23 :44) et deux morceaux plus courts sur la face 2, Black Hole signé Evan Parker (11 :57) et Three Nails Left ; For P.L. conçu par Paul Lovens (4 :11). Le dédicataire en est Paul Lytton avec qui Lovens créa un duo extraordinaire, à mon avis un des deux ou trois meilleurs groupes d’improvisation entre 1975 et 1986, année durant laquelle j’assistai à leur dernier concert. Bien que ces musiciens personnifient l’improvisation radicale, leur parcours « improvisé » dans ces trois morceaux semble balisé autour d’idées préétablies de manière viscéralement intense, agressive ou … parfois retenue dans certains instants de grâce. Il y a fort longtemps, dans les années qui ont suivi sa publication, j’ai écouté et réécouté ce disque des dizaines de fois ou plus, complètement fasciné. Cette musique était unique, rare et nous avions alors peu d’enregistrements de ce genre. On entend Alex solliciter les cordes de sa table d’harmonie dans une rare cadence par-dessus le bourdonnement de la basse de Kowald, Evan Parker saturer un faux doigté réitéré sur son sax soprano en respiration circulaire ou contorsionner incroyablement son souffle et son articulation démente alors que Lovens râcle toutes les surfaces et objets sur ses tambours chinois y compris les trois clous de gauche. Il y a une expressivité expressionniste ahurissante et une énergie noire, trouble, hallucinante qui transcendent tous les mouvements, sections et détails de ces morceaux, très différents des disques suivants du Quartett comme the Hidden Peak (FMP041) ou cet extraordinaire « unreleased » Hunting the Snake publié lui aussi par John Corbett parmi ses Unheard Music Series du label Atavistic. Mon goût personnel place cet enregistrement au-dessus de Topography of the Lungs et d’un paquet d’autres albums très réussis de cette époque. À ne pas rater.
Evan Parker Electro Acoustic Quartet Live in Iwaki – Evan Parker Lawrence Casserley Joel Ryan Paul Lytton Uchimizu Records.
https://hsppico.official.ec/items/49592777
Enregistrement live et le seul connu de l’Evan Parker Electro Acoustic Quartet réalisé au Fukushima au Japon le 5 octobre 2000. Cette ville nous est malheureusement connue pour sa centrale nucléaire sinistrée par un tsunami de sinistre mémoire. Cela fait des années que Lawrence Casserley me parle de cet extraordinaire enregistrement, lequel représente pour lui le sommet de son travail au sein du Electro-Acoustic Ensemble d’Evan Parker, documenté dans plusieurs albums publiés par ECM et Psi, ce Quartet étant une version abrégée réunie pour une tournée japonaise mémorable. Evan Parker avait prévu de le publier immédiatement sur son label Psi à cette époque, mais l’organisateur Hisachi Terauchi estimait que cela aurait été un déshonneur de ne pas le publier lui-même. Et donc après avoir attendu très longtemps, le voici en fin publié vingt ans plus tard par un label japonais quasi invisible sur la toile et non distribué. Pour cause de Brexit et de « red tape » improprement remplie (je suppose), la copie que me destinait Lawrence a fait retour à son domicile après quelques mois d’attente (!). Fort heureusement, comme Paul Lytton vit en Belgique, la copie que j’écoute m’est parvenue le lendemain. Live In Iwaki est un des enregistrements d’Evan Parker qui sort complètement des sentiers battus et de toutes les notions qu’on se fait à son sujet et sur celui de son compagnon le plus fidèle, Paul Lytton. Il n’y joue pas du tout de la « batterie » mais exclusivement de son installation de cordes métalliques et objets disposés sur un cadre genre meccano et amplifiés par micro-contact et d’éléments de percussion qui interviennent discrètement ici et là. Joel Ryan distille des ondes électroniques par le truchement de son computer et Lawrence transforme en temps réel les sons des autres à travers son signal processing instrument. Evan Parker ajoute son souffle, des éléments mélodiques, des coups de langue de manière mesurée et circonspecte veillant à s’insérer dans le flux sonore suspendu, à la fois délicat et impérieux du quartet. La musique jouée en trois mouvements de 26, 23 et 20 minutes devient bruitiste, éthérée, glissante, mystérieuse, intersidérale, minimale, chercheuse, pointilliste un instant, imbriquée, contrastée, grandiose. Miasmes, vagues, secousses, envols, compressions, relâchements… Quelques soient diversifiés les différents moments traversés, on ressent une unité dans la direction, une puissance dans l’assurance à jouer l’essentiel, à affronter l’inconnu. La symbiose et la sensibilité des quatre artistes est telle qu’on ne cherche même plus à distinguer les contributions individuelles, mais leur riche totalité. D’ailleurs, quand peut-on dire qu’il s’agit d’Evan Parker ou du processing effectué par Lawrence Casserley ? On entend les miaulements des cordes de Lytton s’échapper des vibrations électroniques suscitées par Joel Ryan ou s’agit-il de LC ?? Evan Parker laisse beaucoup d’espace d’expression à ses trois comparses. Capacité jamais prise en défait d’une écoute mutuelle intense. On entend le « soliste » au saxophone s’échapper mélodiquement durant les premières minutes du troisième morceau entouré par la magie sonore de son équipe glissant en surface et grouillant dans les profondeurs. Les idées fusent naturellement, musique auto-générative d’une logique folle et imperceptible. L’an 2000 connut le démarrage de l’EAI (electro-acoustic improvisation) avec une multitude d’enregistrements, certains passionnants, d’autres … documentaires. Ici, nous avons droit à une extraordinaire tranche de vie, une mise en abîme, histoire complexe, peu prévisible et sans doute une pièce à conviction irréfutable.
The Lincoln Stretch Bike Carrier Kasuhisa Uchihashi – Roger Turner scätter
https://scatterarchive.bandcamp.com/album/the-lincoln-stretch-bike-carrier
Ce bon vieux Liam Stefani, lui-même improvisateur électronique remarquable, fait véritablement œuvre utile. Question percussions, on croit rêver en écoutant Roger Turner : il incarne à lui tout seul le drumming free et la libre improvisation. Aussi, il faut oser se confronter à un guitariste comme Kasuhisa Uchihashi qu’on entend aussi au daxophone, l’instrument aux lames de bois frottées à l’archet créé par feu Hans Reichel. Pourquoi ? Il s’agit de deux artistes aux préoccupations musicales différentes et leur volonté de dialogue oblique, voire tangentiel est réellement opérante. Roger Turner sollicite son obsession du rythme et de la pulsation en l’éludant, le soulignant, renouvelant constamment ses approches ludiques jusqu’à nous donner le tournis en focalisant notre écoute sur le moindre détail de ses figures improbables et inventions instantanées. Enregistré en septembre 2006 à Kid Ailack à Tokyo, leur association en duo a pris forme suite à leur première rencontre en 1997 à Vienne. Ils avaient enregistré Autism au sein du trio Conforts of Madness en compagnie de Helge Hinteregger, qui m'alaissé un souvenir fabuleux. On retrouve ici toute la pertinence de leurs recherches sonores passées et à venir.
Confabulations Duck Baker ESP 5065
http://www.espdisk.com/guitar
Duos avec Derek Bailey, Steve Beresford, John Butcher, Mark Dresser, Michael Moore et Roswell Rudd. Trio et Quartet avec Alex Ward John Edwards & Steve Noble.
Richard Duck Baker est un guitariste acoustique exemplaire et somme toute unique en son genre qui joue de la guitare six cordes nylon acoustique avec tous les doigts de la main droite en étant inspiré par la tradition du jazz et des musiques populaires et traditionelles. Cet Américain découvert au milieu des années 70 est au départ un spécialiste de la guitare « fingerstyle » en ragtime, blues, folk etc… qui a travaillé avec Stefan Grossman et John Renbourn et enregistré bien des morceaux oubliés des jazz Chicagoan ou Swing et du folklore irlandais. Dès 1977, il s’est inséré dans la free-music avec Eugène Chadbourne et Henry Kaiser (Guitar Trios / Parachute) et a exploré avec succès comment interpréter / rejouer en solo les musiques de Thelonious Monk et d’Herbie Nichols conçues pour le piano. Deux albums solos magistraux ont été publiés : Spinning Song the Music of Herbie Nichols (produit par John Zorn en 1994) et Duck Baker Plays Monk (Triple Point Records 2018). Quoi donc de plus normal de le retrouver en compagnie de feu Roswell Rudd, le tromboniste insigne du free-jazz et spécialiste numéro 1 de la musique d’Herbie Nichols ? D’ailleurs, aujourd’hui, Duck Baker construit des compositions inspirées et extrapolées de l’architecture musicale de celles de Nichols pour son trio avec le clarinettiste Alex Ward et le bassiste John Edwards augmenté du batteur Steve Noble. Herbie Nichols demeure un pianiste toujours trop peu connu, bien que son œuvre enregistrée se situe au cœur de nombreuses questions et réponses du jazz moderne au-delà du bebop. Ode To Jo et Tourbillion Air dévoilent seulement quelques aspects du travail de Baker avec Ward et compagnie, lequel prend tout son sens lorsque l’on écoute attentivement le CD Déjà Vouty en trio et Coffe For Three en quartet. Surgit un très fin échange avec la guitare de Derek Bailey enregistré en 2002 avant que le Carpal Tunnel Syndrome n’ait raison des capacités instrumentales du « Godfather » de la free-music européenne (Indie Pen Dance) : leurs lignes anguleuses et contrariantes s’interpénètrent à la limite du fouillis. Tout au long des plages de cet album, on apprécie le style à la fois épuré et sursautant de Baker sur sa guitare aux cordes nylon à laquelle il imprime un puissant sens du tempo. Tempo décalé avec de très fréquents arrêts et démarrages anticipés à l’infime fraction de seconde près. Virtuose évitant les paquets de note. Shenandoah fonctionne comme une sonate improbable avec l’archet majestueux du contrebassiste Mark Dresser, un compagnon de Braxton durant les années 80 et 90. Ils remettent cela dans Pope Slark (enreg en 1994) dans un registre plus onirique. East River Delta Blues et Signing off valent leur pesant de beurre frais baratté à l’ancienne avec la sonorité tailgate si caractéristique du vétéran free, Roswell Rudd, frère d’armes des Archie Shepp, John Tchicaï et Steve Lacy des beaux jours de la New Thing. Duos enregistrés en 2002 au Tonic à NYC. Deux saxophonistes de haut vol se distinguent particulièrement dans des dialogues de choix : Michael Moore dans Imp Romp 2 et John Butcher dans The Missing Chandler, tous deux saisis au Café Oto en 2008 et 2009. Car, notre ami habite dans la région londonienne et n’a pu donc s’empêcher de se commettre avec un des plus « British » parmi tous les improvisateurs, le pianiste Steve Beresford. En fait, la démarche de Duck Baker est tout à fait spéciale et ne peut être comparée ou examinée sous l’éclairage de guitaristes improvisateurs tels que Derek Bailey, Fred Frith, John Russell ou Keith Rowe. Pour se faire une idée valable de son apport, un magnifique albums solo, Outside (Emanem 5041) documente son ardu cheminement entre 1977 et 1983 avec entre autres deux versions de Peace d’Ornette Coleman et deux duos surprenants avec Eugene Chadbourne. Une place à part dans l’univers musical contemporain qui transcende les époques, les genres avec un talent absolument unique.
https://www.corbettvsdempsey.com/records/three-nails-left/
Album absolument atypique dans le parcours du trio et (ou) quartette d’Alex von Schlippenbach enregistré live au festival de Moers en juin 1974 et à Berlin en février 1975 avec Evan Parker, Peter Kowald et Paul Lovens. Sur la pochette, une photo noir et blanc du légendaire atelier de Lovens à Aix-la Chapelle exposant son matériel percussif et ses outils accrochés aux murs ou empilé sur le sol, des bandes magnétiques, le réveil-matin à résonateur sous la fenêtre violemment éclairée par un soleil invisible et un étau bien utile pour adapter ou réparer ses instruments. Ce réveil-matin est visible sur la pochette d’Inside – Outside Refections , le LP du Dieter Scherf Trio. On voit aussi un xylophone africain sur le mur de droite, preuve irréfutable de l’influence benninkienne des débuts. Un morceau de Moers sur la face 1 du vinyle, Range signé Kowald/Schlippenbach (23 :44) et deux morceaux plus courts sur la face 2, Black Hole signé Evan Parker (11 :57) et Three Nails Left ; For P.L. conçu par Paul Lovens (4 :11). Le dédicataire en est Paul Lytton avec qui Lovens créa un duo extraordinaire, à mon avis un des deux ou trois meilleurs groupes d’improvisation entre 1975 et 1986, année durant laquelle j’assistai à leur dernier concert. Bien que ces musiciens personnifient l’improvisation radicale, leur parcours « improvisé » dans ces trois morceaux semble balisé autour d’idées préétablies de manière viscéralement intense, agressive ou … parfois retenue dans certains instants de grâce. Il y a fort longtemps, dans les années qui ont suivi sa publication, j’ai écouté et réécouté ce disque des dizaines de fois ou plus, complètement fasciné. Cette musique était unique, rare et nous avions alors peu d’enregistrements de ce genre. On entend Alex solliciter les cordes de sa table d’harmonie dans une rare cadence par-dessus le bourdonnement de la basse de Kowald, Evan Parker saturer un faux doigté réitéré sur son sax soprano en respiration circulaire ou contorsionner incroyablement son souffle et son articulation démente alors que Lovens râcle toutes les surfaces et objets sur ses tambours chinois y compris les trois clous de gauche. Il y a une expressivité expressionniste ahurissante et une énergie noire, trouble, hallucinante qui transcendent tous les mouvements, sections et détails de ces morceaux, très différents des disques suivants du Quartett comme the Hidden Peak (FMP041) ou cet extraordinaire « unreleased » Hunting the Snake publié lui aussi par John Corbett parmi ses Unheard Music Series du label Atavistic. Mon goût personnel place cet enregistrement au-dessus de Topography of the Lungs et d’un paquet d’autres albums très réussis de cette époque. À ne pas rater.
Evan Parker Electro Acoustic Quartet Live in Iwaki – Evan Parker Lawrence Casserley Joel Ryan Paul Lytton Uchimizu Records.
https://hsppico.official.ec/items/49592777
Enregistrement live et le seul connu de l’Evan Parker Electro Acoustic Quartet réalisé au Fukushima au Japon le 5 octobre 2000. Cette ville nous est malheureusement connue pour sa centrale nucléaire sinistrée par un tsunami de sinistre mémoire. Cela fait des années que Lawrence Casserley me parle de cet extraordinaire enregistrement, lequel représente pour lui le sommet de son travail au sein du Electro-Acoustic Ensemble d’Evan Parker, documenté dans plusieurs albums publiés par ECM et Psi, ce Quartet étant une version abrégée réunie pour une tournée japonaise mémorable. Evan Parker avait prévu de le publier immédiatement sur son label Psi à cette époque, mais l’organisateur Hisachi Terauchi estimait que cela aurait été un déshonneur de ne pas le publier lui-même. Et donc après avoir attendu très longtemps, le voici en fin publié vingt ans plus tard par un label japonais quasi invisible sur la toile et non distribué. Pour cause de Brexit et de « red tape » improprement remplie (je suppose), la copie que me destinait Lawrence a fait retour à son domicile après quelques mois d’attente (!). Fort heureusement, comme Paul Lytton vit en Belgique, la copie que j’écoute m’est parvenue le lendemain. Live In Iwaki est un des enregistrements d’Evan Parker qui sort complètement des sentiers battus et de toutes les notions qu’on se fait à son sujet et sur celui de son compagnon le plus fidèle, Paul Lytton. Il n’y joue pas du tout de la « batterie » mais exclusivement de son installation de cordes métalliques et objets disposés sur un cadre genre meccano et amplifiés par micro-contact et d’éléments de percussion qui interviennent discrètement ici et là. Joel Ryan distille des ondes électroniques par le truchement de son computer et Lawrence transforme en temps réel les sons des autres à travers son signal processing instrument. Evan Parker ajoute son souffle, des éléments mélodiques, des coups de langue de manière mesurée et circonspecte veillant à s’insérer dans le flux sonore suspendu, à la fois délicat et impérieux du quartet. La musique jouée en trois mouvements de 26, 23 et 20 minutes devient bruitiste, éthérée, glissante, mystérieuse, intersidérale, minimale, chercheuse, pointilliste un instant, imbriquée, contrastée, grandiose. Miasmes, vagues, secousses, envols, compressions, relâchements… Quelques soient diversifiés les différents moments traversés, on ressent une unité dans la direction, une puissance dans l’assurance à jouer l’essentiel, à affronter l’inconnu. La symbiose et la sensibilité des quatre artistes est telle qu’on ne cherche même plus à distinguer les contributions individuelles, mais leur riche totalité. D’ailleurs, quand peut-on dire qu’il s’agit d’Evan Parker ou du processing effectué par Lawrence Casserley ? On entend les miaulements des cordes de Lytton s’échapper des vibrations électroniques suscitées par Joel Ryan ou s’agit-il de LC ?? Evan Parker laisse beaucoup d’espace d’expression à ses trois comparses. Capacité jamais prise en défait d’une écoute mutuelle intense. On entend le « soliste » au saxophone s’échapper mélodiquement durant les premières minutes du troisième morceau entouré par la magie sonore de son équipe glissant en surface et grouillant dans les profondeurs. Les idées fusent naturellement, musique auto-générative d’une logique folle et imperceptible. L’an 2000 connut le démarrage de l’EAI (electro-acoustic improvisation) avec une multitude d’enregistrements, certains passionnants, d’autres … documentaires. Ici, nous avons droit à une extraordinaire tranche de vie, une mise en abîme, histoire complexe, peu prévisible et sans doute une pièce à conviction irréfutable.
The Lincoln Stretch Bike Carrier Kasuhisa Uchihashi – Roger Turner scätter
https://scatterarchive.bandcamp.com/album/the-lincoln-stretch-bike-carrier
Ce bon vieux Liam Stefani, lui-même improvisateur électronique remarquable, fait véritablement œuvre utile. Question percussions, on croit rêver en écoutant Roger Turner : il incarne à lui tout seul le drumming free et la libre improvisation. Aussi, il faut oser se confronter à un guitariste comme Kasuhisa Uchihashi qu’on entend aussi au daxophone, l’instrument aux lames de bois frottées à l’archet créé par feu Hans Reichel. Pourquoi ? Il s’agit de deux artistes aux préoccupations musicales différentes et leur volonté de dialogue oblique, voire tangentiel est réellement opérante. Roger Turner sollicite son obsession du rythme et de la pulsation en l’éludant, le soulignant, renouvelant constamment ses approches ludiques jusqu’à nous donner le tournis en focalisant notre écoute sur le moindre détail de ses figures improbables et inventions instantanées. Enregistré en septembre 2006 à Kid Ailack à Tokyo, leur association en duo a pris forme suite à leur première rencontre en 1997 à Vienne. Ils avaient enregistré Autism au sein du trio Conforts of Madness en compagnie de Helge Hinteregger, qui m'alaissé un souvenir fabuleux. On retrouve ici toute la pertinence de leurs recherches sonores passées et à venir.
Confabulations Duck Baker ESP 5065
http://www.espdisk.com/guitar
Duos avec Derek Bailey, Steve Beresford, John Butcher, Mark Dresser, Michael Moore et Roswell Rudd. Trio et Quartet avec Alex Ward John Edwards & Steve Noble.
Richard Duck Baker est un guitariste acoustique exemplaire et somme toute unique en son genre qui joue de la guitare six cordes nylon acoustique avec tous les doigts de la main droite en étant inspiré par la tradition du jazz et des musiques populaires et traditionelles. Cet Américain découvert au milieu des années 70 est au départ un spécialiste de la guitare « fingerstyle » en ragtime, blues, folk etc… qui a travaillé avec Stefan Grossman et John Renbourn et enregistré bien des morceaux oubliés des jazz Chicagoan ou Swing et du folklore irlandais. Dès 1977, il s’est inséré dans la free-music avec Eugène Chadbourne et Henry Kaiser (Guitar Trios / Parachute) et a exploré avec succès comment interpréter / rejouer en solo les musiques de Thelonious Monk et d’Herbie Nichols conçues pour le piano. Deux albums solos magistraux ont été publiés : Spinning Song the Music of Herbie Nichols (produit par John Zorn en 1994) et Duck Baker Plays Monk (Triple Point Records 2018). Quoi donc de plus normal de le retrouver en compagnie de feu Roswell Rudd, le tromboniste insigne du free-jazz et spécialiste numéro 1 de la musique d’Herbie Nichols ? D’ailleurs, aujourd’hui, Duck Baker construit des compositions inspirées et extrapolées de l’architecture musicale de celles de Nichols pour son trio avec le clarinettiste Alex Ward et le bassiste John Edwards augmenté du batteur Steve Noble. Herbie Nichols demeure un pianiste toujours trop peu connu, bien que son œuvre enregistrée se situe au cœur de nombreuses questions et réponses du jazz moderne au-delà du bebop. Ode To Jo et Tourbillion Air dévoilent seulement quelques aspects du travail de Baker avec Ward et compagnie, lequel prend tout son sens lorsque l’on écoute attentivement le CD Déjà Vouty en trio et Coffe For Three en quartet. Surgit un très fin échange avec la guitare de Derek Bailey enregistré en 2002 avant que le Carpal Tunnel Syndrome n’ait raison des capacités instrumentales du « Godfather » de la free-music européenne (Indie Pen Dance) : leurs lignes anguleuses et contrariantes s’interpénètrent à la limite du fouillis. Tout au long des plages de cet album, on apprécie le style à la fois épuré et sursautant de Baker sur sa guitare aux cordes nylon à laquelle il imprime un puissant sens du tempo. Tempo décalé avec de très fréquents arrêts et démarrages anticipés à l’infime fraction de seconde près. Virtuose évitant les paquets de note. Shenandoah fonctionne comme une sonate improbable avec l’archet majestueux du contrebassiste Mark Dresser, un compagnon de Braxton durant les années 80 et 90. Ils remettent cela dans Pope Slark (enreg en 1994) dans un registre plus onirique. East River Delta Blues et Signing off valent leur pesant de beurre frais baratté à l’ancienne avec la sonorité tailgate si caractéristique du vétéran free, Roswell Rudd, frère d’armes des Archie Shepp, John Tchicaï et Steve Lacy des beaux jours de la New Thing. Duos enregistrés en 2002 au Tonic à NYC. Deux saxophonistes de haut vol se distinguent particulièrement dans des dialogues de choix : Michael Moore dans Imp Romp 2 et John Butcher dans The Missing Chandler, tous deux saisis au Café Oto en 2008 et 2009. Car, notre ami habite dans la région londonienne et n’a pu donc s’empêcher de se commettre avec un des plus « British » parmi tous les improvisateurs, le pianiste Steve Beresford. En fait, la démarche de Duck Baker est tout à fait spéciale et ne peut être comparée ou examinée sous l’éclairage de guitaristes improvisateurs tels que Derek Bailey, Fred Frith, John Russell ou Keith Rowe. Pour se faire une idée valable de son apport, un magnifique albums solo, Outside (Emanem 5041) documente son ardu cheminement entre 1977 et 1983 avec entre autres deux versions de Peace d’Ornette Coleman et deux duos surprenants avec Eugene Chadbourne. Une place à part dans l’univers musical contemporain qui transcende les époques, les genres avec un talent absolument unique.