Simao Costa piano Beat With Out Byte (un) learning machine Cipsela cip 010
https://cipsela.bandcamp.com/album/beat-with-out-byte
Dixième opus du label portugais qui nous a déjà offert des Vincent Ceccaldi en solo ou en duo avec Joëlle Léandre, Burton Greene avec Marcelo Dos Reis et compagnie, Joe McPhee solo, Marcelo Dos Reis en solo et avec Angelica Salvi, Luis Vicente solo, Daniel Levin et Rob Brown après avoir démarré sur chapeaux de roue avec l’extraordinaire performance de Carlos Zingaro dans le Mosteiro de Santa Clara. Je ne connaissais pas du tout le pianiste Simao Costa et c’est une très belle surprise. À mon avis leur album le plus original (avec le très puissant solo de Zingaro) parmi tous ces artistes vraiment originaux. Quatre compositions : 1 Beat 2 With 3 Out 4 Byte centrée sur le son du piano et ses ressources sonores. Comme il l’annonce tous les sons enregistrés sont acoustiques, produits par les cordes du piano et des aimants utilisant action ou induction. J’ignore si Simao Costa est un « grand » pianiste ou un quelconque génie, mais je peux vous assurer que c’est du grand art. Dans ce style exploratoire avec accessoires magnétiques, un artiste, même doué, peut se révéler « pas assez convaincant », voire un peu ennuyeux ou limité. Beat est sa version du minimalisme avec un toucher voisin de Tilbury et la résonance magnétique de la vibration des cordes. Le son meurt dans le silence. With exploite cette technique avec ondulations, oscillations, murmures et ensuite battements et grondements de cordes graves articulées avec un évident sens de la pulsation créant petit à petit un ostinato dont chaque élément est subtilement escamoté dans de multiples variations qui se croisent et s’accumulent. C’est fort et digne question force expressive des pianistes pionniers qui ont inscrit irrévocablement la pratique de l’improvisation radicale de la bourgeois beast à 88 touches et câbles tendus : Fred Van Hove, Alex von Schlippenbach, Irène Schweizer, Keith Tippett. Out répète inlassablement la même note grave alternant avec des percussions synchronisées sur les cordes avec des cadences inoubliables. J’avais un grand copain disquaire il y a plus de quarante ans et aujourd’hui disparu. Il adorait le « répétitif » et était fou de rythmes. Mon pote aurait été servi Bref, courez vite : il y en a seulement 300 copies. C’est à se taper la tête contre les murs.
Nothing Gianni Lenoci – Franco Degrassi 2CD Setola di Maiale SM 4240 – 4250
https://www.setoladimaiale.net/catalogue/view/SM4240-4250
A Few Steps Beyond Gianni Lenoci Amirani AMRN065
Nothing ! Je me souviens que le vinyle « Percussion Ensemble de Milford Graves featuring Sonny Morgan (ESP Disk 1015) contenait des morceaux intitulés « Nothing » numérotés 5-7 11-10, etc… Nothing = rien. À l’époque (1965), c’était sans doute un des quelques enregistrements parmi les plus jusqu’au boutistes du free et de la new music improvisée.
Il ne reste plus RIEN que des sons en libertés mus avec rien d’autre que l’imagination dans les associations de sons, de timbres et pulsations, pas de thème, de mélodie etc… C’est un peu le sentiment qu’on a en écoutant ce double CD NOTHING, juste après avoir survolé A Few Steps Beyond, l’album solo du regretté Gianni Lenoci paru chez Amirani. Il y interprète de manière dense et intense Lorraine et Latin Gernetics (Ornette), Ida Lupino et Blues Waltz (C Bley), All the Things You Are et Goodbye, mettant en évidence sa grande maîtrise du clavier et son inspiration à mi-chemin entre classique et jazz contemporain. Mais Nothing est un beau legs de son travail résolument contemporain (nettement plus avant-garde) et improvisé. Ses pianismes aériens, sombres ou lumineux, ses incursions précises dans le corps du piano, son sens du silence suspendu et la qualité de son toucher, sont ici confrontées aux trouvailles de Franco De Grassi, un spécialiste remarquable des live electronics. Tous deux sont aussi crédités Sonorous Bodies… mystère ! Chaque CD contient une longue improvisation , Nothing 1 (49 :30 – CD1) et Nothing 2 (54 :33 – CD2) et tous deux ont été enregistrés en Juillet et Août 2019 à Monopoli dans les Pouilles, la ville de Gianni Lenoci. L’installation électronique de Franco Degrassi se compose de micros « classiques » et de contact, les quels reprennent des sons captés hors du studio et un ordinateur pour effectuer un processing en temps réel d’un autre enregistrement plus ancien de Gianni. F.D. a ensuite édité en éliminant des instants « redondants » sans affecter la nature du matériau enregistré.
J’ai entendu et rencontré une fois Gianni Lenoci en concert avec Gianni Mimmo et j’ai été frappé par son magnifique esprit d’ouverture, sa capacité à exprimer ses intentions musicales dans l’instant en accordance avec son, sa ou ses partenaires et le moment vécu.
Il a joué fréquemment avec Joëlle Léandre, Francesco Cusa, Gianni Mimmo, Kent Carter, Steve Potts, Irene Aebi, Marcello Magliocchi. Gianni appartient autant au monde de la musique savante issue de la tradition classique ouverte vers l’inconnu que celui du jazz libre et de l’improvisation. Si A Few Steps est un beau témoignage de sa pratique personnelle du jazz au piano, Nothing n’est rien d’autre pour moi qu’un magnifique achèvement avant le grand départ dans l’au-delà un salut de l’artiste.
Ce Nothing exprime pour moi beaucoup de choses : une démarche sensible, un sens de la poésie, une science de la musique d’aujourd’hui, une qualité d’empathie avec un autre artiste très différent de lui, Franco De Grassi. Et c’est cette empathie exprimée ici qui est au centre de ce dialogue entre la puissance retenue des touches d’ivoire et les vibrations des cordes et les sons effilés et surprenants de son partenaire. Adieu, Gianni, et merci pour tout.
Hydra ensemble Voltas Gonçalo Almeida Nina Hitz Lucija Gregov Rutger Zuyderveldt inexhaustible editions ie-035
https://inexhaustibleeditions.bandcamp.com/album/voltas
Quartet on ne peut plus singulier : Hydra Ensemble. Contrebasse : Gonçalo Almeida, violoncelles : Nina Hitz et Lucija Gregov et électroniques : Rutger Zuyderveldt. Six pièces numérotées en chiffres romains de différentes durées ( de 15 minutes à 3, 6 et 9 approximativement) sous le titre général de Voltas. La musique s’étale dans le temps et l’espace dans de profondes et glissantes variations de drones à la fois scintillantes, grondantes, murmures sourds et harmoniques crissantes, vibrations de l’au-delà, battements d’archets, vagues et courants, le mouvement de l’eau (hydra). L’électronique contextualise le flux et contraint les cordes à plus de mystères, de force contenue… Il s’agit d’une musique conçue comme une installation sonore dans le temps, l’allongeant, le dilatant (I – 15 :24). Fort heureusement, le morceau II (-3 :18) a un point de départ mental et formel qui se détache de l’impression de masse du premier (I) pour évoquer une danse languissante avec de sombres frottements d’archet de toute beauté dans le grave. En III (6 :26), un sifflement persistant de l’électronique fait naître un murmure souterrain (la contrebasse) suivi par des mélismes fantomatiques d’harmoniques racées du violoncelle. IV (6 :51), le pouvoir suggestif d’un léger ostinato agrégé en hoquets de pizz auxquels s’agrègent de curieux sons électroniques et des frottements cadencés de cordes : une pièce très bien construite. Tout en restant fidèles à une démarche qu’on peut qualifier de minimaliste, les musiciens d’Hydra Ensemble maximalisent le pouvoir expressif de leur volonté de restreindre le flux musical. Avec Voltas, je me prends à rêver en apesanteur, le silence intégré aux sons, le flux maîtrisé, le recueillement des sens emportent la conscience dans le brumeux, les lueurs, l’espace de bords de mer et du songe. Voilà bien un projet qui transcende les éléments constitutifs de son accomplissement pour créer une véritable fascination. Je n’applaudis pas, mais je murmure de bonheur, et à la fin je m’écarquille.
Superimpose Matthias Müller & Christian Marien with John Butcher, Sofia Jernberg, Nate Wooley inexhaustible editions ie-33 Coffret 3 cédés.
https://inexhaustibleeditions.bandcamp.com/album/with-john-butcher-sofia-jernberg-nate-wooley
Un magnifique objet témoignage en trois cédés de l’évolution de Superimpose, le duo trombone - percussions de Matthias Müller et Christian Marien dans des rencontres avec un invité par CD, et cela depuis l’époque presque lointaine de leur premier album « Superimpose » publié en 2007 par Creative Sources (CS 092 CD) avec l’ampoule électrique de la pochette, suivi de Talk Talk (Leo Records 2010). On avait alors découvert un duo d’improvisation radical avec de nombreuses qualités qui évoquait les dialogues de Günther Christmann et Detlev Schönenberg ou Paul Lovens ou le tandem de Paul Rutherford et Tony Rusconi qui nous a laissé de rares témoignages. Sens de la dynamique, multiplicité des modes de jeu, clarté des intentions, remarquables recherches de timbres, dialogues assumés, libertés et écoute mutuelle active. La musique de Superimpose répond clairement et précisément à la question : Qu’est-ce la musique improvisée libre collective ? La free – music à la fois multidirectionnelle et amoureuse des détails sonores. Le trombone est l’archétype de l’instrument ingrat qui paradoxalement autorise toutes les folies sonores, l’aléatoire des troubles de la colonne d’air et des dérapages infligés aux lèvres serrées ou relâchées à travers lesquelles le tromboniste est tenu de chanter ou peut se laisser aller au délire de son imagination. Les hauteurs sur cet instrument découlent à la fois de la position de la coulisse et du chant buccal et ces deux aspects rentrent très souvent en collision dans la pratique de l’improvisateur radical bien avisé. L’éclatement sonore possible au trombone est complètement en phase avec le champ infini de sonorités qu’un percussionniste facétieux et adroit peut tirer de son attirail sur lequel il a tout loisir de déposer des ustensiles et objets en tous genres.
Dans ce coffret, j’aurais aimé y trouver un cédé en duo car cette association instrumentale trombone – percussion est en fait une chose rarement enregistrée et on aurait pu goûter les spécificités sonores de leur duo, abouti(es) au fil d’une étroite collaboration au fil des ans.
À mon avis, il est tout à fait justifié pour Müller et Marien de s’associer avec le saxophoniste John Butcher, car la démarche de celui-ci coïncide d’assez près à la leur. John a l’heur de s’introduire au sein d’une équipe qui joue comme lui de manière équilibrée, détaillée et logique et, ensemble, ils développent un super sens de la construction associé à leur esprit ludique, inspiré aussi par les plus récents développements de l’improvisation. On appréciera les super aigus sifflants et les growls en détachés de J.B. et son art consommé à déposer la cerise sur le gâteau des moments de grâce garnis d’effets de souffle irréels ou de riffs de trombone vocalisé. La chanteuse Sofia Jernberg, outre le fait qu’elle a un grand talent d’improvisatrice et de vocaliste est un choix tout aussi intéressant, même si la durée des deux improvisations de 27 et 6 minutes est caractéristique du « set de gig » Londonien durant lequel des copains aiment à se rencontrer « pour essayer » et le plaisir de jouer sans arrière-pensée au lieu d’une heure complète d’un « vrai » groupe. J’ai peine à dire si leur trio dépasse le plafond de verre qui sépare le vrai groupe assumé / légitime et la configuration ad hoc d’un set au point de vue du son d’ensemble. Mais un élément déroutant, fascinant apporte un plus, et accroche l’oreille. La dame a une voix très originale, féérique, immatérielle, physique et délicate. Mon sentiment de chanteur vocaliste improvisateur. Spontanément, sa vocalité nous fait oublier que Sofia est une artiste ayant passé par le cursus académique en Suède. Un pur produit authentique de la scène improvisée. Et cela s’intègre à ravir avec la stratégie souffle cuivre – peaux du duo et leurs scansions tournoyantes.
Une remarque pour le trio avec le trompettiste Nate Wooley dans le troisième CD : il y a une forte proximité sonore entre la trompette de NW et le trombone de MM aux niveaux des effets de timbre et de souffle. Il y a de fortes chances qu’en jouant le mieux possible comme ils le font ici, un duo Wooley – Müller se serait situé au meilleur des croisements de constellations. Bien sûr, et heureusement, le trio s’écoute agréablement, car ce sont d’excellents musiciens et de super improvisateurs. Des questions sont posées ! On obtient des réponses. Et oui, le trombone était bien l’instrument clé de la révolution improvisée (libre) européenne et la percussion libérée en est le complément idéal. On trouve ce fort feeling dans tout ce que touche Superimpose en duo ou accompagné.
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