Tony Oxley Unreleased 1974 – 2016 Discus 129 CD Tony Oxley Barry Guy Howard Riley Paul Rutherford Dave Holdsworth Hugh Metcalfe Phil Wachsmann Larry Stabbins Stefan Hölker
Discus publie cette fois-ci des inédits passionnants de deux groupes essentiels de Tony Oxley de 1974 et 1981 ainsi qu’un duo récent avec le percussionniste Stefan Hölker après avoir réédité le légendaire February Papers (LP Incus 18). Avec les deux plages en Sextet et Quartet parues en 1976 sur l’album Tony Oxley - Incus 8, les trois premières compositions inclues dans ce Unreleased 1973 2016 constituent les meilleurs documents des Quintets et Sextets d’ Oxley des années 70. Après les tentatives relativement plus « free-jazz » des albums CBS (), le percussionniste avait marqué les esprits avec le LP Ichnos (RCA) dans lequel ses compositions étaient jouées par Kenny Wheeler, Derek Bailey, Evan Parker, Barry Guy et T.O. , plus deux pièces pour percussions en solo, le tout dans une veine « contemporaine » avant-gardiste de recherche sonore et de formes absolument non conventionnelles. Cet album Ichnos ayant été disponible durant un court laps de temps avant sa liquidation à 99 pennies faute de vente suffisante, peu d’auditeurs ont pu s’en faire une idée. Sa direction musicale ultra radicale « mais composée » s’est encore plus affirmée dans les deux morceaux en Sextet et Quartet du légendaire LP Tony Oxley Incus 8 avec quasiment les mêmes musiciens, Wheeler étant remplacé par le trompettiste Alan Holdsworth, une pointure du jazz moderne qui s’est frotté avec succès à la free-music. On y trouvait quatre morceaux en solo jouée avec des percussions amplifiées et inouïes à l’époque. Dans the Embrace , Ensemble 1 et Ensemble 2 de 1974 révélées dans ce nouveau CD, on retrouve Holdsworth et Paul Rutherford avec le pianiste Howard Riley et le contrebassiste Barry Guy avec qui le batteur formait un fabuleux trio absolument révolutionnaire en 1973 (Synopsys LP Incus 13 réédité par Emanem en CD). D’ailleurs, Riley figure déjà dans le Sextet d’Incus 8 qu’on retrouve dans ce nouveau unreleased minus Evan Parker. À l’époque, si la musique solitaire pour percussion amplifiée d’Incus 8 me fascinait complètement ouvertement inspirée par les trouvailles d’amplification et de transformation du son de Derek Bailey à la guitare, la compositions en sextet ou quartet figurant dans cet album (Never before or again et Eiroc II) étaient un peu figées entre deux brefs thèmes atonaux/ bruitistes abrupts. Faut-il rappeler que tous ces pionniers de l’improvisation libre, Bailey, Parker, Oxley, Hugh Davies, Jamie Muir, Paul Rutherford, Barry Guy, Eddie Prévost, Keith Rowe, John Stevens, Maggie Nicols se sont influencés les uns les autres directement ou indirectement et … inconsciemment. Et les trois compositions de 1973 d’Oxley réunies ici s’affirment comme le sommet de cette phase dans sa démarche. Point important, l’absence du déferlement sonore explosif hyper haché d’Evan Parker au saxophone soprano crée un espace nettement moins dense au sein du groupe et permet une focalisation sur la dynamique et une évidence dans les dialogues qui s’insèrent entre chaque musicien. Chaque improvisateur y transforme les sons et timbres de leurs instruments en s’agrégeant les uns aux autres de manière volatile en jouant avec le silence et les sons électroniques (Oxley et Holdsworth). Barry Guy trifouille une basse électrique et sa contrebasse est étrangement amplifiée. Riley puise des sons rares avec doigts et objets dans les jeux de cordes du piano. Dave Holdsworth explore la tessiture et les sons extrêmes de sa trompette et il évoque le grand Bill Dixon avec qui Oxley enregistrera deux décennies plus tard. Et les sonorités vocalisées et glissantes de Paul Rutherford illuminent tout l’enregistrement. On apprécie la fluidité et les aspérités qui propulsent leur free music dans un domaine voisin des Stockhausen, Berio et Nuova Consonanza. C’est à se taper la tête contre les murs à cent lieues du free free - jazz violent de la panzer music teutonne ou expressionniste / lyrique de la New Thing de New York ou de Chicago. Abrupt et caustique avec une véritable empoignade effervescente dans Ensemble 2. Frame de 1981 réunit les fidèles de la deuxième phase des groupes de Tony Oxley, phase plus focalisée sur l’improvisation libre avec un penchant expressionniste du côté du saxophone : Larry Stabbins, un solide challenger d’Evan Parker, Howard Riley et le violoniste Phil Wachsmann. Il faut vraiment découvrir l'ardeur mordante et déchirante de Larry Stabbins au ténor qui pulvérise tout sur son passage et les inventions de Riley et Wachsmann, lequel, hystérique, triture son violon électronifié... À cette équipe de virtuoses, s’est joint l’inénarrable trublion provocateur et délirant personnage, le génial Hugh « Gasmask » Metcalfe, ci-devant guitariste acoustique massacrant une six cordes nylon d’étude classique sommairement amplifiée et muni d’un hi-hat ravageur, mais aussi blasphémateur, poète inspiré, revêtu d’une cape et d’un chapeau à la Zorro et complètement incontrôlable sur une scène ou dans un pub. Pilier incontournable de la scène londonienne entre 1980 et 2008, Hugh organisa le Klinker Club, une légendaire série de concerts qui migra de pub en pub de manière outrageuse et frénétique tout en étant le protégé de Phil Wachsmann au sein du Bugger All Stars publié sur label Bead records de ce dernier. Bead produit aussi The Glider & the Grinder avec Oxley , Wachsmann, Metcalfe et Wolfgang Fuchs un peu plus tard, le seul document des Quartet/ Quintet d'Oxley- deuxième génération. Cette improvisation de quinze minutes vaut la peine d’être écoutée de bout en bout. Pour info, les groupes de Metcalfe s’intitulent le Cross Dressed String Quartet (si si !), les Small Faeces, F… Off Batman et il joua longtemps avec Lol Coxhill, la danseuse surréaliste Jennifer Pike et le poète sonore Bob Cobbing. Pour clôturer une délicieuse recherche sonore avec le percussionniste Stefan Hölker et l’électronique de TO qui fait suite à Beaming, le récent cd d’Oxley publié sur Confront, le label de Mark Wastell.
Roswell Rudd & Duck Baker Live Dot Time DT8020
https://www.dottimerecords.com/product/roswell-rudd-duck-baker-live/
Roswell Rudd fut sans doute un tromboniste exemplaire du free – jazz des premières années et une voix inoubliable sur son instrument. Sa personnalité musicale fait le lien entre la musique du jazz naissant de la Nouvelle Orléans et du style jungle des années vingt et trente et les avancées d’Ornette Coleman. Une expression authentique aussi rayonnante et gorgée de soul que celle de Louis Armstrong et des trombonistes Vic Dickenson, Lawrence Brown ou Jack Teagarden. Dès qu’il joue la moindre note, sa voix instrumentale savoureuse est immédiatement reconnaissable. Roswell Rudd a joué un rôle important dans trois groupes incontournables des sixties : le New York Art Quartet avec John Tchicaï et Milford Graves, le quintet d’Archie Shepp documenté sur Live at Donaueschingen avec Jimmy Garrison, Grachan Moncur III et Beaver Harris dans une tournée européenne explosive, et les Schooldays avec Steve Lacy et Dennis Charles, spécialisé exclusivement dans les 54 compositions de Thelonious Monk dont trois d’entre elles sont interprétées. Il n’est certes pas un chercheur sonore révolutionnaire comme le fut son collègue Paul Rutherford, sa démarche étant focalisée sur l’ouverture de la « tradition » afro-américaine vers une expression libérée de clichés formels et de rituels conventionnels. Un authentique musicien de blues à part entière. Aussi, Roswell Rudd était le connaisseur et supporter numéro 1 du pianiste compositeur Herbie Nicols, l’ami proche dont il jouait toutes les compositions. Il a d’ailleurs collaboré avec Misha Mengelberg, Steve Lacy et Han Bennink, leur transmettant directement son amour de la musique de Nicols. Il se fait que le guitariste Richard Duck Baker, spécialiste incontournable du « fingerstyle » acoustique dans toutes ses dimensions stylistiques, a enregistré un album solo de pièces d’Herbie Nicols pour le label de John Zorn à l’instigation de celui-ci (Spinning Song/ Avan 1994). Cette expérience a amené Baker à rencontrer Roswell Rudd et à jouer avec lui. Cinq duos enregistrés par les deux compères figurent déjà dans deux albums de Duck Baker: Ducks Palace publié en 2009 par Incus (Incus CD59) , le label de Derek Bailey et Confabulations sur le label ESP, celui-là même qui a le New York Art Quartet dans son catalogue. Dans ces deux albums, on trouve des duos avec Derek Bailey, Roswell Rudd bien sûr, mais aussi John Zorn et Cyro Batista, Michael Moore, Mark Dresser, John Butcher, Steve Beresford et Alex Ward. Musicien traditionnel expert en ragtime, jazz swing, bluegrass et folk, Duck Baker est aussi un guitariste acoustique très original dans le domaine du free-jazz même si cette activité est restée très longtemps inaperçue. Un extraordinaire trio de guitares avec Eugene Chadbourne et Randy Hutton fut publié en 1977 sur le mythique label Parachute de EC et JZ, réédité sur the Guitar Trio in Calgary (Emanem . Il avait enregistré subrepticement des compositions en solitaire dans les années 80 en Italie qui furent finalement accessibles sur son merveilleux cd Outside (Emanem 5041) et Everything that Rises Must Converge (CD Mighty Quinn). Au fil des décennies, Baker a aussi publié plusieurs albums de fingerstyle « jazz » joué avec les cinq doigts de la main droite et assez récemment un LP de compositions de Monk , intitulé « Monk » et publié sur le label Triple Point Records, lequel a fourni un pesant coffret de 5 LPs du New York Art Quartet … avec Roswell Rudd.
Il a aussi à son répertoire des morceaux d’Ornette Coleman et d’Abdullah Ibrahim.
Et donc, avec ce Live vous tenez ici un magnifique bijou acoustique et le chant du cygne du tromboniste. Après une agile intro de guitare avec les cinq doigts, Roswell entonne l’hymne Nicolsien ultime : The Happenings ! Un Buddy Bolden’s Blues en solo beurré à souhait. Et trois compositions de Monk : Well You Needn’t, Bemsha Swing et Light Blue ! Et à l’écoute, je me dis ô combien Roswell Rudd avait le pouvoir d’ensorceler ces thèmes de Thelonious, pierre angulaire de la modernité du jazz et kit de survie dans son au-delà audacieux. Autant que son ami de toujours, le saxophoniste Steve Lacy, ou ce phénomène de la clarinette basse Rudi Mahall. Je n’arrête pas de me délecter en écoutant cet album en boucle : elle est une des plus belles et plus profondes expressions du jazz et du blues entremêlés. Le jeu subtil du guitariste laisse un champ d’expression extraordinaire au tromboniste. Son jeu « basique » et aérien ouvre tous les possibilités au guitariste qui ne cesse de créer des variations et des extrapolations mélodiques, rythmiques et harmoniques qui accrochent littéralement la curiosité et la surprise de l’auditeur. Quasi personne parmi les millions de guitaristes ne s’aventure de cette manière avec cette technique avec une six cordes nylon en trustant autant de facettes de l’art afro-américain, folk et blues etc… Tout comme son compagnon disparu, Roswell Rudd, Duck Baker est un géant du jazz toutes catégories. Ce duo magique n’est pas à proprement parler « virtuose » dans l’acception « jazz moderne » du terme, mais surtout humainement sensible et absolument fascinant.
Tom Jackson Colin Webster the Other Lies new wave of jazz nwoj 0048
https://newwaveofjazz.bandcamp.com/album/the-other-lies
The Other Lies. On a tous le sentiment qu’on nous ment et qu’on nous cache quelque chose. C’est vrai, on ne peut pas tout exprimer et il y a sans doute des choses qui nous échappent à l’écoute de ces Other Lies. Le clarinettiste Tom Jackson et le saxophoniste Colin Webster ont fait le pari d’essayer de jouer ensemble et de confronter leurs langages. Ils le font avec virtuosité et intensité, goût et réflexion. Partages et croisements de volutes, de cascades de timbres aériens ou charnus, échanges différenciés de pratiques sonores différentes et conjointes à bon escient lorsque cela s’y prête. Tom Jackson, the ideal Pied Piper, est un souffleur virtuose qui met en perspective la synthèse du jazz contemporain le plus vif et de la musique classique contemporaine dans une démarche cohérente et organique. Et organique est le mot le mieux choisi pour qualifier la démarche physique et tournoyante de Colin Webster, un souffleur essentiel de la scène londonienne. Il fait intensément grincer, vibrer et mugir la colonne d’air, brûlant l’oxygène comme un cracheur de feu. Tous deux partagent les mêmes interlocuteurs comme le guitariste Daniel Thompson, le violoniste alto Benedict Taylor et de nombreux autres camarades improvisateurs tissant de nouveaux liens musicaux au sein de cette communauté de musiciens chercheurs dont une des qualités premières est cet instinct de synergie collective, de partage égalitaire de la scène et d’écoute mutuelle intense. Cet album qui fleure bon la liberté et la densité musicale est produit par un vrai phénomène d’édition d’enregistrements d’improvisation sans concession sous le titre un peu trompeur de A New Wave of Jazz, label dirigé par le guitariste Dirk Serries. Chapeau encore, car s’il est facile d’empiler des enregistrements qui finissent parfois par se ressembler, il convient de noter combien ce duo est enthousiasmant, bondissant, elliptique et singulier. Le genre de gâteries qui nous aident à voir venir le printemps éclore nos espoirs dans la grisaille du quotidien. J’adore !!
Magickà D’zungl’a ZAAAR Ivoidhanger Records IVRI68LP
https://i-voidhangerrecords.bandcamp.com/album/magicka-dz-ungl-a
Hugues-Philippe Desrosiers, Jean-Jacques Duerinckx, Guillaume Cazalet,Sébastien Schmidt et Didie Nietzsch.
Un double vinyle translucide vert avec une superbe pochette décorée au recto d’un tableau de Peter Klvcick « Untitled » de 1954 représentant des félins colorés imaginaires ou science-fictionnesques. Pas de crédits pour les instruments, il s’agit d’une musique collective dense et aérée, fourmillant d’effets sonores, animée par une rhytmique répétitive, assez sauvage, frappes et roulements mêlés dans le même flux hypnotique, initié par des strates de sons suspendus par-dessus un silence inquiétant. Mis à part le fait qu’il y a des percussions, rien ne sert de deviner quels sont les instruments et les instrumentistes : il suffit de se laisser bercer par les textures électriques, les vrilles sonores, les nappes glissantes et rêver. Ce collectif belge, ZAAAR, mise tout sur son identité collective, ses décoctions sonores électriques. Ambient pulsatoire, anarchie vibratile, trafic de timbres éthérés ou saturés d’une certaine richesse, bruissements détaillés avec de fines percussions issues de la pratique de l’improvisation libre, comme dans II Multicellurarité où on entend une flûte scintiller dans le lointain. En effet, si l’ensemble est cohérent, les artistes privilégient plusieurs approches sonores et prennent le temps d’installer une ambiance, un paysage hétérogène avant de lancer la rythmique et d'insérer un motif mélodique quasi-oriental. Psychédélique peut -être, dimensions oniriques certainement, mais réalisé avec une grande maturité au niveau du traitement sonore. La musique est aérée et subtilement spatialisée : elle respire et la présence de la basse électrique et de la batterie n’est pas prépondérante. Certaines percussions semblent être jouées à la main. Peut – être regrettera t-on la voix d’un poète. Mais la musique de Magickà D’zungl’a est extrêmement suggestive et défie les pronostics et les étiquettes. Rien de tel que de les présenter au programme d’un Centre Culturel ou d’une Maison de Jeunes (etc…) pour illustrer les musiques alternatives, une forme d’aventure sonore. Leur musique est à la fois un challenge, un défi aux conventions tout en apportant les clés de lecture, car elle est éminemment lisible, aérée, délicieusement électro-acoustique, intrigante et somme toute réussie.
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Bonne lecture Good read ! don't hesitate to post commentaries and suggestions or interesting news to this......