Jacques Demierre & Urs Leimgruber Haekem - Wednesday 5 October 20 h
Jacques Demierre amplified spinet & Urs Leimgruber soprano sax
Contemporary improvisations (CH)
Jacques Demierre is playing a mobile keyboard instrument, the spinet, from which he coaxes the weird and unheard sound vibrations while Urs Leimgruber is exploring the tubular realities of his own soprano sax with mutual listening and sonic inventions.
Haekem Théâtre rue de Laeken 66 - 1000 Brussels in : 10€
Concert Video : https://www.youtube.com/watch?v=rpA_LkunwLI
With the support of Pro Helvetia, Schweizer Kulturstiftung and SUISA-Stiftung
www.prohelvetia.ch www.fondation-suisa.com www.haekem.blogspot.com
Urs Leimgruber & Jacques Demierre it forgets about the snow 2CD Creative Works CW 1067/1068.
https://www.creativeworks.ch/home/cd-shop/cw1067ccd/#cc-m-product-14612847032
Cela fait quelques décennies que le label helvétique Creative Works suit son petit bonhomme de chemin. Livré dans une pochette blanche 001 immaculée indiquant it forgets about the snow et les noms des deux artistes fréquemment associés, le saxophoniste Urs Leimgruber et le pianiste Jacques Demierre. « On connaît » vous allez dire, car le duo a enregistré bon nombre d’albums pointus en trio avec le légendaire contrebassiste Barre Phillips pour les labels Victo, Psi et Jazzwerkstatt. Ils ont développé un travail intense focalisé dans l’improvisation radicale et une recherche minutieuse de timbres rares avec une connivence créative unique. Mais après avoir écouté plusieurs albums les impliquants tous deux, nombre d'entre vous seront persuadés d'être en territoire connu et reconnu. Détrompez-vous ! Dans ce nouvel album dont un cd est enregistré en studio et le deuxième en live, Jacques Demierre a remisé son grand piano dont il aime à faire vibrer la carcasse en explorant les cordes, les mécanismes et les surfaces. On l’entend ici avec une épinette amplifiée alors qu’Urs Leimgruber se concentre sur la seule colonne d’air du sax soprano. L’instrument antique de Demierre est une épinette construite en 1771 à Marseille, une réplique d’un modèle conçu par le facteur Bas. L'épinette à la française ou clavecin traverso, dite en aile d'oiseau (de l'allemand) : la construction est en général franco-flamande, le plan – plus ramassé – est proche de celui d'un clavecin, mais avec un seul rang de cordes. Cette épinette possède un seul chevalet vibrant comme le clavecin et le clavecythérium. Le sillet est fixé sur un sommier rectiligne, planté de chevilles, placé au-dessus du clavier. Le clavier possède des leviers de touche de longueurs égales comme le clavecin. (cfr Wikipedia). Demierre s’en sert comme d’un objet sonore, l’amplification lui servant à renforcer la sonorité métallique comme s’il ferraillait avec l’instrument, mettant en valeur de multiples modes de vibrations, de touchers, résonances, grincements, tremblements, éclats de cordes tendues avec je ne sais quel accessoire. On pourrait croire qu’il s’agit d’un appareil électronique, d’une cithare désaccordée, ou d’une sculpture sonore très élaborée comme celles de Hans Karsten Raecke. Les deux improvisateurs établissent un curieux dialogue en sélectionnant des sons épars, isolés le saxophoniste allant au-delà de la pratique « normale » - conventionnelle de l’instrument en insérant systématiquement des zones de silence. Il ne s’agit pas d’un « phrasé » volubile ou d’un souffle continu mais plutôt des échantillons de sons curieux, pinçages d’hanche, pépiements, susurrations, aspirations, imitations d’oiseaux, harmoniques extrêmes, vocalisations dans l’anche, sifflements… et respiration circulaire dans les aigus, séquences courtes séparés par des silences marqués et les interventions de son comparse. Bruitiste, si on veut. Cette dimension bruitiste est partagée par Demierre quand il fait craquer les cordes tendues frottant le fil de cuivre qui entoure les plus graves. Le CD2 – Live enregistré à Offene Ohren / Munich contient des passages plus animés alors que le CD1 – Studio est plus expérimental ou proche de la dissection du corps improvisé. Que Leimgruber évoque quelques volatiles n’a rien d’étonnant, les cordes de l’épinette sont traditionnellement pincées par les calamus (tiges) de plumes d’oiseaux.
Dans la constante évolution de l’improvisation libre, une approche délibérément originale qui se distingue à la fois du pointillisme post SME, de la tendance AMM, du réductionnisme minimal ou lower case, etc... Voici le langage des signes sonores poétiques en écho successif, défiant les logiques et les notions de flux et de continuité. Pas de narratif, mais des sons à perte de vue comme une sculpture sonore vivante et insaisissable.
Consacré aux musiques improvisées (libre, radicale,totale, free-jazz), aux productions d'enregistrements indépendants, aux idées et idéaux qui s'inscrivent dans la pratique vivante de ces musiques à l'écart des idéologies. Nouveautés et parutions datées pour souligner qu'il s'agit pour beaucoup du travail d'une vie. Orynx est le 1er album de voix solo de J-M Van Schouwburg. https://orynx.bandcamp.com
18 septembre 2022
17 septembre 2022
Trevor Watts & Liam Genockey/ Massimo De Mattia Vija Bazalorsky Zlatko Kaucic / Dominic Lash & Alex Ward Antonyms
The Art is in the Rhythm Trevor Watts Liam Genockey Jazz in Britain JIB-39-S-CD
https://jazzinbritain.co.uk/album/the-art-is-in-the-rhythm
Enregistré en 1989, ce duo du saxophoniste Trevor Watts et du batteur Liam Genockey est sans nul doute un maillon fondamental de la collaboration intensive de ce batteur « de rock » avec un des piliers du free-jazz Britannique et membre légendaire du Spontaneous Music Ensemble (SME) dans sa démarche « rythmique ». Suite à la défection du batteur John Stevens, son frère d’armes du SME, Trevor Watts dénicha un remplaçant de dernière minute pour la tournée européenne de son groupe Amalgam, l’irlandais Liam Genockey (Zzebra, Steeleye Span). Après cette tournée mémorable, Trevor et Liam ne se quittèrent plus durant une vingtaine d’années. Son groupe Amalgam avait transmué sa musique free dans un style hybride rock – jazz- funk avec guitare et basse électrique (tout comme John Stevens d’ailleurs avec son propre groupe Away ou Ornette Coleman et Prime Time). Il s’ensuivit que Keith Rowe d’AMM et sa guitare noise réapparurent dans Amalgam après un hiatus de quelques années transformant le groupe dans un des plus étonnants outfit free-jazz-rock-noise particulièrement abrasif et intense. Mais Trevor Watts ne tarda pas à s’associer avec le pianiste Veryan Weston et des percussionnistes africains dans ses Moiré Music Orchestra, Moiré Drum Orchestra et Moiré Music Group créant des musiques jazz « fusion » world celtico-afro-latino qui firent le tour de la planète en Asie, Afrique et Amérique Latine auprès de très larges publics. Sa musique requiert une maîtrise absolue des rythmes complexes enlacés dans de véritables trompe l’œil sonores. Au fil de l’évolution de la saga Amalgam et Moiré Music , le fidèle et inébranlable batteur Liam Genockey se révéla le cœur battant des groupes successifs dans le bouillonnement rythmique de ses percussionnistes africains déchaînés. Liam fut aussi engagé par Elton Dean à quelques reprises. Fort heureusement, Trevor et Liam eurent l’heureuse idée de jouer et d’enregistrer en duo ce « The Art Is In The Rythm », un des meilleurs albums free-jazz réunissant un saxophoniste (ici à l’alto et au soprano) et un batteur. Même si son jeu « est issu du rock », Liam Genockey lui donne une dimension ludique en variant continuellement les pulsations, l’approche rythmique, l’intensité et les motifs offrant ainsi une inspiration constante à l’invention mélodique et sonore de Trevor Watts. Au fur et à mesure que la durée se creuse un fort sentiment d’empathie partagée, d’émotions bouillonnantes, nous emporte, l’imagination aspirée par leurs spirales étirées, et étoilées et cette interaction incessante qui fait disparaître la sensation du temps. L’ écoute s’adresse de plus en plus à nos réactions physiques et sensitives. Trois longues improvisations de de 28, 25 et 12 minutes dédiées à Charlie Parker (Echoes of Bird) et Eric Dolphy (Dedicated to Eric D.). Ce dernier morceau est joué au sax soprano, instrument dont il tire profit maîtrisant la particularité conique de la colonne d’air comme le ferait un « charmeur de serpents ». La trajectoire musicale particulière de Trevor Watts occulte quand même qu’il est un des saxophonistes les plus inspirés du free jazz, une fontaine mélodico-rythmique intarissable. Le feu roulant des vagues de pulsations , roulements, scansions, rim shots alimente le jeu colloquial et gorgé de blues sidéral de Trevor Watts, qui s’il a un « style », excelle avant tout pour en sortir avec son imagination créatrice. Trevor fut longtemps l’associé privilégié du percussionniste John Stevens, un des créateurs les plus inspirés et intransigeants de la musique improvisée radicale, outrepassant les limites physiques et humaines en improvisant continuellement tous les jours de la semaine à la recherche de sons et cellules rythmiques libres, éclatées, et flottantes. En 1969, Trevor Watts enregistra le légendaire « Prayer For Peace » sous la bannière Amalgam (avec Jeff Clyne et John Stevens), un des cinq ou six meilleurs albums enregistrés par un saxophoniste alto dans le sillage d’Ornette Coleman et Eric Dolphy à l’instar de Jimmy Lyons, Sonny Simmons ou Marion Brown. Vingt ans plus tard en 1989, il nous laisse un témoignage irremplaçable en duo avec un batteur qui a partagé son intense vie musicale, Liam Genockey. Une véritable perle mettant en évidence l’Art du Rythme de manière étonnante.
Trio Electroscope Massimo De Mattia Vitja Bazalorsky Zlatko Kaucic Klopotek IZK CD 132
https://www.klopotec.si/klopotecglasba/cd_electroscope/
Le contraste entre les flûtes classieuses, charnelles et virevoltantes de Massimo De Mattia et les bruitages électroniques déjantés du guitariste « électronicien » Vitja Bazalorsky est sûrement la première impression reçue. Mais on ressent petit à petit le questionnement de formes sonores et de flux juxtaposées par les deux musiciens et le rôle à la fois discret et subtil joué par le percussionniste Zlatko Kaucic qui opère par petites touches parfois à la limite du silence. Que vais – je dire de cette musique en trio ? Elle a surtout le don de convaincre, de susciter l’écoute, démontrant que la liberté que s’accorde les improvisateurs contemporains en mettant en commun leurs marottes musicales disparates, voire presque diamétralement opposées parviennent à créer un univers musical cohérent, imbriquant leurs dynamiques avec un sens de l’écoute collective oblique et une curieuse synchronicité. Chacun tire parti des choix sonores de ses partenaires, lesquels amplifient l’écho de leurs trouvailles dans cette curieuse cohabitation. J’attire l’attention sur l’accomplissement de Massimo De Matia, un flûtiste italien talentueux rencontré sur de nombreux albums en compagnie du pianiste Giorgio Pacorig, du contrebassiste Giovanni Maier ou du guitariste Denis Biason (albums chez Setola di Maiale, Spasc(h), Klopotec) et l’incontournable batteur slovène Zlatko Kaucic dont on trouve des albums chez Not Two ou Fundacja Sluchaj avec Evan Parker, Agusti Fernandez, Joëlle Léandre, Ad Baars ou Barry Guy et un nombre croissant de collaborations avec une multitude d’artistes de son aire de jeu régionale dont l’étonnant contrebassiste Tomas Grom (Ratzrgana Folklorica Spomina chez Zavod Sploh). Son talent est demandé par de prestigieux collègues, mais il n’hésite pas à se lancer dans des aventures alambiquées comme ce curieux Trio Electroscope, sans doute pour tromper la routine. Massimo et Zoltan avaient déjà travaillé en trio avec le contrebassiste Giovanni Maier (the Jazz Hram Suite /Palomar). Un récent coffret CD de Zoltan célèbre la Diversity (titre du 5CD paru chez NotTwo). Et donc je salue l’apparition de ce guitariste inventif qui trouve admirablement sa place auprès de ces deux routiers du free-jazz libre en imposant sa singulière explosion des paramètres sonores et dynamiques de la six cordes avec force effets et pédales rayonnante de couleurs, de fulgurances et de textures électrogènes voire électrocutées. Super Vitja Basalorsky !!
Dominic Lash Alex Ward Antonyms Copepod 17
https://alexward.bandcamp.com/album/antonyms
Un contrebassiste et un clarinettiste britanniques se réunissent pour créer ensemble leurs compositions respectives et conjointes. Ils ont tous deux une passion pour la guitare électrique et c’est le clarinettiste Alex Ward qui en joue ici , alternant les deux instruments, sans doute parce qu’il en a plus longue expérience. C’est tout récemment que Dominic Lash a enregistré à la guitare en compagnie du pianiste Pat Thomas (New Oxford Brevity / Spoonhunt recommandé ici dans ces lignes). Mais pour ce disque, ce musicien incontournable se concentre essentiellement sur la contrebasse laissant son collègue à son mystère antonymique. Quoi de plus curieux qu’un improvisateur talentueux et virtuose à la clarinette comme Alex Ward se compromettre avec un instrument amplifié aussi bâtard sur son versant rock/ noise dans la même composition. Car ce sont des compositions, ludiques certes, qu’ont concoctées Dominic Lash (1/ Recap – 9 :26 2/ Ballast - 11 :44) et Alex Ward (4/ Unfriendly Manœuvre – 12 :22 5/ Right Shoes - 6 :12) tout en s’associant pour une œuvre conjointe (3/ Gegenwort 5 :21). Leurs univers se situent à la croisée du jazz avant-gardiste, de la musique contemporaine et de l’improvisation free. On notera l’engagement physique du clarinettiste avec son jeu à la fois expressionniste et complexe avec une articulation éblouissante, étirant et vocalisant les notes en maintenant des coups de langue assassins avec une logique harmonique fascinante. Un phénomène ! Son époustouflant abattage à la guitare électrique dans Ballast et Unfriendly Manœuvre ravira autant les mordus du punk hérissé, les inconditionnels du noise et les admirateurs de Derek Bailey. Une approche musicale et sonore hybride. Une sonorité mordante, acide, bruitiste, un jeu virulent hachant les cascades de notes et leurs intervalles périlleux, guidé par un sens aigu et méthodique de la construction musicale, du crescendo lumineux : aucun errement, droit au but. Une grande spontanéité alliée à une précision diabolique : pas une note de trop. Décoiffant ! Ailleurs, il gravite dans le noise minimaliste (Ballast) ou dans l’art de distiller une comptine à l’unisson de la contrebasse qui dérive dans la folie totale (Ballast). En s’associant avec Dominic Lash, le clarinettiste – guitariste qui jouait avec Derek Bailey dès l’âge de 14 ans (Company 1988 !), a trouvé le comparse idéal. Le jeu élastique et rebondissant du contrebassiste son coup d’archet dynamique (Ballast - Gegenwort), la puissance hadenienne et l’aplomb hollandien de sa walking-bass (Recap), sa précision rythmique, sa capacité à imprimer l’évidence du talent en jouant des parties élémentaires, en swinguant avec élégance ou en jonglant avec les contre-temps vicelards. Chaque composition truste des matériaux musicaux contrastés comme le mariage de la carpe et du lapin et leurs curieux agencements provoquent l’intérêt, l’étonnement et les rendent plus vrais que nature. Ce qui pouvait finir en exercice de style se révèle un réussite emballante, un challenge parfaitement maîtrisé alliant une profondeur musicale incontestable et une joie de jouer audacieuse. Musique antonymique de la plus belle efficacité : vous n’allez pas vous ennuyer en écoutant Antonyms !
https://jazzinbritain.co.uk/album/the-art-is-in-the-rhythm
Enregistré en 1989, ce duo du saxophoniste Trevor Watts et du batteur Liam Genockey est sans nul doute un maillon fondamental de la collaboration intensive de ce batteur « de rock » avec un des piliers du free-jazz Britannique et membre légendaire du Spontaneous Music Ensemble (SME) dans sa démarche « rythmique ». Suite à la défection du batteur John Stevens, son frère d’armes du SME, Trevor Watts dénicha un remplaçant de dernière minute pour la tournée européenne de son groupe Amalgam, l’irlandais Liam Genockey (Zzebra, Steeleye Span). Après cette tournée mémorable, Trevor et Liam ne se quittèrent plus durant une vingtaine d’années. Son groupe Amalgam avait transmué sa musique free dans un style hybride rock – jazz- funk avec guitare et basse électrique (tout comme John Stevens d’ailleurs avec son propre groupe Away ou Ornette Coleman et Prime Time). Il s’ensuivit que Keith Rowe d’AMM et sa guitare noise réapparurent dans Amalgam après un hiatus de quelques années transformant le groupe dans un des plus étonnants outfit free-jazz-rock-noise particulièrement abrasif et intense. Mais Trevor Watts ne tarda pas à s’associer avec le pianiste Veryan Weston et des percussionnistes africains dans ses Moiré Music Orchestra, Moiré Drum Orchestra et Moiré Music Group créant des musiques jazz « fusion » world celtico-afro-latino qui firent le tour de la planète en Asie, Afrique et Amérique Latine auprès de très larges publics. Sa musique requiert une maîtrise absolue des rythmes complexes enlacés dans de véritables trompe l’œil sonores. Au fil de l’évolution de la saga Amalgam et Moiré Music , le fidèle et inébranlable batteur Liam Genockey se révéla le cœur battant des groupes successifs dans le bouillonnement rythmique de ses percussionnistes africains déchaînés. Liam fut aussi engagé par Elton Dean à quelques reprises. Fort heureusement, Trevor et Liam eurent l’heureuse idée de jouer et d’enregistrer en duo ce « The Art Is In The Rythm », un des meilleurs albums free-jazz réunissant un saxophoniste (ici à l’alto et au soprano) et un batteur. Même si son jeu « est issu du rock », Liam Genockey lui donne une dimension ludique en variant continuellement les pulsations, l’approche rythmique, l’intensité et les motifs offrant ainsi une inspiration constante à l’invention mélodique et sonore de Trevor Watts. Au fur et à mesure que la durée se creuse un fort sentiment d’empathie partagée, d’émotions bouillonnantes, nous emporte, l’imagination aspirée par leurs spirales étirées, et étoilées et cette interaction incessante qui fait disparaître la sensation du temps. L’ écoute s’adresse de plus en plus à nos réactions physiques et sensitives. Trois longues improvisations de de 28, 25 et 12 minutes dédiées à Charlie Parker (Echoes of Bird) et Eric Dolphy (Dedicated to Eric D.). Ce dernier morceau est joué au sax soprano, instrument dont il tire profit maîtrisant la particularité conique de la colonne d’air comme le ferait un « charmeur de serpents ». La trajectoire musicale particulière de Trevor Watts occulte quand même qu’il est un des saxophonistes les plus inspirés du free jazz, une fontaine mélodico-rythmique intarissable. Le feu roulant des vagues de pulsations , roulements, scansions, rim shots alimente le jeu colloquial et gorgé de blues sidéral de Trevor Watts, qui s’il a un « style », excelle avant tout pour en sortir avec son imagination créatrice. Trevor fut longtemps l’associé privilégié du percussionniste John Stevens, un des créateurs les plus inspirés et intransigeants de la musique improvisée radicale, outrepassant les limites physiques et humaines en improvisant continuellement tous les jours de la semaine à la recherche de sons et cellules rythmiques libres, éclatées, et flottantes. En 1969, Trevor Watts enregistra le légendaire « Prayer For Peace » sous la bannière Amalgam (avec Jeff Clyne et John Stevens), un des cinq ou six meilleurs albums enregistrés par un saxophoniste alto dans le sillage d’Ornette Coleman et Eric Dolphy à l’instar de Jimmy Lyons, Sonny Simmons ou Marion Brown. Vingt ans plus tard en 1989, il nous laisse un témoignage irremplaçable en duo avec un batteur qui a partagé son intense vie musicale, Liam Genockey. Une véritable perle mettant en évidence l’Art du Rythme de manière étonnante.
Trio Electroscope Massimo De Mattia Vitja Bazalorsky Zlatko Kaucic Klopotek IZK CD 132
https://www.klopotec.si/klopotecglasba/cd_electroscope/
Le contraste entre les flûtes classieuses, charnelles et virevoltantes de Massimo De Mattia et les bruitages électroniques déjantés du guitariste « électronicien » Vitja Bazalorsky est sûrement la première impression reçue. Mais on ressent petit à petit le questionnement de formes sonores et de flux juxtaposées par les deux musiciens et le rôle à la fois discret et subtil joué par le percussionniste Zlatko Kaucic qui opère par petites touches parfois à la limite du silence. Que vais – je dire de cette musique en trio ? Elle a surtout le don de convaincre, de susciter l’écoute, démontrant que la liberté que s’accorde les improvisateurs contemporains en mettant en commun leurs marottes musicales disparates, voire presque diamétralement opposées parviennent à créer un univers musical cohérent, imbriquant leurs dynamiques avec un sens de l’écoute collective oblique et une curieuse synchronicité. Chacun tire parti des choix sonores de ses partenaires, lesquels amplifient l’écho de leurs trouvailles dans cette curieuse cohabitation. J’attire l’attention sur l’accomplissement de Massimo De Matia, un flûtiste italien talentueux rencontré sur de nombreux albums en compagnie du pianiste Giorgio Pacorig, du contrebassiste Giovanni Maier ou du guitariste Denis Biason (albums chez Setola di Maiale, Spasc(h), Klopotec) et l’incontournable batteur slovène Zlatko Kaucic dont on trouve des albums chez Not Two ou Fundacja Sluchaj avec Evan Parker, Agusti Fernandez, Joëlle Léandre, Ad Baars ou Barry Guy et un nombre croissant de collaborations avec une multitude d’artistes de son aire de jeu régionale dont l’étonnant contrebassiste Tomas Grom (Ratzrgana Folklorica Spomina chez Zavod Sploh). Son talent est demandé par de prestigieux collègues, mais il n’hésite pas à se lancer dans des aventures alambiquées comme ce curieux Trio Electroscope, sans doute pour tromper la routine. Massimo et Zoltan avaient déjà travaillé en trio avec le contrebassiste Giovanni Maier (the Jazz Hram Suite /Palomar). Un récent coffret CD de Zoltan célèbre la Diversity (titre du 5CD paru chez NotTwo). Et donc je salue l’apparition de ce guitariste inventif qui trouve admirablement sa place auprès de ces deux routiers du free-jazz libre en imposant sa singulière explosion des paramètres sonores et dynamiques de la six cordes avec force effets et pédales rayonnante de couleurs, de fulgurances et de textures électrogènes voire électrocutées. Super Vitja Basalorsky !!
Dominic Lash Alex Ward Antonyms Copepod 17
https://alexward.bandcamp.com/album/antonyms
Un contrebassiste et un clarinettiste britanniques se réunissent pour créer ensemble leurs compositions respectives et conjointes. Ils ont tous deux une passion pour la guitare électrique et c’est le clarinettiste Alex Ward qui en joue ici , alternant les deux instruments, sans doute parce qu’il en a plus longue expérience. C’est tout récemment que Dominic Lash a enregistré à la guitare en compagnie du pianiste Pat Thomas (New Oxford Brevity / Spoonhunt recommandé ici dans ces lignes). Mais pour ce disque, ce musicien incontournable se concentre essentiellement sur la contrebasse laissant son collègue à son mystère antonymique. Quoi de plus curieux qu’un improvisateur talentueux et virtuose à la clarinette comme Alex Ward se compromettre avec un instrument amplifié aussi bâtard sur son versant rock/ noise dans la même composition. Car ce sont des compositions, ludiques certes, qu’ont concoctées Dominic Lash (1/ Recap – 9 :26 2/ Ballast - 11 :44) et Alex Ward (4/ Unfriendly Manœuvre – 12 :22 5/ Right Shoes - 6 :12) tout en s’associant pour une œuvre conjointe (3/ Gegenwort 5 :21). Leurs univers se situent à la croisée du jazz avant-gardiste, de la musique contemporaine et de l’improvisation free. On notera l’engagement physique du clarinettiste avec son jeu à la fois expressionniste et complexe avec une articulation éblouissante, étirant et vocalisant les notes en maintenant des coups de langue assassins avec une logique harmonique fascinante. Un phénomène ! Son époustouflant abattage à la guitare électrique dans Ballast et Unfriendly Manœuvre ravira autant les mordus du punk hérissé, les inconditionnels du noise et les admirateurs de Derek Bailey. Une approche musicale et sonore hybride. Une sonorité mordante, acide, bruitiste, un jeu virulent hachant les cascades de notes et leurs intervalles périlleux, guidé par un sens aigu et méthodique de la construction musicale, du crescendo lumineux : aucun errement, droit au but. Une grande spontanéité alliée à une précision diabolique : pas une note de trop. Décoiffant ! Ailleurs, il gravite dans le noise minimaliste (Ballast) ou dans l’art de distiller une comptine à l’unisson de la contrebasse qui dérive dans la folie totale (Ballast). En s’associant avec Dominic Lash, le clarinettiste – guitariste qui jouait avec Derek Bailey dès l’âge de 14 ans (Company 1988 !), a trouvé le comparse idéal. Le jeu élastique et rebondissant du contrebassiste son coup d’archet dynamique (Ballast - Gegenwort), la puissance hadenienne et l’aplomb hollandien de sa walking-bass (Recap), sa précision rythmique, sa capacité à imprimer l’évidence du talent en jouant des parties élémentaires, en swinguant avec élégance ou en jonglant avec les contre-temps vicelards. Chaque composition truste des matériaux musicaux contrastés comme le mariage de la carpe et du lapin et leurs curieux agencements provoquent l’intérêt, l’étonnement et les rendent plus vrais que nature. Ce qui pouvait finir en exercice de style se révèle un réussite emballante, un challenge parfaitement maîtrisé alliant une profondeur musicale incontestable et une joie de jouer audacieuse. Musique antonymique de la plus belle efficacité : vous n’allez pas vous ennuyer en écoutant Antonyms !