Madly You Daunik Lazro Carlos Zingaro Joëlle Léandre Paul Lovens FOU Records FR – CD 46.
https://www.fourecords.com/FR-CD46.htm
Réédition bienvenue d’un album brûlot publié il y a fort longtemps par Potlatch (P CD 102) et enregistré par Jean-Marc Foussat en mars 2001 au cours du Festival Banlieues Bleues, lequel Jean-Marc a pris l’initiative de l’insérer dans le catalogue chamarré de son label FOU Records. Vu la longueur des deux morceaux, Madly You fait 40:47 et Lyou Mad, 19:33, on peut penser que ce « super-groupe » est sans doute l’initiative personnelle de Daunik Lazro plutôt qu’une suggestion de Joëlle Léandre. En effet la contrebassiste parisienne préfère des formes plus courtes agrémentées éventuellement de duos alors que le saxophoniste, ici à l’alto et au baryton, ne craint pas les embardées jusqu’au boutiste et la persévérance risquée de maintenir le cap au fil de dizaines de minutes non-stop. Et comme Paul Lovens a toujours été prêt à tout, même à frapper dru alors qu’on le connait ultra – pointilliste dans nombre de circonstances circonstances. C'est donc l'option choisie par le batteur : abrupt et mystérieux, mais en finesse ! Par chance, a été convié ce super violoniste, Carlos Alves Zingaro, un des incontournables européens de la musique chambriste raffinée qui a lui-même autant d’affinités pour Léandre que pour Lazro, rencontré déjà dans les années 70. On sait que journalistes et amateurs avertis gambergent toujours face à ce genre de groupes composés de fortes personnalités « incontournables » . Question : la somme des talents conjugués ici apportent-ils un bonus, une féérie, des émotions etc… ?
Dès le départ les deux cordistes font grincer l’âme de leurs instruments et frottent à qui mieux mieux alors que Daunik Lazro et ses harmoniques aiguës entonnent déjà le cri de guerre. Frappant à peine au départ, Paul Lovens répond par une flagrante explosion qui retombe aussi vite, laissant le quartet suspendre son vol dans un rythme de croisière apaisé tout en donnant l’impression que la cocotte - minute exploserait bien. Chacun apporte sa pierre à l’édifice, en créant un espace sonore de jeu qui permet à tous de se faire entendre y compris les moindres détails comme ce dialogue tangentiel sax alto / percussion dans lequel Léandre s’invite en étirant ses sonorités à l’archet. De chaque configuration – séquence successive naissent des occurrences soniques et des actions diversifiées, et vers la dixième minute, les deux cordistes s’agrègent en duo. Dialogue imbriqué dans lequel le batteur s’insère insidieusement et graduellement. Ces passages de relais et le silence de l’un puis de l’autre crée des phases de jeux distinctes qui mènent un Lovens solitaire à faire tituber des résonances et de très curieuses frappes détaillées et isolées sur les cymbales s’apparentant à l’écriture automatique d’un poète unique de la percussion. C’est sur ces étranges digressions que Daunik Lazro fait mugir et gronder son sax baryton graveleux à souhait avec la dose de petits silences nécessaires pour maintenir cette infinie poésie. Il faut ensuite admirer l’intervention fantomatique du violoniste portugais et les discrètes trouvailles de Lovens, trublion à (presque) jamais inégalé dans cette scène improvisée depuis 50 ans. Joëlle Léandre s’impose ensuite à bon escient permettant à Carlos Zingaro de s’ensauvager. Ce qui est magnifique dans cette continuelle gesticulation organique « sauvage » lorsqu’on l’écoute attentivement, est ce dosage savant dans les interventions individuelles qui prennent chacune à leur tour la prééminence de manière lisible, éphémère, équilibrée et justifiée par l’équilibre des forces en présence et cette mise en commun qui met chacun des quatre improvisateurs sous les feux des projecteurs ou au centre du débat avec une magnifique alternance. J’ai beau écouter avec concentration, je n’arrive pas à trouver de quelconque longueur dans cette improvisation collective qui passe de l’expressionnisme brut à un filet de jeu restreint comme durant cette séquence vers les minutes 28-29 (scie musicale + violon). Celle-ci s’étire dangereusement jusqu’à la minute 33, elle, carrément psychodramatique, et tout un nuancier improbable d’actions aussi concertées que déroutantes. Il y a peut – être moyen de jouer de manière plus ceci ou plus cela, mais il est indéniable que la qualité musicale « improvisée » et la complete communion est particulièrement réussie. Et ils se paient le luxe d'aller encore plus loin dans les 19:33 de Lyou Mad (exploit) avec des éclairs fulgurants et des trouvailles renouvelées (les deux splendides cordistes!). Je retrouve là le Paul Lovens du génial duo avec Paul Lytton et croyez-moi Joëlle Léandre en prend de la graine, Daunik Lazro signant ici un sommet instantané de sa carrière. Jean–Marc Foussat : bien vu mon gars ! Sensationnel !! Vive la Foussattitude !!
Ivo Perelman Elliott Sharp Artificial Intelligence Mahakala Music
https://ivoperelman.bandcamp.com/album/artificial-intelligence
Improvisateur libre, le saxophoniste brésilien Ivo Perelman est une figure marquante de l’art afro-américain du jazz « free » basé sur l’interaction directe, l’écoute mutuelle et l’invention instantanée sans composition, thème, « solo » et accompagnement. Comme il joue très souvent avec le pianiste Matt Shipp, les bassistes William Parker et Michael Bisio, les batteurs Gerald Cleaver et Whit Dickey son sens instantané du risque s’inscrit en consensus avec un développement mélodique expressif issu des grands ténor du jazz. Toutefois, il nous a surpris avec ses duos enregistrés avec le trompettiste Nate Wooley et le clarinettiste basse Rudi Mahall, des albums complètement improvisés avec des cordistes New Yorkais comme Hank Roberts, Mat Maneri, Mark Feldman et Jason Kao Hwang , ou d’autres cordistes British comme Phil Wachsmann, Benedict Taylor, Marcio Mattos et le guitariste microtonal Pascal Marzan avec qui il a même enregistré un duo vraiment remarquable et complètement inattendu (Dust of Light – Setola di Maiale). Avec cette collaboration avec le guitariste Elliott Sharp, Ivo Perelman transgresse allègrement les codes des free-jazzmen, tout comme l’avaient fait avant lui Anthony Braxton avec Derek Bailey (en 1974) ou Frank Lowe avec Eugene Chadbourne un peu plus tard. D’ailleurs, on découvrit la musique hybride et audacieuse d’Elliott Sharp dans le sillage de Chadbourne et John Zorn au début des années 80. Il est l’auteur d’un chef d’œuvre relativements récent de la guitare d’avant-garde : The Velocity of Hue (Emanem 4098). Dans ce duo avec Perelman, on schématisera très fort en disant que le jeu d’Elliott Sharp découle des avancées de Derek Bailey ou mieux sa manière de jouer s’apparente au guitariste de Sheffield. Surtout si on le compare à d’autres guitaristes de jazz, même parmi les plus audacieux. Peut – être Sharp est-il un cousin de son exact contemporain, Henry Kaiser. Entendons- nous bien : dans cette rencontre « de la carpe et du lapin » , les deux acolytes démontrent valablement que leurs différences et intentions musicales personnelles sont avant tout un challenge pour créer une musique duelle, contrastée mais bourrée d’empathie ludique et de compréhension mutuelle malgré la logique « avant-gardiste » qui énonce candidement qu’il faille jouer avec des collègues avec qui on est d’accord sur presque tout , à qui « on ressemble » et avec qui on partage une esthétique commune « radicale ». Il y a fort longtemps que Derek Bailey a enregistré ce disque improbable avec le clarinettiste de jazz (et contemporain) Tony Coe (Time/ Incus) et est parvenu ainsi à démontrer de manière ultra-convaincante qu’avec de l’imagination, un improvisateur « qui ose » parvient à faire coïncider deux univers musicaux que tout semblent opposer. Bourrée d’effets jusqu’à la gueule ou étrangement réaccordée, la huit cordes mutante et hérissée d’Elliott Sharp sabre dans la chair élastique du souffle du saxophoniste en le poussant à tirer parti des extrêmes de son saxophone. On y entend aussi une mandoline désaxée.
Je tire mon chapeau aux duettistes car ils font tout ce qui est possible pour entretenir le dialogue et repousser plus loin encore les actions instrumentales, les trouvailles, les ambiances, les excès, avec autant d’obstination que de fantaisie. Le guitariste se fait outrageusement bruitiste ou ultra « picotant » dès le n° One (29 :12) et Ivo Perelman s’engage dans les déchirements de sa superbe sonorité en fragments, lambeaux et contorsions de colonne d’air, étirant les harmoniques aiguës, ces notes fantômes (Ghosts) qui surgissent miraculeusement au-delà de la tessiture normale du sax ténor. Une fois le constat bruitiste achevé, des échappées multidirectionnelles , griffures instantanées et extrapolations ludiques, font métamorphoser les échanges enfiévrés dans toutes les mutations sonores où leur imagination et l’empire du jeu – écriture automatique les entraînent, presque malgré eux. Je vais résumer en disant tout net, que Artificial Intelligence est un album vachement plaisant, emballant et, somme toute, rare. Le titre évoquant à la fois une subtile intelligence sous l’aspect parfois « brut de décoffrage » (pour reprendre une formule toute-faite de communicant) et de magnifiques feux d’Artifices soniques.
Mark Sanders Emil Karlsen Muted language Bead 45
https://www.beadrecords.com/new-release-muted-language-by-mark-sanders-and-emil-karlsen/
Enfin un album de percussions en duo avec deux improvisateurs batteurs parmi les meilleurs des Îles Britanniques : Mark Sanders, un vieux routier de la scène (Evan Parker, John Butcher, Paul Dunmall, Veryan Weston, John Edwards, etc) et Emil Karlsen, un Norvégien nouveau venu basé à Sheffield. Emil s’est engagé à poursuivre les activités du label Bead records du légendaire violoniste Philipp Wachsmann et cela promet (avec Phil Durrant, Ed Jones). Tout récemment le magnifique trio Spaces Unfolding de Wachsmann et Karlsen en compagnie du flûtiste Neil Metcalfe y a publié un super CD : The Way We Speak , chroniqué ici il y a quelques semaines
Ce très remarquable dialogue exploratoire des possibilités sonores et expressives de la percussion nous ouvre un champ auditif unique, lequel fut inauguré par le génial Ionisation d’Edgar Varèse, il y a fort longtemps. Le duo permet une conjonction d’occurrences sonores et démultiplie les pulsations dans une myriades d’accents, de vibrations et de couleurs accentuant petit à petit des décalages oscillants. Qui fait quoi, peu importe. Question rythmique, cette confrontation se déroule à un haut niveau de précision et d’empathie synchronisée. À deux, ils semblent abattre le travail foisonnant de trois ou quatre percussionnistes. Les pulsations se dédoublent, s’enchevêtrent et les timbres se diversifient illustrant tout un nuancier de touchers, frictions, rebondissements, grattages, frottements, scintillements, ionisations, réverbérations, chocs, picotements, … bois, métal, peau, plastique… Une magnifique communion ludique. Les deux duettistes commencent leur parcours avec des échanges logiques, des frappes cadrées, ordonnancées, lumineuses. Au fil des six improvisations, une sorte de clair-obscur s’installe, une poésie dans les échanges, des risques, extrapolations, ping-pong tangentiels, infimes fractions de la pulsation renouvelée à l’infini, rotations d’idées lumineuses et de brouillages, écriture automatique. Voilà bien une jungle de signes et de gestes où l’auditeur peut laisser échapper sa curiosité et son imagination.
Day & Taxi Live in Baden – Christoph Gallio Silvan Jeger Gerry Hemingway Clean Feed CF615CD
https://christophgallio.bandcamp.com/album/day-taxi-live-in-baden
Day and Taxi est devenu un trio incontournable depuis des … décennies. Initié il y a fort longtemps par le saxophoniste Christoph Gallio (soprano, alto et c-melody saxophones), le compositeur leader est aujourd’hui brillamment secondé par le batteur Gerry Hemingway, lui-même basé en Suisse et par le contrebassiste Silvan Jeger. L’inspiration des neuf compositions de ce live attachant et le feeling ou ressenti de leurs interprétations est aussi changeant que le climat alpin où l’orage cataclysmique d’une sombre soirée et sa masse épaisse de nuages noirs striés et illuminés par les éclairs est balayé par le Föhn pour laisser place à un ciel radieux et ensoleillé. Des fins de printemps enneigés sont monnaie courante. Sa version du free-jazz passe de l’empoignade avec force morsures véhémentes du bec et des volées de baguettes sur tous les recoins des fûts à un souffle pastoral apaisé. Sautillement caractéristique d’une comptine endiablée ou thème précieux alternant avec de courts solos de batterie (Faces). Morceaux très courts ou nettement plus longs. On entend que Gallio a bien déchiffré des pièces de Steve Lacy, mais ne craint pas les embardées. Suave ou acide, emporté ou rêveur. Et de l’humour ! La contrebasse marque le tempo de manière ouverte ou menaçante et répétitive dans Too Much Nothing. Le souffleur s’y fait sage, jouant sommairement la ligne mélodique et ses curieux intervalles avant de dériver avec des growls désarticulés sous la férule du batteur qui souligne le beat intermédiaire. Et quel distingué batteur, ce Gerry Hemingway qui joue au mieux avec quiconque fait appel à ses services avec des solutions rythmiques superbes et des roulements enchaînés et polyrythmiques époustouflants et une sonorité admirable. (Marina and the lucky pop transformation) ! Bref, la variété du matériau et cette absence totale de prétention tout à fait ludique et enjouée, nous rend ce Christoph Gallio éminemment sympathique, tout à sa joie de jouer avec un style singulièrement différent d’un instrument à l’autre.
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Bonne lecture Good read ! don't hesitate to post commentaries and suggestions or interesting news to this......