Mein Freund Der Baum Paul Lovens Rudi Mahall Florian Stoffner Spontaneous Live Series D02
https://spontaneousliveseries.bandcamp.com/album/spontaneous-live-series-d02
Le batteur Paul Lovens a arrêté le service il y a environ deux ans et il nous laisse ici un moment inoubliable d’improvisation libre avec deux camarades exceptionnels. Le clarinettiste basse Rudi Mahall, sans doute le plus fascinant des clarinettistes basses vivants quelque soit le style ou le type de musique qu’il aborde. Le guitariste Florian Stoffner prolonge brillamment la démarche complexe d’un Derek Bailey en usant des nombreuses possibilités sonores, bruitistes et alternatives de la guitare électrique dans la libre improvisation. Paul et Florian ont aussi enregistré en duo (Tetratne - ezzthetics) peu après avoir publié Mein Freund Der Baum avec Rudi Mahall pour le label helvétique Wide Hear. Le titre de cet album est devenu le nom de ce trio qui a eu sans doute l’existence la plus courte parmi les associations les plus mémorables du percussionniste d’Aix – la Chapelle. Sa démarche épurée décompose les rythmes et le sens de la pulsation avec une palette sonore pointilliste et un travail minutieux, carrément maniaque sur la moindre frappe, le toucher, la résonnance, le rebond, une relation organique avec le silence, la qualité souvent inouïe des timbres. Tous ses gestes sont maîtrisés dans le moindre détail, évacuant mentalement les réflexes, tics et automatismes gestuels pour se concentrer sur chaque son émis dans l’instant Il accélère ou ralentit la cadence de ses micro-frappes sur la surface des cymbales ou des peaux avec une technique de sourdine personnelle instantanée, signature sonore de son jeu. Il nous fait découvrir une particularité résonnante insoupçonnée pour chacun des instruments objets percussifs qu’il touche et manipule. Son lexique percussif semble aussi simple qu’il est extraordinairement diversifié. Au cours de ses quatre Composed Improvisations (11 :33, 9 :03, 11:10, 2:30), le souffle intense de Rudi Mahall étire les notes et la sonorité expressive de sa clarinette basse comme s’il poursuivait un but lointain, une trame dont il livre, seconde après seconde, les mystères abyssaux de ses enchaînements, pépiements et morsures, hoquets et interjections en sursauts irréguliers, suivant une logique monkienne. Florian Stoffner déniaise la guitare et ses effets électroniques avec une palette sonore pointue qui se marie parfaitement avec celle du percussionniste, le quel lui laisse beaucoup d’espace dans le champ sonore pour qu’on puisse entendre les détails les plus ténus de ses contorsions guitaristiques. Stoffner a un sens inné du dosage dans ses interventions millimétrées qui cadre étonnamment avec la philosophie lovensienne. Durant sa longue carrière, Paul Lovens fut très peu associé avec des guitaristes, si ce n’est John Russell et c’est avec ravissement qu’on le découvre avec Florian Stoffner avant qu’il tire son ultime révérence. Dans ce contexte, l’idée d’avoir associé un souffleur comme Rudi Mahall à leur tandem pointilliste « abstrait » est géniale, car le sens mélodico-sonore de ce dernier met en valeur leurs interactions et les projette dans une perspective inouïe, celle qui échappe trop souvent au commun des mortels de la libre improvisation. Il ne suffit pas de « maîtriser » les techniques instrumentales radicales « alternatives » ou étendues ; cela devient fabuleux quand on leur donne un sens qui échappe à la raison logique, aux convenances, etc.. et l’évidence de la lumière pointe dans la grisaille.
Cet album est à situer au top de la production d’enregistrements incontournables de l’improvisation libre depuis ses débuts tant pour l’apport individuel des trois musiciens au point de vue du jeu collectif que pour la haute qualité instantanée dans le moindre instant vécu.
Guylaine Cosseron Lori Freedman Grace 2021 tour de bras – inexhaustible editions tdb90055/ie-52
https://inexhaustible-editions.com/ie-052/
https://inexhaustibleeditions.bandcamp.com/album/grace-2021
Collaboration franco-canadienne voix – clarinette : la chanteuse Guylaine Cosseron cultive une conception de la voix organique et ludique en utilisant de multiples points de vue ayant trait au chant, à la phonétique, à une poésie sonore instinctive, à l’expressivité non verbale suggérant des états d’âme, l’indicible face au travail sonore de la clarinettiste Lori Freedman qui fait chauffer et érailler les harmoniques, effets de souffle et borborymes de son instrument en Mib ou la clarinette basse. Il y a en jeu une grande spontanéité « anti » académique et une capacité de dialogue autant à l’écoute (intense) l’une de l’autre qu’une volonté d’indépendance et de création individuelle sur des chemins parallèles. Ceux-ci se rejoignent dans des instants peu prévisibles. Sa vocalité chantée et bruissante met en évidence la dimension buccale, gutturale et tous les éléments de l’organe vocal dans une dimension poétique : lèvres, dents, langue, palais, gosier en étirant parfois à l’extrême La démarche physique de la clarinettiste faites de cris modulés, de bruissements s’intègre à celle de sa collègue de manière qu’on entende clairement tout ce qui vient de la voix distinctement par rapport au travail de souffle. La connivence est optimale. Les deux dames n’ont aucun agenda mais une ouverture totale à l’instant qui surgit, se développe et enchaîne sur d’autres instants. Il n’y a aucun moment une attitude « posturière » d’avant-garde, mais avant tout un profond vécu expressif même quand la vocaliste semble torturer les entrailles de son gosier que la clarinettiste fait crier une harmonique martyrisée avec une réelle violence. Guylaine Cosseron est une artiste qui a su choisir une partenaire aussi allumée qu’elle-même et celle-ci, Lori Freedman a le chic de jouer le plus sincèrement du monde la contrepartie sans divaguer avec des effets virtuoses, complètement au service exclusif du drame qui se joue et se déjoue au fil de huit improvisations nommées par des prénoms féminins. Des chanteuses (?) katrina, wilma, jeanne, isabel, iris, opal, alicia et hazel. La musique de leur duo est tellement évidente qu’elle défile sans qu’on puisse en mesurer et en palper la durée. Le don du merveilleux. À écouter et réécouter à plusieurs reprises tant le plaisir rivalise avec l’intensité. Incontournable pour quiconque s'intéresse à la voix humaine dans le contexte de la libre improvisation
Lockdown Featuring Guy Thouin. Aaron Leaney & Guy “Yug” Thouin Astral Spirits LP
https://aaronleaney.bandcamp.com/album/lockdown-featuring-guy-thouin
Inspirée à la fois par le free-jazz afro-américain et les musiques du monde, la musique de Lockdown basée sur le concept du duo canadien saxophone (Aaron Leaney) – percussions (Guy Thouin), fait aussi appel à une considérable panoplie d’instruments et de rythmes dits « exotiques », certains venus de multiples cultures musicales africaines ou indiennes. Outre ses saxophones alto et ténor, Aaron Leaney joue aussi de la mbira africaine et de la flûte Fulani (ou Peul). Quant à Guy Thouin qui a aujourd’hui 83 ans, il est crédité drums, cymbals, kick drums, toms, tablas, cow bells, gongs & percussion et a introduit dans son jeu des rythmes complexes issus d’un apprentissage croisé de pulsations africaines et de talas Indiens du Nord. On entend curieusement une inspiration organique pas éloignée de la pratique polyrythmique (et de frappes) d’un Milford Graves, lequel avait intégré les foisonnements rythmiques africain, indien du nord et des natifs américains. Il y a a très longtemps, ce batteur a travaillé avec Robert Charlebois et fut un fondateur pionnier du groupe légendaire Jazz Libre du Québec. Il a vécu un peu partout en Inde ou ailleurs pour apprendre de première main les rythmes de la Terre, ces pratiques percussive et rythmique qui ont bouleversé la musique occidentale. Pour quiconque s’intéresse de près aux batteurs de la New Thing au sens large en commençant par Elvin Jones, Milford Graves, Han Bennink, Don Moye etc… Dans sa jeunesse, on peut imaginer que Guy « Yug » Thouin a dû être émerveillé par un Elvin Jones et s’est juré d’en rechercher les racines en Inde et ailleurs . Son travail, essentiel à mon avis, mérite qu’on l’écoute très attentivement. Son jeu est irrésistible, même s’il est un peu « didactique » : on y trouve là une pratique et une approche originale d’une grande profondeur qui s’écarte du jeu de batterie venu droit des écoles de musique et de conventions techniques (4/4) trop souvent reproduites mécaniquement. Sa musique s'est forgée à l'écoute des pratiques rythmiques des percussionnistes indiens qu'il a côtoyé de près. Un vécu très profond, une expérience de vie peu commune qui rejoint l'engagement de son cadet. Fort heureusement, Aaron Leaney est un solide saxophoniste qui fait un usage inspiré d’échelles modales et de techniques respiratoires avec une belle énergie. Ce musicien a des racines afro-caribéennes qui transpirent dans son souffle spiralé et puissant et ses capacités mélodiques originales. Son jeu expressif et intense fonctionne remarquablement bien avec ce percussionniste que devraient solliciter de nombreuses pointures du free-jazz américain en tournée au Canada. Il se fait que Yug Thouin est impliqué corps et âme dans la scène locale de Montréal et son HEart Ensemble. Il communique sa passion et transmet ses connaissances à de jeunes et moins jeunes musiciens avec la foi qui soulève les montagnes. C’est donc super qu’un label comme le bien nommé Astral Spirits publie leur album rassemblant neuf remarquables compositions très bien conçues autour des 4 – 5 minutes où les deux artistes créent un univers mélodico-rythmique « free » unique en son genre.
Je cite ici les notes descriptives de leur remarquable projet.
« Lockdown est le premier album en duo d'Aaron Leaney et du légendaire batteur Guy Thouin, pionnier du free-jazz québécois. Le jeu lyrique et multitextural du saxophone ténor et alto de Leaney est omniprésent, tout comme son jeu sur la mbira zimbabwéenne et la flûte flulani d'Afrique de l'Ouest. Le disque comprend à parts égales des compositions planifiées et profondément répétées par Leaney et Thouin, chacune avec sa propre saveur, brassées ensemble pour former une musique organique unique.
Il s'agit du premier enregistrement studio documenté de l'exploration de toute une vie de Thouin, 83 ans, en matière de sons et de rythmes, avec son installation hybride folklorique et bricolée derrière la batterie : double kick et frame drums, tablas, bols chantants tibétains, cloches, gongs japonais et cymbales. La musique se concentre profondément sur l'intersectionnalité de l'héritage indo-caribéen de Leaney, les multiples exodes de Thouin en Inde pour étudier avec le gourou du tabla Karamuthulla et leur approche commune en tant qu'improvisateurs de jazz malgré leur écart d'âge de quatre décennies. »
À écouter absolument.
Roland Devocelle & Luc Bouquet Trapèze
https://devocelleroland.bandcamp.com/album/trap-ze
Auto-produit avec un don assez visionnaire. Titre de l’album : trapèze (acrobate équilibriste du son mais aussi des rythmes et mélodies qui sé délitent). Huit improvisations en duo saxophones batterie qui se décline au départ d’un saut au trapèze (12 :17 )en volte-face (9 :38) oblique (4 :55) vers l’élévation (13 :27) ou le lâcher prise (15 :10))dans un envol (3 :00) voltige (6 :12) pour un point de chute (7 :42). Roland Devocelle souffle et Luc Bouquet bat et frappe, tous deux en liberté en assumant leur rôle ludique et le vécu sincère qui les animent. Enregistré en hiver 2022, cette session « free » free-jazz improvisée détient une qualité essentielle, celle du dialogue véritable, de la connivence spontanée d’improvisateurs qui se comprennent, s’écoutent, s’inspirent et se complètent de A à Z en passant par toutes les vocalises, diphtongues, cris et chuchotements de leurs échanges passionnés. Les frappes sur les toms en roulements modulés avec amour font naître des inflexions vocales bleuies au fer rougeoyant , ce growl issu des ghettos ou des bayous. Avec ce langage « lingua franca » du jazz free percussions - saxophone tant sollicité, ils font vibrer l’essentiel et rendre leur vertu profonde à cette grammaire, cette syntaxe qui pourrait ressembler à un cliché éternel devient ce foyer qui se consume sans faiblir tout le sous-bois environnant, celui des mystères du jeu, de l’intensité et des valeurs humaines : mise en commun, partage, sincérité, foi en l’humain, celui des gens qui n’ont plus rien à perdre ou à gagner. Rien que dans les douze minutes de Trapèze (premier morceau), il y a plusieurs choses qui se passent, s’enchaînent, se démultiplient et se répondent. Roland Devocelle démontre très valablement à développer un élément « thématique » - canevas de quelques notes dans plusieurs arrangements spontanés expressifs et cohérents par lesquels notre attention chemine sans effort. Une belle évidence. Dans la volte-face qui suit, le batteur semble mener le jeu en faisant » parler ses fûts dans une belle narration inspirante dont le souffleur en imagine instantanément la parade idéale, les contrepoints anguleux et hautement expressifs en insistant sur un motif de deux ou trois notes qu’il assène avec son propre « jeu de batterie » intérieur. On aura l’impression d’avoir entendu cela quelque part dans nos jeunes années. Mais ces deux-là ont le métier, la gouaille, la conviction de revenir à l’an zéro du free – jazz quand Jimmy Lyons et Sunny Murray entraînaient Cecil dans l’aventure. Sans pour autant hésiter à chercher des sons dans l’absolu (oblique) ou de réitérer l’évidence bruissante en lui faisant traverser de belles occurrences sonores, grognées frottées, grattées pour atteindre le lyrisme béatifié (élévation) qui commence dans une douceur bluesy avec cymbales frémissantes et murmures de peaux assourdies vers une construction rondement menée vers l’éclatement du souffle saturé dans une belle mise en scène tranchante du duo. Là encore, pardon : il y a le métier et l’inspiration. Roland Devocelle est un mélodiste free avisé du sax (ici alto) qui vous fera passer une soirée merveilleuse, surtout en compagnie de son acolyte, l’émérite batteur Luc Bouquet qui crée de belles ambiances sonores avec de magnifiques points de chute. Après les quatre premières compositions – improvisations, on est déjà heureux, mais avec les morceaux suivants, on devient réellement surpris. Le morceau suivant , Lâcher prise, commence exactement comme il le devrait pour créer un vrai mystère , le contraste absolu mystère après le final puissant du morceau précédent. Crissements de cymbales et sifflements expressifs de l’anche tout à fait organiques !! Leur savoir-faire est incontournable ! Free-music de haut niveau qui sublime leur technique individuelle par un surcroit d’âme, de sagacité lucide. Tope-là ! Super !
Elisabeth Harnik & Zlatko Kaučič One Foot in the Air NotTwo MW1029-2
Concert autrichien de juin 2022 de la pianiste Elisabeth Harnik et du batteur Zlatko Kaučič paru avant qu’il ne se trouve accessible via internet ou un compte bandcamp. Basé sur le dialogue concentré, dynamique et tournoyant, One Foot in the Air laisse suggérer que nous avons affaire à une danse un pied en l’air. La pianiste imprime la cadence d’une chorégraphie spontanée avec un jeu rythmique basé sur la répétition en évolution constante (one foot in the air I), le batteur hyper actif maintenant la pression sans marquer le rythme tournoyant (6 minutes et silence). One foot in the air II : Harnik sollicite le clavier par petites touches alors que Kaucic intervient à peine de ci de là. De ces hésitations naît au fil de longues minutes un croisement d’ostinatos en crescendo qui s’intensifie et se clustérise au fur et à mesure, secondé par les frappes directes du batteur légèrement en retrait. Une fois, l’arc d’énergie atterrissant, l’initiative revient à Kaucic : tous deux , attentifs investiguent « les entrailles » de leurs instruments, grattent, frottent, crissent, cordes du piano bloquée , une boîte à musique égrène un fragment ténu de ritournelle. One foot in the air II s’allonge et l’ostinato tournoyant du piano trouve une solution mélodique spiralée par-dessus l’activité souterraine et bruissante du batteur. On approche les 15 minutes et demie avant que le duo s’enfonce dans le silence. Une bonne partie du public a compris qu’il ne faut pas applaudir : one foot in the air III commence au bord du silence , la pianiste avec les deux mains auscultant lentement la caisse de résonnance et les fils de cuivre spiralés autour des câbles graves. Sons ténus imitant la nature, courts sifflets d’oiseaux rares, zeste de flexitone, grincements lointains appliqués délicatement et vers la sixième minute, percussions de l’armature métallique, un pivert frappeur a pris possession du nid, grondements dans les cordages. De la syntaxe bruitiste naît la libre poésie des sons, marteau métallique sur la corde la plus aiguë et vers la 10ème minute les riffs cinglants et tournoyants au clavier dialoguent avec le marteau ivre sur les coups sourds de la grosse caisse et les fouaillements des cymbales. Accélération et crescendo rendement mené jusqu’à une fin abrupte. N.B. emprunts formels et évidents à Cecil Taylor. Cette remarquable suite instrumentale raconte une belle histoire et on n’entend pas passer le temps, tant les dialoguistes ont un vrai talent pour tenir les auditeurs en haleine. Zlatko Kaucic se révèle au mieux dans One foot in the air V. Mention spéciale pour la pianiste Elisabeth Harnik au talent considérable. Excellent !
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Bonne lecture Good read ! don't hesitate to post commentaries and suggestions or interesting news to this......