Wells Gianni Mimmo & Harri Sjöström Amirani AMRN074
https://www.amiranirecords.com/editions/wells
https://harrisjostrom.bandcamp.com/album/wells-2
Ensemble, ces deux saxophonistes sopranos font plus qu’évoquer feu Steve Lacy, leur maître : Gianni Mimmo et Harri Sjöström. C'est leur deuxième album en duo (après Bauchhund, même label) et ils partagent aussi un groupe commun. On connaît la polémique au sujet des « copycats ». De la stupidité totale. D’abord, il faut savoir jouer du saxophone (sporano!) à un (très) haut niveau pour s'approcher de la performance de Steve Lacy et ces deux artistes ont une expressivité, une sensibilité indéniables. Steve Lacy était un artiste aussi indispensable et fascinant que l’était John Coltrane. Tout comme John Coltrane ou Lester Young avant lui, Lacy avait tellement de talent et sa musique était tellement lumineuse et évidente qu’elle a entraîné des « suiveurs », des fidèles qui ont étudié son travail. À l'époque où Coltrane n'avait pas encore joué publiquement du sax soprano, Steve Lacy était déjà un maître de l'instrument (cfr ses albums Evidence avec Mal Waldron et Elvin Jones et Evidence avec Don Cherry). Tout comme Dave Liebman, Joe Farrell, Alan Skidmore ou Paul Dunmall ont marché dans les pas de Coltrane, nos deux amis, Gianni et Harri ont évolué dans la direction indiquée par Lacy. Certains artistes choisissent de créer un univers radicalement différent de leurs prédécesseurs, comme l’ont fait Albert Ayler, Anthony Braxton, Evan Parker, John Butcher ou Michel Doneda, d’autres suivent avec enthousiasme l’enseignement d’un grand maître afin d’acquérir une base solide pour apprendre leur instrument avec un maximum d’exigence musicale et un travail intense … Pour ensuite se surpasser et imprimer leur marque personnelle. Copieurs, on s’en fout ! Jouer ainsi ensemble avec deux sax sopranos en duo avec autant d’à-propos, ce n’est pas donné à tout le monde. Il faut vraiment être de mauvaise foi ou un peu crétin pour y trouver matière à critique (négative). Écoutez honnêtement un gros paquet d’albums bien choisis de Paul Dunmall et comparez-le ensuite à son maître Coltrane et vous pourrez mesurer … le travail intense et démesuré de ce saxophoniste de l’impossible. C’est un peu ce qui se passe dans ce duo : en combinant leurs talents et leurs sensibilités dans l'improvisation "totale", Gianni Mimmo et Harri Sjöström magnifient les facettes infinies du saxophone droit, le difficile sax soprano, auquel s’ajoutent les facéties de Sjöström au sax sopranino, un instrument tout à fait ingrat, ne fut-ce que pour en assurer sa « justesse ». Nous avons ici l’impression de nous balader dans des galeries infinies de miroirs déformants, où s’étirent, se compressent ou spiralent à l’infini toutes les combinaisons sonores, timbrales, harmoniques, mélodiques de ces deux saxophones en face à face avec une myriade de suggestions, répons, fragments mélodiques, harmonies induites ou perçues, imbrications, imprécations, caquetages, articulations fébriles ou hyper contrôlées. Qui joue quoi : Harri ou Gianni, vous seriez bien en peine de le deviner. Donc, écoutons. Une musique profondément sensible, éthérée, intime, intense un partage profond de la « matière », un sens étonnant des couleurs. Gianni représente un peu le côté un peu sérieux – organisé de Steve et Harri, son côté « canard » (The Duck !) avec un brin de Lol Coxhill. Inépuisable (Wells ?). Mais en écoutant maintenant le duo de Lacy avec Evan Parker (Chirps/FMP) et ce Wells à la suite, je n’arrive pas à me décider sincèrement lequel de ces deux albums je préfère. Evan Parker a écrit un texte en utilisant toutes les lettres de des prénoms et patronymes de Gianni Mimmo et Harri Sjöström pour exprimer son ravissement. En fait, cet album est génial !
Crusts Didier Fréboeuf & Jean-Luc Petit FOU Records FR-CD 48
https://fourecords.com/FR-CD48.htm
Duo piano et anches. Plus exactement, Didier Fréboeuf, le pianiste, est aussi crédité clavietta et objets et le souffleur Jean-Luc Petit, sax ténor et sopranino ainsi que clarinette contrebasse. Trois Crusts (trad. littérale croûtes) intitulées Bark (16:44), soit écorce, Scab (12:14) soit gale … ou croûte et Crisp (16:03), soit croustillant. Titres pas mal choisis par rapport à la musique improvisée qu’ils jouent toutes oreilles l’un vers l’autre : ces deux-là ne restent pas à la surface des choses. Ils travaillent en profondeur leurs échanges en développant une belle variété de modes de jeux tant au clavier et dans les cordages qu’ aux anches. J’apprécie le jeu sec et mordant, elliptique et contemporain de Jean-Luc Petit au sax ténor à travers différentes phases de jeu face au travail concis sur l’approche rythmique et le toucher de Didier Fréboeuf, un musicien à la fois expérimenté question harmonies et au savoir schoenbergien mis en pratique de manière spontanée (Bark). La deuxième improvisation est un peu un challenge des « opposés » : face aux dix doigts et deux mains maniant le clavier et toutes leurs possibilités, le souffleur a choisi d’emboucher son énorme clarinette contrebasse plus propice à créer des sonorités étranges que d’articuler d'agiles phrases mélodiques vu la grande « gravité » de l’instrument . Se basant sur l’écoute mutuelle, l’imagination et le goût pour le sonore du très grave bourdonnant à l’extrême aigu d’harmoniques difficiles à contrôler de cette clarinette hors norme, un dialogue fructueux se crée au fil des minutes. C’est tout à l’opposé dans Crisp où Jean-Luc Petit souffle dans son très volubile sax sopranino dont il maîtrise la technique et les hauteurs de chaque note. Il finit par colorer, saturer / grincer l’anche et le tube et faire sursauter son jeu par-delà clés et intervalles distendus face aux ostinatos et cadences mouvants et complexes du pianiste. Le jeu du chat et de la souris ou alors les gambades d’un écureuil feu-follet au milieu des écorces et feuilles mortes jonchées sur le sol à la recherche des noix, châtaignes et noisettes dont il rejette les écorces pour les grignoter ou qu’il rassemble pour les cacher sous les feuilles et la mousse jusqu’à l’hiver, afin d’ avoir plus d’un tour dans son sac comme nos deux improvisateurs. On croit l’entendre ronger son frein d’ailleurs en fin de parcours quand les doigts de Fréboeuf glissent sur le mince boudin fileté des cordes du grand piano.
Un très bon album qui fera un beau cadeau à une amie ou un ami en manque de musiques à écouter. C’est vrai que j’ai peine à entasser tous ces CD’s dont je vous abreuve de chroniques alambiquées ou déraisonnables.
Autour du Lac d’Asselt Timo van Luijk & Kris Vanderstraeten La Scie Dorée 2022 album vinyle
https://timovanluijkkrisvanderstraeten.bandcamp.com/album/autour-du-lac-dasselt-2
Nouvel album mirifique du duo du créateur d’objets sonores – détourneurs d’instruments Timo van Luijk et du percussionniste Kris Vanderstraeten. Hasselt est la ville chef-lieu de la province belge du Limbourg et fut, autrefois, une ville importante de la Principauté de Liège. Timo et Kris ont tous deux leurs racines dans cette région et le patronyme du premier, van Luijk, se traduit « de Liège » en français. Alors le lac d’asselt, pourquoi pas, surtout pour une musique qui appelle autant à la suggestion et à l’imaginaire par le truchement de la curiosité imaginative de ses deux protagonistes et de leur extrême sensibilité face aux vibrations, murmures et infimes sonorités provenant de leur instrumentarium un brin surréaliste. D’ailleurs, si on retrouve chez Kris l’utilisation très étendue d’un kit de percussions « fait-maison », il est assez difficile de deviner quels instruments, objets (bois, métaux, plastiques), Timo manipule, actionne sans précipitation et amplifie avec de curieuses résonnances. Il suffit de se laisser plonger dans l’écoute et la découverte. Cette musique évolue lentement dans un temps suspendu, un souffle fantomatique, des nuances irisées, au bord d’un silence intériorisé. Elle ignore la virtuosité pour se focaliser sur l’écoute attentive des sons produits, cherchés, découverts, entrevus ou abandonnés. Mais le moindre son émis compte et a sa raison d’être. Il en ressort un univers musical et sonore unique qui sollicite une rêverie féérique au-delà d’une vision théorique, dogmatique ou idéologique. Timo Van Luijk anime son propre label vynile La Scie Dorée et travaille régulièrement avec Andrew Chalk, Christoph Heemann, Limpe Fuchs, Raymon Dijkstra, Frederyk Croene. Kris Vanderstraeten a enregistré en solo et avec Stefan Keune et John Russell, le trio Sureau, Dirk Serries et Martina Verhoeven.
Merveilleux !
Maria Da Rocha Ernesto Rodrigues Daniel Levin João Madeira Hoya Creative Sources CS782CD
https://creativesources.bandcamp.com/album/hoya
Ernesto Rodrigues est la cheville ouvrière – responsable du label portugais Creative Sources, lequel a publié un nombre record d’enregistrements d’un nombre exponentiel d’improvisateurs du monde entier (ici N° 782 du catalogue !!). Altiste (violon alto), Ernesto a à cœur de réunir un maximum de collègues portugais et étrangers dans de nombreuses formations qui vont du duo ou trio, du quintet au grand orchestre avec un sens du collectif très prononcé Se dessine particulièrement une prédilection relativement récente pour les ensembles de cordes frottées (famille du violon) comme ce très intéressant Hoya. Violon : Maria Da Rocha, alto : Ernesto Rodrigues, violoncelle : Daniel Levin, contrebasse João Madeira, lequel est un de ses collaborateurs les plus proches si on en juge par leur discographie commune. Daniel Levin a, par exemple, travaillé et enregistré avec le saxophoniste Rob Brown, un « poids lourd » de la scène free-jazz authentique (William Parker, Matt Shipp et cie). Cet album est divisé , disons en trois parties. Pour commencer quatre solos (très) improvisés de chaque instrumentiste (cello - alto- contrebasse - violon). Ensuite, six duos qui réunissent chaque instrumentiste avec un des trois autres, ce qui permet d’entendre chacun trois fois avec un instrument différent. Pour terminer deux Quartets. Cela paraît bien organisé et logique, même un peu bien propre sur soi. En fait, cette structure un peu figée autorise toutes les incartades, leurs spécificités personnelles à s’épanouir et finalement l’auditeur partage d’heureux moments de poésie sonore, de découvertes inopinées des curiosités inhérentes à chaque instrument. Bien des choses sont possibles avec ces instruments à cordes, boisés, résonnants, vibrants, gratouillants, percutés col legno… avec une solide technique, de l’imagination, un sens ludique, une vision inventive de formes et d’échanges spontanés. Une série détaillée de pièces « uniques », bien différenciées par l’ambiance, l’intensité, les intentions du moment, l’inspiration, les cohérences ou les contrastes qui finissent par tracer une œuvre collective où s’inscrit un sentiment intense d’écoute et de respect mutuel. Bien sûr, on trouve là les avancées de la musique contemporaine où s’intègre, s’insuffle une sorte de folie inhérente à la libre improvisation. Mais aussi l’apaisement ou des frictions soniques. Appelez cela comme vous voulez, composition instantanée, deep listening ou non idiomatique, on s’en moque en fait. Ce qui compte c’est la musique et là, je vous assure que le compte y est. Vraiment remarquable.
Bonjour, Jean-Michel. Un tout petit commentaire pour ajouter le nom de Wolfgang Fuchs a ta gallerie de references a propôs du disque en duo de Gianni Mimmo e Harri Sjostrom. Trés bonne critique! Et j'aimerais bien ecouter cet album. All the best, José Oliveira
RépondreSupprimer