Children of The Forest Milford Graves with Arthur Doyle & Hugh Glover Black Editions Archives BEA 2LP BEA-002
https://milfordgraves-blackeditionsarchive.bandcamp.com/album/children-of-the-forest
C’est le deuxième album que les Black Editions Archives consacrent à Milford Graves. Le précédent, Historic Music Past Tense Future, publiait un concert de 2002 avec Peter Brötzmann et William Parker. Ces enregistrements de janvier février et mars 1976 sont dans le sillage du légendaire et démentiel Bäbi Music de la même année (LP IPS – 004, réédité récemment en dble CD + inédits par CorbettvsDempsey) avec les saxophonistes Arthur Doyle et Hugh Glover. On retrouve ces deux acolytes au fil des plages en trio dans les faces A et B , en duo Glover - Graves C et D, la face D se terminant par un solo de percussions de Milford. Il y a aussi un ou deux extraits verbaux de l’émission radio de WKCR durant lesquelles ces sessions ont été transmises. Dans les faces A & B , Hugh Glover est crédité « klaxon, percussion, vaccine »(sic !) et c’est donc l’allumé Arthur Doyle qui officie en vocalisant furieusement dans son embouchure. C’est apocalyptique et émotionnel, Doyle étant un souffleur unique en son genre. Il semble avoir eu une influence sur Joseph Jarman et Frank Lowe au début des années 70, Frank ayant joué et enregistré en duo avec Rashied Ali la même année dans un registre similaire. Mais il y a une différence notable au point de vue esthétique entre Milford Graves et les Rashied Ali et Andrew Cyrille. L’art free de ces derniers provient en droite ligne de la pratique de la batterie jazz avec baguettes et balais et de ces formules et techniques ludiques. Milford Graves, qui a joué des congas avec Mongo Santamaria, est influencé par les percussions d’origine africaine et caraïbe jouées avec les mains ainsi que les timbales. Chacun de ses membres de gauche et de droite effectuent des figures rythmiques, des battements et des accentuations en crescendo – decrescendo de manière indépendante l’un de l’autre. Sa musique semble sortir tout droit d’un orchestre de percussions africaines tel qu’on peut les écouter sur les vinyles Folkways, Musicaphon ou Ocora de musique traditionnelle africaine. Han Bennink a déclaré avoir été influencé par Milford Graves et ses deux albums ESP et Fontana du New York Art Quartet avec John Tchicaï et Roswell Rudd. Milford a aussi enregistré avec Albert Ayler (Love Cry), Sonny Sharrock (Black Woman), Giuseppi Logan, Don Pullen, Andrew Cyrille en duo, Kaoru Abe Toshinori Kondo et cie, John Zorn, Anthony Braxton et un quartet de percussions avec Don Moye, Cyrille et Kenny Clarke.
Par rapport à la folie intégrale du fameux LP Bäbi Music (que j’avais acquis en 1978), ces Children of the Forest semblent un peu en retrait. Le tandem Doyle et Graves est de toute façon hallucinant, même si l’intervention au klaxon ( !) de Hugh Glover est un peu « mystérieuse ». Cet album est disponible en Europe via Aguirre Records et des revendeurs sérieux, mais il vous en coûtera plus de 50 euros (+ frais) alors qu’il aurait pu être concentré en un seul CD. Néanmoins, comme Milford a peu publié au fil de sa carrière de son vivant, cet album mérite d’être écouté et si vous êtes un inconditionnel de Graves, vous ne serez pas décu. En outre, il y a de bonnes notes de pochette et une interview intéressante de Hugh Glover.
Horizontal Shift Birgit Ulher Carol Genetti Eric Leonardson amalgamusic.org AMA044
https://birgitulhercarolgenettiericleonardson.bandcamp.com/track/horizontal-shift
Crédits : Birgit Ulher – trumpet, radio, speaker, objects. Carol Genetti -voice, objects. Eric Leonardson - springboard, objects, electronics. Je n’avais jamais entendu parler d’Eric Leonardson. Birgit Ulher et Carol Genetti avaient toutes deux enregistré pour le label Balance Acoustics du contrebassiste Damon Smith il y a bien longtemps. Birgit dans Sperrgut en trio avec ce dernier et le batteur Martin Blume et Carol dans Sense of Hearing avec Smith et le violoncelliste Fred Lonberg-Holm. Deux excellents albums de free-music. Birgit Ulher est une des improvisatrices – clé de la trompette révolutionnaire des années 2000 en compagnie d’Axel Dörner, Franz Hauzinger, Peter Evans et Nate Wooley. Elle est sans doute aussi une des plus radicales. Allez distinguer les scories et éclats de l’embouchure, les vibrations des « objets » (sourdines de différentes matières), les compressions bruissantes de la colonne d’air de Birgit Ulher et les égosillements -percussions de glotte – gémissements gutturaux de Carol Genetti. C’est parfois un maquis impénétrable même si lisible. Leurs shrapnels soniques et murmures oscillants se confondent, s’interpénètrent, ou éclatent subrepticement dans deux directions opposées. Lèvres irritées et cordes vocales hérissées s’unissent comme rarement. Elles s’allient étonnamment aux bruitages d’Eric Leonardson et ses ressorts mirifiques à peine ouïs. Vertical Shift (1) et ses vingt minutes est un No Man’s Land bruitiste compact et fragmenté à la fois. Le trio atteint la plénitude avec les 9 :26 d’Horizontal Shift en détaillant avec précision les sculptures sonores et la matière vibratoire de chacun en convergeant leurs efforts. Chaque cellule de la gorge de Carol Genetti prononce les plus insensées syllabes éclatées, verbophonie de la vocalité automatique au sens surréaliste du terme. Birgit Ulher a exprimé verbalement avoir reçu l’inspiration d’un Bill Dixon ou d’un Leo Smith ; depuis, elle crée des merveilles audacieuses et intemporelles dans l’au-delà en transcendant le complexe lèvres – dents – langue – embouchure – colonne d’air – pistons sans rien devoir à personne. Phase Shifts permet de saisir la magie opératoire des deux chamanes de l’indicible et l’empathie de leur acolyte bruiteur qui a bien du mérite en telle compagnie . Durant Vertival Shift, il se révèle complètement en agrégeant ses frottements scintillants à la transe introvertie de la vocaliste et de la trompettiste. Bruitisme radical basé sur des techniques pointues et requérantes qui demandent un travail harassant pour pouvoir s’éclater en toute liberté.
Guillaume Gargaud Patrice Grente Thierry Waziniak OMUSUE TORF Records TR007
https://torfrecords.bandcamp.com/album/omusue
Trio guitare acoustique (Guillaume Gargaud) – contrebasse (Patrice Grente) – percussions (Thierry Waziniak) complètement et collectivement improvisé dans le sillage, dira-t-on, du Spontaneous Music Ensemble « string » (John Stevens - Nigel Coombes – Roger Smith) ou de « Fairly Young Bean » du trio John Russell - Maarten Altena - Terry Day). Thierry Waziniak pratique une percussion détaillée d’une grande finesse ouvrant l’espace de jeu avec des frappes assourdies plutôt piano – pianissimo que forte. Patrice Grente assure une forme de lien – colonne vertébrale plus terrienne et lyrique, que ce soit à l’archet ou en pizzicato, alors que le guitariste explore différents registres sonores de la guitare free avec grattages, tournoiements, clusters ou intervalles dissonants. On l’entend empressé à entraîner ses deux collègues dans cette ronde incessante en arcs brisés ou à souligner les suggestions mélodiques du contrebassiste. Improviser librement de telle manière (avec une guitare acoustique) durant sept improvisations de cinq à sept minutes et plus en s’efforçant à renouveler son inspiration n’est pas une mince affaire. On est impressionné par leur faculté partagée à créer ces rhizomes tactiles, vibratoires, ces interactions tangentielles en échangeant des signaux tacites et en suggérant des changements de régime (vitesse, densité, dynamique, espace ludique, hyper-activité ou souffle zen). Au centre du dispositif, un percussionniste sensible, expérimenté et intuitif agissant en toute transparence. Où se situent les pulsations, l’exploration – extrapolation mélodique, le canevas harmonique, le feeling ? Dans le travail de chacun des instrumentistes et le trio tout entier : chacun essaie de truster tous les rôles, de les partager, de s’abstenir ou d’offrir des réponses inattendues. Dans leur parcours en trio, il s’agit sans doute d’une initiation en vue de transcender le potentiel de leur imaginaire en aiguillonnant leur imagination. À suivre !
Maria Mange Valencia Paolo Pascolo Stefano Giust Politácito Ricordi del Tardigrado Setola Di Maiale SM 4530
https://www.setoladimaiale.net/catalogue/view/SM4530
Deux souffleurs : Maria Mange Valencia, sax alto et clarinette et Paolo Pascolo flûte, flûte basse et sax ténor. Un percussionniste : Stefano Giust, le patron et graphiste du label. Enregistrement stuperbement bien réalisé d’un concert très inspiré entièrement dédié à l’expression improvisée libre et généreusement ouverte. Misskappa, Udine le 6 octobre 2022. Les vents flottent sensibles et délicieusement sonores, fragiles, suspendus dans le champ auditif, notes tenues, vibrations ondoyantes, frémissements subtils, poésie de narratifs spontanés. Entre Maria et Paolo , l’entente est parfaite. Titres : Resonancias Orientales 9 :33 … El Nacimento de Los Orangutanes (part 1) 6 :15 et (part2) 8 :02, etc… Tout au long de ces improvisations concentrées et certains gazouillis d’oiseaux des tropiques, le jeu tout à fait remarquable de Stefano Giust avec chaque objet percussif frappé, frotté, résonnant, rebondi, gratté, ... Sa polyrythmie étudiée et la grande variété de ses frappes, leur remarquable lisibilité happent l’écoute et l’attention de l’auditeur. Les belles nuances du toucher des cymbales et des discrets roulis aléatoires sur les peaux entraînent le mouvement constant, une scansion multilatérale impalpable. Cet homme détient quelques secrets du free drumming, du drive – swing invisible, de la recherche sonore et un style bien à lui. Ses comparses explorent le jeu du souffle, la colonne d’air, les pépiements la gorge serrée, un chant amoureux et secret, en mettant à profit leur savoir-faire sonore pour s’inventer un univers de rêves éveillés avec une belle coolitude. Il s’ensuit une magnifique mise en commun d’idées, de sentiments, de sons et de timbres au sein d’un trio atypique.
Voilà bien un trio issu de la vulgate free free-jazz qui nous change complètement des habitudes, tics et lieux communs régurgités ailleurs.
Merci!!
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