Crossland Frangenheim Basic Tracks Baltimore New York Patrick Crossland & Alexander Frangenheim Concepts of Doing COD 010 LC 10087 CD
http://frangenheim.de/news
Durant la révolution de la free-music européenne fin des années 60 au début des années 70, un instrument un peu délaissé dans le jazz moderne fait son entrée subtile et imprévisible : le trombone, accouplé à des groupes atypiques et brandi par des improvisateurs rompus aux techniques alternatives. Incontournable, le vétéran Albert Mangelsdorff et ses techniques de voicings jouent souvent avec le trio Brötzmann - Van Hove - Bennink. Paul Rutherford explore les sonorités les plus audacieuses à la limite des bruitages avec Derek Bailey et Barry Guy (Iskra 1903) et, tout comme Mangelsdorff, il enregistre des albums solos révolutionnaires, The Gentle Harm of the Bourgeoisie et Old Moers Almanach. On l’entend aux côtés de Paul Lovens et de Tony Oxley, percussionnistes de l’impossible. Son collègue du Globe Unity Orchestra fait parler de lui outre – Rhin : Günter Christmann en duo avec le percussionniste Detlev Schönenberg. Tous deux sont les coqueluches du festival de Moers et enregistrent pour son label Ring records rebaptisé Moers Music. Il y a Radu Malfatti qui joue avec le violoniste Phil Wachsmann ou le bassiste Harry Miller et au sein du Brotherhood of Breath de Chris Mc Gregor, Willem Van Mannen qui fait partie du Willem Breuker Kollectief, l’italien Giancarlo Schiaffini, deux frères allemands de l’Est, Connie et Hannes Bauer, le français Yves Robert, un autre British délirant celui-là , Alan Tomlinson… Mais des américains viennent à la rescousse pour rétablir l’équilibre : l’hyper-virtuose George Lewis avec Anthony Braxton, l’expressif et jovial Ray Anderson, Craig Harris … Depuis lors, Steve Swell, Sarah Gail Brand, Matthias Muche… on ne se presse plus au portillon comme par le passé.
Ça me fait penser que le duo Paul Rutherford – Barry Guy n’a jamais produit un disque alors que Christmann a réalisé un chef d’œuvre avec son compatriote le bassiste Torsten Müller (Carte Blanche / FMP). Torsten vit aujourd’hui en Colombie Britannique. Mais trêve de nostalgie ! Voici un duo modèle , classieux et complètement impliqué dans l’improvisation sans concession au sommet. Le tromboniste US Patrick Crossland a travaillé la musique contemporaine et crée de nouvelles pièces d’avant-garde. Comme improvisateur, son art se situe dans la lignée de Günther Christmann et de Paul Rutherford, moins l’aspect parfois folâtre du premier et le lyrisme un brin humoriste et romantique du deuxième. Mais avec un esprit analytique et une sûreté dans « l’abstraction » confondante. Avec un contrebassiste pointu comme Alex Frangenheim, un proche de Günter Christmann et de Roger Turner avec qui il a souvent enregistré, Crossland a trouvé son challenger et complice. Leur musique improvisée en duo est d’une subtilité suggestive et adepte de l’élision, de l’expressivité bruissante et du camouflage instrumental en s’interpénétrant par le moindre timbre, le moindre atome. Un flux serré et relâché à la fois, les deux instruments se prêtant à tous les dérapages, frictions, frottements, harmoniques , effets sonores et leur musicalité semant un rhizome de connexions harmoniques post weberniennes. D’éphémères passages expressionnistes hérités du free-jazz alternent avec des souffles sotto-voce voisinant le silence. Chocs et micro-timbres, détails infinis, gouaille de la sourdine endiablée et stries abrasives de l’archet, growls sauvages ou douçâtres et pizz sonores. Pour alimenter ces démarches, Frangenheim a relancé son label Concepts of Doing avec un véritable chef d’œuvre de la maturité. Imparable et rare depuis les albums de Malfatti & Miller ( Bracknell Breakdown Ogun 1978) et de Christmann & Muller (Carte Blanche). Basic Tracks représente superbement la base de l’improvisation libre , écoute mutuelle , indépendance totale et interactions surprises. La page blanche de l’invention entre silences et sons toujours inouïs. Je réécoute cet album tellement souvent que mes autres textes n'avancent pas (sorry)
Adrian Northover Marcello Magliocchi Bruno Gussoni the House on the Hill Shrike Records
https://shrikerecords.bandcamp.com/album/the-house-on-the-hill
Shrike records est un nouveau label Britannique documentant leur riche et vivace scène improvisée. On y croise John Butcher, David Toop, Sharon Gal, N.O. Moore, Eddie Prévost, Alex Ward, Terry Day, Phil Durrant, John Edwards, Steve Beresford, Thurston Moore, Iris Ederer, Mark Sanders, Yoni Silver, Steve Noble, Angarhad Davies, Rachel Musson, Tania Caroline Chen, Dominic Lash etc… dans des groupes aussi diversifiés qu’il est possible. Le saxophoniste Adrian Northover est un des incontournables de cette communauté et la Série de concerts auquel lui-même et sa compagne Sue Lynch se consacrent, The Horse Improvised Club voit ses gigs documentés par ce label, Shrike. Adrian a comme partenaires privilégiés le flûtiste de Gênes Bruno Gussoni et le percussionniste Marcello Magliocchi de Monopoli dans les Pouilles. Rien d’étonnant à cela, car Adrian et Marcello sont abonnés à ce curieux flûtiste Britis , Neil Metcalfe himself, qui a un art consommé à distendre ou plier les intervalles de ses gammes , jeu auquel le saxophoniste adore s’intégrer avec autant de sensibilité. On entend cela dans les enregistrements du Runcible Quintet ou Quartet en compagnie du contrebassiste John Edwards et du guitariste Daniel Thompson. J'ajoute encore , comme l'indique son patronyme,Magliocchi, Marcello est un inconditionnel de la mailloche; en effet ses frappes et actions sont d'une grande subtilité Avec Bruno Gussoni, on ajoute une flûte basse à la panoplie et le shakuhashi un instrument fétiche du Gênois. Et le concept se dilate et s’envole au gré d’un vent léger. Mais surtout dans cet album et après un départ saccadé et énergique, la musique pénètre petit à petit bien des maquis et des mystères pour confiner à la magie. Un raffinement sibyllin s’installe sous l’influence du souffle presqu’immatériel et fantomatique de Gussoni et un Adrian Northover très inspiré jouant en empathie organique avec son acolyte, sans jamais forcer le trait. En se laissant envahir par leur musique de rêves éveillés on oublie si tels sons proviennnet du sax ou des flûtes ! Dans ces treize improvisations dont on n’a pas noté les durées, on s’enfonce dans un univers sonore unique et une grande délicatesse de la part du percussionniste Marcello Magliocchi faite de légers vrombissements, bruissements naturels, frappes légères, secouages d’objets , grésillements percussifs, frictions, résonnances métalliques…. Leurs interactions se décomposent, décantent, se métamorphosent au fil d’un temps suspendu, un rêve …. Un univers sonore rarement découvert ailleurs et une imagination déconcertante par sa grande simplicité et une sophistication voilée. The House on the Hill est sans doute cette maison pugliese dont la vue domine le littoral et les oliveraies et où souffle un vent de fraîcheur qui fait oublier la torpeur du midi profond. Un superbe album qui documente une facette poétique inconnue de l’improvisation libre. Sans étiquette.
Unknown Shores The House of Memory : João Pedro Viegas Silvia Corda Adriano Orrù Guests : Carlos Zingaro et Helena Espvall Fundacja Sluchaj FSR 14/2023
https://sluchaj.bandcamp.com/album/the-house-of-memory
Aventure sardo-lusitanienne avec le trio Unknown Shores, un nom de groupe qui est parfait vu la situation géographique et des paysages de leurs pays respectifs et qu’on explore l’inconnu ou une forme de surprise collective en improvisant. Le clarinettiste basse portugais João Pedro Viegas la pianiste sarde Silvia Corda et le bassiste Adriano Orrù forme un trio de chambre improvisé qui a déjà sa petite histoire. En effet, le trio avait déjà enregistré Unknown Shores en compagnie du clarinettiste Luis Rocha pour le label Amirani de leur ami Gianni Mimmo, avec qui d’ailleurs Corda et Orrù ont enregistré deux albums, Clairvoyance et Transient, deux merveilles publiées sur le même label. Comme invités, le violoniste vétéran Carlos Zingaro Alves et la violoncelliste Helena Espvall, lesquels renforcent cette identité chambriste et l’amplifient. Après un bref Prélude de 1 :08, le quintet égrènent et développent huit improvisations « miniatures » entre les deux – trois minutes et les cinq – six minutes. L’environnement inspiré des trois cordistes qui se relaient inlassablement dans de subtiles métamorphoses instantanées créent un univers sonore diversifié alimenté par le toucher distingué et la science harmonique de la pianiste Silvia Corda. Le contrebassiste, Adriano Orrù cultive des soubassements tactiles alors que le violoniste, Carlos Zingaro, fait tournoyer son archet en étirant les sons et que la violoncelliste Helena Espvall grapille des notes pulsées du bout de doigts crochus et sautillants. Le quintet a un malin plaisir en transformant constamment le paysage, créant événements sonores, vibrations méditatives, portamentos élégiaques, glissandi mystérieux, oscillant entre lyrisme et expression d’avant-garde contemporaine. La clarinette basse de João Pedro Viegas oscille subtilement entre chacune des cordes sans « jouer au soliste » par-dessus l’orchestre, ce qui serait le comble du mauvais goût dans un véritable collectif aussi « démocratique » , imbriqué et focalisé sur l’écoute mutuelle et la construction coopérative instantanée, la partition de chacun se trouvant dans les sons des quatre autres musiciennes/ musiciens. Chaque pièce contient son identité propre, une expression typée, des contrastes un message à méditer, le tout offrant un vrai plaisir d’écoute apaisé jusqu’à l’Épilogue final.
Kris Gruda & Danny Kamins Drop of Sun Musical Eschatology
https://adurgsirk.bandcamp.com/album/drop-of-sun
Duo sax et guitare électrique : le souffleur Texan Danny Kamins, un pote à Damon Smith et le guitariste de Caroline du Nord Kris Gruda que je découvre ici. Cette combinaison instrumentale saxophone - guitare fut un des détonateurs de la free-music des années septante : on se souvient des duos de Derek Bailey avec Evan Parker ou Anthony Braxton, Eugene Chadbourne avec John Zorn ou Frank Lowe, Raymond Boni avec Claude Bernard ou Joe McPhee, G.F. Fitzgerald et Lol Coxhill…. Courageusement, Danny Kamins tente avec succès d’étendre les particularités expressives du sax soprano dans plusieurs facettes possibles avec un sérieux contrôle de l’instrument. La pâte sonore s'étend, se tord, se dilate en dessinant de bien curieuses arabesques et spirales d'une magnifique qualité vocale qui s'échappe vibrante et passionnée. Il nous fait aussi entendre un ou deux morceaux à la clarinette basse dans une inspiration contemporaine. Son acolyte, Kris Gruda a plusieurs tours dans son sac, soit un arsenal d’approches ludiques – éventail de techniques alternatives qu’il assaisonne judicieusement d’effets électroniques. C'est tout un panorama d'options qui une fois ébauchées s'enrichissent au travers dé échanges fructueux. Admirable ! Tant d'efforts finissent par convaincre : improviser de cette manière est une lutte de tous les instants pour tenir le cap et de nourrir le flux de leurs improvisations avec un maximum de découvertes - connu et inconnu mêlé - sans relâche ! Ces deux improvisateurs se révèlent particulièrement audacieux en diversifiant au maximum leurs dynamiques sonores et leurs inspirations tout en maintenant l'intérêt, le fil de l'écoute de l'auditeur, l'entraînant dans de multiples histoires parfois tortueuses ou simplement lumineuses. Écoutez ce duo, vous en aurez pour votre temps et argent. Pas le temps de s’ennuyer !
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Bonne lecture Good read ! don't hesitate to post commentaries and suggestions or interesting news to this......