Live in St Johann Joëlle Léandre Elisabeth Harnik Zlatko Kaucic Fundacja Sluchaj
https://sluchaj.bandcamp.com/album/live-in-st-johann
Voilà que notre chère Irene Schweizer s’en est allée suivant ainsi ses camarades Fred Van Hove, Misha Mengelberg, Cecil Taylor. Mais je pense que nous pouvons aller de l’avant quelque que furent le talent génial de ses merveilleux anciens, il y un nombre exponentiel d’artistes d’envergure qui méritent d’être écoutés et suivis. Parmi les pianistes, je pense à Elisabeth Harnik, mais aussi Jacques Demierre, Frédéric Blondy, Lisa Ullen ou Nicolà Guazzaloca. Il en faut pour tous les goûts et nos « moods » d’écoute et de plaisir au-delà des obédiences esthétiques … . Donc, Elisabeth Harnik dont j’ai souligné l’excellent travail avec Alison Blunt et tout récemment avec Harri Sjöström, Tony Buck et John Edwards. Elle nous a confié aussi un super duo avec le percussionniste slovène Zlatko Kaucic, lequel est un fidèle de la contrebassiste Joëlle Léandre, elle-même proche collaboratrice d’Irène avec la vocaliste Maggie Nicols (Les Diaboliques). La boucle est bouclée, mais il y a une kyrielle de nœuds, ou mieux, de points nodaux dans cette équipée qui valent le détour d’être relevés au fil de l’écoute. Tout d’abord, un grand bon point au percussionniste qui aère son jeu avec des nuances de frappes sur de multiples objets percussifs et réagit à bon escient aux impulsions des deux dames. Toute la place voulue pour les jeux frottés à l’archet et les remarquables nuances dans les intensités et vibrations projetées par Joëlle Léandre : la grande classe ! La pianiste s’insère adroitement dans les échanges via la table d’harmonie sollicitée de manière aérienne, poétique, murmures et résonances de marteaux des quels se distinguent les cliquetis et le jeu boisé en « sciures » du tandem basse batterie qui font corps l’un à l’autre. Un jeu suspendu au-dessous du vide durant dix sept minutes préparatoires à quatre mouvements plus ramassés. Au fil du temps à l’occasion de glissandi vibrants grondants, s’invite le jeu perlé au clavier d’Harnik initiant ce tournoiement ondoyant « répétitif » dont elle a le secret (toucher merveilleux). Une question se pose avant la minute douze : pourquoi pas le chaos, les frémissements bruissants …. Et un peu d’action : on atterrit pile dans le chaudron des sorcières de la free music, mais sans en rajouter…. Et avec les récriminations phonémiques de Léandre…. Le paysage évolue comme dans un voyage en toute musicalité spontanée. « C’est pas grave , c’est pas bien » dit-elle mais ça joue et avec des nuances dans la dynamique, Madame et c’est ce qui compte ! S’ensuit ces quatre morceaux de choix et substantiels fait d’improvisation chercheuse dans les entrailles et « à côté » des trois instruments. Est-ce bien un trio piano, basse, batterie ? Ah oui le trio jazz convenable… Ici c’est un atelier laboratoire où les formules se dissolvent, les idées s’évanouissent, le jeu devient vraiment ludique. Chapeau encore à l’attitude foncièrement improvisée du jeu du batteur, ici authentiquement improvisateur libre à l’instar des Paul Lovens, Roger Turner et de John Stevens au sein du SME ! Pas de pétarade, de roulements, de cogneries, d’effets machos et de tics et de tocs sortis tout droits des leçons exercices de batterie. Mais quel batteur quand même ! Bon : Joëlle, Elisabeth et Zlatko, je vote pour !
Giorgio Pacorig Stefano Giust Cosi com’è Setola di Maiale SM4740
https://www.stefanogiust.it/discography/selected-discography
https://www.setoladimaiale.net/catalogue/view/SM4740
Duo piano (Giorgio Pacorig) et batterie (Stefano Giust). Stefano est l’infatigable activiste qui se démène aux fourneaux du label Setola di Maiale depuis 1993, le catalogue s’approchant de la limite des 500 références et offrant un panorama exhaustif des musiques improvisées et expérimentales au Sud des Alpes avec de solides collaborations d’artistes étrangers. Incroyable !! En outre, Stefano se coltine tout le travail graphique des pochettes contre vents et marées. J’ai personnellement, rarement rencontré une personne dévouée comme peut l’être Stefano Giust. Giorgio Pacorig est un habitué de Setola et a souvent joué avec Giust au fil des ans, lequel batteur a déjà une belle histoire commune avec deux autres pianistes remarquables comme Thollem McDonas - cfr le « power trio » MagicMC avec McDonas et le saxophoniste ténor Edoardo Marraffa – et comme Nicolà Guazzaloca en compagnie du flûtiste Nils Gerold. Ces deux trios ont été documentés par Setola di Maiale et aussi par Amirani. Trois improvisations vagabondes focalisées sur l’écoute mutuelle et une évidente dynamique sonore et rythmique sont développées ici durant 27’11’’, 24’14’’ et 14’22’’. Dans Guardavi la Boan era il mare, je songe à l’ambiance décontractée et planante de ce vieil album de Paul Bley « In Haarlem » ou encore « Ballads ». On retrouve ailleurs la nervosité d’un Keith Tippett… Le degré de communion et la fine cohésion de ce duo sont propices à l’élaboration de narratifs évoluant du calme plat à la mer démontée. Aussi, l’utilisation d’effets sonores par d’astucieux frottements et vibrations, frictions et murmures dans le chef de Stefano Giust opère à ouvrir l’inspiration à la fois rêveuse et désenchantée des voicings étranges et lumineux de Giorgio Pacorig au piano, lequel brode indéfiniment par tuilage en écho étirant les harmonies ou articulant des doigtés anguleux dans une giration qui semble infinie un instant jusqu’à ce qu’un motif rythmico-mélodique tournoie par-dessus les vagues de frappes à la batterie, ressac mystérieux. Ressac qui se resserre jusqu’à un tournoyant numéro « télégraphique » d’une grande précision rythmique dans le chef du pianiste. On se situe là au niveau du jazz cosmique. En 2/, Memorie di amicizie e rugiada s’affirme comme un beau témoignage de piano free servi par un batteur au service discret d’un dialogue plus qu’efficace. Vers la 11ème minute, Pacorig joue dans les cordes de la table d’harmonie avec un esprit voisin de Keith Tippett : c’est le moment choisi par le batteur pour démontrer toute sa sensibilité au niveau de la micro -percussion alors son acolyte se remet au clavier pour rêver aux étoiles avec ce lyrisme spontané, sa marque de fabrique… Rugiada signifie Rosée et c’est à cela qu’on songe en écoutant le doigté perlé de Giorgio Pacorig. Voici un duo remarquable, fin et assumé avec un excellent niveau de musicalité.
Nigemizu John Butcher solo Uchimizu
https://johnbutcher1.bandcamp.com/album/nigemizu
Enregistré en 2013 à Osaka ainsi que dans la fameuse Hall Egg Farm et publié semble-t-il en 2015 par Hisachi Terauchi, un légendaire promoteur Japonais, Nigemizu date donc dans le flux digital des nouveautés discographiques. Je n’avais jusqu’alors jamais entrevu la moindre trace de cet album de John Butcher jusqu’à ce que Hisashi Terauchi publie en fin cet extraordinaire Concert In Iwaki de l’Evan Parker Electro-Acoustic Quartet (enregistré en 2000 avec Paul Lytton, Joel Ryan & Lawrence Casserley) en 2021. C’est avec cette musique qui fit craquer le continuum de l’espace-temps à Fukushima (!) qu’Evan Parker avait prévu d’inaugurer son propre label Psi en 2001. Vu l’insistance d’Hisachi Terauchi à le publier lui-même au Japon, ce projet fut abandonné par Psi alors que l’Electro-Acoustic Ensemble d’Evan Parker était en pleine effervescence, avec concerts et CD’s ECM. J’en avais entendu les mérites immenses de ce mythique concert par Casserley lui-même. Finalement en 2022, une copie du cd Japonais publié par Uchimizu est parvenue dans mes mains alors que cette aventure appartient déjà à un lointain passé. Mais quelle musique extraordinaire au niveau du son « électronique » ! C’est alors que je me suis aperçu qu’il y avait un solo de John Butcher sur le même label Uchimizu sans me rendre compte que ce n’était plus une nouveauté. Mais pourquoi je ne me refuserais pas le plaisir de commenter cet album de John Butcher. La personnalité de John figure l’archétype du saxophoniste d’improvisation libre qui s’est détaché du postulat « Evan Parkerien » en incarnant « un style » personnel super original avec une logique imparable et qui comme Parker (et Urs Leimgruber) est un véritable spécialiste des deux instruments, le sax ténor et le sax soprano. Ces deux binious sont souvent associés dans la pratique de souffle de nombreux saxophonistes de jazz moderne / contemporain comme John Coltrane, Dave Liebman, Archie Shepp, Sonny Fortune etc… pour la simple et bonne raison qu’ils sont construits dans la même clé (si bémol) et que les doigtés des clés sont identiques . Profitant d’un bref séjour à Londres, j’ai miraculeusement trouvé une copie de ce mystérieux Nigemizu ! On y trouve toute l’extrême précision et la patience méthodique dans la construction musicale de John Butcher. Une énergie implacable, une science des extrêmes aigus et sifflements aviaires au sax soprano hallucinante. Mais c’est au ténor , enregistré dans une église d’Osaka, que débute l’album et dont on appréciera les growls calibrés caractéristiques de Butcher dans Enrai. Deux improvisations / compositions au sax soprano , Uchimizu et Hamon, ont été enregistrées dans le Hall Egg Farm, un lieu où AMM, Borbetomagus et Steve Lacy ont gravé des albums par le passé. Il s’agit de la fine fleur de l’art de John Butcher en solo ou une forme de spontanéité lyrique éclate progressivement après une introduction proche de l’univers de Steve Lacy où John décline progressivement les moindres nuances d’accentuation entre les notes qui mettent en valeur la spécificité de chaque intervalle en extrapolant chaque relation possible entre chacun des sons, déconstruisant et réédifiant les implications harmoniques. Surtout cette pièce dure plus de 19 minutes et pour que la créativité se maintienne, Butcher introduit des bruissements organiques et des harmoniques extrêmement maîtrisés au-delà du registre aigu du soprano. S’insèrent alors des effets sonores expressifs tels le canard de Steve Lacy, ou subitement spiralés en secousses sans pour autant que son souffle ressemble à celui du grand Steve. Mais ces deux -là partagent le même souci du détail infime et cette obsessions de formes ajustées à l’infini. C’est absolument fabuleux ! Ce qu’il arrive à caser comme matériau « compositionnel » et à le développer dans ces 19 minutes en utilisant autant son imaginaire que sa science du saxophone et de ses sonorités les plus extrêmes. Ce n’est pas le tout de pêcher les harmoniques les plus injouables, il faut encore articuler ces sonorités pour nourrir ce narratif, cette histoire pour en tirer une œuvre irrévocable qui finit d’ailleurs dans les limbes de murmures avant que les boucles en respiration circulaire engendre une autre luminosité. La respiration circulaire au souffle ininterrompu est en soit un truc de cirque sauf si comme John Butcher, cette contrainte est chamboulée par une articulation remarquable et une capacité de variations où à chaque instant se bousculent notes, glissandi, doigtés, accents, timbres spécifiques qui illuminent le champ auditif et l’espace sonore comme un sapin de Noël psychédélique. L’ordonnancement de ses trouvailles n'est rien d’autre que magique. Pour ceux qui l’ignorent encore, John Butcher a été un professeur de mathématiques supérieures dans une autre vie, mais il a préféré un jour jouer du saxophone et créer sa musique. Pour notre plus grand bonheur !
Dépêchez-vous, John n’en n’a plus que 8 copies disponibles.
Marta Grzywacz Sebastian Mac Paulina Owczarek what is that ? scätter archives
https://scatterarchive.bandcamp.com/album/what-is-that
Marta Grzywacz voice Sebastian Mac guitar et Paulina Owczarek baritone saxophone : voilà au moins un trio instrumental peu commun : voix humaine + guitare électrique + sax baryton.
De la pure improvisation libre. Une chanteuse diseuse phonémiste s’autorisant pas mal d’écarts vocaux et d’audaces, un guitariste expérimentateur qui n’hésite pas à frotter, faire crisser ou piqueter cordes frettes et micros avec effets, bruitisme, manie pointilliste ou simplement mélodique. Veille au grain la saxophoniste baryton tour à tour ombrageuse, grondonnante, bourdonnante ou minimaliste. Le trio veille à diversifier sa stratégie sonore, la dynamique, l’intensité. Avec le sens de l’espace, la voix libérée de Marta Gzrywacz a tout le loisir de projeter une comptine, des phonèmes fragmentés en pagaille, des succions des lèvres, des suraigus d’un gosier en furie, des sursauts de soprano des avalements de syllabes, des aspirations gargouillantes, un filet de voix ésotérique ou un chant suave et angélique, de délirantes associations de diphtongues de langues imaginaires entre l’Asie du Sud Est et l’Islande. En suivant les neuf improvisations à la trace, on est ravi par l'évolution de la vocalité de Marta Grzywacz. En cela, sa performance est aiguillonnée par la créativité de ses deux complices/ Bref, vous aurez toute la panoplie vocale servie avec fraîcheur, insolence et un clin d’œil à la bienséance en accordance avec l’ouverture et la complicité de Sebastian Mac et Paulina Owczarek entendue récemment avec le pianiste Witold Oleszak et aussi le batteur Peter Orins. Un trio au potentiel évident et ludique.
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Bonne lecture Good read ! don't hesitate to post commentaries and suggestions or interesting news to this......