Steve Lacy Ictus Archives volume 1 et volume 2 vinyles Ictus RE 0007 et RE 0008 Inédits de Steve Lacy solo ( cinq compositions), Duo avec Andrea Centazzo (deux morceaux) et une pièce en Trio avec Kent Carter et Centazzo.
Trio Live - Lacy / Carter / Centazzo – Ictus RE 003. Un classique !!
Pas de lien audio sur le web pour les Ictus Archives : achetez les deux albums, vous ne serez pas volé, surtout si vous avez peu d’albums de Steve Lacy des années 70 en solo ou en duo – trio « exploratoire ».
https://www.discogs.com/release/27636615-Steve-Lacy-The-Ictus-Archives-Vol-1
https://www.discogs.com/release/27636651-Steve-Lacy-The-Ictus-Archives-Vol-2
https://www.discogs.com/release/21736126-Steve-Lacy-Andrea-Centazzo-Kent-Carter-Trio-Live
Ce sont deux albums neufs bien présentés d’enregistrements de Steve Lacy inédits de qualité et réalisés lors des premiers concerts de Steve Lacy en duo avec le percussionniste Andrea Centazzo le 18 février 1976 (Vol.1) et en trio avec son fidèle contrebassiste Kent Carter et Centazzo (Vol.2) le 5 décembre 1976. Les enregistrements sont d’excellente qualité technique et mettent en valeur la musique. Andrea Centazzo est le maître d’oeuvre des publications Ictus, un label incontournable de la deuxième moitié des années 70 et début 80. Ces deux rencontres successives ont été documentées dans deux albums majeurs publiés à l’époque.
Premièrement, Clangs du duo Lacy - Centazzo jouant des compositions du maître du sax soprano et enregistré à Udine le 20 février 1976. Cet album inaugurait le cycle des rencontres / albums en duo de Lacy avec Michael Smith, Kent Carter et Masa Kwaté et ses propres compositions, d'une part et d'autre part avec Derek Bailey (Company 3/ Incus) et Maarten Altena (High Low and Order/ Claxon) en improvisation totale. À cette époque, Steve Lacy s’affirmait comme créateur solitaire de ses propres compositions d’une expressivité extraordinaire pour un instrument « difficile », le sax soprano, un sens magique de la forme et une sonorité à nulle autre pareille. Références ultimes : les deux albums Avignon and After Volume 1 Emanem 5023 (Août 1972 et Avril 1974) et Avignon and After Volume 2 Emanem 5031 ainsi que Hooky Emanem 4042 (Mars 1976). En se lançant dans des duos (tendance dans les années 70), il approfondit son art en le mettant en exergue face à un autre improvisateur. De fait, avec les Solos, ce sont ses enregistrements les plus « lisibles » pour les auditeurs qui veulent se concentrer essentiellement sur jeu de saxophone si particulier.
Deuxièmement, Trio Live (Ictus Re 003), le superbe trio de Lacy avec Kent Carter et Andrea Centazzo enregistré (aussi) à Udine le 5 décembre 1976 lors du concert dont Ictus avait publié l’essentiel de la musique dans le vinyle original, Trio Live et dont le cœur est la légendaire Tao Suite partiellement jouée ici (Existence - The Way - Bone) introduite par the Crust et avec le très amusant Ducks en final sous le titre Trio Live. Cet album Trio Live est aujourd’hui réédité en vinyle par Ictus (Ictus re 0003), tout comme Clangs et Drops en duo avec Derek Bailey. Les enregistrements chroniqués ici, Trio Live et les Ictus Archives Vol 1 & 2, ainsi que Clangs ont été excellemment enregistrés par Leonardo Venturini et c’est en lisant son nom et les détails des dates des concerts que je les ai illico achetés via Discogs à la personne qui a réalisé leurs pressages. En effet, on peut parfois craindre des enregistrements « fonds de tiroir » qualité « cassette » comme cela est arrivé chez Ictus pour une ou deux publications en CD. Ici , le client a droit au TOP (sommet) musical et acoustique. En ce qui me concerne et vu mon expérience d’auditeur de pas mal d’autres albums de Steve Lacy, Trio Live /Ictus est un des albums les plus réussis de Steve dans lequel on peut écouter l’essence profonde de sa musique et aussi la profondeur et le timbre caractéristique de la contrebasse de Kent Carter qui apporte un surplus de magie en compagnie du jeu précis, coloré et aérien d’Andrea Centazzo, un spécialiste des « métaux ». Aussi, le son du saxophone est rendu dans toute sa plénitude et son expressivité tout comme lors de la session parisienne avec Kent et le percussionniste Masahiko Togashi, Spiritual Moments. Ou encore l’abum Horo en duo avec Kent, Catch. Ce sont là les quelques albums portes d’entrée "lisibles" de l'univers de Steve Lacy parmi les plus fondamentaux à mon avis.
Ictus Archives Vol 1 nous livre deux versions optimales de Figment (je devrais chercher dans ma collection l’autre titre exact sous lequel ce morceau connu a été enregistré) et Coastline, entendu à l’époque dans l’album solo Stabs Live in Berlin 1975 (SAJ – 05). Je me souviens avoir prêté cet album à un copain qui m’avait rapporté de Londres mes deux premiers LP’s Incus : Tony Oxley Incus 18 et Synopsis d’Howard Riley avec Barry Guy et Oxley à cette époque lointaine où « ces » disques étaient ultra-rares et bouleversants. En me le rendant, il m’a dit : « Ouais , il fait des exercices de saxophone, Lacy ! » . Bien sûr, Steve ne s’éclatait pas comme Coltrane quand celui-ci jouait un My Favourite Things endiablé avec un Elvin ou un Rashied Ali explosifs ! Mais, ce que certains auditeurs ne réalisent pas, c’est que pratiquement, je n’ai (on n’a) jamais entendu aucun autre saxophoniste « soprano » capable de jouer autant de sonorités, d’accents et de textures aussi différentes en « densité », intensité, durée précise, inflexions, jeu « au-dessus » de la tessiture normale, ces harmoniques si précises et travaillées avec une plasticité fabuleuse, et oui , avec ces intervalles si difficiles à maîtriser etc… et tous ces éléments distinctifs à la suite les unes des autres avec cette expressivité fabuleuse et cette logique poétique. Et bien sûr la configuration quasiment antinomique de son bec "ouvert" et du calibre de ses anches devrait être un cauchemar pour nombre de saxophonistes et "un exercice" mission impossible. À cela s’ajoute cette vocalité absolue et intime issue du blues au point que nous entendons quelqu’un nous parler, nous ouvrir son cœur, méditer et nous faire rêver à la réalité immédiate, le vécu intense … La musique en solo de Lacy est un exercice périlleux et... qui d’autre ait jamais essayé ? ! Je pense qu’un saxophoniste comme Evan Parker peut ou doit être considéré comme un géant du sax soprano avec son extraordinaire technique et ses innovations révolutionnaires. Mais à quelques reprises, j’ai entendu Evan saluer humblement Steve lorsqu’il était surpris par l’arrivée de son ami dans le foyer ou « backstage » d’un concert, en disant simplement « Oh ! Master » avec une profond sentiment intérieur de révérence et d’estime. J’ai rencontré assez souvent Evan pour ressentir son émotion sincère et son admiration à ces moments-là. Steve Lacy a été « un élève » de Sonny Rollins lorsqu’il a commencé à jouer avec Thelonious Monk. Car Sonny détenait les secrets d’interprétation des thèmes de Monk mieux que quiconque et les transmettaient généreusement et patiemment à ses collègues qui devaient apprendre cette musique pleine de mystères et ses secrets de fabrication, une musique sans doute la plus emblématique et la plus profonde esthétiquement du jazz dit moderne, « bop ». Sonny , Monk et par la suite Lacy, c’est le sens absolu de la forme. Et c’est pour cela que les pièces en solo de Steve et leurs enregistrements sont absolument incontournables. La simplicité apparente de sa musique au saxophone si évidente est en fait quasi-injouable avec le bec et l'anche qu'il a adoptés, sa technique n'est pas démonstrative ni "bluffante". Mais elle ne sert qu'à transmettre son message et toucher le coeur et la sensibilité du public sans qu'on puisse s'étonner de l'exploit instrumental. Emanem a saisi la mission de nous livrer pas moins de cinq compacts en solo fort heureusement et on n’arrive pas en s’en lasser, seulement enlacer auditivement ses miracles du son et de sa musique existentielle. Et les solos qui figurent dans ces deux volumes d’archives Ictus de 1976 sont des pièces d’anthologie. Pour notre bonheur, les versions en duo de Hooky et the Duck du volume 1 offrent aussi une superbe facette du travail d’Andrea Centazzo qui se déchaîne subtilement dans The Duck en mettant en valeur sa maestria de percussionniste tirant les sons les plus appropriés de sa large panoplie de tambours, cymbales, woodblocks, lionblocks, crotales et cloches en les utilisant tous simultanément. Ébouriffant ! the Duck se retrouve sous le titre Ducks en final du LP Trio Live.
Ictus Archives Volume 2 contient une autre mouture incomplète de la Tao Suite en solo : Name - The Way - Bone, différente que celle qu’il joue plus loin dans ce concert avec Carter et Centazzo (Existence The Way Bone). Entre nous, je crois entendre Existence, cette composition dédiée à John Coltrane. Cette suite figure déjà dans le LP Saravah « Lapis » en solo , album que je trouve inférieur aux Live In Avignon au Chêne Noir, Stabs (FMP SAJ) ou Clinkers (Hat Hut) et ces albums-ci. Depuis 1975 – 76 , l’album légendaire Emanem 301 « Solo in Avignon – au théâtre du Chêne Noir » est resté longtemps impossible à trouver même si son prix collector est resté modeste jusqu’à présent (35€). Il fut enfin réédité sous le titre Weal and Woe en CD par Emanem bien plus tard. Curiosité magnifique : Feline joué en trio avec Kent Carter qui fouine et fouaille à l’archet comme je ne l’ai quasi jamais entendu faire sauf au sein du Quintet, concurrencé alors par la présence du violoncelle d'Irene Aebi et la puissance sonore de la batterie d’Oliver Johnson. Ici, on peut apprécier distinctement son magnifique travail dans un enregistrement clair et bien détaillé avec celui très équilibré et dynamique de Centazzo. La suite du Tao en solo est un modèle de délicatesse quasi introvertie qui vaut les autres versions enregistrées, avec un surcroît d’âme. Jouant en solo plus d’une vingtaine de minutes avant la prestation en Trio lors de ce concert, il a mis toute la gomme émotionnelle avec une réserve intimiste sans forcer le ton, afin sans doute de contraster avec l’énergie du Trio. Centazzo et Carter sont des collaborateurs d’exception apportant une vision esthétique et une sensibilité musicale qui pousse le souffleur dans un moment d’extase esthétique.
Donc, on peut conseiller ces trois albums vinyles de Steve Lacy, surtout si vous n’avez pas d’enregistrements de Steve à cette période cruciale d’épanouissement et des expériences les plus réussies durant les seventies et avec cette qualité de son incisive qui s’estompera dans les décennies ultérieures. À l’époque où il allait commencer un peu à parcourir le monde tant en Europe qu’en Amérique et au Japon, il lui arrivait d’avoir faim, d’être sans le sou, de devoir attendre encore d’être « reconnu » , de ne pas pouvoir payer son loyer, de répéter inlassablement et de travailler d’arrache-pied à concevoir des dizaines de compositions note à note … et quelles notes !!
Messa di Voce Ivo Perelman Fay Victor Joe Morris Ramon Lopez Mahakala Music
https://ivoperelman.bandcamp.com/album/messa-di-voce
Enregistré en janvier 2018, cet enregistrement réunit la chanteuse Fay Victor connue pour son excellent enregistrement Kaiso Stories avec le groupe Other Dimensions in Music où officient deux superbes souffleurs inspirés, Daniel Carter et William Campbell en compagnie de William Parker et du batteur Charles Downs. Chanter conjointement avec des souffleurs, elle connaît. Ivo Perelman qui est un fréquent collaborateur de William Parker avait déjà enregistré avec les chanteuses Flora Purim et Iva Bittova avec laquelle il a signé Vox Populi enregistré quelques mois plus tôt avec le soutien du bassiste Michael Bisio, un autre parmi ses collaborateurs les plus proches, si on en juge par le nombre d’albums en commun. Mais dans cette Messa di Voce et ses 9 improvisations, il bénéficie de l’apport attentif du contrebassiste Joe Morris et du batteur Franco-Espagnol Ramon Lopez. Très bon point que ce Ramon Lopez pour la dynamique transparente voire délicate de son jeu et la légèreté de ses interventions, toutes deux idéales pour jouer avec une chanteuse. On songe au grand Barry Altschul qui suggérait plus les rythmes dans une multitude de petites touches dynamiques et élégantes, plutôt que d’appuyer et « d’enfoncer » le rythme trop lourdement. On appréciera le travail de Morris à l‘archet. Perelman et Victor évoluent tous deux en parallèle avec leurs énergies respectives et leurs expressions bien distinctes. Si Fay Victor utilise sa voix magnifique comme un véritable instrument avec de remarquables nuances expressives, le souffle impétueux d’Ivo Perelman a une qualité vocale surtout quand il étire ses notes dans l’aigu au-delà de la tessiture (ah le jeu des harmoniques) avec cette sonorité « saudade brésilienne ». Cet artiste unique, dont la voix est immédiatement reconnaissable dès la deuxième note peut aussi exploser le timbre du sax ténor, faire éclater les notes « à la Albert Ayler », et même vocaliser abruptement avec la seule embouchure et une de ses mains mouvantes en guise de sourdine mouvant. Se crée alors une sorte de dialogue d’énergies, d’expressions hardies, voire endiablées, de diffractions sonores tempérées par le raffinement des frappes subtiles de Ramon Lopez et la qualité étincelante de son toucher des peaux et cymbales. Paradoxalement, cette légèreté dans le jeu de Lopez, cette sensation de flotter dans l’espace auditif renforce le lyrisme brûlant du saxophoniste et la puissance des vocalises de cette aventurière de la voix, une des rares chanteuses improvisatrices « free » afro-américaines qui a repris le flambeau de l’extraordinaire Jeanne Lee dans un registre bien différent, mais tout aussi prenant. Leurs spirales, ellipses, méandres lumineux de la voix et du souffle oscillent brillamment autour des lignes boisées et élastiques de Joe Morris, un curieux guitariste, ici à la contrebasse avec beaucoup d’à-propos.
PS : j'ai déjà beaucoup rédigé sur l'exégèse d'Ivo Perelman dans ce blog. N'hésitez pas à rechercher certains de mes textes précédents à son sujet.
Chasing the Wild Goose Ove Volquartz Yoko Miura Claude Parle Makoto Sato Setola di Maiale SM 4800
https://www.setoladimaiale.net/catalogue/view/SM4800
Un bien curieux assemblage : Ove Volquartz à la clarinette basse, Claude Parle à l’accordéon, Yoko Miura au piano et Makoto Sato à la batterie ! Mais cela fonctionne très bien avec une belle écoute mutuelle et une intéressante variété de climats, de tensions, de cadences, respirations paisibles, imbrications complexes, charivaris et motifs mélodiques obliques qui s’insinuent ou s’évanouissent sans oublier de merveilleux quasi silences. Ove et Yoko ont souvent joué ensemble, depuis leur rencontre Bruxelloise il y … si longtemps avec le contrebassiste Jean Demey : Discovery of Mysteries – Tag Trio pour le même label Setola Di Maiale. On les a aussi entendus avec le saxophoniste Gianni Mimmo. Claude Parle et Makoto Sato se rencontrent fréquemment sur scène dans la région Parisienne comme par exemple au Babilo ou avec Jean Marc Foussat. On appréciera les interventions dosées et toujours bienvenues du percussionniste Makoto Sato, le souffle et les accords – agrégats de notes ou clusters langoureux ou étrangement pneumatiques de l’accordéon de Claude Parle les haikus bienveillants et cristallins de Yoko Miura au piano et les rêveries boisées de la clarinette basse d’Ove Volquartz ou ses aigus vocalisés. Au fil des successifs Beaming Around The Bush 1-2-3-4 et des Every Cloud has a Silver Lining 1-2-3-4, huit morceaux – narratifs tournent avec distinction autour des quatre – six minutes sans verbiages. Des ambiances quasi ouatées, parfois accidentées, polyphonies sauvages et enlacements giratoires, attentes - hésitations feintes qui débouchent sur quelques pièces de bravoure. Un ensemble unique et fascinant qui prend le temps de jouer et d'étendre ses ramifications dans le temps et l'espace.Toute la qualité de cette rencontre qu’on aurait pu penser « improbable » trouve sa réussite musicale (ses formes, ses couleurs, ses interactions) par la grâce de cette capacité à coexister, dialoguer et partager. Au fur à mesure que le concert évolue de magnifiques turbulences apparaissent, des interactions vivaces prennent corps, la clarinette basse et l’accordéon apportant une nécessaire et fluide vocalité en ondoyant ou tournoyant par-dessus les frappes étoilées ou soutenues sur les peaux de la batterie, le tout aiguillonnée par les intervalles spécifiques des doigtés de la pianiste ou les saccades tortueuses du souffleur (quelle sonorité !) . Un super concert qui livre finalement plusieurs belles surprises.
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