Ra Kalam Bob Moses & Jerome Bryerton The Jugglerdrum Balance Point Acoustics
https://balancepointacoustics.bandcamp.com/album/the-jugglerdrum
Il est très loin le temps où Bob Moses jouait avec Gary Burton et Larry Corryell… ou avec Dave Liebman ! Jerome Bryerton, lui s’est révélé aux côtés du fabuleux Wolfgang Fuchs (R.I.P) et du contrebassiste Damon Smith, le responsable du label Balance Point Acoustics il y a plus de vingt ans. Tous deux sont d’émérites batteurs – percussionnistes qui utilisent les ressources sonores et rythmiques des tambours et cymbales, cloches, gongs, etc… dans un magnifique dialogue libre dont les contributions individuelles forment un seul flux musical comme s’il n’ y avait qu’un seul musicien. Pas moins de sept morceaux aux durées variées entre quatre et dix minutes. On est ici proche des conceptions de Pierre Favre, à titre indicatif, mais aussi des traditions afro-américaines ou natives. Défilent les rythmes de la terre, des pulsations organiques, frappes accentuées un peu comme dans les musiques africaines ou indiennes, friselis de cymbales, vibrations cosmiques d’un gong, crissements, frottements, sons métalliques en suspensions…. L’interpénétration de leurs jeux respectifs et la coordination des gestes sont vraiment remarquables. Il s’en dégage une énergie positive, des connexions sonores fascinantes basées sur l’écoute, ouvrant la mémoire physique des moindres gestes et touchers enmagasinée dans le cortex par le travail de toute une vie …. Ils se servent donc de la somme ces matériaux sonores percussifs amassés au fil du temps par l'expérience mémorielle pour construire un nouvel univers de vibrations sonores. Celui-ci envahit l’espace et le silence sans jamais le saturer. Les frappes souples sur les peaux effectuent des danses elliptiques aux pulsations irrégulières en avant ou en arrière du temps (de l’ordre des huitième ou seizième de temps) et accentuées subtilement. Des sons de plusieurs provenances scintillent, surgissent ou ruissellent dans les mouvements des mains et gestes suggérés par notre audition de leurs frappes. On n'a plus qu'à rêver sans devoir ou pouvoir comprendre. Rafales et frémissemnts, rouleries et fracas tempérés.... , Aussi, ça pulse obliquement .... Un des plus beaux duos de percussions enregistrés qui se situe à mi-chemin entre Dialogue of The Drums de Cyrille et Milford Graves et Was It Me ? de Paul Lovens et Paul Lytton (ou plus exactement The Fetch).
The Mill Hill Quartet GUST Adrian Northover Bruno Gussoni John Edwards Marcello Magliocchi
https://marcellomagliocchi1.bandcamp.com/album/gust-the-mill-hill-quartet-magliocchi-northover-gussoni-edwards
https://adriannorthover.bandcamp.com/album/gust
Du côté du saxophoniste Adrian Northover et du percussionniste Marcello Magliocchi, dont le dernier duo Time Textures est une véritable révélation, les choses s’accélèrent : deux albums consécutifs avec un troisième larron, le flûtiste Bruno Gussoni m’ont fait une impression profonde : le CD The House on The Hill et le tout récent « digital « Scant ». Il y a là dans GUST un abandon total dans une recherche de sons au niveau sonore des flûtes de Bruno Gussoni de manière introspective, de l’ordre d’une transe intérieure. Pour mieux s’approcher de la philosophie du son et du souffle de Gussoni qui joue exclusivement ici des flûtes japonaises en bambou, Northover a adopté un sax soprano courbé au lieu du sax soprano droit, plus résonnant et plus puissant pour émettre les harmoniques et les multiphoniques. Marcello Magliocchi joue de la mini batterie avec une belle panoplie d’ustensiles et des techniques très variées avec une singulière liberté une superbe sensibilité dans la dynamique qui s’adapte parfaitement au discret volume des shakuhashi, nohkan et ryuteki de Gussoni. Le percussionniste gratte, piquète les métaux, fait gémir ses cymbales avec un archet ou un autre ustensile dans des stridences ondulantes, secoue des accessoires sens dessus – dessous, d’étranges roulements évolue en capharnaüm aussi inconcevable qu’il est lisible. John Edwards s’essaye à tout ce qu’il lui vient sur le champ à l’esprit dans les recoins de sa contrebasse, les cinq doigts des deux mains croisés et folâtrant sur la touche, les cordes résonnant intimement comme celles d’un instrument raccourci inconnu. Ils jouent comme s’ils étaient immergés dans la nature, explorant les cavités de leurs instruments, leurs surfaces, les tremblements du souffle, la résonance, des jeux en sourdine, les cliquetis, bruitages exquis et frictions variées commises sur la batterie. Adrian Northover retient son souffle, épure et fragmente ses interventions en osmose avec les vibrations de l’air sur la tranche supérieure des tubes en bambou de Bruno Gussoni. John Edwards s’implique totalement dans l’aventure en insérant ses actions au plus près de leur univers. Les lignes tactiles jouées avec sa contrebasse semblent évoquer de jeunes pousses d’arbres dans l’humus volatile et feuillu aux végétaux se décomposant dans une jungle où siffle une volière improbable. Ici on fait de la musique avec parfois presque rien, évacuant le virtuose et l’expressif, les spirales enfiévrées pour le spirituel, l’émotionnel, la magie du souffle et une forme de quiétude dans l’exploration minutieuse de formes instantanées quasiment aléatoires. De la poésie pure.
Oiseaux Imaginaires Stefano Agostini & Guy Frank Pellerin album digital
https://www.youtube.com/playlist?list=OLAK5uy_m7jhXN0-HyRykq5xWqLbOwP6VXv4ZRI10
Superbe collaboration entre le flûtiste Stefano Agostini et le saxophoniste Guy-Frank Pellerin. Ces deux improvisateurs à l’écoute l’un de l’autre dialoguent intimement en distendant les sons, étirant les textures, usant d’effets de souffle, de résonances acoustiques. La musique est ici suspendue dans le temps et l’espace avec de longues notes tenues, vibrations aériennes, tremblements, harmoniques respectives de la flûte et du sax soprano (Oiseaux migrateurs I,II et III). Ils cultivent des glissandi éthérés ou lunaires, des réitérations. Les altérations de la gamme de Stefano Agostini suggèrent la musique extrême orientale (Kabuki), son sens des nuances est extrêmement travaillé tout comme les échos subtils de Guy–Frank Pellerin à travers ces treize compositions – improvisations ocellaires. On les entend dans les sursauts de staccatos nerveux magnifiquement coordonnés ou Agostini fait étinceler sa maîtrise du souffle et la pureté de son son. Le saxophoniste articule de courts éléments avec des durées, timbres, accentuations, élisions différentes à la suite les uns des autres (le Rossignol et le Canard). Chaque morceau contient un matériau spécifique relativement précis et étudié et acquiert son identité propre dans l’instant. Il y a là une science des effets de souffle, du jeu distingué sur la dynamique, la qualité des silences et de la résonnance dans le lieu de l’enregistrement dont les fréquences mises en action par les deux souffleurs font partie intégralement de la musique. Ce projet et sa réalisation sont tout bonnement magnifiques à l’écart de bien des démarches qui se réclament de l’improvisation contemporaine. J’insiste très fort pour que ceux d’entre vous qui se réfèrent principalement à des artistes notoirement connus de la scène internationale prennent le temps de jeter une oreille curieuse sur leur musique. Je suis le travail de Guy-Frank Pellerin au fil du temps et on peut dire que cette initiative des Oiseaux Migrateurs se révèle être une autre face réussie de sa pratique musicale avec un flûtiste exceptionnel, Stefano Agostini. Celui-ci a un sérieux parcours en musique contemporaine alors que Guy - Frank Pellerin provient de la free-music improvisée hexagobale. Ils forment tous deux une remarquable équipe avec une réelle empathie et une créativité de haut vol.
This is A Tree Kay Grant Ian McLachlan Daniel Thompson Empty Birdcage digital
https://emptybirdcagerecords.bandcamp.com/album/this-is-a-tree
Le label Empty Birdcage avait déjà publié le duo de la chanteuse Kay Grant et du guitariste Daniel Thompson intitulé " quite pleased to be playing under a birdcage, that doesn't have a bird in it". J’ai ensuite assisté à super concert de ce duo dalors que je prestais avec Lawrence Casserley et Phil Wachsmann au Hundred Years Gallery en février 2023. Kay et Daniel s’étaient surpassés ce soir-là et firent encore une autre prestation phénoménale par la suite lors du Voicings Festival en mai 2024. Je me souviens alors avoir rencontré et parlé avec un auditeur se présentant Ian McLachlan à l'Hundred Years Gallery. Il semblait intéressé à jouer avec Daniel Thompson et un vocaliste ; et pourquoi pas moi ? Il avait sans doute assisté aussi à notre trio, Daniel, le trompettiste Roland Ramanan et moi-même au défunt Boat Ting (le bateau a coulé dans la Tamise) Si j’étais à demeure à Londres, je n’aurais pas hésité. Quelle n’est pas ma surprise de me retrouver avec dans les mains cet enregistrement de Kay, Daniel et Ian MacLachlan. Il y a une quarantaine d’années Ian improvisait déjà avec Steve Noble et Alex Mc Guire dans un trio mémorable. This is a tree : les trois musiciens, chanteuse guitariste et tromboniste explorent calmement et méthodiquement les interrelations de leurs décoctions instrumentales, paradigmes indéfinissables et dérives poétiques inspirées. Ian joue aussi une curieuse flûte dont il fait osciller le timbre et les gammes alors que Kay chante lentement à demi-voix évoquant pépiements d’oiseau, vocalises agréablement diphtonguées dans un mode intime et secret. Ce qui m’impressionne chez elle est cette capacité à intensément incarner et à se tenir à un registre prédéfini qui n’est jamais qu’une de ses nombreuses facettes comme si ce « rôle » qu’elle s’était donné était exprimé au plus profond d’elle-même. Dans blackthorn, ça gargouille ferme, la métamorphose des trois compères est totale. Daniel Thompson fait grincer sa guitare dans plusieurs dimensions et ostinatos et nous nous introduisons dans la nef des fous sans que Kay Grant se départisse de son flegmatique babil. Un très bon point chez ce guitariste est d'essayer des idées et des types de jeu différents en relation avec l'inventivité de ses collaborateurs sur scène, même si cela semble sortir de son style caractéristique, prouvant par là qu'improviser est moins un style qu'une disposition de l'esprit, un art de vivre l'ouverture à l'inconnu sans se soucier d'un quelconque cahier de charges ou d'idées toutes faites, éloignées du vécu. Ces trois là pratiquent l’art de combiner les extrêmes, le trivial , l’improbable, l’enfantin pour que se ressente l’écoute rapprochée et conviviale. Ce sont des frictions et succions de lèvres de la chanteuse qui initient hawthorn et puis sa voix blanche s'étend en douceur, alors que le guitariste fait résonner parcimonieusement des harmoniques de sa guitare acoustique. Ian McLachlan mimique ses timbres vocal-buccaux en triturant et pressurant son embouchure ou autre chose d’où s’échappent micro-sifflements, petits bruitages d’air compressé, « pops » et pschhhiiit …
Bref on a droit à une variété de micro – improvisation, pointillisme étiré… jusqu’à ce que le trio s’engage sur un trilogue animé où chaque musicien est à son avantage, Daniel Thompson n’ayant rien à envier à son mentor feu John Russell. Une session d’environ 35 minutes bien agréable au coin du feu.
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Bonne lecture Good read ! don't hesitate to post commentaries and suggestions or interesting news to this......