Anna Homler Wolfgang Schliemann Joachim Zoepf Jaw Acheulian Handaxe
https://handaxe.bandcamp.com/album/jaw
Recorded live at the 8th Nozart Festival Cologne by Ansgar Ballhorn April 3rd 2004. Enregistrée il y a plus de vingt ans, cette rencontre atypique entre la chanteuse conteuse Anna Homler et les deux improvisateurs pointus que sont le percussionniste Wolfgang Schliemann et le souffleur Joachim Zoepf (sax soprano et clarinette basse) méritait vraiment d’être publiée. À sa voix expressive, Anna Homler ajoute l’utilisation ludique de jouets et d’appareils, dont une boîte musicale ce qui crée une connexion interactive avec les improvisations instrumentales alambiquées radicales du tandem Schliemann Zoepf. Schliemann développe un jeu pointilliste et disparate avec plusieurs instruments et accessoires de percussions tout en créant un espace pour ses deux collègues. La chanteuse ajoute une approche narrative à son Gesprech-Gesang (chanté-parlé) volatile et subtilement expressif. Anna Homler est une des vocalistes chanteuses parmi les plus originales parmi les nombreuses chanteuses qui s’adonnent à la libre improvisation et que je n’ai jamais manqué de commenter, expliquer et soutenir dans mes nombreux articles. Irrésistible et hors des catégories. Je trouve que cette collaboration est superlative au niveau du dialogue et de l’empathie collective. Si nos deux lascars au sax et à la percussion sont des artistes plutôt abstraits face à cette chanteuse qui n’hésite pas à chanter un texte avec une mélodie ou zézayer ses pensées, leurs interventions sont orientées vers un seul but : illustrer la vocalité et l’expression d’Anna Homler de manière astucieuse, discrète, subtile et aérée, pointilliste avec les possibilités sonores de leurs instruments et les objets percussifs de Wolfgang Schliemann. De même la chanteuse utilise de curieux objets / jouets et (peut-être ?) des appeaux dans une dimension bruissante évoquant des volatiles à l’instar des contorsions de la colonne d’air de Joachim Zoepf à la clarinette basse. Il n’y a rien à dire de plus que cette rencontre d’un soir intitulée Jaw datant d’il y a plus de vingt ans est une belle démonstration d’ouverture d’esprit de la part de chaque artiste et surtout, on y trouve des moments d’anthologie magiques pouvant illustrer le leitmotiv trop rarement invoqué dans cet univers de « spécialistes » qu’est l’impro « non idiom… ou autre ique ou isme) de la diversité affichée dans la cohérence totale. Si leur style ne se répand pas en avalanches énergétiques, il est d'une précision rare, chaque son, chaque mouvement est à sa place et surgit au meilleur instant avec une formidable évidence. Magnifique et sans prétention. Acheulian Handaxe est un label à suivre de près.
Music for Guitars, Bass Clarinets & Contrabasses Earle Brown David Ryan, Christian Wolf, Morton Feldman Thanos Chrysakis Tim Hodgkinson Aural Terrains TRRN1957.
https://www.auralterrains.com/releases/57
Le compositeur Grec Thanos Chrysakis est un excellent producteur de projets de musique contemporaine originaux très souvent focalisés sur des instruments particuliers comme les clarinettes basses, les trombones avec une sélection de compositeurs incontournables voire atypiques comme ici Earle Brown, Christian Wolf ou Morton Feldman ainsi que ses propres compositions et celles de ses collaborateurs proches, tels le clarinettiste Tim Hodgkinson ou le guitariste David Ryan. Il empile les réussites sur son label Aural Terrains en diversifiant régulièrement le choix des instruments. Aussi sa démarche fait appel à des improvisateurs libres. Dans cet album enregistré le 10 décembre 2023 au Café OTO à Londres, on retrouve le bassiste Dominic Lash, les clarinettistes Chris Cundy, Tim Hodgkinson et Jason Alder. Il introduit de nouveaux musiciens à ses équipes comme l’excellent guitariste William Crosby qui interprètent Fields and Refrains de David Ryan composé pour une seule guitare acoustique (15:10) nous éclairant sur les possibilités sonores de la guitare en apportant un regard neur et des techniques inusitées. C’est justement David Ryan qui dirige 4 Systems (1954 - 5:08) d’Earle Brown pour cinq clarinettes basses (Alder, Cundy , Hodgkinson et deux nouvelles venues Michelle Hromin et Hannah Shilvock), composition ouvrant l’espace sonore et la dynamique. Tilbury 4 de Christian Wolff fait rencontrer quatre des clarinettistes basses précédents avec la guitare électrique jouée par William Crosby et les deux contrebasses de Lash et de Gwen Reed. Chaque musicien intervient quasiment seul au seuil du silence Une œuvre quasi diaphane de 5:25 datant de 1970. Suivi de The Possibilty of A New Work for Electric Guitar de Morton Feldman (1966 – 7:03) dans un esprit très similaire à la précédente interprétée par William Crosby. Je dois ajouter que le guitariste et compositeur David Ryan a publié ses compositions dans l'album Fields and Refrains (Aural Terrains TRRN 1648 avec entre autres William Crosby et Dominic Lash. Il n'est pas inutile de comparer les deux versions de cette composition de D. Ryan dans les deux albums par le même interprète. Riverwind (2023 - 17:50) de Thanos Chrysakis est une de ses oeuvres orchestrales parmi les plus réussies rassemblant trompette (Jack Jones), deux clarinettes en Sib, deux clarinettes basses, un clarinette contrebasse, deux guitares électriques et deux contrebasses avec les instrumentistes déjà cités dont aussi le guitariste James O’Sullivan sous la direction de Leo Geyer. Il s’agit d’une belle œuvre spectrale avec une phase proche du free-jazz radical. Plus loin on rencontre une guitare noise abrasive. La démarche de Chrysakis est limpide : pour à la fois illustrer son projet de composition qui s’impose comme partie centrale de l’album et nourrir la diversité musicale et l’intérêt du public, il reprend une série d’œuvres composées par d’autres compositeurs pour chacun ou plusieurs des instruments qui figurent dans Riverwind, celle – ci se distinguant musicalement de ces œuvres qui la précèdent dans l’ordre de l’album. Il reste alors deux compositions pour conclure ce cheminement particulier. One To Five d’Earle Brown (1970 – 5 :57) conduite par David Ryan reprend une bonne partie l’instrumentation de Riverwind au niveau des clarinettes (moins la cl. contrebasse), mais avec une seule guitare électrique et une seule contrebasse. Mais cette œuvre a une toute autre optique avec ses mouvements saccadés, parsemés de silences et de breaks, avec une rythmique sous-jacente et des effets de tutti agrémentés de pointillisme. Cette sélection d’œuvres différentes fait que ce programme s’écoute volontiers grâce à sa diversité pointue et aux contrastes de chaque composition par rapport aux autres. Kryptoplégma de Tim Hodgkinson (2023 - 14:12) est écrit pour un orchestre semblable à celui de Riverwind : trompette, clar Sib, deux clarinettes basses, une clarinette basse, deux guitares électriques, et deux contrebasses et dirigée par son compositeur. Celui-ci a opté pour un style de composition dynamique et enlevée similaire à ces œuvres de jazz d’avant-garde avec de larges intervalles dissonants, guitares noise, alternances rapides de chaque instruments en mouvements disjoints, hoquets, passages presque silencieux, combinaisons de notes isolées de plusieurs souffleurs qui se chevauchent à une double croche près. Hodgkinson utilise à bon escient une série d’idées d’écriture qui se succèdent avec bonheur. L’ensemble de l’album et la succession de ces sept compositions dans l’ordre de celui-ci apportent un réelle bonification pour chacune des œuvres jouées par la grâce de leurs qualités intrinsèques qui mettent en valeur toutes les autres. Un excellent travail réalisé et enregistré la même soirée en concert et un sens rare de la synergie dans chaque projet de Thanos. Il faut pouvoir le faire, signalons-le. Chapeau Thanos Chrysakis, Aural Terrains et tous ceux qui ont participé au projet !
Quartetics Federico Reuben Mark Hanslip Dom Lash Paul Hession Bead Records
https://www.beadrecords.com/reuben/hanslip/lash/hession-quartetics
L’antique label de musiques improvisées Bead Records fondé par un collectif autour du violoniste Philipp Wachsmann, (avec Tony Wren, Peter Cusack, puis Matt Hutchinson etc…) a fait peau neuve récemment et propose des idées nouvelles sous la responsabilité du percussionniste Emil Karlsen avec un panel diversifié de musiciens intéressants. Que dire de ce nouveau Quartetics composé de Federico Reuben (laptop improvisation / live coding), du saxophoniste ténor Mark Hanslip, du contrebassiste Dominic Lash et du batteur Paul Hession. On pourrait croire que leur musique soit dans la lignée du free-jazz qu’on entend toujours un peu partout dans les festivals et les clubs avec le sempiternel trinôme saxophone, contrebasse, batterie + guitare électrique, clavier ou électronique, la vulgate du jazz libre d’avant-garde qui peut être ressentie comme un cliché. Je découvre que Mark Hanslip a sérieusement évolué depuis ses collaborations avec Javier Carmona, Tony Bianco, Ollie Brice et le Crux Trio ou Michael Garrick. Son jeu artistement découpé fait de larges intervalles est assez particulier. Face au drumming crépitant et irrégulier de Paul Hession, un fidèle de feu Simon Fell et du saxophoniste explosif Allan Wilkinson dans un trio hard-free saturé en diable, le jeu sophistiqué de Hanslip et ses subtiles inversions harmoniques créent un équilibre instable et un contraste remarquable qui mettent en valeur les deux musiciens. Vous ajoutez à cette équation volatile le travail sonique multiforme de Dominic Lash à l’archet et on aboutit à un approfondissement des perspectives et des percées dans l’univers éclaté des sons de la free music sans plan A ou plan B. La contribution « électronique » de Federico Reuben est tout à fait pertinente, entretenant des échanges avec les frappes millimétrées free plus radicales d’Hession dont on découvre la finesse et la précision en empathie avec la dynamique et le chaos des improvisations au laptop avec une multitude de facéties sonores surgissant de nulle part. Son output est particulièrement intéressant et multiforme. Un très bon point pour Hession, les drummers free excitants devenant trop rares parmi la génération montante. Par-dessus, le souffle d’Hanslip trace son chemin sinueux sur un canevas polyrythmique qui s’appuie sur les impulsions des trois autres. Leur musique faite de voix qu’on jugerait disparates ou antagonistes du point de vue formel se révèle étonnamment cohérente, dynamique et profondément lisible. L’auditeur a le plaisir d’entendre clairement toutes les interventions et interactions individuelles dans le son global de ce Quartetics durant les cinq improvisations collectives sur une durée de 33 minutes. Et oui , la qualité de l’enregistrement et le savoir-faire des instrumentistes ! Et chacun a le loisir de cultiver ses marottes personnelles au bénéfice de l’ensemble. Je trouve cet album vraiment remarquable. Congratulations.
Duo PsicoGeografico Iskra Andrea Bini & Sergio Fedele. Setola di Maiale.
https://www.setoladimaiale.net/catalogue/view/SM5010
Un bien curieux duo de multi-instrumentistes improvisateurs qui alimentent 9 sequenze (pluriel de sequenza) d’improvisations contemporaines. Andrea Bini joue du piano, de la « flauto dolce basso » soit une flûte à bec basse, voix, « richiamo » soit un appel ou un cri, rombo ou grondement, percussions et gong. Sergio Fedele est crédité ecatorf, un instrument à vent de son invention avec anches coulisses, pavillons combinant plusieurs tuyaux et des éléments mobiles et d’une grande complexité au niveau de la construction. Une espèce de monstre avec lequel on obtient de curieux effets de souffles similaires à la clarinette contrebasse et au trombone. Il ajoute à ce curieux instrument hybride, le sax alto, la clarinette contra alto, la clarinette et l’ocarina bassa. Iskra signifie l’étincelle en Russe et servit de titre pour la revue marxiste de Lénine lors de son séjour en Grand Bretagne. Plus tard, Paul Rutherford intitula son trio avec Derek Bailey et Barry Guy, Iskra 1903, tandis qu’un groupe free suédois s’est baptisé Iskra. Ses 9 Sequenze s’intitulent Iskra 01, Iskra 02 , etc… jusqu’à Iskra 09 et les notes de pochette indiquent clairement les instruments utilisés. Parmi ces 9 pièces , Andrea Bini jouent du piano dans cinq d’entr’elles, la première nous faisant entendre les possibilités sonores et dynamiques de cet ecatorf mystérieux dans une approche avant garde contemporaine réussie Pour la deuxième pièce avec sax alto et piano, la musique se rapproche de l’univers du free-jazz. Au fil de chaque improvisation, le centre de gravité et l’approche musicale varie comme dans ce duo percussions et clarinette contra alto rêveuse. On y entend des frappes clairsemées sur un tambour et la résonance d’un gong face à un souffle retenu et note à note parsemé de silences dans une ambiance intime. Chacun de ces duos cultivent une ambiance particulière avec les moyens de chacun des instruments sollicités successivement d’un Iskra à l’autre. On y trouve l’étincelle de la sensibilité sans pour autant y mettre le feu aux poudres. On est plus ici dans la réflexion ou les appels d’oiseaux au sein d’une volière comme dans cet Iskra 04 et son dialogue ocarina basse et flûte à bec basse et quelques trouvailles sonores. Iskra 05 : retour à la démarche musique contemporaine entre la clarinette contralto et le piano dans le sillage de Iskra 01. J’en apprécie la résonnance des cordes « bloquées » du piano et le cheminement de la clarinette de graves discrets à la limite du souffle vers les égosillements des harmoniques aiguës Chaque pièce offre ainsi une nouvelle opportunité sensible et bien choisie et l’ecatorf en est bien la part de mystère (Iskra 06). Un album d’improvisation à part soigneusement préparé et simplement poétique. En fait, une belle réussite.
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