Madame Luckermiddle : Catherine
Jauniaux Phil Minton Zeena Parkins Christian Marclay Otomo Yoshihide Luc Ex
Michael Vatcher Veryan Weston ccam / vandoeuvre 1235. 1998
Voici
l’enregistrement du concert à Musique Action donné par ses amis en lieu et
place de celui du nouveau groupe de Tom Cora, Madame Luckermiddle, qui
était programmé au Centre Culturel André Malraux avec Tom Cora décédé juste l’avant veille. Soit Tom Cora, violoncelle, Zeena
Parkins, harpe et claviers, Luc Ex, basse
électrique et Michael Vatcher, batterie. Les membres de Roof sont aussi présents,
il était composé de Tom Cora, Phil Minton, Veryan Weston et Michael Vatcher. Au
programme du répertoire composé
respectivement par Minton & Weston, Tom Cora, Catherine Jauniaux. S’ajoute Catherine Jauniaux et, ici et là, les
platines de Otomo Yoshihide et de Christian Marclay. Pour qui aime les
chanteurs vocalistes qui jouent de tous les registres, cet album est un régal.
Le talent de chacun trouve sa place au fil de la performance elle-même centrée
sur la problématique de la question sociale, qui reste toujours aussi
lancinante. Madame Luckermiddle a
perdu son mari, tué sur la chaîne de la conserverie et se résigne à accepter
les conditions de son patron (manger à la cantine durant trois semaines) plutôt
que de faire un procès pour accident de travail. Malgré sa résignation, elle
n’en pense pas moins et c’est tous ces sentiments et sa rage refoulée qui est
exprimée ici. Quelques beaux échanges instrumentaux et une ambiance
extraordinaire. Pour la contribution vocale de Minton et Jauniaux : 10/10.
eXcavations Thea Farhadian &
Klaus Kürvers Black
Copper 002
Un très beau
duo de cordes sous titré Twelve improvisations for violin and double bass. Thea Farhadian est une violoniste américaine de la côte Ouest et
c’est à Berlin qu’elle rencontra un des contrebassistes les plus actifs de la
ville, Klaus Kürvers. Les deux
instruments résonnent et vibrent en symbiose donnant à entendre une musique
improvisée de chambre du plus bel effet. Klaus Kürvers qui semble un nouveau
venu fut impliqué dans les débuts du free-jazz allemand dans les années 60
avant de devenir architecte et historien de l’archictecture à temps plein et un
des supporters les inconditionnels des nouvelles musiques et du jazz sans se
produire publiquement. Il a suivi les développements du free-jazz et des
musiques improvisées à Berlin, haut lieu incontournable pour ses festivals
organisés par Joachim Ernst Berendt et FMP, ses clubs comme Flöz et Quasimodo
et qui est en devenu la capitale européenne avec ses initiatives innombrables
et ses musiciens accourus du monde entier car c’est l’endroit où cela se passe
et d’où les groupes en vue rayonnent. Klaus
Kürvers s’est remis à jouer en public il y a quelques années dès sa mise à
la retraite et a développé un style aisément reconnaissable à l’archet,
anguleux, boisé et mûrement construit. Son pizz est élastique à souhait et il
affectionne des walking subtilement décalées. Il travaille régulièrement avec
Tristan Honsinger et a enregistré avec un superbe quartet de contrebasses pour
Evil Rabbit, Sequoia avec Miles
Perkin, Andrea Borghni et Meinrad Kneer. Thea
Farhadian est une violoniste, performer et compositrice basée à San
Francisco et Berlin. Après de solides études musicales, entre autres la musique
électronique au Mills College et un MFA au Interdisciplinary Arts à l’Uni S.F.
State et l’étude de la musique Classique arabe avec Simon Shaheen, elle a
travaillé au Berkeley Symphony Orchestra
sous Kent Nagano, dirigé un festival de
cinéma Arménien à NYC , effectué plusieurs résidences entre la Californie, le
STEIM à Amsterdam, la Jordanie et Londres, créé
de la musique pour la vidéo expérimentale et réalisé plusieurs projets
mêlant composition pour violon et électronique avec un intérêt marqué pour
l’improvisation. Il y a un réel raffinement dans la conjonction de leurs deux
univers acoustiques. Sensibilité, sens architectural, empathie sonore, une
grande écoute, émotion tangible, douze compositions de l’instant ou
improvisations tendues vers un résultat final focalisé sur la musicalité plein
d’équilibres et quelques tiraillements en multipliant les idées, les écarts,
les tensions, la fusion ou la différence…. Chaque pièce est un petit voyage à
lui seul et apporte des timbres nouveaux, des échanges qui transforment
constamment la perspective et notre perception de leurs sonorités. Les couleurs
sombres et fantomatiques de la contrebasse étirée s’unissent aux lueurs zébrées
et fugitives du violon contemporain aux nuances infinies. Même s’ils
recherchent un aspect construit et logique dans leurs improvisations vers des
pièces musicalement abouties, Thea et Klaus jouent le jeu de l’improvisation
jusqu’au bout. Elle a une maîtrise superbe des nuances du dodécaphonisme et des
techniques alternatives et il va chercher l’intimité des sons boisés avec une
réelle expertise faisant vibrer les cordes au plus fin. On leur décernera le prix
Johannes Rosenberg de l’année 2016 dont les récipiendaires précédents furent
entre autres en 2015 Live at Mosteiro Santa
Clara a Velha Carlos Zingaro en solo (label Cipsela) et
auparavant August Poems de Phil Wachsmann et Teppo Hauta-Aho et Imaginary Trio de Wachsmann, Bruno
Guastalla et Dom Lash sur Bead Records, Live
in Puget Ville de Barre Phillips et Malcolm Goldstein sur Bab Illi Lef, sans
oublier les Kryonics de Jon Rose, Matthias Bauer et Alex Kolkowski publié par Emanem. Pour en savoir plus : http://orynx-improvandsounds.blogspot.be/2011/11/johannes-rosenbergs-list-of-recommended.html
C’est vous
dire la haute tenue qualitative de leur musique librement improvisée.
Strange but True : We Free
Kings Pascal Bréchet - Colin Mc Kellar - Thierry
Waziniak Hôte Marge 12
Un power
trio dynamique multi-directionnel avec le guitariste Pascal Bréchet (aussi sitar et effets), le contrebassiste Colin Mc Kellar (looper et effets) et
le batteur Thierry Waziniak. Douze
compositions de deux à quatre ou cinq minutes pour la plupart et deux au-delà ,
9 : 04 et 7 : 41. Lors du concert auquel j’ai eu le plaisir d’assister, ils jouaient de longs enchaînements et , ayant été invité à monter sur scène,
j’ai pu apprécier la grande qualité de leur écoute. La pochette dit :
« Toute la musique a été improvisée sur l’instant, pas d’ajout, pas de
retrait ». Comme quoi, depuis les temps héroïques où Bailey, Parker,
Lytton, Brötzmann, Bennink et Van Hove étaient quasi les seuls à jouer
l’improvisation totale, celle-ci est devenue presqu’un lieu commun dans la
pratique musicale d’un nombre exponentiel d’artistes de tout bord et on a
l’impression que c’est devenu un moyen pour créer de la musique dans une quantité de styles différents qui va du
classique contemporain ou du free-jazz au rock d’avant-garde. Un trio de ce
genre avec une telle démarche il y a trente ans aurait à coup sûr écrit des
compositions. Donc We Free (référence
à l’album de Roland Kirk) crée des ambiances avec des sonorités recherchées et
des cadences invisibles et la musique pourrait être cataloguée comme étant du
post-rock, le premier morceau évoquant le guitariste Phil Miller . Il faut
souligner, l’intelligence musicale, le sens de la dynamique et l’inventivité du
guitariste Pascal Bréchet. J’avoue être assez allergique aux effets multiples
et croisés à la guitare électrique dans l’impro pour la simple et bonne raison
que pas mal de guitaristes saturent le son, confondent énergie physique et un
mauvais contrôle de l’amplification au travers de la table de mixage et du P.A.
ou que ce n’est pas adapté à l’espace. Bref un côté bouillie agressive, mais
pas incisive, tranchante, souple et on ne maîtrise pas le B A BA de la musique
électronique, car il s’agit de musique électronique sous une forme ou un autre.
C’est pas mal de choses de ce genre qu’évite Pascal Bréchet en sus d’être
un guitariste subtil au niveau des doigts et des deux mains, tant la gauche sur
le manche que la droite entre la fin de la touche et le chevalet. Thierry Waziniak est un excellent
batteur polyrythmique, assez discret dans cet album, il s’agit de leurs débuts
en trio. Thierry a joué intensément avec feu Jean-Jacques Avenel et Gaël Mevel.
Quant à Colin Mc Kellar, le
contrebassiste, est un British résident dans le Nord de la France et il
trafique le son de la contrebasse de façon originale (Instabile). On lui doit
d’avoir très judicieusement rassemblé ce trio, idée à la quelle les deux autres
(et un batteur jazz pur jus !) se sont ralliés faisant de We Free un
véritable collectif. Au stade de leur évolution à laquelle ils étaient arrivés
lors de l’enregistrement, on les entend créer des atmosphères électrisantes,
fugaces, en étageant les couches de manière mouvantes, dynamiques et une
variété remarquable de couleurs sonores et de textures. C’est une démarche
intéressante et qui préfigure leur superbe et très long concert de Bruxelles où
les éléments ouïs ici sont été transfigurés avec un surcroît de vie et de
risques, s’enchaînant dans une dimension supérieure après un échauffement
progressif pour atteindre une vitesse de croisière et une communion
interpersonnelle de très haut niveau. Les amateurs de psychédélique auraient
été sciés. Le batteur s’impliquait à fond avec un sens remarquable de
l’équilibre sonore au sein du groupe. Il a trouvé la dynamique idéale tout en
exploitant toutes les possibilités de timbres et des pulsations (jeu free) avec
toute l’énergie voulue comme on l’entend dans Brimming Over et Between
the Material and the Skin. Ah oui, le guitariste n’en fait jamais trop
pour soigner la qualité sonore, mais quand il se lâche, c’est un feu d’artifice ! Et le bassiste crée
du liant avec un vrai bon sens tout en sachant se mettre en avant avec des
boucles déjantées. Strange But True me semble donc une bonne introduction à un
excellent groupe qu’il faut vraiment avoir entendu sur scène si on veut faire
l’expérience d’une musique post-rock improvisée de premier plan.
Tim O’Dwyer The Fold (Köln Project) Leo Records Leo CD LR 721
J’ai
découvert le saxophoniste Tim O’Dwyer
avec le duo The Mirror Unit dans un cédé particulièrement
enthousiasmant avec un autre saxophoniste, Georg Wissell : Wind
Makes Weather / Creative Sources
CS 311. Fabuleux ! Le projet The
Fold consiste en une subtile imbrication écriture / improvisation faisant appel
à deux musicien arabes traditionnels, Bassem
Hawar au djozé, une petite vielle à archet, et Saad Thamir au tambour sur cadre et à la voix, le tubiste Carl Ludwig Hübsch et le clarinettiste Carl Rosman. Il s’agit d’un projet
complexe où chaque musicien est à la fois compositeur, interprète,
improvisateur et je dirais même improvisateur collectif. Dans ce projet, il est
question des cartes du Tarot qui servent à mettre en place les structures
musicales dans leur succession et leur imbrication. Le rôle de Tim O’Dwyer est de d’avoir conçu le
projet et de diriger l’ensemble. Il s’agit d’un processus de co-comprovisation interactive. J’ajouterai
encore qu’il y a un parallèle à faire avec le concept de xenosynchronicity
(cher à Frank Zappa) auquel s’attache un grand créateur d’aujourd’hui, le
contrebassiste - compositeur Simon H Fell. En effet, on entend Bassem Hawar et Saad Thamir jouer une musique de forte inspiration traditionnelle
alors que Carl Ludwig Hübsch joue
quelque chose qui s’apparente au jazz contemporain ou au free radical et
O’Dwyer improvise « non-idiomatiquement alors que les sons de Carl Rosman oscille entre le classique
vingtiémiste ou lamusique modale d’obédience orientale. Bref, il y a plusieurs
esthétiques qui cohabitent, s’intègrent, fusionnent ou collisionnent, des
parties modales et rythmées par le tambour sur cadre, du minimalisme sonore, du
free éclaté, etc… O’Dwyer est vraiment un saxophoniste surprenant quand il
jongle avec les sonorités, le son du djoze de Bassem Hawar est très proche de
celle de la voix humaine et Hubsch est un superbe tubiste. The Fold signifie le Pli et dans le cadre du Tarot, le Pli de Cartes constitue
un faisceau de destinées en devenir qu’il faut élucider. Le projet de The Fold tourne autour d’un Pli de cinq
visions musicales auquel Tim O’Dwyer insuffle un esprit créatif et original
avec le concours enthousiaste et subtil de ses coéquipiers. Je salue cette production pour la qualité du
travail accompli et pour ses potentialités bien réelles.
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