17 août 2016

Madame Luckermiddle: Jauniaux Minton Parkins Marclay Otomo Luc Ex Vatcher Weston / Thea Farhadian & Klaus Kürvers / We Free Bréchet McKellar Waziniak / The Fold Tim O'Dwyer

Madame Luckermiddle : Catherine Jauniaux Phil Minton Zeena Parkins Christian Marclay Otomo Yoshihide Luc Ex Michael Vatcher Veryan Weston ccam / vandoeuvre 1235. 1998



Voici l’enregistrement du concert à Musique Action donné par ses amis en lieu et place de celui du nouveau groupe de Tom Cora, Madame Luckermiddle, qui était programmé au Centre Culturel André Malraux avec Tom Cora décédé juste l’avant veille. Soit Tom Cora, violoncelle, Zeena Parkins, harpe et claviers, Luc Ex, basse électrique et Michael Vatcher, batterie. Les membres de Roof sont aussi présents, il  était composé de Tom Cora, Phil Minton, Veryan Weston et Michael Vatcher. Au programme  du répertoire composé respectivement par Minton & Weston, Tom Cora, Catherine Jauniaux. S’ajoute Catherine Jauniaux et, ici et là, les platines de Otomo Yoshihide et de Christian Marclay. Pour qui aime les chanteurs vocalistes qui jouent de tous les registres, cet album est un régal. Le talent de chacun trouve sa place au fil de la performance elle-même centrée sur la problématique de la question sociale, qui reste toujours aussi lancinante. Madame Luckermiddle a perdu son mari, tué sur la chaîne de la conserverie et se résigne à accepter les conditions de son patron (manger à la cantine durant trois semaines) plutôt que de faire un procès pour accident de travail. Malgré sa résignation, elle n’en pense pas moins et c’est tous ces sentiments et sa rage refoulée qui est exprimée ici. Quelques beaux échanges instrumentaux et une ambiance extraordinaire. Pour la contribution vocale de Minton et Jauniaux : 10/10.

eXcavations Thea Farhadian & Klaus Kürvers Black Copper 002


Un très beau duo de cordes sous titré Twelve improvisations for violin and  double bass. Thea Farhadian est une violoniste américaine de la côte Ouest et c’est à Berlin qu’elle rencontra un des contrebassistes les plus actifs de la ville, Klaus Kürvers. Les deux instruments résonnent et vibrent en symbiose donnant à entendre une musique improvisée de chambre du plus bel effet. Klaus Kürvers qui semble un nouveau venu fut impliqué dans les débuts du free-jazz allemand dans les années 60 avant de devenir architecte et historien de l’archictecture à temps plein et un des supporters les inconditionnels des nouvelles musiques et du jazz sans se produire publiquement. Il a suivi les développements du free-jazz et des musiques improvisées à Berlin, haut lieu incontournable pour ses festivals organisés par Joachim Ernst Berendt et FMP, ses clubs comme Flöz et Quasimodo et qui est en devenu la capitale européenne avec ses initiatives innombrables et ses musiciens accourus du monde entier car c’est l’endroit où cela se passe et d’où les groupes en vue rayonnent. Klaus Kürvers s’est remis à jouer en public il y a quelques années dès sa mise à la retraite et a développé un style aisément reconnaissable à l’archet, anguleux, boisé et mûrement construit. Son pizz est élastique à souhait et il affectionne des walking subtilement décalées. Il travaille régulièrement avec Tristan Honsinger et a enregistré avec un superbe quartet de contrebasses pour Evil Rabbit, Sequoia avec Miles Perkin, Andrea Borghni et Meinrad Kneer. Thea Farhadian est une violoniste, performer et compositrice basée à San Francisco et Berlin. Après de solides études musicales, entre autres la musique électronique au Mills College et un MFA au Interdisciplinary Arts à l’Uni S.F. State et l’étude de la musique Classique arabe avec Simon Shaheen, elle a travaillé au Berkeley Symphony Orchestra  sous Kent Nagano, dirigé un festival de cinéma Arménien à NYC , effectué plusieurs résidences entre la Californie, le STEIM à Amsterdam, la Jordanie et Londres, créé  de la musique pour la vidéo expérimentale et réalisé plusieurs projets mêlant composition pour violon et électronique avec un intérêt marqué pour l’improvisation. Il y a un réel raffinement dans la conjonction de leurs deux univers acoustiques. Sensibilité, sens architectural, empathie sonore, une grande écoute, émotion tangible, douze compositions de l’instant ou improvisations tendues vers un résultat final focalisé sur la musicalité plein d’équilibres et quelques tiraillements en multipliant les idées, les écarts, les tensions, la fusion ou la différence…. Chaque pièce est un petit voyage à lui seul et apporte des timbres nouveaux, des échanges qui transforment constamment la perspective et notre perception de leurs sonorités. Les couleurs sombres et fantomatiques de la contrebasse étirée s’unissent aux lueurs zébrées et fugitives du violon contemporain aux nuances infinies. Même s’ils recherchent un aspect construit et logique dans leurs improvisations vers des pièces musicalement abouties, Thea et Klaus jouent le jeu de l’improvisation jusqu’au bout. Elle a une maîtrise superbe des nuances du dodécaphonisme et des techniques alternatives et il va chercher l’intimité des sons boisés avec une réelle expertise faisant vibrer les cordes au plus fin. On leur décernera le prix Johannes Rosenberg de l’année 2016 dont les récipiendaires précédents furent entre autres en 2015 Live at Mosteiro Santa Clara a Velha  Carlos Zingaro en solo (label Cipsela) et auparavant August Poems de Phil Wachsmann et Teppo Hauta-Aho  et Imaginary Trio de Wachsmann, Bruno Guastalla et Dom Lash sur Bead Records, Live in Puget Ville de Barre Phillips et Malcolm Goldstein sur Bab Illi Lef, sans oublier les Kryonics de Jon Rose, Matthias Bauer et Alex Kolkowski publié par Emanem. Pour en savoir plus : http://orynx-improvandsounds.blogspot.be/2011/11/johannes-rosenbergs-list-of-recommended.html
C’est vous dire la haute tenue qualitative de leur musique librement improvisée.

Strange but True : We Free Kings Pascal Bréchet - Colin Mc Kellar - Thierry Waziniak  Hôte Marge 12

Un power trio dynamique multi-directionnel avec le guitariste Pascal Bréchet (aussi sitar et effets), le contrebassiste Colin Mc Kellar (looper et effets) et le batteur Thierry Waziniak. Douze compositions de deux à quatre ou cinq minutes pour la plupart et deux au-delà , 9 : 04 et 7 : 41. Lors du concert auquel j’ai eu le plaisir d’assister, ils jouaient de longs enchaînements et , ayant été invité à monter sur scène, j’ai pu apprécier la grande qualité de leur écoute. La pochette dit : « Toute la musique a été improvisée sur l’instant, pas d’ajout, pas de retrait ». Comme quoi, depuis les temps héroïques où Bailey, Parker, Lytton, Brötzmann, Bennink et Van Hove étaient quasi les seuls à jouer l’improvisation totale, celle-ci est devenue presqu’un lieu commun dans la pratique musicale d’un nombre exponentiel d’artistes de tout bord et on a l’impression que c’est devenu un moyen pour créer de la musique dans une quantité de styles différents qui va du classique contemporain ou du free-jazz au rock d’avant-garde. Un trio de ce genre avec une telle démarche il y a trente ans aurait à coup sûr écrit des compositions. Donc We Free (référence à l’album de Roland Kirk) crée des ambiances avec des sonorités recherchées et des cadences invisibles et la musique pourrait être cataloguée comme étant du post-rock, le premier morceau évoquant le guitariste Phil Miller . Il faut souligner, l’intelligence musicale, le sens de la dynamique et l’inventivité du guitariste Pascal Bréchet. J’avoue être assez allergique aux effets multiples et croisés à la guitare électrique dans l’impro pour la simple et bonne raison que pas mal de guitaristes saturent le son, confondent énergie physique et un mauvais contrôle de l’amplification au travers de la table de mixage et du P.A. ou que ce n’est pas adapté à l’espace. Bref un côté bouillie agressive, mais pas incisive, tranchante, souple et on ne maîtrise pas le B A BA de la musique électronique, car il s’agit de musique électronique sous une forme ou un autre. C’est pas mal de choses de ce genre qu’évite Pascal Bréchet  en sus d’être un guitariste subtil au niveau des doigts et des deux mains, tant la gauche sur le manche que la droite entre la fin de la touche et le chevalet. Thierry Waziniak est un excellent batteur polyrythmique, assez discret dans cet album, il s’agit de leurs débuts en trio. Thierry a joué intensément avec feu Jean-Jacques Avenel et Gaël Mevel. Quant à Colin Mc Kellar, le contrebassiste, est un British résident dans le Nord de la France et il trafique le son de la contrebasse de façon originale (Instabile). On lui doit d’avoir très judicieusement rassemblé ce trio, idée à la quelle les deux autres (et un batteur jazz pur jus !) se sont ralliés faisant de We Free un véritable collectif. Au stade de leur évolution à laquelle ils étaient arrivés lors de l’enregistrement, on les entend créer des atmosphères électrisantes, fugaces, en étageant les couches de manière mouvantes, dynamiques et une variété remarquable de couleurs sonores et de textures. C’est une démarche intéressante et qui préfigure leur superbe et très long concert de Bruxelles où les éléments ouïs ici sont été transfigurés avec un surcroît de vie et de risques, s’enchaînant dans une dimension supérieure après un échauffement progressif pour atteindre une vitesse de croisière et une communion interpersonnelle de très haut niveau. Les amateurs de psychédélique auraient été sciés. Le batteur s’impliquait à fond avec un sens remarquable de l’équilibre sonore au sein du groupe. Il a trouvé la dynamique idéale tout en exploitant toutes les possibilités de timbres et des pulsations (jeu free) avec toute l’énergie voulue comme on l’entend dans Brimming Over et Between the Material and the Skin. Ah oui, le guitariste n’en fait jamais trop pour soigner la qualité sonore, mais quand il se lâche, c’est  un feu d’artifice ! Et le bassiste crée du liant avec un vrai bon sens tout en sachant se mettre en avant avec des boucles déjantées. Strange But True me semble donc une bonne introduction à un excellent groupe qu’il faut vraiment avoir entendu sur scène si on veut faire l’expérience d’une musique post-rock improvisée de premier plan.

Tim O’Dwyer The Fold (Köln Project) Leo Records Leo CD LR 721



J’ai découvert le saxophoniste Tim O’Dwyer avec le duo The Mirror Unit  dans un cédé particulièrement enthousiasmant avec un autre saxophoniste, Georg Wissell : Wind Makes Weather  / Creative Sources CS 311. Fabuleux ! Le  projet The Fold consiste en une subtile imbrication écriture / improvisation faisant appel à deux musicien arabes traditionnels, Bassem Hawar au djozé, une petite vielle à archet, et Saad Thamir au tambour sur cadre et à la voix, le tubiste Carl Ludwig Hübsch et le clarinettiste Carl Rosman. Il s’agit d’un projet complexe où chaque musicien est à la fois compositeur, interprète, improvisateur et je dirais même improvisateur collectif. Dans ce projet, il est question des cartes du Tarot qui servent à mettre en place les structures musicales dans leur succession et leur imbrication. Le rôle de Tim O’Dwyer est de d’avoir conçu le projet et de diriger l’ensemble. Il s’agit d’un processus de co-comprovisation interactive. J’ajouterai encore qu’il y a un parallèle à faire avec le concept de xenosynchronicity (cher à Frank Zappa) auquel s’attache un grand créateur d’aujourd’hui, le contrebassiste - compositeur Simon H Fell. En effet, on entend Bassem Hawar et Saad Thamir jouer une musique de forte inspiration traditionnelle alors que Carl Ludwig Hübsch joue quelque chose qui s’apparente au jazz contemporain ou au free radical et O’Dwyer improvise « non-idiomatiquement alors que les sons de Carl Rosman oscille entre le classique vingtiémiste ou lamusique modale d’obédience orientale. Bref, il y a plusieurs esthétiques qui cohabitent, s’intègrent, fusionnent ou collisionnent, des parties modales et rythmées par le tambour sur cadre, du minimalisme sonore, du free éclaté, etc… O’Dwyer est vraiment un saxophoniste surprenant quand il jongle avec les sonorités, le son du djoze de Bassem Hawar est très proche de celle de la voix humaine et Hubsch est un superbe tubiste. The Fold signifie le Pli et dans le cadre du Tarot, le Pli de Cartes constitue un faisceau de destinées en devenir qu’il faut élucider. Le projet de The Fold tourne autour d’un Pli de cinq visions musicales auquel Tim O’Dwyer insuffle un esprit créatif et original avec le concours enthousiaste et subtil de ses coéquipiers.  Je salue cette production pour la qualité du travail accompli et pour ses potentialités bien réelles.

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