John Edwards Lisbon Solo Double Bass digital.
https://johnedwards.bandcamp.com/album/lisbon-solo-2
Une seule improvisation de 36 :20 durant lesquelles John Edwards fait vibrer les cordes, la touche, le corps de l’instrument, avec autant de sauvagerie débridée que de contrôle instrumental … alternant la percussion des cordes, les frottements ligneux, les glissandi, la frappe « col legno », les rebondissements de l’archet. Un jeu organique, frénétique ou détaché. Vous souvenez – vous de l’île au Trésor de R.L. Stevenson, ce livre légendaire qui raconte les tribulations du jeune Jim Hawkins et le pirate cuistot unijambiste et Long John Silver ? Stevenson décrit la force redoutable des doigts et des mains de Long John Silver qui agrippe et maintient le jeune Jim Hawkins sous sa domination en lui les serrant les bras tel une pince, un étau. John Edwards incarne à la fois toute l’espérance du jeune aventurier et la force irrésistible puissante du forban qui inflige des chocs et des pizzicato furieux en saccades improbables pressant les cordes sur la touche avec une force inouïe, dure et élastique. Au fil de sa longue improvisation, il décline toutes sortes d’effets, de résonances, de notes appuyées au-delà des gammes, grattements crissants, grosses vibrations bouleversant l’âme de l’instrument, la carcasse tremblante, le son du bois hypertrophié, des dérapages et incartades de l’archet, des bruitages insensés et surprenants . C’est à la fois intime, furieux, sauvage, savamment dosé et subtilement enchaîné dans l’instant. Un sommet qui apporte encor plus d’au au moulin de ses solos (cfr Volume/ CD Psi). John Edwards est l’aventurier de la contrebasse, son pirate qui aurait viré de bord pour la cause de l’amour du prochain et une réincarnation de ce Jim Hawkins de légende à qui tout arrive et qui parvient à retomber sur ses pattes après bien des aventures périlleuses … et… quelles pattes ! Ahurissant, existentiel. Unique.
Albert Ayler Trio avec Sunny Murray et Gary Peacock Prophecy Live First Visit Complete ezz-thetics 109.
https://first-archive-visit.bandcamp.com/album/prophecy-live-first-visit
12 juin 1964, Cellar Café, NYC : l’an zéro du free-jazz. Lors d’un concert légendaire, le poète Paul Haines enregistre ce nouveau trio issu d’un quintet – quartet de Paul Bley auquel participaientt John Gilmore, Gary Peacock, Paul Motian et puis Sunny Murray et, ensuite ce mystérieux saxophoniste ténor rencontré par Cecil Taylor et Sunny Murray en Suède au Gyllene Cirkel presque deux ans plus tôt: ALBERT AYLER. Dans l’assistance, il y a John Coltrane, Bill Dixon et beaucoup d’autres. Le mois suivant, ce trio (Albert Ayler Gary Peacock et Sunny Murray) enregistrera « Spiritual Unity » pour le label ESP Disk – ESP 1002. Jusqu’en 1975, les auditeurs et amateurs n’écouteront que l’Albert Ayler Trio enregistré en MONO et réédité en stéréo par ESP, Fontana etc .. avec une autre version du morceau Spirits indiqué en 1/ de la face B dc ce légendaire SPIRITUAL UNITY. Le vrai talisman audio de l’ « Albert Ayler Trio » est bien cet album live qui fut ensuite publié en 1975 par ESP Disk (Réf. ESP 3030) juste avant la cessation d'activités. Par rapport à Spiritual Unity Stéréo, la version la plus connue et la plus vendue, on y entend le « vrai » Spirits tel qu’on l’entend aussi dans l’album Spirits (publié par Debut et dont la réédition Transatlantic British reproduit le dessin de pochette).
Le grand avantage de ce CD , c’est qu’il reproduit avec un nouveau mastering l’entièreté des neuf morceaux enregistrés lors de ce concert inoubliable. Tu parles, c’est lors de ce concert que John Coltrane a été marqué à jamais et on retrouve dans le jeu de ce géant, certains des caractéristiques expressives d’Ayler.Bon nombre d'artistes incontournables du free-jazz étaient présents comme les apôtres du Christ lors de la ... Première Cène... On a droit à Spirits, Wizard et les deux versions de Ghosts 1st & 2nd Variations , … écoutez, vous comprendrez « ces deux variations ». Mais aussi Prophecy, Saints, encore Ghost , encore Wizard, Children (noté Spirits dans l’édition ESP 1002 Stereo). Oui c’est masterisé sérieusement : il suffit d’écouter le son de la contrebasse de Gary Peacock et ses doigtés – pizzicatos révolutionnaires. Oui, c’est bien l’an zéro du « vrai » free-jazz. Sunny joue ses vagues de vibrations sonores hors tempo, le saxophoniste énonce les thèmes mélodiques genre comptines enfantines pour s’échapper dans des glissandi et harmoniques, en speaking tongues échevelées et morsures rageuses, contorsionnant l’articulation du souffle, criant l’espoir et le désespoir. Tabula rasa ! Et le comble dans ce trio révolutionnaire, l’attitude cool et relax du contrebassiste qui joue sur un tout autre plan avec une sonorité de basse chaleureuse et des déboulés à la fois speedés, imprévisibles et … lyriques. La cohérence du trio est aussi puissante et irrévocable que le contraste entre Ayler et Peacock est total. C’est là que des improvisateurs « libres » comme John Stevens et Paul Lovens viendront puiser leur inspiration qui les amèneront dans un autre univers. En plus d’un point de vue « transharmonique » - les intervalles etc… ce sont les faces d’Ayler les plus révélatrices qui permettent de se faire un idée la plus fidèle de sa démarche ou de son « système », tout comme Coltrane ou Coleman ont leurs propres systèmes qui sous-tend leurs visions et les libertés qu’ils se donnent et nous donnent. Rien que pour la troisième version survoltée et différente de Ghosts en 7/ vous en aurez pour votre argent… Même si vous trouvez cet album à un prix trop cher, rien ne justifie de ne pas l’acheter. Car, face à ce moment de folie enregistrée en 1964, vous pouvez jeter une bonne partie de votre collection de disques de «free-jazz», tellement c’est extraordinaire…
Pour la petite histoire, Sunny Murray détenait l’entièreté des bandes de ce concert mirifique et en a fait publier l’entièreté dans « Albert Smiles with Sunny », un double CD du label In Respect en 1996 avec l’aide de Harmut Geerken, musicien et activiste impliqué dans la scène free. Ce double album s’est attiré les foudres d’un représentant légal d’ayant droit, comme si cette musique n’appartenait pas autant à Albert qu’à Sunny, celui-ci inventant un style aussi personnel et innovant que celui d’Albert.
Ezz-thetics avait déjà publié cet album en caractères orange « Hatology ». Le voici avec des lettres bleues, celui du blues le plus profond. À se taper la tête contre les murs. LE DISQUE DE FREE JAZZ par excellence.
NB : pour ceux qui recherchent l’album vinyle avec le « véritable » Spiritual Unity – avec – le vrai-Spirits gravé sur le vinyle ESP 1002 MONO ( !), j’informe que le seul autre vinyle ou CD qui reproduit cette version originale est le LP Spiritual Unity publié par E.S.P. Explosive (France) et cela le restera longtmps. Mais qui s’en doute ? Par la suite on retrouve cette version dans le CD réédité par le label japonais Venus. Beaucoup plus tard et à la demande de Martin Davidson et d’autres allumés, ESP a finalement inclus le « vrai » Spirits dans une réédition CD ESP 1002. Le 9ème morceau de ce Prophecy First Visit, intitulé « Children » (et sa mélodie de base) est identique à ce Spirits inclus dans le LP ESP 1002, si ce n’est que la version présente est plus forcenée, plus incisive, plus sauvage, car il s’agit du dernier morceau joué lors du concert, vraisemblablement. On entend d’ailleurs « Children » dans l’album aylérien suivant, « Ghosts » a/k/a « Vibrations », enregistré avec les trois mêmes plus Don Cherry à Copenhagen en automne 1964 et aussi dans le CD d’A.A., The Copenhagen Tapes (Ayler Records) enregistrements publiés dans la grosse boîte Holy Ghost, chère aux collectionneurs fétichistes (label Revenant). Quelle époque !
Evan Parker Barry Guy So It Goes Maya Recordings MCD 2301.
https://mayarecordings.bandcamp.com/album/so-it-goes
Il s’agit bien du cinquième album d’Evan Parker et Barry Guy en duo après Incision (FMP SAJ 1981), Tai Kyoku (jazz & Now 1985), Obliquities (Maya 1995) et Birds & Blades (Intakt 2001, sans compter les nombreux albums en trio avec Paul Lytton. La musique du duo a toujours fluctué entre un jazz très libre complexe décoiffant et très détaillé mélodiquement et/ou une approche délibérément sonore, éraillée et presque bruitiste comme sur cet album du duo enregistré au Japon ou la collaboration avec Eddie Prévost et Keith Rowe (Supersession/ Matchless). Dans cet album dédié à Samuel Beckett et John Stevens et intitulé « So It Goes », un rituel bout de phrase de Stevens et extrait des correspondances de Beckett (quelle coïncidence !), Guy et Parker ont réuni deux duos contrebasse – sax ténor (So It Goes 1 et So It Goes 3) qui ouvrent et clôturent l’album pour 12 :13 et 10 :42 minutes, un duo sax soprano et contrebasse (So It Goes 2 pour 5 :48), un solo de basse (Grit 6 :47) et un solo de sax soprano (Creek Creak 5 :28) d'Evan Parker. On y retrouve concentrées les caractéristiques spécifiques de leur(s) musique(s), y compris le solo en respiration circulaire avec harmoniques, spirales imbriquées, illusion de polyphonie et notes très aiguës jouées au-dessus du registre aigu et ces pulsations isochrones tournoyantes. Ce qui me touche le plus est cette capacité à dialoguer librement avec une très grande précision comme si le matériau mélodique développé interactivement et les structures harmoniques qu’il implique apparaît clairement comme une démarche commune, interconnectée au plus profond de leurs neurones, leur perception, et leurs gestes réactifs. Une qualité d’écoute, un grand sens des nuances, un souffle décontracté prêt à s’emballer dans les spirales les plus hardies aux intervalles de notes « tarabiscotés » comme on aime en écouter chez Trane ou Braxton. Barry Guy s’affirme comme un contrebassiste « violoniste » aussi énergétique que délicat et léger avec cette unique qualité de frottement à l’archet (quels sons aigus sublimes) qui contrastent hardiment avec ses pizzicatos complètement décalés en zig-zag, bourdonnements, sursauts etc… Il y a des moments où la musique s’arrête subitement, les sons s’éclatent, implosent par giclées et frictions bruissantes pour mourir dans le silence. Parmi leurs grands œuvres enregistrés, un moment intime d’une belle qualité musicale fruit d’une collaboration et de recherches fructueuses depuis quasi un demi-siècle.
Nuageux Gertrude Klopotec IZKCD156
https://www.klopotec.si/klopotecglasba/cd_gertrude_nuageux/
Sorry pour le retard pris pour la rédaction de ce texte sensé commenter cet excellent album de Gertrude intitulé Nuageux et ses dix morceaux - compositions orchestrales pour ensemble d’instruments à vents de durées très variées. Clarissa Durizzotto clarinette, Paolo Pascolo flûtes, Gabriele Cancelli trompette, Marko Cisilino trombone et french horn, Martin O’Loughlin tuba. Gertrude, comme Gudule, est le parfait prénom médiéval Brabançon typiquement belge d’une autre époque, devenu un tant soit peu godiche au fil des siècles. Et puis , il est question de Cielo, Cloud, Temporale, Nuageux, ça évoque un pays de par chez nous où il pleut plus souvent qu’à son tour (Pays Bas, Belgique…) . À l’écoute, ce qui débute par une sorte de gimmick mélancolique venteux et pluvieux se révèle au fil des morceaux très variés, comme une musique chatoyante, amusante, nostalgique avec force remarquables voicings, développements de formes et un bel amalgame orchestral, goût des nuances, demi-teintes, passages insolites, bâillements même. Rêveuse aussi : les deux Sonno parte 1 & parte 2 (Sonno : songe ou sommeil, c’est selon). Goût italien de la mélodie et faussoiements de notes. Assemblage insolite et décalé (Ovi – 1:42). Mais aussi, son d’ensemble travaillé, contre-chants, effets de canon . Même si je ne perçois pas bien le but de la musique, celle-ci, remarquablement bien exécutée et somme toute originale, se déploie à son avantage dans un parcours parfois accidenté (Ceneri 6 :35) et fructueux, si l’on considère chacune des compositions renouvelant agréablement les débats. On peut largement y trouver son plaisir et cette étonnante nostalgie imaginaire. Eh oui, il me faut du temps pour parvenir à écrire, les albums 100% improvisés étant prioritaires vu mes choix éditoriaux. Mais ne boudons pas notre plaisir , Gertrude est un projet méritant et avec un tel prénom ...
Consacré aux musiques improvisées (libre, radicale,totale, free-jazz), aux productions d'enregistrements indépendants, aux idées et idéaux qui s'inscrivent dans la pratique vivante de ces musiques à l'écart des idéologies. Nouveautés et parutions datées pour souligner qu'il s'agit pour beaucoup du travail d'une vie. Orynx est le 1er album de voix solo de J-M Van Schouwburg (1996 - 2005). https://orynx.bandcamp.com
17 juin 2025
1 juin 2025
Barry Guy Plays/ Charlotte Hug voice & viola/ Cecil Taylor Unit w Jimmy Lyons Ramsey Ameen Alan Silva Sunny Murray & Jerome Cooper
Barry Guy PLAYS Luca Lombardi Hubert Stuppner Iannis Xenakis Bernard Rands John Anthony Celona “Anaklasis” with Stefano Scodanibbio Maya Recording MLP2401 2LP
https://mayarecordings.bandcamp.com/album/barry-guy-plays-2
https://mayarecordings.com/barry_guy_plays
Il m’est arrivé rarement de chroniquer des albums spécifiques du contrebassiste Barry Guy ces dernières années, faute d’obtenir les CD’s ou LP’s, bien que je fus un des quelques acheteurs de ses premiers albums des années septante comme Iskra 1903 (avec P Rutherford et D Bailey Incus 3-4), son album solo Statements V-XI (Incus 22) et le trio Synopsys avec Howard Riley et Tony Oxley (Incus 13), ainsi que des premiers cd's chez Maya. Vouloir brosser le profil musical et esthétique de Barry Guy en deux coups de cuillère à pot est vraiment dérisoire. Musicien classique dont la pratique couvre le baroque et le contemporain, jazzman d’avant-garde, compositeur « sérieux », chef d’orchestre de son London Jazz Composers’ Orchestra, improvisateur libre qui croit autant à l’extrême énergie du free-jazz qu’à une musique spontanée d’exploration sonore et formelle. Formation d’architecte et amateur pointu d’art contemporain issu d’un milieu populaire. Le recto de pochette est décoré d’une œuvre colorée d’un de ses peintres favoris, Albert Irvine. Avec cet album d’archives, Barry Guy nous fait découvrir un aspect important de ses sources musicales, celles qui ont nourri la démarche de nombre de ses collègues improvisateurs (Bailey, Rutherford, Stevens, Schlippenbach, Wachsmann etc…) : la musique contemporaine occidentale dite atonale, sérielle, Varèse, Webern, Cage, Xenakis, Stockhausen, Berio etc… J’ajoute encore un petit détail pour les « définitionnistes » du tout « non – idiomatique ». L’année et le lieu même où Derek Bailey a enregistré ses premiers albums de Company (1977 Riverside Studios), Barry Guy enregistra un furieux trio avec le très free-jazzy Trevor Watts et John Stevens (No Fear)… Barry Guy est avant tout un musicien de confluences, créateur sans étiquette, ni justificatif idéologique.
La plupart des œuvres présentées ici ont été enregistrées en concert durant les années 70 à l’époque où celles-ci ont été écrites à l’exception de Memo I de Bernard Rands enregistrée en 2000 et la composition Anaklasis de Guy lui-même interprétée avec son collègue contrebassiste disparu, Stefano Scodannibbio. Aussi, étonnamment, il intervient vocalement dans Voicings de John Anthony Celona et dans Ausdrücke – Rondo für einen Clown d’Hubert Stuppner. Sont reproduites, deux lettres de Iannis Xenakis à l’occasion de l’enregistrement et d’une performance par Barry Guy de Theraps de ce compositeur.
Ce qui frappe à l’écoute c’est la vivacité et l’énergie à l’archet de Barry Guy au-delà de la précision de jeu, le sens de la dynamique, les changements fréquents d’intonation, la spatialisation de son travail sonore et le magnifique frottement en spirales des cordes à proximité du chevalet. Il y a une puissance organique et expressive similaire à celle du Barry Guy improvisateur, même s’il arrive souvent à celui-ci de nombreuses outrances bruitistes, des actions sauvages et provocantes. On se souvient de l’avoir vu frapper les cordes avec une grosse brosse à crin « pour se frotter le dos sous la douche » et une violence gestuelle. Mais derrière cette apparence sauvage et décalée , on entend tout la maîtrise instrumentale qui resplendit tout au long de ces enregistrements du passé. Par la grâce d’un minutieux et magique traitement des enregistrements d’archives par l’unique ingénieur du son Ferran Conangla, on entend ici une musique miraculée, sauvée des aléas de la conservation des bandes magnétiques, comme si tout cela était pur et neuf. Ces six interprétations musicales font corps, cas unique, avec sa musique improvisée « libre » et son free – jazz, le trio Evan Parker Barry Guy Paul Lyttons qui en réalise la synthèse, ses compositions et les orchestres dont il est responsable, sans barrière mentale, ni explication fumeuse. PLAYS est un document de première main d’une personnalité exceptionnelle et sans doute le tremplin vers la musique de ses albums solos Fizzles et Symmetries. Si d’un point de vue stylistique, cette musique, fidèle aux intentions des compositeurs, est bien différente de celle de Barry Guy en solo (cfr Fizzles & Symmetries), le feeling et l’énergie de l’improvisateur est palpable.
PS : je viens de mettre la main sur une copie de Tai Kyoku, le deuxième album du duo Barry Guy – Evan Parker (label jazz & Now), un concert datant de novembre 1985 à l’aube de la « carrière » du trio avec Paul Lytton où Barry incarne l’improvisation radicale sans concession, implosion – explosion bruitiste du jeu technique de la contrebasse.
Charlotte Hug In Resonance with Elsewhere voice viola Fundacja Sluchaj FSR 05 / 225
https://sluchaj.bandcamp.com/album/in-resonance-with-elsewhere
Performances en solo enregistrées en jouant/ improvisant simultanément de la voix et de l’alto ou viola en anglais, instrument de la famille des violons avec un registre plus grave que celui du violon. Toute la musique instrumentale est jouée en fonction du chant et de la voix et celle-ci fait corps avec les sons et le jeu de l’alto. Charlotte Hug se présente comme Composer Performer et Visual Artist car si elle construit sa musique avec les intentions spécifiques d’une véritable compositrice, celle-ci se crée dans l’instant avec la spontanéité de l’improvisation contemporaine « libre » en conjonction étroite avec ses propres Son-Icons, larges bandes de papier – tissu suspendues durant ses concerts , créations graphiques - complément organique intime de sa musique. Si ma description semble compliquée, elle nous fait passer son message mystérieux et sensible avec une authentique simplicité. Avec l’archet et son « soft bow », elle irise des sonorités diffuses, tissus d’harmoniques et de drones mouvantes alors que sa voix expire et « aspire » râles, murmures sotto voce, chant opératique étincelant, harmoniques, ululements de sybille, imprécations de fée et ces extraordinaires « percussions » glottales qu’elle module magiquement. La journaliste Annelis Berger la décrit comme une Shaman of Contemporary Music dans les notes de pochette. Je la dirais Voyante, Poète, Sybille de l’Au-delà, Vestale d’un rite imaginaire. Son travail à l’alto évite l’excès démonstratif de la virtuosité technique, celle-ci étant exclusivement et sincèrement au service de la sensibilité, d’une minutieux dosage sonore et vibratoire, d’une concentration sans faille à la recherche du sens profond de son art merveilleux et de l’émotion, vécu à certains moments comme un état de transe. Le raffinement total et une sûreté dans l'exécution simultanée vocale et instrumentale . In Resonance with Elsewhere. Cet Elsewhere : un ailleurs rêvé, d'autres cultures lointaines qui nourrissent la réflexion, l'au-delà entrevu dans la transe musicale ? La musique de cet album se décline en neuf pièces de différentes durées et approches sonores et expressives, superbement enregistrées les 29 et 30 juillet 2023. « No overdubbing or electronic modification was used in Tracks 1 to 6 and 9. Composition with multi-track in 7 & 8”. Mises à part ces deux plages 7 et 8, vous avez droit étonnamment à une musique entièrement acoustique en temps réel sans aucun artifice technologique, si on excepte la technique d’enregistrement avec la « 3D Audio Microphone technology » de Malgorzata Albinska-Frank, une excellente ingénieur son si j’en juge le résultat audio. Je vous jure que vous n’allez pas vous ennuyer tant cette Shaman visionnaire est capable d’incarner de multiples facettes de sa personnalité en se dédoublant de manière vraiment troublante. Charlotte Hug projette une dimension onirique, des vibrations extra-sensorielles, une intimité profonde combinée à une mise à distance d’elle-même dans le feu de l’action, de nombreuses variations de registres, d’intensités, d’émotions et une pluralité de formes dans une synergie assumée de nombreuses inspirations qui se fondent dans une expression tout à fait unique.
Chapeau aussi à l'ouverture de Fundacja Sluchaj, label qu'on pourrait qualifer de "free-jazz" si on considère ses nombreuses publications, et qui s'ouvre ici à un univers qui échappe aux radars pourchassant des esthétiques trop définies. J’avais écrit autrefois une des chroniques commentaires dont j’étais le plus fier au niveau de l’écriture, au sujet de son album Slipway to Galaxies (Emanem 2010) dans lequel Charlotte Hug avait documenté les débuts de cette démarche combinée voix et alto. Le temps a passé et la musique a évolué et s’est envolée dans l’air qui vibre. In Resonance with Elsewhere nécessite de nombreuses écoutes (sans lassitude aucune) pour en appréhender toute la richesse.
Cecil Taylor Unit Live at Fat Tuesday’s February 9, 1980 First Visit Ezz-thetics 101
https://first-archive-visit.bandcamp.com/album/cecil-taylor-unit-live-at-fat-tuesdays-february-9-1980-first-visit
Cecil Taylor Unit Live at Fat Tuesday’s February 10, 1980 First VisitEzz-thetics 111
https://first-archive-visit.bandcamp.com/album/cecil-taylor-unit-live-at-fat-tuesdays-february-10-1980-first-visit
` Enregistrements inédits de l’Unit de Cecil Taylor provenant d’une série de concert dont un large extrait « set » avait été publié par le même label autrefois avec l’étiquette Hat-Hut en double vinyle sous le titre It is in A Brewing Luminous. L’Unit de l’époque avait évolué depuis la trépidante équipée du triple album Hat Hut de 1977, One Too Many Salty Swifts And Not Goodbye. Le groupe était alors composé de Cecil Taylor piano, Raphé Malik trompette, Jimmy Lyons sax alto, Ramsey Ameen violon, Sirone contrebasse et Ron « Shannon » Jackson, le batteur qui jouait à l’époque dans le Prime Time d’Ornette Coleman. L’Unit convié à ce concert a dû se passer de la présence de Raphé Malik, mais se situe dans le sillage du groupe détaillé plus haut : il y a toujours Jimmy Lyons qui disparut en 1986 et le violoniste Ramsey Ameen et Malik malheureusement absent. Alan Silva, un camarade de longue date de Cecil durant l’époque des albums Unit Structures, Conquistador et Student’s Studies (1966) et de la première grande tournée européenne de C.T. L’ébouriffant batteur Shannon Jackson ayant fondé son propre groupe Decoding Society, Taylor a recours au créateur du free-jazz drumming Sunny Murray et du batteur Jerome Cooper, membre du Revolutionnary Trio avec, justement, Sirone et le violoniste Leroy Jenkins qui jouera dans la C.T. Unit dans une mémorable tournée européenne de 1987 documentée par quelques album du label Leo, Live in Vienna et Live in Bologna. D’ailleurs, la musique se développe d’une manière similaire à ces légendaires One Too Many Salty Swifts and Not Goodbye.
Je n’ai jamais compris pourquoi certains chroniqueurs français de Jazz Magazine et de Jazz-Hot semblaient terrifiés par la musique de Cecil Taylor et la préférait en solo (l’album Silent Tongues paru à l’époque de ses concerts à Montreux etc… , le recueil taylorien le plus « lisible »). J’écoute ici la démarche contrapuntique de Cecil bien avant que cela « délire » « free » dans le premier morceau du concert du 9 septembre. On a droit à l’imbrication du rythme et des éléments mélodiques au piano tel un « accompagnement complexe et mouvant qui se fait un écho du blues, du piano jazz moderne entre Monk, Ellington, Bud Powell et Lennie Tristano et quelles harmonies (!!), alors que Jimmy Lyons énonce le « thème » et le restructure systématiquement par tronçons – variations évolutives qui respire les intonations sacrées de son Charlie Parker le plus pur tout en se faisant le devin soufflant du jeu du pianiste. La dualité main gauche - main droite chère au pianistes de jazz est évacuée au bénéfice d'une extraordinaire coordination des doigtés et mouvements des deux mains (mais aussi des coudes, de l'avant-bras)qui se relaientindéfiniment dans un mouvement constant de pulsations changeantes. On mesure aussi l’influence de Bartok, Schönberg et Messiaen. Rien que pour cela, un vrai fan de jazz normal devrait adorer. Par la suite, au fil des minutes cela se complique, chahute, secoue, violente avec une obstination incompressible. En se concentrant sur le jeu précis et multiforme au piano et les spirales exacerbées du saxophoniste (1. February 9, 1980 I – 24 :06 et toutes ces réitérations de fragments thématiques connectés les uns aux autres, leurs variations, extemporisations et extrapolations vitalistes free, on parvient avec une peu d’habitude d’écoute à happer les meilleures idées au vol et à construire - appréhender intérieurement le cheminement extravagant de cette musique. La contrebasse est un peu enterrée et les deux batteurs tourbillonnent dans le maëlstrom, parfois submergés par les assauts insistants des vagues rythmiques – pulsations libérées aux axes dilatés. Et une fois parvenu à un point qui semble une situations de non-retour , c’est l’accalmie. Cecil rejoue autrement la section du début seul ou avec un ou deux acolytes et relance sa quête dans une direction différente pour quelques minutes jusqu’au point où il joue et rejoue les parties mélodiques de chaque tronçon de la composition et de chacun des musiciens tout en se lançant dans de courts tourbillons de note inspiré par le détail de chacune des sections appelant chacun d’eux à intervenir dans une subtile constructions aux motifs et dimensions mouvantes .. et toujours avec ces scansions, cette conception ultra- et poly- rythmique qui n’appartient qu’à lui. C’est une musique construite et élaborée dans une vision constructiviste où le ou les début(s), les variations, les sections secondaires ou successives s’imbriquent avec une incroyable complexité dans une débauche d’énergies et de tensions qu’on retrouve chez très peu d’artistes dans cet idiome (Schlippenbach – Parker – Lovens, par exemple). Dans cet univers strictement « atonal » et abruptement « clusterisé » règne une grand ouverture formelle. Il convient de considérer la coexistence au sein de l’Unit entre le langage blues post-parkérien exacerbé de J. Lyons et les folles frictions ensauvagées du violoniste Ramsey Ameen à l’archet sur les quatre cordes écrasées sans pitié sur la touche dans un sciage furieux, crissant et virevoltant qui compresse les fréquences comme dans une matière picturale abstraite. Il faut une évidente habitude d’écoute et une certaine expérience pour s’orienter dans cet éclatement du continuum spatio-temporel. Fort heureusement, j’ai pu m’exercer à écouter les deux faces de Conquistador (lp Blue Note avec Andrew Cyrille,J.Lyons, Bill Dixon,Henry Grimes et Alan Silva) et les quatre morceaux d’Unit Structures… qui aujourd’hui paraissent bien courtes et concentrées par rapport à la distance et la durée parcourueq lors de ces deux concerts – fleuves. Vous pouvez très bien décrocher un moment, penser à autre chose et vous replonger dans la musique quand des passages incroyables surgissent et happent toute vos capacités perceptives et émotionnelles comme dans un rêve (cfr la fin de 2. February 9, 1980 II (20:43) ou la partie vers les 8-9 minutes de 3. February 9, 1980 III (21 :17), avant les vocaux forcenés du leader et la mélopée microtonale au violon. Et quels enchaînements inédits de configurations instrumentales qui délivrent d’autres surprenantes perspectives de l’Unit vers la fin du concert. Extraordinaire ! Les deux enregistrements reproduits ici me semblent plus lisibles que ceux parus dans le double vinyle Hat Hut de 1981 même si la prise de sons des deux batteurs est un peu trop sourde et confuse, sa spatialisation dans le champ auditif étant déformée. Mais c’est ainsi et ça s’écoute ! Aussi ces deux enregistrements mettent bien en évidence la spécificité de Taylor, le compositeur. Sa musique est basée sur des structures arborescentes semblables à ces arbres africains aux longues branches tortueuses sur lesquelles viennent pousser / s’épanouir/ éclore, rameaux, feuilles, fleurs et fruits.. Les « thèmes » anguleux ou spiralés et multiples riffs de base en sont les branches qu’il enchaîne successivement avec ses musiciens en laissant chacun de ces « tronçons » évoluer et se métamorphoser en folles improvisations organiques accélérées dans une jungle végétale colorée, celle des branches secondaires, rameaux, feuillages, floraisons, lianes, oiseaux, insectes etc… à la vitesse éclair comme si on projetait le film de la vie en quelques instants qui semblent éclater dans un moment d’éternité.
Re … concert fleuve : le total de February 9, 1980 I,II et III s’élève à 66 minutes 8 secondes. Un copain qui, très jeune, a tourné avec Cecil s’est trouvé à jouer des concerts de deux fois deux heures : après les quinze premières minutes, il a eu l’impression qu’il allait mourir ! . Pensez à ce musicien, un des artistes virtuoses parmi les plus brillants que j’ai pu rencontrer en 50 ans de « carrière » d’écouteur. Alors, vous en prendrez bien pour 20-24 minutes sans ciller.
https://mayarecordings.bandcamp.com/album/barry-guy-plays-2
https://mayarecordings.com/barry_guy_plays
Il m’est arrivé rarement de chroniquer des albums spécifiques du contrebassiste Barry Guy ces dernières années, faute d’obtenir les CD’s ou LP’s, bien que je fus un des quelques acheteurs de ses premiers albums des années septante comme Iskra 1903 (avec P Rutherford et D Bailey Incus 3-4), son album solo Statements V-XI (Incus 22) et le trio Synopsys avec Howard Riley et Tony Oxley (Incus 13), ainsi que des premiers cd's chez Maya. Vouloir brosser le profil musical et esthétique de Barry Guy en deux coups de cuillère à pot est vraiment dérisoire. Musicien classique dont la pratique couvre le baroque et le contemporain, jazzman d’avant-garde, compositeur « sérieux », chef d’orchestre de son London Jazz Composers’ Orchestra, improvisateur libre qui croit autant à l’extrême énergie du free-jazz qu’à une musique spontanée d’exploration sonore et formelle. Formation d’architecte et amateur pointu d’art contemporain issu d’un milieu populaire. Le recto de pochette est décoré d’une œuvre colorée d’un de ses peintres favoris, Albert Irvine. Avec cet album d’archives, Barry Guy nous fait découvrir un aspect important de ses sources musicales, celles qui ont nourri la démarche de nombre de ses collègues improvisateurs (Bailey, Rutherford, Stevens, Schlippenbach, Wachsmann etc…) : la musique contemporaine occidentale dite atonale, sérielle, Varèse, Webern, Cage, Xenakis, Stockhausen, Berio etc… J’ajoute encore un petit détail pour les « définitionnistes » du tout « non – idiomatique ». L’année et le lieu même où Derek Bailey a enregistré ses premiers albums de Company (1977 Riverside Studios), Barry Guy enregistra un furieux trio avec le très free-jazzy Trevor Watts et John Stevens (No Fear)… Barry Guy est avant tout un musicien de confluences, créateur sans étiquette, ni justificatif idéologique.
La plupart des œuvres présentées ici ont été enregistrées en concert durant les années 70 à l’époque où celles-ci ont été écrites à l’exception de Memo I de Bernard Rands enregistrée en 2000 et la composition Anaklasis de Guy lui-même interprétée avec son collègue contrebassiste disparu, Stefano Scodannibbio. Aussi, étonnamment, il intervient vocalement dans Voicings de John Anthony Celona et dans Ausdrücke – Rondo für einen Clown d’Hubert Stuppner. Sont reproduites, deux lettres de Iannis Xenakis à l’occasion de l’enregistrement et d’une performance par Barry Guy de Theraps de ce compositeur.
Ce qui frappe à l’écoute c’est la vivacité et l’énergie à l’archet de Barry Guy au-delà de la précision de jeu, le sens de la dynamique, les changements fréquents d’intonation, la spatialisation de son travail sonore et le magnifique frottement en spirales des cordes à proximité du chevalet. Il y a une puissance organique et expressive similaire à celle du Barry Guy improvisateur, même s’il arrive souvent à celui-ci de nombreuses outrances bruitistes, des actions sauvages et provocantes. On se souvient de l’avoir vu frapper les cordes avec une grosse brosse à crin « pour se frotter le dos sous la douche » et une violence gestuelle. Mais derrière cette apparence sauvage et décalée , on entend tout la maîtrise instrumentale qui resplendit tout au long de ces enregistrements du passé. Par la grâce d’un minutieux et magique traitement des enregistrements d’archives par l’unique ingénieur du son Ferran Conangla, on entend ici une musique miraculée, sauvée des aléas de la conservation des bandes magnétiques, comme si tout cela était pur et neuf. Ces six interprétations musicales font corps, cas unique, avec sa musique improvisée « libre » et son free – jazz, le trio Evan Parker Barry Guy Paul Lyttons qui en réalise la synthèse, ses compositions et les orchestres dont il est responsable, sans barrière mentale, ni explication fumeuse. PLAYS est un document de première main d’une personnalité exceptionnelle et sans doute le tremplin vers la musique de ses albums solos Fizzles et Symmetries. Si d’un point de vue stylistique, cette musique, fidèle aux intentions des compositeurs, est bien différente de celle de Barry Guy en solo (cfr Fizzles & Symmetries), le feeling et l’énergie de l’improvisateur est palpable.
PS : je viens de mettre la main sur une copie de Tai Kyoku, le deuxième album du duo Barry Guy – Evan Parker (label jazz & Now), un concert datant de novembre 1985 à l’aube de la « carrière » du trio avec Paul Lytton où Barry incarne l’improvisation radicale sans concession, implosion – explosion bruitiste du jeu technique de la contrebasse.
Charlotte Hug In Resonance with Elsewhere voice viola Fundacja Sluchaj FSR 05 / 225
https://sluchaj.bandcamp.com/album/in-resonance-with-elsewhere
Performances en solo enregistrées en jouant/ improvisant simultanément de la voix et de l’alto ou viola en anglais, instrument de la famille des violons avec un registre plus grave que celui du violon. Toute la musique instrumentale est jouée en fonction du chant et de la voix et celle-ci fait corps avec les sons et le jeu de l’alto. Charlotte Hug se présente comme Composer Performer et Visual Artist car si elle construit sa musique avec les intentions spécifiques d’une véritable compositrice, celle-ci se crée dans l’instant avec la spontanéité de l’improvisation contemporaine « libre » en conjonction étroite avec ses propres Son-Icons, larges bandes de papier – tissu suspendues durant ses concerts , créations graphiques - complément organique intime de sa musique. Si ma description semble compliquée, elle nous fait passer son message mystérieux et sensible avec une authentique simplicité. Avec l’archet et son « soft bow », elle irise des sonorités diffuses, tissus d’harmoniques et de drones mouvantes alors que sa voix expire et « aspire » râles, murmures sotto voce, chant opératique étincelant, harmoniques, ululements de sybille, imprécations de fée et ces extraordinaires « percussions » glottales qu’elle module magiquement. La journaliste Annelis Berger la décrit comme une Shaman of Contemporary Music dans les notes de pochette. Je la dirais Voyante, Poète, Sybille de l’Au-delà, Vestale d’un rite imaginaire. Son travail à l’alto évite l’excès démonstratif de la virtuosité technique, celle-ci étant exclusivement et sincèrement au service de la sensibilité, d’une minutieux dosage sonore et vibratoire, d’une concentration sans faille à la recherche du sens profond de son art merveilleux et de l’émotion, vécu à certains moments comme un état de transe. Le raffinement total et une sûreté dans l'exécution simultanée vocale et instrumentale . In Resonance with Elsewhere. Cet Elsewhere : un ailleurs rêvé, d'autres cultures lointaines qui nourrissent la réflexion, l'au-delà entrevu dans la transe musicale ? La musique de cet album se décline en neuf pièces de différentes durées et approches sonores et expressives, superbement enregistrées les 29 et 30 juillet 2023. « No overdubbing or electronic modification was used in Tracks 1 to 6 and 9. Composition with multi-track in 7 & 8”. Mises à part ces deux plages 7 et 8, vous avez droit étonnamment à une musique entièrement acoustique en temps réel sans aucun artifice technologique, si on excepte la technique d’enregistrement avec la « 3D Audio Microphone technology » de Malgorzata Albinska-Frank, une excellente ingénieur son si j’en juge le résultat audio. Je vous jure que vous n’allez pas vous ennuyer tant cette Shaman visionnaire est capable d’incarner de multiples facettes de sa personnalité en se dédoublant de manière vraiment troublante. Charlotte Hug projette une dimension onirique, des vibrations extra-sensorielles, une intimité profonde combinée à une mise à distance d’elle-même dans le feu de l’action, de nombreuses variations de registres, d’intensités, d’émotions et une pluralité de formes dans une synergie assumée de nombreuses inspirations qui se fondent dans une expression tout à fait unique.
Chapeau aussi à l'ouverture de Fundacja Sluchaj, label qu'on pourrait qualifer de "free-jazz" si on considère ses nombreuses publications, et qui s'ouvre ici à un univers qui échappe aux radars pourchassant des esthétiques trop définies. J’avais écrit autrefois une des chroniques commentaires dont j’étais le plus fier au niveau de l’écriture, au sujet de son album Slipway to Galaxies (Emanem 2010) dans lequel Charlotte Hug avait documenté les débuts de cette démarche combinée voix et alto. Le temps a passé et la musique a évolué et s’est envolée dans l’air qui vibre. In Resonance with Elsewhere nécessite de nombreuses écoutes (sans lassitude aucune) pour en appréhender toute la richesse.
Cecil Taylor Unit Live at Fat Tuesday’s February 9, 1980 First Visit Ezz-thetics 101
https://first-archive-visit.bandcamp.com/album/cecil-taylor-unit-live-at-fat-tuesdays-february-9-1980-first-visit
Cecil Taylor Unit Live at Fat Tuesday’s February 10, 1980 First VisitEzz-thetics 111
https://first-archive-visit.bandcamp.com/album/cecil-taylor-unit-live-at-fat-tuesdays-february-10-1980-first-visit
` Enregistrements inédits de l’Unit de Cecil Taylor provenant d’une série de concert dont un large extrait « set » avait été publié par le même label autrefois avec l’étiquette Hat-Hut en double vinyle sous le titre It is in A Brewing Luminous. L’Unit de l’époque avait évolué depuis la trépidante équipée du triple album Hat Hut de 1977, One Too Many Salty Swifts And Not Goodbye. Le groupe était alors composé de Cecil Taylor piano, Raphé Malik trompette, Jimmy Lyons sax alto, Ramsey Ameen violon, Sirone contrebasse et Ron « Shannon » Jackson, le batteur qui jouait à l’époque dans le Prime Time d’Ornette Coleman. L’Unit convié à ce concert a dû se passer de la présence de Raphé Malik, mais se situe dans le sillage du groupe détaillé plus haut : il y a toujours Jimmy Lyons qui disparut en 1986 et le violoniste Ramsey Ameen et Malik malheureusement absent. Alan Silva, un camarade de longue date de Cecil durant l’époque des albums Unit Structures, Conquistador et Student’s Studies (1966) et de la première grande tournée européenne de C.T. L’ébouriffant batteur Shannon Jackson ayant fondé son propre groupe Decoding Society, Taylor a recours au créateur du free-jazz drumming Sunny Murray et du batteur Jerome Cooper, membre du Revolutionnary Trio avec, justement, Sirone et le violoniste Leroy Jenkins qui jouera dans la C.T. Unit dans une mémorable tournée européenne de 1987 documentée par quelques album du label Leo, Live in Vienna et Live in Bologna. D’ailleurs, la musique se développe d’une manière similaire à ces légendaires One Too Many Salty Swifts and Not Goodbye.
Je n’ai jamais compris pourquoi certains chroniqueurs français de Jazz Magazine et de Jazz-Hot semblaient terrifiés par la musique de Cecil Taylor et la préférait en solo (l’album Silent Tongues paru à l’époque de ses concerts à Montreux etc… , le recueil taylorien le plus « lisible »). J’écoute ici la démarche contrapuntique de Cecil bien avant que cela « délire » « free » dans le premier morceau du concert du 9 septembre. On a droit à l’imbrication du rythme et des éléments mélodiques au piano tel un « accompagnement complexe et mouvant qui se fait un écho du blues, du piano jazz moderne entre Monk, Ellington, Bud Powell et Lennie Tristano et quelles harmonies (!!), alors que Jimmy Lyons énonce le « thème » et le restructure systématiquement par tronçons – variations évolutives qui respire les intonations sacrées de son Charlie Parker le plus pur tout en se faisant le devin soufflant du jeu du pianiste. La dualité main gauche - main droite chère au pianistes de jazz est évacuée au bénéfice d'une extraordinaire coordination des doigtés et mouvements des deux mains (mais aussi des coudes, de l'avant-bras)qui se relaientindéfiniment dans un mouvement constant de pulsations changeantes. On mesure aussi l’influence de Bartok, Schönberg et Messiaen. Rien que pour cela, un vrai fan de jazz normal devrait adorer. Par la suite, au fil des minutes cela se complique, chahute, secoue, violente avec une obstination incompressible. En se concentrant sur le jeu précis et multiforme au piano et les spirales exacerbées du saxophoniste (1. February 9, 1980 I – 24 :06 et toutes ces réitérations de fragments thématiques connectés les uns aux autres, leurs variations, extemporisations et extrapolations vitalistes free, on parvient avec une peu d’habitude d’écoute à happer les meilleures idées au vol et à construire - appréhender intérieurement le cheminement extravagant de cette musique. La contrebasse est un peu enterrée et les deux batteurs tourbillonnent dans le maëlstrom, parfois submergés par les assauts insistants des vagues rythmiques – pulsations libérées aux axes dilatés. Et une fois parvenu à un point qui semble une situations de non-retour , c’est l’accalmie. Cecil rejoue autrement la section du début seul ou avec un ou deux acolytes et relance sa quête dans une direction différente pour quelques minutes jusqu’au point où il joue et rejoue les parties mélodiques de chaque tronçon de la composition et de chacun des musiciens tout en se lançant dans de courts tourbillons de note inspiré par le détail de chacune des sections appelant chacun d’eux à intervenir dans une subtile constructions aux motifs et dimensions mouvantes .. et toujours avec ces scansions, cette conception ultra- et poly- rythmique qui n’appartient qu’à lui. C’est une musique construite et élaborée dans une vision constructiviste où le ou les début(s), les variations, les sections secondaires ou successives s’imbriquent avec une incroyable complexité dans une débauche d’énergies et de tensions qu’on retrouve chez très peu d’artistes dans cet idiome (Schlippenbach – Parker – Lovens, par exemple). Dans cet univers strictement « atonal » et abruptement « clusterisé » règne une grand ouverture formelle. Il convient de considérer la coexistence au sein de l’Unit entre le langage blues post-parkérien exacerbé de J. Lyons et les folles frictions ensauvagées du violoniste Ramsey Ameen à l’archet sur les quatre cordes écrasées sans pitié sur la touche dans un sciage furieux, crissant et virevoltant qui compresse les fréquences comme dans une matière picturale abstraite. Il faut une évidente habitude d’écoute et une certaine expérience pour s’orienter dans cet éclatement du continuum spatio-temporel. Fort heureusement, j’ai pu m’exercer à écouter les deux faces de Conquistador (lp Blue Note avec Andrew Cyrille,J.Lyons, Bill Dixon,Henry Grimes et Alan Silva) et les quatre morceaux d’Unit Structures… qui aujourd’hui paraissent bien courtes et concentrées par rapport à la distance et la durée parcourueq lors de ces deux concerts – fleuves. Vous pouvez très bien décrocher un moment, penser à autre chose et vous replonger dans la musique quand des passages incroyables surgissent et happent toute vos capacités perceptives et émotionnelles comme dans un rêve (cfr la fin de 2. February 9, 1980 II (20:43) ou la partie vers les 8-9 minutes de 3. February 9, 1980 III (21 :17), avant les vocaux forcenés du leader et la mélopée microtonale au violon. Et quels enchaînements inédits de configurations instrumentales qui délivrent d’autres surprenantes perspectives de l’Unit vers la fin du concert. Extraordinaire ! Les deux enregistrements reproduits ici me semblent plus lisibles que ceux parus dans le double vinyle Hat Hut de 1981 même si la prise de sons des deux batteurs est un peu trop sourde et confuse, sa spatialisation dans le champ auditif étant déformée. Mais c’est ainsi et ça s’écoute ! Aussi ces deux enregistrements mettent bien en évidence la spécificité de Taylor, le compositeur. Sa musique est basée sur des structures arborescentes semblables à ces arbres africains aux longues branches tortueuses sur lesquelles viennent pousser / s’épanouir/ éclore, rameaux, feuilles, fleurs et fruits.. Les « thèmes » anguleux ou spiralés et multiples riffs de base en sont les branches qu’il enchaîne successivement avec ses musiciens en laissant chacun de ces « tronçons » évoluer et se métamorphoser en folles improvisations organiques accélérées dans une jungle végétale colorée, celle des branches secondaires, rameaux, feuillages, floraisons, lianes, oiseaux, insectes etc… à la vitesse éclair comme si on projetait le film de la vie en quelques instants qui semblent éclater dans un moment d’éternité.
Re … concert fleuve : le total de February 9, 1980 I,II et III s’élève à 66 minutes 8 secondes. Un copain qui, très jeune, a tourné avec Cecil s’est trouvé à jouer des concerts de deux fois deux heures : après les quinze premières minutes, il a eu l’impression qu’il allait mourir ! . Pensez à ce musicien, un des artistes virtuoses parmi les plus brillants que j’ai pu rencontrer en 50 ans de « carrière » d’écouteur. Alors, vous en prendrez bien pour 20-24 minutes sans ciller.
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