17 août 2020

Neil Metcalfe John Edwards Marcello Magliocchi Daniel Thompson Adrian Northover / Benedict Taylor/ Ivo Perelman & Arcado String Trio/Adam Bohman Sue Lynch Ulf Mengersen & Adrian Northover

The Runcible Quintet Three Neil Metcalfe John Edwards Marcello Magliocchi Daniel Thompson Adrian Northover FMRCD565-0120 https://www.subradar.no/album/runcible-quintet/three-0

Collectif égalitaire, les musiciens improvisateurs du Runcible Quintet assument tous les rôles sauf ceux dévolus conventionnellement à leurs instruments respectifs. Guitare, Daniel Thompson ; flûte baroque, Neil Metcalfe ; saxophone alto et sopranos, Adrian Northover; contrebasse, John Edwards : percussions, Marcello Magliocchi. Chaque musicien explore les sons possibles sur son instrument (Magliocchi, Northover), mais aussi des aspects mélodiques subtilement microtonaux (Metcalfe, Northover), techniques de souffle alternatives (Northover), clusters dissonants (Thompson), percussivité aggressive (Edwards), harmoniques (Edwards, Northover), lyrisme (Metcalfe, Northover, Edwards), micro-percussion semi aléatoire (Magliocchi), vibrations de métaux frottés (Magliocchi), motifs cycliques (Thompson). Atomisation des formes musicales, mais aussi consonances et volutes imbriquées de motifs mélodiques partagés (Metcalfe - Northover) ou ferraillage de la six cordes acoustique. Ces pôles de recherches de timbres et d’effets, de lignes et de courbes, d’exaspération ludique, évoluent et interagissent au travers d’un processus sensible d’écoute, d’empathie sonore, de réactions instantanées faites de contrastes, de contraintes et d’affinités. Équilibres : deux cordes , deux vents et les deux mains du percussionniste. Chaque musicien entretient son univers personnel sans pour autant jouer un rôle ou dans un style ou registre prédéfini, mais s’ouvre à de potentielles métamorphoses, égarements de l’action, parfois au bord du silence. En essayant, en cherchant, on trouve, on abandonne, on se réunit. Durant la longue suite de « one » de 30 : 43, on se plaît à les suivre à la trace dans une évolution sans début ni fin, tuilages, brisures, enchaînements ou interpénétrations de séquences, de lignes et de flux. Two (5:33) : notes tenues des vents et bruissements tintements et sifflements des percussions métalliques en suspension. On ne saurait en évaluer la durée (une ou cinq minutes ?) ni même qui joue quoi. Three (4:26) : une synthèse habile des points forts du groupe et envols soudains du quintet, contrepoints et interactivité de trouvailles instantanées. Final en consensus avec un coup d’archet sensuel. The Runcible Quintet n’est pas intéressé à produire des chefs d’œuvres, ou à concevoir de manifestes idéologiques en -ismes, ou encore concentré sur une unique « direction musicale » - style distinctif. Mais plutôt dans une pratique musicale essentiellement ludique, sensible où chaque musicien donne et trouve ce qui le touche et ce que les autres lui inspirent. Un mouvement instantané, le temps qui fuit, un échange partagé plutôt que des formes musicales tangibles, formatées, compartimentées. Quelque chose de secret et d’indéfinissable apparaît et s’échappe dans des rhizomes défiant le sens commun. L’improvisation. Si ces musiciens excellent à brouiller les cartes, il faut souligner que ces instrumentistes ont une solide expérience de toute une vie à jouer des musiques plus répertoriées, formelles : classique, jazz, cross-over, chanson, post-rock…Derrière cette folie douce et cet éclatement des formes, on entend, ressent, devine un travail intense, une discipline instrumentale, un travail de recherche, une réflexion sur la musique et la vie.  

 

Benedict Taylor Swarm https://benedicttaylor.bandcamp.com/album/swarm

 

Pas moins de cents couches d’alto et de violon et une de guitare, écrites ou improvisées par Benedict Taylor, un spécialiste du « violon » alto et un des piliers incontournables de la scène improvisée britannique. Que dire à l’écoute de cet OVNI comprovisationnel, collage hors normes de séquences empilées, imbriquées, tuilées, en un étonnant dégradé tonal où un écart savamment calculé entre chaque note jouée et étendu à une bonne partie de ces ondulations sonores de violons crée une fascinante illusion de mouvement croisé descensionnel / ascensionnel. Minimalisme, drones, micro-tonalité, les définitions s’égarent… Au fil des quatre parties de cette œuvre monolithique, on la voit se différencier dans des embranchements différents comme dans le delta d’un fleuve. Chacun de ses bras se réalise dans un parcours sinueux ou linéaire, des mouvement contraires se dessinent, des variations de densités , des colorations s’étalent et l’écoulement ralentit, les aigus fusent et des contrepoints organiques s’interposent. Benedict a entièrement conçu, composé, joué, improvisé des séquences, monté, collé, mixé. Des extrêmes cohabitent, un tutti se ramifie s'étale et implose. Un travail de bénédictin des temps modernes, serait-on tenté de dire, alors que le monstre triadique pointe sa tête sulfureuse. Une œuvre étincelante, hantée et unique.

 

Ivo Perelman & Arcado String Trio Deep Resonance Fundacja Sluchaj

https://sluchaj.bandcamp.com/album/deep-resonance

 

Arcado String Trio fut il y a vingt-cinq ans un des quelques ensembles à cordes les plus en vue dans l’univers du jazz créatif entre « free » et pratique « post-classique ». Trois musiciens superlatifs : le violoniste Mark Feldman, le violoncelliste Hank Roberts et le contrebassiste Mark Dresser. Personnalités musicales passionnantes, ils ont travaillé séparément avec la crème de la crème : Anthony Braxton, Marylin Crispell, Dave Douglas, John Zorn, Marty Erhlich, Uri Caine, Ned Rothenberg, etc… Tout récemment, Mark Feldman  et Hank Roberts ont participé chacun à l’un des enregistrements de Strings 1 et 2 du saxophoniste Ivo Perelman, un projet qui mettait en évidence les instruments à cordes frottées dans l’univers du souffleur brésilien, lequel est coutumier du fait. En effet, on l’a entendu très souvent ces dernières années avec l’altiste Mat Maneri dans de nombreux enregistrements détaillés dans ces lignes. Ivo a aussi enregistré par le passé avec des quartettes à cordes « improvisé-jazz » (The Alexander Suite with the C.T. String Quartet &– The Passion According to G.H. with the Sirius Quartet). J’ajoute encore que Mark Dresser a aussi enregistré trois albums avec Perelman (Suite For Helen F., En Adir et Sound Hierarchy). Avec ces expériences antérieures et les nombreuses qualités  de ces musiciens, ma curiosité est piquée au vif. Cette association suscite dès le départ un fort intérêt et l’écoute émerveillée de Deep Resonance répond à toutes les attentes ! Il y a réellement une Deep Resonance dans leurs quatre improvisations collectives et cette résonnance profonde se révèle à plusieurs niveaux, sonores, intimes, formels, interactifs. Une réelle plénitude et une communauté partagée dans l’instant et à travers la personnalité de chacun affleure à chaque instant. Le souffleur a pris le parti de jouer « à l’intérieur » du trio à cordes comme s’il était un violon ténor. Son style tend à distendre les intervalles en ajoutant ou diminuant chaque ton et demi-ton recréant ainsi sa propre échelle (micro)tonale. Sa voix instrumentale hausse les notes aiguës du sax ténor dans un élan lyrique au-delà du registre prévu avec des glissandi très personnels.  On le reconnaît immédiatement dès les premières notes, comme Trane, Lacy, Ornette,… . Feldman, Roberts et Dresser adaptent souvent leurs doigtés de manière à coïncider avec ces agréments. Dès les premières minutes, une empathie, une symbiose se crée. La musique est devenue tout autant Arcado que Perelman. Tout au long des quatre longues improvisations (17 :46 – 8 :51 – 9 :26 – 8 :42), chacun invente et trouve des modes de jeu qui lui permettent de s’exprimer avec originalité et de mettre en valeur l’ensemble, dans des mouvements concertés, parallèles, contradictoires, en pizzicato ou à l’archet. Mark Feldman dialogue alternativement avec Ivo Perelman ou Hank Roberts lorsque le saxophoniste fait une pause. Le contrebassiste tisse des liens invisibles équilibrant le tangage du navire comme un timonier qui connaît par cœur toutes les passes. La teneur des échanges évoluent dans de lentes métamorphoses, chacun proposant des motifs ou des couleurs qui entraînent le groupe à changer la qualité sonore particulière de leurs jeux respectifs. Les trouvailles mélodiques circulent naturellement d’un instrument à l’autre et ils s’échangent les rôles comme dans une démocratie participative et active. On trouve aussi une dimension africaine dans les pizzicati du violoncelliste. Qu’un improvisateur sache faire feu de tout bois en enchaînant des phrases superbes au départ de ce qui semble être un accident sonore est déjà une chose merveilleuse. Avec Arcado + Perelman, cette propension est démultipliée et amplifiée car, on le notera volontiers, jouant d’instruments de la même famille des cordes frottées des violons, une émulation toute spéciale, un fort sentiment de partage et de communication musicale s’établit nettement plus aisément et intensément que s’il s’agissait d’autres instruments. On est donc aux anges. Et Ivo Perelman, fort heureusement, s’y intègre à merveille, même lorsqu’il va étirer et mâchonner les harmoniques les plus hautes. La communication interne du groupe fonctionne sur une multitude d’éléments propres à la grande libre improvisation : le moindre timbre, un accent précis, une couleur rare, des bruissements fugaces, une friction de la corde contre la touche, des bourdonnements, un voicing imprévu. On entend d’infimes détails se répercuter sous les doigts (ou les lèvres) avec une finesse innée, indescriptible. Les nuances, les nuances…  Et donc l’écoute est nourrie, stimulée, enrichie constamment dans une plénitude quasi paradisiaque. Une communauté spirituelle, sensitive, une éthique de la musique jouée à, plusieurs. Comme par hasard, sous les doigts du violoniste, un imprévisible parfum de samba (Ivo est Brésilien) s’instille pour être insensiblement haché menu par les inventions sonores et les glissandi de l’un et de l’autre (part 3). Musique colorée, intime, légèrement épicée, sensible, vécue avec autant de sagesse que d’intensité, expression d’une langueur et d’une patience infinie et d’une vivacité électrique selon les nombreux instants dont on aurait peine à tenir le compte. Ne comptez plus, écoutez cette merveille.

 

Grappling with the Orange Porpoise The Chemical Expansion League : Adam Bohman Sue Lynch Adrian Northover Ulf Mengersen Creative Sources cs 646 cd


Lutter avec le marsouin orange, c’est le titre du nouveau et premier cd de The Chemical Expansion League dont fait partie Adam Bohman, légendaire improvisateur aux objets amplifiés et poète (surréaliste selon Steve Beresford) à qui ses collègues laissent très souvent toute liberté pour inventer noms de groupes, titres d’albums et de morceaux. Il est en bonne compagnie ici avec les deux amis avec qui il organise le Horse Improv Club au I’Klectic Arts Club, situé Old Paradise Yard, Carlisle Lane SE1 au beau milieu d’un jardin alternatif occupé par des ateliers et des lieux de travail. Pour chaque concert et pour la pochette de Grappling, Adam crée un collage coloré (affiche), tandis que les saxophonistes Sue Lynch et Adrian Northover mettent au point dates, programme et invités, ainsi que la réservation d’I’Klectic, devenu au fil des ans un lieu incontournable. Dans ce Grappling with Orange Porpoise, le trio du Horse Improv Club s’est adjoint le contrebassiste allemand Ulf Mengersen, qui lui a fait exécuter le mixage par Dietrich Petzold à Berlin. D’un morceau à l’autre, règne une grande lisibilité : on distingue clairement les musiciens. Les frottements de la contrebasse à l’archet, les interventions lunaires du sax soprano d’Adrian Northover, le souffle pensif et mesuré du ténor de Sue Lynch et les grattements, sifflements, frictions en tous genres d’Adam Bohman sur la surface des objets collés ou ligaturés sur sa table se croisent paisiblement, flottent dans l’espace, les musiciens alternant leurs phases de jeu et de silence de manière à ce qu’il y aient deux ou trois des quatre membres de la Chemical Expansion League occupés à jouer en même temps. Ce qui est un peu normal : quand on fait de la chimie expansive, il faut doser les ingrédients et les ajouter un par un avec précaution et minutie, sans quoi on risque l’explosion. Ceux qui confondent improvisation libre avec bordel généralisé où tout le monde joue  à tout moment en même temps devraient un peu s’informer ou écouter le compact de la Chemical Expansion League. Les dix improvisations ici enregistrées portent des titres à coucher dehors (NB à Londres, vu les distances, cela risque de vous arriver si vous allez écouter Adam tard au sud de la ville). Inspiration Bohmanesque. Je vous en cite quelques-uns pour votre édification : Seagull Semaphore Slump, Adolescent Steamroller Stomp, Financial Celery Expletive Binge, Broken Thermos Flask Fiasco. On se demande si les titres ont quelque chose à voir avec leur musique. Moi-même, je ne me pose plus la question.  En effet, pour un des albums d’un groupe avec Adam auquel  j’ai participé (I Belong To The Band), Bakers of the Lost Future, c’est moi-même qui avait inventé les titres de l’album et des morceaux : Elephant Pastry Dream, Gastric Samba Honkers, Intergalactic Gulash Vs Sneezawee Gaspacho, pastichant mon collègue. Et bien sûr les musiques respectives des deux groupes n’ont rien à voir. La musique du marsouin orange lutteur fait plutôt penser au flegmatique cormoran qui attend immobile son heure pour saisir sa proie. Ce qui compte pour les trois instrumentistes « conventionnels », c’est de jouer avec la dynamique idoine pour qu’on entende clairement le moindre son de l’objétiste. Torture de la carte de crédit, crissement de pinces à linge amplifiés, ressorts caressés avec un ampoule électrique, archet sur un coupe à bière belge d’abbaye, crissements de cordes de guitare attachées à une boîte plastique, etc... Ulf Mergesen a préparé sa contrebasse, Adrian Northover, sax soprano et alto, joue aussi du wasp synthesizer et du melodica, Sue Lynch, au sax ténor, double à la flûte ou à la clarinette. Adam Bohman, un adepte du bruitisme pur, est crédité prepared strings, en sus des objets amplifiés, soit des cordes (de guitare, violon, élastique, mais aussi tranche-tomates ou ressorts) qu’il gratte délicatement, paisiblement, une ou deux à la fois. Les trois autres ont toute la sensibilité voulue pour évoluer en cherchant les sons avec une dynamique, un feeling et des étirements de notes qui font que notre oreille se penche sur les grattouillages, crépitements et frottements de leur poète de collègue. Les notes des souffleurs semblent s’échapper hors de l’espace comme dans Adolescent Steamroller Stromp. Le mixage de Dietrich Petzold est exemplaire. De beaux instants de poésie, la chimie du quartet fonctionne.

 

13 août 2020

Maggie Nicols John Russell Mia Zabelka/ Yorgos Dimitriadis & Achim Kaufmann/ Derek Bailey Will Gaines Simon H Fell Mark Wastell/ Trevor Watts solo

W : Trio Blurb Maggie Nicols John Russell Mia Zabelka evil rabbit records 27



Enregistré par Tim Fletcher le 16 septembre 2017 au discovery festival et le 13 mars 2018 par saint austral sound au horse improv club / i’klectic , Londres. Wilcumestowe (19 :18) et Work and wild (27 :33).

John Russell avait déjà fait mine de me filer le compact, mais le fil de notre conversation avait dévié. J’ai profité de ma participation à son Quaqua Festival d’août 2019 pour acheter ce beau document et je ne le regrette pas. J’avais déjà reçu le Trio Blurb (Extraplatte) en 2013 et ce deuxième opus monte de deux ou trois crans le régime de cette formule voix – violon – guitare pour le moins originale. La violoniste autrichienne Mia Zabelka est une improvisatrice sensible et compétente dont l’esprit et le traitement sonore de son instrument s’agrègent très bien dans les univers conjoints et très particuliers du guitariste acoustique John Russell et de la chanteuse Maggie Nicols. John Russell a développé un style original à la six cordes non amplifiée, une éthique sourcilleuse et un mode collaboratif très ouvert faisant de lui un fils spirituel de John Stevens et Derek Bailey, s’ingéniant à jouer pour mettre en évidence le meilleur chez ses compagnons d’un soir ou de tournée. 

        Maggie Nicols est une réelle innovatrice dans le domaine de la libre improvisation au même titre que tous ces musiciens légendaires, Bailey, Rutherford, Stevens, Parker, Guy, Prévost, Lovens, Van Hove etc… Elle chantait déjà librement avec John Stevens et Trevor Watts (Berlin TMM 1968), mais aussi avec Terry Day et Lol Coxhill, bien avant que le concept d’improvisation libre européenne « non-idiomatique » se détache de l’univers du free-jazz. Sa voix se mue irrévocablement dans les incarnations successives de la révolte, de la pureté, du plaisir, de l’amour, ... en jouant spontanément avec les couleurs, le timbre, la dynamique, les intervalles et l’expression d’affects profondément vécus ou outrageusement surréalistes. Elle fait éclater les gammes sauvagement en appliquant les principes du dodécaphonisme à sa sauce, susure brièvement historiettes et tranches de vie improbables, étire le timbre en glissandi aux contours constamment renouvelés, râcle son gosier comme une oiselle affamée, des mots inintelligibles s’entrechoquent dans sa mâchoire hébétée. L’art de la conversation intime avec un interlocuteur imaginaire, lequel peut se révéler être chacun d’entre nous.  

           Les deux cordistes ont un malin plaisir à transformer leurs instruments en caisse de résonance des stries de l’espace – temps, compressions d’harmoniques folles sur la touche, archet ou plectre virevoltant sur le chevalet et la surface des cordes, grattant, piquetant, virevoltant. Vision pointilliste et sonique – acoustique de la musique, contorsion bruitiste du geste musical, sifflements gracieux, balancements de notes fantômes (harmoniques) et d’intervalles savants – harmonies schön-bergiennes.  Mia et John sont littéralement happés par la magie du trio et les vocalises visionnaires et improbables de la chanteuse, Maggie, l'unique. L’inspiration de Maggie fait feu de tout bois, recyclant sa mémoire musicale et le fruit toutes ses expériences pour continuellement enchanter l’instant en alimentant l’imagination de ses deux condisciples, tous deux superbement au diapason et sur une autre planète.

          W : double you. Chacun joue – chante avec un double toi-même – moi-même dans une forme triangulaire, perçue, sentie, ouïe sur tous les angles comme une pyramide parfaite en rotation  permanente dans l’espace et la lumière. W : Vivant Maggie, Mia et John !!

     PS : Il y a finalement peu d’albums avec Maggie Nicols ce dernier quart de siècle et celui-ci est une pure merveille. Je viens aussi de chroniquer Myasmo , l’excellent album solo de Mia Zabelka pour Setola di Maiale. Notez aussi John Russell : With / Emanem 5037. 

 

Nowhere One Goes Yorgos Dimitriadis & Achim Kaufmann jazzwerkstatt

https://yorgosdimitriadis.bandcamp.com/album/nowhere-one-goes


Piano et percussions préparés et gémellés. Yorgos Dimitriadis, batteur provenant de Thessalonique, a ajouté un module électronique pour différencier et enrichir ses sonorités. Achim Kaufmann, pianiste originaire d’Aix-la- Chapelle, joue autant sur le clavier (rêveur, anguleux, …) que dans les cordes et sur les mécanismes de résonnance (Marbles). Est-ce une coïncidence, mais la vieille chapelle palatine d’Aix-la Chapelle (8ème s.), est une des rares cathédrales construites avec un plan byzantin. Quatre dialogues fins, méticuleux autant basés sur les sonorités que sur une forme de lyrisme contemporain et un usage remarquable de pulsations étirées et d’accords désagrégés de notes en suspension mêlées au souffle vibratoire timbres métalliques (Samaris). En suivant l’écoute de ces quatre improvisations aux contours à la fois déterminés (intentions initiales) et ouverts (idées et lueurs qui surgissent), on découvre un superbe parcours faits de nuances, d’émotions, d’entrelacs de doigtés subtils et de frappes en cascades tournoyantes (Ersilia). Les sifflements métalliques et frottements / bruissements joués par les deux musiciens semblent sortir d’une seule et unique machinerie bruissante. Remarquable synthèse/ empathie de récents courants au sein de l’improvisation radicale et du jazz libre créant un univers sonore onirique à la fois cohérent et des frictions hétérogènes. À noter l’inventivité diversifiés des frappes de Dimitriadis à la percussion et la superbe qualité de toucher de Kaufmann. Un excellent opus !!

 

Virtual Company : Derek Bailey Will Gaines Simon H.Fell Mark Wastell confront core series/ core 12

https://confrontrecordings.bandcamp.com/album/virtual-company


Derek Bailey, Will Gaines, Rhodri Davies, Simon H.Fell et Mark Wastell formèrent, il y a une vingtaine d’années, une édition vraiment passionnante de Company, le groupe à géométrie variable de Derek Bailey. Guitare électrique et acoustique, tap-dancing, harpe, contrebasse et violoncelle. Concerts et enregistrements en G-B, à Marseille (Company in Marseille Incus CD 44/45), New York et au Klinker Club/ Sussex Pub (Company – Klinker /Confront Core). Pour son 50ème anniversaire, Mark Wastell, le violoncelliste, avait voulu faire revivre ce groupe. Mais, malheureusement, Bailey et Gaines nous ont tous les deux quitté depuis bien des années. Simon H.Fell, le contrebassiste, suggéra alors de créer une présence virtuelle en utilisant et en éditant des enregistrements solos provenant de disques de Bailey et des cassettes de Gaines. Il mit au point un stock de fragments de durées différentes en insérant des pauses silencieuses. Aux membres du groupe survivants d’improviser avec cette sélection lors d’un concert tenu au Café Oto le 2 mars 2018 marquant aussi la sortie du cd Company - Klinker. Suite à une importante chute de neige, ce fut par miracle que Simon et Mark parvinrent à Dalston avec leurs instruments, Rhodri et sa harpe restant immobilisés. Ces trois musiciens forment un groupe toujours actif, IST, depuis 1995 et ont pas mal enregistré jusqu’à ce que Simon ne nous quitte prématurément le 28 juin dernier. Sans doute Mark a voulu publier cet album pour (aussi) honorer son cher ami disparu, une personnalité engagée, brillante, extrêmement douée et très généreuse . 

       Son arrangement sonore virtuel avec Bailey et Gaines est intitulé (re)Composition N° 81 (for Mark) et sa réalisation dure 46 minutes treize secondes. Les notes de pochette contiennent un texte de SHF expliquant les tenants et les aboutissants de ce projet et de son bienfondé par rapport à la démarche improvisée « non idiomatique » de Derek Bailey. Peu importe, ce qui compte c’est d’écouter si le jeu vaut la chandelle. Je n’étais pas présent et je me contente d’écouter le présent album. Une remarque s’impose. On entend clairement que le son de la guitare de Derek Bailey provient d’une enceinte d’haut-parleur et sa dynamique sonore est assez différente de celle des deux musiciens vivants sur scène. Le crépitement des claquettes sur le sol de Will Gaines crée une percussion inhabituelle agrémentée d’un monologue adressé au public de sa performance solo lors de l’enregistrement de celle-ci. L’ensemble sonne de manière curieuse et suscite souvenirs, supputations, sentiments nostalgique, surprises. 

        Pour les fans de Bailey, ce sera un jeu de devinettes pour retracer les albums solos dont sont extraits les fragments utilisés. À coup sûr Aïda, Incus 40. Il s’agit à mon humble avis d’une curiosité discographique qui souligne l’apparence extrême de l’improvisation libre et son irréductibilité. Parmi les 46 minutes, se trouvent des moments qu’on pourrait choisir comme remarquables et que, peut-être, Derek Bailey aurait édités et conservés en les détachant de l’ensemble. Allez savoir ! Cette formule « virtuelle » est sans doute une piste intéressante à suivre spécialement en studio et en éditant des séquences réussies. Derek a réalisé ce procédé avec Han Bennink dans leurs Post Improvisation 1 & 2, Incus CD 34 et 35. N’hésitez pas à suivre Confront Recordings, il y a souvent de très belles surprises, dont plusieurs albums du trio IST.

 

The Lockdown Solos Trevor Watts Hi4Head HFHCD029


Nick Dart a dédié son label HiFourHead à la personne du saxophoniste Trevor Watts et de ses projets et rééditions. Ces magnifiques Lockdown Solos enregistrés tout récemment pour combattre la morosité et l’absence de concerts sont tout à fait exemplaires d’une expression constitutive / issue du jazz où l’artiste va glaner son inspiration dans d’autres cultures tout en se nourrissant du langage du jazz moderne. Au sax alto, on songe inévitablement à Art Pepper, Eric Dolphy ou Ernie Henry, et à l’influence modale issue de Coltrane et de la musique celtique. Au soprano, il est un fin mélodiste avec une maîtrise supérieure de l’instrument. Arrivé à l’âge de 80 ans, il a conservé sa magnifique sonorité et une articulation du souffle et des notes peu commune. Quatre compositions au sax alto alternent avec quatre compositions au sax soprano. Ses compositions en solo sont thématiquement et improvisationellement reliées à ses compositions pour ses groupes historiques Amalgam et Moiré Music. Elles donnent l’illusion de tournoyer et se suffisent à elles-mêmes car son jeu suggère une dimension orchestrale avec des rythmiques sous-jacentes très particulières, métriques complexes et variables, suggérées par la précision et la diversification des accents qu’il imprime au flux de son jeu remarquablement articulé.  

      En écoutant ces solos à la file, on arrive à oublier s’il joue l’un ou l’autre instrument, alto ou soprano, car on entend la même voix, inimitable, celle de Trevor Watts. Une saveur unique, un son pur, flamboyant, puissant, chaleureux, des doigtés particuliers et quelle sonorité !! Parmi les altistes les plus merveilleux du jazz libre, sa personnalité incontournable s’ajoute à celles des deux génies tutélaires, Ornette Coleman et Eric Dolphy, et de souffleurs de légende comme Marion Brown, Jimmy Lyons, Roscoe Mitchell ou Sonny Simmons ou son compatriote Mike Osborne, la plupart disparus. Quand on évoque Trevor Watts, on songe maintenant à sa figure de vieux mage, sourire espiègle et rythmique ensorceleuse, magicien du son et de l’invention mélodique réunis. 

8 août 2020

Stefan Keune Dominic Lash Steve Noble/ Carlos Zingaro Ernesto Rodrigues Guilherme Rodrigues Hernâni Faustino José Oliveira/ Andrea Centazzo & Henry Kaiser/ Marilza Gouvea Adrian Northover & Marcio Mattos.

 And Now Stefan Keune Dominic Lash Steve Noble FMR CD583-0520

Si vous aimez l’Albert Ayler des improvisations explosives des albums Spiritual Unity et Prophecy, l’Evan Parker des seventies-eighties, le Brötzmann arcbouté sous le déluge percussif d’Han Bennink ou le Mats Gustafsson d’avec Gush ou Lovens, vous trouverez ici la pièce à conviction ultime. Il n’y a pas de ligne « mélodique », seulement des articulations du son frénétique, des morsures de bec et d’anche, un souffle destroy de cracheur de feu. Le style de Stefan Keune est voisin de l’Evan Parker vitriolé et explosif lorsqu’il jouait en duo avec Paul Lytton ou Derek Bailey ou en trio avec Alex Schlippenbach et Paul Lovens ou de l’extraordinaire Michel Doneda au sax soprano. Après les dix premières dix minutes volcaniques de Well Then (26 :48), s’installe un dialogue égalitaire où les sonorités détaillées explorant les marges de l’instrument créent une vision kaléidoscopique du flux musical. Lorsque se pointe une forme mélodique au sax ténor, cela devient le prétexte pour doubler ou tripler les coups de langue sur le bec et utiliser des doigtés « fourchus » qui ouvrent le champ à la multiplication de fragments mélodiques concassés et superposés comme si la colonne d’air en ébullition était sur le point d’exploser avec une projection d’éclats suraigus et très brefs grognements dans le grave ou le médium. On songe alors à l’éthique du Spontaneous Music Ensemble comme le documente Face To Face avec le percussionniste John Stevens et Trevor Watts au sax soprano. Je me concentre sur la description du saxophoniste car, même si cette musique est égalitaire et collective, il s’agit bien d’un trio cum saxophone ténor, dont les particularités expressives – expressionnistes colorent et définissent leur univers musical. Sous – jacentes à cette déferlante de sons pointillistes, harmoniques suraiguës, sauts de registres, frictions de timbres, exaspérations d’un souffle chirurgical, on perçoit des constructions harmoniques complexes et des variations de doigtés intelligentes qui rendent son improvisation captivante et vous tiennent en haleine.  Durant les quinze dernières minutes de Well Then et le début de Whatsoever (16 :31), le trio construit des flux renouvelés où chaque improvisateur est plongé dans une écoute mutuelle intense en échangeant et partageant leurs recherches individuelles de sonorités, de mouvements et de lignes / courbes / points avec un sens de l’ouverture, une dynamique plus proche du mezzopiano que du forte / fortissimo, registre obligé du hard free-jazz. Toutefois, la lave couve sous la cendre : on sent que les esprits s’échauffent et tout-à-coup, le moteur s’emballe au régime maximum, la batterie de Steve Noble éclate, et le souffle dément de Stefan Keune hache menu le son orgiaque du ténor : l’expressionisme nihiliste maximum est cisaillé par son articulation délirante envoyant dans l’espace scories, notes écrasées, déchirures du timbre, éclats d’une exceptionnelle brièveté. Les tripes à l’air. C’est la notion du temps qui se fracasse. Dans le troisième et dernier morceau, Finally (23 :18), le trio remet le couvert en renouvelant l’ordonnancement des échanges. La contrebasse acquiert plus d’espace et on découvre que le jeu de Dominic Lash se nourrit subtilement de la réthorique du saxophoniste en l’adaptant aux caractéristiques du grand violon. Le batteur organise avec soin des vagues percussives en crescendo sur le long terme alternant ses accents et espaces blancs en coordination étroite avec les lames de trilles hasardeuses du souffleur, celui-ci toujours impliqué dans son style spasmodique mais avec de belles nuances. Au fur et à mesure que les minutes s’écoulent, la tension monte inexorablement, le jeu devient de plus en plus fourni, intense assez près d’une éventuelle déflagration finale. Steve Noble dose son travail machiavélique en surveillant étroitement la cocotte-minute qui semble menacer, chauffée à blanc. Les énormes pizzicati de Dominic Lash retiennent l’ensemble à la surface du sol, et vers la seizième minute, le contrebassiste joue seul un moment, puis initie un échange pointilliste avec le souffleur où il explore les vibrations des cordes à l’archet avec un travail remarquable sur le timbre, les harmoniques, filant et cardant le son, percutant la touche, alors que Keune sollicite des suraigus à peine audibles sur une ou deux notes triturées à l’extrême. C’est presque dans un silence fantomatique que disparaît la musique se réduisant dans un decrescendo spontané, mais joué de mains de maîtres. C’est sans nul doute, un des performances collectives d’improvisation radicale impliquant un sax ténor, celle-ci aussi violemment expressionniste et spontanée qu’austère et méthodique, les plus étonnantes qu’il m’a été donné d’écouter par le biais d’un enregistrement, dont la réécoute permet la compréhension de son cheminement et l’analyse du processus précis. Fascinant ! Le trio Keune/ Lash/ Noble a déjà un solide opus vinyle chez No Business (Fractions) dont il prolonge et améliore la facture et les procédés avec cet exceptionnel And Now. J’ajoute encore que si Steve Noble est fort sollicité par une kyrielle de poids lourds de la scène (Evan Parker, Alan Wilkinson, Joe McPhee, Peter Brötzmann, Alex Hawkins,  Alex Ward, Yoni Silver etc…) et Dom Lash pareil avec de nombreux projets (Alex Hawkins, Alex Ward, Pat Thomas, Mark Sanders, Tony Buck, Tony Bevan, Chris Cundy), l’évolution discographique / événementielle de Stefan Keune est clairsemée MAIS parsemée d’albums incontournables, entre autres, avec le guitariste John Russell (Excerpts and Offerings/ Acta et Frequency of Use/ NurNichtNur), le contrebassiste Hans Schneider et le batteur Achim Kramer (The Long and the Short of It / Creative Sources et No Comment/ FMP) et en solo (Sunday Sundaes / Creative Sources). Un album duo avec Paul Lovens, Live 2013 / FMR et cette pièce d’archives de 1993, Nothing Particularly Horrible / FMR avec Russell, Schneider et Paul Lovens. L’intérêt de l’auditeur curieux sera récompensé car, d’un de ces albums à l’autre, on l’entend au sax alto, au sax sopranino (engin difficile), au ténor et au baryton et toujours aussi pertinent ! Je vous dis, un client  !  https://stefankeune.com/discography/ On se plaindra qu’un de ses concurrents dans la discipline à l’étonnant don d’ubiquité, Mats Gustafsson, s’est dispersé dans une multitude de compacts, vinyles, ltd edition, coffrets cd's, cassettes, items à encadrer, curiosités quasi-numismatiques, sessions dispensables, projets fumants, dont l'ahurissante exhaustivité sature le fétichisme obsessionnel de la collectionnite. Au point qu’il est devenu aujourd’hui impossible de choisir l’objet rare et révélateur de son talent réel. C’est pourquoi je décrète, qu'en la matière de saxophone free à l’arrache ou au détail, suivez Stefan Keune, vous ne serez pas déçu (tout comme avec Urs Leimgruber et Michel Doneda) ! Ses quelques enregistrements fabuleux resteront toujours à la portée de votre petit portefeuille ou sur un coin choisi de votre étagère sans envahir votre espace vital et vous aurez le loisir de les apprendre par cœur. La musique du cœur en fait !

 

Pentahedron Carlos Zingaro Ernesto Rodrigues Guilherme Rodrigues Hernani Faustino José Oliveira. Creative Sources CS 642 CD

Quintet à cordes plus percussion dans un mode improvisé contemporain à la fois dense et aéré, éminemment collectif et tout en finesse. Violon – Carlos « Zingaro » Alves, alto – Ernesto Rodrigues, violoncelle – Guilherme Rodrigues, contrebasse – Hernâni Faustino et percussions - José Oliveira. L’ensemble opère avec des interventions millimétrées de chaque cordiste individuellement et des voicings à deux, trois ou quatre telle une constellation de frottements d’archets en métamorphose permanente aux sonorités étirées, compressées ou élancées traçant des volutes sinueuses ou des ostinatos d’harmoniques se transformant en cadences composites. Une seule longue improvisation évolue par paliers d’agrégats opaques ou diaphanes, séquences fugaces ou drones agglutinantes en mutation constante ou un silence passager interrompu par des entrechocs col legno, point de départ d’un mouvement plus complexe où les éléments du collectif s’écartent mus par une force centrifuge invisible... alternant ensuite avec une séquence minimaliste. Le percussionniste commente et colore l’ensemble avec une belle dynamique et une inventivité qui découlent des principes mis en exergue par le grand John Stevens. On découvre les possibilités infinies de toucher- gratter – frotter – secouer de la percussion et leurs dimensions finement aléatoires. Finalement, le travail d’Oliveira vient alimenter les réactions instinctives du quatuor cordiste vers un final dont l’intensité et la fréquence des frappes et chocs décroît subitement vers le silence. Que la durée réelle soit de 28 minutes importe peu car les cinq musiciens ont investi le temps en l’étirant, le fragmentant jusqu’à le rendre imperceptible par la grâce des infinies variations musicales, d’arabesques éphémères, de croquis touffus, de pointes élancées, de strates de textures mouvantes … À la fois musique en chantier spontanée et construction raisonnée faite de mouvements distincts et coordonnés soulignant l’intense et lucide écoute mutuelle interactive et proactive. Un véritable chef d’œuvre qui transcende les ismes et tendances inhérentes à la pratique de l’improvisation libre en les fusionnant avec un très grand talent.

 

Above & Beyond Protocol Andrea Centazzo & Henry Kaiser Metalanguage 9103/4 (2017-2019 & 1978).

Protocol est le titre d’un vinyle publié par le mythique label Metalanguage en 1978 où chaque face était dévolue à un duo du guitariste Henry Kaiser et du trompettiste Toshinori Kondo et à un autre duo du même Kaiser avec le percussionniste italien Andrea Centazzo. Cet face B de Protocol est réédité dans un double compact  à la suite de seize nouveaux duos très récents des deux musiciens. Pour retracer les deux artistes, je dirais que Centazzo est un percussionniste original important de la nouvelle scène improvisée des années 70-80 ayant travaillé et enregistré avec Steve Lacy, Evan Parker, Alvin Curran, Derek Bailey, Lol Coxhill, le Rova Sax Quartet, John Zorn, Tom Cora, Eugène Chadbourne, Davey Williams, LaDonna Smith Gianluigi Trovesi… Il est aussi un compositeur intéressant dans plusieurs domaines entre autres pour orchestre et un chercheur dans le domaine de la percussion. Henry Kaiser est un guitariste électrique concentré sur les (pédales d’) effets électroniques avec une carrière assez éclectique et des collaborations avec Derek Bailey, Fred Frith, John Oswald, T. Kondo, des musiciens traditionnels asiatiques et de rock d’avant-garde. Tous deux ont dirigé leurs propres labels, Metalanguage pour Kaizer et Ictus pour Centazzo, qu’ils ont ressuscité pour la bonne cause. Musicalement, le jeu libéré, aéré et très diversifié d’Andrea Centazzo sur ses installations de percussions est un modèle du genre. Quoi que joue son interlocuteur sur ses guitares dans différents registres au niveau amplification et coloration par les effets, le percussionniste trouve instantanément la parade, les sonorités sur les peaux ou les innombrables accessoires métalliques, cymbales, gongs, crotales, cloches rangées avec soin sur un kit démesuré. Il est à la fois prolixe en jouant simultanément des figures contradictoires ou complémentaires en multipliant les frappes diversifiées en alternant et décalant les cadences avec une aisance rare ou concentré minutieusement sur des sonorités choisies . Au fil des décennies de pratique, Henry Kaiser, un résident de la baie San Francisco, est passé maître dans l’élaboration et la coloration de la pâte sonore en dosant l’usage du vibrato et des combinaisons d’effets avec une belle cohérence. Le guitariste prend son temps pour jouer suspendu dans l’espace au-dessus de vagues imaginaires dans le mythique océan Pacifique pour la sauvegarde environnementale duquel il est impliqué corps et âme. On peut entendre au mieux sa sensibilité océanique dans un remarquable Pacific Protocol de 5 :17. On semble y voir des dauphins évoluer sous la surface moirée et translucide vert -bleu du ressac. Sa sensibilité océanique se manifeste aussi dans un étonnant Mysterious Protocol dans une dimension sous-marine initiée par de très fins frottements de cymbales à l’archet évoquant le sonar d’un imaginaire Nautilus. Le titre Protocol est marié à toutes sortes d’occurrences : Nostalgic Protocol, Offbeat Protocol, Playing, Ballad, Pacific, Mysterious, Informal, Distant, New Age, Without, Yonder, Sideways, Rattlesnake, Narrative, Conic, Destiny vs Density jusqu’à ce que la face B du vinyle Protocol (102z Protocol, 102y Protocol, 102x jusque 102v Protocol) nous permette de mesurer tout le chemin parcouru tant au niveau musical et sonore que du point de vue de la technique d’enregistrement et de la gravure sur le disque. En clôture de ce fascinant voyage sonore, That Old 355 Protocol. Andrea Centazzo joue aussi du malletkat et d’échantillons sonores et Henry Kaiser de la guitare acoustique. Un excellent double album réalisé avec soin par de merveilleux conteurs – aventuriers des sons.

 

Cájula Marilza Gouvea Adrian Northover Marcio Mattos FMR CD578-0520

 

Enregistré aux Red Hill Studios et à I’Klectic à Londres, cet album merveilleux réunissant la chanteuse Marilza Gouvea, le saxophoniste Adrian Northover et le violoncelliste Marcio Mattos dans un magnifique trio chambriste dédié à la pure improvisation a été publié par le label FMR avec des notes rédigées par moi-même. En voici le texte en anglais.

Three artists involved in the London improvising scene since their earliest youth, all witnesses and actors of the evolution of improvised music and avant-garde jazz. Marcio Mattos has frequented the open circleof this extraordinary music world contributing as a bassist and a cellist to all of the most important exponents/groupings of improvised music. Vocalist Marilza Gouvea is one of those countless quality improvisers who remains a well-kept secret of this sprawling city. Likewise saxophonist Adrian Northover appeared as a strong and important contributor to the scene. In their trio, no individual voice is dominant and everyone fully assumes the freedom to improvise instantly. The only scores consist simply of active listeing to their comrades, and their art lies in their imagination to create in the present moment a sound, a musical counterpart, which distinguishes all from each other and brings them together simultaneously. The volatile articulations of Adrian’s soprano saxophone encircle, comment on and pursue the whispers, phonemes, playful utterances and limpid chants of Marilza. The timbre of her voice expresses intangible feelings through her vocal variations and lends itself to admirable mutations of tone. As if an architect or a landscape designer, Marcio draws subtle bows and feverish pizzicati in fiery cadences and wandering extemporizations, thus creating a fleeting center of gravity. The expressive flow of the wind instrument flies in space like a bird animated by the fluttered jolts of the singer’s voice. The very agile articulation of her voice reveals its full extent by responding with superb expressive ease to the detached interjections of Northover, weaving a lacework of air projected onto shared space. The cellist expands the sounds of his instrument by using electronic effects incorporated into sensitive soundscapes. The thread of collective improvisations crosses many forms, effects, energies, linked feelings, contiguous or intercalated without imprisoning a moment, an image, a coloring in its infinite meanders. A sublime sensitivity is expressed, a dense empathy, a living metaphor, for solidarity, desire, confidence, hope, deepest thoughts and a most immediate fantasy. Wonderful! 

Exemplaire, on frise le chef d’œuvre. Tellement que je le réécoute encore avec le même plaisir, tout en (re)découvrant de nombreuses autres séquences avec ravissement.  

3 août 2020

London Jazz Composers Orchestra Kenny Wheeler Barry Guy Paul Rutherford Howard Riley/Simon Nabatov Max Johnson Michael Sarin/Burton Greene Damon Smith Ra Kalam Bob Moses/John Wolf Brennan Arkady Shilkloper Florian Mayer Tom Götze/Stefano Leonardi Marco Colonna Antonio Bertoni Fridolin Blumer Heinz Geisser/ Alvin Schwaar Bänz Oester Noé Franklé

Préambule : il faut que ce soit clair que mes pages visent quasi exclusivement l'improvisation libre... proprement dite. Il y a parfois des incursions dans le jazz "free" parce que ce sont des racines - origines (cfr mes articles sur Albert Ayler , Paul Bley, Ornette Coleman) afin d'éclaircir quelques points évidents. Ou alors des improvisateurs radicaux qui apportent une pierre étonnante à l'édifice du jazz (Monk par Duck Baker par exemple) ou des "free - jazzmen" qui mettent en pratique les principes éthiques auditifs etc... de l'improvisation libre (hiérarchie, solos, écoute, sensibilité collective assumée comme le duo Ivo Perelman et Matthew Shipp). Bien sûr, j'adore le jazz ! Mais je n'ai pas le temps de m'adonner à une écoute et une écriture tous azimuts, sinon je ne ferais plus que cela. Certains labels et musiciens "plus" jazz (ou autre chose) insistent pour m'envoyer des cd's ou des téléchargements et cela est assez embarrassant.  Comme je ne suis pas un mauvais esprit, je vais essayer ici de me débrouiller avec le jazz jusqu'à la prochaine parution de mon blog qui sera elle, gratinée, et cela, surtout parce que ces musiciens se battent pour s'exprimer et survivre. On est (presque) tous un peu logé à la même enseigne question lieux et dates, conditions de travail. Quand des musiciens ont un réel talent, il ne faut pas se priver du plaisir de l'écoute.  

 

That time London Jazz Composers Orchestra (1972 et 1980). Kenny Wheeler Barry Guy Paul Rutherford Howard Riley. NotTwo MW1001-2.

Musicien incontournable dans l’histoire du label NotTwo Records, Barry Guy nous confie ici des documents historiques datant de 1972 et de 1980 avec des compositions écrites pour son London Jazz Composers Orchestra pour leurs deux premières éditions. Après l’enregistrement de Ode For Jazz Orchestra publié en 1972 par Incus, le LJCO a effectué une tournée en Allemagne dont nous trouvons ici deux prises de sons « écoutables » d'extraits de concerts aux Berliner Jazz Tage de Berlin et aux Donaueschingen Musik Tage. Ensuite, cet orchestre s’est réactivé en 1980 avec, entre autres, la présence des deux Peter, Brötzmann et Kowald pour l’enregistrement de Stringer (FMP – SAJ réédité par Intakt en cd)). Ce qui rend ce document vraiment intéressant, c’est la toute première fois qu’on entend enfin des compositions écrites pour l’orchestre par d’autres compositeurs que Barry Guy lui-même. Ode et Stringer, les deux seuls albums produits à l’époque  furent l’œuvre exclusive de Guy, alors que d’autres compositeurs membres du LJCO avaient contribué à enrichir leur répertoire et pas des moindres : Paul Rutherford, Kenny Wheeler, Howard Riley et Tony Oxley. Barry Guy a dû sélectionner des enregistrement suffisamment audibles pour être publiés et des témoignages probants pour qu’on puisse évaluer à sa juste mesure les possibilités et l’envergure des réalisations orchestrales de cet orchestre encore plus intéressant que légendaire. Légendaire parce que le LJCO rassemble une brochette de d’aventuriers incontournables de la musique improvisée européenne et que des grands orchestres free de ce niveau qui « ont duré » se comptent sur les doigts d’une main. Il y a bien sûr quelques instrumentistes de haut vol issus du classique et du jazz « de studio » comme les trombonistes Paul Nieman et Mike Gibbs, le tubiste Dick Hart, le saxophoniste John Warren, mais surtout un contingent qui ferait frémir aujourd’hui n’importe quel organisateur avisé. Pour l’année 1972,  Kenny Wheeler, Harry Beckett, Marc Charig et Dave Holdsworth aux trompettes, Paul Rutherford au trombone, Trevor Watts, Evan Parker, Mike Osborne et Alan Wakeman aux saxophones, Howard Riley au piano, Derek Bailey à la guitare électrique, Barry Guy, Chris Laurence et Jeff Clyne aux contrebasses et Tony Oxley et Paul Lytton aux percussions. Durant cette tournée de 1972, c’est le Professeur de Composition de Barry Guy qui dirige l’orchestre, Buxton Orr. En 1980, outre les deux Peter, on trouve aussi le trompettiste Dave Spence,  le tromboniste Alan Tomlinson, le tubiste Melvyn Poore, les saxophonistes Larry Stabbins et Tony Coe (aussi à la clarinette), le violoniste Phil Wachsmann, John Stevens à la deuxième batterie, Oxley se partageant avec un violon. Exit Holdsworth, Hart, Osborne, Wakeman, Bailey, Lytton. On retrouvera une bonne partie de ces improvisateurs dans la troisième reformation du LJCO qui enregistra Harmos, Theoria, Double Trouble, etc pour Intakt dans les années 80 et 90. Pour les Berliner JazzTage dans la capitale européenne de la free-music, un « Watts Parker Beckett to me Mr Riley ? » très free-jazz et vachement bien coordonné, signé Kenny Wheeler (17 :03). Ça chauffe et les voicings sont fantastiques! Pour Donaueschingen, festival résolument « musique contemporaine » et empire des Stockhausen, Penderecki, Xenakis etc… , un fragment de 17 minutes de Statements III de Barry Guy très dynamique et contrastée constituée de blocs – agrégats sonores plus abrupt. La composition complète durait plus d’une quarante minutes et devait rivaliser avec d’autres grands orchestres « issu du classique ». Quasimode III est une œuvre superbe de Paul Rutherford avec des séquences de note faussement modales et des éléments électroniques. Le tout  bien lisible car enregistré dans le même studio que celui de Stringer (14 :24). Appolysian, signé Howard Riley et enregistré à la Round House mêle  de brèves actions solistes (Wachsmann, Riley, Rutherford) coordonnées à des segments d'actions de section (cuivres , percussions & pianos, anches) puissantes ou dosées, de durées très différentes face à des masses orchestrales d'amplitudes variées  (14:48). Il en résulte des équilibres instables de dynamiques, de densités et de vitesses qui se rapprochent, s'écartent ou éclatent à la recherche indéfinie d'une conclusion qui s'évanouit au dernier moment. Sans doute à mon avis, un des moments les plus réussis de cet orchestre.  Quant à Tony Oxley compositeur, faute d’avoir trouvé un enregistrement écoutable du LJCO, Barry Guy a fait figurer une peinture du batteur sur le côté face de la pochette. That Time nous replonge dans la réalité de la musique improvisée radicale lors de son éclosion il y a quelques décennies. Un document vraiment intéressant. Certains producteurs ont fini par saturer le marché de la réédition, de la surdocumentation (excessive et souvent injustifiée) et des inédits et autres « complete » au point qu’une mère poule n’y retrouvait pas ses petits, aussi vrai qu’on ne fait pas d’omelettes sans casser d’œufs. Mais, dans le cas présent, NotTwo et Barry Guy ont visé juste. On aurait aimé que cette musique ait été publiée par le label Intakt lorsqu'ont été publiés massivement les enregistrements du LJCO sur pas moins de dix albums. 

 

Free Reservoir Simon Nabatov Max Johnson Michael Sarin Leo Records LR CD 800.

Paru en 2017, Free Reservoir, le titre de l’album, exprime une idée intéressante : l’usage libre et inventif d’un réservoir de connaissances et pratiques musicales basées et informées par plusieurs strates du jazz moderne. Le pianiste Simon Nabatov trône dans l’énorme catalogue de Leo Records lequel s’est malheureusement séparé de plusieurs de ses locomotives au fil des ans : Braxton, Marylin Crispell, Sun Ra, Evan Parker, Joëlle Léandre et plus récemment, Ivo Perelman. Fort heureusement, le label reste ouvert aux nombreux projets originaux du pianiste d’origine ukrainienne, comme Readings : Gileya Revisited et Readings : Red Cavalry avec respectivement les vocalistes Jaap Blonk et Phil Minton (chroniqués dans ces lignes il y a plusieurs mois) ou Time Labyrith, une remarquable expérience de composition alternative contemporaine. Ces œuvres témoignent de l’esprit d’ouverture et de la créativité de son protagoniste et on retrouve cette propension à explorer les formes dans ce remarquable trio piano – contrebasse – batterie, format instrumental conventionnel dont les trois musiciens développent les possibilités alternant des signatures rythmiques complexes (Maracatu Askew) et la liberté jongler avec les pulsations sans tenir compte des barres de mesure (Free Reservoir). Dans cet environnement créatif, la contrebasse charnue de Max Johnson trouve l’espace nécessaire pour s’épanouir au contact des pianismes puissants, logiques et inventifs de Nabatov et du foisonnement étudié et élastique du batteur Michael Sarin dont j’avais apprécié les performances aux côtés du trompettiste Dave Douglas avec le mémorable Five de ce dernier. Non seulement, le pianiste dévoile un panorama organique, intense et subtil de son talent au clavier, mais ses deux collègues font bien plus que l’accompagner. Ils dessinent les contours d’un univers du trio avec des dynamiques et des intensités variées en laissant le libre cours à leur imagination et leur inventivité avec par exemple une belle pointe de lyrisme contemporain. Comme dans ce Short Story Long de 17 minutes où ils font évoluer l’art de la ballade en cascades rafraîchissantes, tendues et chercheuses et no man’s land créatif (cfr les drones magiques vers les 16’en étrange final). Du jazz chercheur, « contemporain », et somme toute risqué en approfondissant idées et structures sur la distance sans faiblir et avec la cohésion d’un véritable collectif. Simon Nabatov est un pianiste virtuose, dont la technique conserve toutes les qualités du timing du jazz alliées à une science musicale classique - contemporaine et une remarquable capacité adaptative dans l’improvisation. Ses deux collègues contribuent pleinement à affirmer cette excellence avec brio et sincérité. Un bon point de plus.

 

Burton Greene Damon Smith Ra Kalam Bob Moses Life’s Intense Mystery Monofonus Press - Astral Spirits MF193/ AS090.

https://balancepointacoustics.bandcamp.com/album/lifes-intense-mystery-mf193-as090

Je pense qu’il faille prêter une oreille attentive à ce pianiste de « jazz-free » de la première heure qu’est Burton Greene, résident amstellodamois assez isolé dans la scène européenne. Compagnon d’Alan Silva, de Byard Lancaster, Marion Brown, etc…, Greene a publié des albums pour CBS (Sony), Futura, Hat-Hut, Horo, Kharma, ESP. Bien qu’on lui ait collé assez tôt une étiquette de free-jazzman indécrottable, son quartet « néerlandais » a gravé des réussites d’anthologie pour le label Cat Records dans le domaine du jazz contemporain swinguant et « complexe ». À la batterie, Clarence Becton (le batteur du premier album ECM de Mal Waldron), à la contrebasse, Raoul Van der Weide (une des grandes pointures aux Pays Bas) et le saxophoniste Fred Leeflang, musicien très compétent. À l’heure où on réédite tout (parfois le meilleur) ou n’importe quoi, on pourrait suggérer que Corbett vs Dempsey, Trost, No Business, etc… s’intéressent à ce Burton Greene Quartet et leur One World Music.  Unique en son genre ne fût-ce que pour ses constructions rythmiques à faire rougir d’envie ceux qui ne jurent que par l’école Blue Note des Grachan Moncur, Andrew Hill, Joe Henderson, Pete La Roca... Il faut aussi souligner les deux magnifiques albums publiés par Julien Palomo pour improvising beings :  Compendium et Space is Still the Place. Alors dans cet Intense Mystère de la Vie en compagnie du légendaire batteur Bob Moses (compagnon de Steve Swallow, Gary Burton, Dave Liebman, Hal Galper, Larry Corriell…) et du très actif et entreprenant contrebassiste Damon Smith, on découvre une musique libre, organique parfois proche de la transe (Life’s Intense Mystery Part I & Part II) et un travail subtil et précis sur la métrique évoquant l’art visuel en trompe l’œil de M.C. Escher (Anything That Ain’t Yes, Get Rid of It). Cette orientation formelle est confrontée aux jeux libertaires du batteur et du bassiste qu’on entend dialoguer comme dans une jungle dans Perc-Waves. Les entrelacs des peaux / cymbales, des cordes et du clavier agglutinent des réseaux serrés de flux, de vagues sonores vibratoires ou pointillistes qui mettent en relief les structures camouflées et secouées du trio « Burtonien ». Comme à chaque fois, avec Burton Greene, il ne faut pas s’attacher aux apparences pour le ranger dans une quelconque « esthétique » ou « démarche » mais saisir comment se matérialise sa créativité et son talent original. Avec le foisonnement percussif sensible de Ra Kalam Bob Moses et la magnifique contrebasse boisée et aventureuse de Damon Smith, son (leur) pari est gagnant !


Pago Libre Mountain Songlines John Wolf Brennan Arkady  Shilkloper Florian Mayer Tom Götze Leo Records CDLR 886

Pour le trentième anniversaire du quartet sans batterie Pago LibreLeo Feigin et John Wolf Brennan ont mis les petits plats dans les grands chez Leo Records. Trois beaux digipacks colorés regroupant deux parutions anciennes rééditées, Cinémagique 2.0 et platz Dada en sextet et un nouvel opus montagnard, Mountain SonglinesPago Libre se compose d’un joueur de cor et de cor des Alpes, le russe Arkady Shilkloper et du pianiste John Wolf Brennan, les deux fondateurs du groupe qui ont été rejoints par les allemands Florian Mayer, violon et Tom Götze, contrebasse  en remplacement de Tscho Teissing et Daniele Patumi. D’origine Irlandaise, le pianiste John Wolf Brennan s’est établi en Suisse pour son amour des montagnes et des vallées helvétiques et la nature sauvage qu’elles renferment/ protègent.  Inspiré par les paysages montagneux, il imagine que le relief échancré et accidenté qui surplombe les vallées forment les courbes sur lesquelles se posent les notes des mélodies ancestrales. De cette intuition et des recherches de l’ethnomusicologue Alfred Leonz Gassmann, Pago Libre s’est inspiré pour concevoir une remarquable série de comprovisations qui reflètent leurs impressions visuelles et émotionnelles des Alpes et de leurs mille paysages. Certaines pièces sont signées Brennan ou un autre membre de Pago Libre, d’autres par le collectif. On a droit bien sûr à deux interventions vocales de la chanteuse Sonia Morgenegg dont une en yodel et à des passages de Shilkloper au cor des Alpes. Douze compositions évoquent la majesté des Alpes, leur paysage accidenté, la musique populaire Suisse, les danses de villages. En conclusion, quatre extraits d’autres pièces en Bonus Track qui ajoutent encore à la multiplicité et la diversité inventive des motifs composés qui servent de bases aux compositions et arrangements tout au long de ce parcours alpestre d’une grande cohérence. Pago Libre a un style et un son de groupe immédiatement reconnaissable : les voix complémentaires du  violon et le cor au-dessus de la contrebasse et du piano qui équilibrent leurs élans créent une dynamique très originale. Les parties individuelles sont remarquablement imbriquées créant des échafaudages mobiles où chaque instrumentiste marque à la fois le rythme et la mélodie avec une précision remarquable et un goût pour des dissonances fructueuses. Le contrebassiste soutient l’édifice avec une sûreté swinguante relayé par le pianiste. Le violoniste a un timbre magnifique et ses inflexions solistes font plus qu’évoquer les violonistes tziganes. Quant au souffleur, son sens mélodique est d’une remarquable pureté évoquant à merveille l’atmosphère des vallées et sommets. L’adjectif « folk » ne recouvre qu’un aspect de leur travail qui est nourri de réflexions profondes et de recherches studieuses  combinées avec une belle imagination créative et un travail d’écriture et de conception substantiel qui frise la prodigalité.

 

Aura Stefano Leonardi Marco Colonna Antonio Bertoni Fridolin Blumer Heinz Geisser Leo Records CD LR 890

Une percussion, deux cordes, deux vents, flûtes et anches. Quintet Italo-Suisse. Stefano Leonardi : flûte, piccolo, sulittu, dilli kaval, bass xun, mancosedda des launeddas, soit quelques instruments traditionnels issus de cultures musicales vivaces (Sardaigne, Carpathes,…). Marco Colonna, un as Romain des clarinettes, aussi à l’aise au sax soprano. Antonio Bertoni, au violoncelle et au guembri, lequel renforce l’inspiration « musique traditionnelle ». Fridolin Blumer, contrebasse sauvage. Heinz Geisser, batterie free à la fois subtile et puissante, habitué du catalogue Leo Records au sein du Collective Quartet avec Jeff Hoyer, Mark Hennen et William Parker. Sans doute, ce remarquable quintet a été rassemblé à l’initiative du flûtiste Stefano Leonardi et témoigne de son évolution vers plus d’inspiration, d’expression émotionnelle et, en fin de compte d’originalité, depuis son premier opus Leo en hommage au souffleur disparu, le légendaire Thomas Chapin, héraut de la Knitting Factory, aujourd’hui égarée (sabordée) dans le bizness. Marco Colonna est sans nul doute le souffleur créatif en vue de la scène transalpine, surtout aux clarinettes, basse ou mi-bémol et ici au (difficile) sax sopranino. Pour faire la paire et répartir leurs efforts dans la géographie de ce quintet atypique, à Colonna les tracés mélodiques francs et improvisés pleins de sève et à Leonardi, des murmures fantomatiques inspirés, filets de voix d’outre-tombe, invocation des esprits de la nature, laquelle est incarnée par la multiplicité des timbres percussifs, boisés, des cordes frottées ou percutées qui évoquent des atmosphères de sous-bois, de futaies d’où se détachent gazouillis  et bruissements, pépiements, mais aussi contrepoints curieux et rythmiques animées. Les deux souffleurs se distinguent clairement l’un de l’autre créant l’illusion d’un volatile bicéphale se déplaçant avec trois paires de pattes, évoqués par la polyrythmie  foisonnante ou habilement clairsemée par le batteur et ses deux auxiliaires cordistes. Un de ceux-ci fait d’ailleurs un solo sensible à demi-enfoui dans le maquis sonore. Un album curieux, mais vivace, mélangé, aux climats variés et changeants, à l’imaginaire poétique, œuvre d’un collectif soudé, créateur d’univers sonores fourmillant et mimiquant parfois la pagaille avec une autodiscipline astucieuse, libertaire et soigneusement à l’écoute. J'ajoute encore que les peintures colorées pastel reproduites sur la pochette se marient parfaitement avec l'esprit vif de la musique.


Travellin’Light Alvin Schwaar Bänz Oester Noé Franklé Leo Records CD LR 875.

Le travail de documentation du label Leo Records est depuis quelques années de plus en plus ancré dans une filière helvétique. Daniel Studer, Vinz Vonlanthen, John Wolf Brennan, Urs Leimgruber, Gabrielle Friedli, Dieter Ulrich et aujourd’hui le trio piano – contrebasse - batterie d’Alvin Schwaar, Bänz Oester et Noé Franklé. Introduit et commenté par le percussionniste Gerry Hemingway, aujourd’hui résident suisse, ce trio propose une musique aérée, voire éthérée au service de standards éternels ou moins connus, un peu dans l’esprit de Paul Bley. Someone To Watch Over Me des Gershwin, I Have a Dream d’Herbie Hancock, Heaven de Duke Ellington, All the Things You Are, My Ideal, Very Early de Bill Evans, Big Nick de John Coltrane et Prelude To A Kiss de Duke, à nouveau. Selon Gerry Hemingway, alors que de nombreux musiciens se sont lancés et ont trouvé leur chemin dans l’improvisation (libre) per se, certains reconsidèrent comment traiter le matériau musical issu « du passé », les standards, de manière créative en y instillant de nouvelles valeurs acquises. Je paraphrase évidemment son texte de présentation. Ce point de vue s’entend clairement dans le jeu de la contrebasse et de la batterie dans leur version de Heaven ou dans l’intro ludique et déconstruite d’All The Things You Are dont d’ailleurs Charlie Mingus avait déjà enregistré une version décoiffante en 1961 avec Eric Dolphy sous le titre curieux de All the Things You Could Be If Sigmund Freund’s Wife was Your Mother. De là à dire que leur version Paul Bleyesque - époque Altschul 1966, serait un objet de curiosité psychanalytique, il n’y a qu’un pas. L’intérêt de leur musique est qu’il pousse vers quelques extrêmes la substance interne de ces standards de manière intéressante sans se référer à un style particulier. On croise quelques solos de basse entiers et passionnés et la frappe du batteur est tout à fait équilibrée, racée, aérée et pleine de légèreté. Avec les grondements graves de toms et les glissandi à l’archet, c’est au cœur de la table d’harmonie que le pianiste va chercher les notes de My Ideal en la faisant résonner avec les cordes bloquées et des aigus flottants. Aussi la mélodie apparaît dans un jeu perlé, telle une rosée matinale. Bref, la trame des standards est le vecteur d’esquisses déformantes, transformatrices de refrains familiers vers des formes qui s’avancent subtilement vers un inconnu qui en dévoile des canevas cachés au creux de nos habitudes.


1 août 2020

Zlatko Kaučič Joëlle Léandre Agusti Fernandez Evan Parker/ Guilherme Rodrigues/ Damon Smith/ Sarah Gail Brand Paul Rogers Mark Sanders

Jubileum Quartet. a uis?  Zlatko Kaučič  Joëlle Léandre Agusti Fernandez Evan Parker NotTwo Records

Enregistrement du concert donné pour fêter le quarantième anniversaire d’activités musicales et scéniques du batteur percussionniste Slovène Zlatko Kaučič avec comme invités de choix la contrebassiste Joëlle Léandre, du pianiste Agusti Fernandez et du saxophoniste Evan Parker. Peut-être n’avez-vous jamais entendu Zlatko en disque ou sur scène, ce sera l’occasion de découvrir un percussionniste improvisateur particulièrement capable et inspiré qui ne vous fera pas regretter la présence des collègues légendaires habituels qui jouent régulièrement, certains depuis un demi-siècle avec Joëlle Léandre, Evan Parker ou Agusti Fernandez, c’est-à-dire les Paul Lovens, Paul Lytton, Mark Sanders, Ramon Lopez, Martin Blume ou Hamid Drake… Après autant d’années (de décennies), on dira, en ce qui me concerne, qu’un disque de plus ou de moins d’Evan Parker ou de Joëlle Léandre ou d’un pianiste tel qu’Agusti Fernandez, ce n’est pas cela qui va mettre à mal "l’intérêt de ma collection". J’ai suivi Evan à la trace au fil des années parution après parution et je dois dire qu’à la fin je me suis résigné, idem pour Joëlle ou Agusti, tant nous croulons sous la masse des albums parus qu’il est devenu quasi impossible d’écouter par le menu et d’en mémoriser les impressions. Ce qui rend ce Jubileum devenir une acquisition méritoire est justement la présence de Zlatko Kaučič et son style ludique personnel investi dans le mouvement, le sonore et l’imbrication de la multiplication – démultiplication des cellules rythmiques libérées, mouvantes ou flottantes avec la qualité des frappes et des résonances des objets percussifs fixes et accessoires, la dynamique et ses techniques de frottements, secouages, grattements, vibrations métal sur peau. Du grand art avec la capacité de réserver des parts presque silencieuses où des effets sonores subtils mettent en relief les passages sensibles de ses collègues qui relancent remarquablement l’intérêt et le suivi de leur improvisation collective toute en liberté veillée par une écoute intense. Celle-ci tout autant que les interventions individuelles volontaires en métamorphoses – crescendo / decrescendo – éclipse / ellipse transforment ces 43 minutes en jubilation d’un seul trait droit au but, à travers les méandres des nano-secondes qui défilent et en défient la perception. On a droit à de belles négociations de chaque improvisateur donnant à chacun d’eux, l’espace et le temps pour se faire entendre pour le meilleur, la contrebasse de Joëlle se montrant autant à son avantage que le saxophone d’Evan ou le piano d’Agusti, si pas plus. Et le travail de Zlatko digne de rentrer dans la légende plus que semi-séculaire de l’improvisation totale / composition instantanée.

 

Cascata Guilherme Rodrigues Creative Sources CS CD 676

https://guilhermerodrigues.bandcamp.com/album/cascata


Violoncelliste maison du label Creative Sources et installé à Berlin depuis quelques années, Guilherme Rodrigues nous propose son premier album solo. Comme il l’explique, « cet album Cascata provient du besoin de partager la liberté totale de ma personne en tant que violoncelliste. N’ayant rien programmé avant d’arriver au studio, j’ai joué durant un peu moins de deux heures. C’était aussi fluide qu’une cascade ». Cascata en portugais. Une quintessence du violoncelle. 23 morceaux courts, concis, expressifs, chacun dédié à une technique particulière ou à une forme précise. Une pression spécifique de l’archet, une approche intégrant multiphoniques et scansions, chant de la corde tendue gorgée de sève, de simples pizzicati balancés tout en langueur, des vibrations tremblées fantomatiques... Un herbier de fleurs rares, une galerie de moments éphémères qui s’imprime dans la mémoire. Une musique intériorisée en guise de réflexion, de dépassement, de conviction pour exprimer le premier jet de la matérialisation d’idées lumineuses et de réminiscenses transfigurées. Concentré dans une démarche minimaliste lower case au début de sa carrière, alors jeune adolescent aux côtés de son père Ernesto et omniprésent dans le catalogue du label familial Creative Sources, voilà que ce jeune musicien s’épanouit pour notre plus grand bonheur en créant un des albums de référence du violoncelle seul à l’instar d’Elisabeth Coudoux dont je n’ai pas encore eu l’heur d’écouter son dernier opus solo. Cascata, une cascade de perles du violoncelle, est traversé par un flux créatif intense frisant la perfection : chaque idée / composition instantanée exprime l’essentiel sans une seule note de trop, ni trop peu. 

 

Whatever is Not Stone Is Light Damon Smith Solo Balance Point Acoustics BPA -10.

Contrebassiste émule et ami de Peter Kowald, l’américain Damon Smith s’est forgé à coup de tournées et de nombreuses collaborations d’albums soignés publiés entre autres par son label Balance Point Acoustics, une stature de premier plan comme spécialiste de la contrebasse dans la scène improvisée. Il a enregistré en duo avec Peter Kowald et développé des projets et/ou des enregistrements avec Wolfgang Fuchs, Martin Blume, Philip Wachsmann, John Butcher, Marco Eneidi, Tony Bevan, Scott Looney, Joëlle Léandre, Birgit Uhler, Frank Gratkowski, Gianni Gebbia, Henry Kaiser, Fred Van Hove, Joe Mc Phee, Frode Gjerstad, Georg Gräwe, Michael Vatcher, Alvin Fielder, Weasel Walter, Burton Greene, Bob Moses, Roscoe Mitchell, Jeb Bishop, Jaap Blonk. Il est aussi un tout proche du grand contrebassiste classique contemporain Bertram Turetzky avec qui il étudie encore. Peu choyé par des labels importants, Damon Smith s’est investi remarquablement  à produire ses enregistrements sur BPA ou par un ou deux labels amis avec une énergie opiniâtre dans les différentes villes où il a séjourné (Oakland, Austin, Boston, St Louis). Aussi, il est un connaisseur éminent de l’improvisation européenne et du jazz libre afro-américain et entretient une écoute active de ses meilleurs collègues même les plus obscurs. Il aime tellement son instrument qu’il ne cesse de louanger de nombreux artistes dont il traque vinyles et cd’s. Non seulement Barre Phillips, Peter Kowald ou Joëlle Léandre mais aussi des contrebassistes comme Simon H.Fell, Johny Dyani, Harry Miller, Klaus Koch, Torsten Müller, Hans Schneider, Uli Philipp, Fred Hopkins, Clayton Thomas. Whatever est un magnifique témoignage composé de 23 pièces de musique de (pour) contrebasse dont il nous rappelle qu’il s’agit aussi d’un grand violon. En effet, son jeu à l’archet est à la fois droit, ample, chaleureux, parfois aussi majestueux, intense, rebondissant, chercheur, bruiteur ou emporté avec un contrôle de l’émission et une dynamique plus que remarquable. Sa pratique professionnelle le mène souvent à jouer du jazz contemporain avec des pianistes ou des souffleurs « free-jazz » en raison du manque d’opportunités au niveau de l’improvisation libre plus radicale. Il s’est fait connaître au départ par un magnifique duo avec Peter Kowald (Mirrors - Broken But No Dust) qui fera date tout en affirmant ses capacités d’improvisateur et de contrebassiste. Avec Whatever, il prouve que quoi qu’il se mette en tête de jouer, il nous fait toujours entendre le meilleur de son instrument au travers de toutes les approches développées dans ce nouvel album solo. Chaque pièce concentre des trouvailles et des émotions avec une belle précision de jeu et d’intention sans jamais s’égarer. De belles sculptures sonores boisées et vibrantes à la fois vignettes d’un panorama diversifié de la contrebasse contemporaine et compositions instantanées du meilleur cru. Une référence importante en matière d’enregistrements de contrebasse en solo.


Deep Trouble : Sarah Gail Brand Paul Rogers Mark Sanders https://sarahgailbrand.bandcamp.com/album/deep-trouble 

Enregistrement publié en digital sur le site bandcamp de la tromboniste Britannique Sarah Gail Brand, une référence incontournable du trombone improvisé, mais lyrique et/ou jazz d’avant-garde complètement ouvert à la libre improvisation. Depuis quelques décennies déjà, elle entretient une connivence merveilleuse avec l’extraordinaire percussionniste Mark Sanders.  À leur actif plusieurs albums dont deux sont disponibles sur ce site : Instinct and The Body, All will be said, All to do again. Pour cet album en trio, Sarah a fait appel à un pote de très longue date, le contrebassiste Paul Rogers, fidèle compagnon de Mark Sanders dans de nombreuses aventures aux côtés d’Elton Dean, Howard Riley, Paul Dunmall, Evan Parker, etc… Pour ces retrouvailles, nous avons droit à de superbes constructions spontanées où chacun a autant son mot à dire que l’autre. Paul Rogers doit se sentir complètement à la maison car il peut entendre chez sa collègue une voix amie qui prolonge et évoque subtilement et amoureusement celle de Paul Rutherford, le tromboniste disparu avec qui Paul a joué en duo et en trio durant des années. Mais laissons ces réminiscences d’un passé qui s’estompe au fil des années et revenons dans cet instant présent ou, du moins, en 2017 au Café Oto à Londres. Deux longues improvisations collectives de 23:35 et 33:46. La batterie féline et les frappes sinueuses et sensibles de Mark Sanders tendent des filets – rhizomes sonores  et vibratoires sur lesquels surfe le chant des lèvres pincées de Sarah Gail Brand au milieu de son embouchure : elle entonne des airs en glissandi et des notes tenues qui tremblent, gonflent, vibrent, éclatent dans l’atmosphère recueillie et nous raconte une histoire . La contrebasse s’insère en feignant le ronronnement ou en explorant plusieurs registres à l’archet alors que l'articulation de la tromboniste zig-zague avec sa belle sonorité. Le sens aigu de la  dynamique et de la lisibilité du jeu de chacun nous fait oublier qu’il s’agit de rythmes libres où les pulsations surgissent par bonheur et s’enfouissent ensuite dans le flux sonore. Leurs interactions se dévoilent par des contrechants subtils, chacun développant et cultivant son domaine propre en toute indépendance, jusqu’au bout. Et pourtant l’écoute mutuelle devient de plus en plus palpable au fur et à mesure qu’on s’enfonce dans leurs abîmes. L’archet de Rogers chevauche pas moins de sept cordes et dans le deuxième long morceau, roil, Sarah, la tromboniste, puise dans son imaginaire pour élaborer une contrepartie vocalisée réussie, ponctuée par le drive souterrain et doucement bruissant du batteur. Le rythme et la mélodie ressurgissent subrepticement après 23 minutes pour marquer un changement de cap vers une magnifique conclusion en pizzicato et, puis, avec l’archet en fanfare d’un folklore imaginaire -natif….  Une musique de partage, de découverte, où la multiplicité effarante des occurrences sonores et des imbrications de timbres et de vocalisations devient indescriptible, mais s’élabore comme une conversation familière le plus naturellement du monde.