Zubeneschamali Daniel Thompson Tom Jackson Roland Ramanan Leo Records LR CD 700
Cette fois Leo Records a consacré son 700ème album à
des artistes londoniens de la troisième et quatrième génération, alors que le
label a des Braxton, Léandre, Maneri, Perelman, Gratkowski, Nabatov et une ribambelle de Russes , Baltes
etc… Masis on ne peut pas toujours
écouter les mêmes valeurs sûres ( héros, têtes de file, vedettes…). Roland
Ramanan est un trompettiste remarquable
dont Emanem a produit deux albums de « jazz libre » en
compagnie du batteur Mark Sanders, du
contrebassiste Simon H Fell et du violoncelliste Marcio Mattos (Shaken et Cesura) , excusez du peu. Il est, depuis le début, un pilier essentiel
du London Improvisers Orchestra qui a
rassemblé et rassemble encore un véritable who’s who de la scène radicale
improvisée londonienne depuis 1999. Son excellent Tentet publié par Leo Records
(LR 556) et qui comprenait Tony Marsh
Alex Ward Robert Jarvis Dom Lash Simon Rose Javier Carmona Marcio Mattos Ian
Smith et Ricardo Tejero ne laissait pas préjuger de son attirance pour la
liberté intégrale , librement improvisée. Roland Ramanan a trouvé chez ses
« cadets », le guitariste acoustique Daniel Thompson et le clarinettiste Tom Jackson, une entente
parfaite pour développer une musique de chambre libertaire faite de nuances ,
de couleurs et de traits tous azymuths. Dans la scène londonienne actuelle,
Daniel Thompson se révèle être un
animateur activiste de premier plan à
travers les concerts qu’il organise dans les lieux plus excentrés que la partie
Nord Est où se situent le café Oto, le New Vortex à Dalston – Hackney et la Stoke Newington High Street . On l’a vu
programmer les concerts à la Shoreditch Church à proximité de la City ou dans
l’extrême Est , accessible par le
nouveau métro aérien ( Arch One). C’est maintenant à Foley Street dans le
lointain Ouest qu’il officie essayant d’étendre la toile de l’impro libre dabs
cette ville grouillante. Dans la
mouvance de Daniel , on compte quelques musiciens vraiment passionnants parmi
lesquels le violoniste alto Benedict
Taylor et le clarinettiste Tom Jackson dont le disque Songs for Baldly Lit Rooms est un des
meilleurs duos improvisés « British Made » jamais enregistrés ( Incus
Emanem Bead Ogun Matchless etc..). Sans
aucune exagération de ma part. Et donc ce beau trio est plus qu’une tentative.
Daniel Thompson est en train de construire un univers personnel à l’écart des
John Russell Roger Smith etc… dans une dimension collective. La guitare n’est
pas un instrument facile et depuis qu’il s’est jeté à l’eau son évolution est
concluante. Quant à Tom Jackson, il est devenu un clarinettiste de premier plan
comme son collègue Alex Ward ou le français Xavier Charles. Et surtout, ce qui
me réjouit ici c’est cette qualité d’écoute , cette construction collective qui
échappe autant à l’univers régit par les valeurs / balises du jazz libre, au
paramétrage « musique contemporaine XXème ou à la sacro-sainte vulgate
« non-idiomatique » pour pigiste à la cuiller à pot ainsi qu’à tout
genre musical qu’on veut définir.
Donc, voici un beau document qui met en valeur le travail collectif au bénéfice de
chaque individu. Pour y arriver, ils exploitent une excellente recette :
chercher en soi-même ce qu’il y a de meilleur à offrir dans le moment même en
utilisant toutes leurs ressources musicales et instrumentales et sans essayer
de prouver quoi que ce soit. Cela
commence par un thème presque swinguant
lancé spontanément par le trompettiste et qui rebondit sur les phrasés
aux intervalles disjoints de la guitare traitée comme une percussion libérée.
Le clarinettiste a embouché la clarinette basse et s’en sert comme pivot
harmonique / contrepoint affolé. Roland Ramanan ne se contente pas d’enfiler
des chapelets de note mais phrase réellement avec un véritable lyrisme
et un beau contrôle du son sur des intervalles inusités. C’est un trompettiste
original, ce qui est assez logique, avec des collègues comme Harry Beckett,
Kenny Wheeler, Henry Lowther et Ian Smith en ville, ça doit vous donner des
idées. Si vous ne comprenez pas ce que
je viens d’écrire à propos de « phraser », un souffleur de haute
volée et honnête vous l’expliquera. En plus c’est vraiment beau. Les 12
morceaux portent chacun des noms de constellations étoilées et développent des
idées différentes au fil de la session.
La contribution personnelle de chaque personnalité et leurs
différences s’interpénètrent avec une réelle bonne volonté assumée : Ramanan a
eu une pratique du jazz contemporain confrontée à l’impro libre, Thomson fut un
élève de John Russel l et a trouvé sa voie personnelle et Jackson a un parcours
contemporain qui n’ignore pas le jazz. Ici sa contribution à la clarinette
basse n’atteint pas les sommets instrumentaux d’un Jacques Foschia ou d’un Rudi
Mahall mais apporte un son empreint d’une réelle corporalité et une couleur qui
entre parfaitement dans l’univers du trio. Thompson trace ses arabesques
décomposées sur le découpage rythmique
envoyé par Ramanan, en assument son style écartelé et cela fonctionne. Non content d’établir un son de groupe,
chaque musicien s’échine à le subvertir dans une ou deux pièces à l’allure
minimaliste ou bruitiste. Au final, une belle expérience et comme je ne connais
pas d’album avec guitare acoustique, trompette et clarinette qui poursuive un
réel aboutissement de ce genre, ce Zubenschamali
figurera en bonne place dans ma liste des bons albums de 2013-2014-2015. Un
très beau numéro 700 pour Leo Records.
Ivo Perelman
The Other Edge Matthew Shipp Michael Bisio Whit Dickey Leo
Records LR 699
Leo Records aurait pu programmer ce disque-ci, The
Other Edge, au numéro 700 de leur extraordinaire catalogue. Leo Feigin
a été chic, il a laissé la place à ces musiciens britanniques que beaucoup ne
connaissent pas encore(cfr chronique plus haut). Mais voilà, c’est le numéro 699 pour Perelman et son équipe ! Et quel
numéro de lotterie ! Ivo Perelman est aujourd’hui un des saxophonistes ténor les plus
attachants, les plus sensuels, avec une pratique tournée vers la libre
improvisation d’essence jazz. Donc pas de thèmes, de rythmiques pré-établies,
de solos etc… Sa musique en groupe, comme tous les duos , trios et quartets
qu’il enregistre ( à la pelle, profitez-en) pour Leo est créée dans l’instant,
sans fixer quoi que ce soit à l’avance, et basée sur l’écoute mutuelle, intuitive. Ses albums
présentent chaque fois une nouvelle congrégation de ses fidèles, le pianiste
Matthew Shipp, les batteurs Gerald Cleaver ou Whit Dickey, les bassistes
William Parker, Joe Morris (aussi guitariste) ou Michaël Bisio. Cette session
de janvier 2014 vient à la suite d’autres sessions très souvent réussies, et
comme les précédentes, elle se concentre sur la qualité d’un dialogue intimiste,
subtil où le saxophoniste sollicite la microtonalité de manière aussi
authentique que feu Lol Coxhill et Joe Maneri. Je pense sincèrement que
Perelman est un souffleur aussi singulier que peut l'être Roscoe Mitchell. Son phrasé, ses
inflexions, son entêtement mélodique, son « système » se détachent
entièrement de la vulgate du jazz-libre. Je vais pas faire de comparaisons avec
d’autres artistes nommément, car c’est un procédé indigne des efforts consentis
par ces combattants de la liberté musicale et du partage. Mais on ne risque pas
beaucoup en déclarant qu’une telle originalité au saxophone se compte sur les
doigts d’une main par décennie de l’évolution du jazz libre. Apparu dans les
années nonante, Ivo Perelman s’était distingué par un expressionnisme
exacerbé, tout en étant subtil et musical, et dont le paroxysme a été atteint dans
l’inoubliable For Helen F de son Double Trio sur le label Boxholder ( Gerry
Hemingway et Jay Rosen, Mark Dresser et Dominic Duval). Soit une situation où ses collègues bassistes
et contrebassistes le propulsent en tant
que souffleur soliste, cracheur de feu. Très rarement un souffleur a rallumé aussi bien la flamme d'Albert Ayler en personne. Depuis lors, son travail a évolué et s'est focalisé
sur un dialogue, une conversation à trois ou quatre, où chaque instrumentiste
surpasse les rôles respectifs d’accompagnateurs et de solistes vers plus
d’égalité. Une démarche naturelle et logique voisine de celles des Evan Parker,
Paul Lytton, John Stevens, Paul Rutherford et compagnie. Les structures créées
spontanément transitent entre liberté totale assumée et déconstruite et des
cadences rythmiques trouvées dans l’émotion de l’instant, produit ludique de
l’improvisation collective, sans aucun calcul. Matthew Shipp est un pianiste
extraordinaire avec une technique superlative et un énorme bagage musical. Avec
Perelman, il fait presque oublier tout cela, car ce qui compte ici par-dessus
tout est l‘émotion, la beauté fugitive, la spontanéité. Et l'équilibre de l'édifice ! Point ne sert de trop dire , il faut savoir parler à bons escient. L'art de la conversation en quelque sorte. Whit Dickey joue avec
un drive impressionnant et une lisibilité maximale. Son foisonnement bien
découpé reste translucide et révèle le superbe jeu de contrebasse de Michael
Bisio et les nuances du toucher du pianiste. Le free-jazz peut se révéler être
une musique à clichés et c’est bien tout l’intérêt, le charme et la beauté
irrévocable des groupes d’Ivo Perelman. Ils incarnent l’essence de
l’improvisation collective radicale dans l’univers du jazz afro-américain
libéré. Un vrai plaisir.
Paul Dunmall Tony Bianco Spirits Past
and Future Duns Limited Edition 062
Au ténor et au saxello (héritage de son ami Elton
Dean), Paul Dunmall partage une nouvelle fois cet enregistrement de décembre
2007 avec le batteur polyrythmicien Tony Bianco. Le morceau titre Spirits Past
and Future s’écoule durant cinquante minutes de pur bonheur intense
« à-la- Coltrane & Rashied Ali dans
Interstellar Space. On va me
dire que ce sont des vieilleries pour nostalgiques du « free-jazz ».
Soyons sérieux, il n’y a pas dix saxophonistes ténor comme Paul Dunmall qui
maîtrise toutes les facettes possibles du « post Coltranisme » et
l’instrument en tant que tel comme notre héros à tous nous a quitté sans avoir
trouvé beaucoup de challengers à sa suite, on se réjouira de pouvoir
l’écouter dans les infinies variations
entièrement improvisées des dédales harmoniques et du travail du son. Les
harmoniques encore , mais ce vocable désigne ici le son produit au-dessus de la
tessiture normale en soufflant plus fort. Cette technique semble accidentelle
et parfois erratiques chez de bons techniciens mais depuis Coltrane et aussi
Steve Lacy, « la crème des saxophonistes ténor » jongle avec elle ( cette technique dite des »
harmoniques » ) car c ’est en fait une possibilité naturelle de
l’instrument qui figurait sous forme de curiosités techniques dans les manuels.
Parmi les « clients » de la descendance de Coltrane, on compte un
Pharoah Sanders, un Joe Farrell, artistes qui se sont trop englués dans des
projets « professionnels ». Parmi ceux qui ont gardé doit devant
l’idéal exploratoire et révolutionnaire de Coltrane, on citera feu David S Ware
aux USA et Evan Parker en Europe. J’ai surpris des conversations sur Face Book
d’amis saxophonistes ténor incontournable et pour eux c’est clair : parmi
les plus « grands saxophonistes » du « monde » , on cite un
prof et Evan Parker. Evan Parker lui –même dit à ses camarades musiciens en
riant dans sa barbe : Paul est le
plus grand saxophoniste du monde. Son triple tonguing échevelé ne modifie
jamais le son droit durant la moindre
infime fraction de seconde. Le son, les intervalles et tous les sons dans tous
les intervalles à la vitesse lumière. Surtout on entend clairement qu’il
improvise à 100%, ce qui n’est pas toujours le cas des pointures de
l’instrument qui trustent l’intérêt des médias, en récitant des séquences
prédigérées et avec une parcours quasi télécommandé. Dunmall invente ses
séquences mélodiques sur le moment même et les développe avec une minutie
maniaque. Dans ce Spirits Past and Future n’y a pas un recoin qui ne soit
exploré , trituré, ressassé, sublimé . Incendiaire…Dès la huitième minute
le son apaisé de l’intro s’est fait brûlant, hypnogène et torturé et le
musicien conserve le matériau mélodique. Il enchaîne des variations sur toute
la tessiture en sollicitant les harmoniques supérieures, les overtones.. en
torturant de plus en plus les extrapolations des intervalles comme une armée de
jongleurs. Et cela ne s’arrête.. pour ainsi dire jamais .. Je suis encore
pantelant passé la vingtième et unième minute où ils se met à gémir – hurler , choisissant quelques notes au hasard pour
repartir et conclure.. Solo de batterie
à la 23ème , polyrythmique
en diable et prélude à un hymne
jeté aux éléments… on est alors dans la transe de la sensibilité et de
l’émotion dans la surenchère énergétique, flottant sur les vagues telluriques de
Bianco. Alors si vous ne l’avez pas
encore écouté, Paul Dunmall, essayez de trouver cet album et vous allez tomber par
terre. Il reste encore quelques copies de Spirits
Past and Future, un des derniers cd’s
encore disponibles du label personnel de Paul Dunmall et de Phil Gibbs, son
fidèle compagnon guitariste. Cet album se concentre justement sur le sax ténor
et ayant écouté une très grande quantité
de ses productions, je suis frappé de n’être jamais lassé de ses improvisations
d’un disque à l’autre sur cet instrument. On peut aussi l’entendre en duo avec le batteur Miles
Levin dans Miles Above, toujours disponible sur Duns. Plutôt que de créer
un style « Dunmall » typé caractéristique, Paul tente avec le plus
grand bonheur d’intégrer un éventail
très étendu de possibles liés aux
spécificités du sax ténor et de son histoire. Des échos très denses de Trane (bien sûr)
mais aussi de Wayne, Warne, Gordon, Griffin, Rollins, Evan Parker et, même, une
synthèse de l’esprit de Jimmy Giuffre et de Sam Rivers dans un de ses albums sur
le label FMR. Avec lui, un véritable monstre de la batterie dans une approche
voisine de celle de Rashied Ali : profusion de rythmes croisés et de
frappes en roulement infernal. Tony
Bianco a la capacité de jouer en 36ème de temps sans faiblir. C’est un des plus
fantastique drumming free jazz qu’il est donné d’entendre. Evidemment cela va
fort… et Dunmall souffle avec une puissance….
Pour conclure, une pièce de 5 minutes plus apaisée, Istah. Un géant. Celui qui parle encore de
Coltranisme, qu’il aille empester les jurys de conservatoires. Vive Dunmall et
Vive Bianco !! Plus que ça tu meurs !!
Deep Whole Trio : That Deep Calling
Paul Dunmall Paul Rogers Mark Sanders FMR 370-0214
Deep Whole
trio est le nom du groupe constitué par Paul Dunmall,
saxophoniste ténor et soprano exceptionnel, le contrebassiste à 7 cordes Paul
Rogers et le percussionniste Mark Sanders. Les deux Paul faisaient partie du
quartet Mujician avec Keith Tippett et le batteur Tony Levin, disparu il y a
quelques années. Ce quartet moins Tippett se déclinait en un trio inoubliable
immortalisé par le quadruple cd «Deep
Joy » édité par Duns Limited Edition (à 100 copies) et enregistré au
tournant des années 90 et 2000. Ce Deep
Joy trio n’existe plus, mais voici le
Deep Whole. Par rapport à Tony Bianco, un poids lourd
de la batterie, Mark Sanders fait plutôt figure de poids plume. Mais
quelle élasticité, quel drive tout en nerfs, soubresauts et démarrages au quart
de tour, mais sans (presque) jamais interférer dans les fréquences du sax et de
la contrebasse. Contrebasse ? Celle de Paul Rogers est une espèce
d’hybride de la contrebasse, du violoncelle et de la viole de gambe. On se
souvient de la puissance toute mingusienne de Rogers à la quatre cordes
traditionnelle et de son coup d’archet supersonique. Dans le Deep Whole trio,
il y a la puissance profonde, énorme et cette légèreté fluide qui permet les
nuances de timbres chères à
l’improvisation britannique depuis les ateliers et gigs de John Stevens. Et
donc à l’instar des trios d’Evan Parker avec Guy et Lytton ou de Schlippenbach
avec Parker et Lovens, on atteint là le fin du fin de la liberté free-jazzistique
assumée , celle qui a profité de l’expérience de l’improvisation libre sans se
casser la tête avec le virus non-idiomatique, invention sémantique plus que
réalité musicale. D’ailleurs Lovens Lytton et Parker ont été à l’avant-garde de
ce mouvement et l’un n’empêche pas l’autre. Il n’y a que des imbéciles et de « moins bons » musiciens. Partagé en trois parties, cet
enregistrement du 30 mai 2013 à la Lamp Tavern de Birmingham offre un excellent
exemple de la pratique musicale la plus significative de Paul Dunmall avec
Rogers et Sanders. FMR, SLAM et Duns Limited ont publié une quantité
invraisemblable des « side projects » du saxophoniste avec
Rogers et le guitariste Philipp Gibbs,
mais aussi le flûtiste Neil Metcalfe, le
batteur Tony Marsh qui lorgnent vers l’improvisation libre avec des guitaristes
« à effets ». Dunmall semble ouvert à tout et aime se commettre avec
des collègues jeunes et encore inconnus. Il faudrait presqu’un guide du Dunmall pour les nuls afin de s’y retrouver. Pour ceux qui veulent en savoir plus sur ce
prodige du saxophone et sur cet extraordinaire trio et que l’ étendue du
catalogue dunmallien effraye, voici le maître achat.
Commençant comme un disque de jazz où il établit
spontanément une thématique sans même y penser et suivi par le
tandem Sanders – Rogers qui swingue à
tout va. En toute indépendance l’un de l’autre et avec une cohésion profonde. On
songe à Wayne, jusqu’à ce que le rythme se fasse plus pressant, que le motif se
décline et se métamorphose, se dilate, se contracte… Très vite s’installe l’exploration d’idées qui seraient advenues lors d’un précédent concert et qui s’imposent
à nouveau. L’excellence de l’enregistrement
de Chris Trent permet de goûter les nuances de la frappe de Sanders
alors que Dunmall étire ces notes de ténor une à une. Un court solo mi-basse mi-cello de Rogers, permis par son instrument à cordes sympathiques, introduit un
trilogue éthéré d’où surgissent des pointes de triple tonguing avec lesquelles
le bassiste dialogue en pizzicato. La pâte se lève et nos trois camarades
racontent l’histoire jusqu’au bout. Ensuite, Rogers plonge dans le travail à l’archet
dans plusieurs dimensions, propulsé par Sanders. Là-dessus, Dunmall trace un
enchaînement aussi cartésien que sensible de volutes enchevêtrées avec un son de plus en
plus chaleureux. That Deep Calling s’arrête après plus de 22 minutes sans que la
durée se fasse ressentir. Deuxième morceau, Can You take it est introduit par
Rogers à l’archet et le bassiste développe une improvisation où différents
registres sont exploités jusqu’à ce qu’un rythme naisse. Le batteur se
joigne à lui tout en laissant au cordiste l’initiative de tailler des sonorités
lumineuses. Dunmall reprend avec le saxello hérité d’Elton Dean
et le trio crée un univers sensible en rassemblant une à une chaque note
nécessaire à son improvisation tandis que Sanders martelle ses toms en sourdine.
Les spirales, stries, tangentielles, dérivées s’emboîtent dans un flux charnel
et ludqiue…. Des perfectionnistes de
l’improvisation qui prennent tous les risques sur la durée en ne laissant rien
au hasard dans le relevé du terrain arpenté par la tangente ou l'hyperbole. Je vous laisse là : avec cette musique on oublie les jazz magazine, les campagnes de com, le blah blah des critiques et les interviews bidon dont
nous assaisonne la presse musicale… Deep Whole, profond et entier …Une
musique libre et fascinante.