Die Exorzistin Flo Stoffner Rudi Mahall Michael Griener Wide Ear WER077
https://wideearrecords.bandcamp.com/album/die-exorzistin
Wide Ear n’est pas à son premier coup d’essai avec le guitariste Florian Stoffner et le clarinettiste basse Rudi Mahall. Mein Freund Der Baum est le titre de leur précédent album pour ce label en compagnie du percussionniste Paul Lovens. Un album vraiment fascinant, tant pour le guitariste que le batteur et l'implication anguleuse et vorace du souffleur. Il y eut ensuite une enregistrement d’un concert mémorable de ce trio pour Live Spontaneous Series paru en digital. Seulement, depuis deux ans ou un peu plus, Paul Lovens a remisé baguettes et tambours et ses mocassins de batteur et ne fait plus de concert. Rudi et Michael ont fait alors appel au batteur Michael Griener et pour de très bonnes raisons. Non seulement il est un excellent batteur inventif mais il est un des principaux collaborateurs de Rudi Mahall depuis leur adolescence, puis au sein de Die Enttäuschung, mais aussi un fan passionné du grand Paul chez qui il a découvert le monde de la percussion libérée et improvisée lors de concerts organisés par Günter Christmann il y a bien longtemps. Et comme Günter a toujours été un très proche de Paul Lovens, cela tombe sous le sens. Évidemment, par rapport à des artistes aussi éclatés au niveau des formes et de l’explorations des sons que Wolfgang Fuchs, Günter Christmann, Rudi Mahall est par essence plus « jazz » tout comme Michael Griener. Il suffit d’écouter leur quartet Die Enttäuschung qui swingue plus d’une fois qu’à son tour et s’est spécialisé dans la musique de Thelonious Monk (cfr Monk’s Casino avec Alex von Schlippenbach / Intakt et 2 – 19 Records). Mais c’est aussi toute la magie de l’improvisation quand des musiciens qui semblent diverger esthétiquement, improvisent librement, il peut tout autant jaillir des étincelles. Ce trio en est une belle démonstration. Comme batteur, Michael Griener joue tout à fait free de merveilleuse manière en requérant l’entièreté de son brio technique niveau frappes et roulements en se focalisant sur des pulsations mouvantes et ses enchaînements millimétrés, alors que Lovens est un dératé imprévisible. Mais l’ouverture de son jeu et l’excitation que celui-ci engendre apportent une belle inspiration aux attaques pleines d’effets, d’harmoniques, sauts de volume, combinaisons de sons très audacieuses du guitariste toujours sur la corde raide. Griener tape et articule des micro-sons en cascades irrégulières comme s’il avait six bras. Une option ludique proche de celle de Roger Turner et de Lovens avec ce côté batteur de jazz « classe » et une conception bien personnelle de la polyrythmie. Le trio fonctionne à merveille : cet aspect anguleux, pointilliste, équilibriste où chaque artiste contribue à égalité question trouvailles, improvisations et prise de risques. Et ce sens de la mélodie quand Rudi se rapproche d’une manière de jazz cool d’une grande richesse. Même si peu après, il étire des aigus extrêmes dans les harmoniques et tarabiscote son phrasé comme un canard virtuose avec triples détachés assassins. Avec cet album, Florian Stoffner démontre qu’avec son style aussi complexe et radical que celui de Bailey, il s’adapte aisément à toutes les configurations de nos deux joyeux drilles avec une coordination télépathique mutuelle. La pochette est celle d'un 45 tours en papier fort, orné des collages surréalistement réalisés par Katja Mahall comme il se doit comme tout album de Mahall et de Die Enttäuschung. Du grand art.
Erhard Hirt Willi Kellers Klaus Kürvers Richard Scott Trails Creative Sources CS832CD
https://creativesources.bandcamp.com/album/trails
Un bien curieux assemblage de talents apparemment dissemblables mais qui fonctionne à merveille. Deux des musiciens jouent acoustiques : le batteur Willi Kellers, entendu aux côtés des (Thomas) Borgmann, Brötzmann, Petrowsky, (Frank Paul) Schubert est une figure archétypique du free-jazz germanique. Et le contrebassiste Klaus Kürvers, un vétéran de la scène locale Berlinoise qu’on entend souvent dans des ensembles à cordes publiés par Creative Sources. Mais dès les premières notes, on a compris que la musique collectivement jouée ici se situe dans l’univers mouvant, bruitiste, électronique complexe des deux autres larrons, le britannique Richard Scott, crédité ici « live-electronics » et le e-guitariste Erhard Hirt, un grand pionnier des recherches sonores sur la guitare au même titre que Derek Bailey ou Fred Frith, à base d’effets électroniques détournés, d’altérations sonores électrosoniques. Ces deux-là s’entendent comme des larrons en foire emportant avec eux leurs deux autres collègues qui jouent le jeu à fond, tellement qu’on a peine à distinguer qui fait quoi, l’ensemble semblant détraqué. Trails traque toutes les angles morts et cultive l’effarement ultra-polyrythmique au niveau des textures. Il faut entendre Kellers faire cliqueter ses éléments de batterie. Le premier morceau évolue dans une empoignade pas possible. Live-electronics ou pas, je reconnais aisément les rebondissements colorés et volatiles du jeu de Richard Scott. Les contrastes et la fragmentation de la continuité du flux (on songe parfois à une mare où une assemblée de batraciens paradent en faisant claquer leurs joues gonflées dans une belle anarchie sonore) créent une multitude de soubresauts, hoquets, frictions d’une souplesse et d’une agilité étourdissante. Ceux qui ont pu et aimé écouter Do they do those in red ? de Lytton/ Joker Nies/ Scott/ Wissel doivent absolument se ruer sur cet ovni sonique, ces Trails qui s’affirment en dehors des tendances récentes ou déjà datées de la free – music (prétendument) radicale. Sept improvisations de différentes durées qui réussissent à se différencier les unes des autres tout en s’approchant du chaos, relâchant spasmes, vibrations électriques, crissements, ondes néphritiques, bruitages improbables, glissandi étranges, boucles trafiquées et centrifuges, l’art du glitch, des explosions contenues, secousses multi directionnelles … Plus vous avancerez dans l’écoute, plus vous vous trouverez dans un univers méconnu, troublant, opaque ou étonnamment lisible avec une infinités de détails sonores qui s’agrègent hors des lois de la physique ordinaire avec des paradigmes suggérés par la physique quantique. Prodigieusement intéressant et fascinant et un brillant chapitre de l'infatigable équipe portugaise de Creative Sources!!
Five Apparitions Matthew Goodheart and Broken Ghost Consort w Georg Wissel & Georg Cremaschi Infrequent-Seams IS-1060
https://matthewgoodheart.bandcamp.com/album/five-apparitions
Cinq Apparitions étagées depuis les 20 :30 de #1 jusqu’aux successives 5 :05 de #2, 6 :17 de #3, 3 :03 de #4 et 5 :12 de #5. Le souffleur Georg Wissel est crédité clarinet et George Cremaschi, bass (lisez contrebasse). George et le pianiste Matthew Goodheart sont des improvisateurs de la Côte Ouest des États-Unis. Le contrebassiste a été entendu avec Mats Gustafsson et le légendaire pianiste Greg Goodman (Gentle and Pretty Pigs), Vinny Golia, et en quartet avec Biggi Vinkeloe, Gino Robair et Mya Masaoka (Klang Farbe Melodie). Goodheart a croisé la route de Gianni Gebbia (tout comme Cremaschi) dans le trio Zen Widow, et celle de Leo Smith. Mais quiconque l’a écouté jusqu’à présent ne pourra deviner ce qu’il trafique avec son « transducer-actuated metal percussion » dont il est aussi crédité dans ces Five Apparitions. Si la troisième Apparition nous le fait entendre dans la configuration acoustique piano – clarinette – contrebasse post Bley – Giuffre- Swallow, les amateurs de jazz, même « free », vont s’encourir à l’écoute de l’espace intersidéral électro-acoustique dans #4 ou le côté « industriel » presque abrasif de #1, auxquels se mêlent les audaces sonores instrumentales de lui-même au piano, de Wissel qui déchiquète le son de sa clarinette ou pratique des crescendos funèbres, sans parler de certaines atrocités commises par Cremaschi. Celui-ci frappe la corde de sa contrebasse de coups sourds et puissants. La musique étonne et, à l’occasion, vrille le cerveau. Musique improvisée, planifiée, expérimentale, contemporaine pirate ? Mais cette musique mutante ne laisse pas indifférent. Au moins, les trois compères évoluent hors des sentiers battus, de la lingua franca du free de toujours. En #5 , on a même droit à une voix d’outre-tombe étrangement réverbérée (métallique), du chant des baleines de la contrebasse à l’archet et des sonorités métalliques lancinantes et sifflantes de science-fiction jusqu’à ce que la sonorité sensuelle de la clarinette s'insinue distante et effacée. Georg Wissel est aussi membre des fabuleux Canaries on the Pole et un duettiste attitré de Paul Lytton. À plusieurs reprises et depuis des décennies , différentes personnes impliquées dans l’écoute compulsive de musiques alternatives – de traverses – post rock – électro m’ont signalé que j’écoutais toujours la même chose depuis , dix ans, vingt ans, quarante ans , bientôt cinquante. Voilà bien de quoi les démentir. Curieux, intéressant et surtout beau, ça oui !!
Gosia Zagajewska, Paulina Owczarek & Emilio Gordoa - Spontaneous Live Series D06
https://spontaneousliveseries.bandcamp.com/album/spontaneous-live-series-d06
Une chanteuse, Gosia Zagajewska, une saxophoniste, Paulina Owczarek et un vibraphoniste (avec « objets »), Emilio Gordoa, soit un trio avec des instruments qu’on associe très peu. Une seule improvisation pour l’entièreté de ce document témoignage de 34 :59 et publié en juin 2024. Une tentative sincère de rencontre comme on aime à le faire lors du Spontaneous Music Festival au Dragon Social Club à Poznan et c’est aussi la ligne directrice du label Spontaneous Live Series. 2021 , 3 octobre : cinquième édition. Le but du jeu est de créer autant dans la surprise, l’écoute inventive et souvent/ parfois avec une recherche de sons diversifiés ou éclatés autant que de cohérence. Dans cette juxtaposition simultanée de sons et de « techniques étendues », on distingue clairement les instruments et la voix de Gosia Zagajewska en alternance avec des zones où les actions individuelles s’incorporent dans un flux où les repères s’effacent. Emilio Gordoa bruite à souhait avec les « objets » qui font vibrer les lames de son vibraphone de bien étrange façon. La vocalité des longues notes tenues du vibra soutiennent la vocalise hantée de Gosia Zagajewska qui hulule autour de deux notes aussi bien par-dessus la percussion de ces mêmes lames à l’air libre. La souffleuse triture la colonne d’air de son sax alto dans le sillage du vibra ou plonge dans un rêve éveillé pour un court instant. Plus loin, la chanteuse balbutie une comptine imaginaire parsemée des frappes délicates en apesanteur du percussionniste. Les trois artistes échangent de superbes idées et motifs avec un vrai sens de la répartie et d’une coexistence de nombreuses mues sonores instantanées qui dérivent adroitement. Vraiment un beau et sincère moment d’improvisation collective.
Consacré aux musiques improvisées (libre, radicale,totale, free-jazz), aux productions d'enregistrements indépendants, aux idées et idéaux qui s'inscrivent dans la pratique vivante de ces musiques à l'écart des idéologies. Nouveautés et parutions datées pour souligner qu'il s'agit pour beaucoup du travail d'une vie. Orynx est le 1er album de voix solo de J-M Van Schouwburg. https://orynx.bandcamp.com
21 novembre 2024
Flo Stoffner Rudi Mahall Michael Griener/ Erhard Hirt Willi Kellers Klaus Kürvers Richard Scott / Matthew Goodheart Georg Wissel & Georg Cremaschi/ Gosia Zagajewska, Paulina Owczarek & Emilio Gordoa
Free Improvising Singer and improvised music writer.
9 novembre 2024
Ra Kalam Bob Moses & Jerome Bryerton/ Adrian Northover Bruno Gussoni John Edwards Marcello Magliocchi/ Stefano Agostini & Guy Frank Pellerin/ Kay Grant Ian McLachlan Daniel Thompson
Ra Kalam Bob Moses & Jerome Bryerton The Jugglerdrum Balance Point Acoustics
https://balancepointacoustics.bandcamp.com/album/the-jugglerdrum
Il est très loin le temps où Bob Moses jouait avec Gary Burton et Larry Corryell… ou avec Dave Liebman ! Jerome Bryerton, lui s’est révélé aux côtés du fabuleux Wolfgang Fuchs (R.I.P) et du contrebassiste Damon Smith, le responsable du label Balance Point Acoustics il y a plus de vingt ans. Tous deux sont d’émérites batteurs – percussionnistes qui utilisent les ressources sonores et rythmiques des tambours et cymbales, cloches, gongs, etc… dans un magnifique dialogue libre dont les contributions individuelles forment un seul flux musical comme s’il n’ y avait qu’un seul musicien. Pas moins de sept morceaux aux durées variées entre quatre et dix minutes. On est ici proche des conceptions de Pierre Favre, à titre indicatif, mais aussi des traditions afro-américaines ou natives. Défilent les rythmes de la terre, des pulsations organiques, frappes accentuées un peu comme dans les musiques africaines ou indiennes, friselis de cymbales, vibrations cosmiques d’un gong, crissements, frottements, sons métalliques en suspensions…. L’interpénétration de leurs jeux respectifs et la coordination des gestes sont vraiment remarquables. Il s’en dégage une énergie positive, des connexions sonores fascinantes basées sur l’écoute, ouvrant la mémoire physique des moindres gestes et touchers enmagasinée dans le cortex par le travail de toute une vie …. Ils se servent donc de la somme ces matériaux sonores percussifs amassés au fil du temps par l'expérience mémorielle pour construire un nouvel univers de vibrations sonores. Celui-ci envahit l’espace et le silence sans jamais le saturer. Les frappes souples sur les peaux effectuent des danses elliptiques aux pulsations irrégulières en avant ou en arrière du temps (de l’ordre des huitième ou seizième de temps) et accentuées subtilement. Des sons de plusieurs provenances scintillent, surgissent ou ruissellent dans les mouvements des mains et gestes suggérés par notre audition de leurs frappes. On n'a plus qu'à rêver sans devoir ou pouvoir comprendre. Rafales et frémissemnts, rouleries et fracas tempérés.... , Aussi, ça pulse obliquement .... Un des plus beaux duos de percussions enregistrés qui se situe à mi-chemin entre Dialogue of The Drums de Cyrille et Milford Graves et Was It Me ? de Paul Lovens et Paul Lytton (ou plus exactement The Fetch).
The Mill Hill Quartet GUST Adrian Northover Bruno Gussoni John Edwards Marcello Magliocchi
https://marcellomagliocchi1.bandcamp.com/album/gust-the-mill-hill-quartet-magliocchi-northover-gussoni-edwards
https://adriannorthover.bandcamp.com/album/gust
Du côté du saxophoniste Adrian Northover et du percussionniste Marcello Magliocchi, dont le dernier duo Time Textures est une véritable révélation, les choses s’accélèrent : deux albums consécutifs avec un troisième larron, le flûtiste Bruno Gussoni m’ont fait une impression profonde : le CD The House on The Hill et le tout récent « digital « Scant ». Il y a là dans GUST un abandon total dans une recherche de sons au niveau sonore des flûtes de Bruno Gussoni de manière introspective, de l’ordre d’une transe intérieure. Pour mieux s’approcher de la philosophie du son et du souffle de Gussoni qui joue exclusivement ici des flûtes japonaises en bambou, Northover a adopté un sax soprano courbé au lieu du sax soprano droit, plus résonnant et plus puissant pour émettre les harmoniques et les multiphoniques. Marcello Magliocchi joue de la mini batterie avec une belle panoplie d’ustensiles et des techniques très variées avec une singulière liberté une superbe sensibilité dans la dynamique qui s’adapte parfaitement au discret volume des shakuhashi, nohkan et ryuteki de Gussoni. Le percussionniste gratte, piquète les métaux, fait gémir ses cymbales avec un archet ou un autre ustensile dans des stridences ondulantes, secoue des accessoires sens dessus – dessous, d’étranges roulements évolue en capharnaüm aussi inconcevable qu’il est lisible. John Edwards s’essaye à tout ce qu’il lui vient sur le champ à l’esprit dans les recoins de sa contrebasse, les cinq doigts des deux mains croisés et folâtrant sur la touche, les cordes résonnant intimement comme celles d’un instrument raccourci inconnu. Ils jouent comme s’ils étaient immergés dans la nature, explorant les cavités de leurs instruments, leurs surfaces, les tremblements du souffle, la résonance, des jeux en sourdine, les cliquetis, bruitages exquis et frictions variées commises sur la batterie. Adrian Northover retient son souffle, épure et fragmente ses interventions en osmose avec les vibrations de l’air sur la tranche supérieure des tubes en bambou de Bruno Gussoni. John Edwards s’implique totalement dans l’aventure en insérant ses actions au plus près de leur univers. Les lignes tactiles jouées avec sa contrebasse semblent évoquer de jeunes pousses d’arbres dans l’humus volatile et feuillu aux végétaux se décomposant dans une jungle où siffle une volière improbable. Ici on fait de la musique avec parfois presque rien, évacuant le virtuose et l’expressif, les spirales enfiévrées pour le spirituel, l’émotionnel, la magie du souffle et une forme de quiétude dans l’exploration minutieuse de formes instantanées quasiment aléatoires. De la poésie pure.
Oiseaux Imaginaires Stefano Agostini & Guy Frank Pellerin album digital
https://www.youtube.com/playlist?list=OLAK5uy_m7jhXN0-HyRykq5xWqLbOwP6VXv4ZRI10
Superbe collaboration entre le flûtiste Stefano Agostini et le saxophoniste Guy-Frank Pellerin. Ces deux improvisateurs à l’écoute l’un de l’autre dialoguent intimement en distendant les sons, étirant les textures, usant d’effets de souffle, de résonances acoustiques. La musique est ici suspendue dans le temps et l’espace avec de longues notes tenues, vibrations aériennes, tremblements, harmoniques respectives de la flûte et du sax soprano (Oiseaux migrateurs I,II et III). Ils cultivent des glissandi éthérés ou lunaires, des réitérations. Les altérations de la gamme de Stefano Agostini suggèrent la musique extrême orientale (Kabuki), son sens des nuances est extrêmement travaillé tout comme les échos subtils de Guy–Frank Pellerin à travers ces treize compositions – improvisations ocellaires. On les entend dans les sursauts de staccatos nerveux magnifiquement coordonnés ou Agostini fait étinceler sa maîtrise du souffle et la pureté de son son. Le saxophoniste articule de courts éléments avec des durées, timbres, accentuations, élisions différentes à la suite les uns des autres (le Rossignol et le Canard). Chaque morceau contient un matériau spécifique relativement précis et étudié et acquiert son identité propre dans l’instant. Il y a là une science des effets de souffle, du jeu distingué sur la dynamique, la qualité des silences et de la résonnance dans le lieu de l’enregistrement dont les fréquences mises en action par les deux souffleurs font partie intégralement de la musique. Ce projet et sa réalisation sont tout bonnement magnifiques à l’écart de bien des démarches qui se réclament de l’improvisation contemporaine. J’insiste très fort pour que ceux d’entre vous qui se réfèrent principalement à des artistes notoirement connus de la scène internationale prennent le temps de jeter une oreille curieuse sur leur musique. Je suis le travail de Guy-Frank Pellerin au fil du temps et on peut dire que cette initiative des Oiseaux Migrateurs se révèle être une autre face réussie de sa pratique musicale avec un flûtiste exceptionnel, Stefano Agostini. Celui-ci a un sérieux parcours en musique contemporaine alors que Guy - Frank Pellerin provient de la free-music improvisée hexagobale. Ils forment tous deux une remarquable équipe avec une réelle empathie et une créativité de haut vol.
This is A Tree Kay Grant Ian McLachlan Daniel Thompson Empty Birdcage digital
https://emptybirdcagerecords.bandcamp.com/album/this-is-a-tree
Le label Empty Birdcage avait déjà publié le duo de la chanteuse Kay Grant et du guitariste Daniel Thompson intitulé " quite pleased to be playing under a birdcage, that doesn't have a bird in it". J’ai ensuite assisté à super concert de ce duo dalors que je prestais avec Lawrence Casserley et Phil Wachsmann au Hundred Years Gallery en février 2023. Kay et Daniel s’étaient surpassés ce soir-là et firent encore une autre prestation phénoménale par la suite lors du Voicings Festival en mai 2024. Je me souviens alors avoir rencontré et parlé avec un auditeur se présentant Ian McLachlan à l'Hundred Years Gallery. Il semblait intéressé à jouer avec Daniel Thompson et un vocaliste ; et pourquoi pas moi ? Il avait sans doute assisté aussi à notre trio, Daniel, le trompettiste Roland Ramanan et moi-même au défunt Boat Ting (le bateau a coulé dans la Tamise) Si j’étais à demeure à Londres, je n’aurais pas hésité. Quelle n’est pas ma surprise de me retrouver avec dans les mains cet enregistrement de Kay, Daniel et Ian MacLachlan. Il y a une quarantaine d’années Ian improvisait déjà avec Steve Noble et Alex Mc Guire dans un trio mémorable. This is a tree : les trois musiciens, chanteuse guitariste et tromboniste explorent calmement et méthodiquement les interrelations de leurs décoctions instrumentales, paradigmes indéfinissables et dérives poétiques inspirées. Ian joue aussi une curieuse flûte dont il fait osciller le timbre et les gammes alors que Kay chante lentement à demi-voix évoquant pépiements d’oiseau, vocalises agréablement diphtonguées dans un mode intime et secret. Ce qui m’impressionne chez elle est cette capacité à intensément incarner et à se tenir à un registre prédéfini qui n’est jamais qu’une de ses nombreuses facettes comme si ce « rôle » qu’elle s’était donné était exprimé au plus profond d’elle-même. Dans blackthorn, ça gargouille ferme, la métamorphose des trois compères est totale. Daniel Thompson fait grincer sa guitare dans plusieurs dimensions et ostinatos et nous nous introduisons dans la nef des fous sans que Kay Grant se départisse de son flegmatique babil. Un très bon point chez ce guitariste est d'essayer des idées et des types de jeu différents en relation avec l'inventivité de ses collaborateurs sur scène, même si cela semble sortir de son style caractéristique, prouvant par là qu'improviser est moins un style qu'une disposition de l'esprit, un art de vivre l'ouverture à l'inconnu sans se soucier d'un quelconque cahier de charges ou d'idées toutes faites, éloignées du vécu. Ces trois là pratiquent l’art de combiner les extrêmes, le trivial , l’improbable, l’enfantin pour que se ressente l’écoute rapprochée et conviviale. Ce sont des frictions et succions de lèvres de la chanteuse qui initient hawthorn et puis sa voix blanche s'étend en douceur, alors que le guitariste fait résonner parcimonieusement des harmoniques de sa guitare acoustique. Ian McLachlan mimique ses timbres vocal-buccaux en triturant et pressurant son embouchure ou autre chose d’où s’échappent micro-sifflements, petits bruitages d’air compressé, « pops » et pschhhiiit …
Bref on a droit à une variété de micro – improvisation, pointillisme étiré… jusqu’à ce que le trio s’engage sur un trilogue animé où chaque musicien est à son avantage, Daniel Thompson n’ayant rien à envier à son mentor feu John Russell. Une session d’environ 35 minutes bien agréable au coin du feu.
https://balancepointacoustics.bandcamp.com/album/the-jugglerdrum
Il est très loin le temps où Bob Moses jouait avec Gary Burton et Larry Corryell… ou avec Dave Liebman ! Jerome Bryerton, lui s’est révélé aux côtés du fabuleux Wolfgang Fuchs (R.I.P) et du contrebassiste Damon Smith, le responsable du label Balance Point Acoustics il y a plus de vingt ans. Tous deux sont d’émérites batteurs – percussionnistes qui utilisent les ressources sonores et rythmiques des tambours et cymbales, cloches, gongs, etc… dans un magnifique dialogue libre dont les contributions individuelles forment un seul flux musical comme s’il n’ y avait qu’un seul musicien. Pas moins de sept morceaux aux durées variées entre quatre et dix minutes. On est ici proche des conceptions de Pierre Favre, à titre indicatif, mais aussi des traditions afro-américaines ou natives. Défilent les rythmes de la terre, des pulsations organiques, frappes accentuées un peu comme dans les musiques africaines ou indiennes, friselis de cymbales, vibrations cosmiques d’un gong, crissements, frottements, sons métalliques en suspensions…. L’interpénétration de leurs jeux respectifs et la coordination des gestes sont vraiment remarquables. Il s’en dégage une énergie positive, des connexions sonores fascinantes basées sur l’écoute, ouvrant la mémoire physique des moindres gestes et touchers enmagasinée dans le cortex par le travail de toute une vie …. Ils se servent donc de la somme ces matériaux sonores percussifs amassés au fil du temps par l'expérience mémorielle pour construire un nouvel univers de vibrations sonores. Celui-ci envahit l’espace et le silence sans jamais le saturer. Les frappes souples sur les peaux effectuent des danses elliptiques aux pulsations irrégulières en avant ou en arrière du temps (de l’ordre des huitième ou seizième de temps) et accentuées subtilement. Des sons de plusieurs provenances scintillent, surgissent ou ruissellent dans les mouvements des mains et gestes suggérés par notre audition de leurs frappes. On n'a plus qu'à rêver sans devoir ou pouvoir comprendre. Rafales et frémissemnts, rouleries et fracas tempérés.... , Aussi, ça pulse obliquement .... Un des plus beaux duos de percussions enregistrés qui se situe à mi-chemin entre Dialogue of The Drums de Cyrille et Milford Graves et Was It Me ? de Paul Lovens et Paul Lytton (ou plus exactement The Fetch).
The Mill Hill Quartet GUST Adrian Northover Bruno Gussoni John Edwards Marcello Magliocchi
https://marcellomagliocchi1.bandcamp.com/album/gust-the-mill-hill-quartet-magliocchi-northover-gussoni-edwards
https://adriannorthover.bandcamp.com/album/gust
Du côté du saxophoniste Adrian Northover et du percussionniste Marcello Magliocchi, dont le dernier duo Time Textures est une véritable révélation, les choses s’accélèrent : deux albums consécutifs avec un troisième larron, le flûtiste Bruno Gussoni m’ont fait une impression profonde : le CD The House on The Hill et le tout récent « digital « Scant ». Il y a là dans GUST un abandon total dans une recherche de sons au niveau sonore des flûtes de Bruno Gussoni de manière introspective, de l’ordre d’une transe intérieure. Pour mieux s’approcher de la philosophie du son et du souffle de Gussoni qui joue exclusivement ici des flûtes japonaises en bambou, Northover a adopté un sax soprano courbé au lieu du sax soprano droit, plus résonnant et plus puissant pour émettre les harmoniques et les multiphoniques. Marcello Magliocchi joue de la mini batterie avec une belle panoplie d’ustensiles et des techniques très variées avec une singulière liberté une superbe sensibilité dans la dynamique qui s’adapte parfaitement au discret volume des shakuhashi, nohkan et ryuteki de Gussoni. Le percussionniste gratte, piquète les métaux, fait gémir ses cymbales avec un archet ou un autre ustensile dans des stridences ondulantes, secoue des accessoires sens dessus – dessous, d’étranges roulements évolue en capharnaüm aussi inconcevable qu’il est lisible. John Edwards s’essaye à tout ce qu’il lui vient sur le champ à l’esprit dans les recoins de sa contrebasse, les cinq doigts des deux mains croisés et folâtrant sur la touche, les cordes résonnant intimement comme celles d’un instrument raccourci inconnu. Ils jouent comme s’ils étaient immergés dans la nature, explorant les cavités de leurs instruments, leurs surfaces, les tremblements du souffle, la résonance, des jeux en sourdine, les cliquetis, bruitages exquis et frictions variées commises sur la batterie. Adrian Northover retient son souffle, épure et fragmente ses interventions en osmose avec les vibrations de l’air sur la tranche supérieure des tubes en bambou de Bruno Gussoni. John Edwards s’implique totalement dans l’aventure en insérant ses actions au plus près de leur univers. Les lignes tactiles jouées avec sa contrebasse semblent évoquer de jeunes pousses d’arbres dans l’humus volatile et feuillu aux végétaux se décomposant dans une jungle où siffle une volière improbable. Ici on fait de la musique avec parfois presque rien, évacuant le virtuose et l’expressif, les spirales enfiévrées pour le spirituel, l’émotionnel, la magie du souffle et une forme de quiétude dans l’exploration minutieuse de formes instantanées quasiment aléatoires. De la poésie pure.
Oiseaux Imaginaires Stefano Agostini & Guy Frank Pellerin album digital
https://www.youtube.com/playlist?list=OLAK5uy_m7jhXN0-HyRykq5xWqLbOwP6VXv4ZRI10
Superbe collaboration entre le flûtiste Stefano Agostini et le saxophoniste Guy-Frank Pellerin. Ces deux improvisateurs à l’écoute l’un de l’autre dialoguent intimement en distendant les sons, étirant les textures, usant d’effets de souffle, de résonances acoustiques. La musique est ici suspendue dans le temps et l’espace avec de longues notes tenues, vibrations aériennes, tremblements, harmoniques respectives de la flûte et du sax soprano (Oiseaux migrateurs I,II et III). Ils cultivent des glissandi éthérés ou lunaires, des réitérations. Les altérations de la gamme de Stefano Agostini suggèrent la musique extrême orientale (Kabuki), son sens des nuances est extrêmement travaillé tout comme les échos subtils de Guy–Frank Pellerin à travers ces treize compositions – improvisations ocellaires. On les entend dans les sursauts de staccatos nerveux magnifiquement coordonnés ou Agostini fait étinceler sa maîtrise du souffle et la pureté de son son. Le saxophoniste articule de courts éléments avec des durées, timbres, accentuations, élisions différentes à la suite les uns des autres (le Rossignol et le Canard). Chaque morceau contient un matériau spécifique relativement précis et étudié et acquiert son identité propre dans l’instant. Il y a là une science des effets de souffle, du jeu distingué sur la dynamique, la qualité des silences et de la résonnance dans le lieu de l’enregistrement dont les fréquences mises en action par les deux souffleurs font partie intégralement de la musique. Ce projet et sa réalisation sont tout bonnement magnifiques à l’écart de bien des démarches qui se réclament de l’improvisation contemporaine. J’insiste très fort pour que ceux d’entre vous qui se réfèrent principalement à des artistes notoirement connus de la scène internationale prennent le temps de jeter une oreille curieuse sur leur musique. Je suis le travail de Guy-Frank Pellerin au fil du temps et on peut dire que cette initiative des Oiseaux Migrateurs se révèle être une autre face réussie de sa pratique musicale avec un flûtiste exceptionnel, Stefano Agostini. Celui-ci a un sérieux parcours en musique contemporaine alors que Guy - Frank Pellerin provient de la free-music improvisée hexagobale. Ils forment tous deux une remarquable équipe avec une réelle empathie et une créativité de haut vol.
This is A Tree Kay Grant Ian McLachlan Daniel Thompson Empty Birdcage digital
https://emptybirdcagerecords.bandcamp.com/album/this-is-a-tree
Le label Empty Birdcage avait déjà publié le duo de la chanteuse Kay Grant et du guitariste Daniel Thompson intitulé " quite pleased to be playing under a birdcage, that doesn't have a bird in it". J’ai ensuite assisté à super concert de ce duo dalors que je prestais avec Lawrence Casserley et Phil Wachsmann au Hundred Years Gallery en février 2023. Kay et Daniel s’étaient surpassés ce soir-là et firent encore une autre prestation phénoménale par la suite lors du Voicings Festival en mai 2024. Je me souviens alors avoir rencontré et parlé avec un auditeur se présentant Ian McLachlan à l'Hundred Years Gallery. Il semblait intéressé à jouer avec Daniel Thompson et un vocaliste ; et pourquoi pas moi ? Il avait sans doute assisté aussi à notre trio, Daniel, le trompettiste Roland Ramanan et moi-même au défunt Boat Ting (le bateau a coulé dans la Tamise) Si j’étais à demeure à Londres, je n’aurais pas hésité. Quelle n’est pas ma surprise de me retrouver avec dans les mains cet enregistrement de Kay, Daniel et Ian MacLachlan. Il y a une quarantaine d’années Ian improvisait déjà avec Steve Noble et Alex Mc Guire dans un trio mémorable. This is a tree : les trois musiciens, chanteuse guitariste et tromboniste explorent calmement et méthodiquement les interrelations de leurs décoctions instrumentales, paradigmes indéfinissables et dérives poétiques inspirées. Ian joue aussi une curieuse flûte dont il fait osciller le timbre et les gammes alors que Kay chante lentement à demi-voix évoquant pépiements d’oiseau, vocalises agréablement diphtonguées dans un mode intime et secret. Ce qui m’impressionne chez elle est cette capacité à intensément incarner et à se tenir à un registre prédéfini qui n’est jamais qu’une de ses nombreuses facettes comme si ce « rôle » qu’elle s’était donné était exprimé au plus profond d’elle-même. Dans blackthorn, ça gargouille ferme, la métamorphose des trois compères est totale. Daniel Thompson fait grincer sa guitare dans plusieurs dimensions et ostinatos et nous nous introduisons dans la nef des fous sans que Kay Grant se départisse de son flegmatique babil. Un très bon point chez ce guitariste est d'essayer des idées et des types de jeu différents en relation avec l'inventivité de ses collaborateurs sur scène, même si cela semble sortir de son style caractéristique, prouvant par là qu'improviser est moins un style qu'une disposition de l'esprit, un art de vivre l'ouverture à l'inconnu sans se soucier d'un quelconque cahier de charges ou d'idées toutes faites, éloignées du vécu. Ces trois là pratiquent l’art de combiner les extrêmes, le trivial , l’improbable, l’enfantin pour que se ressente l’écoute rapprochée et conviviale. Ce sont des frictions et succions de lèvres de la chanteuse qui initient hawthorn et puis sa voix blanche s'étend en douceur, alors que le guitariste fait résonner parcimonieusement des harmoniques de sa guitare acoustique. Ian McLachlan mimique ses timbres vocal-buccaux en triturant et pressurant son embouchure ou autre chose d’où s’échappent micro-sifflements, petits bruitages d’air compressé, « pops » et pschhhiiit …
Bref on a droit à une variété de micro – improvisation, pointillisme étiré… jusqu’à ce que le trio s’engage sur un trilogue animé où chaque musicien est à son avantage, Daniel Thompson n’ayant rien à envier à son mentor feu John Russell. Une session d’environ 35 minutes bien agréable au coin du feu.
Free Improvising Singer and improvised music writer.
7 novembre 2024
Faradena Afifi Steve Beresford Paul Khimasia Morgan/ Ernesto Rodrigues Guilherme Rodrigues Nuno Torres/ Adam Goodwin & Danny Kamins / Neil Metcalfe Phil Wachsmann Emil Karlsen Pierre - Alexandre Tremblay
Bee Reiki Faradena Afifi Steve Beresford Paul Khimasia Morgan Discus Music 173CD
https://discusmusic.bandcamp.com/album/bee-reiki-173cd-2024
Faradena Afifi - viola, violin, voice and drum set, Steve Beresford - piano, electronics and toys & Paul Khimasia Morgan - guitar body and electronics. Voici bien un album collaboratif d’improvisateurs qui échappe au radar et à une quelconque idée toute faite. À la fois chanteuse, violoniste et percussionniste, Faradena est une artiste à la fois afghane et britannique et influencée par sa pratique du T’ai Chi, les chants d’oiseau, Maggie Nicols, la danse, les arts visuels et les musiques populaires des quatre coins du monde. Paul Khimasia Morgan est un professionnel de la prise de son, musicien improvisateur et artiste visuel ayant collaboré avec Bianca Regina, Richard Sanderson, Jason Kahn, Christian Alvear, … et bien sûr Faradena Afifi et le pianiste Steve Beresford qu’on ne présente plus, étant un familier de Derek Bailey, Evan Parker, Louis Moholo, Han Bennink, John Butcher, John Russell, David Toop et membre des légendaires Alterations. La musique de Bee Reiki a d’ailleurs un air de famille avec celle de ce groupe, Alterations. Il y est question d’abeilles dans plusieurs titres où cet insecte bienfaisant est nommément cité ou simplement suggéré. On entend ici et là des zézaiements, des pépiements, des bourdonnements fugaces, un fredonnement, des bruissements de la nature , le timbre du violon qui oscille et miaule, la voix de Faradena Afifi, de discrètes interventions au piano deBeresford avec les cordes et les mécanismes , des vibrations fugaces, frottements minimalistes, tâtonnements sur une batterie toute en sensibilité. Une quelconque virtuosité est écartée au profit d’une intrigante poésie sonique. Chaque geste compte même leur insignifiance apparente est savamment maîtrisée. Rien n’est laissé au hasard. Une dimension heuristique, anarchiste et poétique se répand dans notre écoute et réunit les trois artistes dans une œuvre instantanée imprévisible et indescriptible. Il faut se déplacer à Londres pour croiser de tels artistes et découvrir leur rafraîchissante utopie.
Whispers from the Moonlight in seven movements Ernesto Rodrigues Guilherme Rodrigues Nuno Torres Creative Sources CS849CD
https://creativesources.bandcamp.com/album/whispers-in-the-moonlight-in-seven-movements
Ces enregistrements du trio Ernesto Rodrigues, Guilherme Rodrigues et Nuno Torres s’étalent en sept mouvements sur deux compacts, le premier mouvement (Berlin I) atteignant les 43 minutes qui résume et développe simultanément à lui tout seul l’essence de leur musique improvisée aérienne tour à tour élégiaque, lunaire, raffinée, affairée. Entre l’alto d’Ernesto et le violoncelle de Guilherme s’insère discrètement le saxophone alto de Nuno Torres à la sonorité travaillée spécifique. La lingua franca du free-jazz ou du be-bop fait appel à cette sonorité tranchante, brillante, pleine de sève, colorée, une expressivité pétillante, pleine d’altérations de la gamme pour accentuer le phrasé quasi-agressive. Parker, Coleman, Dolphy, Osborne, Watts, Lyons, ou même Marion Brown. Mais le son de Nuno Torres n’a tout autant rien à voir avec ceux de Paul Desmond, Konitz ou Pepper. Il semble qu’il vise à intégrer son souffle aux timbres des deux instruments à cordes, à leurs frottements, à leurs sons graves avec un son granuleux, lunaire, une texture proche de celle de l’alto d’Ernesto, des giclées de staccatos cotonneux, cette sonorité détimbrée imitant les qualités sonores des vibrations des cordes. Il faut vraiment tendre l’oreille et se concentrer pour isoler et entendre réellement où se situe le son du saxophone au sein du trio. Berlin 1 est à lui tout seul le contenu d’un album qui se suffit à lui-même et constitue une œuvre que les trois musiciens auraient pu publier isolément dans un album. On y trouve une belle suite dans les idées dans l’évolution de leur improvisation avec une variété de climax et d’assemblages de formes, de sonorités diffuses, de traitement du son d’ensemble et celui de chacun des trois protagonistes.
Mais, ils ont choisi d’accumuler les témoignages de leur tournée avec un morceau de durée moyenne de 10 minutes , deux pièces très courtes et trois longues improvisations de 27, 22 et 23 minutes durant lesquelles ils distendent la musique, recherchent les sonorités, s’étalent en drones scintillants, agrégats lumineux ou ombragés, murmures de rayon de lune, frottements délicats ou subtilement grinçants, coups de griffes, grattages, pizzicatos oscillatoires, sonorités voilées sur lesquelles le souffleur répand parcimonieusement notes désincarnées, effets de souffle, pépiements ralentis. On y trouve des chassés croisés bruitistes, sifflants ou vif argent accidentés…. Les propriétés du mercure qui s’assemble dans une masse et éclate dans une multitude de bulles qui s’agrègent instantanément à la moindre secousse… Le premier mouvement cultivait des formes tangibles, une écriture précieuse dans une série de constructions « logiques ». Par la suite, on cherche, on gratte, on frétille, fait tournoyer des spirales ou projeter des éclats mats qui se métamorphosent dans des motifs volatiles complexes ou ces échanges ludiques, voire rebondissants. Et ce sens de la dérive poétique, de la fuite en avant et de l’infini des configurations sonores multipliées sans frein procurent un plaisir intense à l’écoute et à la sensibilité pour les instruments à cordes dont l’adage souligne l’empathie innée entre eux mieux que face à un autre instrument. Adage démenti ici par la superbe démarche de Nuno Torres au sax alto qui s’allie merveilleusement avec les trames sonores des deux cordistes à l’alto et au violoncelle. Quand on pense que ces même messieurs sont parvenus à enregistrer un album remarquable et cohérent avec Alex von Schlippenbach et Willi Kellers ou avec Udo Schindler. En comparant avec un excellent album précédent d'Ernesto et Guilherme et le clarinettiste - saxophoniste Frank Gratkowski, Unstable Molecules, , on peut prendre la mesure de la profonde différence entre la démarche de Torres et celle de Gratkowski
Un enregistrement majeur dans le parcours discographique massif des Rodrigues, E. & G. et la mise en valeur des ressources insoupçonnées de l’improvisation libre.
Adam Goodwin/Danny Kamins The East End Sessions Musical Eschatology digital
https://adamgoodwindannykamins.bandcamp.com/album/the-east-end-sessions
Une contrebasse : Adam Goodwin et un sax sopranino : Danny Kamins. Un CD publié par Musical Eschatology. Un dialogue précis, amoureux, exigeant et multiple. Les pulsations libres des doigts de la main droite adroite et rebondissante ou l’archet grondant en glissandi graves et bourdonnants et le souffle exploratoire se jouant des possibilités sonores du « tout petit » saxophone droit : harmoniques spirales perçantes ou effets de souffle ou « de langue », techniques partagées avec celles du contrebassiste qui en improvise la translation avec son gros violon. Une fine et expressive interaction naît, se développe, s’agglutine, évolue au fil des phases de jeux. On découvre les nuances infinies des frottements et coups d’archets à l’arraché ou grincements face aux inspirations – expirations bruissantes dans le tube ou les suraigus scintillants. Les paysages sonores défilent comme un action painting obstiné, savant et sauvage avec de superbes suites dans les idées. La musique peut y naître en s’extrayant très lentement du silence (Part II) avec des gestes précautionneux et précis comme une ombre qui s’éloigne. Un souffle léger s’insinue et l’archet s’agrippe aux cordes obstinément, grince au plus près du chevalet. Une dramaturgie introspective se révèle, ces sons du quotidien par-dessus le mystère insondable des gestes, des à-coup, des réflexes et de l’inconnu. Un univers inconnu se révèle et prends corps dans les échanges tactiles de plus en plus prononcés, évidents ou en correspondance intime entre chaque acteur. Risquée, la tentative s’illumine dans une profonde communion qui s’affirme incontournable. Vibrations sensibles, boisées, vocalisées (avec aisance au sopranino !), expressives avec accès mélodique un instant et / ou abstraction dans les graves mouvants. On découvre cette capacité intuitive à renouveler les éléments sonores, la dynamique, le matériau en constante évolution qui est le fruit d’une écoute intense, d’une concentration réfléchie et d’une plénitude créatrice. Bien sûr en III, viennent les spirales ardentes mêlant glissandi, boucles en respiration circulaire et suraigus mordants et malléables pour changer l’atmosphère, l’archet pressant la corde sur la touche avec une belle intensité ou oscille dans les graves en tournoyant. Par n’importe quel bout vous les prenez, les six improvisations de ces East End Sessions fonctionnent, s’écoutent avec un vrai plaisir du début à la fin, sans jamais « se répéter », chaque partie se distinguant des cinq autres par leurs affects, leur déroulement et leur dynamique propres. Une très belle réussite.
Shadow Figures Spaces Unfolding (Neil Metcalfe Philipp Wachsmann Emil Karlsen) + Pierre-Alexandre Tremblay Bead Records 50.
https://beadrecords.bandcamp.com/album/shadow-figures
Le trio Spaces Unfolding, soit le flûtiste Neil Metcalfe, le violoniste Philipp Wachsmann et le percussionniste Emil Karlsen, s'est adjoint la collaborations de l'artiste de musique électronique Pierre-Alexandre Tremblay. Le précédent album de Spaces Unfolding était essentiellement acoustique, à ceci près que le violon de Wachsmann est joué avec une très fine installation électronique basée entre autres sur le delay et une subtile adaptation "algorythmique" "hésitante" des boucles. Il semble que l'interaction avec les processus de Tremblay intensifie et multiplie certains des aspects de cette approche personnelle de Wachsmann pour incorporer les sons de chacun dans le trio. En fait, d'un point de vue auditif il y a deux "sortes" de musiques improvisées : celle qui vous fait entendre ce que vous savez déjà de la musique d'un groupe que vous aimez et qui se ressemble assez bien par rapport à l'enregistrement précédent ou à leurs concerts. Et celle qui vous propose une musique dont le son d'ensemble et la direction musicale est sensiblement éloignée de ce que vous connaissez déjà de ce groupe. C'est bien le (rare) cas ici. Spaces Unfolding + Pierre-Alexandre Tremblay nous envoie dans un autre univers. Bien sûr, nous identifions les interventions du flûtiste et son style si personnel sur le timbre suave et les relations entre chaque note qui le rend aussi identifiable que Lol Coxhill, son ami disparu. Et les interventions calibrées et surprenantes de Phil Wachsmann restent toujours du Wachsmann pur jus avec son sens unique du timing et de soudaines diversions. Ainsi de la percussion d'Emil Karlsen. Ces Shadow Figures révèlent une démarche expérimentale à base de différents concepts et leurs applications technologiques de transformations d'éléments sonores - aspects du jeu instrumental et d'interactions induites par Pierre-Alexandre Tremblay. Les quatres musiciens explorent des détails sonores, et leurs échos ou "ombres" différées, actions où s'imbriquent des interventions dosées et calibrées de chacun des trois improvisateurs dont on distingue clairement l'identité de leur jeu respectif, entièrement recontextualisé ici. Dans plusieurs pièces, c'est l'aspect du timing qui est en jeu comme on l'entend jamais ailleurs. Aussi, la dynamique et l'interactivité ont ici une toute autre nature que celles de leur enregistrement précédent, the Way We Speak. Chacun des morceaux enregistrés : Shadow Figures Pt. 1, Shadow Figures Pt. 2, In Praise of Shadows Pt. 1,Refractions Pt. 1, Refractions Pt. 2, Echoes of Being Pt. 1, Echoes of Being Pt. 2 , In Praise of Shadows Pt. 2, Reflect / Reflex Pt. 1, Reflect / Reflex Pt. 2, In Praise of Shadows Pt. 3 est focalisé sur un caractère différent du travail interactif de Tremblay avec les membres de Spaces Unfolding dans des approches divergentes, parfois complémentaires qui soulignent et singularisent des éléments du travail instrumental : la texture, le timing, les spécificités des sonorités et des possibilités du violon ou de la percussion, la mise en évidence de la "voix" très particulière du souffle de Neil Metcalfe, un artiste identifié plus "free-jazz". Aussi il faut souligner les curieux effets de rebondissements - redoublements des frappes sur les peaux d'Emil Karlsen qui accentuent et mettent en évidence sa conception de la percussion et du timing.Ce serait fastidieux de vouloir décrire précisément chacun des options qu' on découvre à l'écoute des Shadow Figures, In Praise of Shadows, Refractions, Echoes of Being, Reflect/ Reflex et chacune de leurs parties n° 1 ou 2. Un O.V.N.I dans la multitude des enregistrements de musiques improvisées. Chaudement recommandé à quiconque s'intéresse au croisement de la musique instrumentale contemporaine et de la technologie digitale / électronique d'aujourd'hui. Bead Records, le label de Phil Wachsmann où Emil Karlsen s'investit intensément, a encore ajouté un bijou (n° 50) à son catalogue, un des plus diversifiés de l'univers des musiques improvisées depuis des décennies.
https://discusmusic.bandcamp.com/album/bee-reiki-173cd-2024
Faradena Afifi - viola, violin, voice and drum set, Steve Beresford - piano, electronics and toys & Paul Khimasia Morgan - guitar body and electronics. Voici bien un album collaboratif d’improvisateurs qui échappe au radar et à une quelconque idée toute faite. À la fois chanteuse, violoniste et percussionniste, Faradena est une artiste à la fois afghane et britannique et influencée par sa pratique du T’ai Chi, les chants d’oiseau, Maggie Nicols, la danse, les arts visuels et les musiques populaires des quatre coins du monde. Paul Khimasia Morgan est un professionnel de la prise de son, musicien improvisateur et artiste visuel ayant collaboré avec Bianca Regina, Richard Sanderson, Jason Kahn, Christian Alvear, … et bien sûr Faradena Afifi et le pianiste Steve Beresford qu’on ne présente plus, étant un familier de Derek Bailey, Evan Parker, Louis Moholo, Han Bennink, John Butcher, John Russell, David Toop et membre des légendaires Alterations. La musique de Bee Reiki a d’ailleurs un air de famille avec celle de ce groupe, Alterations. Il y est question d’abeilles dans plusieurs titres où cet insecte bienfaisant est nommément cité ou simplement suggéré. On entend ici et là des zézaiements, des pépiements, des bourdonnements fugaces, un fredonnement, des bruissements de la nature , le timbre du violon qui oscille et miaule, la voix de Faradena Afifi, de discrètes interventions au piano deBeresford avec les cordes et les mécanismes , des vibrations fugaces, frottements minimalistes, tâtonnements sur une batterie toute en sensibilité. Une quelconque virtuosité est écartée au profit d’une intrigante poésie sonique. Chaque geste compte même leur insignifiance apparente est savamment maîtrisée. Rien n’est laissé au hasard. Une dimension heuristique, anarchiste et poétique se répand dans notre écoute et réunit les trois artistes dans une œuvre instantanée imprévisible et indescriptible. Il faut se déplacer à Londres pour croiser de tels artistes et découvrir leur rafraîchissante utopie.
Whispers from the Moonlight in seven movements Ernesto Rodrigues Guilherme Rodrigues Nuno Torres Creative Sources CS849CD
https://creativesources.bandcamp.com/album/whispers-in-the-moonlight-in-seven-movements
Ces enregistrements du trio Ernesto Rodrigues, Guilherme Rodrigues et Nuno Torres s’étalent en sept mouvements sur deux compacts, le premier mouvement (Berlin I) atteignant les 43 minutes qui résume et développe simultanément à lui tout seul l’essence de leur musique improvisée aérienne tour à tour élégiaque, lunaire, raffinée, affairée. Entre l’alto d’Ernesto et le violoncelle de Guilherme s’insère discrètement le saxophone alto de Nuno Torres à la sonorité travaillée spécifique. La lingua franca du free-jazz ou du be-bop fait appel à cette sonorité tranchante, brillante, pleine de sève, colorée, une expressivité pétillante, pleine d’altérations de la gamme pour accentuer le phrasé quasi-agressive. Parker, Coleman, Dolphy, Osborne, Watts, Lyons, ou même Marion Brown. Mais le son de Nuno Torres n’a tout autant rien à voir avec ceux de Paul Desmond, Konitz ou Pepper. Il semble qu’il vise à intégrer son souffle aux timbres des deux instruments à cordes, à leurs frottements, à leurs sons graves avec un son granuleux, lunaire, une texture proche de celle de l’alto d’Ernesto, des giclées de staccatos cotonneux, cette sonorité détimbrée imitant les qualités sonores des vibrations des cordes. Il faut vraiment tendre l’oreille et se concentrer pour isoler et entendre réellement où se situe le son du saxophone au sein du trio. Berlin 1 est à lui tout seul le contenu d’un album qui se suffit à lui-même et constitue une œuvre que les trois musiciens auraient pu publier isolément dans un album. On y trouve une belle suite dans les idées dans l’évolution de leur improvisation avec une variété de climax et d’assemblages de formes, de sonorités diffuses, de traitement du son d’ensemble et celui de chacun des trois protagonistes.
Mais, ils ont choisi d’accumuler les témoignages de leur tournée avec un morceau de durée moyenne de 10 minutes , deux pièces très courtes et trois longues improvisations de 27, 22 et 23 minutes durant lesquelles ils distendent la musique, recherchent les sonorités, s’étalent en drones scintillants, agrégats lumineux ou ombragés, murmures de rayon de lune, frottements délicats ou subtilement grinçants, coups de griffes, grattages, pizzicatos oscillatoires, sonorités voilées sur lesquelles le souffleur répand parcimonieusement notes désincarnées, effets de souffle, pépiements ralentis. On y trouve des chassés croisés bruitistes, sifflants ou vif argent accidentés…. Les propriétés du mercure qui s’assemble dans une masse et éclate dans une multitude de bulles qui s’agrègent instantanément à la moindre secousse… Le premier mouvement cultivait des formes tangibles, une écriture précieuse dans une série de constructions « logiques ». Par la suite, on cherche, on gratte, on frétille, fait tournoyer des spirales ou projeter des éclats mats qui se métamorphosent dans des motifs volatiles complexes ou ces échanges ludiques, voire rebondissants. Et ce sens de la dérive poétique, de la fuite en avant et de l’infini des configurations sonores multipliées sans frein procurent un plaisir intense à l’écoute et à la sensibilité pour les instruments à cordes dont l’adage souligne l’empathie innée entre eux mieux que face à un autre instrument. Adage démenti ici par la superbe démarche de Nuno Torres au sax alto qui s’allie merveilleusement avec les trames sonores des deux cordistes à l’alto et au violoncelle. Quand on pense que ces même messieurs sont parvenus à enregistrer un album remarquable et cohérent avec Alex von Schlippenbach et Willi Kellers ou avec Udo Schindler. En comparant avec un excellent album précédent d'Ernesto et Guilherme et le clarinettiste - saxophoniste Frank Gratkowski, Unstable Molecules, , on peut prendre la mesure de la profonde différence entre la démarche de Torres et celle de Gratkowski
Un enregistrement majeur dans le parcours discographique massif des Rodrigues, E. & G. et la mise en valeur des ressources insoupçonnées de l’improvisation libre.
Adam Goodwin/Danny Kamins The East End Sessions Musical Eschatology digital
https://adamgoodwindannykamins.bandcamp.com/album/the-east-end-sessions
Une contrebasse : Adam Goodwin et un sax sopranino : Danny Kamins. Un CD publié par Musical Eschatology. Un dialogue précis, amoureux, exigeant et multiple. Les pulsations libres des doigts de la main droite adroite et rebondissante ou l’archet grondant en glissandi graves et bourdonnants et le souffle exploratoire se jouant des possibilités sonores du « tout petit » saxophone droit : harmoniques spirales perçantes ou effets de souffle ou « de langue », techniques partagées avec celles du contrebassiste qui en improvise la translation avec son gros violon. Une fine et expressive interaction naît, se développe, s’agglutine, évolue au fil des phases de jeux. On découvre les nuances infinies des frottements et coups d’archets à l’arraché ou grincements face aux inspirations – expirations bruissantes dans le tube ou les suraigus scintillants. Les paysages sonores défilent comme un action painting obstiné, savant et sauvage avec de superbes suites dans les idées. La musique peut y naître en s’extrayant très lentement du silence (Part II) avec des gestes précautionneux et précis comme une ombre qui s’éloigne. Un souffle léger s’insinue et l’archet s’agrippe aux cordes obstinément, grince au plus près du chevalet. Une dramaturgie introspective se révèle, ces sons du quotidien par-dessus le mystère insondable des gestes, des à-coup, des réflexes et de l’inconnu. Un univers inconnu se révèle et prends corps dans les échanges tactiles de plus en plus prononcés, évidents ou en correspondance intime entre chaque acteur. Risquée, la tentative s’illumine dans une profonde communion qui s’affirme incontournable. Vibrations sensibles, boisées, vocalisées (avec aisance au sopranino !), expressives avec accès mélodique un instant et / ou abstraction dans les graves mouvants. On découvre cette capacité intuitive à renouveler les éléments sonores, la dynamique, le matériau en constante évolution qui est le fruit d’une écoute intense, d’une concentration réfléchie et d’une plénitude créatrice. Bien sûr en III, viennent les spirales ardentes mêlant glissandi, boucles en respiration circulaire et suraigus mordants et malléables pour changer l’atmosphère, l’archet pressant la corde sur la touche avec une belle intensité ou oscille dans les graves en tournoyant. Par n’importe quel bout vous les prenez, les six improvisations de ces East End Sessions fonctionnent, s’écoutent avec un vrai plaisir du début à la fin, sans jamais « se répéter », chaque partie se distinguant des cinq autres par leurs affects, leur déroulement et leur dynamique propres. Une très belle réussite.
Shadow Figures Spaces Unfolding (Neil Metcalfe Philipp Wachsmann Emil Karlsen) + Pierre-Alexandre Tremblay Bead Records 50.
https://beadrecords.bandcamp.com/album/shadow-figures
Le trio Spaces Unfolding, soit le flûtiste Neil Metcalfe, le violoniste Philipp Wachsmann et le percussionniste Emil Karlsen, s'est adjoint la collaborations de l'artiste de musique électronique Pierre-Alexandre Tremblay. Le précédent album de Spaces Unfolding était essentiellement acoustique, à ceci près que le violon de Wachsmann est joué avec une très fine installation électronique basée entre autres sur le delay et une subtile adaptation "algorythmique" "hésitante" des boucles. Il semble que l'interaction avec les processus de Tremblay intensifie et multiplie certains des aspects de cette approche personnelle de Wachsmann pour incorporer les sons de chacun dans le trio. En fait, d'un point de vue auditif il y a deux "sortes" de musiques improvisées : celle qui vous fait entendre ce que vous savez déjà de la musique d'un groupe que vous aimez et qui se ressemble assez bien par rapport à l'enregistrement précédent ou à leurs concerts. Et celle qui vous propose une musique dont le son d'ensemble et la direction musicale est sensiblement éloignée de ce que vous connaissez déjà de ce groupe. C'est bien le (rare) cas ici. Spaces Unfolding + Pierre-Alexandre Tremblay nous envoie dans un autre univers. Bien sûr, nous identifions les interventions du flûtiste et son style si personnel sur le timbre suave et les relations entre chaque note qui le rend aussi identifiable que Lol Coxhill, son ami disparu. Et les interventions calibrées et surprenantes de Phil Wachsmann restent toujours du Wachsmann pur jus avec son sens unique du timing et de soudaines diversions. Ainsi de la percussion d'Emil Karlsen. Ces Shadow Figures révèlent une démarche expérimentale à base de différents concepts et leurs applications technologiques de transformations d'éléments sonores - aspects du jeu instrumental et d'interactions induites par Pierre-Alexandre Tremblay. Les quatres musiciens explorent des détails sonores, et leurs échos ou "ombres" différées, actions où s'imbriquent des interventions dosées et calibrées de chacun des trois improvisateurs dont on distingue clairement l'identité de leur jeu respectif, entièrement recontextualisé ici. Dans plusieurs pièces, c'est l'aspect du timing qui est en jeu comme on l'entend jamais ailleurs. Aussi, la dynamique et l'interactivité ont ici une toute autre nature que celles de leur enregistrement précédent, the Way We Speak. Chacun des morceaux enregistrés : Shadow Figures Pt. 1, Shadow Figures Pt. 2, In Praise of Shadows Pt. 1,Refractions Pt. 1, Refractions Pt. 2, Echoes of Being Pt. 1, Echoes of Being Pt. 2 , In Praise of Shadows Pt. 2, Reflect / Reflex Pt. 1, Reflect / Reflex Pt. 2, In Praise of Shadows Pt. 3 est focalisé sur un caractère différent du travail interactif de Tremblay avec les membres de Spaces Unfolding dans des approches divergentes, parfois complémentaires qui soulignent et singularisent des éléments du travail instrumental : la texture, le timing, les spécificités des sonorités et des possibilités du violon ou de la percussion, la mise en évidence de la "voix" très particulière du souffle de Neil Metcalfe, un artiste identifié plus "free-jazz". Aussi il faut souligner les curieux effets de rebondissements - redoublements des frappes sur les peaux d'Emil Karlsen qui accentuent et mettent en évidence sa conception de la percussion et du timing.Ce serait fastidieux de vouloir décrire précisément chacun des options qu' on découvre à l'écoute des Shadow Figures, In Praise of Shadows, Refractions, Echoes of Being, Reflect/ Reflex et chacune de leurs parties n° 1 ou 2. Un O.V.N.I dans la multitude des enregistrements de musiques improvisées. Chaudement recommandé à quiconque s'intéresse au croisement de la musique instrumentale contemporaine et de la technologie digitale / électronique d'aujourd'hui. Bead Records, le label de Phil Wachsmann où Emil Karlsen s'investit intensément, a encore ajouté un bijou (n° 50) à son catalogue, un des plus diversifiés de l'univers des musiques improvisées depuis des décennies.
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