Haut-Cœur Jean-Marc Foussat Emmanuelle Parrenin Quentin Rollet FOU Records
https://fourecords.bandcamp.com/album/haut-c-ur
https://www.fourecords.com/FR-CD42.htm
Encore un bel enregistrement de musique utopiste, improvisée certes, et où deux instrumentistes opiniâtres, le saxophoniste Quentin Rollet et la joueuse de vielle à roue – chanteuse Emmanuelle Parrenin s’infiltrent dans les vagues et strates électroniques de l’antique synthé AKS de Jean-Marc Foussat. JMF intervient aussi avec sa voix dont il transforme le son électroniquement, EP vocalise majestueusement comme une fée venue d’un autre temps, terrienne et éthérée à la fois. QR qui souffle dans son alto et son sopranino de curieux effets sonores agrémente l’ensemble de « petite électronique » laquelle crée des correspondances texturales avec le flux du synthé et les résonances cordiales et sympathiques de la vielle à roue. Pour rappel, c’est la giration d’une roue par-dessous les cordes qui les met en vibration sonore avec ce timbre nasillard caractéristique. Emmanuelle se concentre sur un jeu oscillant ou tournoyant comme un murmure dans les feuilles des arbres tout en livrant quelques surprises sonores. L’étendue des registres du synthé de Jean – Marc s’est singulièrement étoffée, et offre souvent des effets inouïs qu’ils soient sourds et orageux, frémissants ou diffus, parfois au bord de murmures simulant des glissandi offrant à ces camarades à l’écoute de créer des sonorités en empathie qui touche au sensible magique. Le saxophoniste alterne des froissements de la colonne d’air et des boucles de notes en vrille. Une atmosphère planante truffée de riches agrégats sonores, de scories bruissantes, de tournoiements imperceptibles Quatre improvisations nommées « à Fleur » , « à Corps », « à Vif » , « Amour » s’étageant dans des durées de 8 à 16 minutes dans une poésie de partage, de collusion, d’improbables cohérences dans un no man’s land de formes qui s’évanouissent ou aboutissent aux instants de chaos de l’Amour. Dans la pochette intérieure, l’auditeur peut lire des lignes du poète Robert Desnos, extraites de son « La Poésie ou l’Amour ». On ne pourrait trouver un texte aussi proche de la musique qui s’est jouée ce 23 avril 2022 à la Boutique des Allumés du Jazz. Ce n’est pas le premier album réunissant ces trois artistes l’un à l’autre avec l’un ou l’autre collègue inspiré (Foussat – Christian & Q. Rollet dans "Entrée des Puys de Grêle" et Bopp-Foussat-Parrenin dans "Nature Still", parus tous deux chez FOU Records), et ce dernier, Haut-Cœur, peut-être plus convaincant apporte sa part de mystères, face cachée d’un astre inconnu, mais bien présent.
Je ne peux m’empêcher de reproduire ici les mots de Desnos :
… Qu’une catastrophe tumultueuse ruine tous les paravents et les circonstances et les voilà, grains de sable perdus dans une plaine plate, réunis par l’imaginaire ligne droite qui relie tout être à n’importe quel autre être. Le temps ni l’espace, rien ne s’oppose à ces relations idéales.
Vie bouleversée, contraintes mondaines, obligations terrestres, tout s’écroule. Les humains n’en sont pas moins soumis aux mêmes dés arbitraires.
Dans le désert, perdu, irrémédiablement perdu, l’explorateur casqué de blanc se rend compte enfin de la réalité des mirages et des trésors inconnus, les faunes rêvées, les flores invraisemblables constituent le paradis sensuel où il évoluera désormais, épouvantail sans moineaux, tombeau sans épitaphe, homme sans nom, tandis que, formidable déplacement, les pyramides révèlent les dés cachés sous leur masse pesante et posent à nouveau le problème irritant de la fatalité dans le passé et de la destinée dans le futur. Un beau projet !!
Ocean Eddie Stan Maris Andreas Bral Viktor Perdieus el Negocito eNR 106
https://elnegocito.bandcamp.com/album/ocean-eddie
El Negocito est le bras armé digital – discographique de l’organisation gantoise Citadelic – Negocito animée par l’infatigable Rogé « Negocito » , patron de brasserie tourné allumé du Jazz et des musiques improvisées. Le catalogue du label est relativement éclectique entre jazz contemporain pointu, free-jazz sans concession, folklore imaginaire, improvisation libre, et aussi à mi-chemin entre toutes ces tendances. Un peu à l’image de la programmation diversifiée des concerts et festivals « Citadelic » qui ont lieu régulièrement au Citadelle Park de Gand à l'intérieur du SMAK, le très remarquable musée d’art contemporain communal ou dans d’autres lieux. Ocean Eddie réunit un trio atypique pour une musique aérée, subtile, pleine d’ambiances mystérieuses. L’accordéoniste Stan Maris (fils de Bart, le super trompettiste national), le pianiste Andreas Bral, aussi à l’harmonium, et le saxophoniste Viktor Perdieus nous livrent ici onze compositions - improvisations multiformes qui brassent plusieurs inspirations (jazz « konitzien », folk européen, classique contemporain, improvisation aventureuse, imagination sonore) autour de l’idée d’une île au milieu de l’océan et des forces maritimes des courants océaniques. Ocean Eddie signifie ici , je cite : When circular currents coexist within larger ocean movements, they are sometimes referred to as eddies. Equal bodies competing for limited space and impact.. J’ai moi-même initié un album intitulé Isla Decepcion avec notre trio Sverdrup Balance avec Lawrence Casserley et Yoko Miura, Sverdrup étant l’unité de mesure du déplacement des courants océaniques, pour faire court. Il y a donc une similitude dans les approches respectives d’un point de vue conceptuel. Ces courants qui se croisent dans l’océan font allusion à l’imbrication des jeux respectifs de chacun en jouant les parties écrites dont l’exécution ludique s’alterne et s’échange organiquement et spontanément d’un instrumentiste à l’autre au fil de chaque morceau dans sa durée. Cela peut paraître compliqué, mais en fait ce processus au sein du groupe se révèle tout à fait musical, naturel, les paysages mélodiques s’interpénétrant aussi bien visuellement qu’auditivement. Si le matériau est principalement mélodique, c’est la combinaison toujours renouvelée des éléments « composés » dans des formes composites, tournoyantes et en mouvement perpétuel (avec un zeste de swing) qui fait de leurs curieuses et inventives métamorphoses, bien plus qu’un exercice de style : l’affirmation d’une poésie musicale. L’accordéon est rendu à sa condition d’instrument de souffle en symbiose avec le timbre dégagé et suave du saxophone doublant les comptines irrésolues du pianiste dans une dimension orchestrale (de chambre). L’excellente coordination du trio et leur inspiration collective crée une belle musique populaire qui si elle doit sembler relativement familière au commun des mortels peu au fait de « l’avant-garde », leur musique les emmène irrésistiblement dans un beau voyage entre vagues, embruns, nuages, brises, alizés, îles inconnues et l’horizon toujours repoussé. Remarquable !
Costa Contra Dance Richard Duck Baker confront recordings confront core series 26
https://confrontrecordings.bandcamp.com/album/contra-costa-dance
Étonnament, Confront Recordings,le label d’avant-garde “improvisation radicale » et art sonore du violoncelliste – multi instrumentiste Mark Wastell, publie u superbe album solo du guitariste « fingerstyle » Richard Duck Baker. Ce très rare guitariste aux cinq doigts de la main droite joue un éventail extraordinaire de musiques folk (irlandais etc…), jazz en couvrant tout le spectre stylistique du ragtime au swing, du bebop monkien au free-jazz, de l’improvisation contemporaine, ayant joué et enregistré avec Roswell Rudd, John Zorn, Michael Moore, Derek Bailey, Eugene Chadbourne, Ben Goldberg etc…. Il fit partie du cercle étroit des guitaristes folk – blues – ragtime Stefan Grossmann et Bert Jansch… et enregistra deux albums solo de compositions de Thelonious Monk et du pianiste Herbie Nicols (à la demande de John Zorn), un exercice ardu s’il en est. Son répertoire jazz à lui seul est absolument œcuménique. Mais ô combien musical ! Jelly Roll Morton, Duke Ellington, Horace Silver, Dollar Brand, Ornette Coleman, Benny Golson, Tina Brooks, Clifford Brown, Oscar Pettiford, Eddie Durham (le premier guitariste électrique chez Basie), et le Take the A Train de Billy Strayhorn ! Son Duck Baker trio avec le contrebassiste John Edwards et le clarinettiste Alex Ward a gravé les albums de jazz moderne parmi les plus curieux de la planète (Amnesia in Trastevere et Déjà Vouty) avec ses compositions originales étonnamment swinguantes et alambiquées inspirées par le fabuleux Herbie Nicols (encore lui). Confront venait de publier Cumino in My Cucina en duo avec le guitariste Mike Cooper (un compagnon de Lol Coxhill !) est une merveille de dialogue improvisé libre à deux guitares. Duck a publié deux albums « improvisés free » en solitaires dont un chez Emanem (outside) avec ses remarquables compositions. Emanem a encore réédité avec des bonus pantelants le légendaire Guitar Trio (acoustique) avec Eugene Chadbourne et Randy Hutton, trio qui apparaît dans un tout récent CD Tzadik de John Zorn (Fencing 1978 Game Pieces) chroniqué plus haut. Alors, ici, nous retournons aux sources de son art.
Costa Contra Dance offre des compositions jamais enregistrées et deux versions neuves de ses chevaux de bataille , comme ce mystérieux Holding Pattern à couper le souffle et ce fantastique Keep It Under Your Heart (cfr l’album Opening the Eyes of Love/ Acoustic Music) qui accroche l’oreille avec son swing infernal. Le toucher des cordes nylon du bout des doigts nus sans plectre est raffiné au maximum même à des cadences virevoltantes. Clarté cristalline de chaque note ciselée avec l’intensité voulue qui ,elle-même, confère une autre identité à ces reprises de standards et magnifie leur incarnation, joyeuse et mélancollique à la fois. Comptines, ballades, blues swingant joués avec une assurance magistrale et naturelle. Il suffit d’écouter son Holding Pattern pour se convaincre de son jeu cristallin qui se joue de tous les changements abrupts de tempos et les accélère de manière échevelée en respectant les césures implacables des barres de mesure tout en conservant imperturbablement l’expressivité suave et précieuse de ses doigtés. Le jeu fingerstyle a été il y a longtemps une technique partagée par les premiers guitaristes (souvent) afro-américains « folk » - « blues » - « ragtime » - « blue grass », il y a une centaine d’années (Blind Blake, par exemple). Au fil des décennies, cette approche de la guitare aux doigts nus de la main droite a été quasiment abandonnée au profit de l’usage systématique des plectres attachés aux phalanges ou maintenus entre l’index et le pouce dans la pratique des musiques populaires en standardisant la notion « d’accompagnement » en séparant les rôles de la rythm guitar et de la lead guitar. Les guitaristes jazz et blues « fingerstyle » sont devenus une espèce rarissime que notre ami Duck fédère avec son talent visionnaire. La question du rythme est primordiale et il faut l’assurer en la coordonnant au micron près avec la base harmonique et les éléments mélodiques avec les cinq doigts de la main gauche appliqués sur trois ou quatre frettes . Ce faisant, Duck est forcé, par exemple, à reconstruire des compositions de jazz ou de musiques populaires de toutes les époques , en leur conférant une vie indépendante. Par rapport à la guitare folk acoustique, l'utilisation de la six cordes nylon par Duck Baker dans l'interpération des morceaux qu'il joue en donne des sentiments, des couleurs, des suggestions imagées, un langage du coeur, soit une expression toute différente qu'avec une Martin aux cordes d'acier. Fascinant !
Mark Wastell a été bien inspiré de sortir ce très beau témoignage de l’art fingerstyle de Duck Baker, un artiste contemporain qui a commencé sa carrière dans les années 70, car quoi qu’il fasse il est un artiste unique en son genre (difficile à définir) et un génie de la guitare qui swingue ou avec laquelle il écartèle les conventions et les automatismes, ce qui justifie sa présence dans mon blog. Hugh !
Gabriele Cancelli Cene Resnik Giorgio Pacorig Stefano Giust Mahakaruna Quartet life practice Setola di Maiale SM 4360
https://www.setoladimaiale.net/catalogue/view/SM4360
Les notes de pochette indiquent : Free Improvised Quartet Music. À l’écoute, on pourrait qualifier cet enregistrement de « free » free-jazz où les deux souffleurs, Cene Resnik au sax ténor et Gabriele Cancelli, le trompettiste, alternent leurs interventions échevelées dans un dialogue constant, imbriquant leurs spirales brisées et leurs fragments mélodiques en échangeant idées et inspirations désarticulant comme un pantin, l’ordonnancement du phrasé jazz moderne. Le batteur, Stefano Giust fractionne et décale des tempi imaginaires en roulements / battements déconcertés et d’élastiques pulsations mouvantes, alors que le claviériste, Giorgio Pacorig, muni de son piano Rhodes (+ électronique) invoque – évoque le Zawinul psyché de chez Miles électrique et un Sun Ra énigmatique. Ce concert du 6 septembre 2020 au Jazzmatec Festival s’étale dans un territoire où l’expérimental rejoint le jazz libre et le désordre instigué trouve son point de gravité (listen – sniff)) au-delà d’une perception « normale », suggérant ainsi un équilibre précaire, un univers utopique où les forces centrifuges se rejoignent à travers une écoute aléatoire. Ces aléas impromptus se résolvent auditivement dans la paisible communion inventive de savor (10 :12) ou d'offer (6:10), point de départ vers une recherche plus aiguë, une présence spontanée, contradictoire et angulaire ou porte vers l'indéfini. Ce qui aurait pu aboutir à un album « free » de plus, devient petit à petit un testament onirique, un essai de débrouillardise, un sentiment marqué par l’improvisation… questions sans réponses, échappées vers l’inconnu, lointain ou proche. Le batteur se fait discret créant un espace pour les volutes insistantes des soufflants et les dérapages électrogènes raffinés et sauvages du claviériste tout en donnant le tournis déconstructeur avec ce drumming free particulier, constamment et sciemment déséquilibré. Une belle équipée comme souvent chez Setola di Maiale (oeuvre utopiste du génial Stefano Giust). Life Practice !
Consacré aux musiques improvisées (libre, radicale,totale, free-jazz), aux productions d'enregistrements indépendants, aux idées et idéaux qui s'inscrivent dans la pratique vivante de ces musiques à l'écart des idéologies. Nouveautés et parutions datées pour souligner qu'il s'agit pour beaucoup du travail d'une vie. Orynx est le 1er album de voix solo de J-M Van Schouwburg. https://orynx.bandcamp.com
23 octobre 2022
Jean-Marc Foussat Emmanuelle Parrenin Quentin Rollet/ Stan Maris Andreas Bral Viktor Perdieus/ Richard Duck Baker/ Gabriele Cancelli Cene Resnik Giorgio Pacorig Stefano Giust
Free Improvising Singer and improvised music writer.
20 octobre 2022
Daunik Lazro Carlos Zingaro Sakis Papadimitriou Jean Bolcato/ Mark Wastell Solo / Gianni Mimmo & Pierfrancesco Mucari
Peripheria Daunik Lazro Carlos Zingaro Sakis Papadimitriou Jean Bolcato Fou Records FR CD 43.
https://fourecords.com/FR-CD43.htm
Publié en 1994 au début de l’ère du CD de musique improvisée, Peripheria était alors (1994) un des rares documents d’improvisation libre disponibles en compact disque sur le label du violoncelliste Didier Petit, In Situ (IS 164) en collaboration avec Basta sarl et le festival du CCAM de Vandoeuvre – lez – Nancy . In Situ avait aussi à son catalogue François Tusquès, Steve Lacy en solo, un duo de Lazro avec Joe Mc Phee, Joëlle Léandre, Michel Doneda, Lè Quan Ninh, Malcolm Goldstein, Didier Petit, Denis Colin, Alan Silva/ Hannes Bauer/ Roger Turner, Sophie Agnel, etc… Ce label a écrit une belle page de l’évolution des musiques improvisées en France. Je pense que c’est une excellente idée de rééditer Peripheria et cela pour plusieurs raisons. Sa réalisation se situe à un moment charnière où une prise de conscience de nombreux improvisateurs français les pousse à se démarquer définitivement du free-jazz et de concepts tels le « folklore imaginaire » ou la « création contemporaine » pour revendiquer une radicalité de l’improvisation. Daunik Lazro avait publié aussi quelques albums avec contrebasse et batterie (et un autre souffleur éventuel) pour les labels Bleu Regard ou 2Z et ce Peripheria a lui, une toute autre configuration instrumentale sans batterie : saxophone alto et baryton (Lazro), violon (Carlos Zingaro), piano (Sakis Papadimitriou) et contrebasse (Jean Bolcato). Leur musique est basée sur l’interactivité, l’évolution de formes mouvantes, une conception collective et égalitaire basée sur l’écoute de tous les instants et une empathie profonde. Des états d’équilibre instable et de recherche constante de formes nouvelles où personne ne joue le rôle d’un « soliste » ou d’un « accompagnateur ». On y trouve aussi des effets d’ostinato et quelques interventions « solistes » de la part du saxophoniste, du violoniste et du contrebassiste, avec des alternances spontanées, le pianiste créant une trame sonore, percussive etc… L’accent est mis sur la lisibilité des interventions individuelles, des « questions-réponses », une intention ludique et une forme d’indépendance spontanée de chacun vis – à vis du groupe. Ce quartet Peripheria était aussi l’initiative de Daunik Lazro et fait suite à un quartet précédent avec Joëlle Léandre, Yves Robert et Irène Schweizer (Paris Quartet 1989 Intakt 012). Par la suite, d’autres quartets enregistrés verront le jour avec une musique organique, continue et texturale où le « soliste » s’efface et le musicien s’intègre nettement plus dans la masse sonore jusqu’au point où l’auditeur distingue à peine « qui joue quoi » . Un bon exemple en est Quat Neum Sixx avec Sophie Agnel, Jerome Noettinger et Michael Nick « Live at festival NPAI » ou « Humus » avec Benjamin Bondonneau, Laurent Sassi, David Chiesa, Didier Lasserre, tous deux chez Amor Fati.
Alors ce Périphéria fait le tour des qualités particulières de chaque musicien, lesquelles mettent magnifiquement en valeur chacun d’entre eux et l’ensemble. Un enrichissement mutuel. Il y a bien quelques ficelles pour faire tenir l’édifice et elles devraient permettre à l’auditeur lambda, celui qui découvre ce genre d’expression musicale, de trouver une main courante dans cet espèce de brouillard qui s’impose à une écoute inhabituelle. Incontournable, la profondeur de champ du travail à l’archet de Bolcato, point d’ancrage terrien du groupe, les sons quasi flûtés et les harmoniques chatoyantes du violon de Zingaro, le lyrisme et la sonorité mordante de Lazro et la vision architecturale de Papadimitriou. Et donc, il s’agit d’une musique libre, à la fois sincère et généreuse... et très sensible. Elle garde un lien et un feeling propre au jazz tout en s’affranchissant des repères formels propres à celui-ci. Excellent !!
Mark Wastell Cello – Intern Solos Confront Core Series Core 27
https://confrontrecordings.bandcamp.com/album/cello-intern-solos
Le temps de recevoir ce nouveau CD de Mark Wastell par ces temps de Brexit et je constate qu’il ne reste quasiment plus d’exemplaires disponibles. Confront Recordings est le label géré et animé par le multi instrumentaliste Mark Wastell et c’est avec plaisir que je l’entends retourner à ses premières amours, le violoncelle. Cello – Intern Solos est le résultat d’une intense série d’enregistrements solitaires dans la légendaire Hundred Years Gallery d’Hoxton Londres, sans doute le lieu le plus propice pour créer des projets de musique improvisée tant son responsable, Graham McKeachan, lui-même contrebassiste est ouvert, bienveillant, disponible et collaborant. C’est d’ailleurs Graham lui-même qui a patiemment procédé à l’enregistrement de ces 17 morceaux réalisés entre février et may 2022. Toute la musique virevolte autour de glissandi et d’harmoniques de multiphoniques et de sons fantômes évoquant un chant de baleine physique, organique, un glapissement soutenu et contorsionné, un mouvement continu d’ondes sonores oscillantes . Un travail sonore précis, très fin, puissant et volatile. Le chant des cordes pressées sur la touche et de frottements « sifflés » tournoyants. Des graves sublimées s’extraient des aigus éthérés, réverbérés, instables. Une musique d’énergie et un univers sonore qui semble éloigné de ses expériences passées, si ce n’est que Mark fut un des plus proches collaborateurs du génial contrebassiste improvisateur et exceptionnel compositeur aujourd’hui disparu, Simon H. Fell et avec un tel camarade aussi proche, il a de qui tenir avec son archet, les cordes sur la touche et le chevalet près duquel il frictionne son instrument de manière aussi obsédante qu’inspirée. Une très belle réussite.
How To Get Rid of The Darkness Pierfrancesco Mucari & Gianni Mimmo Amirani AMRN 070
https://www.amiranirecords.com/editions/howtogetridofthedarkness
Deux saxophonistes : Gianni Mimmo à l’unique saxophone soprano avec des accents et des intervalles caractéristiques de la musique de Steve Lacy. Pierfrancesco Mucari aux sax soprano, alto et « préparés » ainsi qu’au marranzano dans les n°5 et 12. Le marranzano est en fait une guimbarde traditionnelle qui est utilisée pour marquer des pulsations alors que Gianni Mimmo développe une improvisation. L’échange intense et excellement coordonné entre les deux souffleurs contribue à construire une remarquable musique collective où les traits précis de chacun s’emboîtent dans une surprenante architecture. Une partie des 12 pièces, véritables compositions instantanées, ont une durée assez courte autour des deux minutes, mais deux autres font plus de six minutes et les deux plus longues dépassent les neuf minutes. Les plus longues sont construites autour d’une narration imaginaire alors que les plus courtes sont de remarquables miniatures qui expriment l’essentiel. Le degré d’empathie et d’imbrication est tout à fait remarquable. L’auditeur ne se pose pas la question de distinguer « qui joue quoi » tant les interventions alternées détaillent un matériau structurel unifié, alors que les durées des segments que chacun des deux improvisateurs s’attribuent spontanément par leur jeu individuel sont tout à fait irrégulières rompant ainsi l’impression d’une forme structurée, alors qu’ils donnent le sentiment qu’il y aurait un plan préétabli qui d’ailleurs suggère un labyrinthe alors que les différentes pièces s’emboîtent comme un puzzle dans notre perception. Ouf ! Cette manière de partager l’espace sonore et le flux de l’improvisation répond à l’exigence de spontanéité et de formes originales en arpentant des canevas polymodaux. Polymodal est le terme choisi entre autres par Steve Lacy pour expliquer sa conception de superposer et imbriquer plusieurs échelles modales différentes dans la même composition. On retrouve ici l’angularité récurrente du « monkisme » chère à Steve Lacy, bien que les accentuations de Gianni Mimmo soient plus élusives et nettement moins marquées. Leurs improvisations sont consistantes et si elles font partie de l’univers Lacyen, les deux musiciens leur apportent un feeling et une orientation esthétiques bien différentes, et sutout, chaque note est jouée avec sa raison d’être. Une superbe musique poétique et raffinée qui me procure un vrai plaisir d’écoute.
Vous constaterez, chers lecteurs, que le débit de textes chroniquant ces merveilleux albums (ou simplement intéressants) dans ces lignes a sensiblement ralenti par rapport aux phases plus productives. Un explication : je réécoute de plus en plus profondément les meilleures sessions sur lesquelles je me suis étendu par le passé. Certains albums semblent "tout" exprimer à la première ou deuxième écoute et d'autres fascinent au point qu'une écoute répétée devient irrésistible. Le plaisir, l'urgence, la grâce etc.... Cordialement !!
https://fourecords.com/FR-CD43.htm
Publié en 1994 au début de l’ère du CD de musique improvisée, Peripheria était alors (1994) un des rares documents d’improvisation libre disponibles en compact disque sur le label du violoncelliste Didier Petit, In Situ (IS 164) en collaboration avec Basta sarl et le festival du CCAM de Vandoeuvre – lez – Nancy . In Situ avait aussi à son catalogue François Tusquès, Steve Lacy en solo, un duo de Lazro avec Joe Mc Phee, Joëlle Léandre, Michel Doneda, Lè Quan Ninh, Malcolm Goldstein, Didier Petit, Denis Colin, Alan Silva/ Hannes Bauer/ Roger Turner, Sophie Agnel, etc… Ce label a écrit une belle page de l’évolution des musiques improvisées en France. Je pense que c’est une excellente idée de rééditer Peripheria et cela pour plusieurs raisons. Sa réalisation se situe à un moment charnière où une prise de conscience de nombreux improvisateurs français les pousse à se démarquer définitivement du free-jazz et de concepts tels le « folklore imaginaire » ou la « création contemporaine » pour revendiquer une radicalité de l’improvisation. Daunik Lazro avait publié aussi quelques albums avec contrebasse et batterie (et un autre souffleur éventuel) pour les labels Bleu Regard ou 2Z et ce Peripheria a lui, une toute autre configuration instrumentale sans batterie : saxophone alto et baryton (Lazro), violon (Carlos Zingaro), piano (Sakis Papadimitriou) et contrebasse (Jean Bolcato). Leur musique est basée sur l’interactivité, l’évolution de formes mouvantes, une conception collective et égalitaire basée sur l’écoute de tous les instants et une empathie profonde. Des états d’équilibre instable et de recherche constante de formes nouvelles où personne ne joue le rôle d’un « soliste » ou d’un « accompagnateur ». On y trouve aussi des effets d’ostinato et quelques interventions « solistes » de la part du saxophoniste, du violoniste et du contrebassiste, avec des alternances spontanées, le pianiste créant une trame sonore, percussive etc… L’accent est mis sur la lisibilité des interventions individuelles, des « questions-réponses », une intention ludique et une forme d’indépendance spontanée de chacun vis – à vis du groupe. Ce quartet Peripheria était aussi l’initiative de Daunik Lazro et fait suite à un quartet précédent avec Joëlle Léandre, Yves Robert et Irène Schweizer (Paris Quartet 1989 Intakt 012). Par la suite, d’autres quartets enregistrés verront le jour avec une musique organique, continue et texturale où le « soliste » s’efface et le musicien s’intègre nettement plus dans la masse sonore jusqu’au point où l’auditeur distingue à peine « qui joue quoi » . Un bon exemple en est Quat Neum Sixx avec Sophie Agnel, Jerome Noettinger et Michael Nick « Live at festival NPAI » ou « Humus » avec Benjamin Bondonneau, Laurent Sassi, David Chiesa, Didier Lasserre, tous deux chez Amor Fati.
Alors ce Périphéria fait le tour des qualités particulières de chaque musicien, lesquelles mettent magnifiquement en valeur chacun d’entre eux et l’ensemble. Un enrichissement mutuel. Il y a bien quelques ficelles pour faire tenir l’édifice et elles devraient permettre à l’auditeur lambda, celui qui découvre ce genre d’expression musicale, de trouver une main courante dans cet espèce de brouillard qui s’impose à une écoute inhabituelle. Incontournable, la profondeur de champ du travail à l’archet de Bolcato, point d’ancrage terrien du groupe, les sons quasi flûtés et les harmoniques chatoyantes du violon de Zingaro, le lyrisme et la sonorité mordante de Lazro et la vision architecturale de Papadimitriou. Et donc, il s’agit d’une musique libre, à la fois sincère et généreuse... et très sensible. Elle garde un lien et un feeling propre au jazz tout en s’affranchissant des repères formels propres à celui-ci. Excellent !!
Mark Wastell Cello – Intern Solos Confront Core Series Core 27
https://confrontrecordings.bandcamp.com/album/cello-intern-solos
Le temps de recevoir ce nouveau CD de Mark Wastell par ces temps de Brexit et je constate qu’il ne reste quasiment plus d’exemplaires disponibles. Confront Recordings est le label géré et animé par le multi instrumentaliste Mark Wastell et c’est avec plaisir que je l’entends retourner à ses premières amours, le violoncelle. Cello – Intern Solos est le résultat d’une intense série d’enregistrements solitaires dans la légendaire Hundred Years Gallery d’Hoxton Londres, sans doute le lieu le plus propice pour créer des projets de musique improvisée tant son responsable, Graham McKeachan, lui-même contrebassiste est ouvert, bienveillant, disponible et collaborant. C’est d’ailleurs Graham lui-même qui a patiemment procédé à l’enregistrement de ces 17 morceaux réalisés entre février et may 2022. Toute la musique virevolte autour de glissandi et d’harmoniques de multiphoniques et de sons fantômes évoquant un chant de baleine physique, organique, un glapissement soutenu et contorsionné, un mouvement continu d’ondes sonores oscillantes . Un travail sonore précis, très fin, puissant et volatile. Le chant des cordes pressées sur la touche et de frottements « sifflés » tournoyants. Des graves sublimées s’extraient des aigus éthérés, réverbérés, instables. Une musique d’énergie et un univers sonore qui semble éloigné de ses expériences passées, si ce n’est que Mark fut un des plus proches collaborateurs du génial contrebassiste improvisateur et exceptionnel compositeur aujourd’hui disparu, Simon H. Fell et avec un tel camarade aussi proche, il a de qui tenir avec son archet, les cordes sur la touche et le chevalet près duquel il frictionne son instrument de manière aussi obsédante qu’inspirée. Une très belle réussite.
How To Get Rid of The Darkness Pierfrancesco Mucari & Gianni Mimmo Amirani AMRN 070
https://www.amiranirecords.com/editions/howtogetridofthedarkness
Deux saxophonistes : Gianni Mimmo à l’unique saxophone soprano avec des accents et des intervalles caractéristiques de la musique de Steve Lacy. Pierfrancesco Mucari aux sax soprano, alto et « préparés » ainsi qu’au marranzano dans les n°5 et 12. Le marranzano est en fait une guimbarde traditionnelle qui est utilisée pour marquer des pulsations alors que Gianni Mimmo développe une improvisation. L’échange intense et excellement coordonné entre les deux souffleurs contribue à construire une remarquable musique collective où les traits précis de chacun s’emboîtent dans une surprenante architecture. Une partie des 12 pièces, véritables compositions instantanées, ont une durée assez courte autour des deux minutes, mais deux autres font plus de six minutes et les deux plus longues dépassent les neuf minutes. Les plus longues sont construites autour d’une narration imaginaire alors que les plus courtes sont de remarquables miniatures qui expriment l’essentiel. Le degré d’empathie et d’imbrication est tout à fait remarquable. L’auditeur ne se pose pas la question de distinguer « qui joue quoi » tant les interventions alternées détaillent un matériau structurel unifié, alors que les durées des segments que chacun des deux improvisateurs s’attribuent spontanément par leur jeu individuel sont tout à fait irrégulières rompant ainsi l’impression d’une forme structurée, alors qu’ils donnent le sentiment qu’il y aurait un plan préétabli qui d’ailleurs suggère un labyrinthe alors que les différentes pièces s’emboîtent comme un puzzle dans notre perception. Ouf ! Cette manière de partager l’espace sonore et le flux de l’improvisation répond à l’exigence de spontanéité et de formes originales en arpentant des canevas polymodaux. Polymodal est le terme choisi entre autres par Steve Lacy pour expliquer sa conception de superposer et imbriquer plusieurs échelles modales différentes dans la même composition. On retrouve ici l’angularité récurrente du « monkisme » chère à Steve Lacy, bien que les accentuations de Gianni Mimmo soient plus élusives et nettement moins marquées. Leurs improvisations sont consistantes et si elles font partie de l’univers Lacyen, les deux musiciens leur apportent un feeling et une orientation esthétiques bien différentes, et sutout, chaque note est jouée avec sa raison d’être. Une superbe musique poétique et raffinée qui me procure un vrai plaisir d’écoute.
Vous constaterez, chers lecteurs, que le débit de textes chroniquant ces merveilleux albums (ou simplement intéressants) dans ces lignes a sensiblement ralenti par rapport aux phases plus productives. Un explication : je réécoute de plus en plus profondément les meilleures sessions sur lesquelles je me suis étendu par le passé. Certains albums semblent "tout" exprimer à la première ou deuxième écoute et d'autres fascinent au point qu'une écoute répétée devient irrésistible. Le plaisir, l'urgence, la grâce etc.... Cordialement !!
Free Improvising Singer and improvised music writer.
13 octobre 2022
John Zorn avec Richard Duck Baker, Polly Bradfield, Eugene Chadbourne, Randy Hutton/ Urs Leimgruber Jacques Demierre Barre Philips Last Concert/ Emmanuel Cremer Solo/ Kobe Van Cauwenberge’s Ghost Trance Septet Plays Anthony Braxton
Fencing 1978 John Zorn’s Olympiad vol.2 Game Pieces with Richard Duck Baker, Polly Bradfield, Eugene Chadbourne, Randy Hutton and John Zorn Tzadik.
https://johnzornresource.com/fencing
Publiées tout récemment , des Game Pieces de John Zorn enregistrées en 1978 lors de gigs intimistes à ses débuts. Deux trios s’imposent par leurs audaces et l’extrême liberté de leurs improvisations sensées répondre à des « instructions » de jeu conçues et rédigées par John Zorn dans une démarche synthétisant la composition contemporaine alternative et l’improvisation radicale. Le premier morceau réunit les guitaristes acoustiques Richard « Duck » Baker, Eugene Chadbourne et Randy Hutton (29 :52 Live at Theatre of Musical Optics NYC) et le second avec Chadbourne, la violoniste Polly Bradfield et Zorn aux sax alto et soprano et à la clarinette en si b (28 :53 Live at BARD). Ce trio de guitares a déjà été documenté par Emanem (The Guitar Trio in Calgary Emanem 5049) et un extrait du concert canadien inclus dans ce cd avait été publié dans la face B de « Guitar Trios » , un vinyle du label Parachute datant de 1977 ( Eugene Chadbourne Volume Three : Guitar Trios – P003). Cet extraordinaire trio de guitares s’éclate ici en écartelant les doigtés, les accords, les cadences et tous les paramètres de la guitare comme le faisait à l’époque Derek Bailey. Leur performance collective est tellement dynamique et ludique, à la fois aussi décalée que magnifiquement coordonnée qu’on en oublie le fait qu’il s’agissait d’une « partition » ou d’une « Game Piece ». Leur sens du timing et leur esprit de contradiction sont si aiguisés qu’il s’agit d’une pièce à conviction de première grandeur d’un groupe qui travaillait déjà depuis au moins deux ans. Il n’y avait jamais eu à cette époque un enregistrement de plusieurs guitaristes improvisateurs s’ébattant dans un même groupe régulier et cohérent, surtout aussi joyeusement que dans ce Guitar Trio. Derek Bailey jouait alors en solo ou en duo avec des souffleurs, des batteurs ou un violoncelliste et John Russell et Roger Smith avait tenté de faire un duo de guitares acoustiques qui avorta rapidement. On reconnaît Eugene Chad' avec ses dérapages contrôlés au dobro et les doigtés décalés du roi de la guitare fingerstyle, Duck Baker, un maître du genre dans le jazz ancien, le folk et le blues et par la suite dans le jazz moderne (Monk, Herbie Nicols). Randy Hutton s’ajoute avec bonheur : chaque intervention individuelle, même la plus délirante, est souvent ciselée avec une grande précision et une incroyable dynamique. Pour les fanas de curiosités discographiques, je signale que Randy Hutton avait aussi enregistré Ringside Maisie avec le percussionniste Peter Moller pour le label Onari en 1980, alors que Duck Baker enregistrait de magnifiques LP’s traditionnels plein de standards faussement désuets pour le label Kicking Mule du guitariste Stefan Grossmann, l’élève du génial bluesman Reverend Gary Davis, le roi du picking à deux doigts. J’annonce aussi la sortie Contra Costa Dance chez Confront Recordings un superbe album de Duck Baker à la guitare fingerstyle aux confins du jazz swing, du folk et du blues.
Le second trio réunit Chad et Zorn avec Polly Bradfield, responsable d’un autre album du label Parachute, Solo Violin Improvisations (P-008 1979) qu’elle s’empressa d’en déposer les copies sur le pas de sa porte avant de quitter la scène pour une autre vie. Leur performance de Fencing est éminemment expérimentale et on a un peu de mal de deviner qui joue quoi tant ils (mal)traitent leurs instruments comme des sources sonores indifférenciées. C’est assez intéressant, mais pas essentiel à mon avis. Mais, bien sûr , avec un tel Guitar Trio, Fencing 1978 est un album très appréciable d’une configuration instrumentale unique en son genre et très ébouriffante.
Post Scriptum : si ce Guitar Trio vous intéresse, je signale l'existence d'un enregistrement passionnant : Duck Baker & Mike Cooper (guitares acoustiques) : "Cumino in Mia Cucina" - confront core series 19 - une rareté dans le genre. https://confrontrecordings.bandcamp.com/album/cumino-in-mia-cucina
Urs Leimgruber Jacques Demierre Barre Phillips The Last Concert in Europe jazzwerkstatt 227
https://www.jazzwerkstatt.eu/menu
Le dernier concert du contrebassiste Barre Phillips avec ses fidèles comparses Jacques Demierre, pianiste et Urs Leimgruber, saxophoniste, ici au soprano uniquement, avant de s’en retourner vers sa chère Côte Ouest, en Oregon plus exactement. C’est là, qu'il y a plus de 60 ans en Californie, Barre fit la rencontre d’Ornette Coleman. On le vit ensuite jouer avec Archie Shepp à Jazz at Newport dont une partie du concert figure sur l’album conjoint de Coltrane et Shepp « New Thing At Newport » (Impulse). En Europe, il fit route avec The Trio (John Surman, Stu Martin) et enregistra le premier album de contrebasse improvisée en solo : Journal Violone a/k/a Basse Barre et Music for Two Basses avec son ami Dave Holland (ECM). Après bien des aventures, on le redécouvrit en 2001 avec deux improvisateurs intransigeants et engagés : les suisses Urs Leimgruber et Jacques Demierre. Dès leur premier CD pour Victo, Wing Vane (2001), les trois musiciens réussirent à exprimer l’essentiel de l’improvisation radicale en se concentrant sur le son (les sons) dans de très nombreuses dimensions, l’exploration spontanée basée sur une écoute mutuelle intense et une recherche individuelle liée aux possibilités soniques et texturales de leurs instruments : saxophone, contrebasse et piano, et un sens bienvenu de l’épure, de la résonance dans l’espace et le silence. Ce qui aurait pu être une rencontre d’un jour pour un festival est devenu le groupe fétiche des trois musiciens : LDP. Urs Leimgruber, par exemple, privilégie quelques collaborations intenses et des camarades avec qui il partage la vocation d’improviser totalement pour aller au fond des choses sans s’éparpiller et se répandre dans tous les gigs possibles. Car cette musique a un sens profond et il faut toujours être à la hauteur d’(auto) exigences, de la sincérité qui lui est indispensable et l’approfondissement d’un univers musical partagé qu’on étire par une pratique improvisée ouverte à l’infini. Et c’est bien l’infini et l’indéfini qui caractérise le parcours de cet unique trio au travers de leurs concerts et leurs sept albums : Wing Wane (Victo), LDP – Cologne (Psi), Albeit, Montreuil, 1↦3⊨2:⇔1, Willisau (avec Thomas Lehn) et maintenant ce double CD Last Concert in Europe, enregistré en décembre 2021 at the Space Lucerne. Il y a la contrebasse de Barre Phillips qui gronde, souffle, siffle, enfle, délivrant harmoniques, vibrations boisées dans l’âme du gros violon, pizzicatos volatiles, basses obstinées, coup d’archets délicats. Ceux – ci font naître des harmoniques extrêmes dans l’aigu : est-ce l’anche du sax soprano de Leimgruber traçant une ligne dans le silence ? Ses allusions au canard qui cancane et nasillonne, ses frictions désarticulées de la colonne d’air ont un air de liberté véritable. Des chocs retenus font vibrer les cordes du piano de Demierre dans la caisse de résonance ou des vagues de notes viennent saturer l’espace. Il y a dans cette musique kaléïdoscopique une infinité de fréquences sonores, de textures, de sons en suspension, de vibrations tactiles, de souffles hagards, de notes lumineuses témoignages d’une multiplicité complexe et indescriptible d’intentions ludiques, musicales, communicatives. Nous pouvons rarement appréhender au sein d’une musique collective, autant de richesses, de contenus et de sens que dans ce rare trio. Jacques Demierre n’a pas un "style" : sa démarche est multiple et sa pratique improvisée démultiplie les occurrences sonores que ce soit au clavier limpide ou en fourageant dans les cordages et la table d’harmonie transformés en une résonnante machine à sons utopiste. De même, Urs Leimgruber n’appartient à aucune « tendance » même si d’un moment à l’autre on l’entend « extrême » ou « radical » ou encore explosif, voire expressionniste, un instant en surchauffant l’embouchure pour ensuite transfigurer l’évidence d’une mélodie avec ce son lunaire caractéristique. Et surviennent des moments de silence naturel(s) que le public présent écoute comme si ces instants quasi-silencieux était une partie intégrante et indispensable à leurs improvisations, en évitant d'applaudir. Donc, adieu ! Il nous restera ce magnifique document d’un concert ultime.
Emmanuel Cremer Solo Cinq Chants d’Athènes Fou Records FR-CD 47
https://fourecords.bandcamp.com/album/cinq-chants-dath-nes-2
Voilà bien un album solo passionnant produit par ce label français qui plonge régulièrement dans les tréfonds de la scène improvisée française sans la moindre concession. Félicitations réitérées à Jean-Marc Foussat, ingénieur du son au service exclusif de ses meilleurs collègues en mode recherches intransigeantes et résultats peu communs. Avec cet album au violoncelle en solo, Emmanuel Cremer apporte de l’eau au moulin des instruments à cordes en liberté. Et ça tombe bien dans ce blog, car Emmanuel a travaillé avec Barre Phillips et comme on l'entend ici, il a tiré bien des choses positives de cette expérience. Ces Cinq Chants d’Athènes mettent en sons cinq « compositions instantanées » développant des idées – intentions de manière remarquable. Ste Croix de Caderle / Athina/ Brussels (10’08’’) est un pièce basée sur un jeu abrasif avec au départ une préparation des cordes du violoncelle, ou si vous voulez un ou plusieurs objets placées entre les cordes et la touche , évitant aussi la vibration résonnante boisée naturelle afin de modifier sa sonorité dans une dimension grinçante, acide, crispée au moyen de frottements presque furieux et d’ostinati obsédants et décalés. Il en ressort une atmosphère sombre, urgente, rageuse. Mythes et Utopie (5’08’’) combine unissons et glissandi en ralentando évoquant un alap imaginaire , étirement ascensionnel de la note jusqu’à ce circulaire motif obsédant qui finit par tourner en vrille d’harmoniques pour s’effacer dans un silence. Infini sans Terre (10’00’’) est introduit par des percussions col legno dans le voisinage du chevalet dont le traitement a une dimension ludique prononcée avec de beaux déraillements, glissements et frottis pointillistes, évoluant vers d’autres aspects de son jeu avec une réelle suite dans les idées. Belle fin intimiste. Quand on poursuit l’écoute de ces Cinq Chants et qu’on se les repasse à plusieurs reprises, l’évidence d’une voix et d’un savoir faire qui mérite vraiment le détour, le recueillement autour du silence induit et une saine curiosité. Comme dans les voicings élégiaques de Meli (4’27’’). À suivre et à écouter absolument !
Kobe Van Cauwenberge’s Ghost Trance Septet Plays Anthony Braxton Compositions N° 255, 358, 193 and 264. El Negocito Records eNR105
Kobe Van Cauwenberge – Frederik Sakham – Elisa Medinilla – Niels Van Heertum – Teun Verbruggen – Anna Jalving – Steven Delannoye
https://elnegocito.bandcamp.com/album/ghost-trance-septet-plays-anthony-braxton
Anthony Braxton est sans nul doute un improvisateur et un compositeur peu commun, un éclaireur incontournable dans les musiques qui se situent au carrefour des innovations embrassant le jazz et son évolution, la composition contemporaine ouverte, la démarche improvisée sans concession et la musique sérieuse dans une dimension interactive et organique. Et quel saxophoniste ! Un de mes tout préférés (aux côtés de John Coltrane, Steve Lacy, Evan Parker, Eric Dolphy ou Sonny Rollins) que je me suis délecté à écouter des nuits entières. Mais je dois avouer ne plus parvenir à suivre ses enregistrements de ces vingt dernières années en raison de leur longueur (coffrets CD’s), d’une documentation exhaustive, de la durée des œuvres enregistrées proprement dites et le sentiment de récurrence systématique dans ses créations. Parvenir à pénétrer l’univers de la Ghost Trance Music demande à l’auditeur un travail intense, une grande disponibilité face à l’exégèse inévitable des exigences hyper-complexes du compositeur et sa science inouïe du collage. J’ai un excellent souvenir de m’être plongé dans un recueil de 4CD paru en 2001 chez Rastascan, le label du percussionniste Gino Robair : https://www.rastascan.com/catalog/brd050.html . La concentration et l’excitation de l’équipe rassemblée par Braxton et Robair à San Francisco avaient débouché sur des moments à couper le souffle, tirant parti des possibilités internes des structures braxtoniennes pour dérailler insidieusement vers des métamorphoses métriques et sonores à me faire dresser les cheveux sur la tête sans qu’il semblât que les musiciens chamboulent tout le processus installé depuis les premières mesures. Une impression de folie naturelle, une fantasmagorie structurée sur des beats audacieux où l’assise rythmique de la marche croise les ricochets de la musique dolphyenne et les soubresauts du tristanisme. Le livret des notes de pochette contient les explications du compositeur lui-même sur son travail, le sens de sa musique liée aux autres musiques et cultures de notre planète et sa conception des formes musicales (Tri-Centrique). En écoutant attentivement les deux CD’s superbement présentés avec les « images – titres » graphiques colorés des compositions d’AB, cet orchestre belge rassemblé par le guitariste Kobe Van Cauwenberge et drivé par l’excellent batteur Teun Verbruggen apporte tout aussi insidieusement la conviction que les œuvres de ce Chicagoan universel contiennent les semences d’une habile forme de subversion, de dérangement systématique des conventions et de surprises inattendues. Il faut dire que cela commence sagement comme si la baguette du maître coordonnait les efforts avec une discipline orchestrale où l’énergie semble un peu éteinte, tant cette musique est difficile à jouer collectivement et demande une telle concentration que celle-ci devrait bien brider l’élan et l’émotion. Il y a bien sur le fourmillement de de détails de tous les traits instrumentaux qui coïncident étroitement avec cette rythmique éminemment complexe voire fourmillante. Une performance en soi !! Mais au fur et à mesure que l’on avance au travers des quatre compositions, la fascination, l’enchantement grandit et l’expérience d’écoute devient largement positive, intrigante, … l’orchestre vivifiant l’état d’esprit compositionnel requis. Son exécution légèrement décalée nous livre des secrets parfois peu perceptibles mais agissant sur notre perception quasi-inconsciente jusqu’à provoquer un tournis intériorisé. Cet album remarquable a été produit en hommage à notre ami Hugo De Craen, braxtonophile en chef dont des extraits d’interview d’Anthony figurent en exergue sur la pochette en tryptique. Félicitations à tous les intervenants, musiciens, label, institutions et … le Conservatoire Royal d’Anvers !
https://johnzornresource.com/fencing
Publiées tout récemment , des Game Pieces de John Zorn enregistrées en 1978 lors de gigs intimistes à ses débuts. Deux trios s’imposent par leurs audaces et l’extrême liberté de leurs improvisations sensées répondre à des « instructions » de jeu conçues et rédigées par John Zorn dans une démarche synthétisant la composition contemporaine alternative et l’improvisation radicale. Le premier morceau réunit les guitaristes acoustiques Richard « Duck » Baker, Eugene Chadbourne et Randy Hutton (29 :52 Live at Theatre of Musical Optics NYC) et le second avec Chadbourne, la violoniste Polly Bradfield et Zorn aux sax alto et soprano et à la clarinette en si b (28 :53 Live at BARD). Ce trio de guitares a déjà été documenté par Emanem (The Guitar Trio in Calgary Emanem 5049) et un extrait du concert canadien inclus dans ce cd avait été publié dans la face B de « Guitar Trios » , un vinyle du label Parachute datant de 1977 ( Eugene Chadbourne Volume Three : Guitar Trios – P003). Cet extraordinaire trio de guitares s’éclate ici en écartelant les doigtés, les accords, les cadences et tous les paramètres de la guitare comme le faisait à l’époque Derek Bailey. Leur performance collective est tellement dynamique et ludique, à la fois aussi décalée que magnifiquement coordonnée qu’on en oublie le fait qu’il s’agissait d’une « partition » ou d’une « Game Piece ». Leur sens du timing et leur esprit de contradiction sont si aiguisés qu’il s’agit d’une pièce à conviction de première grandeur d’un groupe qui travaillait déjà depuis au moins deux ans. Il n’y avait jamais eu à cette époque un enregistrement de plusieurs guitaristes improvisateurs s’ébattant dans un même groupe régulier et cohérent, surtout aussi joyeusement que dans ce Guitar Trio. Derek Bailey jouait alors en solo ou en duo avec des souffleurs, des batteurs ou un violoncelliste et John Russell et Roger Smith avait tenté de faire un duo de guitares acoustiques qui avorta rapidement. On reconnaît Eugene Chad' avec ses dérapages contrôlés au dobro et les doigtés décalés du roi de la guitare fingerstyle, Duck Baker, un maître du genre dans le jazz ancien, le folk et le blues et par la suite dans le jazz moderne (Monk, Herbie Nicols). Randy Hutton s’ajoute avec bonheur : chaque intervention individuelle, même la plus délirante, est souvent ciselée avec une grande précision et une incroyable dynamique. Pour les fanas de curiosités discographiques, je signale que Randy Hutton avait aussi enregistré Ringside Maisie avec le percussionniste Peter Moller pour le label Onari en 1980, alors que Duck Baker enregistrait de magnifiques LP’s traditionnels plein de standards faussement désuets pour le label Kicking Mule du guitariste Stefan Grossmann, l’élève du génial bluesman Reverend Gary Davis, le roi du picking à deux doigts. J’annonce aussi la sortie Contra Costa Dance chez Confront Recordings un superbe album de Duck Baker à la guitare fingerstyle aux confins du jazz swing, du folk et du blues.
Le second trio réunit Chad et Zorn avec Polly Bradfield, responsable d’un autre album du label Parachute, Solo Violin Improvisations (P-008 1979) qu’elle s’empressa d’en déposer les copies sur le pas de sa porte avant de quitter la scène pour une autre vie. Leur performance de Fencing est éminemment expérimentale et on a un peu de mal de deviner qui joue quoi tant ils (mal)traitent leurs instruments comme des sources sonores indifférenciées. C’est assez intéressant, mais pas essentiel à mon avis. Mais, bien sûr , avec un tel Guitar Trio, Fencing 1978 est un album très appréciable d’une configuration instrumentale unique en son genre et très ébouriffante.
Post Scriptum : si ce Guitar Trio vous intéresse, je signale l'existence d'un enregistrement passionnant : Duck Baker & Mike Cooper (guitares acoustiques) : "Cumino in Mia Cucina" - confront core series 19 - une rareté dans le genre. https://confrontrecordings.bandcamp.com/album/cumino-in-mia-cucina
Urs Leimgruber Jacques Demierre Barre Phillips The Last Concert in Europe jazzwerkstatt 227
https://www.jazzwerkstatt.eu/menu
Le dernier concert du contrebassiste Barre Phillips avec ses fidèles comparses Jacques Demierre, pianiste et Urs Leimgruber, saxophoniste, ici au soprano uniquement, avant de s’en retourner vers sa chère Côte Ouest, en Oregon plus exactement. C’est là, qu'il y a plus de 60 ans en Californie, Barre fit la rencontre d’Ornette Coleman. On le vit ensuite jouer avec Archie Shepp à Jazz at Newport dont une partie du concert figure sur l’album conjoint de Coltrane et Shepp « New Thing At Newport » (Impulse). En Europe, il fit route avec The Trio (John Surman, Stu Martin) et enregistra le premier album de contrebasse improvisée en solo : Journal Violone a/k/a Basse Barre et Music for Two Basses avec son ami Dave Holland (ECM). Après bien des aventures, on le redécouvrit en 2001 avec deux improvisateurs intransigeants et engagés : les suisses Urs Leimgruber et Jacques Demierre. Dès leur premier CD pour Victo, Wing Vane (2001), les trois musiciens réussirent à exprimer l’essentiel de l’improvisation radicale en se concentrant sur le son (les sons) dans de très nombreuses dimensions, l’exploration spontanée basée sur une écoute mutuelle intense et une recherche individuelle liée aux possibilités soniques et texturales de leurs instruments : saxophone, contrebasse et piano, et un sens bienvenu de l’épure, de la résonance dans l’espace et le silence. Ce qui aurait pu être une rencontre d’un jour pour un festival est devenu le groupe fétiche des trois musiciens : LDP. Urs Leimgruber, par exemple, privilégie quelques collaborations intenses et des camarades avec qui il partage la vocation d’improviser totalement pour aller au fond des choses sans s’éparpiller et se répandre dans tous les gigs possibles. Car cette musique a un sens profond et il faut toujours être à la hauteur d’(auto) exigences, de la sincérité qui lui est indispensable et l’approfondissement d’un univers musical partagé qu’on étire par une pratique improvisée ouverte à l’infini. Et c’est bien l’infini et l’indéfini qui caractérise le parcours de cet unique trio au travers de leurs concerts et leurs sept albums : Wing Wane (Victo), LDP – Cologne (Psi), Albeit, Montreuil, 1↦3⊨2:⇔1, Willisau (avec Thomas Lehn) et maintenant ce double CD Last Concert in Europe, enregistré en décembre 2021 at the Space Lucerne. Il y a la contrebasse de Barre Phillips qui gronde, souffle, siffle, enfle, délivrant harmoniques, vibrations boisées dans l’âme du gros violon, pizzicatos volatiles, basses obstinées, coup d’archets délicats. Ceux – ci font naître des harmoniques extrêmes dans l’aigu : est-ce l’anche du sax soprano de Leimgruber traçant une ligne dans le silence ? Ses allusions au canard qui cancane et nasillonne, ses frictions désarticulées de la colonne d’air ont un air de liberté véritable. Des chocs retenus font vibrer les cordes du piano de Demierre dans la caisse de résonance ou des vagues de notes viennent saturer l’espace. Il y a dans cette musique kaléïdoscopique une infinité de fréquences sonores, de textures, de sons en suspension, de vibrations tactiles, de souffles hagards, de notes lumineuses témoignages d’une multiplicité complexe et indescriptible d’intentions ludiques, musicales, communicatives. Nous pouvons rarement appréhender au sein d’une musique collective, autant de richesses, de contenus et de sens que dans ce rare trio. Jacques Demierre n’a pas un "style" : sa démarche est multiple et sa pratique improvisée démultiplie les occurrences sonores que ce soit au clavier limpide ou en fourageant dans les cordages et la table d’harmonie transformés en une résonnante machine à sons utopiste. De même, Urs Leimgruber n’appartient à aucune « tendance » même si d’un moment à l’autre on l’entend « extrême » ou « radical » ou encore explosif, voire expressionniste, un instant en surchauffant l’embouchure pour ensuite transfigurer l’évidence d’une mélodie avec ce son lunaire caractéristique. Et surviennent des moments de silence naturel(s) que le public présent écoute comme si ces instants quasi-silencieux était une partie intégrante et indispensable à leurs improvisations, en évitant d'applaudir. Donc, adieu ! Il nous restera ce magnifique document d’un concert ultime.
Emmanuel Cremer Solo Cinq Chants d’Athènes Fou Records FR-CD 47
https://fourecords.bandcamp.com/album/cinq-chants-dath-nes-2
Voilà bien un album solo passionnant produit par ce label français qui plonge régulièrement dans les tréfonds de la scène improvisée française sans la moindre concession. Félicitations réitérées à Jean-Marc Foussat, ingénieur du son au service exclusif de ses meilleurs collègues en mode recherches intransigeantes et résultats peu communs. Avec cet album au violoncelle en solo, Emmanuel Cremer apporte de l’eau au moulin des instruments à cordes en liberté. Et ça tombe bien dans ce blog, car Emmanuel a travaillé avec Barre Phillips et comme on l'entend ici, il a tiré bien des choses positives de cette expérience. Ces Cinq Chants d’Athènes mettent en sons cinq « compositions instantanées » développant des idées – intentions de manière remarquable. Ste Croix de Caderle / Athina/ Brussels (10’08’’) est un pièce basée sur un jeu abrasif avec au départ une préparation des cordes du violoncelle, ou si vous voulez un ou plusieurs objets placées entre les cordes et la touche , évitant aussi la vibration résonnante boisée naturelle afin de modifier sa sonorité dans une dimension grinçante, acide, crispée au moyen de frottements presque furieux et d’ostinati obsédants et décalés. Il en ressort une atmosphère sombre, urgente, rageuse. Mythes et Utopie (5’08’’) combine unissons et glissandi en ralentando évoquant un alap imaginaire , étirement ascensionnel de la note jusqu’à ce circulaire motif obsédant qui finit par tourner en vrille d’harmoniques pour s’effacer dans un silence. Infini sans Terre (10’00’’) est introduit par des percussions col legno dans le voisinage du chevalet dont le traitement a une dimension ludique prononcée avec de beaux déraillements, glissements et frottis pointillistes, évoluant vers d’autres aspects de son jeu avec une réelle suite dans les idées. Belle fin intimiste. Quand on poursuit l’écoute de ces Cinq Chants et qu’on se les repasse à plusieurs reprises, l’évidence d’une voix et d’un savoir faire qui mérite vraiment le détour, le recueillement autour du silence induit et une saine curiosité. Comme dans les voicings élégiaques de Meli (4’27’’). À suivre et à écouter absolument !
Kobe Van Cauwenberge’s Ghost Trance Septet Plays Anthony Braxton Compositions N° 255, 358, 193 and 264. El Negocito Records eNR105
Kobe Van Cauwenberge – Frederik Sakham – Elisa Medinilla – Niels Van Heertum – Teun Verbruggen – Anna Jalving – Steven Delannoye
https://elnegocito.bandcamp.com/album/ghost-trance-septet-plays-anthony-braxton
Anthony Braxton est sans nul doute un improvisateur et un compositeur peu commun, un éclaireur incontournable dans les musiques qui se situent au carrefour des innovations embrassant le jazz et son évolution, la composition contemporaine ouverte, la démarche improvisée sans concession et la musique sérieuse dans une dimension interactive et organique. Et quel saxophoniste ! Un de mes tout préférés (aux côtés de John Coltrane, Steve Lacy, Evan Parker, Eric Dolphy ou Sonny Rollins) que je me suis délecté à écouter des nuits entières. Mais je dois avouer ne plus parvenir à suivre ses enregistrements de ces vingt dernières années en raison de leur longueur (coffrets CD’s), d’une documentation exhaustive, de la durée des œuvres enregistrées proprement dites et le sentiment de récurrence systématique dans ses créations. Parvenir à pénétrer l’univers de la Ghost Trance Music demande à l’auditeur un travail intense, une grande disponibilité face à l’exégèse inévitable des exigences hyper-complexes du compositeur et sa science inouïe du collage. J’ai un excellent souvenir de m’être plongé dans un recueil de 4CD paru en 2001 chez Rastascan, le label du percussionniste Gino Robair : https://www.rastascan.com/catalog/brd050.html . La concentration et l’excitation de l’équipe rassemblée par Braxton et Robair à San Francisco avaient débouché sur des moments à couper le souffle, tirant parti des possibilités internes des structures braxtoniennes pour dérailler insidieusement vers des métamorphoses métriques et sonores à me faire dresser les cheveux sur la tête sans qu’il semblât que les musiciens chamboulent tout le processus installé depuis les premières mesures. Une impression de folie naturelle, une fantasmagorie structurée sur des beats audacieux où l’assise rythmique de la marche croise les ricochets de la musique dolphyenne et les soubresauts du tristanisme. Le livret des notes de pochette contient les explications du compositeur lui-même sur son travail, le sens de sa musique liée aux autres musiques et cultures de notre planète et sa conception des formes musicales (Tri-Centrique). En écoutant attentivement les deux CD’s superbement présentés avec les « images – titres » graphiques colorés des compositions d’AB, cet orchestre belge rassemblé par le guitariste Kobe Van Cauwenberge et drivé par l’excellent batteur Teun Verbruggen apporte tout aussi insidieusement la conviction que les œuvres de ce Chicagoan universel contiennent les semences d’une habile forme de subversion, de dérangement systématique des conventions et de surprises inattendues. Il faut dire que cela commence sagement comme si la baguette du maître coordonnait les efforts avec une discipline orchestrale où l’énergie semble un peu éteinte, tant cette musique est difficile à jouer collectivement et demande une telle concentration que celle-ci devrait bien brider l’élan et l’émotion. Il y a bien sur le fourmillement de de détails de tous les traits instrumentaux qui coïncident étroitement avec cette rythmique éminemment complexe voire fourmillante. Une performance en soi !! Mais au fur et à mesure que l’on avance au travers des quatre compositions, la fascination, l’enchantement grandit et l’expérience d’écoute devient largement positive, intrigante, … l’orchestre vivifiant l’état d’esprit compositionnel requis. Son exécution légèrement décalée nous livre des secrets parfois peu perceptibles mais agissant sur notre perception quasi-inconsciente jusqu’à provoquer un tournis intériorisé. Cet album remarquable a été produit en hommage à notre ami Hugo De Craen, braxtonophile en chef dont des extraits d’interview d’Anthony figurent en exergue sur la pochette en tryptique. Félicitations à tous les intervenants, musiciens, label, institutions et … le Conservatoire Royal d’Anvers !
Free Improvising Singer and improvised music writer.
9 octobre 2022
John Edwards & Paul Hubweber / Joëlle Léandre & Paul Lovens / Lol Coxhill John Russell Sabu Toyozumi Veryan Weston
Paul Hubweber & John Edwards Where’s My Girl ? NurNichtNur 1220721
Duo trombone - contrebasse ! Le tromboniste Paul Hubweber et le contrebassiste John Edwards ont partagé de magnifiques concerts et sessions avec le percussionniste Paul Lovens depuis plus de 20 ans au sein du trio « PaPaJo ». Trois albums atypiques relatent leurs explorations sonores spontanées : PaPaJo (Emanem 4076) , Simple Games (Cadence Jazz Records 1209) Spielä (Creative Sources CS 340 2CD). Suite à la défection définitive de Paul Lovens pour des raisons de santé, les deux comparses persévèrent en duo, démontrant ainsi de profondes affinités humaines et musicales. Cette combinaison instrumentale contrebasse – trombone est assez inhabituelle, mais il y a quelques sérieux antécédents.
Par exemple, Paul Rutherford et Barry Guy firent des concerts en duo (comme au festival de Moers en 1976), Radu Malfatti et Harry Miller enregistrèrent deux LP’s : Bracknell Breakdown (Ogun 320) et Zwecknagel (FMP – SAJ 34), Rutherford et Paul Rogers ont à leur actif Rogues (Emanem 4007 CD) et George Lewis et Joëlle Léandre, "Transatlantic Visions" (Rogue Art ROG 020). Et surtout, il y a Carte Blanche de Günther Christmann et Torsten Müller (FMP 1100) pour sa musique aussi volatile que précise et concentrée. Et voilà notre ami Paul Hubweber, un inconditionnel de Rutherford, Christmann, Malfatti et Lewis qui réalise une synthèse unique de toutes les idées et illuminations qui ont germé dans les recherches audacieuses et révolutionnaires de ces pionniers du trombone libéré et de l’improvisation radicale. La contrebasse et le trombone offrent tous deux des latitudes expressives exceptionnelles dans l’exploration de sonorités et nos deux amis s’entendent à merveille à nous esbaudir par l’étendue extraordinaire de leurs registres et de leurs capacités expressives. Et cela, en maintenant un fil ténu, mais sensible, avec le jazz « qui swingue encore » tout en divagant outre mesure. La voix de Paul H. chantant dans l’embouchure peut se faire lyrique même en exploitant des intervalles inusités. Les doigts puissants et agiles du contrebassiste font trembler le sol et la caisse de l’instrument avec des pizzicatos telluriques, carrément mingusiens quand le besoin se fait sentir. Son engagement constant se matérialise dans un flux de frictions, filetages, frottements boisés, vibrations tactiles, arpèges sauvages qui propulsent le souffleur au-delà du surnaturel dans des collisions soniques. Paul Hubweber n’a de cesse de camoufler le timbre de son trombone et de faire rugir (ou voiler, frétiller, exploser etc..) la colonne d’air avec une aisance et une frénésie irrésistibles, cisaillant timbres et couleurs, la compressant avec ses lèvres folles, projetant des explosions de tubulures multidimensionnelles ou un paisible sustain vocalisé. Le contrebassiste dévale ces cascades de notes, comme le ferait un danseur, sur la touche fragile sur laquelle claquent de virulents, mais prosaïques, slaps du jazz de bon-papa. La résonance des cordes de la contrebasse dévoilent des rebondissements soniques élastiques, le chant du coeur qui bat, la sève instantanée et intense des parties ligneuses du gros violon qui chante ou vibre sous la puissance de l’archet ou hoquète au col legno. C’est tout simplement phénoménal ! La paire nous offre un majestueux parcours à travers de multiples occurrences ludiques que je n’arrête pas d’écouter et réécouter, le matin, l’après-midi et le soir. Tout simplement essentiel, infiniment chaleureux et sans aucun équivalent. Étant un fana de Rutherford et des autres, je me le passe le matin, l'après midi et le soir NB : J'ajouterai le lien audio une fois paru.
Joëlle Léandre et Paul Lovens Off Course ! Fou records FR CD 41
https://fou-records.bandcamp.com/album/off-course
Contrebasse et percussions une combinaison instrumentale qui fait sens, ces deux instruments étant associés dans la section rythmique de la musique de jazz, qu’il soit « Chigago », « Swing », « Be-bop », « Modal » ou « Free ». Mais en tandem, c’est une autre affaire. La grande dame de la contrebasse fait ici équipe avec le farfadet de la percussion improvisée, cadet de la génération des pionniers européens (Brötz, Evan, Bennink, Derek, Stevens etc…) pour une rencontre sonore pointue, avec une belle dose de focus et de perspicacité épurée. Enregistré en 2013 aux Temps du Corps à Paris en 2013, ce concert compte dans les quelques duos de Paul Lovens documentés alors qu’il quitte définitivement la scène pour des raisons de santé. La sortie récente de Tetratne avec le guitariste Florian Stoffner et de Nephlokokkygia avec le souffleur Hans Koch par le label Ezz Thetics démontre à souhait que ce percussionniste en fin de carrière n’avait pas fini de nous étonner, ne fut-ce qu’avec son sens profond de l’essentiel. Ces frappes sélectionnées dans l’instant pour exprimer le poids, la densité et le rebond des objets percutés, égratignés ou frottés, les éphémères vibrations qui soulèvent le silence, cette poursuite de l’improbable, ces cascades métaphoriques de l'évidence exprimée définitivement. De même, Joëlle Léandre s'est impliquée dans des duos de haute tenue avec Derek Bailey, Steve Lacy, Irene Schweizer, Lauren Newton (etc...) sortant la contrebasse de son rôle parfois étriqué d'instrument de "support" pour lui conférer une musicalité évidente en libre parcours. Avec Joëlle, Paul a trouvé une partenaire qui partage cette capacité optimale de dialogue, accouplée avec un sens de la proportionnalité du geste en traçant une trame limpide, des oscillations ludiques du timbre des bois et cordes de son gros violon. L’attention auditive et humaine de Paul Lovens ouvre tout le champ sonore à la sonorité de la contrebasse qu’elle contribue à mettre en valeur tout en tirant avantage de cet espace et ses silences, et lui (Paul) pour insinuer toute sa science de la percussion libérée des tics et des tocs et rendue à l’état de nature, sauvage et merveilleuse. Paradoxalement hyperactif avec un sens inné de l’épure où chaque instant compte et brille. Des sons vocaux de Joëlle Léandre expriment le non-dit qui anime ses entrailles. On aime à la suivre furetant entre les scintillements des cymbales qui s'éclipsent dans le silence et se créer des passages secrets dans une belle trame narrative. Les vibrations de la contrebasse charment et fertilisent les micro-frappes obsédées de son acolyte. Une communion ouverte sur l'infini. Un chant intime, un équilibre choisi. Dure-t-il 32 minutes (Off Course !) et 6 minutes 6 secondes (…where else.), ce CD courte durée nous permet de nous repasser encore et à nouveau tout le cheminement de cette conversation musicale (sonore, émotionnelle, improvisée) inédite sans nous embarquer dans les grandes longueurs d’une écoute interminable. Tout est dit dans le temps qu’il faut pour le jouer, le distendre, le compresser et nous livrer une belle invention d’instants ludiques. Pour ceux qui aiment à être documenté au-delà du raisonnable, je signale l'existence d'enregistrements réunissant une contrebasse et une batterie dans le cadre de la libre improvisation : Léon Francioli et Pierre Favre "Le Bruit Court" (LP L'Escargot 1979), John Edwards et Mark Sanders "Nisus" (Emanem CD), Peter Kowald et Tatsuya Nakatani "13 Definitions of Truth" (QuakeBasket CD) et les sessions publiées par Damon Smith avec Bob Moses ou Alvin Fiedler. Avec ce Off Course ! providentiel, on tient un très beau document !
Lol Coxhill, John Russell, Veryan Weston, Sabu Toyozumi: MUSASHI as THE WATER ~Live at St.Mary Magdalene Church, 2005 Chap Chap Records CPCD-022
https://www.chapchap-music.com/chap-chap-records/cpcd-022/
Track 1.Bodv Awareness I ~Veryan Weston + Lol Coxhill (6:24)
Track 2.Body Awareness II ~Veryan Weston + Sabu Toyozumi(erhu) (7:03)
Track 3.Body Awareness III ~Sabu Toyozumi + Lol Coxhill (6:42)
Track 4. MUSASHI as THE WATER ~Weston ,Toyozumi ‚Coxhill,Russell (10:39)
Track 5.Song for Joanna Russell ~John Russell+ Sabu Toyozumi (6:02)
Track 6. Song for Ulrike Coxhill-Scholz ~Lol Coxhill + John Russell (4:07)
Track 7. Direct System ~Weston,Toyozumi ,Coxhill, Russell (3:32)
Veryan Weston - tracker action church organ. Lol Coxhill - soprano saxophone Sabu Toyozumi - percussion/ erhu John Russell - acoustic guitar
Recorded by Martin Davidson at St. Mary Magdalene Church - Welwyn Garden City in England on 24th August 2005
Takeo Suetomi of Chap-Chap contacted me about to write some notes about this very fine set of recordings of our great friend, the drummer Sabu Toyozumi meeting three of our dearest British improvisers in St Mary Magdalene Church in Welwyn Garden City almost seventeen years ago. Two of them are now gone, but are staying deeply in our hearts and minds : the late acoustic guitarist John Russell and the late soprano saxophonist Lol Coxhill. The pianist Veryan Westonselected a very nice church organ in the aforementioned church in his hometown, the instrument being an air and tubes – tracker action keyboard organ in total acoustic mode.
Fortunately, I witnessed the creative process of these four genuine improvisers in various degrees while organizing their concerts in Belgium and also performing - singing with three of them at different occasions. We eventually made some recordings myself together with John Russell and with Sabu Toyozumi. This recorded meeting of these four improvisers took place in a church and we can be grateful for that, as we avoid the so-called “bourgeois beast”, as Mr Weston describes a grand piano, for the very Catholic (or, as we are in United Kingdom, Anglican Christian) acoustic air church organ with trackers. This instrument is at the core of one very important musical project of Mr Weston, Temperaments, with the Australian violinist Jon Rose, along with different kind of keyboards period instruments and the use of somewhat rare unconventional tunings. But the specific aim for this concert and Veryan himself was to adapt into the instrumental configuration to make it fresher, more fluid and uneven. Around the time of this concert, Veryan Weston shared a recording session with Derek Bailey and a brass trio of the late Ian Smith, trumpet, Sarah Gail Brand, trombone and Oren Marshall, tuba which went out as the Daybreak CD on Martin Davidson’s Emanem label. Coïncidentally, there is another Emanem CD of Lol Coxhill and Veryan Weston, Worms Organising Archdukes where one can listen to a duo of soprano saxophone and positive organ and the recording engineer of this Welwyn Garden City encounter is the same Mr Martin Davidson which Emanem label issued also the two Temperaments double CD's which are sort of incredible masterpieces of madness.
Sorry for this lengthy explanation, this is just to show that it was not a kind of novelty act on the side of the pianist. As the four players aren’t actually “a band” (as it happens often in free improvisation), the musicians manage to perform in two quartets and in five different duets, in order to display their current duos. Indeed, Lol Coxhill and Veryan Weston became great friends around 1969, meeting at the legendary Little Theatre Club and played as a (legendary) duo ever since. John Russell and Sabu Toyozumi travelled back and forth each year between their respective countries, for touring together in Japan and U.K, and even in Brussels, meeting also many other players. Indeed, Sabu Toyozumi is never more happy when he can make new musical acquaintances just for the cheer pleasure to play with like-minded human beings or friends out of any sort of touring agenda. In his native language, “Kosai Yujyo “ he says (Enjoy Friendship !). John eventually organized one or two Sabu Toyozumi Meeting with Brits improvisers in London. I will add that John Russell organized monthly improvised music concerts from 1974 without any stop, until he passed in 2019 (Who else ?). Fortunately, we have now the most convincing recorded duo ever of Johnny Guitar Russell and Sabu-San : “Song for Joanna Russell” which is the perfect cherry on the cake for the Sabu – John album “Empty Spontaneity” recorded in Japan in May and June 2013. So, each duet recorded here seems to be the quintessential meeting of the spirits between of these four great players with Sabu Toyozumi swapping his drumkit for the Chinese fiddle “er-hu” for the occasion to play with the organ. I mention that Sabu recorded once a lengthy piece of more than 40 minutes with another organist afterwards, Peer Schlechta and his fiddle, in a trio with also clarinettist Ove Volquartz. This uncommon recording was issued by Julien Palomo’s Improvising Beings in the Kosai Yujyo double anthology CD with John Russell and myself among others. In this Musashi Cd, Sabu and Lol are duetting three pieces with each of the other players although John and Veryan are playing two pieces either with Lol and Sabu. And I feel that the presence of Lol Coxhill, a visionary poet on his own right, imbues the whole proceeding. As a saxophonist, he is perhaps the weirdest and more genuine specialist of the soprano instrument of which he is bending any note in his own Coxhillian microtonal system. That goes quite well with the eerie sustained sounds of Veryan’s pipe organ. Sound explorations and melodic suggestions are fitted by his own unique voice into a one-man breathing topology of sounds, textures, notes, curves, harmonics, contorted spirals, mouthpiece bitings and reed articulations and these are completely morphed in to Sabu’s playing in their duo (Body Awareness Three). The title track Musashi As The Water sounds like a perfect demonstration of what enjoyable collective free improvisation is all about : unexpectedness, whimsy, clear-cut interaction, spontaneity, divergent actions. Although each player is a master improviser, Lol Coxhill seems leading the dance without to obtrude. More, he is opening the proceedings. After this nice all fo(u)r all extravaganza, this is a great time when John and Sabu are reaching other realities, the former schreeching the strings and the latter even making percussive sounds with his own mouth cavity. The other part of this Russell set of duets is a wonderful far-out dialogue with Coxhill, both asking questions without answers in a kind of witty sarcastic way. After such magistral duets, the quartet conclusion is foraging further in any direction with still a glimpse into the first quartet and some lunatic behaviour.
After having followed and supported these four musicians along decades, I can’t dream to find out a collection of their musical inspirations reunited in this Musashi as The Water album. As they say in French : l’eau a coulé sous les ponts, but this is never the same river twice. P.S. : These are my own notes written for this wonderful album.
Duo trombone - contrebasse ! Le tromboniste Paul Hubweber et le contrebassiste John Edwards ont partagé de magnifiques concerts et sessions avec le percussionniste Paul Lovens depuis plus de 20 ans au sein du trio « PaPaJo ». Trois albums atypiques relatent leurs explorations sonores spontanées : PaPaJo (Emanem 4076) , Simple Games (Cadence Jazz Records 1209) Spielä (Creative Sources CS 340 2CD). Suite à la défection définitive de Paul Lovens pour des raisons de santé, les deux comparses persévèrent en duo, démontrant ainsi de profondes affinités humaines et musicales. Cette combinaison instrumentale contrebasse – trombone est assez inhabituelle, mais il y a quelques sérieux antécédents.
Par exemple, Paul Rutherford et Barry Guy firent des concerts en duo (comme au festival de Moers en 1976), Radu Malfatti et Harry Miller enregistrèrent deux LP’s : Bracknell Breakdown (Ogun 320) et Zwecknagel (FMP – SAJ 34), Rutherford et Paul Rogers ont à leur actif Rogues (Emanem 4007 CD) et George Lewis et Joëlle Léandre, "Transatlantic Visions" (Rogue Art ROG 020). Et surtout, il y a Carte Blanche de Günther Christmann et Torsten Müller (FMP 1100) pour sa musique aussi volatile que précise et concentrée. Et voilà notre ami Paul Hubweber, un inconditionnel de Rutherford, Christmann, Malfatti et Lewis qui réalise une synthèse unique de toutes les idées et illuminations qui ont germé dans les recherches audacieuses et révolutionnaires de ces pionniers du trombone libéré et de l’improvisation radicale. La contrebasse et le trombone offrent tous deux des latitudes expressives exceptionnelles dans l’exploration de sonorités et nos deux amis s’entendent à merveille à nous esbaudir par l’étendue extraordinaire de leurs registres et de leurs capacités expressives. Et cela, en maintenant un fil ténu, mais sensible, avec le jazz « qui swingue encore » tout en divagant outre mesure. La voix de Paul H. chantant dans l’embouchure peut se faire lyrique même en exploitant des intervalles inusités. Les doigts puissants et agiles du contrebassiste font trembler le sol et la caisse de l’instrument avec des pizzicatos telluriques, carrément mingusiens quand le besoin se fait sentir. Son engagement constant se matérialise dans un flux de frictions, filetages, frottements boisés, vibrations tactiles, arpèges sauvages qui propulsent le souffleur au-delà du surnaturel dans des collisions soniques. Paul Hubweber n’a de cesse de camoufler le timbre de son trombone et de faire rugir (ou voiler, frétiller, exploser etc..) la colonne d’air avec une aisance et une frénésie irrésistibles, cisaillant timbres et couleurs, la compressant avec ses lèvres folles, projetant des explosions de tubulures multidimensionnelles ou un paisible sustain vocalisé. Le contrebassiste dévale ces cascades de notes, comme le ferait un danseur, sur la touche fragile sur laquelle claquent de virulents, mais prosaïques, slaps du jazz de bon-papa. La résonance des cordes de la contrebasse dévoilent des rebondissements soniques élastiques, le chant du coeur qui bat, la sève instantanée et intense des parties ligneuses du gros violon qui chante ou vibre sous la puissance de l’archet ou hoquète au col legno. C’est tout simplement phénoménal ! La paire nous offre un majestueux parcours à travers de multiples occurrences ludiques que je n’arrête pas d’écouter et réécouter, le matin, l’après-midi et le soir. Tout simplement essentiel, infiniment chaleureux et sans aucun équivalent. Étant un fana de Rutherford et des autres, je me le passe le matin, l'après midi et le soir NB : J'ajouterai le lien audio une fois paru.
Joëlle Léandre et Paul Lovens Off Course ! Fou records FR CD 41
https://fou-records.bandcamp.com/album/off-course
Contrebasse et percussions une combinaison instrumentale qui fait sens, ces deux instruments étant associés dans la section rythmique de la musique de jazz, qu’il soit « Chigago », « Swing », « Be-bop », « Modal » ou « Free ». Mais en tandem, c’est une autre affaire. La grande dame de la contrebasse fait ici équipe avec le farfadet de la percussion improvisée, cadet de la génération des pionniers européens (Brötz, Evan, Bennink, Derek, Stevens etc…) pour une rencontre sonore pointue, avec une belle dose de focus et de perspicacité épurée. Enregistré en 2013 aux Temps du Corps à Paris en 2013, ce concert compte dans les quelques duos de Paul Lovens documentés alors qu’il quitte définitivement la scène pour des raisons de santé. La sortie récente de Tetratne avec le guitariste Florian Stoffner et de Nephlokokkygia avec le souffleur Hans Koch par le label Ezz Thetics démontre à souhait que ce percussionniste en fin de carrière n’avait pas fini de nous étonner, ne fut-ce qu’avec son sens profond de l’essentiel. Ces frappes sélectionnées dans l’instant pour exprimer le poids, la densité et le rebond des objets percutés, égratignés ou frottés, les éphémères vibrations qui soulèvent le silence, cette poursuite de l’improbable, ces cascades métaphoriques de l'évidence exprimée définitivement. De même, Joëlle Léandre s'est impliquée dans des duos de haute tenue avec Derek Bailey, Steve Lacy, Irene Schweizer, Lauren Newton (etc...) sortant la contrebasse de son rôle parfois étriqué d'instrument de "support" pour lui conférer une musicalité évidente en libre parcours. Avec Joëlle, Paul a trouvé une partenaire qui partage cette capacité optimale de dialogue, accouplée avec un sens de la proportionnalité du geste en traçant une trame limpide, des oscillations ludiques du timbre des bois et cordes de son gros violon. L’attention auditive et humaine de Paul Lovens ouvre tout le champ sonore à la sonorité de la contrebasse qu’elle contribue à mettre en valeur tout en tirant avantage de cet espace et ses silences, et lui (Paul) pour insinuer toute sa science de la percussion libérée des tics et des tocs et rendue à l’état de nature, sauvage et merveilleuse. Paradoxalement hyperactif avec un sens inné de l’épure où chaque instant compte et brille. Des sons vocaux de Joëlle Léandre expriment le non-dit qui anime ses entrailles. On aime à la suivre furetant entre les scintillements des cymbales qui s'éclipsent dans le silence et se créer des passages secrets dans une belle trame narrative. Les vibrations de la contrebasse charment et fertilisent les micro-frappes obsédées de son acolyte. Une communion ouverte sur l'infini. Un chant intime, un équilibre choisi. Dure-t-il 32 minutes (Off Course !) et 6 minutes 6 secondes (…where else.), ce CD courte durée nous permet de nous repasser encore et à nouveau tout le cheminement de cette conversation musicale (sonore, émotionnelle, improvisée) inédite sans nous embarquer dans les grandes longueurs d’une écoute interminable. Tout est dit dans le temps qu’il faut pour le jouer, le distendre, le compresser et nous livrer une belle invention d’instants ludiques. Pour ceux qui aiment à être documenté au-delà du raisonnable, je signale l'existence d'enregistrements réunissant une contrebasse et une batterie dans le cadre de la libre improvisation : Léon Francioli et Pierre Favre "Le Bruit Court" (LP L'Escargot 1979), John Edwards et Mark Sanders "Nisus" (Emanem CD), Peter Kowald et Tatsuya Nakatani "13 Definitions of Truth" (QuakeBasket CD) et les sessions publiées par Damon Smith avec Bob Moses ou Alvin Fiedler. Avec ce Off Course ! providentiel, on tient un très beau document !
Lol Coxhill, John Russell, Veryan Weston, Sabu Toyozumi: MUSASHI as THE WATER ~Live at St.Mary Magdalene Church, 2005 Chap Chap Records CPCD-022
https://www.chapchap-music.com/chap-chap-records/cpcd-022/
Track 1.Bodv Awareness I ~Veryan Weston + Lol Coxhill (6:24)
Track 2.Body Awareness II ~Veryan Weston + Sabu Toyozumi(erhu) (7:03)
Track 3.Body Awareness III ~Sabu Toyozumi + Lol Coxhill (6:42)
Track 4. MUSASHI as THE WATER ~Weston ,Toyozumi ‚Coxhill,Russell (10:39)
Track 5.Song for Joanna Russell ~John Russell+ Sabu Toyozumi (6:02)
Track 6. Song for Ulrike Coxhill-Scholz ~Lol Coxhill + John Russell (4:07)
Track 7. Direct System ~Weston,Toyozumi ,Coxhill, Russell (3:32)
Veryan Weston - tracker action church organ. Lol Coxhill - soprano saxophone Sabu Toyozumi - percussion/ erhu John Russell - acoustic guitar
Recorded by Martin Davidson at St. Mary Magdalene Church - Welwyn Garden City in England on 24th August 2005
Takeo Suetomi of Chap-Chap contacted me about to write some notes about this very fine set of recordings of our great friend, the drummer Sabu Toyozumi meeting three of our dearest British improvisers in St Mary Magdalene Church in Welwyn Garden City almost seventeen years ago. Two of them are now gone, but are staying deeply in our hearts and minds : the late acoustic guitarist John Russell and the late soprano saxophonist Lol Coxhill. The pianist Veryan Westonselected a very nice church organ in the aforementioned church in his hometown, the instrument being an air and tubes – tracker action keyboard organ in total acoustic mode.
Fortunately, I witnessed the creative process of these four genuine improvisers in various degrees while organizing their concerts in Belgium and also performing - singing with three of them at different occasions. We eventually made some recordings myself together with John Russell and with Sabu Toyozumi. This recorded meeting of these four improvisers took place in a church and we can be grateful for that, as we avoid the so-called “bourgeois beast”, as Mr Weston describes a grand piano, for the very Catholic (or, as we are in United Kingdom, Anglican Christian) acoustic air church organ with trackers. This instrument is at the core of one very important musical project of Mr Weston, Temperaments, with the Australian violinist Jon Rose, along with different kind of keyboards period instruments and the use of somewhat rare unconventional tunings. But the specific aim for this concert and Veryan himself was to adapt into the instrumental configuration to make it fresher, more fluid and uneven. Around the time of this concert, Veryan Weston shared a recording session with Derek Bailey and a brass trio of the late Ian Smith, trumpet, Sarah Gail Brand, trombone and Oren Marshall, tuba which went out as the Daybreak CD on Martin Davidson’s Emanem label. Coïncidentally, there is another Emanem CD of Lol Coxhill and Veryan Weston, Worms Organising Archdukes where one can listen to a duo of soprano saxophone and positive organ and the recording engineer of this Welwyn Garden City encounter is the same Mr Martin Davidson which Emanem label issued also the two Temperaments double CD's which are sort of incredible masterpieces of madness.
Sorry for this lengthy explanation, this is just to show that it was not a kind of novelty act on the side of the pianist. As the four players aren’t actually “a band” (as it happens often in free improvisation), the musicians manage to perform in two quartets and in five different duets, in order to display their current duos. Indeed, Lol Coxhill and Veryan Weston became great friends around 1969, meeting at the legendary Little Theatre Club and played as a (legendary) duo ever since. John Russell and Sabu Toyozumi travelled back and forth each year between their respective countries, for touring together in Japan and U.K, and even in Brussels, meeting also many other players. Indeed, Sabu Toyozumi is never more happy when he can make new musical acquaintances just for the cheer pleasure to play with like-minded human beings or friends out of any sort of touring agenda. In his native language, “Kosai Yujyo “ he says (Enjoy Friendship !). John eventually organized one or two Sabu Toyozumi Meeting with Brits improvisers in London. I will add that John Russell organized monthly improvised music concerts from 1974 without any stop, until he passed in 2019 (Who else ?). Fortunately, we have now the most convincing recorded duo ever of Johnny Guitar Russell and Sabu-San : “Song for Joanna Russell” which is the perfect cherry on the cake for the Sabu – John album “Empty Spontaneity” recorded in Japan in May and June 2013. So, each duet recorded here seems to be the quintessential meeting of the spirits between of these four great players with Sabu Toyozumi swapping his drumkit for the Chinese fiddle “er-hu” for the occasion to play with the organ. I mention that Sabu recorded once a lengthy piece of more than 40 minutes with another organist afterwards, Peer Schlechta and his fiddle, in a trio with also clarinettist Ove Volquartz. This uncommon recording was issued by Julien Palomo’s Improvising Beings in the Kosai Yujyo double anthology CD with John Russell and myself among others. In this Musashi Cd, Sabu and Lol are duetting three pieces with each of the other players although John and Veryan are playing two pieces either with Lol and Sabu. And I feel that the presence of Lol Coxhill, a visionary poet on his own right, imbues the whole proceeding. As a saxophonist, he is perhaps the weirdest and more genuine specialist of the soprano instrument of which he is bending any note in his own Coxhillian microtonal system. That goes quite well with the eerie sustained sounds of Veryan’s pipe organ. Sound explorations and melodic suggestions are fitted by his own unique voice into a one-man breathing topology of sounds, textures, notes, curves, harmonics, contorted spirals, mouthpiece bitings and reed articulations and these are completely morphed in to Sabu’s playing in their duo (Body Awareness Three). The title track Musashi As The Water sounds like a perfect demonstration of what enjoyable collective free improvisation is all about : unexpectedness, whimsy, clear-cut interaction, spontaneity, divergent actions. Although each player is a master improviser, Lol Coxhill seems leading the dance without to obtrude. More, he is opening the proceedings. After this nice all fo(u)r all extravaganza, this is a great time when John and Sabu are reaching other realities, the former schreeching the strings and the latter even making percussive sounds with his own mouth cavity. The other part of this Russell set of duets is a wonderful far-out dialogue with Coxhill, both asking questions without answers in a kind of witty sarcastic way. After such magistral duets, the quartet conclusion is foraging further in any direction with still a glimpse into the first quartet and some lunatic behaviour.
After having followed and supported these four musicians along decades, I can’t dream to find out a collection of their musical inspirations reunited in this Musashi as The Water album. As they say in French : l’eau a coulé sous les ponts, but this is never the same river twice. P.S. : These are my own notes written for this wonderful album.
Free Improvising Singer and improvised music writer.
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