Hearoglyphics Jean-Jacques Duerinckx - Adrian Northover Setola di Maiale SM 4150
https://adriannorthover.bandcamp.com/album/hearoglyphics
https://astateofmutation.bandcamp.com/album/hearoglyphics
Prenez le compact et son bel emballage cartonné et vous tenez en main un chef d’œuvre. Un subtil dialogue de saxophones pointus : le sopranino pour J-J Duerinckx et le soprano et l’alto pour Adrian Northover. Musicalement, on se situe dans le sillage des grands découvreurs – explorateurs du saxophone en solitaire, comme Steve Lacy, Lol Coxhill, Evan Parker ou Michel Doneda, à un niveau de qualité et de précision qui laisse stupéfait. Treize improvisations en duo ou compositions instantanées basées sur une intense écoute mutuelle, un sens inné de la construction collective et une grande sensibilité. La somme musicale intrinsèque de Hearoglyphics n’a finalement rien à envier à des opus enregistrés par Steve Lacy et Evan Parker en duo (Chirps/ SAJ) ou les mêmes avec Lol Coxhill (Three Blokes / FMP). Au départ ces deux remarquables virtuoses Belge (Duerinckx) et Britannique (Northover), ne possèdent pas une empreinte musicale aussi individuelle – personnelle et aussi marquante que leurs aînés précités qui ont créé ce mouvement d’improvisation libre et qui les ont entraînés (JJD et AN) à s’exprimer comme ils le font aujourd’hui, en s’efforçant de repousser les limites du saxophone « improvisé ». Mais leur effort commun est une véritable réussite. En effet, au fil des morceaux enregistrés d’une traite au Red Shed Studio le 8 avril 2019, on se surprend à voir défiler un univers - dédale d’intervalles secrets, d’harmonies complexes, de motifs constamment réinventés, de timbres à la fois élégiaques, volatiles, acides, diaphanes ou saturés… Leurs voix se croisent, se complètent ou s’échappent de résolutions trop évidentes. Un accomplissement et une fuite en avant à la recherche de l’utopie. On découvre une connivence empathique rare. Cela s’appelle jouer ensemble comme le font les meilleurs violons, alto et violoncelle qui unissent leurs voix pour enrichir mutuellement leurs jeux respectifs et leur démarche personnelle. Le contraste peut surgir graduellement pour replonger dans l’imbrication - tuilage où le travail de chacun s’inscrit au plus profond de celui de l’autre. Leur maturité impressionnante envisage et reconsidère de nombreux éléments, matériaux et points de vue du travail musical qu’il s’agisse de la matière sonore de la colonne d’air distendue, compressée ou triturée (harmoniques, quintoiements, notes fantômes), ou de l’arrangement des fréquences dans des courbes, spirales, entrelacs à l’oreille ou par la grâce de la science harmonique (dizaines d’années de travail quotidien intense). La justesse et la précision de leurs souffles/ doigtés/notes n’est devenu qu’un outil au service d’une vision qu’ils partagent au-delà du commun, prodigieuse et indispensable pour se faire une idée précise où peut mener la quête d’un Steve Lacy, d’un Evan Parker, d’un Lol Coxhill ou un Roscoe Mitchell quand il s’agit de dialoguer jusqu’au bout. Ces artistes exceptionnels sont appréciés pour leur inventivité personnelle unique et inimitable. Mais une grande partie de leur art réside aussi dans l’extrême qualité dans l’engagement collectif vers le dialogue intense où le moindre détail compte et où l’écoute de l’autre se doit d’être absolue. Et c’est bien dans cette optique de la construction collective et de l’unicité complémentaire et indissociable des voix individuelles dans la création instantanée que ces deux saxophonistes improvisateurs excellent de manière très pointue, unique et intimiste. Un idéal difficilement atteignable. Chaque pièce trouve une suite imprévisible dans un des morceaux suivants, le dialogue se créant au tant dans l’instant que dans le temps qui s’écoule d’une pièce à l’autre. Un véritable panorama des possibilités sonores et musicales s’établit patiemment et inexorablement. Adrian Northover fait partie de cette scène britannique vivace : Steve Noble, John Edwards, Pat Thomas, Adam Bohman, Marcio Mattos, Sue Lynch… et a acquis un bagage musical issu du jazz, de la musique indienne, du rock alternatif et de la recherche sonore, excellant indifféremment au soprano et à l’alto en faisant coïncider les caractéristiques des deux instruments qu’il inscrit dans la même trajectoire. En effet, les as du soprano refusent de jouer de l’alto et les grands altistes se déprécient au soprano. Chez lui, c’est chou vert et vert chou. Il y a chez lui une vraie cohérence entre ce qui devrait être deux « styles » distinctifs tant les deux instruments sont différents. Quant à Jean-Jacques Duerinckx, il est devenu un expert du saxophone sopranino, un instrument difficile (voire rébarbatif) qui ne m’a jamais convaincu que dans les mains et les doigts d’Anthony Braxton (dont JJ a étudié la Composition 113 pour sax soprano) ou de Michel Doneda, Lol Coxhill ou Stefan Keune. J. J. est devenu un fanatique du dialogue avec des souffleurs qui partagent sa vision : les clarinettistes Tom Jackson et Jacques Foschia, les saxophonistes Michel Doneda, Adrian Northover et Franz Van Isacker. Il aurait pu publier un album avec Jackson ou Foschia en duo ou un trio avec Jackson et Northover. Mais c’est le duo avec Adrian qui a eu la primeur. L'intensité de l'intime. Suivez donc le guide. Toutes les personnes bien informées à qui j’ai fait écouter ce magnifique album me disent leur enthousiasme, leur emballement et ô combien ils ont été convaincus, à leur plus grande surprise. On entend ici deux artistes improviser comme les cinq doigts de la main et comme rarement.
JJ Duerinckx solo résonance astateofmutation
https://astateofmutation.bandcamp.com/album/r-sonance
À écouter si vous voulez distinguer le saxophone sopranino et le / du saxophone soprano et surtout un saxophoniste parmi les plus intéressants de nos jours : Jean – Jacques Duerinckx. Entendu avec John Russell, Jacques Foschia, Adam Bohman, Tom Jackson, Harold Schellinckx, et beaucoup d’autres, J.J. D vient de publier une excellente somme auditive dans le domaine du duo de saxophones avec Adrian Northover, celui-ci aux saxophones soprano et alto pour le label italien Setola di Maiale : Hearoglyphics. Avant de se plonger dans les 13 improvisations de ce monument de conversation saxophonistique, il n’est pas inutile d’écouter attentivement le solo absolu de saxophone sopranino de Jean-Jacques Duerinckx enregistré dans l’église Saint Pierre aux Liens à Chateauneuf de Mazenc en Drôme Provençale en juillet 2019. La prise de son a su transcrire l’atmosphère idéale. Intensité, hyper sensibilité, recueillement, exploration de l’espace sonore et de sa résonance.
Hannah Schörken Luma Leo Records DC LR 893
En onze pièces aussi désarmantes et réussies les unes que les autres, la chanteuse Hannah Schörken parvient à séduire, intriguer, convaincre avec le concours de sa voix seule dans son état le plus originel, remarquablement poétique, audacieuse et un brin sauvage, voire indomptée. Qu’elle utilise des techniques « alternatives » et certains recoins les plus secrets et curieux de la voix humaine est une chose, mais son point fort est son expression authentique : son apprentissage émérite et sa prouesse technique n’interfèrent en rien dans la simple et intense spontanéité qui fleure bon la conteuse née, l’artiste du partage par excellence. C’est sans doute un don du cœur. Et un sens aigu de la respiration. Sa projection sonore et sa vocalité peuvent se révéler extrêmes sans qu’elle se sente obligée d’exacerber son propos. On l’entend user de sifflements tels que ceux de personnes que l’on croise en rue et elle leur donne une signification particulière surtout lorsqu’elle râle et gémit. Un art particulier pour raconter des histoires, développer une narration improbable, pour charmer et échapper aux poncifs dans de courtes et précises miniatures dont la première, Climbing atteint les six minutes. En deux ou trois minutes, elle concentre des effets bien choisis qu’elle altère et transforme dans une autre réalité. Concision, digression, invention, révélation. Son plus puissant acquit est cette manière naturelle qui transforme babil, glossolalies, bruissements, harmoniques en pure poésie, historiettes joyeuses, palpitantes ou macabres. Une merveilleuse réussite.
LLuvia Emilie Skrijelj Ernesto Rodrigues Miguel Mira Tom Malmendier Creative Sources CS640CD
Accordéon, alto, violoncelle et percussions à même le sol pour une improvisation collective climatique, tendue, tournoyante et toute en finesse. Enregistrée lors du Creative Fest XII à O’Culto Da Ajuda à Lisbonne le 19 novembre 2019. On entend l’altiste Ernesto Rodrigues et le violoncelliste Miguel Mira, des « seasoned veterans », dans de très nombreux enregistrements avec un grand nombre d’improvisateurs de toutes provenances et c’est avec plaisir qu’ils partagent cette soirée en compagnie de deux enthousiastes activistes de la « jeune » relève, l’accordéoniste française Émilie Skrijelj et le percussionniste belge Tom Malmendier, formant eux-mêmes le duo Les Marquises. Dans ce duo, Emilie joue aussi platines et électronique. Mais Lluvia nous la fait découvrir à l’accordéon seul. La musique entièrement improvisée, essentiellement organique et basée sur l’écoute mutuelle et l’invention instantanée fédère les deux pôles du tandem Skrijelj – Malmendier et des deux cordistes qui ont une très belle histoire commune. Dois- je ajouter qu’Ernesto Rodrigues documente de nombreux groupes d’improvisations rassemblant six ou sept musiciens jusqu’à des ensembles nettement plus fournis ? Au-delà de la dizaine jusque vingt ou trente improvisateurs et plus dont Miguel Mira et tout cela est documenté sur le label Creative Sources de manière exponentielle. Vu le nombre important d’albums d’Ernesto, on s’y perd un peu. Mais Lluvia est un excellent témoignage de l’extrême convivialité, de l’esprit d’agréation et une volonté intransigeante d’écoute et de coexistence de ces musiciens qui tentent avec plus ou moins de succès de mettre en commun partage, expérience, amour des sonorités et une forme de bon sens autant pragmatique qu’idéaliste. Grâce à ces rencontres fortuites ou suscitées, les improvisateurs doivent se resituer et reconsidérer leurs pratiques, s’ouvrir à d’autres univers et cela leur permet de découvrir d’autres musiciens, d’autres points de vue et des configurations instrumentales inédites. Ces rencontres multiples et tous azimuts nourrissent leur parcours et les artistes en retirent une plus grande assurance scénique et musicale. Il arrive que certaines de ses expériences « hors projet » ou ad-hoc, acquiescées « pour voir », transforment le parcours d’un artiste et lui permet d’évoluer positivement vers d’autres horizons. C’est un des grand bienfaits de la méthode de travail « pragmatique » de l’improvisation libre qu’il faut éviter de théoriser, justifier (et ânonner) en se contentant de s’ouvrir à la vie. Ce quartet évolue avec bonheur dans une forme intrépide, libertaire, en découvrant les formes et les agrégats sonores, torsades de frottements d'archet, halètements des soufflets, cliquètements percussifs... qui surviennent au-delà d’un quelconque plan ou agenda…. On en oublie qui joue quoi car la multiplicité des sonorités qui s’entrecroisent appartiennent à tous et peu importe... quand l’écoute mutuelle est le moteur de l’expérience. Méritoire !
Luis Vincente Maré Cipsela CIP 008.
Cipsela est un label portugais qui a frappé fort avec un concert solo enregistré du grand violoniste si attachant, Carlos Alves Zingaro. Ont été produits aussi un solo de Joe McPhee au sax alto, un album curieux et intéressantde Burton Greene avec des cordes, un bel album de Marcelo Dos Reis. Cette prise de risque continue avec cet intrigant opus du trompettiste Luis Vicente, un remarquable musicien entendu avec le pianiste Rodrigo Pinheiro, le bassiste Hernani Faustino et le batteur Marco Franco (Clocks and Clouds), Chamber 4 avec Theo et Vincent Ceccaldi et Marcelo Dos Reis, In Layers avec Onno Goovaert, Marcelo Dos Reis et Kristjan Martinsson. Mais aussi la pianiste Karine Leblanc et le percussionniste Vasco Trilla. Une nouvelle génération révélée ces cinq dernières années avec un certain brio. Cette suite en solitaire enregistrée dans le monastère Convento de Santa Clara e Nova à Coimbra le 17 novembre 2017 contient trois compositions focalisées sur une pratique sonore à la fois minimaliste et résonnante ou qui tire parti des effets surprenants des articulations du son, du souffle et du phrasé dans des étirements vocalisés, des saccades, staccatos et des échappées lyriques. Sa musique met remarquablement en évidence l’atmosphère résonnante du lieu « conventuel » et ses fréquences spécifiques qui colorent le timbre même de l’instrument. Je ne vais pas déclarer que Maré est un super chef d’œuvre ou une révélation à saisir séance tenante, mais plutôt un bel ouvrage qui offre de belles qualités et une forme de spleen un brin nostalgique. Un développement réussi durant la performance. Le lyrisme et la poésie affleurent naturellement et font de cet exercice solitaire de quoi combler un sentiment de solitude bienvenu au coin de l’automne qui fraîchit. Les audaces de la troisième partie (Quebra Mar) dans l’aigu sont saisissantes.