Peter Brötzmann Han Bennink Schwarzwaldfahrt FMP digital
https://destination-out.bandcamp.com/album/schwarzwaldfahrt
Le LP vinyle FMP 0440 du tandem Brötzmann & Bennink est une rare pièce à conviction de l’esprit artistique révolutionnaire jusqu’au boutiste d’une génération qui remettait en question toutes les conventions et idées relatives à l’art musical et aux hiérarchies esthétiques et humaines durant lesannées 60 et 70. Replaçons-nous un peu plus d’une centaine d’années en arrière. Les musiciens, artistes, poètes, sculpteurs etpeintres Européens prennent conscience qu’il existe d’autres cultures que celle, occidentale, dans laquelle ils ont été éduqués et formatés : l'Afrique, l'Inde, l'Océanie, l'Amazonie... Des musicologues curieux se mettent à explorer la musique de villages africains, d’îles du Pacifique, des déserts en collectant des enregistrant la musique « traditionnelle » de ces populations liées aux cycles de la vie et des saisons « sur le terrain ». C’est de cette pratique de collectage et d’investigation que naît le concept de « field recordings ». Mais pour ces deux artistes engagés et aussi impliqués dans les arts graphiques contemporains et des mouvements comme Fluxus, que Peter Brötzmann et Han Bennink, rien d’étonnant qu’ils aient imaginé jouer en plein air dans la Forêt Noire (Schwarzwald) et s’enregistrer en mettant en évidence la résonance de l’espace naturel auprès d’une étendue d’eau, des amoncellements de roches, de bûches sur le sol, sur la terre battue ou dans les fougères. Un peu comme on peut l’entendre dans les enregistrements de musique pygmée à l’orée de la forêt par le chercheur Belge Didier Demolin (Chants De L'Orée De La Forêt: Polyphonies Des Pygmées Efe Fonti Musicali 1990). De plus, Han Bennink est un ardent collectionneur de disques de musiques "ethniques" provenant d'Afrique, d'Inde etc... Il suffit d'écouter ces enregistrements de terrain d'Afrique de l'Ouest tels "Musiques Kabiyé" du Togo (Ocora OCR 76 LP) ou les LP's Folkways des Pygmées enregistrés par Colin Turnbull dans l'Ituri. On y entend des percussionnistes jouer à même le sol et ensuite écouter ces passages de The Elements ou de Couscouss de la Mauresque du trio Brötzmann Van Hove Bennink (FMP0030/0040 1971) dans lesquels Bennink percute sur le plancher de la scène une variété d'instruments percussifs africains ou bien faire tournoyer des rhombes dans l'air ambiant... On saisit alors d'où vient son inspiration. Cet album Schwarzwaldfahrt a été enregistré près d’Aufen et de Schwarzenbachtalsperre en Forêt Noire avec un Stella Vox par Peter Brötzmann lui-même du 9 au 11 mai 1977. Des extraits soigneusement sélectionnés sont parus dans un vinyle single du label FMP la même année avec dix sélections parmi les nombreuses prises. Il a été réédité ensuite par l’Unheard Music Series d’Atavistic avec dix autres pièces supplémentaires en 2005. En voici la réédition digitale de FMP 0440 avec ces morceaux supplémentaires et très soignée au niveau qualité acoustique. Instrumentation : e-flat clarinet, b-flat clarinet, bass clarinet, soprano saxophone, alto saxophone, birdcalls, viola, banjo, cymbals, wood, trees, sand, land, water, air ! C’est absolument fantastique ! Han Bennink frappe sur le sol, dans l’eau, sur des pierres, des branches ou ...une cymbale ancienne épaisse et bruissante : on reconnaît immédiatement son style free !. PB fait chauffer la colonne d’air en soufflant à pleins poumons éructant plus violemment que sur scène, s'adressant aux oiseaux qui sifflent dans le lointain. Duos de clarinette. Grattoirs agités frénétiquement, jeux percussifs à même l'humus ou la terre battue, sur quelques branches et pierres avec cette résonance forestière si particulière … le benninkisme total, obsessionnel, frénétique, africain et le souffle en volutes de Peter à la clarinette si bémol, complètement en phase... quand il ne sollicite pas une comptine germanique. On entend les chants d’oiseaux, l’écoulement de l’eau, le fracas des galets remués par le batteur, des rumeurs lointaines, le passage d’un avion, et les frappes sonores les plus variées sur toutes les surfaces, matières, textures, végétaux.... Évidemment, les appeaux sont du plus bel effet dans ce contexte. On se demande d’ailleurs d’où peuvent bien provenir toutes ces sonorités et ces sensations de mouvement captées lors de ces sessions en plein air. On reconnaît quand même l’écoulement des eaux d’une source ou alors les deux hommes évoluent à même le plan d’eau en jouant des clarinettes et du sax soprano en plongeant le pavillon dans l’eau ce qui produit de curieux effets sonores genre basse-cour et jérémiades de volatiles, canards, poules d’eau, oies sauvages. C’est vraiment extraordinaire ! Il fallait y avoir pensé et surtout oser et réaliser valablement une telle expérience utopique au point d’en faire une véritable œuvre musicale au délire absolu les bottes plongées dans la réalité fangeuse et feuillue d’une forêt sauvage. Incontournable !! OOLYAKOO !!
Breakdown Lane Duck Baker ESP Disk
https://duckbakeresp.bandcamp.com/album/breakdown-lane-free-solos-duos-1976-1998
C’est bien le troisième album solo « free-jazz » du guitariste « fingertstyle » Richard « Duck » Baker, un vétéran de la scène folk spécialiste du ragtime, du jazz ancien et swing etc… interprète de Monk et d’Herbie Nicols… et d’Ornette Coleman dont il joue ici Peace ! C’est aussi son deuxième CD pour ESP Disk, le précédent Confabulations (ESP5065) étant une série de duos avec rien moins que Derek Bailey, Michael Moore, Mark Dresser, Roswell Rudd, John Bucher, Steve Beresford et son Duck Baker Trio ou Quartet avec Alex Ward, Joe Williamson & John Edwards et Steve Noble. Pour ses albums « free » , Duck Baker affectionne les anthologies d’enregistrements de périodes et lieux différents , sélectionnant soigneusement les meilleurs prises ou les plus mémorables. C’est ainsi que cet album de « solos » de guitare featuring Eugene Chadbourne dans deux morceaux dont le morceau titre en version duo, Breakdown Lane et un curieux Take the « A » Train ! Car Duck Baker aime à reprendre d’un album solo à l’autre (cfr Outside Emanem 5041 2016 et Everything That Rises Must Converge/ Mighty Quinn 2009) des morceaux fétiches irrésistibles. Ça sonne tellement bien qu’on les déguste avec grand plaisir d’un album à l’autre, surtout que certains morceaux qui surgissent inopinément sont tout aussi irrésistibles, attachants ou ébouriffants. Duck Baker a un sens inné de la mélodie et du surf volatile sur la crête des tribulations rythmiques de ses compositions en zig-zag. Dans sa jeunesse, il a croisé Eugène Chadbourne et John Zorn époque Parachute, le label, pour lequel il a co-gravé Guitar Trios avec Chadbourne et Randy Hutton. C’est Zorn qui lui a demandé d’enregistrer en solo des compositions du pianiste Herbie Nichols pour son label Avan en 1995-6 (Spinning Song Avan 040). Vu la complexité de la musique de Nichols, c’est un véritable exploit, surtout avec cinq doigts de la main gauche, cinq doigts de la main droite et six cordes en nylon ! Cela l’a amené à interpréter Thelonious Monk. Je vous dis : Richard Duck Baker est réellement « un grand du jazz », musique dont il maîtrise bien des secrets, comme l’étaient des guitaristes comme Django, Charlie Christian ou Jim Hall. Mais dans un registre tout différent, le « fingerstyle » en vogue il y a une centaine d’années, mais petit à petit délaissé par pratiquement tous les collègues se situe dans une tout autre dimension instrumentale et … gravitationnelle. Mais aussi, je pense, aucun de ses collègues « fingerstyle » (il a enregistré en duo avec certains d’entre eux) ne se risque dans autant de répertoires aussi variés et dans cette « free-music » à l’allure aussi dératée que la sienne. Donc revenons au disque proprement dit. On retrouve ici les superbes morceaux que sont Allah Perhaps de l’album Everything That Rises Must Converge, Breakdown Lane, No Family Planning, Klee et Like Flies de l’album Outside, certains avec deux versions différentes comme ici No Family Planning I et II. Il n’a pas tort car ses super morceaux méritent d’être écoutés à plusieurs reprises. Il faut en suivre les moindres mouvements à la trace, cette virtuosité généreuse qui change constamment de cap, de rythmes, d’harmonies. Savoureux, volatile, surprenant et unique. Excellentes notes de pochette d’Anthony Barnett, un vétéran de la scène free-jazz Britannique proche de feu John Tchicaï.
Zlatko Kaucic at 70 Inklings 4CD Fundacja Sluchaj FSR 27/2024
Zlatko Kaucic, Torben Snekkestad, Axel Dörner, Tomaz Grom, Agusti Fernandez and Barry Guy
https://sluchaj.bandcamp.com/album/inklings
Pas moins de 4CD avec deux duos et deux trios autour du percussionniste slovène Zlatko Kaucic qui fête son 70ème anniversaire.
C’est un peu beaucoup à écouter. Il est loin le temps où on faisait tourner la même face de vinyle pour goûter et déguster le moindre détail d’un album comme the London Concert ou Old Moers Almanach deux heures durant. Comme j’ai été biberonné depuis un demi-siècle avec la crème des « free-drummers » de « ma génération d’auditeurs – fans de free-music – vous savez la saga Tony Oxley - Han Bennink - John Stevens - Paul Lovens - Paul Lytton - Roger Turner - Ray Strid –, je me réjouis d’écouter Zlatko à plein pot. Comme par exemple dans VENČKO, ce duo très focalisé avec Torben Snekkestad, un saxophoniste original que je n’ai pas encore eu l’honneur de chroniquer. Voilà au moins un chercheur de sons intéressant(s) qui fait sincèrement son possible pour faire sonner ses sax ténor et soprano d’une manière sensible et relativement exploratoire avec un travail intimiste sur le timbre, l’ouverture des clés, la diffraction des ondes et des fréquences spécialement dans le deuxième morceau (VEN), nais aussi dans une veine plus mélodique (3/ VENÇ) . Torben a un bon potentiel et un vrai avenir s’il continue dans cette voie. Le batteur démontre ici sa sensibilité avec un jeu minimaliste frémissant et l’usage discret des percussions métalliques dans une atmosphère de murmures et de vibrations ou en faisant vibrer sourdement les peaux avec les mailloches. Une démarche de percussionniste bruiteur-rythmicien plutôt qu’un recycleur de figures de batterie. Il fait aussi un bon dosage du silence dans ses interventions ellipitiques (VENČKO). Là où cela devient vraiment intéressant est ce nouveau trio composé en fait de deux duos du contrebassiste Tomaz Grom avec respectivement Zlatko et le trompettiste Axel Dörner. Généralement les auditeurs du public européen qui suivent à raison Fundacja Sluchaj, Not Two Records, No Business ou InTakt sont moins informés des productions de « micro-labels » de petits pays comme la Slovénie. Par exemple, Zavod Sploh, lequel a publié des choses passionnantes : Torn Memories of Folklore (2019) et the ear is the shadow of the eye (2021) du tandem Tomaz Grom et Zlatko Kaucic, deux albums que j’ai chroniqués avec le plus grand plaisir. C’est radical, orienté vers la recherche de sons, l’intrication intrigante et intransigeante, une exploration de textures, de timbres, d’amalgames inouïs, organiques, bruissants, subtiles. La vraie musique improvisée libre qui regarde devant elle en oubliant ses tics et ses tocs et la force de l’habitude. Mais alors, la meilleure, c’est que Tomaz Grom a sollicité la collaboration d’Axel Dörner, quelqu’un qui fait imploser la trompette avec des techniques alternatives pour faire de la méta-musique en articulant des efflorescences étonnantes au départ d’effets de souffle « réductionnistes » (un terme datant de l’année 2000) complètement sublimés, outrepassés etc… Wouaw. Et donc, vous avez droit à ce super trio de Zlatko, Axel et Tomaz intitulé A Silent Thought Shined Suite qui à lui seul est un solide argument d’achat et d’écoute. Il faut vraiment parcourir cette longue suite de 36 minutes pour en saisir les tenants et aboutissants. Le sel de la terre de la musique improvisée. Axel bruite comme lui seul sait le faire maniant de larges horizons de sonorités, d’éclats, de grondements, d’ondes, de souffles sourds, de scories brûlées. Tomaz fait ronronner sa contrebasse, strier ses cordes, mugir la boiserie, palpiter des interférences de frottements en se pliant à la dynamique spécifique du trompettiste, leur empathie sonore instantanée servie par la profonde sensibilité, les vibrations sonores indéfinies et intimes du percussionnistes. Un bel usage du silence et de belles enchaînements d’actions créatives. Avec le saxophoniste portugais Rodrigo Amado en duo, on retourne aux sources de la musique afro-américaine, la lingua franca du free-jazz. Le batteur, s’il joue free, désaxe les rythmes avec roulements en cascades énergiques et une volubilité entraînante tout en prouvant ses qualités intrinsèques de la batterie. On est proche du de l’univers du duo Edward Blackwell et Dewey Redman, le saxophoniste soufflant à gorge déployée, énergiquement, ou bien tendrement en suggérant une mélodie alors que son collègue le suit délicatement avec classe et le plus grand naturel. À deux ils construisent un beau dialogue, la batteur maintenant un drive saisissant en crescendo (2/ Free Fall II). Cela se laisse écouter agréablement : Free Fall, 48 :20 déclinée en quatre parties. Dans ce coffret s’affirme la volonté de créer des suites évolutives avec chaque fois une progression bien menée qui bonifie le travail d’Amado et donne un cap dans ses improvisations. Le CD 4 , Inklings est une réunion « au sommet » avec le contrebassiste Barry Guy et le pianiste Agusti Fernandez pour sept échanges de haut niveau pour 49 minutes toutes en nuances. Celui ou celle qui connaît Agusti et Barry et leurs fréquentes collaborations (avec Ramon Lopez, par exemple), aura encore l’occasion d’apprécier leur capacité de synthétiser brillamment l’énergie du free-jazz, la démarche issue du contemporain et les aléas imaginatifs – imaginaires de la libre improvisation. Musique à l’abord « sérieux » , complexe et réfléchie, elle est pourtant animée par un esprit ludique, des moments intimistes suspendus, chambristes et parfois au bord du silence. On y trouve une démarche de recherche de sonorités, de détails infimes, et dans cette perspective, le travail de Zlatko Kaucic est exemplaire, offrant par exemple une univers de vibrations sonores éthérées alors qu’Agusti frictionne délicatement une corde de piano suivi par l’archet vibrionnant sur une corde à proximité du chevalet. On suit leurs improvisations sonores, bruissantes à la trace. On imaginerait bien un Urs Leimgruber ou un Michel Doneda titiller la colonne d’air avec des harmoniques tirées par les cheveux et pincements d’anche. De la vraie free-music radicale. Une plongée en apnée dans les flux soniques méta-musicaux poussant une boule d’énergies dilatant la matière. On sait aussi abruptement décélérer la cadence pour repartir d’un autre pied introduisant une trance au clavier. J’apprécie la sauvagerie, la rage organique des deux virtuoses classieux que sont Barry Guy et Agusti Fernandez : ils ont trouvé en Zlatko Kaucic le bruiteur percussionniste organique par excellence qui se fond à fond dans ce super trio (3/ Inkling3). Le contraste est total entre la furia du précédent morceau et du 4/ Can Ram la fraîcheur point dans une ritournelle qui petit à petit gire, s’élance, tournoie, s’élève dans un trilogue lyrique pour changer. En 5`/ Inkiling 5, c’est à nouveau des échanges détaillés exploratoires et intimistes tout en nuances, sons, timbres, bruits, agrégats, secousses, silences, dérives en évitant effets de manche et débauche de notes. La musique poursuit alors un but, un état de déséquilibre, d’engagement physique vers un apex d’une violence rare. Une fois atteint, l’art du decrescendo est progressif, sauvage mais contrôlé. On veut ignorer qui joue quoi, tant ils font corps l’un à l’autre. L’exploit « soliste individuel » est complètement effacé dans un amalgame vif et vivant. Magique. Complexe et simple à la fois. Du grand Art. Avec ce deuxième trio, vous pouvez vous rassurer, vous ne perdrez pas votre temps. Bravo Zlatko !!
Fuchs Arndt Schneider Wolfgang Fuchs Hans Schneider Bernhard Arndt FMP Digital
https://destination-out.bandcamp.com/album/fuchs-arndt-schneider
Inédit issu des archives FMP, année 1984 paru en 2018. Ayant écrit plusieurs pages sur le parcours de vie musicale du contrebassiste Han Schneider décédé en novembre dernier, je me devais de conter ô les bienfaits de cet album digital, même plus de 6 ans après sa parution. Il y a trop peu d’albums du clarinettiste basse et saxophoniste exclusivement sopranino Wolfgang Fuchs par rapport à nombre de ses confrères duquel il semble proche : Evan Parker, John Butcher, Mats Gustafsson, mais aussi Lol Coxhill, Urs Leimgruber, Michel Doneda. Et pourtant ! Fin des années 70 début 80, il n’y a qu’un seul autre risque tout de grande envergure qui s’est intensément engagé dans l’exploration – explosion – implosion du saxophone à la suite d’Evan Parker en rupture affirmée du free jazz US. John Butcher n’apparaît qu’au milieu des années 80, Mats G, tout comme Stefan Keune, encore trop jeunes, Michel Doneda dans la mouvance "folk imaginaire ", Urs est plongé dans le jazz, etc... Wolfgang Fuchs était un géant trop tôt disparu. Il avait une projection du son extraordinaire à la clarinette basse, même quand il jouait « doucement » des effets sonores au niveau du bec. Il faisait éclater en schrapnels incandescents l’articulation délirante de son souffle halluciné avec toutes sortes d’effets de timbres en scories où la notion de bruit et l’atonalité musicale ne font qu’un . Il possédait une énergie extraordinaire aussi impressionnante que celle de Brötzmann. Mais il pouvait aussi jouer au bord du silence en créant une tension prête à exploser. C’était Jo la Terreur et Max la Menace. Intransigeant, sa musique était au fil du rasoir. Dans la musique improvisée libre, c’est le champion de la clarinette basse … et contrebasse le plus radical et vénéneux qui existait dès la fin des années 70. Aussi un phénomène de la déflagration du sax sopranino de l'implosion de la colonne d'air. Cet album nous fait entendre l’excellement pianiste Bernhard Arndt, un pilier de la scène berlinoise documenté avec un coup de marteau en travers de la pochette : Working en duo avec le batteur Manfred Kussatz (FMP 0750)/ Plus tard paraît un cd solo que je n’ai pas eu l’occasion d’écouter sur le sublabel OWN de FMP. Le pianiste donne ici une excellente prestation en improvisant intelligemment avec les deux équipiers habituels que sont Fuchs et Schneider. La contrebasse de Hans était un peu enterrée dans le quartet X-PACT avec Erhard Hirt et Paul Lytton, A Frogman’s View / Uhlklang. Ici la configuration instrumentale clarinette/ sax, piano, contrebasse permet d’entendre clairement les dessins mouvants de son intense travail à l’archet, véritable sculpture sonore vivante et contrepartie attentive , concentrée et minutieuse face à la furia du souffleur aussi échevelée que méthodique et expressionniste et aiguillonnée par les doigtés endiablés et les clusters du pianiste. Il y a beaucoup de choses dans cet album de 11 improvisations de durées différentes distillées sur une heure et demie bien remplie et d’une grande diversité et autant de cohérence. On réalise qu’à cette époque, Hans Schneider fait figure d’explorateur intrépide et radical à la contrebasse. Et le pianiste est une sacrée pointure dans le registre contemporain. Comme Fred Van Hove, il arrive à jouer et improviser plusieurs motifs à la fois. Si vous n’avez jamais imaginé Donald Duck jouer du saxophone dans une colère froide, il faut absolument écouter l’inexorable et virulent Wolfgang Fuchs au sax sopranino. Plus que ça tu meurs !! Qui parviendrait à maîtriserles harmoniques au-delà du registre aigu de ce saxophone au registre ultra-aigu difficilissime aussi vifs que l'éclair !! Et il a aussi son côté lunatique à la Lol Coxhill et son registre chants d'oiseaux. Parfois in croit entendre le sax sopranino, mais il joue en fait de la clarinette basse dans les suraigus. Il y a tellement d’albums « moyens » parus ces deux dernières décennies sous le label musique improvisée libre que c’est un vrai scandale de nous raser avec des demi-portions alors que ce témoignage exemplaire n’est disponible qu’en digital presque sous le manteau. Comme le disait Caliméro, c’est trop injuste. Du meilleur tonneau. Wolfgang était un souffleur extraordinaire et un improvisateur exceptionnel. À la portée des Evan Parker, Urs Leimgruber et Michel Doneda. Et ce trio est toute une aventure !!!
Consacré aux musiques improvisées (libre, radicale,totale, free-jazz), aux productions d'enregistrements indépendants, aux idées et idéaux qui s'inscrivent dans la pratique vivante de ces musiques à l'écart des idéologies. Nouveautés et parutions datées pour souligner qu'il s'agit pour beaucoup du travail d'une vie. Orynx est le 1er album de voix solo de J-M Van Schouwburg (1996 - 2005). https://orynx.bandcamp.com
22 février 2025
10 février 2025
Ivo Perelman & Tyshawn Sorey/ Marcello Magliocchi Bruno Gussoni Adrian Northover / Dirk Serries & Christian Vasseur/ Helena Espvall Sofia Borges Joāo Madeira
Parallel Aesthetics Ivo Perelman & Tyshawn Sorey 2CD Fundacja Sluchaj
https://sluchaj.bandcamp.com/album/parallell-aesthethics
Double CD qui porte bien son titre : Parallel Aesthetics. Les deux artistes ont un type d’expressivité et de tempérament très différent. Autant le saxophoniste Brésilien Ivo Perelman est sensuel, lyrique jusqu’à une forme d’expressionnisme poétique post aylérien avec des approches momentanément disruptives que le batteur américain Tyshawn Sorey est méthodique, construisant des improvisations percussives subtiles et millimétrées. Mais la session est répartie sur deux volumes avec le batteur alternant avec le piano qu’il joue de manière très personnelle et remarquable dans trois morceaux. Dans chacune des six longues improvisations dont deux pour le deuxième volume, ils assument leur démarche en « parallèle » par une belle écoute mutuelle en faisant coïncider leurs dialogues en des passages de jonction expressifs et imaginatifs. Le style de Tyshawn Sorey à la batterie se démarque de l’évolution des batteurs de jazz historiques de Jo Jones à Elvin Jones et des batteurs free dont il se distingue tout autant. Des frappes millimétrées qui suggèrent des pulsations sans les accentuer avec une infinité de nuances et une conception très structurée. L’influence des rythmes de l’électro et du métal. Somptueusement original de bout en bout, son drumming inspire toutes sortes de détours mélodiques, sonores, morsures d’aigus convulsives, glissandi d’harmoniques chantantes évoquant le chant Brésilien avec quelques écarts 100% free-music. Le contraste entre ce dernier et la dynamique sereine du jeu batteur rend le duo fascinant. Mais, Ivo Perelman convie aussi l’esprit des anciens du sax ténor jazz (Webster, Byas, Gordon, Getz) avec une magnifique sonorité veloutée lorsque démarrent plusieurs de ces duos. Il faut entendre leur connivence dans le CD1 n° 03 : après avoir commencé soft à l’ancienne, Perelman se lance dans des morsures de l’anche, des sons étirés dans l’aigu alors que Tyshawn fait osciller doucement ses baguettes sur les bords pour ensuite faire silence laissant le souffleur chercher les sons au-delà de la tessiture du ténor alternant avec des fragments mélodiques. On assiste alors à une véritable tentative d’échange improvisé entre l’expressionisme saudade d’Ivo avec ses artifices sonores et les interventions super imaginatives délicates et maîtrisées de Tyshawn avec un sens subtil de l’élision ou de l’épure. La classe. Le point de vue musical de ce dernier augure bien de l’esprit de recherche du saxophoniste : cela nous change tout à fait de la démarche des batteurs tout aussi excellents avec qui il a joué jusqu’à présent comme Gerald Cleaver, Whit Dickey et le vétéran Bobby Kapp. Mais où cet album est bien inhabituel tient dans la rencontre de Perelman avec Tyshawn Sorey pianiste. Fundacja Sluchaj a publié un coffret de duos de Perelman avec neuf pianistes différents d’obédience jazz free contemporain : Brass & Ivory Tales (9CD’s), une véritable anthologie de duos piano - saxophone ténor. Dans le n°2 du CD 1, le pianiste sollicite les notes graves et profondes de manière assez austère sans vouloir de prime abord coïncider avec l’état d’esprit expressif et brûlant de son partenaire qui fait chauffer l’anche au-delà la normale. Mais il se mettra ensuite à faire ruisseler les notes perlées en finesse pour rafraîchir la séance et le souffle enflammé d’Ivo. Celui-ci a développé une expérience peu commune en jouant intensivement avec le pianiste Matt Shipp dans de nombreux concerts et des dizaines d’enregistrements. Cela est un plus déterminant pour la confluence des deux improvisateurs. Plus loin, Tyshawn développe une autre approche avec cet esprit méthodique qui contraste avec les incartades du Brésilien invoquant à tout va les mânes des esprits du candomblé. La longue improvisation sax batterie du CD2 – n°1 de 22 minutes rentre plus dans le champ du hard free, le batteur faisant rouler toutes ses caisses à satiété poussant la furia rageuse du souffleur jusqu’au bout. Mais une fois repu dans un apex d’énergie collective enflammée, les deux improvisateurs se retrouvent pour des échanges subtils, éthérés, plus minimalistes, émissions de sons isolés, bruissements de cymbales grattées de la pointe de la baguette, frappes mesurées, le souffleur explorant des bribes de mélodies déchiquetées, becquetées expressionnistes, éclatement de spirales, morsures aylériennes et staccatos imprévisibles. La qualité du travail du batteur est à la hauteur de son intelligence musicienne. Il commente, soutient, s’adapte, évolue face aux changements d’humeurs et du lyrisme charnel de son camarade avec une belle élégance. Il n’y pas une seule frappe qui soit hors sujet, son inspiration polyrythmique à contre-temps épouse cordialement et émotionnellement la tendresse sensuelle à fleur de peau d’Ivo Perelman. La libre improvisation sans ego au service du jazz free le plus sincère. Le dernier duo piano – saxophone réserve encore des surprises par rapport à ce qui a été joué jusqu’à présent. On navigue ici dans la véritable avant-garde sonore, la main de Tyshawn bloquant ou grattant les cordes du piano dans une approche tout à fait personnelle. À l’écoute, il est impossible de prévoir ce qui va être joué, ni comment va se dérouler l’improvisation durant les cinq première minutes. La conclusion de cette improvisation de quatorze minutes ajoute encore un registre élégiaque, apaisé ou enlevé, et ses détours peu prévisibles, à cette remarquable confrontation amicale de haut niveau.
Même si peut vous chaut la démarche et l’évolution de ces deux artistes, car il est temporellement et matériellement impossible de « tout» suivre et parcourir, vous avez l’assurance ici que le jeu (car c’est de cela qu’il s’agit) en vaut la chandelle, la flamme de l’improvisation brillant au-delà de l’espérance.
Scant Marcello Magliocchi Bruno Gussoni Adrian Northover
https://marcellomagliocchi1.bandcamp.com/album/scant-magliocchi-northover-gussoni
Un autre trio atypique percussions : Marcello Magliocchi, flûtes (y compris japonaises en bambou) : Bruno Gussoni et saxophone soprano : Adrian Northover. Un véritable batteur free à l’œuvre, avec des qualités supérieures de fluidité, dynamique sonore, de précision et d’invention, voisin de Tony Oxley et de John Stevens. Tout en détails, micro-frappes, manipulation d’ustensiles les plus divers, couleurs, bruissements, son jeu crée une magnifique espace ludique et sonore pour ces deux souffleurs nuancés et inspirés que sont Bruno Gussoni, flûtiste qui joue aussi du « shakuhachi » , la flûte traditionnelle japonaise en bambou et le sopraniste Adrian Northover, un pilier incontournable de la scène londonienne. Les deux acolytes folâtrent avec doigtés croisés, souffle rêveur ou ensauvagé évoluant avec subtilité de manière organique. Le volume sonore de la mini-batterie de Magliocchi est restreint mais sa palette semble infinie, délicate, sèche, vibrante, réverbérante de timbres métalliques épars, de frottements intrigants, de vocalisations intimistes. Il y a une abondance de sonorités les plus diverses et de pulsations en liberté totale par rapport à la notion de « rythmes ». L’empathie des trois musiciens crée une musique irréelle, flottante, de souffles voilés agitée par la multiplicité des frappes tous azimuts du percussionniste. Les trouvailles sonores et toutes ces correspondances poétiques sensibles font ici merveille. Bruno Gussoni souffle entre les notes de son difficile instrument de bambou entaillé d'une encoche rudimentaire d'où vibre étragement l'air insufflé dans le tube. Ces sonorités aériennes colorent la musique de bout en bout conférant au trio une coloration phonique irréelle, fantomatique venue d'un étrange au-delà. Les contorsions de la colonne d'air du soprano de Northover sont complètement en phase avec le feeling de ses deux compagnons. Les 12 morceaux se succèdent en modifiant peu à peu la vivacité des échanges dans une évolution graduelle. Cela permet de mesurer de quel bois ils se chauffent, le sens de la polyrythmie démultipliée de Magliocchi faisant merveille. Une musique collective unique en son genre, sublimant la technique instrumentale au profit de l'état de transe des voyants, ... fort éloignée du soit disant free-jazz tombé sous la coupe de batteurs cogneurs et de sax hurleurs désolants de monotonie à qui ils manquent un tant soit peu d’originalité musicienne. Cette expression pleine de nuances aspire notre écoute, fait voyager l’imaginaire dans une autre dimension, celle d’une forêt enchantée, de la nature vierge, feuilles, fleurs, herbes, branches, buissons, humus, minéraux, ruissellements, pépiements dans les arbres…. Écoute mutuelle et transmissions télépathiques ..Un vrai bonheur !
Floating Similarities Dirk Serries & Christian Vasseur Creative Sources
https://dirkserries.bandcamp.com/album/floating-similarities
On saluera volontiers le raffinement acoustique (The Chatty Pilgrims) de ces deux guitaristes et activistes infatigables de l’improvisation unissant leurs efforts pour sept remarquables duos dont les développements se révèlent imprévisibles. Comme points de références on trouve des albums en duo du guitariste Pascal Marzan avec Roger Smith (Two Spanish Guitars 2006-2007) et John Russell (Translations 2011) publiés par Emanem CD ou The Guitar Lesson par Eugene Chadbourne et Henry Kaiser (Victo 1999). Nos deux acolytes originaires respectivement des agglomérations lilloises et anversoises parcourent une maximum de possibilités expressives, sonores, bruitistes pour capter sans relâche notre attention, voire notre fascination au travers d’une recherche exponentielle systématique mais joyeusement ludique, exacerbée, obstinée. Ça a l’air d’être sans queue ni tête, mais au fil de leurs improvisations improbables, Dirk Serries & Christian Vasseur nous livrent un précis très exhaustif de toutes les facéties alternatives de la six cordes en face à face. Ça percute, bourdonne, gratte, grésille, éclate, tournique, mugit, crisse, s’emporte, grince, bruite sous toutes les coutures, fréquences, ou résonne dans le silence… Il n’y a pas de système, de démarche particulière, de « style » ici : il s’agit d’une volonté d’ouverture à de nombreuses possibilités de rendre expressive la six cordes au-delà des conventions, même celles de l’avant-garde. Il suffit de comparer les deux premiers morceaux The Celestial Peat ou The Chatty Pilgrims avec le dernier, The Traveller Surprised by His Dream et ses extraordinaires ostinatos délirants. On n'a pas le temps de s’ennuyer, leur connivence merveilleuse sublime l’art d’inventer à la guitare. Que ceux qui ne parlent que de Derek Bailey, Fred Frith, Hans Reichel ou Bill Frisell etc.. portent une oreille sur ces étranges Floating Similarities et leurs fluctuations sonores insaisissables. Un album à marquer d’une pierre blanche.
Five Sneaky Leaf Tales Helena Espvall Sofia Borges Joāo Madeira 4DaRecords Digital
https://joaomadeira.bandcamp.com/album/five-sneaky-leaf-tales
Une excellente “batteriste” et recrue de choix comme percussionniste d’improvisation, Sofia Borges. Ça fait aussi quelque années qu’on découvre le talent de violoncelliste d’Helena Espvall au sein de cette riche scène portugaise et le rôle de catalyseur du contrebassiste Joāo Madeira avec les sessions suscitées pour son label 4DaRecords et les albums avec Ernesto et Guilherme Rodrigues. Pas de souffleur, pas de piano ou de guitare, mais un trio atypique violoncelle – contrebasse – percussions pour Cinq Contes Sournois, si j’en crois le traducteur automatique, minutés entre les 6 et 10 minutes. Les cordistes s’accrochent à leurs archets, pressurant puissamment les cordes sur la touche, faisant vibrer les cordes en tirant à tout va ou scintiller les harmoniques… frictionner les instruments … les pizzicati sont musclés ou éclatés à coups de griffes sauvages… ah le violoncelle ! Des dialogues impromptus se dessinent, la percussionniste secondant ses deux collègues ou les débordant de roulements emportés. Musique de chambre hard- free qui, une fois lancée, au travers de quelques séquences, devient énergique, frénétique, toutes amarres rompues, leurs brûlots fuyant vers le large. Félicitations.
https://sluchaj.bandcamp.com/album/parallell-aesthethics
Double CD qui porte bien son titre : Parallel Aesthetics. Les deux artistes ont un type d’expressivité et de tempérament très différent. Autant le saxophoniste Brésilien Ivo Perelman est sensuel, lyrique jusqu’à une forme d’expressionnisme poétique post aylérien avec des approches momentanément disruptives que le batteur américain Tyshawn Sorey est méthodique, construisant des improvisations percussives subtiles et millimétrées. Mais la session est répartie sur deux volumes avec le batteur alternant avec le piano qu’il joue de manière très personnelle et remarquable dans trois morceaux. Dans chacune des six longues improvisations dont deux pour le deuxième volume, ils assument leur démarche en « parallèle » par une belle écoute mutuelle en faisant coïncider leurs dialogues en des passages de jonction expressifs et imaginatifs. Le style de Tyshawn Sorey à la batterie se démarque de l’évolution des batteurs de jazz historiques de Jo Jones à Elvin Jones et des batteurs free dont il se distingue tout autant. Des frappes millimétrées qui suggèrent des pulsations sans les accentuer avec une infinité de nuances et une conception très structurée. L’influence des rythmes de l’électro et du métal. Somptueusement original de bout en bout, son drumming inspire toutes sortes de détours mélodiques, sonores, morsures d’aigus convulsives, glissandi d’harmoniques chantantes évoquant le chant Brésilien avec quelques écarts 100% free-music. Le contraste entre ce dernier et la dynamique sereine du jeu batteur rend le duo fascinant. Mais, Ivo Perelman convie aussi l’esprit des anciens du sax ténor jazz (Webster, Byas, Gordon, Getz) avec une magnifique sonorité veloutée lorsque démarrent plusieurs de ces duos. Il faut entendre leur connivence dans le CD1 n° 03 : après avoir commencé soft à l’ancienne, Perelman se lance dans des morsures de l’anche, des sons étirés dans l’aigu alors que Tyshawn fait osciller doucement ses baguettes sur les bords pour ensuite faire silence laissant le souffleur chercher les sons au-delà de la tessiture du ténor alternant avec des fragments mélodiques. On assiste alors à une véritable tentative d’échange improvisé entre l’expressionisme saudade d’Ivo avec ses artifices sonores et les interventions super imaginatives délicates et maîtrisées de Tyshawn avec un sens subtil de l’élision ou de l’épure. La classe. Le point de vue musical de ce dernier augure bien de l’esprit de recherche du saxophoniste : cela nous change tout à fait de la démarche des batteurs tout aussi excellents avec qui il a joué jusqu’à présent comme Gerald Cleaver, Whit Dickey et le vétéran Bobby Kapp. Mais où cet album est bien inhabituel tient dans la rencontre de Perelman avec Tyshawn Sorey pianiste. Fundacja Sluchaj a publié un coffret de duos de Perelman avec neuf pianistes différents d’obédience jazz free contemporain : Brass & Ivory Tales (9CD’s), une véritable anthologie de duos piano - saxophone ténor. Dans le n°2 du CD 1, le pianiste sollicite les notes graves et profondes de manière assez austère sans vouloir de prime abord coïncider avec l’état d’esprit expressif et brûlant de son partenaire qui fait chauffer l’anche au-delà la normale. Mais il se mettra ensuite à faire ruisseler les notes perlées en finesse pour rafraîchir la séance et le souffle enflammé d’Ivo. Celui-ci a développé une expérience peu commune en jouant intensivement avec le pianiste Matt Shipp dans de nombreux concerts et des dizaines d’enregistrements. Cela est un plus déterminant pour la confluence des deux improvisateurs. Plus loin, Tyshawn développe une autre approche avec cet esprit méthodique qui contraste avec les incartades du Brésilien invoquant à tout va les mânes des esprits du candomblé. La longue improvisation sax batterie du CD2 – n°1 de 22 minutes rentre plus dans le champ du hard free, le batteur faisant rouler toutes ses caisses à satiété poussant la furia rageuse du souffleur jusqu’au bout. Mais une fois repu dans un apex d’énergie collective enflammée, les deux improvisateurs se retrouvent pour des échanges subtils, éthérés, plus minimalistes, émissions de sons isolés, bruissements de cymbales grattées de la pointe de la baguette, frappes mesurées, le souffleur explorant des bribes de mélodies déchiquetées, becquetées expressionnistes, éclatement de spirales, morsures aylériennes et staccatos imprévisibles. La qualité du travail du batteur est à la hauteur de son intelligence musicienne. Il commente, soutient, s’adapte, évolue face aux changements d’humeurs et du lyrisme charnel de son camarade avec une belle élégance. Il n’y pas une seule frappe qui soit hors sujet, son inspiration polyrythmique à contre-temps épouse cordialement et émotionnellement la tendresse sensuelle à fleur de peau d’Ivo Perelman. La libre improvisation sans ego au service du jazz free le plus sincère. Le dernier duo piano – saxophone réserve encore des surprises par rapport à ce qui a été joué jusqu’à présent. On navigue ici dans la véritable avant-garde sonore, la main de Tyshawn bloquant ou grattant les cordes du piano dans une approche tout à fait personnelle. À l’écoute, il est impossible de prévoir ce qui va être joué, ni comment va se dérouler l’improvisation durant les cinq première minutes. La conclusion de cette improvisation de quatorze minutes ajoute encore un registre élégiaque, apaisé ou enlevé, et ses détours peu prévisibles, à cette remarquable confrontation amicale de haut niveau.
Même si peut vous chaut la démarche et l’évolution de ces deux artistes, car il est temporellement et matériellement impossible de « tout» suivre et parcourir, vous avez l’assurance ici que le jeu (car c’est de cela qu’il s’agit) en vaut la chandelle, la flamme de l’improvisation brillant au-delà de l’espérance.
Scant Marcello Magliocchi Bruno Gussoni Adrian Northover
https://marcellomagliocchi1.bandcamp.com/album/scant-magliocchi-northover-gussoni
Un autre trio atypique percussions : Marcello Magliocchi, flûtes (y compris japonaises en bambou) : Bruno Gussoni et saxophone soprano : Adrian Northover. Un véritable batteur free à l’œuvre, avec des qualités supérieures de fluidité, dynamique sonore, de précision et d’invention, voisin de Tony Oxley et de John Stevens. Tout en détails, micro-frappes, manipulation d’ustensiles les plus divers, couleurs, bruissements, son jeu crée une magnifique espace ludique et sonore pour ces deux souffleurs nuancés et inspirés que sont Bruno Gussoni, flûtiste qui joue aussi du « shakuhachi » , la flûte traditionnelle japonaise en bambou et le sopraniste Adrian Northover, un pilier incontournable de la scène londonienne. Les deux acolytes folâtrent avec doigtés croisés, souffle rêveur ou ensauvagé évoluant avec subtilité de manière organique. Le volume sonore de la mini-batterie de Magliocchi est restreint mais sa palette semble infinie, délicate, sèche, vibrante, réverbérante de timbres métalliques épars, de frottements intrigants, de vocalisations intimistes. Il y a une abondance de sonorités les plus diverses et de pulsations en liberté totale par rapport à la notion de « rythmes ». L’empathie des trois musiciens crée une musique irréelle, flottante, de souffles voilés agitée par la multiplicité des frappes tous azimuts du percussionniste. Les trouvailles sonores et toutes ces correspondances poétiques sensibles font ici merveille. Bruno Gussoni souffle entre les notes de son difficile instrument de bambou entaillé d'une encoche rudimentaire d'où vibre étragement l'air insufflé dans le tube. Ces sonorités aériennes colorent la musique de bout en bout conférant au trio une coloration phonique irréelle, fantomatique venue d'un étrange au-delà. Les contorsions de la colonne d'air du soprano de Northover sont complètement en phase avec le feeling de ses deux compagnons. Les 12 morceaux se succèdent en modifiant peu à peu la vivacité des échanges dans une évolution graduelle. Cela permet de mesurer de quel bois ils se chauffent, le sens de la polyrythmie démultipliée de Magliocchi faisant merveille. Une musique collective unique en son genre, sublimant la technique instrumentale au profit de l'état de transe des voyants, ... fort éloignée du soit disant free-jazz tombé sous la coupe de batteurs cogneurs et de sax hurleurs désolants de monotonie à qui ils manquent un tant soit peu d’originalité musicienne. Cette expression pleine de nuances aspire notre écoute, fait voyager l’imaginaire dans une autre dimension, celle d’une forêt enchantée, de la nature vierge, feuilles, fleurs, herbes, branches, buissons, humus, minéraux, ruissellements, pépiements dans les arbres…. Écoute mutuelle et transmissions télépathiques ..Un vrai bonheur !
Floating Similarities Dirk Serries & Christian Vasseur Creative Sources
https://dirkserries.bandcamp.com/album/floating-similarities
On saluera volontiers le raffinement acoustique (The Chatty Pilgrims) de ces deux guitaristes et activistes infatigables de l’improvisation unissant leurs efforts pour sept remarquables duos dont les développements se révèlent imprévisibles. Comme points de références on trouve des albums en duo du guitariste Pascal Marzan avec Roger Smith (Two Spanish Guitars 2006-2007) et John Russell (Translations 2011) publiés par Emanem CD ou The Guitar Lesson par Eugene Chadbourne et Henry Kaiser (Victo 1999). Nos deux acolytes originaires respectivement des agglomérations lilloises et anversoises parcourent une maximum de possibilités expressives, sonores, bruitistes pour capter sans relâche notre attention, voire notre fascination au travers d’une recherche exponentielle systématique mais joyeusement ludique, exacerbée, obstinée. Ça a l’air d’être sans queue ni tête, mais au fil de leurs improvisations improbables, Dirk Serries & Christian Vasseur nous livrent un précis très exhaustif de toutes les facéties alternatives de la six cordes en face à face. Ça percute, bourdonne, gratte, grésille, éclate, tournique, mugit, crisse, s’emporte, grince, bruite sous toutes les coutures, fréquences, ou résonne dans le silence… Il n’y a pas de système, de démarche particulière, de « style » ici : il s’agit d’une volonté d’ouverture à de nombreuses possibilités de rendre expressive la six cordes au-delà des conventions, même celles de l’avant-garde. Il suffit de comparer les deux premiers morceaux The Celestial Peat ou The Chatty Pilgrims avec le dernier, The Traveller Surprised by His Dream et ses extraordinaires ostinatos délirants. On n'a pas le temps de s’ennuyer, leur connivence merveilleuse sublime l’art d’inventer à la guitare. Que ceux qui ne parlent que de Derek Bailey, Fred Frith, Hans Reichel ou Bill Frisell etc.. portent une oreille sur ces étranges Floating Similarities et leurs fluctuations sonores insaisissables. Un album à marquer d’une pierre blanche.
Five Sneaky Leaf Tales Helena Espvall Sofia Borges Joāo Madeira 4DaRecords Digital
https://joaomadeira.bandcamp.com/album/five-sneaky-leaf-tales
Une excellente “batteriste” et recrue de choix comme percussionniste d’improvisation, Sofia Borges. Ça fait aussi quelque années qu’on découvre le talent de violoncelliste d’Helena Espvall au sein de cette riche scène portugaise et le rôle de catalyseur du contrebassiste Joāo Madeira avec les sessions suscitées pour son label 4DaRecords et les albums avec Ernesto et Guilherme Rodrigues. Pas de souffleur, pas de piano ou de guitare, mais un trio atypique violoncelle – contrebasse – percussions pour Cinq Contes Sournois, si j’en crois le traducteur automatique, minutés entre les 6 et 10 minutes. Les cordistes s’accrochent à leurs archets, pressurant puissamment les cordes sur la touche, faisant vibrer les cordes en tirant à tout va ou scintiller les harmoniques… frictionner les instruments … les pizzicati sont musclés ou éclatés à coups de griffes sauvages… ah le violoncelle ! Des dialogues impromptus se dessinent, la percussionniste secondant ses deux collègues ou les débordant de roulements emportés. Musique de chambre hard- free qui, une fois lancée, au travers de quelques séquences, devient énergique, frénétique, toutes amarres rompues, leurs brûlots fuyant vers le large. Félicitations.
Inscription à :
Articles (Atom)