Stefan Keune Dirk Serries Benedict Taylor Closer & Beyond a new wave of jazz digital 
https://newwaveofjazz.bandcamp.com/album/closer-and-beyond 
 
Trio acoustique saxophone, guitare & alto (viola) éclaté. Stefan Keune joue ici des sax alto et sopranino, Dirk Serries de la guitare archtop (chevalet) et Benedict Taylor de l’alto. Rappelons que Stefan Keune a joué et enregistré avec le guitariste John Russell depuis les années 90 (Frequency of Use / NurNichtNur) Cette expérience radicale entre corde et anche s’est prolongée récemment dans un trio avec Dirk et Benedict s’est prolongée récemment lors d’un concert à Baarle Nassau enregistré et inclus dans un triple CD intitulé Live At Plus Étage (a new wave of jazz anwoj0060). La partie est remise dans ce nouvel album en trio enregistré en 2022 au Studio Sunnyside à Bruxelles. Je pense sincèrement que Stefan Keune se situe parmi les saxophonistes chercheurs « post Evan Parker » qui explorent toutes les ressources sonores de leur instrument (harmoniques extrêmes, « morsures » , doigtés fourchus, vocalisations,  On songe à Michel Doneda, Urs Leimgruber, John Butcher, Jean-Luc Guionnet, Georg Wissel mais aussi les pratiques les plus extrêmes de Steve Lacy ou Anthony Braxton. Les phrasés staccato et les morsures soniques de Stefan Keune se meuvent avec une articulation ultra-véloce, déchiquetante, exaspérée, tordant le cou inexorablement à la notion de mélodie. Cela cadre parfaitement au jeu inquisiteur de Benedict Taylor à l’archet qui nous fait entendre une variété étonnante de frottements tout à tour ultralégers, vocalisés, saturés, fantomatiques,  harmoniques torturées, en glissandi voilés ou expressifs ou encore des tournoiements affolés. S’ajoutent à cela les clusters et cascades de notes entrechoquées, bruissements métalliques, frictions des cordes sur la touche de la guitare de Dirk Serries, le responsable de a new wave of jazz. On peut y trouver des instants parsemés de silence aux détails infinis, pointillistes étirés comme si le temps allait s’arrêter. La concentration des musiciens construit une toile aux ramifications étoilées et distendues, ou un flux échancré ou dense, compressé dans un crescendo à la fois statique et hyper mouvant,… 
Un excellent trio d’improvisation qui nous change du sempiternel et rituel assemblage saxophone contrebasse batterie…. Et ici le saxophoniste est un phénomène tout à fait particulier incarnant l’art sonore « abstrait » du saxophone et il a du mérite car le saxophone sopranino qu’on entend très souvent ici est un engin compliqué à manipuler. Le violoniste est un as de l’alto dont la manière et le style personnel est immédiatement reconnaissable par la finesse du jeu à l’archet qui semble à peine toucher les cordes tout en les pressant sur la touche pour en altérer la sonorité. Et l’alto demande un réel effort technique et sensible, plus malaisé à jouer à ce régime. Et donc, suivant Dirk Serries depuis plusieurs années, je mesure les progrès sensibles de ses interventions en interagissant à très bon escient tout en propulsant la furie de ses deux collègues. Excellent CD. 
 
mistika jpeg oscillations Agogol NaabtalDeath Ernesto Rodrigues Guilherme Rodrigues Creative Sources CS859CD 
https://ernestorodrigues.bandcamp.com/album/mistika-jpeg-oscillations 
 Avec un titre pareil, mistika jpeg oscillations, les noms des deux artistes à coucher dehors - Agogol et NaabtalDeath - et la photo de pochette, le connaisseur sera un peu interloqué d’y voir le père et le fils Ernesto et Guilherme Rodrigues incarner le (saint-) esprit de la musique improvisée libre de ceux qui sont «  sc…. toujours prêts » à se commettre avec quiconque joue à improviser librement sans aucune arrière-pensée esthétique ou carriériste. Ernesto et Guilherme sont deux cordistes très remarquables, « viola » et « cello » parmi les meilleurs qui se trouvent dans la scène actuelle. Ils ont récemment enregistré avec des incontournables comme Fred Lonberg Holm, Floros Floridis, Frank Gratkowski, Alex von Schlippenbach, Willi Kellers, Ute Wassermann et un nombre exponentiel de musiciens de grand talent. Il leur arrive de croiser dans une tournée des artistes issus d’un autre filière, d’un tout autre background. Agogol et Naabtal Death sont deux artistes sonores – musiciens de la scène locale d’Hannover, celle du génial Günter Christmann et de sa muse l’extrordinaire chanteuse Elke Schipper, mais aussi de l'Atelier Grammofon. Mais ce que ces deux zèbres pratiquent vient d’une autre planète que celle de l’improvisation libre historique issue du jazz libre et dela musique contemporaine. Agogol est crédité modified electric guitar, electronics, voice et son copain Naabtal Death, amplified tortured zither, electronics, tools. On pourrait penser que ce serait une session free-noise. Mais non ! Ce quartet improbable joue avec une belle sensibilité une musique improvisée radicale soignée avec un super sens de la dynamique et l’intégration réussie de pratiques différentes dans un flux sonore détaillé de 42'48'' vraiment réussi en dehors des radars et des tendances. La musique de l’instant. Vous trouverez là une série de séquences reliées les unes aux autres dans un large panorama d’approches, de sifflements oscillatoires (l’alto / viola d’Ernesto), d’irisations électroacoustiques, des vibrations étranges, de discrets bruitages, des glitch, de chocs sur la touche du violoncelle, des ambiances – drones soutenues. Cela dure d’abord quasi trois quart d’heure : 1. playing the paintings upside down – 42 :48 plus un final 2. paintings want to rotate – 07 :47.  C’est un beau message d’ouverture d’esprit. Il y a une dimension cosmique et chacun se sent libre de s’exprimer pleinement en restant lui-même dans une harmonie auditive et réactive. On est tous là sur terre pour s’écouter, se comprendre et essayer de collaborer, et cette communion des sens, des actes et de l’écoute en témoigne. Je les ai rencontrés fin juillet dernier à Atelier Gramophon à Hannover et l’un deux, AGogol, un joyeux drille sérieux comme un pape, s’est joint dans notre programme pour égayer la soirée. Mémorable ! Merci à Naabtal Death pour m’avoir tendu ce très intéressant album inclassable. 
Simon Rose & Michel Doneda  METAL NOTEBOOK    scätter archives 
https://scatterarchive.bandcamp.com/ 
Pas encore publié en ligne , il sera le 7 novembre 25. 
Un duo d’anches tranchant, bruissant, extrême, deux colonnes d’air sous pression des lèvres et du souffle, une métamorphose des sons de deux saxophones. Le soprano de Michel Doneda et le baryton de Simon Rose résonnent dans l’espace fusant des harmoniques acérées ou secrètes, bourdonnant, lacérant les fréquences, leurs morsures aériennes délivrant une intense énergie physique même dans leurs coups de langues furtifs sur le bord de l’anche, fétu de bambou arrimé au bec que leurs gosiers irritent ou fait gémir. C'est autant une ascèse viscérale, qu’une une philosophie de la recherche d’un botaniste curieux des sons, qu’un trop plein d’émotions, une science de l’indicible et de sifflements revêches , la rage et l’espérance. Leurs deux personnalités sont complémentaires au-delà qu’il est possible et les croisements de leurs musiques individuelles forment un tout, un univers, un vécu collectif. Ils ne nous épargnent rien dans leurs débauches d’effets de souffle et pourtant, ils communiquent l’essentiel en une seule prise dans un instant qui dure sans qu’on en mesure le temps, effacé, extrapolé, sublimé et évanoui. 28 minutes aussi bon marché (vous payerez ce que vous pourrez pour les acquérir) que c’est absolument unique. On découvre ici la nature de leurs instruments … à l’état de nature. Une musique sauvage basée sur une écoute mutuelle intense et un travail ultra-précis. La mécanique des clés et tampons rejoint le pensée, la réflexion intime, cet état second qui distingue le rêve de l’action et les réunit dans un même temps.
Simon Rose a travaillé avec acharnement depuis ses deux trois premiers CD’s de junior de la scène londonienne (avec feu Simon H Fell, Mark Sanders, S Noble) il y a plus de trente ans… et c’est tout à fait merveilleux de l’entendre au saxophone baryton, devenu son instrument de prédilection avec ce défricheur chercheur ultime du saxophone soprano qu’est Michel Doneda dont on se demande comment il parvient à contrôler l’émission de telles sonorités quasi inaccessibles par delà les limites techniques, physiques de l’instrument.  Franchement, s’il y a un excès de saxophonismes dans l’univers des musiques improvisées, ces deux-là nous offrent l’indispensable, l’élémentaire. Une éclipse. Une leçon de vie. 
Publié par Liam Stefani sur son mythique label digital et que vous pouvez acquérir en payent ce que vous désirez.
King Imagine & Bruno Gussoni Electric Path of the Samuraï 
https://kingimagine2.bandcamp.com/track/electric-path-of-the-samurai 
Par-dessus un dense et rebondissant réseau de sonorités électroniques étonnamment diversifiées, tournoyantes, vibratiles, croassantes, s’échappe le souffle ou les souffles paisible(s) d’un adepte du shakuhashi, la flûte japonaise « sans bec » taillée dans un tuyau de bambou à l’extrémité duquel une entaille aiguisée artistement permet de faire vibrer des notes dans cette colonne d’air tout à fait aléatoire. Vu la rusticité simplissime de cet instrument, le musicien, Bruno Gussoni, a bien du mérite, cet instrument requiert beaucoup de concentration et d’astuce pour tracer un son mélodieux d’une note à l’autre sans jamais en altérer la qualité de timbre.  King Imagine est un artiste de musique électronique ukrainien basé à Kiev qui entend siffler et exploser missiles et drones Russes quasi journellement. Cette musique a été réalisée à la fois en Ukraine (King Imagine) et à Gênes où vit le flûtiste Bruno Gussoni, lequel a travaillé avec Marcello Magliocchi et Adrian Northover ces dernières années.
Je dois dire que son travail musical électronique construit en multi-pistes agrégées les unes aux autres est vraiment réussi. En outre, aimant à jouer avec des improvisateurs qui veulent à la fois montrer leur solidarité face à cette horrible guerre et apprécient le challenge. En effet, si je comprends bien, King Imagine semble aussi insérer les interventions de Gussoni, dans le montage des pièces, tout en lui laissant aussi de l’espace : on entend plusieurs fois clairement et simultanément deux ou trois parties de flûtes en re-recording qui finissent par s’épandre largement dans un orchestration organique dans une longue pièce de 21 :40, At The Sea, initiée au départ par une sorte de ressac de vagues maritimes et les accents du blues insufflées dans l’anche du bambou. Même si le niveau d’ enregistrement de la flûte n’est pas optimal, on est positivement impressionné par le savoir faire délicat des spirales sonores du shakuhachi dans les mains de Bruno Gussoni et par l’interaction en parallèle des deux improvisateurs. Les morceaux suivants, nettement plus courts offrent chacun un autre ambiance. Ce type  échange musical à distance entre deux musiciens a été développé durant la pandémie du Covid 19 et c’est heureux que cette approche se perpétue entre des artistes situés loin les uns des autres dans un esprit sincèrement internationaliste. 
Consacré aux musiques improvisées (libre, radicale,totale, free-jazz), aux productions d'enregistrements indépendants, aux idées et idéaux qui s'inscrivent dans la pratique vivante de ces musiques à l'écart des idéologies. Nouveautés et parutions datées pour souligner qu'il s'agit pour beaucoup du travail d'une vie. Orynx est le 1er album de voix solo de J-M Van Schouwburg (1996 - 2005). https://orynx.bandcamp.com
2 novembre 2025
24 octobre 2025
Mirco Mariani Musica fr Strangers / Ivo Perelman duos with Ray Anderson & with Nate Wooley/ Scrap Heap Challenge Paul Lytton Joker Nies Richard Scott & Georg Wissell
Mirco Mariani Musica per Sconosciuti Music for Strangers (film music) 3CD Angelica IDA 059 
https://idischidiangelica.bandcamp.com/album/musica-per-sconosciuti
Angelica est devenu au fil du temps un légendaire festival à Bologne présentant sans relâche depuis plus de 30 ans les musiques innovantes, improvisées et expérimentales, le tout suivi par une œuvre patiente de publications d’albums – CD’s d’une belle diversité. Depuis les premières parutions – anthologies documentant différents acts de leur festival, dischi di angelica a trusté des artistes aussi divers que Terry Riley, Tristan Honsinger, Fred Frith, Gianni Gebbia, Heiner Goebbels, Stefano Scodanibbio, Misha Mengelberg, Vakki Plakula, Anthony Braxton, un unique quartet Leo Smith – Pauline Oliveros – John Tilbury – Roscoe Mitchell, Phil Minton & Veryan Weston, Peter Brötzmann Mahmoud Gania et Hamid Drake, Christian Wolff, Lindsay Cooper, Alvin Curran, Massimo Pupillo, Cecil Taylor, Toshinori Kondo, Charlemagne Palestine, Philipp Corner et Uday Bawalkar le chanteur Dhrupad de la Dagarvani.
Alors que dire de ce 3CD Box du musicien électronique Mirco Mariani et ses Music For Stangers ? Son instrumentarium rassemble étonnamment l’histoire et l’évolution des instruments électroniques et des claviers et il est suffisamment et à la fois un imaginatif et un excellent musicien pour en faire quelque chose d’intéressant, de captivant ou déroutant avec assez bien d’humour et de fausse candeur. Imaginez – vous 3 CD’s bourrés jusqu’à la gueule de trois suites ininterrompues de 136 morceaux qui s’enchaînent aisément et amusément avec l’aide de (je vous cite) : mellotron, optigan, ondioline, solovox, clavioline, pianomate, ondiola, osmose, modular synthesizers, monophonic and polyphonic synths, harpsichord, celesta, prepard pianos, harmonium, vibraphone, glasspiel, pip organ, vocoder, voice….
Comme j’ai toujours ressenti que ce qui est publié au nom de la musique dite électronique est souvent rasoir (bien que j’apprécie plusieurs chercheurs fascinants), je trouve que cette série d’enregistrements multiformes a de nombreux points positifs et pourrait convenir pour une excellente porte d’entrée – fenêtre ouverte pour un large public à la découverte de quelque chose de différent, ouvert et authentique en matière d'électroniques etc... qui tranche de la grisaille peu imaginative. Musique de films imaginaires ou réels, orphéon du 21ème s., 136 titres très courts et improbables, plusieurs ayant servi pour illustrer un documentaire d’Elisabetta Sgarbi sur le photographe Nino Migliori et des films de Pupi Avati et Aleksandr Sokurov ainsi que des films restaurés par la Cineteca de Bologne. Un point fort d’Angelica est la synergie avec des initiatives locales qu’elles soient musicales, littéraires, artistiques etc… Et cette publication de Mirco Mariani s’inscrit dans l’histoire récente de la culture à Bologne au niveau cinémathèque avec ce sourire en coin et cette fantaisie secrètement italienne qui aime tant à multiplier les plats et les spécialités culinaires à l’infini. Cette musique de films semble intemporelle ludique et organiquement narrative. Musica per Sconosciuti signifie musique pour des inconnus… peut -être des personnes qui ne connaissent pas l’histoire de la musique ou des musiques ou encore des personnes qui ne connaissent pas encore les musiques qu’ils aiment ou vont aimer. Avec cette Musica per Sconosciuti, l’auditeur lambda prétendument imperméable à la nouveauté « difficile » aura ici autant de points de repères et de bornes : quelques comptines, ritournelles, ambiances, thèmes curieux, zones soniques inouïes, attrayantes ou recherchées qui défient les classifications de genre musical, soit autant d’issues pour s’égarer, réfléchir et découvrir. En fait, trois compacts d’une musique subtile à mettre entre toutes les mains sans caveat tout en annonçant qu’il y a peut-être une vraie surprise. Extrêmement bien conçu et réalisé ! Massimo Simonini d’Angelica est un producteur avisé et imaginatif.
12 Stages of Spiritual Alchemy Ray Anderson & Ivo Perelman Fundacja Sluchaj
https://sluchaj.bandcamp.com/album/12-stages-of-spritual-alchemy
Polarity 4 Ivo Perelman & Nate Wooley burning ambulance CD
https://ivoperelman-bam.bandcamp.com/album/polarity-4
 
Fundacja Sluchaj a publié il y a peu de temps un superbe double album réunissant le tromboniste Ray Anderson et le saxophoniste ténor Ivo Perelman avec le contrebassiste Joe Morris et le batteur Reggie Nicholson, Molten Gold, une petite merveille d’entente free complètement improvisée. Car c’est une constante de la musique enregistrée de Perelman : « free-jazz » oui , mais toujours entièrement improvisé dans l’instant ou composition immédiate créée sur le moment au moyen d’échanges collectifs où chaque instrumentiste improvise sur un pied d’égalité sans compositions, thèmes ou partitions. Ivo Perelman a à son actif de nombreux duos avec des pianistes (Matt Shipp, principalement), des guitaristes (Joe Morris, James Emery, Pascal Marzan et Elliott Sharp), un trompettiste, Nate Wooley, un violoniste alto (Mat Maneri), des souffleurs d’anche (dont Rudi Mahall, David Murray, Joe Lovano, Joe McPhee etc...) Le voici face à un tromboniste et pas n’importe lequel : Ray Anderson. Ray Anderson a succédé à Kenny Wheeler et George Lewis dans l’extraordinaire quartette d’Anthony Braxton, dont Performance for Quartet 1979 live à Willisau (Hat Hut) est une double plaque incontournable des années 70, enregistrée avec le bassiste John Lindberg et le batteur Thurman Barker. Avec le contrebassiste Mark Helias, il a soufflé les foules dans deux rares trios trombone – basse - batterie avec rien moins que les batteurs Barry Altschul et Gerry Hemingway, eux-mêmes des indispensables collaborateurs des jeunes années de Braxton. Par la suite, il a dirigé ses propres projets à la fois « swinguants » et audacieux durant plusieurs décennies. C’est à la fois un acrobate virtuose du trombone et un puissant souffleur au son gros comme çà issu du blues, du gospel et de la tradition afro-américaine aussi subtil qu’expressionniste. Tout comme Ivo Perelman sur son instrument, il favorise le glissando sous toutes ses coutures. Ce duo, intitulé 12 Stages of Spiritual Alchemy, est donc une belle réussite (tout comme ce superbe quartette mentionné plus haut, Molten Gold, enregistré sur le même label). Les formes, variations et métamorphoses des sons, des phrases jouées simultanément, les interactions ludiques, les contenus mélodiques nés de leur écoute mutuelle et de leur imagination fertile, se succèdent avec bonheur. Les inventions se renouvellent dans une complicité fructueuse par la grâce d’une expérience d’improvisateur de premier plan. Je vous dis les sonorités émouvantes issues du grand chaudron du free-jazz afro-américain le plus atavique. Cette saveur « beurrée » du souffle au trombone, ce growl vibrant qui ramènent aux trombonistes pre-swing comme Tricky Sam Nanton chez Ellington, ce cousinage épatant de Roswell Rudd, cette chaleur quasi tropicale d’Ivo partagée par Ray, ces glissandi lyriques d’harmoniques au sax ténor qui évoquent tant la voix chantée brésilienne font merveille tout comme ces ostinatos en forme de comptines de guingois d’un curieux folklore imaginaire. Luxuriant, incisif et empâté à la fois ou des effluves vaporisés, évanescents un instant ou en crescendo vitaminés. Un rêve éveillé pour les nostalgiques… d’un Shepp mâtiné de Stan Getz. Les douze improvisations sont courtes et concises pour la plupart avec seulement les 07 Sublimation, 08 Exaltation et 09 Projection qui se suivent en étirant superbement les durées autour des 8 et 9 minutes. Cette rencontre en studio mérite d’être prolongée, car avec une première expérience, nous pouvons être sûrs qu’ils pourront encore se surpasser, voire transiter d’affirmations de leurs styles perspectifs qui font déjà coïncider plein de belles choses individuelles de chacun, pour sans doute travailler aussi la suggestion, les connexions de leurs imaginaires, une dérive innocente. Les ressources de la musique improvisée libre, même celle qui est intégralement « jazz » dit « free », sont infinies, surtout avec le talent inné de ces deux musiciens et leur exigence ludique et sonore.
D’ailleurs, Ivo Perelman vient de publier un superbe quatrième album en duo avec le trompettiste Nate Wooley pour le label Burning Ambulance, Polarity 4. Ces deux-là ont beau réitéré le titre de leur album duo à quatre reprises, je n’arrive pas à m’en lasser. Nate Wooley est un improvisateur moins « conventionnel », plus avant-gardiste que Ray Anderson. Mais qu’importe les directions esthétiques d’improvisateurs de ce calibre et surtout leurs intentions musicales profondes, leur histoire. Tous deux se comprennent, imbriquent les moindres inflexions, altérations de timbres, sonorités dans un magnifique dialogue de voyants.
 
Aussi, la sonorité de Nate Wooley se démultiplie du diaphane à la saturation, de l’ultraigu acide au growl, du bruissement venteux à la suggestion mélodique, tous ses effets et couleurs s’intégrant dans un « style », un voix originale, à la fois sonore radicale et jazz éméché ou carrément mélodique. L’empathie et la connivence entre le souffle et l’anche d’Ivo Perelman et les effets d’embouchure et de pistons de Nate est devenue profonde, organique et lumineuse. Ils ont en commun l’art d’accentuer les notes, d’étirer les sonorités, de planer dans le vide avec une manière héritée du jazz (très cool) ou de carburer en cascadant dans les gammes, se répondre du tac au tac et Ivo de déraper au ténor dans les hyper aigus (Five). On aimera ces évocations suggérées de fragments mélodiques qui s’enchaînent et dérivent dans des sonorités cotonneuses, fragiles, nostalgiques au bord du silence. Il y a de bonnes raisons pour laquelle Ivo Perelman et Nate Wooley persévèrent dans leur duo Polarity. Ivo Perelman, tout jazzman qu’il est, se concentre exclusivement sur l’improvisation libre instantanée principalement en duo ou trio avec bon nombre de collègues. Très souvent ses nombreux albums sont plus que satisfaisants, comme ces 12 Stages of Spiritual Alchemy. Certaines de ces rencontres donnent lieu qu’à un seul CD. D’autres se révèlent plus fructueuses dans la durée comme le désormais légendaire duo Ivo Perelman – Matthew Shipp documenté par plus d’une quinzaine de CD’s. Ces deux – là s’étaient un jour dit qu’ils semblaient avoir « tout raconté » jusqu’à ce qu’ils se remettent à l’ouvrage avec une nouvelle série d’albums… tant ils parvenaient à nourrir leur inspiration et étendre toutes les possibilités créatives de leur duo ! Ivo Perelman est un artiste très exigeant et un improvisateur de haute-volée, tout comme Nate Wooley. Je dirais même que ses capacités créatives surpassent son savoir faire et que sa volonté de fer crée une pression bienveillante et heureuse sur son collègue trompettiste, qui offre ici le meilleur de lui-même dans un mode intime, confidentiel. Le lyrisme à la fois chatoyant, aigu et voilé de Nate nourrit l’imaginaire de son collègue dans les demi-teintes. Le but du jeu est de poursuivre une quête, de se dépasser et transcender l’acquis par de nouvelles trouvailles, poser de nouvelles questions et d’y répondre en chœur, par sursauts ou en « escalier » … On songe parfois aux perspectives illusoires d’Escher dans leurs emboîtements mélodiques, mais aussi aux signes de Klee, aux lueurs de Turner, aux couleurs d’Helen Frankenthaler. Ivo Perelman est un artiste graphique et peintre qui « voit » les notes et leurs diffractions sensorielles dans de nombreuses couleurs. Et qui donc le suivrait mieux avec ce goût des nuances que ce trompettiste subtil et audacieux sensible aux colorations des souffles multiples, Nate Wooley. Ce duo est un des rares exemples remarquables de « free-jazz » entre un souffleur d’anche et un souffleur d’embouchure d’exception vraiment réussi et « évolutif » qui fonctionne comme un « groupe », pas comme une rencontre d’un soir ou une « jam ». Qui plus est, la trompette « free » radicale est un genre difficile d’un point de vue technique et physique. Ayant parcouru de nombreuses discographies, je n’ai encore rien rencontré de tel dans la formule trompette - sax ténor en duo... sans batterie , contrebasse ou piano. Une musique aussi diversifiée et cohérente réalisée avec amour en neuf improvisations lumineuses par deux artistes exigeants.
Scrap Heap Challenge Paul Lytton Joker Nies Richard Scott Georg Wissel scatter archive digital à paraître
https://scatterarchive.bandcamp.com/album/scrapheap-challenge
Scrap heap : un tas de ferraille tel ceux qu’on observe le long des voies ferrées à l’approche d’un ville « sidérurgique » comme Charleroi. Le royaume du bric-à-brac sonore, de vibrations métalliques, électriques, une frénésie de sons bruités, de bruits sonorisés, l’articulation déjantée du saxophoniste Georg Wolf d’un mimétisme parfait dans cette jungle industrielle d’électroniciens fous : Joker Nies et Richard Scott. Vous les mettez ensemble cela devient inquiétant. Si on y adjoint le percussionniste délirant number one de notre jeunesse, c’est le délire. Aujourd’hui, Paul Lytton couvre deux tables d’ustensiles de percussions diverses et d’objets idoines (grattoirs, tiges, tubes, pièces métalliques, archets) et une boîte à malice assistés par un assemblage Mécano hérissés d’ustensiles culinaires et amplifié etc… qu’il frotte et gratte, les sons recyclés via un système électronique.
Leurs cinq improvisations aux titres de circonstances (marin salvage, blow football, amphibious vehicle, walking machine, rock crawler) sont en constante mutation dans le bruitisme intégral mâtiné d’un sens aigu de la dynamique et d'une écoute mutuelle très pointue. C’est le règne de l’imagination instantanée et l’impossibilité pour l’auditeur d’identifier qui fait exactement quoi et de deviner quelle est exactement la source sonore des sons qui défilent, surgissent, s’effacent et s’entrechoquent ou s’enfouissent dans le silence sous les milles échantillons sonores, bruitistes, scories (scrap), rebuts (heap) … qui s’égaient, sursautent, tourniquent devant nos sens interloqués ou confus. Ce qui séduit au-delà de cette vivace radicalité et cette diversité sonore déroutante, c'est la capacité à ces quatre improvisateurs à se renouveler constamment ... sans lasser l'auditeur... ni surjouer ni couvrir les sons du voisin dans un kaléïdoscope sonore bigarré - outrancier de savants fous. Et comment le saxophoniste Georg Wissell parvient à naviguer et divaguer dans cet univers ribouldingue foisonnant tout en s'y intégrant naturellement. On distingue, en fait, les sons nuancés, sussurés de Joker Nies et les rebonds incessants du synthé modulaire avec ses câblages colorés de Richard Scott. De temps à autres les énergiques rafales percussives au scalpel (quelle finesse dans la sauvagerie!). Une drôle d'équipée à nulle autre pareille. Challenge 100 % réussi.
https://idischidiangelica.bandcamp.com/album/musica-per-sconosciuti
Angelica est devenu au fil du temps un légendaire festival à Bologne présentant sans relâche depuis plus de 30 ans les musiques innovantes, improvisées et expérimentales, le tout suivi par une œuvre patiente de publications d’albums – CD’s d’une belle diversité. Depuis les premières parutions – anthologies documentant différents acts de leur festival, dischi di angelica a trusté des artistes aussi divers que Terry Riley, Tristan Honsinger, Fred Frith, Gianni Gebbia, Heiner Goebbels, Stefano Scodanibbio, Misha Mengelberg, Vakki Plakula, Anthony Braxton, un unique quartet Leo Smith – Pauline Oliveros – John Tilbury – Roscoe Mitchell, Phil Minton & Veryan Weston, Peter Brötzmann Mahmoud Gania et Hamid Drake, Christian Wolff, Lindsay Cooper, Alvin Curran, Massimo Pupillo, Cecil Taylor, Toshinori Kondo, Charlemagne Palestine, Philipp Corner et Uday Bawalkar le chanteur Dhrupad de la Dagarvani.
Alors que dire de ce 3CD Box du musicien électronique Mirco Mariani et ses Music For Stangers ? Son instrumentarium rassemble étonnamment l’histoire et l’évolution des instruments électroniques et des claviers et il est suffisamment et à la fois un imaginatif et un excellent musicien pour en faire quelque chose d’intéressant, de captivant ou déroutant avec assez bien d’humour et de fausse candeur. Imaginez – vous 3 CD’s bourrés jusqu’à la gueule de trois suites ininterrompues de 136 morceaux qui s’enchaînent aisément et amusément avec l’aide de (je vous cite) : mellotron, optigan, ondioline, solovox, clavioline, pianomate, ondiola, osmose, modular synthesizers, monophonic and polyphonic synths, harpsichord, celesta, prepard pianos, harmonium, vibraphone, glasspiel, pip organ, vocoder, voice….
Comme j’ai toujours ressenti que ce qui est publié au nom de la musique dite électronique est souvent rasoir (bien que j’apprécie plusieurs chercheurs fascinants), je trouve que cette série d’enregistrements multiformes a de nombreux points positifs et pourrait convenir pour une excellente porte d’entrée – fenêtre ouverte pour un large public à la découverte de quelque chose de différent, ouvert et authentique en matière d'électroniques etc... qui tranche de la grisaille peu imaginative. Musique de films imaginaires ou réels, orphéon du 21ème s., 136 titres très courts et improbables, plusieurs ayant servi pour illustrer un documentaire d’Elisabetta Sgarbi sur le photographe Nino Migliori et des films de Pupi Avati et Aleksandr Sokurov ainsi que des films restaurés par la Cineteca de Bologne. Un point fort d’Angelica est la synergie avec des initiatives locales qu’elles soient musicales, littéraires, artistiques etc… Et cette publication de Mirco Mariani s’inscrit dans l’histoire récente de la culture à Bologne au niveau cinémathèque avec ce sourire en coin et cette fantaisie secrètement italienne qui aime tant à multiplier les plats et les spécialités culinaires à l’infini. Cette musique de films semble intemporelle ludique et organiquement narrative. Musica per Sconosciuti signifie musique pour des inconnus… peut -être des personnes qui ne connaissent pas l’histoire de la musique ou des musiques ou encore des personnes qui ne connaissent pas encore les musiques qu’ils aiment ou vont aimer. Avec cette Musica per Sconosciuti, l’auditeur lambda prétendument imperméable à la nouveauté « difficile » aura ici autant de points de repères et de bornes : quelques comptines, ritournelles, ambiances, thèmes curieux, zones soniques inouïes, attrayantes ou recherchées qui défient les classifications de genre musical, soit autant d’issues pour s’égarer, réfléchir et découvrir. En fait, trois compacts d’une musique subtile à mettre entre toutes les mains sans caveat tout en annonçant qu’il y a peut-être une vraie surprise. Extrêmement bien conçu et réalisé ! Massimo Simonini d’Angelica est un producteur avisé et imaginatif.
12 Stages of Spiritual Alchemy Ray Anderson & Ivo Perelman Fundacja Sluchaj
https://sluchaj.bandcamp.com/album/12-stages-of-spritual-alchemy
Polarity 4 Ivo Perelman & Nate Wooley burning ambulance CD
https://ivoperelman-bam.bandcamp.com/album/polarity-4
Fundacja Sluchaj a publié il y a peu de temps un superbe double album réunissant le tromboniste Ray Anderson et le saxophoniste ténor Ivo Perelman avec le contrebassiste Joe Morris et le batteur Reggie Nicholson, Molten Gold, une petite merveille d’entente free complètement improvisée. Car c’est une constante de la musique enregistrée de Perelman : « free-jazz » oui , mais toujours entièrement improvisé dans l’instant ou composition immédiate créée sur le moment au moyen d’échanges collectifs où chaque instrumentiste improvise sur un pied d’égalité sans compositions, thèmes ou partitions. Ivo Perelman a à son actif de nombreux duos avec des pianistes (Matt Shipp, principalement), des guitaristes (Joe Morris, James Emery, Pascal Marzan et Elliott Sharp), un trompettiste, Nate Wooley, un violoniste alto (Mat Maneri), des souffleurs d’anche (dont Rudi Mahall, David Murray, Joe Lovano, Joe McPhee etc...) Le voici face à un tromboniste et pas n’importe lequel : Ray Anderson. Ray Anderson a succédé à Kenny Wheeler et George Lewis dans l’extraordinaire quartette d’Anthony Braxton, dont Performance for Quartet 1979 live à Willisau (Hat Hut) est une double plaque incontournable des années 70, enregistrée avec le bassiste John Lindberg et le batteur Thurman Barker. Avec le contrebassiste Mark Helias, il a soufflé les foules dans deux rares trios trombone – basse - batterie avec rien moins que les batteurs Barry Altschul et Gerry Hemingway, eux-mêmes des indispensables collaborateurs des jeunes années de Braxton. Par la suite, il a dirigé ses propres projets à la fois « swinguants » et audacieux durant plusieurs décennies. C’est à la fois un acrobate virtuose du trombone et un puissant souffleur au son gros comme çà issu du blues, du gospel et de la tradition afro-américaine aussi subtil qu’expressionniste. Tout comme Ivo Perelman sur son instrument, il favorise le glissando sous toutes ses coutures. Ce duo, intitulé 12 Stages of Spiritual Alchemy, est donc une belle réussite (tout comme ce superbe quartette mentionné plus haut, Molten Gold, enregistré sur le même label). Les formes, variations et métamorphoses des sons, des phrases jouées simultanément, les interactions ludiques, les contenus mélodiques nés de leur écoute mutuelle et de leur imagination fertile, se succèdent avec bonheur. Les inventions se renouvellent dans une complicité fructueuse par la grâce d’une expérience d’improvisateur de premier plan. Je vous dis les sonorités émouvantes issues du grand chaudron du free-jazz afro-américain le plus atavique. Cette saveur « beurrée » du souffle au trombone, ce growl vibrant qui ramènent aux trombonistes pre-swing comme Tricky Sam Nanton chez Ellington, ce cousinage épatant de Roswell Rudd, cette chaleur quasi tropicale d’Ivo partagée par Ray, ces glissandi lyriques d’harmoniques au sax ténor qui évoquent tant la voix chantée brésilienne font merveille tout comme ces ostinatos en forme de comptines de guingois d’un curieux folklore imaginaire. Luxuriant, incisif et empâté à la fois ou des effluves vaporisés, évanescents un instant ou en crescendo vitaminés. Un rêve éveillé pour les nostalgiques… d’un Shepp mâtiné de Stan Getz. Les douze improvisations sont courtes et concises pour la plupart avec seulement les 07 Sublimation, 08 Exaltation et 09 Projection qui se suivent en étirant superbement les durées autour des 8 et 9 minutes. Cette rencontre en studio mérite d’être prolongée, car avec une première expérience, nous pouvons être sûrs qu’ils pourront encore se surpasser, voire transiter d’affirmations de leurs styles perspectifs qui font déjà coïncider plein de belles choses individuelles de chacun, pour sans doute travailler aussi la suggestion, les connexions de leurs imaginaires, une dérive innocente. Les ressources de la musique improvisée libre, même celle qui est intégralement « jazz » dit « free », sont infinies, surtout avec le talent inné de ces deux musiciens et leur exigence ludique et sonore.
D’ailleurs, Ivo Perelman vient de publier un superbe quatrième album en duo avec le trompettiste Nate Wooley pour le label Burning Ambulance, Polarity 4. Ces deux-là ont beau réitéré le titre de leur album duo à quatre reprises, je n’arrive pas à m’en lasser. Nate Wooley est un improvisateur moins « conventionnel », plus avant-gardiste que Ray Anderson. Mais qu’importe les directions esthétiques d’improvisateurs de ce calibre et surtout leurs intentions musicales profondes, leur histoire. Tous deux se comprennent, imbriquent les moindres inflexions, altérations de timbres, sonorités dans un magnifique dialogue de voyants.
Aussi, la sonorité de Nate Wooley se démultiplie du diaphane à la saturation, de l’ultraigu acide au growl, du bruissement venteux à la suggestion mélodique, tous ses effets et couleurs s’intégrant dans un « style », un voix originale, à la fois sonore radicale et jazz éméché ou carrément mélodique. L’empathie et la connivence entre le souffle et l’anche d’Ivo Perelman et les effets d’embouchure et de pistons de Nate est devenue profonde, organique et lumineuse. Ils ont en commun l’art d’accentuer les notes, d’étirer les sonorités, de planer dans le vide avec une manière héritée du jazz (très cool) ou de carburer en cascadant dans les gammes, se répondre du tac au tac et Ivo de déraper au ténor dans les hyper aigus (Five). On aimera ces évocations suggérées de fragments mélodiques qui s’enchaînent et dérivent dans des sonorités cotonneuses, fragiles, nostalgiques au bord du silence. Il y a de bonnes raisons pour laquelle Ivo Perelman et Nate Wooley persévèrent dans leur duo Polarity. Ivo Perelman, tout jazzman qu’il est, se concentre exclusivement sur l’improvisation libre instantanée principalement en duo ou trio avec bon nombre de collègues. Très souvent ses nombreux albums sont plus que satisfaisants, comme ces 12 Stages of Spiritual Alchemy. Certaines de ces rencontres donnent lieu qu’à un seul CD. D’autres se révèlent plus fructueuses dans la durée comme le désormais légendaire duo Ivo Perelman – Matthew Shipp documenté par plus d’une quinzaine de CD’s. Ces deux – là s’étaient un jour dit qu’ils semblaient avoir « tout raconté » jusqu’à ce qu’ils se remettent à l’ouvrage avec une nouvelle série d’albums… tant ils parvenaient à nourrir leur inspiration et étendre toutes les possibilités créatives de leur duo ! Ivo Perelman est un artiste très exigeant et un improvisateur de haute-volée, tout comme Nate Wooley. Je dirais même que ses capacités créatives surpassent son savoir faire et que sa volonté de fer crée une pression bienveillante et heureuse sur son collègue trompettiste, qui offre ici le meilleur de lui-même dans un mode intime, confidentiel. Le lyrisme à la fois chatoyant, aigu et voilé de Nate nourrit l’imaginaire de son collègue dans les demi-teintes. Le but du jeu est de poursuivre une quête, de se dépasser et transcender l’acquis par de nouvelles trouvailles, poser de nouvelles questions et d’y répondre en chœur, par sursauts ou en « escalier » … On songe parfois aux perspectives illusoires d’Escher dans leurs emboîtements mélodiques, mais aussi aux signes de Klee, aux lueurs de Turner, aux couleurs d’Helen Frankenthaler. Ivo Perelman est un artiste graphique et peintre qui « voit » les notes et leurs diffractions sensorielles dans de nombreuses couleurs. Et qui donc le suivrait mieux avec ce goût des nuances que ce trompettiste subtil et audacieux sensible aux colorations des souffles multiples, Nate Wooley. Ce duo est un des rares exemples remarquables de « free-jazz » entre un souffleur d’anche et un souffleur d’embouchure d’exception vraiment réussi et « évolutif » qui fonctionne comme un « groupe », pas comme une rencontre d’un soir ou une « jam ». Qui plus est, la trompette « free » radicale est un genre difficile d’un point de vue technique et physique. Ayant parcouru de nombreuses discographies, je n’ai encore rien rencontré de tel dans la formule trompette - sax ténor en duo... sans batterie , contrebasse ou piano. Une musique aussi diversifiée et cohérente réalisée avec amour en neuf improvisations lumineuses par deux artistes exigeants.
Scrap Heap Challenge Paul Lytton Joker Nies Richard Scott Georg Wissel scatter archive digital à paraître
https://scatterarchive.bandcamp.com/album/scrapheap-challenge
Scrap heap : un tas de ferraille tel ceux qu’on observe le long des voies ferrées à l’approche d’un ville « sidérurgique » comme Charleroi. Le royaume du bric-à-brac sonore, de vibrations métalliques, électriques, une frénésie de sons bruités, de bruits sonorisés, l’articulation déjantée du saxophoniste Georg Wolf d’un mimétisme parfait dans cette jungle industrielle d’électroniciens fous : Joker Nies et Richard Scott. Vous les mettez ensemble cela devient inquiétant. Si on y adjoint le percussionniste délirant number one de notre jeunesse, c’est le délire. Aujourd’hui, Paul Lytton couvre deux tables d’ustensiles de percussions diverses et d’objets idoines (grattoirs, tiges, tubes, pièces métalliques, archets) et une boîte à malice assistés par un assemblage Mécano hérissés d’ustensiles culinaires et amplifié etc… qu’il frotte et gratte, les sons recyclés via un système électronique.
Leurs cinq improvisations aux titres de circonstances (marin salvage, blow football, amphibious vehicle, walking machine, rock crawler) sont en constante mutation dans le bruitisme intégral mâtiné d’un sens aigu de la dynamique et d'une écoute mutuelle très pointue. C’est le règne de l’imagination instantanée et l’impossibilité pour l’auditeur d’identifier qui fait exactement quoi et de deviner quelle est exactement la source sonore des sons qui défilent, surgissent, s’effacent et s’entrechoquent ou s’enfouissent dans le silence sous les milles échantillons sonores, bruitistes, scories (scrap), rebuts (heap) … qui s’égaient, sursautent, tourniquent devant nos sens interloqués ou confus. Ce qui séduit au-delà de cette vivace radicalité et cette diversité sonore déroutante, c'est la capacité à ces quatre improvisateurs à se renouveler constamment ... sans lasser l'auditeur... ni surjouer ni couvrir les sons du voisin dans un kaléïdoscope sonore bigarré - outrancier de savants fous. Et comment le saxophoniste Georg Wissell parvient à naviguer et divaguer dans cet univers ribouldingue foisonnant tout en s'y intégrant naturellement. On distingue, en fait, les sons nuancés, sussurés de Joker Nies et les rebonds incessants du synthé modulaire avec ses câblages colorés de Richard Scott. De temps à autres les énergiques rafales percussives au scalpel (quelle finesse dans la sauvagerie!). Une drôle d'équipée à nulle autre pareille. Challenge 100 % réussi.
13 octobre 2025
Anna Homler Wolfgang Schliemann Joachim Zoepf/ Thanos Chrysakis Earle Brown David Ryan Christian Wolf Morton Feldman & Tim Hodgkinson/ Federico Reuben Mark Hanslip Dominic Lash Paul Hession / Andrea Bini & Sergio Fedele
Anna Homler Wolfgang Schliemann Joachim Zoepf Jaw Acheulian Handaxe 
https://handaxe.bandcamp.com/album/jaw
Recorded live at the 8th Nozart Festival Cologne by Ansgar Ballhorn April 3rd 2004. Enregistrée il y a plus de vingt ans, cette rencontre atypique entre la chanteuse conteuse Anna Homler et les deux improvisateurs pointus que sont le percussionniste Wolfgang Schliemann et le souffleur Joachim Zoepf (sax soprano et clarinette basse) méritait vraiment d’être publiée. À sa voix expressive, Anna Homler ajoute l’utilisation ludique de jouets et d’appareils, dont une boîte musicale ce qui crée une connexion interactive avec les improvisations instrumentales alambiquées radicales du tandem Schliemann Zoepf. Schliemann développe un jeu pointilliste et disparate avec plusieurs instruments et accessoires de percussions tout en créant un espace pour ses deux collègues. La chanteuse ajoute une approche narrative à son Gesprech-Gesang (chanté-parlé) volatile et subtilement expressif. Anna Homler est une des vocalistes chanteuses parmi les plus originales parmi les nombreuses chanteuses qui s’adonnent à la libre improvisation et que je n’ai jamais manqué de commenter, expliquer et soutenir dans mes nombreux articles. Irrésistible et hors des catégories. Je trouve que cette collaboration est superlative au niveau du dialogue et de l’empathie collective. Si nos deux lascars au sax et à la percussion sont des artistes plutôt abstraits face à cette chanteuse qui n’hésite pas à chanter un texte avec une mélodie ou zézayer ses pensées, leurs interventions sont orientées vers un seul but : illustrer la vocalité et l’expression d’Anna Homler de manière astucieuse, discrète, subtile et aérée, pointilliste avec les possibilités sonores de leurs instruments et les objets percussifs de Wolfgang Schliemann. De même la chanteuse utilise de curieux objets / jouets et (peut-être ?) des appeaux dans une dimension bruissante évoquant des volatiles à l’instar des contorsions de la colonne d’air de Joachim Zoepf à la clarinette basse. Il n’y a rien à dire de plus que cette rencontre d’un soir intitulée Jaw datant d’il y a plus de vingt ans est une belle démonstration d’ouverture d’esprit de la part de chaque artiste et surtout, on y trouve des moments d’anthologie magiques pouvant illustrer le leitmotiv trop rarement invoqué dans cet univers de « spécialistes » qu’est l’impro « non idiom… ou autre ique ou isme) de la diversité affichée dans la cohérence totale. Si leur style ne se répand pas en avalanches énergétiques, il est d'une précision rare, chaque son, chaque mouvement est à sa place et surgit au meilleur instant avec une formidable évidence. Magnifique et sans prétention. Acheulian Handaxe est un label à suivre de près.
Music for Guitars, Bass Clarinets & Contrabasses Earle Brown David Ryan, Christian Wolf, Morton Feldman Thanos Chrysakis Tim Hodgkinson Aural Terrains TRRN1957.
https://www.auralterrains.com/releases/57
Le compositeur Grec Thanos Chrysakis est un excellent producteur de projets de musique contemporaine originaux très souvent focalisés sur des instruments particuliers comme les clarinettes basses, les trombones avec une sélection de compositeurs incontournables voire atypiques comme ici Earle Brown, Christian Wolf ou Morton Feldman ainsi que ses propres compositions et celles de ses collaborateurs proches, tels le clarinettiste Tim Hodgkinson ou le guitariste David Ryan. Il empile les réussites sur son label Aural Terrains en diversifiant régulièrement le choix des instruments. Aussi sa démarche fait appel à des improvisateurs libres. Dans cet album enregistré le 10 décembre 2023 au Café OTO à Londres, on retrouve le bassiste Dominic Lash, les clarinettistes Chris Cundy, Tim Hodgkinson et Jason Alder. Il introduit de nouveaux musiciens à ses équipes comme l’excellent guitariste William Crosby qui interprètent Fields and Refrains de David Ryan composé pour une seule guitare acoustique (15:10) nous éclairant sur les possibilités sonores de la guitare en apportant un regard neur et des techniques inusitées. C’est justement David Ryan qui dirige 4 Systems (1954 - 5:08) d’Earle Brown pour cinq clarinettes basses (Alder, Cundy , Hodgkinson et deux nouvelles venues Michelle Hromin et Hannah Shilvock), composition ouvrant l’espace sonore et la dynamique. Tilbury 4 de Christian Wolff fait rencontrer quatre des clarinettistes basses précédents avec la guitare électrique jouée par William Crosby et les deux contrebasses de Lash et de Gwen Reed. Chaque musicien intervient quasiment seul au seuil du silence Une œuvre quasi diaphane de 5:25 datant de 1970. Suivi de The Possibilty of A New Work for Electric Guitar de Morton Feldman (1966 – 7:03) dans un esprit très similaire à la précédente interprétée par William Crosby. Je dois ajouter que le guitariste et compositeur David Ryan a publié ses compositions dans l'album Fields and Refrains (Aural Terrains TRRN 1648 avec entre autres William Crosby et Dominic Lash. Il n'est pas inutile de comparer les deux versions de cette composition de D. Ryan dans les deux albums par le même interprète. Riverwind (2023 - 17:50) de Thanos Chrysakis est une de ses oeuvres orchestrales parmi les plus réussies rassemblant trompette (Jack Jones), deux clarinettes en Sib, deux clarinettes basses, un clarinette contrebasse, deux guitares électriques et deux contrebasses avec les instrumentistes déjà cités dont aussi le guitariste James O’Sullivan sous la direction de Leo Geyer. Il s’agit d’une belle œuvre spectrale avec une phase proche du free-jazz radical. Plus loin on rencontre une guitare noise abrasive. La démarche de Chrysakis est limpide : pour à la fois illustrer son projet de composition qui s’impose comme partie centrale de l’album et nourrir la diversité musicale et l’intérêt du public, il reprend une série d’œuvres composées par d’autres compositeurs pour chacun ou plusieurs des instruments qui figurent dans Riverwind, celle – ci se distinguant musicalement de ces œuvres qui la précèdent dans l’ordre de l’album. Il reste alors deux compositions pour conclure ce cheminement particulier. One To Five d’Earle Brown (1970 – 5 :57) conduite par David Ryan reprend une bonne partie l’instrumentation de Riverwind au niveau des clarinettes (moins la cl. contrebasse), mais avec une seule guitare électrique et une seule contrebasse. Mais cette œuvre a une toute autre optique avec ses mouvements saccadés, parsemés de silences et de breaks, avec une rythmique sous-jacente et des effets de tutti agrémentés de pointillisme. Cette sélection d’œuvres différentes fait que ce programme s’écoute volontiers grâce à sa diversité pointue et aux contrastes de chaque composition par rapport aux autres. Kryptoplégma de Tim Hodgkinson (2023 - 14:12) est écrit pour un orchestre semblable à celui de Riverwind : trompette, clar Sib, deux clarinettes basses, une clarinette basse, deux guitares électriques, et deux contrebasses et dirigée par son compositeur. Celui-ci a opté pour un style de composition dynamique et enlevée similaire à ces œuvres de jazz d’avant-garde avec de larges intervalles dissonants, guitares noise, alternances rapides de chaque instruments en mouvements disjoints, hoquets, passages presque silencieux, combinaisons de notes isolées de plusieurs souffleurs qui se chevauchent à une double croche près. Hodgkinson utilise à bon escient une série d’idées d’écriture qui se succèdent avec bonheur. L’ensemble de l’album et la succession de ces sept compositions dans l’ordre de celui-ci apportent un réelle bonification pour chacune des œuvres jouées par la grâce de leurs qualités intrinsèques qui mettent en valeur toutes les autres. Un excellent travail réalisé et enregistré la même soirée en concert et un sens rare de la synergie dans chaque projet de Thanos. Il faut pouvoir le faire, signalons-le. Chapeau Thanos Chrysakis, Aural Terrains et tous ceux qui ont participé au projet !
Quartetics Federico Reuben Mark Hanslip Dom Lash Paul Hession Bead Records
https://www.beadrecords.com/reuben/hanslip/lash/hession-quartetics
L’antique label de musiques improvisées Bead Records fondé par un collectif autour du violoniste Philipp Wachsmann, (avec Tony Wren, Peter Cusack, puis Matt Hutchinson etc…) a fait peau neuve récemment et propose des idées nouvelles sous la responsabilité du percussionniste Emil Karlsen avec un panel diversifié de musiciens intéressants. Que dire de ce nouveau Quartetics composé de Federico Reuben (laptop improvisation / live coding), du saxophoniste ténor Mark Hanslip, du contrebassiste Dominic Lash et du batteur Paul Hession. On pourrait croire que leur musique soit dans la lignée du free-jazz qu’on entend toujours un peu partout dans les festivals et les clubs avec le sempiternel trinôme saxophone, contrebasse, batterie + guitare électrique, clavier ou électronique, la vulgate du jazz libre d’avant-garde qui peut être ressentie comme un cliché. Je découvre que Mark Hanslip a sérieusement évolué depuis ses collaborations avec Javier Carmona, Tony Bianco, Ollie Brice et le Crux Trio ou Michael Garrick. Son jeu artistement découpé fait de larges intervalles est assez particulier. Face au drumming crépitant et irrégulier de Paul Hession, un fidèle de feu Simon Fell et du saxophoniste explosif Allan Wilkinson dans un trio hard-free saturé en diable, le jeu sophistiqué de Hanslip et ses subtiles inversions harmoniques créent un équilibre instable et un contraste remarquable qui mettent en valeur les deux musiciens. Vous ajoutez à cette équation volatile le travail sonique multiforme de Dominic Lash à l’archet et on aboutit à un approfondissement des perspectives et des percées dans l’univers éclaté des sons de la free music sans plan A ou plan B. La contribution « électronique » de Federico Reuben est tout à fait pertinente, entretenant des échanges avec les frappes millimétrées free plus radicales d’Hession dont on découvre la finesse et la précision en empathie avec la dynamique et le chaos des improvisations au laptop avec une multitude de facéties sonores surgissant de nulle part. Son output est particulièrement intéressant et multiforme. Un très bon point pour Hession, les drummers free excitants devenant trop rares parmi la génération montante. Par-dessus, le souffle d’Hanslip trace son chemin sinueux sur un canevas polyrythmique qui s’appuie sur les impulsions des trois autres. Leur musique faite de voix qu’on jugerait disparates ou antagonistes du point de vue formel se révèle étonnamment cohérente, dynamique et profondément lisible. L’auditeur a le plaisir d’entendre clairement toutes les interventions et interactions individuelles dans le son global de ce Quartetics durant les cinq improvisations collectives sur une durée de 33 minutes. Et oui , la qualité de l’enregistrement et le savoir-faire des instrumentistes ! Et chacun a le loisir de cultiver ses marottes personnelles au bénéfice de l’ensemble. Je trouve cet album vraiment remarquable. Congratulations. Duo PsicoGeografico Iskra Andrea Bini & Sergio Fedele. Setola di Maiale.
https://www.setoladimaiale.net/catalogue/view/SM5010
Un bien curieux duo de multi-instrumentistes improvisateurs qui alimentent 9 sequenze (pluriel de sequenza) d’improvisations contemporaines. Andrea Bini joue du piano, de la « flauto dolce basso » soit une flûte à bec basse, voix, « richiamo » soit un appel ou un cri, rombo ou grondement, percussions et gong. Sergio Fedele est crédité ecatorf, un instrument à vent de son invention avec anches coulisses, pavillons combinant plusieurs tuyaux et des éléments mobiles et d’une grande complexité au niveau de la construction. Une espèce de monstre avec lequel on obtient de curieux effets de souffles similaires à la clarinette contrebasse et au trombone. Il ajoute à ce curieux instrument hybride, le sax alto, la clarinette contra alto, la clarinette et l’ocarina bassa. Iskra signifie l’étincelle en Russe et servit de titre pour la revue marxiste de Lénine lors de son séjour en Grand Bretagne. Plus tard, Paul Rutherford intitula son trio avec Derek Bailey et Barry Guy, Iskra 1903, tandis qu’un groupe free suédois s’est baptisé Iskra. Ses 9 Sequenze s’intitulent Iskra 01, Iskra 02 , etc… jusqu’à Iskra 09 et les notes de pochette indiquent clairement les instruments utilisés. Parmi ces 9 pièces , Andrea Bini jouent du piano dans cinq d’entr’elles, la première nous faisant entendre les possibilités sonores et dynamiques de cet ecatorf mystérieux dans une approche avant garde contemporaine réussie Pour la deuxième pièce avec sax alto et piano, la musique se rapproche de l’univers du free-jazz. Au fil de chaque improvisation, le centre de gravité et l’approche musicale varie comme dans ce duo percussions et clarinette contra alto rêveuse. On y entend des frappes clairsemées sur un tambour et la résonance d’un gong face à un souffle retenu et note à note parsemé de silences dans une ambiance intime. Chacun de ces duos cultivent une ambiance particulière avec les moyens de chacun des instruments sollicités successivement d’un Iskra à l’autre. On y trouve l’étincelle de la sensibilité sans pour autant y mettre le feu aux poudres. On est plus ici dans la réflexion ou les appels d’oiseaux au sein d’une volière comme dans cet Iskra 04 et son dialogue ocarina basse et flûte à bec basse et quelques trouvailles sonores. Iskra 05 : retour à la démarche musique contemporaine entre la clarinette contralto et le piano dans le sillage de Iskra 01. J’en apprécie la résonnance des cordes « bloquées » du piano et le cheminement de la clarinette de graves discrets à la limite du souffle vers les égosillements des harmoniques aiguës Chaque pièce offre ainsi une nouvelle opportunité sensible et bien choisie et l’ecatorf en est bien la part de mystère (Iskra 06). Un album d’improvisation à part soigneusement préparé et simplement poétique. En fait, une belle réussite.
https://handaxe.bandcamp.com/album/jaw
Recorded live at the 8th Nozart Festival Cologne by Ansgar Ballhorn April 3rd 2004. Enregistrée il y a plus de vingt ans, cette rencontre atypique entre la chanteuse conteuse Anna Homler et les deux improvisateurs pointus que sont le percussionniste Wolfgang Schliemann et le souffleur Joachim Zoepf (sax soprano et clarinette basse) méritait vraiment d’être publiée. À sa voix expressive, Anna Homler ajoute l’utilisation ludique de jouets et d’appareils, dont une boîte musicale ce qui crée une connexion interactive avec les improvisations instrumentales alambiquées radicales du tandem Schliemann Zoepf. Schliemann développe un jeu pointilliste et disparate avec plusieurs instruments et accessoires de percussions tout en créant un espace pour ses deux collègues. La chanteuse ajoute une approche narrative à son Gesprech-Gesang (chanté-parlé) volatile et subtilement expressif. Anna Homler est une des vocalistes chanteuses parmi les plus originales parmi les nombreuses chanteuses qui s’adonnent à la libre improvisation et que je n’ai jamais manqué de commenter, expliquer et soutenir dans mes nombreux articles. Irrésistible et hors des catégories. Je trouve que cette collaboration est superlative au niveau du dialogue et de l’empathie collective. Si nos deux lascars au sax et à la percussion sont des artistes plutôt abstraits face à cette chanteuse qui n’hésite pas à chanter un texte avec une mélodie ou zézayer ses pensées, leurs interventions sont orientées vers un seul but : illustrer la vocalité et l’expression d’Anna Homler de manière astucieuse, discrète, subtile et aérée, pointilliste avec les possibilités sonores de leurs instruments et les objets percussifs de Wolfgang Schliemann. De même la chanteuse utilise de curieux objets / jouets et (peut-être ?) des appeaux dans une dimension bruissante évoquant des volatiles à l’instar des contorsions de la colonne d’air de Joachim Zoepf à la clarinette basse. Il n’y a rien à dire de plus que cette rencontre d’un soir intitulée Jaw datant d’il y a plus de vingt ans est une belle démonstration d’ouverture d’esprit de la part de chaque artiste et surtout, on y trouve des moments d’anthologie magiques pouvant illustrer le leitmotiv trop rarement invoqué dans cet univers de « spécialistes » qu’est l’impro « non idiom… ou autre ique ou isme) de la diversité affichée dans la cohérence totale. Si leur style ne se répand pas en avalanches énergétiques, il est d'une précision rare, chaque son, chaque mouvement est à sa place et surgit au meilleur instant avec une formidable évidence. Magnifique et sans prétention. Acheulian Handaxe est un label à suivre de près.
Music for Guitars, Bass Clarinets & Contrabasses Earle Brown David Ryan, Christian Wolf, Morton Feldman Thanos Chrysakis Tim Hodgkinson Aural Terrains TRRN1957.
https://www.auralterrains.com/releases/57
Le compositeur Grec Thanos Chrysakis est un excellent producteur de projets de musique contemporaine originaux très souvent focalisés sur des instruments particuliers comme les clarinettes basses, les trombones avec une sélection de compositeurs incontournables voire atypiques comme ici Earle Brown, Christian Wolf ou Morton Feldman ainsi que ses propres compositions et celles de ses collaborateurs proches, tels le clarinettiste Tim Hodgkinson ou le guitariste David Ryan. Il empile les réussites sur son label Aural Terrains en diversifiant régulièrement le choix des instruments. Aussi sa démarche fait appel à des improvisateurs libres. Dans cet album enregistré le 10 décembre 2023 au Café OTO à Londres, on retrouve le bassiste Dominic Lash, les clarinettistes Chris Cundy, Tim Hodgkinson et Jason Alder. Il introduit de nouveaux musiciens à ses équipes comme l’excellent guitariste William Crosby qui interprètent Fields and Refrains de David Ryan composé pour une seule guitare acoustique (15:10) nous éclairant sur les possibilités sonores de la guitare en apportant un regard neur et des techniques inusitées. C’est justement David Ryan qui dirige 4 Systems (1954 - 5:08) d’Earle Brown pour cinq clarinettes basses (Alder, Cundy , Hodgkinson et deux nouvelles venues Michelle Hromin et Hannah Shilvock), composition ouvrant l’espace sonore et la dynamique. Tilbury 4 de Christian Wolff fait rencontrer quatre des clarinettistes basses précédents avec la guitare électrique jouée par William Crosby et les deux contrebasses de Lash et de Gwen Reed. Chaque musicien intervient quasiment seul au seuil du silence Une œuvre quasi diaphane de 5:25 datant de 1970. Suivi de The Possibilty of A New Work for Electric Guitar de Morton Feldman (1966 – 7:03) dans un esprit très similaire à la précédente interprétée par William Crosby. Je dois ajouter que le guitariste et compositeur David Ryan a publié ses compositions dans l'album Fields and Refrains (Aural Terrains TRRN 1648 avec entre autres William Crosby et Dominic Lash. Il n'est pas inutile de comparer les deux versions de cette composition de D. Ryan dans les deux albums par le même interprète. Riverwind (2023 - 17:50) de Thanos Chrysakis est une de ses oeuvres orchestrales parmi les plus réussies rassemblant trompette (Jack Jones), deux clarinettes en Sib, deux clarinettes basses, un clarinette contrebasse, deux guitares électriques et deux contrebasses avec les instrumentistes déjà cités dont aussi le guitariste James O’Sullivan sous la direction de Leo Geyer. Il s’agit d’une belle œuvre spectrale avec une phase proche du free-jazz radical. Plus loin on rencontre une guitare noise abrasive. La démarche de Chrysakis est limpide : pour à la fois illustrer son projet de composition qui s’impose comme partie centrale de l’album et nourrir la diversité musicale et l’intérêt du public, il reprend une série d’œuvres composées par d’autres compositeurs pour chacun ou plusieurs des instruments qui figurent dans Riverwind, celle – ci se distinguant musicalement de ces œuvres qui la précèdent dans l’ordre de l’album. Il reste alors deux compositions pour conclure ce cheminement particulier. One To Five d’Earle Brown (1970 – 5 :57) conduite par David Ryan reprend une bonne partie l’instrumentation de Riverwind au niveau des clarinettes (moins la cl. contrebasse), mais avec une seule guitare électrique et une seule contrebasse. Mais cette œuvre a une toute autre optique avec ses mouvements saccadés, parsemés de silences et de breaks, avec une rythmique sous-jacente et des effets de tutti agrémentés de pointillisme. Cette sélection d’œuvres différentes fait que ce programme s’écoute volontiers grâce à sa diversité pointue et aux contrastes de chaque composition par rapport aux autres. Kryptoplégma de Tim Hodgkinson (2023 - 14:12) est écrit pour un orchestre semblable à celui de Riverwind : trompette, clar Sib, deux clarinettes basses, une clarinette basse, deux guitares électriques, et deux contrebasses et dirigée par son compositeur. Celui-ci a opté pour un style de composition dynamique et enlevée similaire à ces œuvres de jazz d’avant-garde avec de larges intervalles dissonants, guitares noise, alternances rapides de chaque instruments en mouvements disjoints, hoquets, passages presque silencieux, combinaisons de notes isolées de plusieurs souffleurs qui se chevauchent à une double croche près. Hodgkinson utilise à bon escient une série d’idées d’écriture qui se succèdent avec bonheur. L’ensemble de l’album et la succession de ces sept compositions dans l’ordre de celui-ci apportent un réelle bonification pour chacune des œuvres jouées par la grâce de leurs qualités intrinsèques qui mettent en valeur toutes les autres. Un excellent travail réalisé et enregistré la même soirée en concert et un sens rare de la synergie dans chaque projet de Thanos. Il faut pouvoir le faire, signalons-le. Chapeau Thanos Chrysakis, Aural Terrains et tous ceux qui ont participé au projet !
Quartetics Federico Reuben Mark Hanslip Dom Lash Paul Hession Bead Records
https://www.beadrecords.com/reuben/hanslip/lash/hession-quartetics
L’antique label de musiques improvisées Bead Records fondé par un collectif autour du violoniste Philipp Wachsmann, (avec Tony Wren, Peter Cusack, puis Matt Hutchinson etc…) a fait peau neuve récemment et propose des idées nouvelles sous la responsabilité du percussionniste Emil Karlsen avec un panel diversifié de musiciens intéressants. Que dire de ce nouveau Quartetics composé de Federico Reuben (laptop improvisation / live coding), du saxophoniste ténor Mark Hanslip, du contrebassiste Dominic Lash et du batteur Paul Hession. On pourrait croire que leur musique soit dans la lignée du free-jazz qu’on entend toujours un peu partout dans les festivals et les clubs avec le sempiternel trinôme saxophone, contrebasse, batterie + guitare électrique, clavier ou électronique, la vulgate du jazz libre d’avant-garde qui peut être ressentie comme un cliché. Je découvre que Mark Hanslip a sérieusement évolué depuis ses collaborations avec Javier Carmona, Tony Bianco, Ollie Brice et le Crux Trio ou Michael Garrick. Son jeu artistement découpé fait de larges intervalles est assez particulier. Face au drumming crépitant et irrégulier de Paul Hession, un fidèle de feu Simon Fell et du saxophoniste explosif Allan Wilkinson dans un trio hard-free saturé en diable, le jeu sophistiqué de Hanslip et ses subtiles inversions harmoniques créent un équilibre instable et un contraste remarquable qui mettent en valeur les deux musiciens. Vous ajoutez à cette équation volatile le travail sonique multiforme de Dominic Lash à l’archet et on aboutit à un approfondissement des perspectives et des percées dans l’univers éclaté des sons de la free music sans plan A ou plan B. La contribution « électronique » de Federico Reuben est tout à fait pertinente, entretenant des échanges avec les frappes millimétrées free plus radicales d’Hession dont on découvre la finesse et la précision en empathie avec la dynamique et le chaos des improvisations au laptop avec une multitude de facéties sonores surgissant de nulle part. Son output est particulièrement intéressant et multiforme. Un très bon point pour Hession, les drummers free excitants devenant trop rares parmi la génération montante. Par-dessus, le souffle d’Hanslip trace son chemin sinueux sur un canevas polyrythmique qui s’appuie sur les impulsions des trois autres. Leur musique faite de voix qu’on jugerait disparates ou antagonistes du point de vue formel se révèle étonnamment cohérente, dynamique et profondément lisible. L’auditeur a le plaisir d’entendre clairement toutes les interventions et interactions individuelles dans le son global de ce Quartetics durant les cinq improvisations collectives sur une durée de 33 minutes. Et oui , la qualité de l’enregistrement et le savoir-faire des instrumentistes ! Et chacun a le loisir de cultiver ses marottes personnelles au bénéfice de l’ensemble. Je trouve cet album vraiment remarquable. Congratulations. Duo PsicoGeografico Iskra Andrea Bini & Sergio Fedele. Setola di Maiale.
https://www.setoladimaiale.net/catalogue/view/SM5010
Un bien curieux duo de multi-instrumentistes improvisateurs qui alimentent 9 sequenze (pluriel de sequenza) d’improvisations contemporaines. Andrea Bini joue du piano, de la « flauto dolce basso » soit une flûte à bec basse, voix, « richiamo » soit un appel ou un cri, rombo ou grondement, percussions et gong. Sergio Fedele est crédité ecatorf, un instrument à vent de son invention avec anches coulisses, pavillons combinant plusieurs tuyaux et des éléments mobiles et d’une grande complexité au niveau de la construction. Une espèce de monstre avec lequel on obtient de curieux effets de souffles similaires à la clarinette contrebasse et au trombone. Il ajoute à ce curieux instrument hybride, le sax alto, la clarinette contra alto, la clarinette et l’ocarina bassa. Iskra signifie l’étincelle en Russe et servit de titre pour la revue marxiste de Lénine lors de son séjour en Grand Bretagne. Plus tard, Paul Rutherford intitula son trio avec Derek Bailey et Barry Guy, Iskra 1903, tandis qu’un groupe free suédois s’est baptisé Iskra. Ses 9 Sequenze s’intitulent Iskra 01, Iskra 02 , etc… jusqu’à Iskra 09 et les notes de pochette indiquent clairement les instruments utilisés. Parmi ces 9 pièces , Andrea Bini jouent du piano dans cinq d’entr’elles, la première nous faisant entendre les possibilités sonores et dynamiques de cet ecatorf mystérieux dans une approche avant garde contemporaine réussie Pour la deuxième pièce avec sax alto et piano, la musique se rapproche de l’univers du free-jazz. Au fil de chaque improvisation, le centre de gravité et l’approche musicale varie comme dans ce duo percussions et clarinette contra alto rêveuse. On y entend des frappes clairsemées sur un tambour et la résonance d’un gong face à un souffle retenu et note à note parsemé de silences dans une ambiance intime. Chacun de ces duos cultivent une ambiance particulière avec les moyens de chacun des instruments sollicités successivement d’un Iskra à l’autre. On y trouve l’étincelle de la sensibilité sans pour autant y mettre le feu aux poudres. On est plus ici dans la réflexion ou les appels d’oiseaux au sein d’une volière comme dans cet Iskra 04 et son dialogue ocarina basse et flûte à bec basse et quelques trouvailles sonores. Iskra 05 : retour à la démarche musique contemporaine entre la clarinette contralto et le piano dans le sillage de Iskra 01. J’en apprécie la résonnance des cordes « bloquées » du piano et le cheminement de la clarinette de graves discrets à la limite du souffle vers les égosillements des harmoniques aiguës Chaque pièce offre ainsi une nouvelle opportunité sensible et bien choisie et l’ecatorf en est bien la part de mystère (Iskra 06). Un album d’improvisation à part soigneusement préparé et simplement poétique. En fait, une belle réussite.
10 octobre 2025
Urs Leimgruber Duos with Bobby Burri, Fritz Hauser, Tizia Zimmermann, Christy Doran / Derek Bailey & Paul Motian / John Edwards Daniel Thompson.
AIR vol.3 Urs Leimgruber Duos with Bobby Burri, Fritz Hauser, Tizia Zimmermann, Christy Doran. Creative Works CD CW 1079.
https://creativeworksrecords.jimdoweb.com/
Troisième mouture des duos du saxophoniste Urs Leimgruber au saxophone soprano publiée par Creative Works en compagnie de ses camarades du groupe OM, le bassiste Bobby Burri et du guitariste électrique Christy Doran, du percussionniste Fritz Hauser, lui aussi un vieux compagnon et d’une nouvelle venue dans l’univers d’Urs, l’accordéoniste Tizia Zimmermann. Pour rappel les coffrets AIR VOL.1 comportait des duos avec Gerry Hemingway, Hans Peter Pfamatter, Jacques Demierre et le VOL.2 des duos avec Joëlle Léandre, Magda Mayas et Dorothea Schürch. Ce volume 3 est tout aussi méritant que les précédents, le saxophoniste ne se privant pas d’explorer les infinies ressources sonores du saxophone soprano tant au bord du silence qu’aux extrémités des hyper-aigus des harmoniques extrêmes de l’instrument qu’il manie avec autant de contrôle que de dérive aléatoire. On aimera les belles tentatives de dialogues tangentiels avec la contrebasse trafiquée d’effets de Bobby Burri et les contorsions électroniques subtiles de Christy Doran. Dans ces échanges le souffleur fascine par sa poésie sonore zen et ses effets acoustiques avec la colonne d’air, doigtés fourchus, pincements forcenés de l’anche et ce souffle si singulier à la recherche des imperfections transformées en art – sculpture vivante et palpitante de l’air et du son. Le duo avec le percussionniste Fritz Hauser est une excellente confrontation entre le jeu sur les pulsations et les battements rythmiques et les extrêmes du souffle au sax soprano. Pour les deux artistes, il s’agit de créer une interaction oblique entre deux conceptions différentes qui aboutit à la fusion dans une démarche bruitiste (en #4) où le frottement des peaux avec une mailloche en caoutchouc évoque la vocalité du saxophone soprano. La matière sonore est devenue ténue, vibratile, hiératique et supérieurement épurée et stridente. Dans d’autres plages, les frappes coordonnées du batteur autour de pulsations croisées génèrent des réactions éclatées, déchirantes mais retenues du saxophoniste ou des interventions rêveuses au lyrisme secret. Une belle découverte que la présence de Tizia Zimmermann dans ces Duos, secouant son instrument de souffles à touches qu’est l’accordéon en contorsionnant les sonorités, clusters, bruissements face aux giclées et cris perçants de Leimgruber. L’excellence des Duos, leur spontanéité, la sincérité et la simplicité de la démarche, l’intense recherche de formes imprévisibles et de sons inouïs font de ce troisième volume et des deux précédents, une écoute recommandée pour méditer et goûter la profondeur humaine et esthétique des improvisations en duo d'Urs Leimgruber et ses fidèles amis.
Duo in Concert Derek Bailey Paul Motian Frozen Reeds fr24v
https://frozenreeds.bandcamp.com/album/duo-in-concert
Publié en 2023. J’aurais aimé chroniquer ce Duo In Concert plus tôt. Encore eut-il fallu mettre la main sur ce vinyle plus tôt. Enregistré au Jazz Marathon de Groningen le 7 décembre 1990, ce concert réparti sur les deux faces du vinyle est tout à fait remarquable 35:28 qui court aussi sur la face B suivie d’un encore de 9’. Un autre concert à NYC en 1991 est proposé en digital sur le site de Frozen Reeds et j’ai bien trouvé le code pour le téléchargement dans la pochette. C’est vers cette époque que Derek Bailey a commencé à être invité avec des improvisateurs jazz et des batteurs comme Jack De Johnette, Tony Williams (projets Arcana avec Bill Laswell), le guitariste Pat Metheny ou le saxophoniste Lee Konitz. Sur la pochette du LP, on peut lire un commentaire du guitariste Bill Frisell qui, lui a longtemps joué avec Motian, mais aussi avec John Zorn et George Lewis, des collaborateurs fréquents de Derek Bailey. À l’intérieur de la pochette, on trouve un feuille insérée qui contient une conversation des guitaristes Henry Kaiser et Bill Frisell, à nouveau. Ceux-ci soulignent que Paul Motian était alors très concentré sur son groupe (le trio avec Bill Frisell et Joe Lovano, parfois augmenté d’autres artistes) et n’était pas intéressé de jouer en « sideman » ou de rencontrer d’autres artistes. Mais il fut alors très content à l’idée de jouer avec Derek Bailey. Il faut dire que même si Derek Bailey a un tout autre univers musical, ses nombreuses collaborations avec des « grands » du jazz contemporain tels qu’ Anthony Braxton, Steve Lacy, David Holland, George Lewis, Kenny Wheeler, leurs commentaires enthousiastes et son évidente inventivité virtuose ont du éveiller l’intérêt de nombreux musiciens d’envergure. Ce duo est en tout point excellent et excellemment joué et entendre un drumming aussi swinguant que subtilement et délicatement polyrythmique face au style particulier de Derek Bailey est tout à fait réjouissant. Dans le jeu et les sonorités de Paul Motian, on ressent clairement les rudiments et l’élégance issues de la pratique des pères de la batterie jazz comme Papa Jo Jones et Kenny Clarke. Le jeu de guitare de Derek est étincelant, zig-zagant et tournoyant obliquement dans les infinis dédales dodécaphoniques ou sériels et ces intervalles extravagants où pointent ces harmoniques brefs ou lancinants d’une justesse absolue. Dans la poursuite du concert, après avoir chacun développé longuement leurs idées et réagit à celles de l’autre, on entend le drumming libre, mais contenu, de Motian dilater, décaler et se métamorphoser en implosions des pulsations vers une polyrythmie plus anarchique et réjouissante. Le guitariste facétieux se met alors à cisailler les cordes suramplifiées en augmentant le volume avec un effet légèrement « destroy », avec un certaine goguenardise. J’apprécie beaucoup cet album et je pense que les enregistrements de Bailey des années de la deuxième partie des seventies, des années 80 et début 90 donnent un excellent éclairage de son travail. On a l’embarras du choix avec le guitariste : il y a beaucoup d’excellents albums en solo, duo ou trio, et si un acheteur doit se limiter à quelques disques pris au hasard de leur disponibilité, il sera rarement déçu et très très souvent enthousiaste.
C’est le cas de ce Duo In Concert, même si je préférais un album complet en duo avec les percussionnistes Paul Lovens, Paul Lytton et Roger Turner avec qui Derek Bailey n’a jamais enregistré d’album, même s’il y a un court morceau avec Lovens sur Idyllen Und Katastrophen (LP Po Torch) et un album digital récent Im Podewil par Lovens – Bailey – Jon Rose datant de la même période. Je plonge maintenant sur leur concert de NYC 1991 publié en digital et qui s'avère tout aussi excellent, mais avec une qualité d'enregistrement nettement moins réussie, malheureusement.
P.S. Comme me l'a fait remarquer verbalement mon défunt ami et guitariste John Russell (celui-ci a été un élève "technique" de D.B. au début des années 70), le jeu multiforme de Derek Bailey est, entre autres, basé sur les positions de la main gauche des accords de guitare jazz évolués (be-bop, George Van Eps, etc...) et les harmonies développées par Bill Evans, qu'il modifie et altère par de subtils déplacements de doigts pour atteindre des constructions harmoniques dodécaphoniques. Simultanément, il ajoute des changements de volume grâce à deux, puis une, pédale(s) de volume, des harmoniques,des pressions des cordes derrière le chevalet. On ajoute à cela une rythmique d'une précision diabolique et un maniement d'expert de plectres qu'il fabriquait lui-même avec de la résine. Mon ami Daniel Thompson qui a repris cette technique de fabrication de plectres et quelques items de D.B. pourrait expliquer ceci avec précision.
John Edwards & Daniel Thompson Where the Butterflies Go. Earshots EAR027
https://earshots.bandcamp.com/album/where-the-butterflies-go
On a entendu ces deux musiciens, le contrebassiste John Edwards et le guitariste Daniel Thompson, dans le Runcible Quintet avec le saxophoniste Adrian Northover, le flûtiste Neil Metcalfe et le percussionniste Marcello Magliocchi dans une succession de compacts aussi volatiles et métamorphiques les uns que les autres. Les retrouver en duo est une belle surprise pour voir jusqu’où les papillons vont ou s'envolent. Daniel Thompson a évolué dans le sillage de son ami John Russell, lui-même compagnon d’Edwards et Evan Parker dans un excellent trio acoustique. En effet, Daniel Thompson ne joue de la guitare qu’acoustique sans amplification ni effet. Tout est dans les doigts et les plectres : il utilise des plectres de feu Derek Bailey, mais il développe une autre approche, pointilliste, arachnéenne, grouillante, des boucles de notes obstinées ou des griffures métalliques. Derek avait un style très typé et aisément reconnaissable, un système atonal et mélodique très personnel même s’il était aussi un explorateur de sonorités en diable. L’univers de Daniel Thompson est plus instantané, polymorphe, basé sur l’imagination et l’imaginaire et pas toujours reconnaissable d’un enregistrement à l’autre. Son collègue est sans doute le contrebassiste de prédilection d’un grand nombre d’improvisateurs d’envergure et de poids lourds du free-jazz. Mais John Edwards aime aussi à naviguer et s’égarer dans les méandres et eaux troubles de l’improvisation totale. On retiendra de lui une énergie phénoménale à faire vibrer la contrebasse, sa carcasse boisée, les cordes sur la touche, et actionner l’archet sur toutes les directions possibles. Ses pizzicatos sont puissants, charnels, vibratiles, résonnants, sourds ou bruissants. Les deux ensemble en duo devient un parfait régal, une foire, une dérive poétique, un idéal de musique improvisée sans souffleurs criants, sans batterie crépitantes, sans amplis saturés, mais une intrigante histoire de cordes coordonnées dans l’anarchie et un lâcher prise sans retour. On n’a pas fini de découvrir indéfiniment une combinatoire exponentielle d’éléments sonores, bruitistes, fragmentaires, de chassés-croisés courses-poursuites sans résolution finale. Ou simplement un sens de la respiration de notes vibrantes égrenées en toute quiétude et s'enchaînant remarquablement avec un sixième sens, celui des formes musicales évidentes (en 3). Quatre Pièces pour chaque saison : For Summer, For Autumn, For Winter, For Spring. Earshots Recordings (le tromboniste Edward Lucas) vient d’ajouter une page remarquable à son catalogue.
https://creativeworksrecords.jimdoweb.com/
Troisième mouture des duos du saxophoniste Urs Leimgruber au saxophone soprano publiée par Creative Works en compagnie de ses camarades du groupe OM, le bassiste Bobby Burri et du guitariste électrique Christy Doran, du percussionniste Fritz Hauser, lui aussi un vieux compagnon et d’une nouvelle venue dans l’univers d’Urs, l’accordéoniste Tizia Zimmermann. Pour rappel les coffrets AIR VOL.1 comportait des duos avec Gerry Hemingway, Hans Peter Pfamatter, Jacques Demierre et le VOL.2 des duos avec Joëlle Léandre, Magda Mayas et Dorothea Schürch. Ce volume 3 est tout aussi méritant que les précédents, le saxophoniste ne se privant pas d’explorer les infinies ressources sonores du saxophone soprano tant au bord du silence qu’aux extrémités des hyper-aigus des harmoniques extrêmes de l’instrument qu’il manie avec autant de contrôle que de dérive aléatoire. On aimera les belles tentatives de dialogues tangentiels avec la contrebasse trafiquée d’effets de Bobby Burri et les contorsions électroniques subtiles de Christy Doran. Dans ces échanges le souffleur fascine par sa poésie sonore zen et ses effets acoustiques avec la colonne d’air, doigtés fourchus, pincements forcenés de l’anche et ce souffle si singulier à la recherche des imperfections transformées en art – sculpture vivante et palpitante de l’air et du son. Le duo avec le percussionniste Fritz Hauser est une excellente confrontation entre le jeu sur les pulsations et les battements rythmiques et les extrêmes du souffle au sax soprano. Pour les deux artistes, il s’agit de créer une interaction oblique entre deux conceptions différentes qui aboutit à la fusion dans une démarche bruitiste (en #4) où le frottement des peaux avec une mailloche en caoutchouc évoque la vocalité du saxophone soprano. La matière sonore est devenue ténue, vibratile, hiératique et supérieurement épurée et stridente. Dans d’autres plages, les frappes coordonnées du batteur autour de pulsations croisées génèrent des réactions éclatées, déchirantes mais retenues du saxophoniste ou des interventions rêveuses au lyrisme secret. Une belle découverte que la présence de Tizia Zimmermann dans ces Duos, secouant son instrument de souffles à touches qu’est l’accordéon en contorsionnant les sonorités, clusters, bruissements face aux giclées et cris perçants de Leimgruber. L’excellence des Duos, leur spontanéité, la sincérité et la simplicité de la démarche, l’intense recherche de formes imprévisibles et de sons inouïs font de ce troisième volume et des deux précédents, une écoute recommandée pour méditer et goûter la profondeur humaine et esthétique des improvisations en duo d'Urs Leimgruber et ses fidèles amis.
Duo in Concert Derek Bailey Paul Motian Frozen Reeds fr24v
https://frozenreeds.bandcamp.com/album/duo-in-concert
Publié en 2023. J’aurais aimé chroniquer ce Duo In Concert plus tôt. Encore eut-il fallu mettre la main sur ce vinyle plus tôt. Enregistré au Jazz Marathon de Groningen le 7 décembre 1990, ce concert réparti sur les deux faces du vinyle est tout à fait remarquable 35:28 qui court aussi sur la face B suivie d’un encore de 9’. Un autre concert à NYC en 1991 est proposé en digital sur le site de Frozen Reeds et j’ai bien trouvé le code pour le téléchargement dans la pochette. C’est vers cette époque que Derek Bailey a commencé à être invité avec des improvisateurs jazz et des batteurs comme Jack De Johnette, Tony Williams (projets Arcana avec Bill Laswell), le guitariste Pat Metheny ou le saxophoniste Lee Konitz. Sur la pochette du LP, on peut lire un commentaire du guitariste Bill Frisell qui, lui a longtemps joué avec Motian, mais aussi avec John Zorn et George Lewis, des collaborateurs fréquents de Derek Bailey. À l’intérieur de la pochette, on trouve un feuille insérée qui contient une conversation des guitaristes Henry Kaiser et Bill Frisell, à nouveau. Ceux-ci soulignent que Paul Motian était alors très concentré sur son groupe (le trio avec Bill Frisell et Joe Lovano, parfois augmenté d’autres artistes) et n’était pas intéressé de jouer en « sideman » ou de rencontrer d’autres artistes. Mais il fut alors très content à l’idée de jouer avec Derek Bailey. Il faut dire que même si Derek Bailey a un tout autre univers musical, ses nombreuses collaborations avec des « grands » du jazz contemporain tels qu’ Anthony Braxton, Steve Lacy, David Holland, George Lewis, Kenny Wheeler, leurs commentaires enthousiastes et son évidente inventivité virtuose ont du éveiller l’intérêt de nombreux musiciens d’envergure. Ce duo est en tout point excellent et excellemment joué et entendre un drumming aussi swinguant que subtilement et délicatement polyrythmique face au style particulier de Derek Bailey est tout à fait réjouissant. Dans le jeu et les sonorités de Paul Motian, on ressent clairement les rudiments et l’élégance issues de la pratique des pères de la batterie jazz comme Papa Jo Jones et Kenny Clarke. Le jeu de guitare de Derek est étincelant, zig-zagant et tournoyant obliquement dans les infinis dédales dodécaphoniques ou sériels et ces intervalles extravagants où pointent ces harmoniques brefs ou lancinants d’une justesse absolue. Dans la poursuite du concert, après avoir chacun développé longuement leurs idées et réagit à celles de l’autre, on entend le drumming libre, mais contenu, de Motian dilater, décaler et se métamorphoser en implosions des pulsations vers une polyrythmie plus anarchique et réjouissante. Le guitariste facétieux se met alors à cisailler les cordes suramplifiées en augmentant le volume avec un effet légèrement « destroy », avec un certaine goguenardise. J’apprécie beaucoup cet album et je pense que les enregistrements de Bailey des années de la deuxième partie des seventies, des années 80 et début 90 donnent un excellent éclairage de son travail. On a l’embarras du choix avec le guitariste : il y a beaucoup d’excellents albums en solo, duo ou trio, et si un acheteur doit se limiter à quelques disques pris au hasard de leur disponibilité, il sera rarement déçu et très très souvent enthousiaste.
C’est le cas de ce Duo In Concert, même si je préférais un album complet en duo avec les percussionnistes Paul Lovens, Paul Lytton et Roger Turner avec qui Derek Bailey n’a jamais enregistré d’album, même s’il y a un court morceau avec Lovens sur Idyllen Und Katastrophen (LP Po Torch) et un album digital récent Im Podewil par Lovens – Bailey – Jon Rose datant de la même période. Je plonge maintenant sur leur concert de NYC 1991 publié en digital et qui s'avère tout aussi excellent, mais avec une qualité d'enregistrement nettement moins réussie, malheureusement.
P.S. Comme me l'a fait remarquer verbalement mon défunt ami et guitariste John Russell (celui-ci a été un élève "technique" de D.B. au début des années 70), le jeu multiforme de Derek Bailey est, entre autres, basé sur les positions de la main gauche des accords de guitare jazz évolués (be-bop, George Van Eps, etc...) et les harmonies développées par Bill Evans, qu'il modifie et altère par de subtils déplacements de doigts pour atteindre des constructions harmoniques dodécaphoniques. Simultanément, il ajoute des changements de volume grâce à deux, puis une, pédale(s) de volume, des harmoniques,des pressions des cordes derrière le chevalet. On ajoute à cela une rythmique d'une précision diabolique et un maniement d'expert de plectres qu'il fabriquait lui-même avec de la résine. Mon ami Daniel Thompson qui a repris cette technique de fabrication de plectres et quelques items de D.B. pourrait expliquer ceci avec précision.
John Edwards & Daniel Thompson Where the Butterflies Go. Earshots EAR027
https://earshots.bandcamp.com/album/where-the-butterflies-go
On a entendu ces deux musiciens, le contrebassiste John Edwards et le guitariste Daniel Thompson, dans le Runcible Quintet avec le saxophoniste Adrian Northover, le flûtiste Neil Metcalfe et le percussionniste Marcello Magliocchi dans une succession de compacts aussi volatiles et métamorphiques les uns que les autres. Les retrouver en duo est une belle surprise pour voir jusqu’où les papillons vont ou s'envolent. Daniel Thompson a évolué dans le sillage de son ami John Russell, lui-même compagnon d’Edwards et Evan Parker dans un excellent trio acoustique. En effet, Daniel Thompson ne joue de la guitare qu’acoustique sans amplification ni effet. Tout est dans les doigts et les plectres : il utilise des plectres de feu Derek Bailey, mais il développe une autre approche, pointilliste, arachnéenne, grouillante, des boucles de notes obstinées ou des griffures métalliques. Derek avait un style très typé et aisément reconnaissable, un système atonal et mélodique très personnel même s’il était aussi un explorateur de sonorités en diable. L’univers de Daniel Thompson est plus instantané, polymorphe, basé sur l’imagination et l’imaginaire et pas toujours reconnaissable d’un enregistrement à l’autre. Son collègue est sans doute le contrebassiste de prédilection d’un grand nombre d’improvisateurs d’envergure et de poids lourds du free-jazz. Mais John Edwards aime aussi à naviguer et s’égarer dans les méandres et eaux troubles de l’improvisation totale. On retiendra de lui une énergie phénoménale à faire vibrer la contrebasse, sa carcasse boisée, les cordes sur la touche, et actionner l’archet sur toutes les directions possibles. Ses pizzicatos sont puissants, charnels, vibratiles, résonnants, sourds ou bruissants. Les deux ensemble en duo devient un parfait régal, une foire, une dérive poétique, un idéal de musique improvisée sans souffleurs criants, sans batterie crépitantes, sans amplis saturés, mais une intrigante histoire de cordes coordonnées dans l’anarchie et un lâcher prise sans retour. On n’a pas fini de découvrir indéfiniment une combinatoire exponentielle d’éléments sonores, bruitistes, fragmentaires, de chassés-croisés courses-poursuites sans résolution finale. Ou simplement un sens de la respiration de notes vibrantes égrenées en toute quiétude et s'enchaînant remarquablement avec un sixième sens, celui des formes musicales évidentes (en 3). Quatre Pièces pour chaque saison : For Summer, For Autumn, For Winter, For Spring. Earshots Recordings (le tromboniste Edward Lucas) vient d’ajouter une page remarquable à son catalogue.
16 septembre 2025
Ivo Perelman Nate Wooley Matt Moran Mark Helias Tom Rainey/ Barry Guy London Jazz Composers Orchestra/ Charlemagne Palestine & Seppe Gebruers/ Gabriele Cancelli Lori Freedman Stefano Giust Giorgio Pacorig Paolo Pascoli
A Modicum of Blues Ivo Perelman Nate Wooley Matt Moran Mark Helias Tom Rainey Fundaja Sluchaj 
https://sluchaj.bandcamp.com/album/a-modicum-of-blues
Ivo Perelman, Mark Helias et Tom Rainey ont gravé il y a quelques années un album très réussi pour Fundacja Sluchaj : Truth Seeker. Dans cet album Ivo Perelman nous a fait entendre la transformation – mutation de sa sonorité au saxophone ténor, à la fois plus liquide, plus sensuelle, et d’une merveilleuse profondeur d’expression. Depuis trois décennies, il pratique l’improvisation totale spontanée (pas de compositions, thèmes, grilles d’accords) dans l’instant avec des collègues de confiance. Il a aussi souvent joué et enregistré avec le trompettiste Nate Wooley en duo et en groupe et le vibraphoniste Matt Moran. Ce Modicum of the Blues en quintet permet à la musique initiale du trio (ou des duos), de se diversifier, de construire des interactions confluentes, pointillistes (début de n°1) ou alternées entre chacun des musiciens. Il n’y a donc pas de solistes à proprement parler mais des alternances ou imbrications de dialogues fructueux où un ou deux ou trois des improvisateurs s’arrêtent de jouer pour laisser les autres créer leurs connivences. Les paysages sonores et les perspectives expressives, la dynamique sont en perpétuelle évolution avec cette qualité intrinsèque des pulsations qu’est le swing, suggéré par des allusions gestuelles plutôt que souligné et appuyé. Cette musique est pleine d’émotions, de tensions, de tendresses ou de fureurs et déchirements, d’apaisements et de moments lucides en suspension. On travaille autant à l’économie que dans l’ébullition de notes éclatées, étirées, torrentielles un bref instant … Et le blues pointe dans le n° 4, de manière cool. Chacun apporte sa contribution au moment le mieux choisi. On adore les sonorités expressives exacerbées, bruissantes ou soulful de Nate Wooley qui asticote son embouchure et ses pistons autant qu’il maîtrise le language du jazz. Le timbre sensuel qui fleure bon la saudade brésilienne d’Ivo Perelman, ses gammes particulières hors des intervalles classiques, les harmoniques étirées au-delà du registre aigu du ténor, les sons tour à tour mordants et brûlants, veloutés et soyeux, vocalisés et inimitables, ses glissandi si personnels. Un Ayler cool ou un Shepp réfléchi. Le contrebassiste Mark Helias joue tous les rôles changeant l’humeur de son jeu, le son boisé de la contrebasse vibrant dans l’âme de ce gros violon et sur la touche avec des pizzicatos puissants, sereins ou lyriques qui peuvent s’emporter sous la houlette de ce fin batteur qu’est Tom Rainey. Si celui-ci ne s’affiche pas comme un free-drummer, sa palette et son sens inné du rythme passent par bien des occurrences rythmiques volatiles avec une très grande finesse. De grandes qualités de jazzman à la batterie qu’il met adroitement au service d’une musique libre. Vous ajoutez à cela un partenaire subtil et original comme le vibraphoniste Matt Moran dont le mérite principal est de s’insérer à bon escient dans les échanges avec de très bonnes idées et une sonorité, un toucher étincelant sur les lamelles vibrantes du vibraphone. On retrouve d’ailleurs Moran, Perelman et Wooley dans Seven Skies Orchestra pour le même label Fundacja Sluchaj avec Mat Maneri, Joe Morris et Fred Lonberg-Holm, un sextet qui pratique avec le même bonheur ces échanges improvisés avec le même talent collectif sans le moindre raté (double CD).
Si vous avez déjà entendu ces musiciens sur d’autres albums et que leurs musiques vous a convaincu, vous ne serez pas déçu un instant par leurs merveilleuses improvisations collectives, même si le nombre de publications de Perelman, Wooley, Helias ou Rainey a de quoi effrayer celui qui recherche le « maître-achat », surtout si leurs compacts s’empilent déjà sur votre étagère. Mais si vous êtes tenté et peu au fait de leur musique free, n’hésitez pas, c’est du meilleur principalement pour la haute qualité d’interaction collective qui magnifie toutes les qualités de ces artistes.
Harmos – Krakow Barry Guy London Jazz Composers Orchestra Maya Recordings. Maya CD2501
https://mayarecordings.bandcamp.com/album/harmos-krak-w
Barry Guy - bass, director Agustí Fernández – piano , Michael Niesemann - alto saxophone, Torben Snekkestad - tenor & soprano saxophone, Jürg Wickihalder - alto saxophone, Simon Picard - tenor saxophone, Julius Gabriel - baritone saxophone, Konrad Bauer – trombone, Andreas Tschopp – trombone, Alan Tomlinson - trombone, Henry Lowther – trumpet, Martin Eberle – trumpet, Rich Laughlin – trumpet, Marc Unternährer – tuba, Phil Wachsmann – violin, Bruno Chevillon – bass, Lucas Niggli - drums, percussion.
Si le London Jazz Composers Orchestra de Barry Guy était initialement une composante majeure de la scène improvisée londonienne dans les années 70, simplement parce que l’orchestre à sa naissance réunissait la quintessence des improvisateurs radicaux d’alors : Derek Bailey, Evan Parker, Trevor Watts, Paul Rutherford, Howard Riley, Tony Oxley, Paul Lytton, puis Phil Wachsmann. Quand Barry Guy fit revivre son LJCO dans les années 80 et enregistra plusieurs albums pour le label Intakt à Zurich, Anthony Braxton fut son premier invité et co-leader (Zürich Concerts 1988). Avec un personnel renouvelé comprenant rien moins que Barre Phillips, deux saxophonistes ténor « free-jazz » de très haute tenue, Paul Dunmall et Simon Picard, le sax alto de Pete McPhail, des trombonistes radicaux comme Radu Malfatti et Alan Tomlinson, le trompettiste de studio et de jazz Henry Lowther et son collègue Jon Corbett, le cornet de Marc Charig et Steve Wick au tuba, des poids lourds comme Evan Parker, Trevor Watts, Paul Rutherford, Howard Riley, Philipp Wachsmann, Paul Lytton assurant la continuité du projet. C’est alors que la première version d’Harmos fut enregistrée (Intakt CD 013 1989) La musique s’est clairement orientée dans une synthèse – coexistence de courants : improvisations libres, jazz contemporain free « risqué », architecture – formes issues de la musique classique contemporaine avec une alternance de solos, duos et passages improvisés et de mouvements concertés, masses sonores changeantes sauvages ou raffinées, de thèmes mélodiques savamment structurés inspirés par l’expérience de Duke Ellington ou celle de Gil Evans avec un sens de la structure. Guy, n’est-il pas un architecte de formation ? Harmos est une œuvre majeure de Guy, un canevas type mobile, une méthode cohérente pour créer une musique syncrétique. Sans nul doute on peut dire que le LJCO est l’orchestre de free-jazz par excellence, free-jazz dans le sens où le compositeur exploite tout ce qui est bon à prendre du passé, du présent en envisageant le futur. Peu importe à Guy, les discussions sémantiques sur l’improvisation libre ou non-idiomatique, c’est un musicien visionnaire qui fut un interprète pointu d’œuvres contemporaines pour contrebasse et de musique baroque au plus haut niveau.
Pour cette nouvelle version repensée d’Harmos - Krakow et comme il vit en Suisse depuis plusieurs années, le LJCO s’est étoffé de musiciens suisses avec qui Barry Guy travaille : le saxophoniste Jürg Wickihalder, le batteur Lucas Niggli, le tubiste Marc Unternährer, le tromboniste Andreas Tschopp, …. La musique de Harmos est devenue plus joyeuse, chaloupée, presque festive. Mais quelle musique ! Elle suscite des émotions, des impressions, elle nous fait entendre des structures complexes et imbriquées avec beaucoup de naturel, apporte une nourriture pour l’esprit, et parlera autant aux amateurs de musique post-classique vingtiémiste (Bartok – Stravinsky), de jazz contemporain, ou à ceux qui ont intégré amoureusement les avancées d’Ellington et de Mingus et surtout pour tous les fans qui sont ouverts aux dérapages spontanés ou organisés du free-jazz de haute volée. Un orchestre exceptionnel.
Charlemagne Palestine & Seppe Gebruers Beyondddddd the Notessssss Konnekt CD
https://charlemagnepalestineseppegebruers.bandcamp.com/album/beyondddddd-the-notessssss
Le légendaire pionnier du piano d’avant-garde Charlemagne Palestine fit un jour un concert mémorable au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles (l’actuel Bozar) vers 1976. J’en fus informé par un client d’un antique disquaire d’occasion, « Le Pied », là où je commençais à acheter mes premiers disques de « free-jazz » (en fait, c’était d’abord à Pêle-Mêle). Qui aurait dit à l’époque que Charlemagne Palestine allait s’établir ici, à Bruxelles et travailler avec un jeune pianiste innovateur digne du grand Fred Van Hove, disparu aujourd’hui ? J’ai assisté à un concert hors du commun donné par ces deux pianistes à Gand : ils jouaient en duo avec quatre pianos accordés en quart de ton. Fascinant ! Seppe Gebruers venait alors de publier un album OVNI « Standards » fait de trois CD’s bourrés de Standards (de jazz) ou … de leurs fantômes en jouant de deux pianos accordés au quart de ton (label Negocito). Je pense bien qu’il a lu ma chronique de cet album. J’avais fait remarquer que la sonorité du piano au quart de ton est marquée par des résonnances nettement métalliques, des vibrations un peu ferrailleuses. Dans ce nouvel album, Beyondddddd the Notessss, leur jeu respectif est plus perlé, introverti, l’écoulement des notes est plus aéré, fluide, liquide même. Trois parties de 21:00, 13:31, 5 :49. Question ces chiffres ont-ils une signification dans le cadre de cette œuvre remarquable ? Curieusement le jeu sombre dans les graves du n°2, évite ces vibrations trop métalliques et flotte comme un nuage bruissant avant de tournoyer en ostinato pour muter dans des doigtés délicats en vagues répétitives. La communication sensorielle et musicale des deux artistes est optimale. On croit entendre un seul musicien tant leurs notes et doigtés à quatre mains s’interpénètrent en un seul flux suspendu dans un espace dilaté, un mouvement subtil d’ondes et de vagues sonores où règne l’art ultime de la dissonance, de la friction d’ intervalles étrangement croisés soit étirés ou réduits et cette qualité de toucher cristalline qui peut se transformer en martèlement obsessionnel ou en un violent orage. Cette pièce de 13 :31 évolue comme un prodige avec différents mouvements qui s’enchaînent avec une véritable maîtrise. On entre dans le champ ouvert de la microtonalité, un concept adaptable à diverses démarches musicales et instrumentales, dont cet album est une manifestation insigne. Des mélodies issues de l’inconnu, une sensibilité mutante. Il s’agit d’une expérience d’audition incontournable pour quiconque désire découvrir des musiques autres, alternatives, secrètes, inouïes.
A Life in The Day Of Gabriele Cancelli Lori Freedman Stefano Giust Giorgio Pacorig Paolo Pascoli Setola di Maiale
https://www.setoladimaiale.net/catalogue/view/SM4950
Quintet de musique libre enregistré à l’Arsenale Jazz House, Cividale del Friulo le 16 octobre 2024 rassemblant d’une part, le tandem piano – percussions de Giorgio Pacorig et Stefano Giust et d’autre part, trois souffleurs, le trompettiste Gabriele Cancelli, la clarinettiste basse Lori Freedman et le flûtiste Paolo Pascolo. Les quatre musiciens italiens travaillent souvent ensemble, la clarinettiste canadienne Lori Freedman complétant le groupe dans le registre grave. En effet, si on peut qualifier leur musique de free « free-jazz » spontané sans thèmes, l’absence de contrebasse qui éloigne le groupe du « free-jazz » formaté crée un espace de liberté pour la clarinette basse, même si Freedman n’hésite pas à faire éclater sa colonne d’air, tailladant les aigus, grognant les graves, Deux longues suites de plus de 27 minutes improvisées collectivement d’une traite sont intitulées A Life In The Day Part I et Part II. Les musiciens créent instantanément une composition évolutive avec de multiples paysages, différents niveaux de tensions, d’écoute et d’initiatives individuelles excellemment alternées, contournées, convergentes ou contrastées. La trompette de Gabriele Cancelli, s’envole, la flûte de Paolo Pascoli musarde, la clarinette basse de Lori Freedman s’enfonce dans les sous-bois pour surgir inopinément. Le percussionniste Stefano Giust à qui on doit un superbe cd duo « Cosi Com’è » avec le pianiste Giorgio Pacorig (Setola di Maiale 2023), surprendra plusieurs fois l’auditoire : son free drumming enchaîne une cascade de ricochets sonores truffés de sonorités recherchées, micro frappes en rafales, accélérations subites… Vous savez, la tendance Paul Lovens, Roger Turner. Pacorig est à l’écoute en action-réaction ou en créant un fil conducteur dans ces mouvements collectivement improvisés et dérivants au fil des vagues, ressacs et ondulations. Cette fructueuse collaboration bonifie les talents individuels validant une belle musique de groupe sans doute réuni pour l’occasion. Et une belle occasion transformée en belle œuvre spontanée et … mûrement réfléchie dans l’instant. Chaoeau enncore pour la ténacité de producteur de Stefano Giust pour son label Setola di Maiale, un des meilleurs qui existent pour la cause de notre musique d'improvisation et expérimentale.
https://sluchaj.bandcamp.com/album/a-modicum-of-blues
Ivo Perelman, Mark Helias et Tom Rainey ont gravé il y a quelques années un album très réussi pour Fundacja Sluchaj : Truth Seeker. Dans cet album Ivo Perelman nous a fait entendre la transformation – mutation de sa sonorité au saxophone ténor, à la fois plus liquide, plus sensuelle, et d’une merveilleuse profondeur d’expression. Depuis trois décennies, il pratique l’improvisation totale spontanée (pas de compositions, thèmes, grilles d’accords) dans l’instant avec des collègues de confiance. Il a aussi souvent joué et enregistré avec le trompettiste Nate Wooley en duo et en groupe et le vibraphoniste Matt Moran. Ce Modicum of the Blues en quintet permet à la musique initiale du trio (ou des duos), de se diversifier, de construire des interactions confluentes, pointillistes (début de n°1) ou alternées entre chacun des musiciens. Il n’y a donc pas de solistes à proprement parler mais des alternances ou imbrications de dialogues fructueux où un ou deux ou trois des improvisateurs s’arrêtent de jouer pour laisser les autres créer leurs connivences. Les paysages sonores et les perspectives expressives, la dynamique sont en perpétuelle évolution avec cette qualité intrinsèque des pulsations qu’est le swing, suggéré par des allusions gestuelles plutôt que souligné et appuyé. Cette musique est pleine d’émotions, de tensions, de tendresses ou de fureurs et déchirements, d’apaisements et de moments lucides en suspension. On travaille autant à l’économie que dans l’ébullition de notes éclatées, étirées, torrentielles un bref instant … Et le blues pointe dans le n° 4, de manière cool. Chacun apporte sa contribution au moment le mieux choisi. On adore les sonorités expressives exacerbées, bruissantes ou soulful de Nate Wooley qui asticote son embouchure et ses pistons autant qu’il maîtrise le language du jazz. Le timbre sensuel qui fleure bon la saudade brésilienne d’Ivo Perelman, ses gammes particulières hors des intervalles classiques, les harmoniques étirées au-delà du registre aigu du ténor, les sons tour à tour mordants et brûlants, veloutés et soyeux, vocalisés et inimitables, ses glissandi si personnels. Un Ayler cool ou un Shepp réfléchi. Le contrebassiste Mark Helias joue tous les rôles changeant l’humeur de son jeu, le son boisé de la contrebasse vibrant dans l’âme de ce gros violon et sur la touche avec des pizzicatos puissants, sereins ou lyriques qui peuvent s’emporter sous la houlette de ce fin batteur qu’est Tom Rainey. Si celui-ci ne s’affiche pas comme un free-drummer, sa palette et son sens inné du rythme passent par bien des occurrences rythmiques volatiles avec une très grande finesse. De grandes qualités de jazzman à la batterie qu’il met adroitement au service d’une musique libre. Vous ajoutez à cela un partenaire subtil et original comme le vibraphoniste Matt Moran dont le mérite principal est de s’insérer à bon escient dans les échanges avec de très bonnes idées et une sonorité, un toucher étincelant sur les lamelles vibrantes du vibraphone. On retrouve d’ailleurs Moran, Perelman et Wooley dans Seven Skies Orchestra pour le même label Fundacja Sluchaj avec Mat Maneri, Joe Morris et Fred Lonberg-Holm, un sextet qui pratique avec le même bonheur ces échanges improvisés avec le même talent collectif sans le moindre raté (double CD).
Si vous avez déjà entendu ces musiciens sur d’autres albums et que leurs musiques vous a convaincu, vous ne serez pas déçu un instant par leurs merveilleuses improvisations collectives, même si le nombre de publications de Perelman, Wooley, Helias ou Rainey a de quoi effrayer celui qui recherche le « maître-achat », surtout si leurs compacts s’empilent déjà sur votre étagère. Mais si vous êtes tenté et peu au fait de leur musique free, n’hésitez pas, c’est du meilleur principalement pour la haute qualité d’interaction collective qui magnifie toutes les qualités de ces artistes.
Harmos – Krakow Barry Guy London Jazz Composers Orchestra Maya Recordings. Maya CD2501
https://mayarecordings.bandcamp.com/album/harmos-krak-w
Barry Guy - bass, director Agustí Fernández – piano , Michael Niesemann - alto saxophone, Torben Snekkestad - tenor & soprano saxophone, Jürg Wickihalder - alto saxophone, Simon Picard - tenor saxophone, Julius Gabriel - baritone saxophone, Konrad Bauer – trombone, Andreas Tschopp – trombone, Alan Tomlinson - trombone, Henry Lowther – trumpet, Martin Eberle – trumpet, Rich Laughlin – trumpet, Marc Unternährer – tuba, Phil Wachsmann – violin, Bruno Chevillon – bass, Lucas Niggli - drums, percussion.
Si le London Jazz Composers Orchestra de Barry Guy était initialement une composante majeure de la scène improvisée londonienne dans les années 70, simplement parce que l’orchestre à sa naissance réunissait la quintessence des improvisateurs radicaux d’alors : Derek Bailey, Evan Parker, Trevor Watts, Paul Rutherford, Howard Riley, Tony Oxley, Paul Lytton, puis Phil Wachsmann. Quand Barry Guy fit revivre son LJCO dans les années 80 et enregistra plusieurs albums pour le label Intakt à Zurich, Anthony Braxton fut son premier invité et co-leader (Zürich Concerts 1988). Avec un personnel renouvelé comprenant rien moins que Barre Phillips, deux saxophonistes ténor « free-jazz » de très haute tenue, Paul Dunmall et Simon Picard, le sax alto de Pete McPhail, des trombonistes radicaux comme Radu Malfatti et Alan Tomlinson, le trompettiste de studio et de jazz Henry Lowther et son collègue Jon Corbett, le cornet de Marc Charig et Steve Wick au tuba, des poids lourds comme Evan Parker, Trevor Watts, Paul Rutherford, Howard Riley, Philipp Wachsmann, Paul Lytton assurant la continuité du projet. C’est alors que la première version d’Harmos fut enregistrée (Intakt CD 013 1989) La musique s’est clairement orientée dans une synthèse – coexistence de courants : improvisations libres, jazz contemporain free « risqué », architecture – formes issues de la musique classique contemporaine avec une alternance de solos, duos et passages improvisés et de mouvements concertés, masses sonores changeantes sauvages ou raffinées, de thèmes mélodiques savamment structurés inspirés par l’expérience de Duke Ellington ou celle de Gil Evans avec un sens de la structure. Guy, n’est-il pas un architecte de formation ? Harmos est une œuvre majeure de Guy, un canevas type mobile, une méthode cohérente pour créer une musique syncrétique. Sans nul doute on peut dire que le LJCO est l’orchestre de free-jazz par excellence, free-jazz dans le sens où le compositeur exploite tout ce qui est bon à prendre du passé, du présent en envisageant le futur. Peu importe à Guy, les discussions sémantiques sur l’improvisation libre ou non-idiomatique, c’est un musicien visionnaire qui fut un interprète pointu d’œuvres contemporaines pour contrebasse et de musique baroque au plus haut niveau.
Pour cette nouvelle version repensée d’Harmos - Krakow et comme il vit en Suisse depuis plusieurs années, le LJCO s’est étoffé de musiciens suisses avec qui Barry Guy travaille : le saxophoniste Jürg Wickihalder, le batteur Lucas Niggli, le tubiste Marc Unternährer, le tromboniste Andreas Tschopp, …. La musique de Harmos est devenue plus joyeuse, chaloupée, presque festive. Mais quelle musique ! Elle suscite des émotions, des impressions, elle nous fait entendre des structures complexes et imbriquées avec beaucoup de naturel, apporte une nourriture pour l’esprit, et parlera autant aux amateurs de musique post-classique vingtiémiste (Bartok – Stravinsky), de jazz contemporain, ou à ceux qui ont intégré amoureusement les avancées d’Ellington et de Mingus et surtout pour tous les fans qui sont ouverts aux dérapages spontanés ou organisés du free-jazz de haute volée. Un orchestre exceptionnel.
Charlemagne Palestine & Seppe Gebruers Beyondddddd the Notessssss Konnekt CD
https://charlemagnepalestineseppegebruers.bandcamp.com/album/beyondddddd-the-notessssss
Le légendaire pionnier du piano d’avant-garde Charlemagne Palestine fit un jour un concert mémorable au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles (l’actuel Bozar) vers 1976. J’en fus informé par un client d’un antique disquaire d’occasion, « Le Pied », là où je commençais à acheter mes premiers disques de « free-jazz » (en fait, c’était d’abord à Pêle-Mêle). Qui aurait dit à l’époque que Charlemagne Palestine allait s’établir ici, à Bruxelles et travailler avec un jeune pianiste innovateur digne du grand Fred Van Hove, disparu aujourd’hui ? J’ai assisté à un concert hors du commun donné par ces deux pianistes à Gand : ils jouaient en duo avec quatre pianos accordés en quart de ton. Fascinant ! Seppe Gebruers venait alors de publier un album OVNI « Standards » fait de trois CD’s bourrés de Standards (de jazz) ou … de leurs fantômes en jouant de deux pianos accordés au quart de ton (label Negocito). Je pense bien qu’il a lu ma chronique de cet album. J’avais fait remarquer que la sonorité du piano au quart de ton est marquée par des résonnances nettement métalliques, des vibrations un peu ferrailleuses. Dans ce nouvel album, Beyondddddd the Notessss, leur jeu respectif est plus perlé, introverti, l’écoulement des notes est plus aéré, fluide, liquide même. Trois parties de 21:00, 13:31, 5 :49. Question ces chiffres ont-ils une signification dans le cadre de cette œuvre remarquable ? Curieusement le jeu sombre dans les graves du n°2, évite ces vibrations trop métalliques et flotte comme un nuage bruissant avant de tournoyer en ostinato pour muter dans des doigtés délicats en vagues répétitives. La communication sensorielle et musicale des deux artistes est optimale. On croit entendre un seul musicien tant leurs notes et doigtés à quatre mains s’interpénètrent en un seul flux suspendu dans un espace dilaté, un mouvement subtil d’ondes et de vagues sonores où règne l’art ultime de la dissonance, de la friction d’ intervalles étrangement croisés soit étirés ou réduits et cette qualité de toucher cristalline qui peut se transformer en martèlement obsessionnel ou en un violent orage. Cette pièce de 13 :31 évolue comme un prodige avec différents mouvements qui s’enchaînent avec une véritable maîtrise. On entre dans le champ ouvert de la microtonalité, un concept adaptable à diverses démarches musicales et instrumentales, dont cet album est une manifestation insigne. Des mélodies issues de l’inconnu, une sensibilité mutante. Il s’agit d’une expérience d’audition incontournable pour quiconque désire découvrir des musiques autres, alternatives, secrètes, inouïes.
A Life in The Day Of Gabriele Cancelli Lori Freedman Stefano Giust Giorgio Pacorig Paolo Pascoli Setola di Maiale
https://www.setoladimaiale.net/catalogue/view/SM4950
Quintet de musique libre enregistré à l’Arsenale Jazz House, Cividale del Friulo le 16 octobre 2024 rassemblant d’une part, le tandem piano – percussions de Giorgio Pacorig et Stefano Giust et d’autre part, trois souffleurs, le trompettiste Gabriele Cancelli, la clarinettiste basse Lori Freedman et le flûtiste Paolo Pascolo. Les quatre musiciens italiens travaillent souvent ensemble, la clarinettiste canadienne Lori Freedman complétant le groupe dans le registre grave. En effet, si on peut qualifier leur musique de free « free-jazz » spontané sans thèmes, l’absence de contrebasse qui éloigne le groupe du « free-jazz » formaté crée un espace de liberté pour la clarinette basse, même si Freedman n’hésite pas à faire éclater sa colonne d’air, tailladant les aigus, grognant les graves, Deux longues suites de plus de 27 minutes improvisées collectivement d’une traite sont intitulées A Life In The Day Part I et Part II. Les musiciens créent instantanément une composition évolutive avec de multiples paysages, différents niveaux de tensions, d’écoute et d’initiatives individuelles excellemment alternées, contournées, convergentes ou contrastées. La trompette de Gabriele Cancelli, s’envole, la flûte de Paolo Pascoli musarde, la clarinette basse de Lori Freedman s’enfonce dans les sous-bois pour surgir inopinément. Le percussionniste Stefano Giust à qui on doit un superbe cd duo « Cosi Com’è » avec le pianiste Giorgio Pacorig (Setola di Maiale 2023), surprendra plusieurs fois l’auditoire : son free drumming enchaîne une cascade de ricochets sonores truffés de sonorités recherchées, micro frappes en rafales, accélérations subites… Vous savez, la tendance Paul Lovens, Roger Turner. Pacorig est à l’écoute en action-réaction ou en créant un fil conducteur dans ces mouvements collectivement improvisés et dérivants au fil des vagues, ressacs et ondulations. Cette fructueuse collaboration bonifie les talents individuels validant une belle musique de groupe sans doute réuni pour l’occasion. Et une belle occasion transformée en belle œuvre spontanée et … mûrement réfléchie dans l’instant. Chaoeau enncore pour la ténacité de producteur de Stefano Giust pour son label Setola di Maiale, un des meilleurs qui existent pour la cause de notre musique d'improvisation et expérimentale.
27 août 2025
Derek Bailey & John Stevens / Trance Map+ Evan Parker Matthew Wright Robert Jarvis/ Udo Schindler Erhard Hirt Ove Volquartz
The Duke of Wellington Derek Bailey & John Stevens Confront Records core 52 
https://confrontrecordings.bandcamp.com/album/the-duke-of-wellington
Providentiel ! Les enregistrements parus de Derek Bailey et de John Stevens deviennent « sold out » au fil du temps. Bien qu’ils aient souvent joué ensemble en duos ou trios et au sein du Spontaneous Music Ensemble, leur unique CD précédent en duo est aujourd’hui indisponible (une copie ou deux sur discogs > 25 €) : Playing Incus CD 14. Pour votre info, il y a trois CD’s où Derek et John jouent en trio. « Dynamics of the Impromptu » avec Trevor Watts au sax soprano fut enregistré au Little Theatre Club en 1973/74 (CD label Entropy, réédité par FMR), "Once A Time" avec le contrebassiste Kent Carter (CD Incus 22) et Hello Goodbye (Emanem 4065 1992) où John joue de la batterie au lieu de son mini-kit « SME » et Frode Gjerstad au saxophone alto. Comme tous ces enregistrements sont aujourd’hui indisponibles et au cas où vous n’auriez pas pu les écouter, la démarche vaut vraiment la peine de s’y intéresser pour de multiples raisons et de vous dépêchr prestement si vous voulez acquérir le CD à 300 copies (!). Le concert a été enregistré le 24 mars 1989 au pub The Duke of Wellington, Ball’s Pond Road à Dalston lors d’un concert organisé par the Makeshift Club (Stuart Wilding, Nick Smith et Geoff Collins). L’ingé – son : Michael Gerzon, un génial inventeur de microphones (le Soundfield) et ingénieur acousticien qui a fait avancer la technologie stéréo de Blumlein dans la troisième dimension. Michael Gerzon (1945-1996) est un incontournable scientifique connu pour son travail sur les Ambisonics et l’audio numérique, mais aussi un ami personnel et supporter inconditionnel des improvisateurs londoniens, fortement attaché à l’esprit de ces clubs où tous ces artistes, légendaires ou inconnus (des médias) aimaient à se rencontrer pour le plaisir de jouer et y entretenir leurs sens aigus de la création sans intermédiaires prescripteurs. L’enregistrement live est d’excellente qualité, mais il reproduit aussi les conséquences matérielles et sonores de la mise en place de la mini- batterie de Stevens (SME-kit en jargon musique improvisée British). En effet, comme tous ses contemporains pionniers du free-drumming « européen » (Bennink, Lovens, Lytton, Turner etc..), John Stevens s’était inventé sa propre batterie de percussions..., la sienne, simplissime et adaptée à sa démarche musicale de manière à jouer au même niveau sonore et avec la dynamique voulue face à des collègues qui sculptaient et disséquaient le fonctionnement mécanique de leurs instruments (saxophones, guitares etc…) et l’articulation « atomistique » ou pointilliste de leurs flux sonores. Une caisse claire ou un étroit tambour à une peau, une ou deux cymbales, une mini grosse caisse et un hi-hat avec deux petites cymbales. À l’âge où pas mal de batteurs d’improvisation des nouvelles générations semblent restés « accrochés » aux tics et tocs du batterisme issu de l’apprentissage conventionnel, écouter à nouveau ou carrément découvrir le jeu de John Stevens sera bénéfique. Pas de roulements et de figures, mais un flux de frappes assez diversifiées par leur intensité et jetées en grappes mouvantes, cellules rythmiques atomisées en cadences élastiques et volatiles. On ajoute à ça sa trompette de poche qui surgit inopinément... Dans cet enregistrement, les frappes violentes sur la caisse sont amplifiées sourdement à cause du contact direct des pieds de la batterie sur le sol. Les autres chocs s’égaient eux dans l’espace évoquant une peinture abstraite comme John aimait à créer. Il faisait partie de cette génération de musiciens britanniques formés dans les écoles d’art, tels ses amis Charlie Watts, Terry Day, Keith Rowe, etc… et la pratique des arts graphiques l’a inspiré. Derek Bailey appréciait beaucoup de jouer avec John Stevens si on en juge par leurs nombreux gigs dans le réseau des clubs londoniens et des séries organisées par des bénévoles. Autre témoignage du duo : London 1992-1993 publié par Liam Stefani sur scatter archives.
Pour les amateurs de Derek Bailey, il s’agit d’un album intéressant des années 80's durant lesquelles l’art de l’alors cinquantenaire est arrivé à son apogée créative avant que sa notoriété croissante attire un tas d’autres artistes de jazz, drum n’bass, noise, etc… à collaborer avec lui et que plusieurs de ces projets d’un jour défraient la chronique internationale. Ici, pour celui qui a écouté de près Derek Bailey et ses nombreux enregistrements, on distingue clairement les phases de jeu où il injecte des fragments de morceaux tels qu’on les entend précisément dans d’autres disques ou bien, il réagit à fleur de peau en inventant des réparties cinglantes ou abruptes que vous n’entendrez pas ailleurs. Derek Bailey avait une mémoire très précise d’enchaînements de figures aux intervalles atonaux et aux formes complexes et biscornues, certains ayant été enregistrés et qu’il ressortait au bon moment à une autre occasion. En fait, Derek Bailey est un grand compositeur et en même temps un improvisateur génial. Un de ses meilleurs collègues et pionniers d’envergure m’a un jour dit que Derek Bailey (outre son extraordinaire virtuosité) excellait à jouer complètement différemment de ses interlocuteurs en duo tout en faisant sonner son jeu comme un évident dialogue d’une grande subtilité. Je le décris comme un compositeur suite à l’écoute attentive de ses albums solos tels que Lot 74 Solo Improvisations, Aïda et Notes parus chez Incus entre 1974 et 1986. La face A de Lot 74 (Incus 12), qui dure 22 minutes et semble être une improvisation libre hasardeuse, est quasiment identique à une autre prise de Lot 74 parue dans le CD Incus CD60 « More 74 » en 4 mouvements aux digits de 7 à 10. C’est d’ailleurs indiqué sur la pochette de ce CD. Comme s’il en connaissait la partition par cœur. Un autre indice flagrant : un curieux passage du morceau Niigata Snow paru sur la face B du LP Aïda (Incus 40) entièrement à la guitare acoustique et enregistré à l’ICA le 3 août 1980 se retrouve dans une version très similaire enregistrée par la BBC un peu plus tard et parue dans la réédition vinyle en 2LP du même album qui contient deux morceaux inédits en face C et D. Ce passage paraît assez simple avec son rythme claudiquant/ hésitant et est assez difficile à reproduire avec précision étant joué avec des harmoniques obtenues en bloquant des cordes près du chevalet avec des intervalles dissonants très précis en jouant sur deux ou trois cordes entre le chevalet et le cordier. Il a fallu qu’il répète souvent ce passage pour le mémoriser aussi bien autant que Steve Lacy répétait inlassablement ces enchaînements d’harmoniques au-dessus du registre du sax soprano et ces notes calibrées ultra-précises qui sont à la base du travail de COMPOSITEUR de Steve. Tout ça pour dire : écoutez de très près des improvisateurs de ce calibre aidera quiconque de motivé à comprendre le processus et à se situer. Personnellement, c’est ce qui m’a motivé à trouver ma voie avec la voix. On aime réentendre ces deux copains de toujours se concerter aussi bien en toute spontanéité et batailler comme des chiffonniers pour un lambeau d’éternité.
 
Grounded Abstraction Trance Map+ Evan Parker Matthew Wright Robert Jarvis FMRCD0647-822
Sorry pour le retard, cet album a été publié en 2022, mais le Brexit et les mesures douanières ralentissent le flux des CD’s british vers l’Europe (et …. un envoi égaré !). Depuis l’époque de son imposant Electro Acoustic Ensemble, Evan Parker a réduit ses groupes «électro-acoustiques » à un duo « modulable » en compagnie de l’artiste électronique Matthew Wright avec le projet Trance Map. Avant de cesser ses activités, son label Psi avait publié Trance Map en duo en 2011 : https://www.discogs.com/release/2857223-Evan-Parker-Matthew-Wright-Trance-Map avec des enregistrements datés de 2008, 2009, 2010 et 2011. Pour info les deux musiciens étaient crédités ainsi : Matthew Wright : Sampler [Live Sampling], Turntables, Composed By [Co-composition], Sounds [Sound Design] et Evan Parker Soprano Saxophone, Sampler [Sample Collection], Composed By [Co-composition]. J’ai assisté à un concert de Trance Map+ avec le percussionniste Toma Gouband en février 2009. Par rapport à la dense complexité de l’Electro – Acoustic Ensemble (avec Casserley, Ryan, Barrett, Obermayer etc…) on est passé de l’intrication absolue et aux machinations cybernétiques de la quatrième dimension à une plane juxtaposition étalée dans le temps et suspendue dans l’espace entre le flux électronique (Live electronics et sound design de Wright) et les boucles en souffle continu jouées au saxophone soprano par Parker, sa démarche la plus reconnue. Avec l’excellent tromboniste Robert Jarvis agrégé à ce tandem, on obtient d’intéressantes propositions en contrepoint ou en empathie absolue qui enrichissent la musique « planante » du groupe, jusqu’à ce qu’elle se fragmente de manière ludique où Robert Jarvis dialogue admirablement un utilisant tous les effets de souffle, dérapages, staccatos. Et là, enfin se détachent d’excellentes trouvailles. Il faut entendre les manipulations elliptiques et contorsionnées qui surgissent des mains de Matthew Wright, pour s’en convaincre. Ce n’est peut-être pas LE disque par excellence d’Evan Parker, mais il vaut surtout pour toutes les variations sonores, mélodiques, conversations spontanées très précises et autres transmutations que les trois musiciens intègrent dans leurs deux longues improvisations Grounded (33’30) et Abstraction (34’52).
 
Shifting Types of Amazement Udo Schindler Erhard Hirt Ove Volquartz FMR CD0719-0215 FMR Records
Le guitariste « électronique » Erhard Hirt avait déjà enregistré Floating in Green avec le souffleur Udo Schindler. Les voici avec un collaborateur relativement régulier de Schindler, le clarinettiste basse et contrebasse Ove Volquartz, lequel joue aussi des saxophones et flûtes tout comme son collègue Udo. Ayant parcouru une (petite) partie de la production discographique d’Udo Schindler, je pense que ce multi-instrumentiste donne souvent le meilleur de lui-même à la clarinette basse en duo ou trio avec Ove Volquartz. Un bon exemple de cette collaboration sont leurs enregistrements en duo « Answers and Maybe a Question » et « Tales about Exploding Trees and Other Absurdities » (FMR) ou leur « ArtToxin » avec le subtil guitariste Gunnar Geisse. Leur « Shifting Types of Amazement » se situe dans le même sillage créatif que leurs précédents opus qu’il faut rechercher dans l’imposant catalogue de Schindler. À mon avis, leurs duos nous offrent pratiquement le meilleur de ce que Schindler peut nous offrir musicalement parmi les dizaines de CD’s et albums digitaux qu’il a produits. Si ces deux clarinettistes basse (et contrebasse) cultivent réciproquement une entente parfaite avec leurs souffles graves conjugués, leurs alternances grasseyantes, boisées, venteuses ou mordorées, la présence du guitariste Erhard Hirt est providentielle. Erhard est assurément un des guitaristes « trafiqués » électroniques essentiels avec une riche palette d’extrapolations sonores, d’effets pressurisés, d’agrégats de fréquences inouïes, de timbres rares,… Il est véritablement unique. Avec le matériel de pédales électroniques dispionibles et tous les effets et applications qui circulent, un bon guitariste intéressant parvient à créer quelque chose d'intéressant. Mais avec Erhard Hirt, ces sons électroniques et toutes ses extrapolations manipulatoires opèrent dans une autre réalité, créant des amalgames rarissimes dans cette table de Mendeliev exponentielle de densités sonores et de facettes et agrégats de couleurs inconnues ailleurs. Je ne vais pas déclarer qu’il s’agit ici d’une œuvre « indispensable » au top du métier d’improviser librement, mais je goûte avec un vrai plaisir à écouter les échanges des deux clarinettistes basses et contrebasses avec les sonorités électroïdes de cet OVNI de la six-cordes, le contraste entre vents et électricité se révélant bénéfique aux destinées de ce trio pas comme les autres.
https://confrontrecordings.bandcamp.com/album/the-duke-of-wellington
Providentiel ! Les enregistrements parus de Derek Bailey et de John Stevens deviennent « sold out » au fil du temps. Bien qu’ils aient souvent joué ensemble en duos ou trios et au sein du Spontaneous Music Ensemble, leur unique CD précédent en duo est aujourd’hui indisponible (une copie ou deux sur discogs > 25 €) : Playing Incus CD 14. Pour votre info, il y a trois CD’s où Derek et John jouent en trio. « Dynamics of the Impromptu » avec Trevor Watts au sax soprano fut enregistré au Little Theatre Club en 1973/74 (CD label Entropy, réédité par FMR), "Once A Time" avec le contrebassiste Kent Carter (CD Incus 22) et Hello Goodbye (Emanem 4065 1992) où John joue de la batterie au lieu de son mini-kit « SME » et Frode Gjerstad au saxophone alto. Comme tous ces enregistrements sont aujourd’hui indisponibles et au cas où vous n’auriez pas pu les écouter, la démarche vaut vraiment la peine de s’y intéresser pour de multiples raisons et de vous dépêchr prestement si vous voulez acquérir le CD à 300 copies (!). Le concert a été enregistré le 24 mars 1989 au pub The Duke of Wellington, Ball’s Pond Road à Dalston lors d’un concert organisé par the Makeshift Club (Stuart Wilding, Nick Smith et Geoff Collins). L’ingé – son : Michael Gerzon, un génial inventeur de microphones (le Soundfield) et ingénieur acousticien qui a fait avancer la technologie stéréo de Blumlein dans la troisième dimension. Michael Gerzon (1945-1996) est un incontournable scientifique connu pour son travail sur les Ambisonics et l’audio numérique, mais aussi un ami personnel et supporter inconditionnel des improvisateurs londoniens, fortement attaché à l’esprit de ces clubs où tous ces artistes, légendaires ou inconnus (des médias) aimaient à se rencontrer pour le plaisir de jouer et y entretenir leurs sens aigus de la création sans intermédiaires prescripteurs. L’enregistrement live est d’excellente qualité, mais il reproduit aussi les conséquences matérielles et sonores de la mise en place de la mini- batterie de Stevens (SME-kit en jargon musique improvisée British). En effet, comme tous ses contemporains pionniers du free-drumming « européen » (Bennink, Lovens, Lytton, Turner etc..), John Stevens s’était inventé sa propre batterie de percussions..., la sienne, simplissime et adaptée à sa démarche musicale de manière à jouer au même niveau sonore et avec la dynamique voulue face à des collègues qui sculptaient et disséquaient le fonctionnement mécanique de leurs instruments (saxophones, guitares etc…) et l’articulation « atomistique » ou pointilliste de leurs flux sonores. Une caisse claire ou un étroit tambour à une peau, une ou deux cymbales, une mini grosse caisse et un hi-hat avec deux petites cymbales. À l’âge où pas mal de batteurs d’improvisation des nouvelles générations semblent restés « accrochés » aux tics et tocs du batterisme issu de l’apprentissage conventionnel, écouter à nouveau ou carrément découvrir le jeu de John Stevens sera bénéfique. Pas de roulements et de figures, mais un flux de frappes assez diversifiées par leur intensité et jetées en grappes mouvantes, cellules rythmiques atomisées en cadences élastiques et volatiles. On ajoute à ça sa trompette de poche qui surgit inopinément... Dans cet enregistrement, les frappes violentes sur la caisse sont amplifiées sourdement à cause du contact direct des pieds de la batterie sur le sol. Les autres chocs s’égaient eux dans l’espace évoquant une peinture abstraite comme John aimait à créer. Il faisait partie de cette génération de musiciens britanniques formés dans les écoles d’art, tels ses amis Charlie Watts, Terry Day, Keith Rowe, etc… et la pratique des arts graphiques l’a inspiré. Derek Bailey appréciait beaucoup de jouer avec John Stevens si on en juge par leurs nombreux gigs dans le réseau des clubs londoniens et des séries organisées par des bénévoles. Autre témoignage du duo : London 1992-1993 publié par Liam Stefani sur scatter archives.
Pour les amateurs de Derek Bailey, il s’agit d’un album intéressant des années 80's durant lesquelles l’art de l’alors cinquantenaire est arrivé à son apogée créative avant que sa notoriété croissante attire un tas d’autres artistes de jazz, drum n’bass, noise, etc… à collaborer avec lui et que plusieurs de ces projets d’un jour défraient la chronique internationale. Ici, pour celui qui a écouté de près Derek Bailey et ses nombreux enregistrements, on distingue clairement les phases de jeu où il injecte des fragments de morceaux tels qu’on les entend précisément dans d’autres disques ou bien, il réagit à fleur de peau en inventant des réparties cinglantes ou abruptes que vous n’entendrez pas ailleurs. Derek Bailey avait une mémoire très précise d’enchaînements de figures aux intervalles atonaux et aux formes complexes et biscornues, certains ayant été enregistrés et qu’il ressortait au bon moment à une autre occasion. En fait, Derek Bailey est un grand compositeur et en même temps un improvisateur génial. Un de ses meilleurs collègues et pionniers d’envergure m’a un jour dit que Derek Bailey (outre son extraordinaire virtuosité) excellait à jouer complètement différemment de ses interlocuteurs en duo tout en faisant sonner son jeu comme un évident dialogue d’une grande subtilité. Je le décris comme un compositeur suite à l’écoute attentive de ses albums solos tels que Lot 74 Solo Improvisations, Aïda et Notes parus chez Incus entre 1974 et 1986. La face A de Lot 74 (Incus 12), qui dure 22 minutes et semble être une improvisation libre hasardeuse, est quasiment identique à une autre prise de Lot 74 parue dans le CD Incus CD60 « More 74 » en 4 mouvements aux digits de 7 à 10. C’est d’ailleurs indiqué sur la pochette de ce CD. Comme s’il en connaissait la partition par cœur. Un autre indice flagrant : un curieux passage du morceau Niigata Snow paru sur la face B du LP Aïda (Incus 40) entièrement à la guitare acoustique et enregistré à l’ICA le 3 août 1980 se retrouve dans une version très similaire enregistrée par la BBC un peu plus tard et parue dans la réédition vinyle en 2LP du même album qui contient deux morceaux inédits en face C et D. Ce passage paraît assez simple avec son rythme claudiquant/ hésitant et est assez difficile à reproduire avec précision étant joué avec des harmoniques obtenues en bloquant des cordes près du chevalet avec des intervalles dissonants très précis en jouant sur deux ou trois cordes entre le chevalet et le cordier. Il a fallu qu’il répète souvent ce passage pour le mémoriser aussi bien autant que Steve Lacy répétait inlassablement ces enchaînements d’harmoniques au-dessus du registre du sax soprano et ces notes calibrées ultra-précises qui sont à la base du travail de COMPOSITEUR de Steve. Tout ça pour dire : écoutez de très près des improvisateurs de ce calibre aidera quiconque de motivé à comprendre le processus et à se situer. Personnellement, c’est ce qui m’a motivé à trouver ma voie avec la voix. On aime réentendre ces deux copains de toujours se concerter aussi bien en toute spontanéité et batailler comme des chiffonniers pour un lambeau d’éternité.
Grounded Abstraction Trance Map+ Evan Parker Matthew Wright Robert Jarvis FMRCD0647-822
Sorry pour le retard, cet album a été publié en 2022, mais le Brexit et les mesures douanières ralentissent le flux des CD’s british vers l’Europe (et …. un envoi égaré !). Depuis l’époque de son imposant Electro Acoustic Ensemble, Evan Parker a réduit ses groupes «électro-acoustiques » à un duo « modulable » en compagnie de l’artiste électronique Matthew Wright avec le projet Trance Map. Avant de cesser ses activités, son label Psi avait publié Trance Map en duo en 2011 : https://www.discogs.com/release/2857223-Evan-Parker-Matthew-Wright-Trance-Map avec des enregistrements datés de 2008, 2009, 2010 et 2011. Pour info les deux musiciens étaient crédités ainsi : Matthew Wright : Sampler [Live Sampling], Turntables, Composed By [Co-composition], Sounds [Sound Design] et Evan Parker Soprano Saxophone, Sampler [Sample Collection], Composed By [Co-composition]. J’ai assisté à un concert de Trance Map+ avec le percussionniste Toma Gouband en février 2009. Par rapport à la dense complexité de l’Electro – Acoustic Ensemble (avec Casserley, Ryan, Barrett, Obermayer etc…) on est passé de l’intrication absolue et aux machinations cybernétiques de la quatrième dimension à une plane juxtaposition étalée dans le temps et suspendue dans l’espace entre le flux électronique (Live electronics et sound design de Wright) et les boucles en souffle continu jouées au saxophone soprano par Parker, sa démarche la plus reconnue. Avec l’excellent tromboniste Robert Jarvis agrégé à ce tandem, on obtient d’intéressantes propositions en contrepoint ou en empathie absolue qui enrichissent la musique « planante » du groupe, jusqu’à ce qu’elle se fragmente de manière ludique où Robert Jarvis dialogue admirablement un utilisant tous les effets de souffle, dérapages, staccatos. Et là, enfin se détachent d’excellentes trouvailles. Il faut entendre les manipulations elliptiques et contorsionnées qui surgissent des mains de Matthew Wright, pour s’en convaincre. Ce n’est peut-être pas LE disque par excellence d’Evan Parker, mais il vaut surtout pour toutes les variations sonores, mélodiques, conversations spontanées très précises et autres transmutations que les trois musiciens intègrent dans leurs deux longues improvisations Grounded (33’30) et Abstraction (34’52).
Shifting Types of Amazement Udo Schindler Erhard Hirt Ove Volquartz FMR CD0719-0215 FMR Records
Le guitariste « électronique » Erhard Hirt avait déjà enregistré Floating in Green avec le souffleur Udo Schindler. Les voici avec un collaborateur relativement régulier de Schindler, le clarinettiste basse et contrebasse Ove Volquartz, lequel joue aussi des saxophones et flûtes tout comme son collègue Udo. Ayant parcouru une (petite) partie de la production discographique d’Udo Schindler, je pense que ce multi-instrumentiste donne souvent le meilleur de lui-même à la clarinette basse en duo ou trio avec Ove Volquartz. Un bon exemple de cette collaboration sont leurs enregistrements en duo « Answers and Maybe a Question » et « Tales about Exploding Trees and Other Absurdities » (FMR) ou leur « ArtToxin » avec le subtil guitariste Gunnar Geisse. Leur « Shifting Types of Amazement » se situe dans le même sillage créatif que leurs précédents opus qu’il faut rechercher dans l’imposant catalogue de Schindler. À mon avis, leurs duos nous offrent pratiquement le meilleur de ce que Schindler peut nous offrir musicalement parmi les dizaines de CD’s et albums digitaux qu’il a produits. Si ces deux clarinettistes basse (et contrebasse) cultivent réciproquement une entente parfaite avec leurs souffles graves conjugués, leurs alternances grasseyantes, boisées, venteuses ou mordorées, la présence du guitariste Erhard Hirt est providentielle. Erhard est assurément un des guitaristes « trafiqués » électroniques essentiels avec une riche palette d’extrapolations sonores, d’effets pressurisés, d’agrégats de fréquences inouïes, de timbres rares,… Il est véritablement unique. Avec le matériel de pédales électroniques dispionibles et tous les effets et applications qui circulent, un bon guitariste intéressant parvient à créer quelque chose d'intéressant. Mais avec Erhard Hirt, ces sons électroniques et toutes ses extrapolations manipulatoires opèrent dans une autre réalité, créant des amalgames rarissimes dans cette table de Mendeliev exponentielle de densités sonores et de facettes et agrégats de couleurs inconnues ailleurs. Je ne vais pas déclarer qu’il s’agit ici d’une œuvre « indispensable » au top du métier d’improviser librement, mais je goûte avec un vrai plaisir à écouter les échanges des deux clarinettistes basses et contrebasses avec les sonorités électroïdes de cet OVNI de la six-cordes, le contraste entre vents et électricité se révélant bénéfique aux destinées de ce trio pas comme les autres.
7 août 2025
Simon Rose & Nicolas Hein/ Constellation Ensemble/ Larry Stabbins & Mark Sanders/ La cloche qui résonne Vincent Martial
Moon Simon Rose & Nicolas Hein Confront Recordings core 
https://confrontrecordings.bandcamp.com/album/moon
Une guitare microtonale sept cordes électrocutée en sustain affrontant les grondements graveleux et ondulants d’un sax baryton sous tension. Musiques de drones oscillants en parallèles, en tuilage venteux, parfois crépitants. Simon Rose, un souffleur British établi à Berlin, la métropole où ça joue, s’est créé un univers secret de souffles prêt à s’inscrire dans des aventures sonores inédites, bruissantes ou décapantes. Avec le guitariste Nicolas Hein, entendu avec Paul Lytton, Matthias Muche, Robert Dick, Nicolas Souchal et bien d’autres, ils déclinent patiemment toutes les options de frictions, tensions, disruptions, que le permet le trafic radical des pédales, effets électroniques et manipulations des cordes et micros face aux intonations flottantes ou mordantes du souffle rêveur suspendu par-dessus les abîmes. Cette approche linéaire d’étalement de nappes sonores, d’oscillations vaporeuses ou caustiques ou de fractures abruptes et machiniques se meut dans un allongement quasi infini de l’inspiration, de variations d’intensités, de métamorphoses instantanées. On passe du statique opaque au tournoiement ludique, strates vivantes de vibrations sonores qui se différencient, se complètent, s’agrègent, suspendues dans le vide intersidéral ou crépitantes dans l’urgence. Une collaboration fructueuse dans la recherches de sons insolites et décapants (guitare) et de souffles charnels et oniriques (sax baryton). Depuis ses débuts free avec Mark Sanders, Steve Noble et Simon H. Fell, Simon Rose a évolué vers la radicalité, entre autres aux côtés de souffleurs prodigieux comme Michel Doneda et Philippe Lemoine. Avec Nicolas Hein, il s’inscrit dans la fascination sonique extrême tout en gardant sa dimension terrienne et lyrique, créant un contraste du meilleur effet.
Constellation Ensemble Dove Morde La Taranta FMR CD670-423
https://muzicplus.bandcamp.com/album/dove-morde-la-taranta-constellation-ensemble
Constellation Ensemble est un orchestre à géométrie variable de neuf musiciens qui s’unissent tous ensemble pour Dove Morde la Taranta qui donne son titre à l’album en 1° et pour Terzo Mare en n°8, s’égaient ensuite en sous-groupes pour les six autres compositions instantanées (signées par trois ou quatre d’entre eux) de cet album intéressant au niveau des formes et sincèrement collectif. Pas de « soliste », mais bin des constructions spontanées de pièces où chacun s’exprime égalitairement avec un sens de l’écoute et une dose d’invention. Un collectif sous-jacent : OSIMU. Quatre souffleurs : Alice Tanganeli : clarinette, Pino Colonna : sax ténor, ciaramella et chalumeau, Emiliano Marrochi : trompette, Carlo Mascolo : No – input trombone. Organetto diatonico de Donatello Pisanello, Piano et synthé de Marco Oliveri. Le contrabotto de Sandro Perdighe est une sorte d’instruments à cordes tendues entre un bidon métallique et un manche fixé au bidon style gaffophone de Gaston Lagaffe. Et puis, Vito Basile à la basse électrique et Sem Devigus à la batterie complètent l’édifice. Bien qu’il y ait sans doute un niveau inégal dans le savoir-faire instrumental au sein de cette constellation, il y a surtoutune profonde cohérence collaborative et un taux de réussite dans les improvisations collectives+. Cela est dû à un beau sens de l’écoute et à l’auto discipline de chaque musicien dans leurs interventions individuelles avec un maximum de lisibilité et de coordination des efforts. L’individu est au service de la dimension orchestrale. Et si l’un deux est une solide pointure, l’accordéoniste diatonique Donatello Pisanello, il s’efforce avec succès à insérer discrètement des couleurs sonores et des interventions qui enrichissent l’ensemble. Comme dans ce duo avec le contrabotto de Sandro Perdighe. Et on dira cela aussi du trompettiste, de la clarinettiste ou du tromboniste, mais tous œuvrent pour donner du sens à chacun des morceaux sublimant leurs moyens dans l’inspiration collective transmise à chacun. Le n°8 , Il Terzo Mare, est une superbe improvisation collective, nuancée, chatoyante et contrastée. Cet orchestre est natif de la région d’Altamura - Monopoli dans les Pouilles où l’œuvre été enregistrée. Dans ces provinces italiennes, pullulent des musiciennes – musiciens free qui ont le feeling de collaborer, investiguer, se réunir, travailler localement pour le plaisir. En voici un document probant.
Cup and Ring Larry Stabbins & Mark Sanders Discus 191CD.
https://discusmusic.bandcamp.com/album/cup-ring-191cd-2025
Il s’agit du deuxième album du saxophoniste ténor & soprano Larry Stabbins en duo avec un percussionniste à cinquante ans d’intervalle après son LP séminal Fire Without Bricks (Bead Records) avec Roy Ashbury, lui-même un collaborateur de la première heure de John Russell. Un point commun entre Fire Without Bricks et Cup and Ring : la pochette de chacun des albums est illustrées par des artefacts préhistoriques datant de -3000 avant J-C. Des figurines d’argile trouvées dans l’Eye Temple de Tel Brak en Syrie au recto et des gravures rupestres scandinaves au verso pour l’album Bead 4 publié en 1977. Des marques de tasses et d’anneaux sur des roches de Kilmartin Glen en Écosse.
La différence : dans Fire Without Bricks, Larry se concentrait sur ses deux instruments habituels les sax ténor et soprano, mais c’est avec d’autres instruments à anche qu’il parcourt ces six Cups et ces cinq Rings : flûte alto, concert flute, sax alto et clarinette basse, sans doute la première fois qu’il enregistre avec d’autres instruments. Chacune des onze morceaux cultivent une ambiance, une thématique, un matériau mélodique différents face au drumming free superbement expressif, lisible et coordonné de Mark Sanders, le quel joue aussi de l’archet avec ses cymbales en vibrant la surface d’un gong accompagnant une mélopée mélancolique et éthérée à la flûte. Sa clarinette basse se fait tumultueuse et mordante, voire hargneuse et en un bref instant son sax alto évoque Ornette. Il s’agit donc d’un magnifique duo où de multiples approches sonores et pulsatoires sont envisagées avec une inspiration lyrique et un vécu transcendants, renouvelant l’intérêt de l’auditeur. La maîtrise des percussions est phénoménale… Un bel album à écouter sur la terrasse un soir d’été ou au coin du feu.
La cloche qui résonne Vincent Martial avec Marc Siffert Camille Émaille Bertrand Fraysse Jean-François Oliver Fabien Nicol et Elsa Jauffret. Mazeto Square 570 569-5
https://vincentmartial.com/la-cloche-qui-resonne
https://www.mazeto-square.com/product-page/la-cloche-qui-r%C3%A9sonne-cd
Voilà un bien inhabituel projet animé par un compositeur doublé luthier créateur d’instruments hybrides, Vincent Martial. Flûtiste, il a mis au point un instrumentarium expérimental fait de tubes où vibrent l’air, de résonnateurs et où intervient la robotique et une étonnante innovation. Les images publiées sur son site sont très impressionnantes. On peut essayer de le décrire, mais il vaut mieux assister à une performance scénique plutôt que d’en imaginer leurs configurations défiant la norme des instruments connus et nécessitant une logistique poussée vu la multiplicité des tubes, tuyaux, mécanismes disposés sur une large scène. Incroyable ! pour parvenir à réaliser ces machines à sons improbables, il faut y croire et oser, car cela représente le travail de toute une vie et un défi matériel ardu à surmonter. Déjà, sans avoir écouté déjà, je salue l’originalité et l’audace. Les autres musiciens participants sont des instrumentistes « normaux ». Dans ce projet, ils sont tenus d’explorer les possibilités des instruments de Vincent Martial en en interprétant – créant leur fonctionnement personnel afin de jouer les compositions avec leur sensibilité et leur imagination personnelle. Au fil des 17 compositions, la musique flotte, s’étale, vibre, remue, résonne suspendue dans le silence ou sifflant, grinçant, produisant toutes les manières percussives : toute un gamme de cloches et objets métalliques tintinabulants, friselis cuivrés, frappes sourdes, scintillements de cymbales ou crotales, battements africains circulaires, bruits de moteurs ou harmoniques soufflées comme un ou des bagpipe(s) détraqué(s), drones organiques, harmoniques..., cordes pincées de guingois, vibrations inconnues. Le résultat ser évèle d'une grande richesse sonore et une kyrielle d'idées et de formes diverses toutes autant achevées les unes que les autres en allant du soigné méticuleux au sauvage.. Sans nul doute, une brillante réussite dans le domaine trop galvaudé de la musique expérimentale tout court, fascinante, atavique, déroutante et bien curieuse. Le champ des sonorités possibles est très large vu les registres étendus des machineries en présence.
https://confrontrecordings.bandcamp.com/album/moon
Une guitare microtonale sept cordes électrocutée en sustain affrontant les grondements graveleux et ondulants d’un sax baryton sous tension. Musiques de drones oscillants en parallèles, en tuilage venteux, parfois crépitants. Simon Rose, un souffleur British établi à Berlin, la métropole où ça joue, s’est créé un univers secret de souffles prêt à s’inscrire dans des aventures sonores inédites, bruissantes ou décapantes. Avec le guitariste Nicolas Hein, entendu avec Paul Lytton, Matthias Muche, Robert Dick, Nicolas Souchal et bien d’autres, ils déclinent patiemment toutes les options de frictions, tensions, disruptions, que le permet le trafic radical des pédales, effets électroniques et manipulations des cordes et micros face aux intonations flottantes ou mordantes du souffle rêveur suspendu par-dessus les abîmes. Cette approche linéaire d’étalement de nappes sonores, d’oscillations vaporeuses ou caustiques ou de fractures abruptes et machiniques se meut dans un allongement quasi infini de l’inspiration, de variations d’intensités, de métamorphoses instantanées. On passe du statique opaque au tournoiement ludique, strates vivantes de vibrations sonores qui se différencient, se complètent, s’agrègent, suspendues dans le vide intersidéral ou crépitantes dans l’urgence. Une collaboration fructueuse dans la recherches de sons insolites et décapants (guitare) et de souffles charnels et oniriques (sax baryton). Depuis ses débuts free avec Mark Sanders, Steve Noble et Simon H. Fell, Simon Rose a évolué vers la radicalité, entre autres aux côtés de souffleurs prodigieux comme Michel Doneda et Philippe Lemoine. Avec Nicolas Hein, il s’inscrit dans la fascination sonique extrême tout en gardant sa dimension terrienne et lyrique, créant un contraste du meilleur effet.
Constellation Ensemble Dove Morde La Taranta FMR CD670-423
https://muzicplus.bandcamp.com/album/dove-morde-la-taranta-constellation-ensemble
Constellation Ensemble est un orchestre à géométrie variable de neuf musiciens qui s’unissent tous ensemble pour Dove Morde la Taranta qui donne son titre à l’album en 1° et pour Terzo Mare en n°8, s’égaient ensuite en sous-groupes pour les six autres compositions instantanées (signées par trois ou quatre d’entre eux) de cet album intéressant au niveau des formes et sincèrement collectif. Pas de « soliste », mais bin des constructions spontanées de pièces où chacun s’exprime égalitairement avec un sens de l’écoute et une dose d’invention. Un collectif sous-jacent : OSIMU. Quatre souffleurs : Alice Tanganeli : clarinette, Pino Colonna : sax ténor, ciaramella et chalumeau, Emiliano Marrochi : trompette, Carlo Mascolo : No – input trombone. Organetto diatonico de Donatello Pisanello, Piano et synthé de Marco Oliveri. Le contrabotto de Sandro Perdighe est une sorte d’instruments à cordes tendues entre un bidon métallique et un manche fixé au bidon style gaffophone de Gaston Lagaffe. Et puis, Vito Basile à la basse électrique et Sem Devigus à la batterie complètent l’édifice. Bien qu’il y ait sans doute un niveau inégal dans le savoir-faire instrumental au sein de cette constellation, il y a surtoutune profonde cohérence collaborative et un taux de réussite dans les improvisations collectives+. Cela est dû à un beau sens de l’écoute et à l’auto discipline de chaque musicien dans leurs interventions individuelles avec un maximum de lisibilité et de coordination des efforts. L’individu est au service de la dimension orchestrale. Et si l’un deux est une solide pointure, l’accordéoniste diatonique Donatello Pisanello, il s’efforce avec succès à insérer discrètement des couleurs sonores et des interventions qui enrichissent l’ensemble. Comme dans ce duo avec le contrabotto de Sandro Perdighe. Et on dira cela aussi du trompettiste, de la clarinettiste ou du tromboniste, mais tous œuvrent pour donner du sens à chacun des morceaux sublimant leurs moyens dans l’inspiration collective transmise à chacun. Le n°8 , Il Terzo Mare, est une superbe improvisation collective, nuancée, chatoyante et contrastée. Cet orchestre est natif de la région d’Altamura - Monopoli dans les Pouilles où l’œuvre été enregistrée. Dans ces provinces italiennes, pullulent des musiciennes – musiciens free qui ont le feeling de collaborer, investiguer, se réunir, travailler localement pour le plaisir. En voici un document probant.
Cup and Ring Larry Stabbins & Mark Sanders Discus 191CD.
https://discusmusic.bandcamp.com/album/cup-ring-191cd-2025
Il s’agit du deuxième album du saxophoniste ténor & soprano Larry Stabbins en duo avec un percussionniste à cinquante ans d’intervalle après son LP séminal Fire Without Bricks (Bead Records) avec Roy Ashbury, lui-même un collaborateur de la première heure de John Russell. Un point commun entre Fire Without Bricks et Cup and Ring : la pochette de chacun des albums est illustrées par des artefacts préhistoriques datant de -3000 avant J-C. Des figurines d’argile trouvées dans l’Eye Temple de Tel Brak en Syrie au recto et des gravures rupestres scandinaves au verso pour l’album Bead 4 publié en 1977. Des marques de tasses et d’anneaux sur des roches de Kilmartin Glen en Écosse.
La différence : dans Fire Without Bricks, Larry se concentrait sur ses deux instruments habituels les sax ténor et soprano, mais c’est avec d’autres instruments à anche qu’il parcourt ces six Cups et ces cinq Rings : flûte alto, concert flute, sax alto et clarinette basse, sans doute la première fois qu’il enregistre avec d’autres instruments. Chacune des onze morceaux cultivent une ambiance, une thématique, un matériau mélodique différents face au drumming free superbement expressif, lisible et coordonné de Mark Sanders, le quel joue aussi de l’archet avec ses cymbales en vibrant la surface d’un gong accompagnant une mélopée mélancolique et éthérée à la flûte. Sa clarinette basse se fait tumultueuse et mordante, voire hargneuse et en un bref instant son sax alto évoque Ornette. Il s’agit donc d’un magnifique duo où de multiples approches sonores et pulsatoires sont envisagées avec une inspiration lyrique et un vécu transcendants, renouvelant l’intérêt de l’auditeur. La maîtrise des percussions est phénoménale… Un bel album à écouter sur la terrasse un soir d’été ou au coin du feu.
La cloche qui résonne Vincent Martial avec Marc Siffert Camille Émaille Bertrand Fraysse Jean-François Oliver Fabien Nicol et Elsa Jauffret. Mazeto Square 570 569-5
https://vincentmartial.com/la-cloche-qui-resonne
https://www.mazeto-square.com/product-page/la-cloche-qui-r%C3%A9sonne-cd
Voilà un bien inhabituel projet animé par un compositeur doublé luthier créateur d’instruments hybrides, Vincent Martial. Flûtiste, il a mis au point un instrumentarium expérimental fait de tubes où vibrent l’air, de résonnateurs et où intervient la robotique et une étonnante innovation. Les images publiées sur son site sont très impressionnantes. On peut essayer de le décrire, mais il vaut mieux assister à une performance scénique plutôt que d’en imaginer leurs configurations défiant la norme des instruments connus et nécessitant une logistique poussée vu la multiplicité des tubes, tuyaux, mécanismes disposés sur une large scène. Incroyable ! pour parvenir à réaliser ces machines à sons improbables, il faut y croire et oser, car cela représente le travail de toute une vie et un défi matériel ardu à surmonter. Déjà, sans avoir écouté déjà, je salue l’originalité et l’audace. Les autres musiciens participants sont des instrumentistes « normaux ». Dans ce projet, ils sont tenus d’explorer les possibilités des instruments de Vincent Martial en en interprétant – créant leur fonctionnement personnel afin de jouer les compositions avec leur sensibilité et leur imagination personnelle. Au fil des 17 compositions, la musique flotte, s’étale, vibre, remue, résonne suspendue dans le silence ou sifflant, grinçant, produisant toutes les manières percussives : toute un gamme de cloches et objets métalliques tintinabulants, friselis cuivrés, frappes sourdes, scintillements de cymbales ou crotales, battements africains circulaires, bruits de moteurs ou harmoniques soufflées comme un ou des bagpipe(s) détraqué(s), drones organiques, harmoniques..., cordes pincées de guingois, vibrations inconnues. Le résultat ser évèle d'une grande richesse sonore et une kyrielle d'idées et de formes diverses toutes autant achevées les unes que les autres en allant du soigné méticuleux au sauvage.. Sans nul doute, une brillante réussite dans le domaine trop galvaudé de la musique expérimentale tout court, fascinante, atavique, déroutante et bien curieuse. Le champ des sonorités possibles est très large vu les registres étendus des machineries en présence.
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