Gargorium Sophie Agnel Olivier Benoît Daunik Lazro Fou Records FRLP-09
https://www.fourecords.com/FR-LP09.htm
Un LP FOU. Sur la pochette en couleurs la photo d’un diablotin de gargouille fièrement campé au creux d’un jardin (monastère, église médiévale ?). Gargorium… ! Daunik Lazro, le saxophoniste rebelle amoureux de la pâte sonore des utopies. Sophie Agnel auscultant, palpant les entrailles vibrantes d’un grand piano et de ses câbles tendus à tout rompre, Olivier Benoît triturant et malaxant cordes, micros, manches et électricité parasite de sa six-cordes. Méta-musique, exploration sonore, mise en commun, fétus bruitistes, scories, vibrations fumantes, … Musique enregistrée le 25 septembre 2008 par Peter Orins à la Malterie à Lille : migrating motor complex 10’05’’, vibratile 12’07’’, tony malt 7’39’ et le 17 avril 2009 par Greg Pyvka au Carré Bleu à Poitiers, grâce à Muzzix et Jazz à Poitiers. Ce n’est pas la première collaboration d’Agnel et Lazro : rien d’étonnant à cela, ces deux acteurs personnifient l’improvisation radicale en France, celle aussi qui s’évade de schémas idéologiques restrictifs. On retrouve en duo dans Marguerite d’Or Pâle sur le même label Fou Records et dans l’unique album du Quatuor Quat Neum Sixx : Live at Festival NPAI (Amor Fati). Ils ont tous deux enregistrés chacun un duo mémorable avec Phil Minton : Tasting avec Agnel (another timbre) et Alive at Sonorités avec Lazro (émouvance). Olivier Benoît entretient une proximité créative avec la pianiste depuis leur duo enregistré Rip-Stop (In situ) et ensuite Reps (Césaré). Ces rencontres renouvelées contribuent donc à un fil conducteur et une confiance réciproque dans le flux de l’improvisation.
On aime à parler de nouvelle musique d’improvisation, d’urgence, d’innovation radicale. Mais quand des enregistrements révélateurs captés en 2008 – 2009 sont publiés en 2023, on peut alors envisager la réflexion, la maturité et que sais-je, l’invariant obstiné de cette recherche qui n’en finit pas de se renouveler.
Quatre moments inédits et assez différents l’un de l’autre même si le postulat d’agrégation des sons, des timbres des actions individuelles, leur interpénétration laminaire sont le dénominateur commun. Il y a très longtemps lors d’une interview, Daunik Lazro parlait de musiques d’énergie et citait ses confrères en qui il se reconnaissait. On le retrouve des décennies plus tard avec de nouveaux confrères leur laissant tout l’espace, à l’écoute et prêt à l’action. Il se rappelle à nous, ceeux de cette époque lointaine avec un filet de son d’alto filant dans l’espace avec une harmonique enragée et étirée (Tony Malt) puis son baryton bourdonnant par-dessus les mystères électriques et bruissants d’une guitare électrogène et des marteaux qui effleurent les notes dans la carcasse murmurante du grand piano. Des moments intrigants perdus dans la nuit de temps oubliés et livrant leur merveilleuse agonie. Encore merci à J-M F pour cette surprise vynilique.
Featuring WLSFW : Phil Wachsmann Paul Lytton Sten Sandell Floros Floridis Nate Wooley Puzzle Musik Piece 040.
http://www.puzzlemusik.com/release/wlsfw-featuring/
Voilà un nom de label qui convient à ce genre de musique librement improvisée à la fois labyrinthique et démultiplicatrice d’une quantité infinie de détails sonores, de lignes, courbes, zig-zags, pointillés, contre-jours, clair-obscur, etc… WLSFW, en référence sans doute à cet album vinyle de 1986, Ellispontos, du quartet LSFW qui réunissait Paul Lytton aux percussions, Hans Schneider à la contrebasse, Floros Floridis à la clarinette et Phil Wachsmann au violon. Les revoici en compagnie de Sten Sandell au piano et de Nate Wooley à la trompette et enregistré en 2016 au Kaleidophon d’Ulrichsberg pour cet album paru en 2018 qui m’avait échappé alors. Archiconnu pour sa participation récurrente au trio explosif « free free-jazz » avec Evan Parker et Barry Guy et la profusion extraordinaire de son jeu à la batterie, Paul Lytton se révèle ici le roi du silence, ses interventions éclatées et volatiles intervenant à des moments clés de cette longue improvisation intitulée The Half Has Never Been Told (29:33) où prédomine l’aspect musique de chambre traversée ponctuellement d’éclairs d’énergie incontrôlée. Comme l’indique le titre très british, il ne faut pas vouloir tout raconter pour que cela ait du sens. Dans cette longue histoire, on cultive l’art de la suggestion. Dans le contexte de ce quintet choisi, chaque improvisateur a le droit d’être lui-même en assumant ses choix musicaux individuels et en les combinant adroitement par rapport à l’ensemble et à chacun de ses acolytes, dont plusieurs ont une histoire commune, en empruntant plusieurs méthodes et modes de jeux, processus diversifiés de la composition instantanée. Deux morceaux plus courts : Featuring (5 :47) résume l’aspect musique de chambre, alors que Sand Stones and Water (5 :29) concentre l’énergie saturée et toute la rage dont ils sont capables après les avoir conservées sous la cendre durant la demi-heure précédente, pour le feu d’artifice final dans un tutti écervelé/ Nate Wooley brille dans ses exercices soniques extrêmes à la limite des possibilités de son embouchure et de la colonne d’air : celui-ci est strié, éclaté, déchiré, comme une étoile filante dans l’éther de nos tympans ou fragmenté en shrapnels de scories sonores volatiles. Mais dans « Featuring » c’est bien sa facette « jazz » qui s’impose. Floros Floridis fait son bonhomme de chemin avec un lyrisme authentique et une capacité d’écoute optimale, y compris à la clarinette basse dont il privilégie la musicalité. À la clarinette tout court, son inspiration s'écarte du canon classique avec la plasticité de la musique populaire hellénique. Phil Wachsmann déconcerte par ses interventions soupesées et sournoises qui s’agrège de manière surprenante aux trouvailles du pianiste par exemple. Celui-ci, Sten Sandell, prend soin d’intervenir en force à des moments bien choisis, car ce qui compte est de créer le momentum à l’instant le plus propice. Lorsque ses baguettes et autres ustensiles n’arpentent pas la surface de ses peaux parsemées d’objets percussifs, Paul Lytton actionne ses Live Electronics et Home Made Instruments. Je n’ai pu vérifier leur disposition précise pour ce concert pour vous en dire plus. Ce sens de l’épure et cette stratégie oblige les improvisateurs à se focaliser dans l’essentiel évitant l’accessoire et alternant improvisation individuelle, jeu collaboratif et écoute mutuelle pour déconstruire/ construire des équilibres instables et une interactivité oscillante à plusieurs niveaux. Leurs capacités d'imbrication ludique est le fait de musiciens improvisateurs d'exception. Pochette réalisée par Anna Lytton
Pour information, l’assemblage de personnalités de ce WLSFW est le fruit d’une pratique commune, parfois très ancienne. Lytton et Wachsmann collaborent régulièrement depuis 1973 (avec Radu Malfatti), dans le quartet LSFW de 1985 en Grèce avec Floridis, au sein du King Übü Örkestrü de Wolfgang Fuchs, de Balance of the Trade avec Herb Robertson et Dominic Duval (CIMP 114 1996), au sein de l’Electro-Acoustic Ensemble d’Evan Parker (7 albums cher ECM, Psi et Victo) et en duo (Some Other Seasons ECM et Imagined Time Bead Rds) auquel s’ajoute Ken Vandermark (Cinc Okkadisk) ou l’accordéoniste Kalle Moberg (the Punk and the Gaffer). Nate Wooley est l’autre collaborateur le plus fréquent de Paul Lytton : en duo dès 2007 (untitled Broken Research lp br-028 ,Creak Above 33 Psi et Known/Unknown Fundacja Sluchaj). Ce duo est augmenté par David Grubbs (Seven Storey Mountain Important Rds), par Ikue Mori ou Ken Vandermark (The Nows Clean Feed) et Christian Weber (Six Feet Under NoBusiness). Trumpets and Drums rassemble Wooley, Lytton, Peter Evans et Jim Black (Live in Ljubljana Clean Feed). On retrouve Sten Sandell dans une collaboration épisodique avec Lytton et Evan Parker (Gubbröra Psi). Outre ce LSFW sus-mentionné, Floros Floridis avait enregistré aussi Adônis 21 10 1983 avec L S F M, soit Paul Lytton, Pinguin Moshner et Hans Schneider (aux saxophones !). Floros Floridis est sans nul doute le jazzman d’avant-garde le plus incontournable de Grèce et son activité de catalyseur y fut crucial tout comme Sten Sandell en Suède. On retrouve aussi Floridis et Wachsmann dans les Soundscapes initiées par Harri Sjöström (2CD Fundacja Sluchaj). Sten Sandell fut le pianiste de Gush avec Gustafsson et Ray Strid qui faisait allégeance à leurs aînés Parker Lytton Lovens Schlippenbach etc… dans les années 90.Ce trio enregistra un album avec Phil Wachsmann (GushWachs Bead CD). Sandell a plusieurs fois enregistré avec Evan Parker avec qui Lytton est associé depuis plus d’un demi-siècle et s’impose comme pianiste de choix dans cet aéropage assez phénoménal.
Lih Kadim Sunday Sextet Marko Jenič Jure Borsič Andrej Bostiančič Ruda Jaka Berger Jost Drasler Vid Drasler FMR CD 645-0822
https://brgstime.bandcamp.com/album/sunday-sextet-lih-kadim
La scène improvisation free jazz de Slovénie est devenue très dynamique et consistante malgré la faible population de ce petit pays. Sa capitale, Ljubljana, contient 280.000 habitants et le pays plus de 2 millions. Le jazz contemporain y a toujours eu droit de cité et une scène d’improvisation radicale en gestation depuis plus de vingt ans s’est affirmée activement. Ce Sunday Sextet rassemble plusieurs participants à des sessions collectives hebdomadaires qui ont finalement débouché sur la publication de cet album fascinant qui démarre avec une séquence de free free-jazz frénétiquement désarticulé et pétaradant (Saturday 10:36). La longue suite qui lui succède , Friday (35:36)est révélatrice de l’empathie des six musiciens et leur capacité à coexister créativement, à interagir et imbriquer leurs interventions librement improvisées de manière lisible et dynamique à la fois contrastée et cumulative. Six improvisateurs en roue libre, ce n’est pas de la tarte. Demandez à Joëlle Léandre qui elle, le dit carrément, un sextet 100% librement improvisé, ce n’est pas pour elle. En cause, la probabilité sérieuse de congestion, non communication, surenchère, confusion, difficulté à trouver un terrain d’entente. Et elle n’a pas tort, surtout quand la configuration de la scène - espace de jeu ne s’y prête pas. Mais visiblement et auditivement, ces six musiciens relèvent le défi haut la main ! Marko Jenic violon, Jure Borsic anches, Andrej Bost Jancic Ruda guitares électriques, Jaka Berger live sampling & modular synth , Jost Drasler contrebasse et Vid Drasler percussions. Ils font évoluer cette très longue improvisation en entraînant les auditeurs dans de nombreux paysages sonores constamment diversifiés en se relayant et relançant avec ardeur une multitude de détails sonores, actions instrumentales, interférences, ébauches de dialogues, cultivant une indépendance farouche et l’empathie mutuelle, l’invention imaginative ou contrastée et un sens de la répartie jamais pris en défaut. Cette conviction est illustrée dans le très court Sunday (04:58) qui clôture l’album et où sont concentrées toutes leurs qualités et les interventions judicieuses de chacun d’eux avec une belle précision et un sens du timing exemplaire. Pour leur bonheur, le percussionniste Vid Drasler a intégré les caractéristiques indispensables du « free drumming » dispersé et éclaté issues de la pratique éclairée des John Stevens, Paul Lovens et Roger Turner qui permettent la rotation des initiatives dans un orchestre « atomisé » où tous les membres partagent tous les rôles de manière libre, indépendante et responsable et met chacun de ces excellents improvisateurs en évidence. Pour notre plus grand bonheur. Le collectif est donc aux commandes, on n’a que faire de solistes et chefs de file.
Martina Verhoeven Quintet Driven Live at Roadburn 2022 Klanggalerie
https://dirkserries.bandcamp.com/album/driven-live-at-roadburn-festival-2022
Avec Onno Govaert à la batterie, Gonçalo Almeida à la contrebasse, Dirk Serries à la guitare et Colin Webster, la pianiste Martina Verhoeven est aux commandes d’un quintet hard-free , enregistré au Paradox de Tilburg lors de quatre jours de résidence du guitariste. Le piano sert ici d’instrument de percussion entraîné par les contorsions du contrebassiste et le drive emporté du batteur. Colin Webster fait éclater l’articulation brûlante de ses notes pressées dans des loops expressionnistes. Enfouies dans le magma sonore, les hachures trash du guitariste se révèlent à la 9ème minute face au piano pour introduire brièvement les frottements grésillants et minimalistes de la contrebasse. S’y agrègent petit à petit le souffleur en respiration circulaire et le batteur. Les cinq musiciens ont pris la décision d’enchaîner des mouvements variés et contrastés qui relancent l’écoute et crée des ambiances inattendues par rapport aux vrombissements de l’introduction. Jeu pointilliste du piano et de la guitare durent quelques minutes, rejoints par le souffleur devenu soudain mélodiste et le grondement sourd de la contrebasse. On se situe ici à la jointure de la démarche improvisée libre et du free-jazz rebelle. Leurs phases d’exploration sonore jouée du bout des doigts alternent avec des envolées hard-free effervescente, coulée de lave – raz de marée durant lesquels Martina Verhoeven martèle le clavier comme un dératée emportée par le déménagement torrentiel de ses acolytes. Allusion aux flots déchaînés des rivières ardennaises qui ont tout emporté sur leur passage durant l’été 2022 ? Ça craint, ça dépote, asphyxie ou pulse ce qu’il faut d’oxygène pour mettre le feu au brûlot. Bref interlude d’applaudissements et cela repart à la 25 ème minute sous la houlette de Colin Webster concassant les notes en virevoltant avec une belle adresse, commentée par les col legno et grincements glissés d’harmoniques de Gonçalo Almeida. Ces enchaînements ludiques sont du plus bel effet, bien détaillés et fort à propos même si une partie extrême de canardage sans répit et en pleine déflagration nous remémore la panzer muzik de nos très jeunes années. Voilà une improvisation collective convaincante qui détourne les déflagrations du hard free au bénéfice d’échanges ludiques et y retourne ensuite. Un très bon point !
Consacré aux musiques improvisées (libre, radicale,totale, free-jazz), aux productions d'enregistrements indépendants, aux idées et idéaux qui s'inscrivent dans la pratique vivante de ces musiques à l'écart des idéologies. Nouveautés et parutions datées pour souligner qu'il s'agit pour beaucoup du travail d'une vie. Orynx est le 1er album de voix solo de J-M Van Schouwburg. https://orynx.bandcamp.com
26 février 2023
Sophie Agnel Olivier Benoît Daunik Lazro/ Phil Wachsmann Paul Lytton Sten Sandell Floros Floridis & Nate Wooley/ Sunday Sextet : Marko Jenič Jure Borsič Andrej Bostiančič Ruda Jaka Berger Jost Drasler & Vid Drasler/ Martina Verhoeven Quintet avec Colin Webster Dirk Serries Gonçalo Almeida et Onno Govaert
Free Improvising Singer and improvised music writer.
24 février 2023
Julie & Keith Tippett(s) / Ivo Perelman Ray Anderson Joe Morris Reggie Nicholson / Klaus Kugel Kazuhisha Uchihashi Frank-Paul Schubert
Keith & Julie Tippetts Couple In Spirit Sound In Stone Discus Music
https://discusmusic.bandcamp.com/album/sound-on-stone-143cd-2023
Jusqu’au décès récent de Keith Tippett, le légendaire pianiste (R.I.P.) et son épouse la chanteuse Julie Tippetts, née Driscoll, ont travaillé et développé une musique d’improvisation en duo ou au sein de groupes où on croise Paul Dunmall, Willi Kellers, Maggie Nicols, Trevor Watts, Harry Miller et Frank Perry. Dans ce dernier album, la chanteuse a procédé à un re-recording / collage de sa voix avec des enregistrements solitaires de Keith datant de 1979 réalisés lors de sa tournée hollandaise de laquelle ont été tirées les plages mémorables de son fameux double album solo The Unlonely Dancer, qui a été réédité il y a peu par Discus (morceaux en 2,3,4 et 8). Seuls les morceaux 1 et 5 datent de 1996/96 et 6 et 7 datent de 1991 (Bologna). Nous sommes à la fois plongés dans l’univers poétique de Julie interprétant ses propres textes avec sa voix phénoménale, ultra-sensible et convaincante. Les parties chantées ajoutées aux improvisations au piano sont ici souvent organisées en multipistes, ce qui donne une ampleur orchestrale et dramatique à cette œuvre peu commune. Au son du piano tippettien fait de cascades, de clusters emportés dans une dimension lyrique et onirique, de graves granitiques, s’ajoutent l’utilisation sonore de cithares, boîtes à musiques et percussions (dont des mbiras africaines). La réalisation des parties chantées par Julie qu’elles soient en canon, en contraste, ou mélopées et comptines à l’unisson avec de légers décalages est du plus haut degré professionnel. Cela sonne de manière spontanée à la fois digne, hymnique mais aussi dans la droite ligne de la Julie Driscoll de nos jeunes années. Cette suite magnifique est émaillée de vocalises free, de glissandi soniques, d’effets de voix limpides, flûtés ou graves, gauchissant les diphtongues qui illustre sa capacité à improviser librement comme elle a pu le faire en compagnie de Maggie Nicols, du Spontaneous Music Ensemble ou de la Company de Derek Bailey. On retrouve aussi le blues, musique de ses débuts lorsque très jeune elle tournait avec Sonny Boy Williamson et ses camarades d’alors dont Rod Stewart et Trevor Watts. Julie restera pour nous tous une chanteuse et une voix inoubliable, ultra-sensible, pure et rebelle. On pense aussi à Jeanne Lee. Ce Sound on Stone est aussi le plus bel hommage à son mari et compagnon de toute une vie, Keith Tippett, pianiste secret et flamboyant s’il en est et dont vous trouverez plusieurs pièces parmi les plus éloquentes de son art (Improvisation 8 :49 avec jeu dans les cordes, boîte à musique et voix aiguë montant dans la stratosphère). Pour la bonne bouche, authentique !
Ivo Perelman Ray Anderson Joe Morris Reggie Nicholson Molten Gold Fundacja Sluchaj 2CD
https://sluchaj.bandcamp.com/album/molten-gold
Dès l’intro du premier morceau, un auditeur expérimenté et amateur vif du free-jazz ancestral pensera immédiatement au brûlot « Live at Donaueschingen » d’Archie Shepp enregistré il y plus de cinquante ans en compagnie des trombonistes Roswell Rudd et Grachan Moncur, du bassiste Jimmy Garrison, ex-Coltrane Quartet et du batteur Beaver Harris. Ils n’ont pas tout à fait tort, car il y a de nombreux points communs, hormis la rengaine funky triturée sur deux faces de LP , The Shadow of Your Smile. Quelle surprise d’entendre enfin un tel tromboniste en compagnie d’Ivo Perelman pour la première fois! L’attaque puissante, grasse, glissante et opulente de Ray Anderson complémente idéalement les échanges entre les quatre instrumentistes. Charpenté par le puissant (et sauvage) contrebassiste qui s’est révélé chez Joe Morris, guitariste de choix de la scène free (Perelman, William Parker, David S Ware, Joe Maneri, Matt Shipp), ce quartet déménage, s’envole, sursaute et amplifie son jazz libre en privilégiant l’écoute mutuelle et le dialogue instantané l’invention mélodique et une approche sonore savamment expressionniste, charnelle et suave à la fois. Le batteur Reggie Nicholson, indispensable compagnon de route d’Henry Threadgill (et de Thomas Borgmann), effectue un beau travail sur les pulsations, attentif à la dynamique, la rotation polyrythmique et de nombreuses nuances de frappes et de pulsations diversifiées. Ils choisissent aussi de se partager en duos trombone contrebasse et sax ténor batterie comme dans le deuxième morceau , Liquid. La personnalité du tromboniste Ray Anderson évoque souvent un funk-jazz accrocheur et un lyrisme puncheur et exubérant avec une qualité sonore carrément New Orléanaise, disparue dans le jazz moderne à l’avènement des JJ Johnson, Curtis Fuller, puis ressuscitée par Roswell Rudd. Mais ce serait oublier le travail accompli au début de sa carrière, quand Ray Anderson défrayait la chronique en trio avec des batteurs aussi raffinés que Barry Altschul et Gerry Hemingway au début des années 80, après avoir étonné le monde du jazz dans le quartet d’Anthony Braxton en 1979 où il remplaçait son ami George Lewis. Le disque Performance in Willisau de 1979 est resté depuis lors un moment incontournable de la saga braxtonienne et la contribution expressive et audacieuse de Ray Anderson (et de ses sourdines) dans cette formidable réussite est incontestable. Donc, c’est très bien vu de la part d’Ivo Perelman de s’associer à un tel géant du slide trombone, à la fois garant du soulful swing et créateur de formes intrigantes avec une utilisation très imaginative des sourdines devant le pavillon. Cette tradition des sourdines datant du jazz ancien (Ellington etc…), abandonnée durant le be-bop, eurent la faveur de pionniers du free comme Roswell Rudd et Paul Rutherford. Mais avec un souffleur créateur aussi avisé qu’Ivo Perelman, on ne s’en tient pas qu’aux formules déjà exploitées précédemment par d’autres trombonistes et saxophonistes. Il suffit d’entendre le long finale très soft de Liquid. Les quatre musiciens s’adonnent à cet exercice brumeux tout en légèreté d’une musique de chambre onirique. Aussi, Ivo Perelman semble avoir évolué au niveau de la sonorité et a considérablement mûri avec ses nombreuses expériences. S’il imprime sa marque de fabrique avec ses harmoniques chantantes et étirées dans les aigus et privilégie des fragments mélodiques de comptines brésiliennes et de curieux ostinatos pour ensuite relancer plus avant son cri caractéristique qui fait songer à Albert Ayler, sa sonorité semble plus naturelle, organique suite à l’adoption d’une nouvelle embouchure qui confère à son souffle un timbre légèrement « boisé » et moins cuivré. Aqua Regia (2.1) débute avec la contrebasse de Joe Morris frottée à l’archet et les deux souffleurs jouant des notes tenues comme s’ils s’accordaient pour créer une proximité émotionnelle avant de faire tournoyer spirales et tohu-bohus charnels, éclatements et déchirures. Durant les quatre morceaux (20 :02 – 20 :08 – 28 :35 – 20 :49), les musiciens s’ingénient à diversifier les occurrences en duos ou trios égalitaires momentanés et enchaînés ou lorsqu’une des voix prédomine (sax ténor, trombone ou contrebasse) dans le quartet ou quand les deux souffleurs alternent leurs interventions en se relançant constamment, échangeant de courtes interventions qui s’imbriquent dans un dialogue subtil ou expressif. Reggie Nicholson donne ici toute sa mesure en dévoilant petit à petit tout ce dont il est capable avec l’aide pertinente du contrebassiste Joe Morris, aussi classe que lorsqu’il guitarise. Et insistons : leurs libres improvisations collectives contribuent à créer des formes architecturées spontanément et inspirées par leurs échanges. Instant compositions : ce n’est pas de la « jam » , mais du grand art !! Aussi , le son du jazz authentique, celui qui vibre, saigne, malaxe les sons, rugit et murmure, se souvient d’un passé douloureux et anticipe l’utopie. Bref, c’est un double album qui mérite d’être parcouru et reparcouru morceau par morceau avec arrêts « sur image » tant la musique coule de source et nous entraîne dans un rêve éveillé. Magnifique !
Klaus Kugel Kazuhisha Uchihashi Frank-Paul Schubert Black Holes Are Hard To Find
https://schubert-uchihashi-kugel.bandcamp.com/album/black-holes-are-hard-to-find
Le batteur allemand Klaus Kugel a de fortes attaches avec le free-jazz afro – américain. Je me souviens d’un album avec le trompettiste Peter Evans , le clarinettiste Perry Robinson, le bassiste Hilliard Greene et le guitariste Bruce Eisenbell ou encore ce trio avec Joe McPhee et John Edwards, Journey to Parazzar. Avec Frank-Paul Schubert au sax soprano , il peut compter sur un souffleur improvisateur très compétent qui se situe à mi-chemin entre un lyrisme free nourri par l’expérience du free-jazz historique et une pratique chercheuse pointue sur l’instrument en roue libre totalement improvisée. Frank Paul Schubert a enregistré avec Willi Kellers, Paul Dunmall, Martin Blume, Alex von Schlippenbach, Olaf Rupp, Paul Rogers etc… où son louable sens de l’aventure fait merveille. Un camarade comme le guitariste japonais Kazuhisha Uchihashi ouvre le champ sonore avec un réel sens de la dynamique et de superbes nuances à l’aide des multiples pédales d’effets sonores truffée de clusters aériens, de glissandi diaphanes, d et de notes chatoyantes et mystérieuses. Kazuhisha a travaillé et enregistré avec des artistes aussi divers qu'Hans Reichel, Richard Scott ou Roger Turner. Avec ces deux acolytes férus de cette musique détaillée déployant un nuancier coloriste à faire pâlir un détaillant en peintures d’ameublement, le jeu de batterie en frappes croisées de Klaus Kugel s’est allégé considérablement par rapport au travail de groupe qui l’a fait connaître sur la scène du free-jazz. Son jeu de cymbales aérien dévoile une sensibilité de toucher et d’attaques tout à fait remarquable. Cette musique s’envole et navigue en apesanteur dans un espace intersidéral (Needle ‘s Eye , Black Holes Are Hard To Find), avec un jeu feutré traversé de légères stridences (cymbales à l’archet) et de friselis de cordes triturées. Notes tenues, souffles électriques, tintinnabulement de clochettes, mailloches sautillant sur les peaux assourdies et roulant en crescendo – decrescendo. Kazuhisha Uchihashi a acquis un sens du détail et de la finesse avec son installation de guitare électronique : il crée des ondes venteuses glissant dans le grave ou s’échappant dans l’aigu. La voix suave du saxophoniste à l’alto se love en des spirales irradiantes ou plane en étirant une note ou deux. La liberté qu’ils s’autorisent les fait dépasser ce jeu légèrement réactif et planant post ECM en pratiquant des interactions tangentielles, le souffle jusque-là retenu et introspectif de Frank-Paul Schubert devient mordant et acide au fil d’Explosive Past. Leur musique s’intériorise et s’épure sensiblement en étirant sons et notes dans New Kind of Terrain en se concentrant sur la transformation méthodique de textures et l’apparition de nouveaux modes de toucher les instruments, Schubert pratiquant alors la respiration circulaire en faisant grésiller sa colonne d’air et vocalisant légèrement. Il nourrit imperceptiblement l’effet légèrement rotatoire du trio comme s’il le rattachait à la terre nourricière avec son jeu en zigzag et grâce à toutes les facultés swinguantes des frappes démultipliées de Klaus Kugel. Une libre manière de jazz cosmique. Tout cela est joué avec classe, concentration et inspiration et mérite une écoute pour une belle fin de soirée d’hiver loin du bruit des mondes.
https://discusmusic.bandcamp.com/album/sound-on-stone-143cd-2023
Jusqu’au décès récent de Keith Tippett, le légendaire pianiste (R.I.P.) et son épouse la chanteuse Julie Tippetts, née Driscoll, ont travaillé et développé une musique d’improvisation en duo ou au sein de groupes où on croise Paul Dunmall, Willi Kellers, Maggie Nicols, Trevor Watts, Harry Miller et Frank Perry. Dans ce dernier album, la chanteuse a procédé à un re-recording / collage de sa voix avec des enregistrements solitaires de Keith datant de 1979 réalisés lors de sa tournée hollandaise de laquelle ont été tirées les plages mémorables de son fameux double album solo The Unlonely Dancer, qui a été réédité il y a peu par Discus (morceaux en 2,3,4 et 8). Seuls les morceaux 1 et 5 datent de 1996/96 et 6 et 7 datent de 1991 (Bologna). Nous sommes à la fois plongés dans l’univers poétique de Julie interprétant ses propres textes avec sa voix phénoménale, ultra-sensible et convaincante. Les parties chantées ajoutées aux improvisations au piano sont ici souvent organisées en multipistes, ce qui donne une ampleur orchestrale et dramatique à cette œuvre peu commune. Au son du piano tippettien fait de cascades, de clusters emportés dans une dimension lyrique et onirique, de graves granitiques, s’ajoutent l’utilisation sonore de cithares, boîtes à musiques et percussions (dont des mbiras africaines). La réalisation des parties chantées par Julie qu’elles soient en canon, en contraste, ou mélopées et comptines à l’unisson avec de légers décalages est du plus haut degré professionnel. Cela sonne de manière spontanée à la fois digne, hymnique mais aussi dans la droite ligne de la Julie Driscoll de nos jeunes années. Cette suite magnifique est émaillée de vocalises free, de glissandi soniques, d’effets de voix limpides, flûtés ou graves, gauchissant les diphtongues qui illustre sa capacité à improviser librement comme elle a pu le faire en compagnie de Maggie Nicols, du Spontaneous Music Ensemble ou de la Company de Derek Bailey. On retrouve aussi le blues, musique de ses débuts lorsque très jeune elle tournait avec Sonny Boy Williamson et ses camarades d’alors dont Rod Stewart et Trevor Watts. Julie restera pour nous tous une chanteuse et une voix inoubliable, ultra-sensible, pure et rebelle. On pense aussi à Jeanne Lee. Ce Sound on Stone est aussi le plus bel hommage à son mari et compagnon de toute une vie, Keith Tippett, pianiste secret et flamboyant s’il en est et dont vous trouverez plusieurs pièces parmi les plus éloquentes de son art (Improvisation 8 :49 avec jeu dans les cordes, boîte à musique et voix aiguë montant dans la stratosphère). Pour la bonne bouche, authentique !
Ivo Perelman Ray Anderson Joe Morris Reggie Nicholson Molten Gold Fundacja Sluchaj 2CD
https://sluchaj.bandcamp.com/album/molten-gold
Dès l’intro du premier morceau, un auditeur expérimenté et amateur vif du free-jazz ancestral pensera immédiatement au brûlot « Live at Donaueschingen » d’Archie Shepp enregistré il y plus de cinquante ans en compagnie des trombonistes Roswell Rudd et Grachan Moncur, du bassiste Jimmy Garrison, ex-Coltrane Quartet et du batteur Beaver Harris. Ils n’ont pas tout à fait tort, car il y a de nombreux points communs, hormis la rengaine funky triturée sur deux faces de LP , The Shadow of Your Smile. Quelle surprise d’entendre enfin un tel tromboniste en compagnie d’Ivo Perelman pour la première fois! L’attaque puissante, grasse, glissante et opulente de Ray Anderson complémente idéalement les échanges entre les quatre instrumentistes. Charpenté par le puissant (et sauvage) contrebassiste qui s’est révélé chez Joe Morris, guitariste de choix de la scène free (Perelman, William Parker, David S Ware, Joe Maneri, Matt Shipp), ce quartet déménage, s’envole, sursaute et amplifie son jazz libre en privilégiant l’écoute mutuelle et le dialogue instantané l’invention mélodique et une approche sonore savamment expressionniste, charnelle et suave à la fois. Le batteur Reggie Nicholson, indispensable compagnon de route d’Henry Threadgill (et de Thomas Borgmann), effectue un beau travail sur les pulsations, attentif à la dynamique, la rotation polyrythmique et de nombreuses nuances de frappes et de pulsations diversifiées. Ils choisissent aussi de se partager en duos trombone contrebasse et sax ténor batterie comme dans le deuxième morceau , Liquid. La personnalité du tromboniste Ray Anderson évoque souvent un funk-jazz accrocheur et un lyrisme puncheur et exubérant avec une qualité sonore carrément New Orléanaise, disparue dans le jazz moderne à l’avènement des JJ Johnson, Curtis Fuller, puis ressuscitée par Roswell Rudd. Mais ce serait oublier le travail accompli au début de sa carrière, quand Ray Anderson défrayait la chronique en trio avec des batteurs aussi raffinés que Barry Altschul et Gerry Hemingway au début des années 80, après avoir étonné le monde du jazz dans le quartet d’Anthony Braxton en 1979 où il remplaçait son ami George Lewis. Le disque Performance in Willisau de 1979 est resté depuis lors un moment incontournable de la saga braxtonienne et la contribution expressive et audacieuse de Ray Anderson (et de ses sourdines) dans cette formidable réussite est incontestable. Donc, c’est très bien vu de la part d’Ivo Perelman de s’associer à un tel géant du slide trombone, à la fois garant du soulful swing et créateur de formes intrigantes avec une utilisation très imaginative des sourdines devant le pavillon. Cette tradition des sourdines datant du jazz ancien (Ellington etc…), abandonnée durant le be-bop, eurent la faveur de pionniers du free comme Roswell Rudd et Paul Rutherford. Mais avec un souffleur créateur aussi avisé qu’Ivo Perelman, on ne s’en tient pas qu’aux formules déjà exploitées précédemment par d’autres trombonistes et saxophonistes. Il suffit d’entendre le long finale très soft de Liquid. Les quatre musiciens s’adonnent à cet exercice brumeux tout en légèreté d’une musique de chambre onirique. Aussi, Ivo Perelman semble avoir évolué au niveau de la sonorité et a considérablement mûri avec ses nombreuses expériences. S’il imprime sa marque de fabrique avec ses harmoniques chantantes et étirées dans les aigus et privilégie des fragments mélodiques de comptines brésiliennes et de curieux ostinatos pour ensuite relancer plus avant son cri caractéristique qui fait songer à Albert Ayler, sa sonorité semble plus naturelle, organique suite à l’adoption d’une nouvelle embouchure qui confère à son souffle un timbre légèrement « boisé » et moins cuivré. Aqua Regia (2.1) débute avec la contrebasse de Joe Morris frottée à l’archet et les deux souffleurs jouant des notes tenues comme s’ils s’accordaient pour créer une proximité émotionnelle avant de faire tournoyer spirales et tohu-bohus charnels, éclatements et déchirures. Durant les quatre morceaux (20 :02 – 20 :08 – 28 :35 – 20 :49), les musiciens s’ingénient à diversifier les occurrences en duos ou trios égalitaires momentanés et enchaînés ou lorsqu’une des voix prédomine (sax ténor, trombone ou contrebasse) dans le quartet ou quand les deux souffleurs alternent leurs interventions en se relançant constamment, échangeant de courtes interventions qui s’imbriquent dans un dialogue subtil ou expressif. Reggie Nicholson donne ici toute sa mesure en dévoilant petit à petit tout ce dont il est capable avec l’aide pertinente du contrebassiste Joe Morris, aussi classe que lorsqu’il guitarise. Et insistons : leurs libres improvisations collectives contribuent à créer des formes architecturées spontanément et inspirées par leurs échanges. Instant compositions : ce n’est pas de la « jam » , mais du grand art !! Aussi , le son du jazz authentique, celui qui vibre, saigne, malaxe les sons, rugit et murmure, se souvient d’un passé douloureux et anticipe l’utopie. Bref, c’est un double album qui mérite d’être parcouru et reparcouru morceau par morceau avec arrêts « sur image » tant la musique coule de source et nous entraîne dans un rêve éveillé. Magnifique !
Klaus Kugel Kazuhisha Uchihashi Frank-Paul Schubert Black Holes Are Hard To Find
https://schubert-uchihashi-kugel.bandcamp.com/album/black-holes-are-hard-to-find
Le batteur allemand Klaus Kugel a de fortes attaches avec le free-jazz afro – américain. Je me souviens d’un album avec le trompettiste Peter Evans , le clarinettiste Perry Robinson, le bassiste Hilliard Greene et le guitariste Bruce Eisenbell ou encore ce trio avec Joe McPhee et John Edwards, Journey to Parazzar. Avec Frank-Paul Schubert au sax soprano , il peut compter sur un souffleur improvisateur très compétent qui se situe à mi-chemin entre un lyrisme free nourri par l’expérience du free-jazz historique et une pratique chercheuse pointue sur l’instrument en roue libre totalement improvisée. Frank Paul Schubert a enregistré avec Willi Kellers, Paul Dunmall, Martin Blume, Alex von Schlippenbach, Olaf Rupp, Paul Rogers etc… où son louable sens de l’aventure fait merveille. Un camarade comme le guitariste japonais Kazuhisha Uchihashi ouvre le champ sonore avec un réel sens de la dynamique et de superbes nuances à l’aide des multiples pédales d’effets sonores truffée de clusters aériens, de glissandi diaphanes, d et de notes chatoyantes et mystérieuses. Kazuhisha a travaillé et enregistré avec des artistes aussi divers qu'Hans Reichel, Richard Scott ou Roger Turner. Avec ces deux acolytes férus de cette musique détaillée déployant un nuancier coloriste à faire pâlir un détaillant en peintures d’ameublement, le jeu de batterie en frappes croisées de Klaus Kugel s’est allégé considérablement par rapport au travail de groupe qui l’a fait connaître sur la scène du free-jazz. Son jeu de cymbales aérien dévoile une sensibilité de toucher et d’attaques tout à fait remarquable. Cette musique s’envole et navigue en apesanteur dans un espace intersidéral (Needle ‘s Eye , Black Holes Are Hard To Find), avec un jeu feutré traversé de légères stridences (cymbales à l’archet) et de friselis de cordes triturées. Notes tenues, souffles électriques, tintinnabulement de clochettes, mailloches sautillant sur les peaux assourdies et roulant en crescendo – decrescendo. Kazuhisha Uchihashi a acquis un sens du détail et de la finesse avec son installation de guitare électronique : il crée des ondes venteuses glissant dans le grave ou s’échappant dans l’aigu. La voix suave du saxophoniste à l’alto se love en des spirales irradiantes ou plane en étirant une note ou deux. La liberté qu’ils s’autorisent les fait dépasser ce jeu légèrement réactif et planant post ECM en pratiquant des interactions tangentielles, le souffle jusque-là retenu et introspectif de Frank-Paul Schubert devient mordant et acide au fil d’Explosive Past. Leur musique s’intériorise et s’épure sensiblement en étirant sons et notes dans New Kind of Terrain en se concentrant sur la transformation méthodique de textures et l’apparition de nouveaux modes de toucher les instruments, Schubert pratiquant alors la respiration circulaire en faisant grésiller sa colonne d’air et vocalisant légèrement. Il nourrit imperceptiblement l’effet légèrement rotatoire du trio comme s’il le rattachait à la terre nourricière avec son jeu en zigzag et grâce à toutes les facultés swinguantes des frappes démultipliées de Klaus Kugel. Une libre manière de jazz cosmique. Tout cela est joué avec classe, concentration et inspiration et mérite une écoute pour une belle fin de soirée d’hiver loin du bruit des mondes.
Free Improvising Singer and improvised music writer.
16 février 2023
Kay Grant & Daniel Thompson / Matthias Boss & Marcello Magliocchi / MUEJL Michel Stawicki Uygur Vural Elisabetta Manfredini João Madeira Luiz Rocha/C/W I N Dusica Caljan Georg Wissel Etienne Nillesen
Kay Grant & Daniel Thompson quite pleased to be playing under a birdcage, that doesn’t have a bird in it Empty Birdcage EBR008
https://emptybirdcagerecords.bandcamp.com/album/quite-pleased-to-be-playing-under-a-birdcage-that-doesnt-have-a-bird-in-it
Quoi dire au sujet de cet album en duo, les deux improvisateurs étant très contents qu’il n’y a pas d’oiseau dans la cage vide. Cela me fait penser à l’hymne régional wallon de la petite gayole où il est question qu’« elle me l’avait toudi promis, une belle p’tite gayole » et « quand mon canari saura t’chanter, il ira vîr les filles » etc… La gayole du guitariste Daniel Thompson, elle est vide (Empty Birdcage, le nom du label), car lui et la chanteuse Kay Grant ont trop d’imagination et de sens de l’improvisation pour se laisser enfermer dans une grille ou un quelconque format, fut-il improvisé. C’est toute une vie et des émotions qui se dévident dans le babil et les inventions vocales de Kay Grant éperonnées par le jeu saccadé en fil barbelé de Daniel Thompson. L’album fut enregistré au Catford Constitutionnal Club à l’invitation d’Adam Bohman, l’objétiste maniaque qui est aussi le plus grand fan de ses collègues quels que soient leurs visions de l’improvisation, et au légendaire Mopomoso de feu John Russell. Deux sets de plus de vingt minutes car on vient aussi écouter les autres copains conviés à la soirée.
Certains diront sans doute que Daniel Thompson a puisé son inspiration chez John Russell ou le Derek Bailey acoustique. Mais pour quelqu’un comme moi qui ait passé le plus clair de sa vie à écouter l’un et l’autre et si le matériau sonore de base et une certaine pratique de la guitare sont largement partagés par les trois guitaristes, il est évident que Daniel Thompson joue du Daniel Thompson avec une réelle maîtrise et une invention sonore instantanée qui musarde autant qu’elle synthétise. Intervalles abrupts, clusters expressifs, escaliers d’Escher, trompe l’œil harmoniques, coups de griffes métalliques, grinçants, cavalcades en zigzag ou ballade interrompue par l’écoute, frémissements des cordes frottées ou crissées. On le reconnaît immédiatement par ses obsessions et son mordant, sa rage. Avec la chanteuse Kay Grant, il a établi un rapport direct, une télépathie immédiate, une intense communauté d’intérêts au point que leur duo va devenir un réel pôle d’attraction. Kay Grant n’est pas une diva ou une passionaria débordante, ou emphatique - elle ne crie jamais - mais la détentrice fidèle d’un art secret du partage inventif et de la communion introspective, avec un sens de la méthode et du dosage qui colle au temps de l’improvisation comme la plus belle conversation entre amis. Sens de l'épure sans emphase. Elle a le chic de glisser une ritournelle imaginaire par-dessus le motif répété en accords brisés de son partenaire. La suggestion, l’effort opiniâtre du moindre instant où son gosier éclate, sa glotte crie, ses joues sussurent, ou croassent contre le micro. Bruits de bouche, jargons insaisissables, aigus flûtés, voyelles concassées, miasmes gutturaux, mélopées venues de l'inconnu, tout a la marque de l’intime. Sa qualité d’écoute est phénoménale. Sa voix ne s’élance point dans l’espace avec des tirades entendues, mais lutte point à point, chaque nano-seconde après-chaque nano-seconde pour faire coïncider ses interventions très précises aux signes ésotériques de son acolyte guitariste avec autant d'indépendance que de fidélité. Celui-ci transforme sa guitare à coups de picotements, de raclages, de frictions déjantées, de sourdines improbables, d’harmoniques libératrices, avec une vigueur spasmodique ultra ludique et extrême ou un balancement désenchanté. Leur musique est déjà parvenue à un achèvement remarquable. Mais que dire alors de leur dernier concert londonien du dimanche 5 février dernier où je les avais moi-même invités à se produire à l’ iconique Hundred Years Gallery après notre quartet (Casserley, Marzan, Wachsmann , Van Schouwburg) ? Leur magnifique duo était alors passé dans la dimension supérieure, plus intense, plus construit, plus concentré et émouvant. Présente, Armorel Weston, la chanteuse qui avait fixé les premiers gigs de John Stevens, Trevor Watts et cie au Little Theatre Club vers 1965 et suivi les débuts de cette scène « légendaire » parmi les premières dont Maggie Nicols trois ans plus tard. Armorel a alors ajouté par son écoute et sa présence irremplaçable ce déclic magique, celui de l’entente parfaite. Venir à Londres pour découvrir cela et notre trio avec Dan et Roland Ramanan au Boat Ting qui tangua alors avec le sourire complice de Kay Grant, auditrice. Inoubliable !
Et quel bel album !!
Schnellissimo Matthias Boss & Marcello Magliocchi Plus Timbre
https://plustimbre.bandcamp.com/album/schnellissimo
Duo violon et percussions super fins par deux orfèvres de l’improvisation libre. Peut – être n’avez-vous jamais ouï dire de ce phénomène du violon Jurassien Bernois, Matthias Boss. Mais ses collègues et les auditeurs avisés qui l’ont entendu dans de bonnes conditions , eux , s’en souviennent. Et quand Matthias est confronté à son alter-ego percussionniste des Pouilles, Marcello Magliocchi, vous tenez là une conversation musicale de très haut niveau créatif improvisé contemporain. On voyage à la même latitude d'excellence des duos de Philipp Wachsmann avec des percussionnistes comme Paul Lytton, Roger Turner et Martin Blume, que Philipp a publié sur son excellent et légendaire label Bead Records.
Ce qui frappe dès le départ, c’est la qualité du toucher du percussionniste sur tous les ustensiles sélectionnés avec soin de sa mini batterie et sa grande précision. Il faut d’ailleurs le voir (son kit) pour le croire. Le pointillisme décontracté de sa manière fait suggérer au violiniste Matthias Boss des bribes d’interventions ultra-précis dont la dynamique, le centre tonal, les accents, l’action de l’archet et les lambeaux mélodiques dodéca-choses évoluent avec une logique déconcertante d'une fraction de seconde à l'autre. Marcello sollicite sa grosse caisse avec des frappes gargantuesques complètement décalées quelques instants, pour ensuite d’éparpiller avec des baguettes de riz chinoises sur la peau d’un tambourin et des objets métalliques. Glissandi serpentins mus par un lyrisme oriental improbable au violon. Quasiment un moment d’anthologie. La qualité des échanges , leurs variétés de l’opulence à la raréfaction, du striage nerveux et scintillements de la corde aiguë à des flottements de matières percussives puis des frappes résonnantes sur les peaux et les métaux au centre de gravité incertain. Polyrythmie fragmentée, accélérée ou en suspension. Ça peut s’agiter sans demi-mesure avec des cadences infernales multidirectionnelles ou atterrir comme un oiseau sur une fine branche. Aller et retour entre la retenue au bord du silence et une hyper activité éphémère qui polarisent et centrifugent tous les aléas antinomiques, éclatés ou rassembleurs d’une improvisation volontairement décousue où le fil conducteur, le sentier de la gloire s’inscrit par des froissements de feuillages et d’infimes traces au sol au travers d’une jungle sonore qui s’estompe avec nos sens en alerte et que l’auditeur volontaire suivra par enchantement. Voici cinq pièces à convictions d’un duo d’une très haute tenue : un percussionniste et un violoniste exceptionnels par leur métaphores sans pareil. Matthias Boss et Marcello Magliocchi. Fabuleuse merveille.
By Breakfast MUEJL Michel Stawicki Uygur Vural Elisabetta Manfredini João Madeira Luiz Rocha 4darecords 4DACD006
https://joaomadeira.bandcamp.com/album/by-breakfast
Le nom du groupe assemble les initiales des prénoms de chaque instrumentiste et de la vocaliste, Elisabetta Lanfredini. Michel Stawicki au sax ténor Uygur Vural au violoncelle, Elisabetta voix, João Madeira contrebasse et Luiz Rocha clarinette. Une formation cohérente : deux cordes, une voix et deux souffleurs et des compositions instantanées bien équilibrées où se concentrent l’écoute mutuelle et la juste répartition des énergies et de l’attention dans l’espace. Neuf morceaux assez courts entre deux, trois ou quatre minutes les deux plus longs atteignant 7’34’’ et 7’27’’. Le bassiste João Madeira étant sans doute à l’initiative de cet enregistrement sous la coiffe de producteur et mixeur- mastériseur, il convient de souligner la variété esthétique des excellents projets qu’il présente sur son label 4DAR, tout récemment inauguré. Certains albums comme Cochlea (João Madeira et José Oliveira) se focalise sur un travail en profondeur individuel de la matière sonore et une conception radicale de l’interactivité entre deux musiciens très proches, en l’occurrence un contrebassiste et un percussionniste. By Breakfast, au petit-déjeuner qu’il vienne de quitter lorsque se met en marche la machine enregistreuse face à ce quintet particulier. Il faut avouer qu’avec une telle instrumentation, on aura droit à une musique qui s’écarte des sentiers battus de la free-music, cette zone esthétique où prédomine la présence systématique de souffleurs , d’une contrebasse et d’une batterie. Avec ce présent quintet, de multiples occurrences sonores voient le jour, chaque « idée » ou « canevas » est développé selon une recette particulière. C’est le moment de découvrir le travail orchestral typiquement clarinette basse avec ses scansions irrégulières et ses coups de langue appuyés, effets de souffle qui se joignent dans une belle communion avec les cadences du violoncelle et de la contrebasse, frottements bourdonnants, grincements, archets pressurés, notes tenues, guigues fofolles , interventions millimétrées. Ah le pizzicato puissant de João Madeira, toujours bienvenu au moment opportun, créant l’ossature de plusieurs morceaux avec goût. Le babil sautillant de Elisabetta Lanfredini se mue dans un chant puissant et imposant, un parler chanter inspiré, une comptine improbable ou une incantation tribale. Magnifique. Et les ajouts en demi-teinte de Michel Stawicki : ah il y a un sax ténor ? Et ce final au violoncelle aux airs d’Asie Centrale. Ce musicien a très bien intégré l’esprit de la rencontre. Il y a là une belle activité improvisée d’échange, de partage et d’invention concertée , sans le moindre bavardage et qui force l’admiration entre autres par le renouvellement constant de l’inspiration et l’utilisation subtile de processus compositionnels organiquement intégrés à l’improvisation collective. Super réussite collective.
C/W I N thirty nine fifty five Dusica Cajlan Georg Wissel Etienne Nillesen Acheulian handaxe AHA 2202
https://handaxe.org/album/c-w-n-thirty-nine-fifty-five
Méta-musique millimétrée faite de chocs brefs et résonnants sur l’anche du sax du rebord de la caisse et dans la table d’harmonie, de sons bruissants, de bulles d’air qui affluent lentement dans le tube, de résonnance des cordes du piano à peine touchées ou grattées, timbres en suspension flottant dans la pénombre. Les premières minutes de I (29’08’’). Dusica Caljan est une pianiste distinguée, Georg Wissel est un souffleur maniaque des sourdines insolites à même le pavillon du sax, Etienne Nillesen joue d’une simplissime extended snare drum en lieu et place de batterie. Cette suite de 29 minutes est le lieu et le temps d’un premier remarquable crescendo – decrescendo en intensité du « presque rien » minimaliste à peine audible jusqu’au point de convergence de l’énergie et de staccatos hachés à volonté pour redescendre dans l’intimité de l’intérieur du piano assourdi où murmurent les cordes métalliques quand se soulèvent les marteaux en vague imperceptible sous la férule de la baguette follement hésitante à marteler cette caisse claire fantômatique. Tout autour s’agitent frottements et chuintements dans un tourbillon de feuilles mortes. Cette musique ésotérique suggère une agitation fébrile en deça d’un niveau ostensible de décibels et souvent rejoignant le quasi silence, celui propice à faire tinter le clavier comme il se doit en arpèges sauvages clusterisés. Cette orientation musicale n’est certes pas neuve, mais le grand attrait de ce trio c’est la classe superbe de ses trois musiciens. Il suffit d’entendre le saxophoniste jouer ces larges intervalles post-tristaniens avec une articulation tortueuse et un timbre diaphane transgressé de morsures et de sursauts d’humeur bruitistes qui plongent une fois de plus au bord du silence lorsque les deux autres le rejoignent. L’occasion d’une étrange respiration circulaire à l’anche à peine résonnante et des fétus de sons. En II , 10’47’’ qui concentre tout ce qui vient d'être exposé dans une forme ramassée, concentrée et métamorphique. On se rend petit à petit compte que leurs déambulations sonores interactives débouchent sur des formes – itinéraires maîtrisés avec un sens inné de la navigation, de la suite. Concentrez-vous sur les sons du trio et le jeu de chacun et l’écoute intense vous fera pénétrer un monde secret d’échanges inouïs.
Quoi dire au sujet de cet album en duo, les deux improvisateurs étant très contents qu’il n’y a pas d’oiseau dans la cage vide. Cela me fait penser à l’hymne régional wallon de la petite gayole où il est question qu’« elle me l’avait toudi promis, une belle p’tite gayole » et « quand mon canari saura t’chanter, il ira vîr les filles » etc… La gayole du guitariste Daniel Thompson, elle est vide (Empty Birdcage, le nom du label), car lui et la chanteuse Kay Grant ont trop d’imagination et de sens de l’improvisation pour se laisser enfermer dans une grille ou un quelconque format, fut-il improvisé. C’est toute une vie et des émotions qui se dévident dans le babil et les inventions vocales de Kay Grant éperonnées par le jeu saccadé en fil barbelé de Daniel Thompson. L’album fut enregistré au Catford Constitutionnal Club à l’invitation d’Adam Bohman, l’objétiste maniaque qui est aussi le plus grand fan de ses collègues quels que soient leurs visions de l’improvisation, et au légendaire Mopomoso de feu John Russell. Deux sets de plus de vingt minutes car on vient aussi écouter les autres copains conviés à la soirée.
Certains diront sans doute que Daniel Thompson a puisé son inspiration chez John Russell ou le Derek Bailey acoustique. Mais pour quelqu’un comme moi qui ait passé le plus clair de sa vie à écouter l’un et l’autre et si le matériau sonore de base et une certaine pratique de la guitare sont largement partagés par les trois guitaristes, il est évident que Daniel Thompson joue du Daniel Thompson avec une réelle maîtrise et une invention sonore instantanée qui musarde autant qu’elle synthétise. Intervalles abrupts, clusters expressifs, escaliers d’Escher, trompe l’œil harmoniques, coups de griffes métalliques, grinçants, cavalcades en zigzag ou ballade interrompue par l’écoute, frémissements des cordes frottées ou crissées. On le reconnaît immédiatement par ses obsessions et son mordant, sa rage. Avec la chanteuse Kay Grant, il a établi un rapport direct, une télépathie immédiate, une intense communauté d’intérêts au point que leur duo va devenir un réel pôle d’attraction. Kay Grant n’est pas une diva ou une passionaria débordante, ou emphatique - elle ne crie jamais - mais la détentrice fidèle d’un art secret du partage inventif et de la communion introspective, avec un sens de la méthode et du dosage qui colle au temps de l’improvisation comme la plus belle conversation entre amis. Sens de l'épure sans emphase. Elle a le chic de glisser une ritournelle imaginaire par-dessus le motif répété en accords brisés de son partenaire. La suggestion, l’effort opiniâtre du moindre instant où son gosier éclate, sa glotte crie, ses joues sussurent, ou croassent contre le micro. Bruits de bouche, jargons insaisissables, aigus flûtés, voyelles concassées, miasmes gutturaux, mélopées venues de l'inconnu, tout a la marque de l’intime. Sa qualité d’écoute est phénoménale. Sa voix ne s’élance point dans l’espace avec des tirades entendues, mais lutte point à point, chaque nano-seconde après-chaque nano-seconde pour faire coïncider ses interventions très précises aux signes ésotériques de son acolyte guitariste avec autant d'indépendance que de fidélité. Celui-ci transforme sa guitare à coups de picotements, de raclages, de frictions déjantées, de sourdines improbables, d’harmoniques libératrices, avec une vigueur spasmodique ultra ludique et extrême ou un balancement désenchanté. Leur musique est déjà parvenue à un achèvement remarquable. Mais que dire alors de leur dernier concert londonien du dimanche 5 février dernier où je les avais moi-même invités à se produire à l’ iconique Hundred Years Gallery après notre quartet (Casserley, Marzan, Wachsmann , Van Schouwburg) ? Leur magnifique duo était alors passé dans la dimension supérieure, plus intense, plus construit, plus concentré et émouvant. Présente, Armorel Weston, la chanteuse qui avait fixé les premiers gigs de John Stevens, Trevor Watts et cie au Little Theatre Club vers 1965 et suivi les débuts de cette scène « légendaire » parmi les premières dont Maggie Nicols trois ans plus tard. Armorel a alors ajouté par son écoute et sa présence irremplaçable ce déclic magique, celui de l’entente parfaite. Venir à Londres pour découvrir cela et notre trio avec Dan et Roland Ramanan au Boat Ting qui tangua alors avec le sourire complice de Kay Grant, auditrice. Inoubliable !
Et quel bel album !!
Schnellissimo Matthias Boss & Marcello Magliocchi Plus Timbre
https://plustimbre.bandcamp.com/album/schnellissimo
Duo violon et percussions super fins par deux orfèvres de l’improvisation libre. Peut – être n’avez-vous jamais ouï dire de ce phénomène du violon Jurassien Bernois, Matthias Boss. Mais ses collègues et les auditeurs avisés qui l’ont entendu dans de bonnes conditions , eux , s’en souviennent. Et quand Matthias est confronté à son alter-ego percussionniste des Pouilles, Marcello Magliocchi, vous tenez là une conversation musicale de très haut niveau créatif improvisé contemporain. On voyage à la même latitude d'excellence des duos de Philipp Wachsmann avec des percussionnistes comme Paul Lytton, Roger Turner et Martin Blume, que Philipp a publié sur son excellent et légendaire label Bead Records.
Ce qui frappe dès le départ, c’est la qualité du toucher du percussionniste sur tous les ustensiles sélectionnés avec soin de sa mini batterie et sa grande précision. Il faut d’ailleurs le voir (son kit) pour le croire. Le pointillisme décontracté de sa manière fait suggérer au violiniste Matthias Boss des bribes d’interventions ultra-précis dont la dynamique, le centre tonal, les accents, l’action de l’archet et les lambeaux mélodiques dodéca-choses évoluent avec une logique déconcertante d'une fraction de seconde à l'autre. Marcello sollicite sa grosse caisse avec des frappes gargantuesques complètement décalées quelques instants, pour ensuite d’éparpiller avec des baguettes de riz chinoises sur la peau d’un tambourin et des objets métalliques. Glissandi serpentins mus par un lyrisme oriental improbable au violon. Quasiment un moment d’anthologie. La qualité des échanges , leurs variétés de l’opulence à la raréfaction, du striage nerveux et scintillements de la corde aiguë à des flottements de matières percussives puis des frappes résonnantes sur les peaux et les métaux au centre de gravité incertain. Polyrythmie fragmentée, accélérée ou en suspension. Ça peut s’agiter sans demi-mesure avec des cadences infernales multidirectionnelles ou atterrir comme un oiseau sur une fine branche. Aller et retour entre la retenue au bord du silence et une hyper activité éphémère qui polarisent et centrifugent tous les aléas antinomiques, éclatés ou rassembleurs d’une improvisation volontairement décousue où le fil conducteur, le sentier de la gloire s’inscrit par des froissements de feuillages et d’infimes traces au sol au travers d’une jungle sonore qui s’estompe avec nos sens en alerte et que l’auditeur volontaire suivra par enchantement. Voici cinq pièces à convictions d’un duo d’une très haute tenue : un percussionniste et un violoniste exceptionnels par leur métaphores sans pareil. Matthias Boss et Marcello Magliocchi. Fabuleuse merveille.
By Breakfast MUEJL Michel Stawicki Uygur Vural Elisabetta Manfredini João Madeira Luiz Rocha 4darecords 4DACD006
https://joaomadeira.bandcamp.com/album/by-breakfast
Le nom du groupe assemble les initiales des prénoms de chaque instrumentiste et de la vocaliste, Elisabetta Lanfredini. Michel Stawicki au sax ténor Uygur Vural au violoncelle, Elisabetta voix, João Madeira contrebasse et Luiz Rocha clarinette. Une formation cohérente : deux cordes, une voix et deux souffleurs et des compositions instantanées bien équilibrées où se concentrent l’écoute mutuelle et la juste répartition des énergies et de l’attention dans l’espace. Neuf morceaux assez courts entre deux, trois ou quatre minutes les deux plus longs atteignant 7’34’’ et 7’27’’. Le bassiste João Madeira étant sans doute à l’initiative de cet enregistrement sous la coiffe de producteur et mixeur- mastériseur, il convient de souligner la variété esthétique des excellents projets qu’il présente sur son label 4DAR, tout récemment inauguré. Certains albums comme Cochlea (João Madeira et José Oliveira) se focalise sur un travail en profondeur individuel de la matière sonore et une conception radicale de l’interactivité entre deux musiciens très proches, en l’occurrence un contrebassiste et un percussionniste. By Breakfast, au petit-déjeuner qu’il vienne de quitter lorsque se met en marche la machine enregistreuse face à ce quintet particulier. Il faut avouer qu’avec une telle instrumentation, on aura droit à une musique qui s’écarte des sentiers battus de la free-music, cette zone esthétique où prédomine la présence systématique de souffleurs , d’une contrebasse et d’une batterie. Avec ce présent quintet, de multiples occurrences sonores voient le jour, chaque « idée » ou « canevas » est développé selon une recette particulière. C’est le moment de découvrir le travail orchestral typiquement clarinette basse avec ses scansions irrégulières et ses coups de langue appuyés, effets de souffle qui se joignent dans une belle communion avec les cadences du violoncelle et de la contrebasse, frottements bourdonnants, grincements, archets pressurés, notes tenues, guigues fofolles , interventions millimétrées. Ah le pizzicato puissant de João Madeira, toujours bienvenu au moment opportun, créant l’ossature de plusieurs morceaux avec goût. Le babil sautillant de Elisabetta Lanfredini se mue dans un chant puissant et imposant, un parler chanter inspiré, une comptine improbable ou une incantation tribale. Magnifique. Et les ajouts en demi-teinte de Michel Stawicki : ah il y a un sax ténor ? Et ce final au violoncelle aux airs d’Asie Centrale. Ce musicien a très bien intégré l’esprit de la rencontre. Il y a là une belle activité improvisée d’échange, de partage et d’invention concertée , sans le moindre bavardage et qui force l’admiration entre autres par le renouvellement constant de l’inspiration et l’utilisation subtile de processus compositionnels organiquement intégrés à l’improvisation collective. Super réussite collective.
C/W I N thirty nine fifty five Dusica Cajlan Georg Wissel Etienne Nillesen Acheulian handaxe AHA 2202
https://handaxe.org/album/c-w-n-thirty-nine-fifty-five
Méta-musique millimétrée faite de chocs brefs et résonnants sur l’anche du sax du rebord de la caisse et dans la table d’harmonie, de sons bruissants, de bulles d’air qui affluent lentement dans le tube, de résonnance des cordes du piano à peine touchées ou grattées, timbres en suspension flottant dans la pénombre. Les premières minutes de I (29’08’’). Dusica Caljan est une pianiste distinguée, Georg Wissel est un souffleur maniaque des sourdines insolites à même le pavillon du sax, Etienne Nillesen joue d’une simplissime extended snare drum en lieu et place de batterie. Cette suite de 29 minutes est le lieu et le temps d’un premier remarquable crescendo – decrescendo en intensité du « presque rien » minimaliste à peine audible jusqu’au point de convergence de l’énergie et de staccatos hachés à volonté pour redescendre dans l’intimité de l’intérieur du piano assourdi où murmurent les cordes métalliques quand se soulèvent les marteaux en vague imperceptible sous la férule de la baguette follement hésitante à marteler cette caisse claire fantômatique. Tout autour s’agitent frottements et chuintements dans un tourbillon de feuilles mortes. Cette musique ésotérique suggère une agitation fébrile en deça d’un niveau ostensible de décibels et souvent rejoignant le quasi silence, celui propice à faire tinter le clavier comme il se doit en arpèges sauvages clusterisés. Cette orientation musicale n’est certes pas neuve, mais le grand attrait de ce trio c’est la classe superbe de ses trois musiciens. Il suffit d’entendre le saxophoniste jouer ces larges intervalles post-tristaniens avec une articulation tortueuse et un timbre diaphane transgressé de morsures et de sursauts d’humeur bruitistes qui plongent une fois de plus au bord du silence lorsque les deux autres le rejoignent. L’occasion d’une étrange respiration circulaire à l’anche à peine résonnante et des fétus de sons. En II , 10’47’’ qui concentre tout ce qui vient d'être exposé dans une forme ramassée, concentrée et métamorphique. On se rend petit à petit compte que leurs déambulations sonores interactives débouchent sur des formes – itinéraires maîtrisés avec un sens inné de la navigation, de la suite. Concentrez-vous sur les sons du trio et le jeu de chacun et l’écoute intense vous fera pénétrer un monde secret d’échanges inouïs.
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