Derek Bailey Paul Lovens Jon Rose @ Podewil 1992 digital
https://thejonrosearchive.bandcamp.com/album/bailey-lovens-rose-podewil
Pour la première fois, un enregistrement substantiel de Paul Lovens avec Derek Bailey ou vice et versa, et le concours exceptionnel de l’artiste total du violon, Jon Rose, qui eut la bonne idée d’inviter Derek Bailey à Berlin en novembre 1992. Le guitariste n’avait plus joué à Berlin depuis un certain temps, et pour cette raison il y a joué un morceau en solo. Ce concert eut lieu dans une série de performances à l’ex Haus Der Jugend Talent de la défunte DDR rebatisée Podewil et était censé illustrer le concept de Chaos par le truchement de la libre improvisation. Disons qu’une improvisation solitaire de Derek Bailey à la guitare est tout sauf chaotique, mais suit généralement un cheminement de tuilage organisé de formes, d’intervalles de notes « weberniens » incluant des clusters soigneusement étudiés et des harmoniques aigües d’une justesse étonnante. Il y a bien un dérapage sonore électrique à un moment-éclair dont la sonorité électrique saturée me fait dire qu’il s’agit d’un concert hors de Londres. Mais le Chaos spontané et… contrôlé s’invite au sein du trio. Lovens et Bailey avaient déjà enregistré un court duo en 1979 inclus dans le vinyle Idyllen und Katastrophen publié par Po Torch, de formes, le label de Paul Lovens et Paul Lytton, avec Schlippenbach, S-A Johansson, Günter Christmann, Maarten Altena, Candace Natvig et Wolfgang Fuchs. Peu de temps avant ce concert de 1992, DB et PL ont collaboré dans trois CD’s de Company 1991 publiés par Incus avec John Zorn, Pat Thomas, Paul Rogers, Yves Robert, Alexander Balanescu et Vanessa Mackness. Dans ce Podewil 1992, leurs échanges sont à suivre à la trace. Le sens de l’épure de Paul Lovens, ses frappes millimétrées et asymétriques, les pulsations élastiques, la résonnance des métaux sur les peaux, la vibration des crotales, les raclements grattements sur les clous qui maintiennent les peaux des tambours chinois et les surfaces de celles-ci, les objets percussifs qui se déplacent par magie sur les tambours dans le feu de l’action comme par miracle, tout fait merveille et rend l’écoute fascinante. L’interaction minutieuse avec Derek Bailey ou leurs grand écarts peuvent révéler une capacité de télépathie instantanée. Jon Rose alterne ses interventions entre son violon et l’improbable violoncelle « customisé » à 19 cordes. Cascades, friselis pointillistes, accélérations subites et éphémères (on songe au tabla indien), imbrications atomisées et centrifuges ou contractions schématiques de lignes et d’ellipses qui s’évanouissent l’instant d’après. La démarche de Jon Rose semble plus conventionnelle, basée sur une forme de lyrisme décoiffant avec une projection sonore exceptionnelle. Jon peut se faire entendre sans micro ni amplification dans une grande salle. Ses interventions sont ici structurantes dans une autre dimension que celle fourmillante de détails sonores de ses deux acolytes. On connaît finalement que quelques enregistrements purement « improvisés » de Jon avec des collègues : The Kryonics avec Matthias Bauer et Alex Kolkowski, Temperaments avec Veryan Weston, Sliding avec Miya Masaoka, Colophony avec Richard Barrett et Meinhard Kneer ou Futch avec Hannes Bauer et Thomas Lehn. Pour une si longue carrière, il ne faut pas s’en étonner. Même s’il est profondément convaincu et enthousiaste de jouer de la musique acoustique et d’improviser librement, Jon Rose a développé une extraordinaire œuvre de compositions et de projets les plus diversifiés autour du violon et des cordes en utilisant une multiplicité de méthodes, d’innovations, de démarches, de techniques, d’instruments inventés et d'idées délirantes et loufoques etc… Cela conduit certains collègues, journalistes etc… à mettre en doute ses intentions d’improvisateur. Mais ce génie australien est sans nul doute un comparse de choix pour Bailey et Lovens. Il s’agit d’un document rare et d’une musique improvisée irrésistible de très haut niveau.
John Butcher Phil Durrant Mark Wastell Around the Square Above The Hill Confront Core31
https://confrontrecordings.bandcamp.com/album/around-the-square-above-the-hill
Rien d’étonnant de retrouver ces trois improvisateurs ensemble dans ce magnifique trio. Le saxophoniste John Butcher et le violoniste Phil Durrant ont joué et enregistré ensemble avec feu John Russell dans les années 80 et 90. Ce trio insigne avait alors développé une musique interactive pointilliste accueillie unanimement par le public de l'improvisation libre. Vers la fin des années 90, Butcher et Durrant ont été associés au violoncelliste Mark Wastell au sein du Chris Burn Ensemble ainsi qu’à des improvisateurs d’une nouvelle génération comme le harpiste Rhodri Davies, le trompettiste Axel Dörner et le percussionniste Burkhard Beins, tous deux Berlinois au sein d’une mouvance qu’on qualifiera de « réductionniste », "new silence » ou « lower case », créant ainsi un schisme esthétique « minimaliste » au sein de la communauté improvisée internationale marquée par l’expressionnisme du free-jazz et la complexité au niveau sonore. Encore une fois, je vous passe le vocable non – idiomatique trop simplificateur à mon goût. Un quart de siècle plus tard, beaucoup d’eaux ont coulé sous les ponts. Si Butcher est resté fidèle à ses sax soprano et ténor, Phil Durrant joue maintenant de la mandoline (électrique pour cet album)et de l’électronique et Mark Wastell de la percussion avec certains des instruments ayant appartenus au légendaire John Stevens. À l’écoute du jeu de Mark, on songe évidemment aux frappes subtilement dosées, à l’esthétique et à la sonorité de Stevens avec sa mini-batterie basique et ses légères cymbales tintinnabulantes. Cette conception ouverte et aérée fait place à la dynamique sonore et permet de distinguer le moindre son produit par Durrant sur son étrange mandoline électrique qui sonne plus comme un objet sonore avec de curieux effets que comme une mandoline. Chaque instrument occupe autant d’espace dans le champ auditif et le souffleur, John Butcher intervient à bon escient émaillant son jeu de growls – bourdonnements, coups de langue et de phases de silence, sculptant le son de la colonne d’air frémissante et bruissante. Il multiplie méthodiquement de nombreux effets sonores alors que Phil Durrant explore les cordes qui grincent, crissent, gémissent, tour à tour assourdies, résonnantes, cristallines, réverbérantes, coordonnant ses gestes avec ceux épars et en évolution constante du percussionniste. Les musiciens évitent remarquablement l’expressionnisme véloce et cherchent à distiller une multiplicité de sons, de frictions, de frappes, de bruits, de vibrations éthérées créant un univers kaléidoscopique qui se réincarne constamment et amalgame les idées de chaque joueur qui transitent de l’un à l’autre de milles façons. La musique s’étale ici autant dans l’espace et la durée qu’elle s’atomise, s’étire inexorablement ou se contracte en faisceaux contradictoires qui s’interpénètrent avec une grande lisibilité. Si au début de l’enregistrement en six parties extraites de deux concerts, le trio se retient d’infuser un activisme ludique ou un surcroît d’énergie avec la volonté d’impressionner l’auditeur, celui-ci découvre progressivement la richesse et la subtilité de leurs improvisations au fil des secondes et des minutes jusqu’à ce que celui-ci soit immergé, voire submergé par ces entrelacs organiques de trames en perpétuel mouvement – métamorphose ondulatoire, fracturée, implosée ou irisée. Les improvisateurs se concentrent sur une foultitude de détails sonores et de textures avec une très profonde constance et une exceptionnelle créativité durant ces deux performances d’un total de quarante-huit minutes. Peu importe que Wastell et Durrant ne démontrent pas de virtuosité- vélocité – colloquialité - Butcher souffle complètement en phase sans jamais se précipiter pour faire bonne mesure - , leur « virtuosité » consiste essentiellement et miraculeusement à renouveler constamment leurs ressources sonores presqu’à l’infini, à la fois épurées et foisonnantes, comme un voyage dans l’espace, croisant étoiles et galaxies. Assez unique en son genre.
Audrey Lauro Solo Prose Métallique Relative Pitch
https://relativepitchrecords.bandcamp.com/album/prose-m-tallique
Une belle somme de trouvailles sonores, de compositions instantanées, de résonances métalliques, de vibrations de la colonne d’air qui met en évidence le son même du bec, du métal du tube perforé et obturé par les clapets dont la saxophoniste décale artistement leur ordonnancement. Et bien sûr de curieux effets de souffle, des chuintements, des harmoniques suspendues, l’affleurement du silence ou sa découpe incisive. Si l’album débute par une cascade de notes sinueuse en infinis escaliers eschériens, spirales effervescentes et accentuées avec une irrégularité éminemment musicale (Segments d’un Chant), les pièces suivantes explorent systématiquement un aspect bien focalisé des recherches sonores et expressives d’Audrey Lauro, une saxophoniste alto française et résidente en Belgique. Il est question de Prose Métallique et de Prose Plastique à deux reprises (1 et 2), de Chant Métallique et de Résidu. Prose Métallique : elle disserte adroitement avec le souffle animant la vibration du métal du saxophone alors que Prose Plastique fait converger le timbre au niveau du bec en altérant soigneusement l’intensité du souffle. Dans Chant métallique ses doigtés font de grands écarts dissonants que le souffle passionné colore et ressasse outre mesure avec une belle intensité quasi expressionniste. Bien sûr son imagination instantanée distille des variations logiques ou imprévisibles dans un cheminement aussi spontané qu’il est maîtrisé. Résidu : Audrey Lauro manie les scories ultimes qui sursautent par interférences aléatoires. Nous découvrons donc une belle gamme d’approches sonores qui épousent des formes intelligemment travaillées, peaufinées qui jaillissent solitaires, sauvages, intentionnelles ou intuitives. Cette œuvre excellement enregistrée est non seulement convaincante, elle demande à être écoutée in situ et in vivo dans un bel espace acoustique par un public attentif, qui, même s’il est peuplé de connaisseurs, aura quelque chose d’essentiel à partager et à apprendre.
Gianni Mimmo & Ove Volquartz Say When Aut Records
https://autrecords.bandcamp.com/album/say-when
Magnifique duo entre le saxophoniste soprano italien Gianni Mimmo, un résident de Pavie, et le clarinettiste basse allemand Ove Volquartz, un habitant de Göttingen. En outre, Ove souffle dans une flûte et dans une clarinette contrebasse dont il maîtrise admirablement le timbre et la sonorité sur l'entièreté de la tessiture et des intervalles plus ingrats. Que dire de Gianni Mimmo et de son lyrisme chatoyant et distingué ? Voilà , un superbe saxophoniste qui se consacre exclusivement au soprano après avoir découvert et développé les secrets du grand Steve Lacy. Mais rassurez- vous, c'est surtout un air de famille qu'il partage avec Steve. Son propos et sa démarche sont ailleurs. Gianni improvise avec de subtils enchaînements d'intervalles choisis mûrement réfléchis et exécutés le plus soigneusement du monde. Un univers polymodal contemporain qui se love dans les bourdonnements alambiqués de la clarinette basse d'Ove Volquartz. Say When : when parce que leur sens du timing dans leurs échanges croisés et tout à fait remarquable, majestueux même.Les deux artistes avaient déjà tourné et enregistré ensemble, entre autres, dans un remarquable bijou sonore et venteux en compagnie du contrebassiste John Hughes et de l'organiste Peer Schlechta (Cadenza del Crepusculo). Leur duo fonctionne à merveille créant de multiples connections et correspondances mélodiques, de motifs terriens ou évanescents, de croisements de fragments de thèmes qui s'agrègent en contrepoints complices. Ah le dialoque irisé de la flûte et du soprano dans Athena amid the Olive Trees. Cette musique est un parfait régal pour un amateur amoureux de jazz contemporain lassé des niaiseries, des téléphonades formatées et l'éternel recyclage d'idées toutes faites. Leur communion émotionnelle et sensible dégage une vibration de bonheur, d'entente, de compréhension apaisée avec cette distance par rapport à la facilité locutoire. Pas de babil intempestif ou d'effets en cascade, mais une recherche musicale profonde, existentielle et extrêmement talentueuse. Jimmy Giuffre aurait adoré ! Bien sûr, il en faut pour tous les goûts et chaque instant de la vie appelle à varier nos plaisirs. Je salue donc ces 49 minutes et ces six improvisations réussies au-delà des espérances. Aut a déjà publié les super albums du pianiste Nicolà Guazzaloca, et ce merveilleux album Say when est dédié à la mémoire d'un autre pianiste aujourd'hui disparu, Gianni Lenoci avec qui Ove et Gianni M avaient enregistré l'excellent CD Reciprocal Uncles. Merveilleux de bout en bout.
Just a reminder for labels and artists who wishes me to write about their albums : I am trying to write the best I can with a will for integrity and substance for to describe the works of improvised music artists of different ilks with respect and consideration of their own esthetics terms and musical intentions. Some geniuses are often unknown and get few press coverage although many make reverences to the "name" famous players and many listeners and personnalities from the scene are still ignoring great groups and great players. As I am writing alone by myself and it should be too much work for me to publish other writer's reviews and to review many many reviews. Firstly an autodidact improvising singer performing here and there when I can (or allowed to), I can't extend my listening and writing time to review as much as it happens that i find the opportunity to pile up CD's and downloads. I can't find all the time the inspiration and energy to write on the same level that of my standard good writing on each day of the week. As they is a huge incredible number of high quality and much involved improvisers everywhere, many of them neglected, I stick on many "lesser" known artists instead of the powerhouse ubiquitous who are heavily supported by the main writers, festivals, tour managers, producers while acknowledging the true musicianship and high creativity of a good bunch of legendary musicians avoiding to gobble everything that they can say and are issuing as i am too old to act as an unconditional groupie. More a selector than a collector...
Consacré aux musiques improvisées (libre, radicale,totale, free-jazz), aux productions d'enregistrements indépendants, aux idées et idéaux qui s'inscrivent dans la pratique vivante de ces musiques à l'écart des idéologies. Nouveautés et parutions datées pour souligner qu'il s'agit pour beaucoup du travail d'une vie. Orynx est le 1er album de voix solo de J-M Van Schouwburg (1996 - 2005). https://orynx.bandcamp.com