SAPIN DE NOËL XMAS TREE BOXING DAY LISTS of favourite albums improvised music
Jean-Michel Van Schouwburg
Ma liste des récents albums de musique improvisée + supplément bonus albums "historiques".
It Begins with the Snow Urs Leimgruber & Jacques Demierre Creative Works 2CD
https://jacquesdemierre.com/34785-2/
And John Maggie Nicols & Mark Wastell Confront Records
https://confrontrecordings.bandcamp.com/album/and-john
Ecstatic Jazz Daunik Lazro Jean-Jacques Avenel Siegfried Kessler FOU Records
https://fourecords.com/FR-CD55.htm
Air Vol 1 Urs Leimgruber duets with Gerry Hemingway Hans Peter Pfammatter, Jacques Demierre & Thomas Lehn 4CD Creative Works
https://www.creativeworks.ch/air/#cc-m-product-14750268532
Tryptich Vol 1, 2 & 3 Ivo Perelman & Matthew Shipp SMP ou Artificial Intelligence Ivo Perelman Elliott Sharp Mahakala Music
https://smprecords.bandcamp.com/album/triptych-1-digital-release
https://ivoperelman.bandcamp.com/album/artificial-intelligence
Chaos João Madeira Ernesto Rodrigues Guilherme Rodrigues Creative Sources CSCD ou Hoya Maria Da Rocha Ernesto Rodrigues Daniel Levin João Madeira Creative Sources CS782CD
https://creativesources.bandcamp.com/album/chaos
Wells Gianni Mimmo & Harri Sjöström Amirani AMRN074
https://harrisjostrom.bandcamp.com/album/wells-2
It isn’t really what it is like Canaries on the Pole Jacques Foschia Mike Goyvaerts Christoph Irmer Georg Wissel Acheulian Handaxe aha
https://handaxe.bandcamp.com/album/it-isnt-really-what-its-like
Roi King Übü Orkestrü 2021 Erhard Hirt, Stefan Keune, Marc Charig Axel Dörner Matthias Muche Melvyn Poore Phil Wachsmann Alfred Zimmerlin Hans Schneider Paul Lytton + Phil Minton FMR
https://handaxe.bandcamp.com/album/roi
Kay Grant & Daniel Thompson quite pleased to be playing under a birdcage, that doesn't have a bird in it Empty Birdcage
https://emptybirdcagerecords.bandcamp.com/album/quite-pleased-to-be-playing-under-a-birdcage-that-doesnt-have-a-bird-in-it
Historic recordings by J-M VS
Cecil Taylor Solo Respiration 1968 CD Fundacja Sluchaj
https://sluchaj.bandcamp.com/album/respiration
Albert Ayler – Revelations The Complete ORTF Fondation Maeght Recordings 1970 (4CD INA Elemental)
https://elementalmusicrecords.bandcamp.com/album/albert-ayler-revelations
Evan Parker Solo Live in NYC 1978 Relative Pitch
https://relativepitchrecords.bandcamp.com/album/nyc-1978
Peter Brötzmann & Sabu Toyozumi Triangle Live at OHM 1987 No Business
https://nobusinessrecords.bandcamp.com/album/triangle-live-at-ohm-1987
Kris Vanderstraeten
10 BELLES IMPROVISATIONS LIBRES DES DERNIERES ANNEES CHOISIES SPONTANEMENT PAR KRIS V.
SAM ANDREAE SOLO
https://tombedvisionsrecords.bandcamp.com/album/solo
PHIL DURRANT / EMIL KARLSEN GRAIN
https://emilkarlsen.bandcamp.com/album/grain
FRED FRITH LIVE AT THE STONE
https://fred-frith.bandcamp.com/album/all-is-always-now-3cds
DIRK SERRIES / BENEDICT TAYLOR / FRISO VAN WIJCK LE SUD
https://dirkserries.bandcamp.com/album/le-sud
RICHARD SCOTT'S LIGHTNING ENSEMBLE HYPERPUNKT w Richard Scott David Birchall Philip Marks Sam Andreae
https://davidbirchall.bandcamp.com/album/hyperpunkt
ANTHONY BRAXTON / EUGENE CHADBOURNE DUO IMPROV 2017
https://newbraxtonhouse.bandcamp.com/album/duo-improv-2017
IVO PERELMAN LONDON STRING PROJECT w Phil Wachsmann Benedict Taylor Marcio Mattos & Pascal Marzan
https://www.discogs.com/release/19524832-Ivo-Perelman-London-String-Project-Strung-Out-Threads
Josh BERMAN / Paul LYTTON / Jason ROEBKE TRIO DISCREPANCIES / TRIO CORRESPONDENCES
https://bermanlyttonroebke.bandcamp.com/album/trio-correspondences
https://bermanlyttonroebke.bandcamp.com/album/trio-discrepancies
AIKO SUZUKI / JOHN BUTCHER IMMEDIATE LANDSCAPES
https://johnbutcher1.bandcamp.com/album/immediate-landscapes
FRANZ HAUTZINGER / MASAHIKO OKURA / TETUZI AKYAMA REBUS
https://www.discogs.com/release/2055169-Franz-Hautzinger-Masahiko-Okura-Tetuzi-Akiyama-Rebuses
Jean Philippe Burg ma liste des dix albums 2023
The Necks - Travel (Northern Spy)
https://thenecksau.bandcamp.com/album/travel
Jaimie Branch - Fly Or Die Fly Or Die Fly Or Die (World War, International Anthem)
https://intlanthem.bandcamp.com/album/fly-or-die-fly-or-die-fly-or-die-world-war
Harri Sjöström, Erhard Hirt, Philipp Wachsmann, Paul Lytton - Especially For You (Bead)
https://beadrecords.bandcamp.com/album/especially-for-you
Julius Eastman - Three Extended Pieces For Four Pianos (Subrosa)
https://subrosalabel.bandcamp.com/album/three-extended-pieces-for-four-pianos
Florian Stoffner, John Butcher Chris Corsano - Braids (ezz-thetics)
https://now-ezz-thetics.bandcamp.com/album/braids
Otomo Yoshihide - The Otoasobi Project (F.M.N. Sound Factory)
https://fmn-soundfactory.com/category/%E9%9F%B3%E9%81%8A%E3%81%B3%E3%81%AE%E4%BC%9A-otoasobi-project
Peter Evans Being & Becoming - Ars Memoria (More Is More)
https://peterevansmusic.bandcamp.com/album/ars-memoria
Impetus Group - Density Dots Tom Jackson Dirk Serries Martina Verhoeven Teun Verbruggen Colin Webster (Klanggalerie)
https://dirkserries.bandcamp.com/album/density-dots
Urs Leimgruber, Jacques Demierre - It Forgets About The Snow (Creative Works)
vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=rpA_LkunwLI
Jean-Jacques Duerinckx & Jean-Marc Foussat - L'île des trésors (Fou Records)
https://astateofmutation.bandcamp.com/album/lile-des-tr-sors
Albert Ayler - Revelations The Complete ORTF Fondation Maeght Recordings 1970 (4CD INA Elemental)
https://elementalmusicrecords.bandcamp.com/album/albert-ayler-revelations
Consacré aux musiques improvisées (libre, radicale,totale, free-jazz), aux productions d'enregistrements indépendants, aux idées et idéaux qui s'inscrivent dans la pratique vivante de ces musiques à l'écart des idéologies. Nouveautés et parutions datées pour souligner qu'il s'agit pour beaucoup du travail d'une vie. Orynx est le 1er album de voix solo de J-M Van Schouwburg. https://orynx.bandcamp.com
14 décembre 2023
Favourite free improvised - creative music albums for Christmas 2023
Free Improvising Singer and improvised music writer.
7 décembre 2023
Marcelo Dos Reis & Luis Vicente/ Marilza Gouvea Stefania Ladisa Marcio Mattos Marcello Magliocchi/ Zen Widow : Gianni Gebbia Matthew Goodheart Garth Powell/ Impetus group Tom Jackson Dirk Serries Teun Verbruggen Martina Verhoeven Colin Webster
Marcelo Dos Reis Luis Vicente (un)prepared pieces for guitar and trumpet Cipsela
https://cipsela.bandcamp.com/album/un-prepared-pieces-for-guitar-and-trumpet
Camarades de groupes et de tournées , le trompettiste Luis Vicente et le guitariste Marcelo Dos Reis ont décidé de mettre en commun le fruit de leurs expériences, leurs idées musicales et leurs émotions pour créer une belle musique en duo. On les a entendu dans Chamber Four avec l’album éponyme, City of Light et Dawn to Dusk en compagnie de Vincent et Théo Ceccaldi. On les retrouve dans le groupe Fail Better! et le Frame Trio. Ces deux improvisateurs proéminents de la riche scène lisboète se connaissent donc bien : leur enregistrement en duo réalisé lors d’une résidence est donc pleinement justifié. Le catalogue Cipsela nous a confié quelques perles et celle-ci est une précieuse addition. Huit compostions distillent de subtils modes de jeux, canevas mélodiques, quelques explorations sonores, trames guitaristiques et ambiances cycliques, lyrisme plastique du trompettiste (dont c’est sans doute l’enregistrement le plus convaincant), et son sens inné de la mélodie. Les quelques gangues et longueurs rencontrées dans les précédents albums précités se sont évanouies face à cette réelle perfection. Les deux musiciens prennent le temps de jouer, de développer leurs idées et les structures de chaque pièce, de flotter dans l’espace en créant eux-mêmes la rythmique alanguie, la cadence de leurs improvisations. On est ébloui par la magnifique sonorité de Luis Vicente, une voix profondément intime, soyeuse, et conquis par les séquences déchirantes des éclats dans l’embouchure. Marcelo Dos Reis construit un superbe écrin pour mettre en valeur toutes les qualités de son comparse. Ce duo est une véritable gâterie musicale et dans un festival il pourra créer un moment idéal de relaxation sonore apaisant et chatoyant pour les auditeurs. Cela dit, il y a aussi des passages remarquables où le trompettiste nous envoie des scories de souffle compressé fragmentant et cisaillant la colonne d’air avec des timbres et des sonorités très recherchées.
Cosmic Listenings Marilza Gouvea Stefania Ladisa Marcio Mattos Marcello Magliocchi Plus Timbre
https://plustimbre.bandcamp.com/album/cosmic-listenings
De l’improvisation collective de haute volée ! Basée sur le principe d’une écoute mutuelle intense d’instant en instant et l’importance prépondérante du moindre geste, du moindre son dans la réactivité et le partage dans le temps et l’espace auditif, ce quartet accomplit des merveilles en prenant le temps de jouer. Registre musique de chambre, invention méticuleuse permanente. La chanteuse Marilza Gouvea s’applique à faire vivre son organe vocal dans de multiples incarnations d’oiseaux siffleurs, de fées des étangs rêveurs et de ces écureuils sautillant entre les branches des arbres. Ici dans les embranchements sonores et vifs des archets et des touches du violon enchanteur de Stefania Ladisa et du violoncelle impavide de Marcio Mattos, mais aussi sagace et visionnaire. À la fois omniprésent et discret, Marcello Magliocchi nous régale par ses commentaires micro-percussifs sur tous les coins et recoins de sa mini – batterie, digne de celle de John Stevens, lequel offrit son premier gig londonien à Marcio quasiment le jour de son arrivée en 1969. Comme contrebassiste, Marcio Mattos fut des équipées de Keith Tippett, Elton Dean, Tony Marsh, Mike Osborne, Ken Hyder aujourd’hui disparus et contrebassiste de confiance d’Eddie Prévost durant des années. Cette pratique de la contrebasse lui a apporté un sens rythmique imparable qui, parmi de nombreuses autres qualités, qui nourrissent la sûreté de ses improvisations au violoncelle, leur cohérence inventive. Dans la scène British, on cite imperturbablement des créateurs de premier plan comme Derek Bailey, Evan Parker, Tony Oxley, Barry Guy, Paul Rutherford, John Stevens, AMM, Lol Coxhill sans voir qu’une personne comme Maggie Nicols est elle aussi une pionnière incontournable. De même, au violoncelle, Marcio Mattos a développé une présence incontournable (discrète, mais essentielle) avec ce violoniste exceptionnel qu’est Philipp Wachsmann, avec Phil Minton et l’équipe bourgeonnante de Chris Burn, John Butcher et Jim Denley (il y a longtemps). La présence de ce maestro conduit ses compagnes et compagnons à donner le meilleur d’eux – mêmes, à se focaliser sur l’essentiel et à dépasser leurs limites en créant un réseau de correspondances intimes, un rhizome de connivences et ce dosage infiniment précis et mesuré des interventions individuelles dans une démesure intériorisée et assumée. Ils créent ainsi une magnifique mosaïque en quatre dimensions. La présence de Marcio suffit, sa gestuelle au violoncelle communique un bon sens collectif car lui-même ne fait que servir la cause commune. Pas le moindre solo individuel dans sa / leur musique, mais une inébranlable construction collective. Et cette auto-discipline qui pourrait sembler austère dans l’univers souvent expansif du « free-jazz » n’empêche pas Marilza Gouvea de complètement se lâcher comme une furie , rengorgeant imprécations coléreuses et glossolalies quasi- hystériques, quand le besoin se fait sentir. Alors qu’ailleurs, elle se focalise sur un matériau ciselé. Stefania Ladisa choisit inconsciemment le moment adéquat pour insérer ses sinueux mélismes qui enchantent ce quartet drivé par le pizzicato dynamique et décalé de Marcio Mattos. Quasi invisible, le lutin des percussions injecte ce qu’il faut de cliquetis, picotages, frappes et résonnances pour activer l’édifice sans jamais imposer le moindre faux pas percutant qui maculerait cette tapisserie multicolore chatoyante. Ah Marcello Magliocchi ! Il y a autant de convergences d’énergies et de consensus qu’il y a d’échappées centrifuges dans leur musique et on est à nouveau surpris par ce qui avait échappé à nos premières écoutes lorsqu'on se replonge dans leur superbe musique.
Zen Widow : Gianni Gebbia Matthew Goodheart Garth Powell IV (from the dark age to another) Objet - a LP- 2023001
https://objet-a.bandcamp.com/album/iv-from-one-dark-age-to-another
Super-production vinyle sur le label objet-a de Gianni Gebbia, le saxophoniste sicilien inspiré ici au sax soprano avec le pianiste Matthew Goodheart et le batteur Garth Powell, tous les trois membres du rare trio ZEN WIDOW, lequel trio a commis un album hyper rare avec le trompettiste Leo Smith : Screaming in Daytime (Makes Men Forget ) label pfMentum. Lisez seulement : ultraquiet 180 grams vinyl pressed at RTI (Record Technology Incorporated) Recorded Live-to-2-track-Analog Tape at Capitol Studios “A”! Produced by Joe Harley Engineered by Mike Ross and Steve Genewick Analog Mastered and Lacquers Cut by Kevin Gray (Coherent Audio). Je ne vous dis que ça : on ne se moque pas de vous ! Le prix (!) en vaut la chandelle : ma hi-fi n’est pas encore assez bonne pour un tel vinyle de qualité supersonique. Pour la petite histoire, le batteur Garth Powell qui avait enregistré People in Motion avec Gianni Gebbia et Damon Smith (CD Rastascan BRD 044 1998) travaille dans le fabuleux studio Capitol « A » à Hollywood, mais il a aussi enregistré avec Mats Gustafsson et le plus inquiétant des pianistes underground, le mystérieux Greg Goodman, « They were gentle and pretty pigs » (Beak Doctor). Matthew Goodheart a lui enregistré un super duo avec Leo Smith pour Cadence Records à la même époque. Cette connexion californienne de Gianni Gebbia l’a amené à y jouer et à publier ses deux fabuleux albums solos au sax alto (H Portraits et Arcana Major /Sonic Tarot Sessions) auprès du label californien Rastascan du percussionniste Gino Robair, un proche de John Butcher et de Birgit Ulher. Rien que pour ses deux albums solos (trois, car il y a aussi Body Limit sur Splasc’h !) et ses compositions à la fois « simples » mais très complexes à articuler (rythmes de guingois, respiration circulaire, lyrisme, emboîtement sophistiqué des éléments mélodiques, segmentation du phrasé, largeur des intervalles et ces tarentelles obsédantes), Gianni Gebbia mérite de figurer au firmament (Panthéon ?) des saxophonistes uniques dans leur genre pas loin de Roscoe Mitchell et de Steve Lacy. Ici au soprano, il délivre le son du miel, une qualité vocale irrésistible, même dans les phrasés méandreux. Le but de ce trio est une œuvre collective: le pianiste et le batteur créent un parfait véhicule pour rêver en symbiose avec le lyrisme de Gebbia. Une triangulation équilibrée et en phase pour une musique songeuse, méditative, aérienne et relativement épurée. Un super chanteur afro-américain, Dwight Tribble, confie sa merveilleuse voix au dernier morceau, chantant free comme un prince venu d’Afrique. Un peu avant le trio évoque une musique orientale avec Powell au daf, le très classieux Matthew Goodheart imitant le qanoun avec les doigts dans les cordes du piano. Gebbia souffle ce qu’il faut de lyrisme avec sa sonorité limpide. Et cela après que Garth Powell s’est fait entendre aux tam-tam (gongs suspendus si vous voulez) avec une fantastique qualité de son rarement entendue ailleurs. Une belle face B à la hauteur des espérances de la face A. Plutôt qu’un album free « d’avant-garde », ce IV (from the dark age to another) est une somptuosité attachante et généreuse à écouter au coin du feu sans doute pas loin du sapin de Noël.
Impetus group Density Dots Tom Jackson Dirk Serries Teun Verbruggen Martina Verhoeven Colin Webster Klanggalerie CD
https://dirkserries.bandcamp.com/album/density-dots
Avec des titres comme Unitary Mark, Subfield, Inflow, Linguistic Fortune, Swampy, Region Mash, Density Dots et les deux photos de la mer agitée face à la grève sauvage, on se dit, qu’à travers ces images et ces mots, il y a bien une stratégie et une tactique dans les emportements musicaux de cette fine équipe. Aux vagues tempêtueuses se succèdent des accalmies pointillistes. Deux paires et un joker. Le tandem de souffleurs fait corps l’un à l’autre : le saxophoniste Colin Webster et le clarinettiste Tom Jackson déroulent leurs spirales endiablées en concomitance entraîné par une houle implacable. On a parfois peine à les distinguer l’un de l’autre tant leurs intensités s’interpénètrent. Comme deux soutiers aux machines , le guitariste Dirk Serries (archtop amplifiée) et le percussionniste Teun Verbruggen s’activent à créer des équilibres instables, un ressac puissant qui relance des vagues multi-rythmiques tourbillonnantes sur lequel le pilonnage kinesthésique du clavier par Martina Verhoeven évoque une armada de dauphins hyperactifs à la poursuite des vents furieux et extatiques … des deux souffleurs. Excusez cette imagerie un peu facile, votre serviteur n’a pas toujours la Linguistic Fortune. Ces Density Dots créent des points de tension dans de lents crescendos à peine palpables et des points de chute qui semblent avoir été orchestrés subitement. Où se situe l’improvisation instantanée ? Où se dessine une forme de planification des éléments ? Dans le domaine de la free-music, il y a toujours une direction et des idées à partager, mettre au point, un challenge à relever. C’est tout l’intérêt de leur démarche collective où personne n’est un soliste, mais chacun est solidaire des autres. Une machinerie humaine qui dégage une énergie marémotrice.
Teun Verbruggen est un des percussionnistes les plus engagés de la scène belge dans un pays enclavé entre des territoires monolithes de la scène improvisée (Pays – Bas, Allemagne, France) où un improvisateur du cru a bien du mal à s’exporter. Lui et ses collègues Dirk Serries et Martina Verhoeven (le label a new wave of jazz – n°1 du plat pays, c’est eux !) s’échinent à créer un espace, un projet musical en comptant sur leurs propres forces et de celles d’enthousiastes inconditionnels tels l’explosif soufflant Colin Webster et le vibrionnant clarinettiste Tom Jackson. Une génération d’intrépides "Impétueux" qui renouvellent cette lingua franca du « free-jazz » improvisé en l’enrichissant indubitablement !
https://cipsela.bandcamp.com/album/un-prepared-pieces-for-guitar-and-trumpet
Camarades de groupes et de tournées , le trompettiste Luis Vicente et le guitariste Marcelo Dos Reis ont décidé de mettre en commun le fruit de leurs expériences, leurs idées musicales et leurs émotions pour créer une belle musique en duo. On les a entendu dans Chamber Four avec l’album éponyme, City of Light et Dawn to Dusk en compagnie de Vincent et Théo Ceccaldi. On les retrouve dans le groupe Fail Better! et le Frame Trio. Ces deux improvisateurs proéminents de la riche scène lisboète se connaissent donc bien : leur enregistrement en duo réalisé lors d’une résidence est donc pleinement justifié. Le catalogue Cipsela nous a confié quelques perles et celle-ci est une précieuse addition. Huit compostions distillent de subtils modes de jeux, canevas mélodiques, quelques explorations sonores, trames guitaristiques et ambiances cycliques, lyrisme plastique du trompettiste (dont c’est sans doute l’enregistrement le plus convaincant), et son sens inné de la mélodie. Les quelques gangues et longueurs rencontrées dans les précédents albums précités se sont évanouies face à cette réelle perfection. Les deux musiciens prennent le temps de jouer, de développer leurs idées et les structures de chaque pièce, de flotter dans l’espace en créant eux-mêmes la rythmique alanguie, la cadence de leurs improvisations. On est ébloui par la magnifique sonorité de Luis Vicente, une voix profondément intime, soyeuse, et conquis par les séquences déchirantes des éclats dans l’embouchure. Marcelo Dos Reis construit un superbe écrin pour mettre en valeur toutes les qualités de son comparse. Ce duo est une véritable gâterie musicale et dans un festival il pourra créer un moment idéal de relaxation sonore apaisant et chatoyant pour les auditeurs. Cela dit, il y a aussi des passages remarquables où le trompettiste nous envoie des scories de souffle compressé fragmentant et cisaillant la colonne d’air avec des timbres et des sonorités très recherchées.
Cosmic Listenings Marilza Gouvea Stefania Ladisa Marcio Mattos Marcello Magliocchi Plus Timbre
https://plustimbre.bandcamp.com/album/cosmic-listenings
De l’improvisation collective de haute volée ! Basée sur le principe d’une écoute mutuelle intense d’instant en instant et l’importance prépondérante du moindre geste, du moindre son dans la réactivité et le partage dans le temps et l’espace auditif, ce quartet accomplit des merveilles en prenant le temps de jouer. Registre musique de chambre, invention méticuleuse permanente. La chanteuse Marilza Gouvea s’applique à faire vivre son organe vocal dans de multiples incarnations d’oiseaux siffleurs, de fées des étangs rêveurs et de ces écureuils sautillant entre les branches des arbres. Ici dans les embranchements sonores et vifs des archets et des touches du violon enchanteur de Stefania Ladisa et du violoncelle impavide de Marcio Mattos, mais aussi sagace et visionnaire. À la fois omniprésent et discret, Marcello Magliocchi nous régale par ses commentaires micro-percussifs sur tous les coins et recoins de sa mini – batterie, digne de celle de John Stevens, lequel offrit son premier gig londonien à Marcio quasiment le jour de son arrivée en 1969. Comme contrebassiste, Marcio Mattos fut des équipées de Keith Tippett, Elton Dean, Tony Marsh, Mike Osborne, Ken Hyder aujourd’hui disparus et contrebassiste de confiance d’Eddie Prévost durant des années. Cette pratique de la contrebasse lui a apporté un sens rythmique imparable qui, parmi de nombreuses autres qualités, qui nourrissent la sûreté de ses improvisations au violoncelle, leur cohérence inventive. Dans la scène British, on cite imperturbablement des créateurs de premier plan comme Derek Bailey, Evan Parker, Tony Oxley, Barry Guy, Paul Rutherford, John Stevens, AMM, Lol Coxhill sans voir qu’une personne comme Maggie Nicols est elle aussi une pionnière incontournable. De même, au violoncelle, Marcio Mattos a développé une présence incontournable (discrète, mais essentielle) avec ce violoniste exceptionnel qu’est Philipp Wachsmann, avec Phil Minton et l’équipe bourgeonnante de Chris Burn, John Butcher et Jim Denley (il y a longtemps). La présence de ce maestro conduit ses compagnes et compagnons à donner le meilleur d’eux – mêmes, à se focaliser sur l’essentiel et à dépasser leurs limites en créant un réseau de correspondances intimes, un rhizome de connivences et ce dosage infiniment précis et mesuré des interventions individuelles dans une démesure intériorisée et assumée. Ils créent ainsi une magnifique mosaïque en quatre dimensions. La présence de Marcio suffit, sa gestuelle au violoncelle communique un bon sens collectif car lui-même ne fait que servir la cause commune. Pas le moindre solo individuel dans sa / leur musique, mais une inébranlable construction collective. Et cette auto-discipline qui pourrait sembler austère dans l’univers souvent expansif du « free-jazz » n’empêche pas Marilza Gouvea de complètement se lâcher comme une furie , rengorgeant imprécations coléreuses et glossolalies quasi- hystériques, quand le besoin se fait sentir. Alors qu’ailleurs, elle se focalise sur un matériau ciselé. Stefania Ladisa choisit inconsciemment le moment adéquat pour insérer ses sinueux mélismes qui enchantent ce quartet drivé par le pizzicato dynamique et décalé de Marcio Mattos. Quasi invisible, le lutin des percussions injecte ce qu’il faut de cliquetis, picotages, frappes et résonnances pour activer l’édifice sans jamais imposer le moindre faux pas percutant qui maculerait cette tapisserie multicolore chatoyante. Ah Marcello Magliocchi ! Il y a autant de convergences d’énergies et de consensus qu’il y a d’échappées centrifuges dans leur musique et on est à nouveau surpris par ce qui avait échappé à nos premières écoutes lorsqu'on se replonge dans leur superbe musique.
Zen Widow : Gianni Gebbia Matthew Goodheart Garth Powell IV (from the dark age to another) Objet - a LP- 2023001
https://objet-a.bandcamp.com/album/iv-from-one-dark-age-to-another
Super-production vinyle sur le label objet-a de Gianni Gebbia, le saxophoniste sicilien inspiré ici au sax soprano avec le pianiste Matthew Goodheart et le batteur Garth Powell, tous les trois membres du rare trio ZEN WIDOW, lequel trio a commis un album hyper rare avec le trompettiste Leo Smith : Screaming in Daytime (Makes Men Forget ) label pfMentum. Lisez seulement : ultraquiet 180 grams vinyl pressed at RTI (Record Technology Incorporated) Recorded Live-to-2-track-Analog Tape at Capitol Studios “A”! Produced by Joe Harley Engineered by Mike Ross and Steve Genewick Analog Mastered and Lacquers Cut by Kevin Gray (Coherent Audio). Je ne vous dis que ça : on ne se moque pas de vous ! Le prix (!) en vaut la chandelle : ma hi-fi n’est pas encore assez bonne pour un tel vinyle de qualité supersonique. Pour la petite histoire, le batteur Garth Powell qui avait enregistré People in Motion avec Gianni Gebbia et Damon Smith (CD Rastascan BRD 044 1998) travaille dans le fabuleux studio Capitol « A » à Hollywood, mais il a aussi enregistré avec Mats Gustafsson et le plus inquiétant des pianistes underground, le mystérieux Greg Goodman, « They were gentle and pretty pigs » (Beak Doctor). Matthew Goodheart a lui enregistré un super duo avec Leo Smith pour Cadence Records à la même époque. Cette connexion californienne de Gianni Gebbia l’a amené à y jouer et à publier ses deux fabuleux albums solos au sax alto (H Portraits et Arcana Major /Sonic Tarot Sessions) auprès du label californien Rastascan du percussionniste Gino Robair, un proche de John Butcher et de Birgit Ulher. Rien que pour ses deux albums solos (trois, car il y a aussi Body Limit sur Splasc’h !) et ses compositions à la fois « simples » mais très complexes à articuler (rythmes de guingois, respiration circulaire, lyrisme, emboîtement sophistiqué des éléments mélodiques, segmentation du phrasé, largeur des intervalles et ces tarentelles obsédantes), Gianni Gebbia mérite de figurer au firmament (Panthéon ?) des saxophonistes uniques dans leur genre pas loin de Roscoe Mitchell et de Steve Lacy. Ici au soprano, il délivre le son du miel, une qualité vocale irrésistible, même dans les phrasés méandreux. Le but de ce trio est une œuvre collective: le pianiste et le batteur créent un parfait véhicule pour rêver en symbiose avec le lyrisme de Gebbia. Une triangulation équilibrée et en phase pour une musique songeuse, méditative, aérienne et relativement épurée. Un super chanteur afro-américain, Dwight Tribble, confie sa merveilleuse voix au dernier morceau, chantant free comme un prince venu d’Afrique. Un peu avant le trio évoque une musique orientale avec Powell au daf, le très classieux Matthew Goodheart imitant le qanoun avec les doigts dans les cordes du piano. Gebbia souffle ce qu’il faut de lyrisme avec sa sonorité limpide. Et cela après que Garth Powell s’est fait entendre aux tam-tam (gongs suspendus si vous voulez) avec une fantastique qualité de son rarement entendue ailleurs. Une belle face B à la hauteur des espérances de la face A. Plutôt qu’un album free « d’avant-garde », ce IV (from the dark age to another) est une somptuosité attachante et généreuse à écouter au coin du feu sans doute pas loin du sapin de Noël.
Impetus group Density Dots Tom Jackson Dirk Serries Teun Verbruggen Martina Verhoeven Colin Webster Klanggalerie CD
https://dirkserries.bandcamp.com/album/density-dots
Avec des titres comme Unitary Mark, Subfield, Inflow, Linguistic Fortune, Swampy, Region Mash, Density Dots et les deux photos de la mer agitée face à la grève sauvage, on se dit, qu’à travers ces images et ces mots, il y a bien une stratégie et une tactique dans les emportements musicaux de cette fine équipe. Aux vagues tempêtueuses se succèdent des accalmies pointillistes. Deux paires et un joker. Le tandem de souffleurs fait corps l’un à l’autre : le saxophoniste Colin Webster et le clarinettiste Tom Jackson déroulent leurs spirales endiablées en concomitance entraîné par une houle implacable. On a parfois peine à les distinguer l’un de l’autre tant leurs intensités s’interpénètrent. Comme deux soutiers aux machines , le guitariste Dirk Serries (archtop amplifiée) et le percussionniste Teun Verbruggen s’activent à créer des équilibres instables, un ressac puissant qui relance des vagues multi-rythmiques tourbillonnantes sur lequel le pilonnage kinesthésique du clavier par Martina Verhoeven évoque une armada de dauphins hyperactifs à la poursuite des vents furieux et extatiques … des deux souffleurs. Excusez cette imagerie un peu facile, votre serviteur n’a pas toujours la Linguistic Fortune. Ces Density Dots créent des points de tension dans de lents crescendos à peine palpables et des points de chute qui semblent avoir été orchestrés subitement. Où se situe l’improvisation instantanée ? Où se dessine une forme de planification des éléments ? Dans le domaine de la free-music, il y a toujours une direction et des idées à partager, mettre au point, un challenge à relever. C’est tout l’intérêt de leur démarche collective où personne n’est un soliste, mais chacun est solidaire des autres. Une machinerie humaine qui dégage une énergie marémotrice.
Teun Verbruggen est un des percussionnistes les plus engagés de la scène belge dans un pays enclavé entre des territoires monolithes de la scène improvisée (Pays – Bas, Allemagne, France) où un improvisateur du cru a bien du mal à s’exporter. Lui et ses collègues Dirk Serries et Martina Verhoeven (le label a new wave of jazz – n°1 du plat pays, c’est eux !) s’échinent à créer un espace, un projet musical en comptant sur leurs propres forces et de celles d’enthousiastes inconditionnels tels l’explosif soufflant Colin Webster et le vibrionnant clarinettiste Tom Jackson. Une génération d’intrépides "Impétueux" qui renouvellent cette lingua franca du « free-jazz » improvisé en l’enrichissant indubitablement !
Free Improvising Singer and improvised music writer.
5 décembre 2023
Marjolaine Charbin & Eddie Prévost/ Evan Parker Solo 1978/ Paul Lytton & Erhard Hirt/ Urs Leimgruber Omri Ziegele Christian Weber Alex Huber
Marjolaine Charbin & Eddie Prévost the cry of a dove announcing rainMatchless Recordings MRCD113
https://matchlessrecordings.com/music/cry-dove-announcing-rain
Edwin « Eddie » Prévost, le légendaire percussionniste du groupe AMM (le plus ancien groupe d’improvisation libre en activité depuis 1965 !), a développé une démarche unique au niveau de la percussion contemporaine. Il recherche des sonorités extrêmes avec un grand tam-tam suspendu (autrement dit un « gong ») et une cymbale qu’il manipule avec des archets, mailloches etc… en la faisant vibrer sur la peau d’un tom ou d’une caisse claire. Évidemment, il joue aussi de la « batterie » normale avec un contrebassiste et un saxophoniste ou, il y a longtemps, en duo avec des pianistes comme Veryan Weston ou Marylin Crispell. Aux côtés de son acolyte d’AMM (devenu un « duo »), le pianiste John Tilbury, un brillant interprète de John Cage et de Morton Feldman, c’est avec cette percussion « minimale » , soit cymbale et gong + ustensiles qu’il dialogue dans un univers sonore aussi « restreint » que… très étendu (finalement) et cela grâce à un raffinement inouï du travail de ses instruments. On peut entendre tout cela, ces hallucinantes vibrations et stridences métalliques et la dynamique extraordinaire de ses sonorités dans cet admirable album en compagnie de la pianiste Marjolaine Charbin. Cette musicienne française qui fit ses études musicales et ses premiers pas dans l’improvisation contemporaine à Bruxelles est établie à Londres depuis une douzaine d’années. Elle s'est impliquée dans le cercle d’improvisateurs autour d’Eddie Prévost participant aux ateliers d’improvisation animé par ce dernier durant quelques années on et off. Au fil du temps, Marjolaine Charbin a joué régulièrement avec des musiciennes et musiciens comme Angharad Davies, Dominic Lash, Chris Cundy, Phil Durrant, Artur Vidal et Emmanuelle Waekerlé et de temps à autre avec Eddie Prévost. Celui-ci accorde autant d’importance à ses collaborateurs "locaux" dont la plupart d’entre nous avons à peine entendu parler qu’aux musiciens prestigieux de la scène internationale. Pami eux, on note Evan Parker, John Butcher et John Edwards. D’ailleurs, Eddie Prévost n’a jamais couru après personne pour se créer une quelconque carrière, préférant jouer et enregistrer avec les artistes qu’il croise dans la scène britannique, car leur proximité lui permet de travailler régulièrement et en profondeur avec eux dans un échange égalitaire. Eddie Prévost est sans doute un improvisateur pour qui les mots éthique, sincérité et absence de la moindre concession prennent tout leur sens. Ce qu’on entend dans cet album au niveau du piano est (très) différent de ce que joue le pianiste John Tilbury, par exemple. Tilbury est un interprète remarqué de cage et de Feldman. Et donc, tant pour la performance collective de Charbin et Prévost ensemble que pour leurs contributions individuelles, il me semble que c’est vraiment un « premier choix » pour une écoute approfondie et une découverte de cet univers proche d’AMM. Deux très longues improvisations : First Matinée : 30'02'' et Second Matinée : 46'53'' enregistrées respectivement le 23 octobre 2022 et le 8 janvier 2023 au Café OTO. Marjolaine Charbin tente avec un grand bonheur de contribuer avec une démarche de pianiste sincère en transgressant les certitudes – la doxa d’avant-garde (atonalité, sérialisme). Elle incorpore dans sa pratique plusieurs points de vue qu’elle explique très bien dans les notes de pochette qu’elle a rédigées afin de situer sa démarche musicienne. Une de ses qualités principales est son sens du rythme, de la pulsation et une invention mélodique épurée qui est chevillée à ce sens rythmique. Et son toucher précis et élégant. Bien entendu, elle explore aussi la table d’harmonie, les cordages et leurs résonances ou agite les touches en bloquant peu ou prou cordes et mécanismes en s’insérant au cœur des vibrations métalliques de son collègue. Il arrive que Prévost réagisse en faisant tintinnabuler ces instruments métalliques en y insufflant des pulsations lorsque la pianiste déboule dans les clusters avec subtils croisements de doigtés. Les mutations sonores qu’il inflige à ses instruments métalliques sont proprement inouïes. Alors que la pianiste percute subitement des cordes graves en les étouffant une mince fraction de seconde après, on entend vrombir le tam-tam, scintiller le bord de la cymbale ou l’épaisseur du gong comme une poussière d’étoiles. De lentes oscillations s’élèvent et délivrent leur amplitude de fréquences où se mêlent les murmures de la carcasse du piano. Même si les deux improvisateurs jouent parfois des choses très différentes, leur écoute mutuelle et leur connivence se révèlent avec la plus grande évidence, palpable, vivante, surprenante. La longueur des pièces (dans Second Matinée on approche l’heure) s'écoule naturellement tant la matière sonore est maîtrisée, le flux constamment en évolution, métamorphosé au fil d’un temps éclaté. Meta – musique, écrit Eddie Prévost. Si cette musique peut paraître distante et austère, une écoute approfondie peut nous en révéler ses mystères et créer une profonde fascination. Une vraie réussite.
P.S. Récemment, E.P. et M.C. ont enregistré un album avec Ute Kanngiesser et John Butcher : « The Art of Noticing ».
Evan Parker Solo NYC 1978 Relative Pitch.
https://relativepitchrecords.bandcamp.com/album/nyc-1978
En 1978, Evan Parker enregistrait son album solo Monoceros en utilisant une technique alors de pointe, le Direct Cutting au studio Nimbus, lequel était lié à un label de musique ancienne et de musiques traditionnelles d’Inde parmi les meilleurs et les plus « sérieux ». Cet album fit grand bruit dans la jazzosphère free et les milieux musique expérimentale. On n’avait jamais entendu cela : un saxophone soprano joué en respiration circulaire avec des doigtés croisés donnant naissance à plusieurs multiphoniques, notes produites quasi simultanément dans une illusion de polyphonie. Une technique de souffle et de contrôle de la colonne d’air hallucinante au sax soprano, instrument réputé difficile à maîtriser. Chacun de ses albums solos Incus (le label partagé avec Derek Bailey), Saxophone Solos (Aerobatics), Monoceros, Six of One (1980) et The Snake Decides (1985) contiennent une composition ou une série de compositions mise(s) au point au préalable et jouée avec une relative spontanéité selon une espèce de plan préétabli. Le son du saxophone et les interférences des fréquences des notes jouées simultanément sifflent et percent le tympan. À la grande époque entre 1977 jusqu’à la fin des années 90, on entendait le son du saxophone soprano envahir tout l’espace, sans aucune amplification, faisant vibrer l’oreille interne de chacun de nous, les os otolithes dont est tiré le mot Incus du nom d'un d'entre eux. Ces formes plus ou moins préétablies, construites et développées en temps réel l’ont été dans le but de créer une œuvre pour le disque qui puisse faire une référence démarquer un territoire musical conquis de dure lutte. On est en fait un peu ou assez loin du concept de l’improvisation collective. Notez que certains albums solos de Derek Bailey, le champion « théorique » de l’improvisation libre radicale et du concept d’improvisation « non-idiomatique » sont de toute évidence l’œuvre d’un compositeur quoi qu’en dise Bailey et les gens assez naïfs pour avaler cette théorie non – idiomatique. Il suffit d’écouter l’album acoustique Aïda de Bailey (Incus 40, 1980) et les outttakes de cet album qui figurent dans le double LP Aïda réédité par Honest Jon’s : vous aurez une belle surprise de redite littérale de différents passages importants de l’album original. De même, l’album solo Notes (Incus 48, 1986) où la construction méticuleuse de la musique ne laisse planer aucun doute : c’est comme si cela avait été « écrit », un peu comme ces improvisateurs du 19ème s. qui créaient une symphonie face au public.
Mais Evan Parker, s’il affirme être un compositeur, n’hésite pas, une fois sur scène, à se lancer à l’aventure de la tentative improvisée, de la recherche exploratoire. Surtout s’il n'y a pas d’enregistrement important en jeu. Evan a toujours préparé ses performances solos à l’écart de ses concerts en groupe afin de se concentrer à fond uniquement sur les structures, la technique et le cheminement de l’évolution de différents morceaux qui parfois constituent une suite. Le concert qui a donné la matière de l’enregistrement du fabuleux Six Of One (Incus 39 enregistré dans une église) où des éléments mélodiques fusent et se détachent des boucles sans fin du souffle en respiration circulaire, a été pensé dans le but exclusif de créer une œuvre devant figurer dans un album qui devait marquer un nouvel achèvement dans sa musique en solo, tout comme son tout premier concert solo à l'Unity Theatre en 1975 qui fut publié sous le titre "saxophone solos" (Incus 19).
Ici à New York en 1978, E.P. joue des pièces archétype de sa démarche au sax soprano solo. Le son n’est pas optimal et cette qualité moyenne de l’enregistrement force l’effet mordant, brutalement énergique de la densité des sons et de leurs extraordinaires modulations. Non seulement Evan Parker est un explorateur « scientifique » du son du saxophone, il a aussi un talent de mélodiste surprenant, spécialement au ténor. On pourrait lui décerner le titre du plus original des vrais « post-coltraniens » au sax ténor. Et justement dans ce NYC 1978 on entend pour la première fois dans l'évolution de sa discographie en solo, un morceau de sax ténor mordant, hachuré et agressif, quasi-bruitiste avec cette articulation délirante où certaines spirales « rattrapent » les précédentes et semblent se superposer à elles tout en décalant leurs interrelations harmoniques. Plus loin, c’est à Steve Lacy qu’il rend hommage en réutilisant les intervalles modaux spécifiques du maître ; il essaye alors de trouver un chemin dans une constellation de notes jouées avec la plus grande précision, ces intervalles et doigtés compliqués à négocier. Je l’ai entendu une fois saluer Steve avec déférence en l’appelant « Master ». Dans cette musique, lorsqu’on a du temps devant soi et que cette musique qu’on joue est basée sur une recherche permanente, le moment est venu d’essayer quelque chose, de chercher pour nourrir la matière de développements futurs L’album Zanzou enregistré au Japon (jazz and Now 1982) contient aussi un morceau au sax ténor. Et je me souviens d’un magnifique concert solo à Bruxelles en 1989 où le sax ténor servit dans deux ou trois pièces fantastiquement tortueuses. Aussi le souvenir d’une dépression abominable complètement nettoyée par la grâce de cette puissante musique lors d'un concert. À écouter : un excellent témoignage.
Borne on a Whim - Duets 1981 Paul Lytton & Erhard Hirt CorbettvsDempsey 100
https://corbettvsdempsey.bandcamp.com/album/borne-on-a-whim-duets-1981
Sans nul doute un des enregistrements les plus radicaux enregistrés ces années-là. Le duo de Paul Lytton (percussions et live electronics) et Erhard Hirt (guitares électriques et dobro) avait prévu de publier un LP pour le label Po-Torch dirigé par les deux Paul, Lovens et Lytton au début des années 80. Où était-ce le label Uhlklang ? Hirt et Lytton partageaient deux groupes avec le clarinettiste basse Wolfgang Fuchs et le contrebassiste Hans Schneider, XPACT et le mini big band King Übü Örchestrü. Suite à un désaccord musical, Erhard Hirt quitta XPACT et King Übü et le projet d’album en duo fut abandonné, même s’il fut annoncé sur le catalogue inséré dans des albums du label. Ces Duets de 1981 auraient vraiment dû être publiés à cette époque, tant leur musique bruitiste, chercheuse et exploratrice avide de sons était alors une des plus radicales qu’on pouvait entendre. Je ne sais pas dire si la matière de l’enregistrement annoncé est bien celui de ces Duets de 1981. Peu Importe. On en a pour son argent ! Suite à l’émergence de Derek Bailey et de Keith Rowe, on vit apparaître une série de guitaristes – bruiteurs vraiment originaux ou carrément trash : Fred Frith, John Russell, Eugene Chadbourne, Owen Maercks, Henry Kaiser, Davey Williams, Jean-François Pauvros ou l’inénarrable GF Fitz-Gerald qui travailla avec Lol Coxhill. Parmi eux , Erhard Hirt, alors inconnu, mais pas le moindre. Guitare écharpée et électrocutée, débris sonores, vibrations dangereuses, bruitisme et manipulation électrogènes peu avouables, un circuit improbable de pédales d’effets. Aussi un picotage délicat et acéré d’un dobro (guitare avec résonateur métallique incorporé en lieu et place de la rosace) qui dégage une vraie poésie, son jeu s’écartant d’un quelconque modèle de picking. L’intérêt du duo provient du fait que Paul Lytton ne se contente pas de jouer que de la percussion. Live electronics ? P.L. actionne son installation d’objets amplifiés sur un cadre métallique genre « mécano » (Dexion rack) par le truchement de micro-contacts : cordes de guitare tendues sur ce cadre avec des pédales de hi-hat (sic) qui en varie la tension, instruments de cuisine (cuillères, racloir, batteur à blanc d’oeufs), feuille métallique, archets, polystyrène, ressorts, j’en passe et des meilleures. Comme l’apôtre a appris « officiellement » les tablas indiens avec un authentique maître, il utilise cette technique en multi-frappes sur la surface des peaux avec un unique accelerando de pulsations (on retrouve cette caractéristique chez son ami Paul Lovens et Han Bennink). Mais en fait, son travail ici se concentre sur la création et la recherche de sons, de vibrations, de résonances métalliques (crotales, tam-tam, cymbales chinoises) en connexion intime avec son collègue Erhart Hirt, même si un auditeur pas au fait puisse être choqué par une apparente désinvolture à l’emporte-pièce. À cette époque, il jouait encore de son « mighty » kit avec tambours chinois et deux grosses caisses et une installation – capharnaum d’objets et ustensiles hétéroclites, comme vous n’en verrez jamais plus. En effet, monter sa « batterie » lui nécessitait trois heures de travail ! « Ah dit-il inquiet j’ai perdu une pièce ! » « Oui, dit son collègue, est-ce vital ? ». Un phénomène !
Erhard Hirt a enregistré un album solo, Gute un Schlechte Zeiten, et un trio avec John Butcher et Phil Minton (Two Concerts) pour FMP et le tout récent Specially for You avec Paul Lytton, Phil Wachsmann et Harri Sjöström pour Bead Records. On retrouve Hirt et Lytton dans XPACT 2 avec Stefan Keune et Hans Schneider ainsi qu’au sein du nouvel album de King Übü Orchestrü « Roi » (publié tout récemment par le label FMR). Surtout, Erhard Hirt, donne sa pleine mesure en duo avec le trompettiste Axel Dörner dans Black Box, un album live publié par Acheulian Handaxe en 2007. Tout à fait d’actualité et pourtant une bien longue histoire d’un as de la guitare électronique décapante d’une espèce rare.
Surtout connu pour être l’impressionnant batteur du trio avec Evan Parker et Barry Guy (le parangon du « free » free-jazz totalement improvisé), beaucoup de spectateurs ignorent aujourd’hui la face expérimentale de son travail « d’avant-garde » que Paul Lytton perpétue avec Georg Wissel ou le King Übü Orchestrü (qu’a réintégré son co-fondateur Erhard Hirt) depuis les années folles du duo avec Evan Parker entre 1969 et 1976. Mais au-delà de la trajectoire de Lytton, ce sont ces instants de folie, de poésie sonore surréaliste, ces sonorités sales, ces griffures, l’interpénétration de sons curieux, de déchirements et de résonnances parasitées qui aujourd’hui encore fascinent et requièrent une écoute différente, quelque part en 1981. Une imagination aiguë pour percer l’origine des sons émis, décoder et identifier les instruments utilisés, leurs techniques, les sources sonores, le but de leurs existences, le délire ludique. Qui fait quoi ? Musique abrupte, même pour un fan de Derek Bailey !
The Workers Urs Leimgruber Omri Ziegele Christian Weber Alex Huber Wide ear Records.
https://wideearrecords.bandcamp.com/album/saarbr-cken
Formation instrumentale habituelle du « free-jazz » avec deux saxophones, Urs Leimgruber au sax soprano et Omri Ziegele au sax alto ainsi qu’au nai et à la voix, la contrebasse de Christian Weber et les percussions d’Alex Huber. Si l’architecture « formatée » de ce type de quartet est prépondérante dans le déroulement des morceaux, il y règne une liberté de mouvement et une fluidité maximale, mettant en évidence chacune des quatre personnalités. La flûte Naï utilisée semble être un instrument des Balkans et Omri Ziegele y prend la parole avant de souffler dans un style saccadé et fluide au sax alto qui remonte partiellement à celui d’Ornette avec ses inflexions vocales. Les interventions d’Urs Leimgruber naviguent entre des oscillations mélodiques et des tournoiements de doigtés croisés jusqu’à des étoiles filantes dans les hyper suraigus créés par un contrôle absolu des harmoniques bien au-delà de la tessiture de l’instrument. Super jeu de la contrebasse experte de Christian Weber qui fait vibrer la résonance boisée des grosses cordes comme un cœur gros comme ça, palpitant. Quand Omri harangue hagard le public, Urs Leimgruber nous sert des sons audacieux, nous invente une structure mélodique qui aurait enchanté Steve Lacy ou évoque brièvement Coltrane. Le mood est au dialogue, à la digression et des événement sonores nuancés. Le batteur, Alex Huber est toute écoute et apporte un soutien sans faille avec un vrai goût pour la chose percussive et les sentiments vécus des pulsations et des timbres au service de la musique collective. La libre improvisation d’essence free-jazz ouverte à l’écriture automatique à la librté folâtre et au partage de la scène et l'espace auditif. Il suffit d’écouter le concassage du timbre et de l’articulation de Ziegele et l’exploration bruissante et discrète du pavillon du sax soprano par Leimgruber et de la contrebasse par Weber. Le poème d’Omri Ziegele et toutes ses questions reprennent de plus belle, « Inside darkness »… Un album bien agréable, poétique, un brin chercheur à chasser les évidences et à mettre en exergue le jeu collectif, matrice de l’improvisation sans tabous et idées toutes faites.
https://matchlessrecordings.com/music/cry-dove-announcing-rain
Edwin « Eddie » Prévost, le légendaire percussionniste du groupe AMM (le plus ancien groupe d’improvisation libre en activité depuis 1965 !), a développé une démarche unique au niveau de la percussion contemporaine. Il recherche des sonorités extrêmes avec un grand tam-tam suspendu (autrement dit un « gong ») et une cymbale qu’il manipule avec des archets, mailloches etc… en la faisant vibrer sur la peau d’un tom ou d’une caisse claire. Évidemment, il joue aussi de la « batterie » normale avec un contrebassiste et un saxophoniste ou, il y a longtemps, en duo avec des pianistes comme Veryan Weston ou Marylin Crispell. Aux côtés de son acolyte d’AMM (devenu un « duo »), le pianiste John Tilbury, un brillant interprète de John Cage et de Morton Feldman, c’est avec cette percussion « minimale » , soit cymbale et gong + ustensiles qu’il dialogue dans un univers sonore aussi « restreint » que… très étendu (finalement) et cela grâce à un raffinement inouï du travail de ses instruments. On peut entendre tout cela, ces hallucinantes vibrations et stridences métalliques et la dynamique extraordinaire de ses sonorités dans cet admirable album en compagnie de la pianiste Marjolaine Charbin. Cette musicienne française qui fit ses études musicales et ses premiers pas dans l’improvisation contemporaine à Bruxelles est établie à Londres depuis une douzaine d’années. Elle s'est impliquée dans le cercle d’improvisateurs autour d’Eddie Prévost participant aux ateliers d’improvisation animé par ce dernier durant quelques années on et off. Au fil du temps, Marjolaine Charbin a joué régulièrement avec des musiciennes et musiciens comme Angharad Davies, Dominic Lash, Chris Cundy, Phil Durrant, Artur Vidal et Emmanuelle Waekerlé et de temps à autre avec Eddie Prévost. Celui-ci accorde autant d’importance à ses collaborateurs "locaux" dont la plupart d’entre nous avons à peine entendu parler qu’aux musiciens prestigieux de la scène internationale. Pami eux, on note Evan Parker, John Butcher et John Edwards. D’ailleurs, Eddie Prévost n’a jamais couru après personne pour se créer une quelconque carrière, préférant jouer et enregistrer avec les artistes qu’il croise dans la scène britannique, car leur proximité lui permet de travailler régulièrement et en profondeur avec eux dans un échange égalitaire. Eddie Prévost est sans doute un improvisateur pour qui les mots éthique, sincérité et absence de la moindre concession prennent tout leur sens. Ce qu’on entend dans cet album au niveau du piano est (très) différent de ce que joue le pianiste John Tilbury, par exemple. Tilbury est un interprète remarqué de cage et de Feldman. Et donc, tant pour la performance collective de Charbin et Prévost ensemble que pour leurs contributions individuelles, il me semble que c’est vraiment un « premier choix » pour une écoute approfondie et une découverte de cet univers proche d’AMM. Deux très longues improvisations : First Matinée : 30'02'' et Second Matinée : 46'53'' enregistrées respectivement le 23 octobre 2022 et le 8 janvier 2023 au Café OTO. Marjolaine Charbin tente avec un grand bonheur de contribuer avec une démarche de pianiste sincère en transgressant les certitudes – la doxa d’avant-garde (atonalité, sérialisme). Elle incorpore dans sa pratique plusieurs points de vue qu’elle explique très bien dans les notes de pochette qu’elle a rédigées afin de situer sa démarche musicienne. Une de ses qualités principales est son sens du rythme, de la pulsation et une invention mélodique épurée qui est chevillée à ce sens rythmique. Et son toucher précis et élégant. Bien entendu, elle explore aussi la table d’harmonie, les cordages et leurs résonances ou agite les touches en bloquant peu ou prou cordes et mécanismes en s’insérant au cœur des vibrations métalliques de son collègue. Il arrive que Prévost réagisse en faisant tintinnabuler ces instruments métalliques en y insufflant des pulsations lorsque la pianiste déboule dans les clusters avec subtils croisements de doigtés. Les mutations sonores qu’il inflige à ses instruments métalliques sont proprement inouïes. Alors que la pianiste percute subitement des cordes graves en les étouffant une mince fraction de seconde après, on entend vrombir le tam-tam, scintiller le bord de la cymbale ou l’épaisseur du gong comme une poussière d’étoiles. De lentes oscillations s’élèvent et délivrent leur amplitude de fréquences où se mêlent les murmures de la carcasse du piano. Même si les deux improvisateurs jouent parfois des choses très différentes, leur écoute mutuelle et leur connivence se révèlent avec la plus grande évidence, palpable, vivante, surprenante. La longueur des pièces (dans Second Matinée on approche l’heure) s'écoule naturellement tant la matière sonore est maîtrisée, le flux constamment en évolution, métamorphosé au fil d’un temps éclaté. Meta – musique, écrit Eddie Prévost. Si cette musique peut paraître distante et austère, une écoute approfondie peut nous en révéler ses mystères et créer une profonde fascination. Une vraie réussite.
P.S. Récemment, E.P. et M.C. ont enregistré un album avec Ute Kanngiesser et John Butcher : « The Art of Noticing ».
Evan Parker Solo NYC 1978 Relative Pitch.
https://relativepitchrecords.bandcamp.com/album/nyc-1978
En 1978, Evan Parker enregistrait son album solo Monoceros en utilisant une technique alors de pointe, le Direct Cutting au studio Nimbus, lequel était lié à un label de musique ancienne et de musiques traditionnelles d’Inde parmi les meilleurs et les plus « sérieux ». Cet album fit grand bruit dans la jazzosphère free et les milieux musique expérimentale. On n’avait jamais entendu cela : un saxophone soprano joué en respiration circulaire avec des doigtés croisés donnant naissance à plusieurs multiphoniques, notes produites quasi simultanément dans une illusion de polyphonie. Une technique de souffle et de contrôle de la colonne d’air hallucinante au sax soprano, instrument réputé difficile à maîtriser. Chacun de ses albums solos Incus (le label partagé avec Derek Bailey), Saxophone Solos (Aerobatics), Monoceros, Six of One (1980) et The Snake Decides (1985) contiennent une composition ou une série de compositions mise(s) au point au préalable et jouée avec une relative spontanéité selon une espèce de plan préétabli. Le son du saxophone et les interférences des fréquences des notes jouées simultanément sifflent et percent le tympan. À la grande époque entre 1977 jusqu’à la fin des années 90, on entendait le son du saxophone soprano envahir tout l’espace, sans aucune amplification, faisant vibrer l’oreille interne de chacun de nous, les os otolithes dont est tiré le mot Incus du nom d'un d'entre eux. Ces formes plus ou moins préétablies, construites et développées en temps réel l’ont été dans le but de créer une œuvre pour le disque qui puisse faire une référence démarquer un territoire musical conquis de dure lutte. On est en fait un peu ou assez loin du concept de l’improvisation collective. Notez que certains albums solos de Derek Bailey, le champion « théorique » de l’improvisation libre radicale et du concept d’improvisation « non-idiomatique » sont de toute évidence l’œuvre d’un compositeur quoi qu’en dise Bailey et les gens assez naïfs pour avaler cette théorie non – idiomatique. Il suffit d’écouter l’album acoustique Aïda de Bailey (Incus 40, 1980) et les outttakes de cet album qui figurent dans le double LP Aïda réédité par Honest Jon’s : vous aurez une belle surprise de redite littérale de différents passages importants de l’album original. De même, l’album solo Notes (Incus 48, 1986) où la construction méticuleuse de la musique ne laisse planer aucun doute : c’est comme si cela avait été « écrit », un peu comme ces improvisateurs du 19ème s. qui créaient une symphonie face au public.
Mais Evan Parker, s’il affirme être un compositeur, n’hésite pas, une fois sur scène, à se lancer à l’aventure de la tentative improvisée, de la recherche exploratoire. Surtout s’il n'y a pas d’enregistrement important en jeu. Evan a toujours préparé ses performances solos à l’écart de ses concerts en groupe afin de se concentrer à fond uniquement sur les structures, la technique et le cheminement de l’évolution de différents morceaux qui parfois constituent une suite. Le concert qui a donné la matière de l’enregistrement du fabuleux Six Of One (Incus 39 enregistré dans une église) où des éléments mélodiques fusent et se détachent des boucles sans fin du souffle en respiration circulaire, a été pensé dans le but exclusif de créer une œuvre devant figurer dans un album qui devait marquer un nouvel achèvement dans sa musique en solo, tout comme son tout premier concert solo à l'Unity Theatre en 1975 qui fut publié sous le titre "saxophone solos" (Incus 19).
Ici à New York en 1978, E.P. joue des pièces archétype de sa démarche au sax soprano solo. Le son n’est pas optimal et cette qualité moyenne de l’enregistrement force l’effet mordant, brutalement énergique de la densité des sons et de leurs extraordinaires modulations. Non seulement Evan Parker est un explorateur « scientifique » du son du saxophone, il a aussi un talent de mélodiste surprenant, spécialement au ténor. On pourrait lui décerner le titre du plus original des vrais « post-coltraniens » au sax ténor. Et justement dans ce NYC 1978 on entend pour la première fois dans l'évolution de sa discographie en solo, un morceau de sax ténor mordant, hachuré et agressif, quasi-bruitiste avec cette articulation délirante où certaines spirales « rattrapent » les précédentes et semblent se superposer à elles tout en décalant leurs interrelations harmoniques. Plus loin, c’est à Steve Lacy qu’il rend hommage en réutilisant les intervalles modaux spécifiques du maître ; il essaye alors de trouver un chemin dans une constellation de notes jouées avec la plus grande précision, ces intervalles et doigtés compliqués à négocier. Je l’ai entendu une fois saluer Steve avec déférence en l’appelant « Master ». Dans cette musique, lorsqu’on a du temps devant soi et que cette musique qu’on joue est basée sur une recherche permanente, le moment est venu d’essayer quelque chose, de chercher pour nourrir la matière de développements futurs L’album Zanzou enregistré au Japon (jazz and Now 1982) contient aussi un morceau au sax ténor. Et je me souviens d’un magnifique concert solo à Bruxelles en 1989 où le sax ténor servit dans deux ou trois pièces fantastiquement tortueuses. Aussi le souvenir d’une dépression abominable complètement nettoyée par la grâce de cette puissante musique lors d'un concert. À écouter : un excellent témoignage.
Borne on a Whim - Duets 1981 Paul Lytton & Erhard Hirt CorbettvsDempsey 100
https://corbettvsdempsey.bandcamp.com/album/borne-on-a-whim-duets-1981
Sans nul doute un des enregistrements les plus radicaux enregistrés ces années-là. Le duo de Paul Lytton (percussions et live electronics) et Erhard Hirt (guitares électriques et dobro) avait prévu de publier un LP pour le label Po-Torch dirigé par les deux Paul, Lovens et Lytton au début des années 80. Où était-ce le label Uhlklang ? Hirt et Lytton partageaient deux groupes avec le clarinettiste basse Wolfgang Fuchs et le contrebassiste Hans Schneider, XPACT et le mini big band King Übü Örchestrü. Suite à un désaccord musical, Erhard Hirt quitta XPACT et King Übü et le projet d’album en duo fut abandonné, même s’il fut annoncé sur le catalogue inséré dans des albums du label. Ces Duets de 1981 auraient vraiment dû être publiés à cette époque, tant leur musique bruitiste, chercheuse et exploratrice avide de sons était alors une des plus radicales qu’on pouvait entendre. Je ne sais pas dire si la matière de l’enregistrement annoncé est bien celui de ces Duets de 1981. Peu Importe. On en a pour son argent ! Suite à l’émergence de Derek Bailey et de Keith Rowe, on vit apparaître une série de guitaristes – bruiteurs vraiment originaux ou carrément trash : Fred Frith, John Russell, Eugene Chadbourne, Owen Maercks, Henry Kaiser, Davey Williams, Jean-François Pauvros ou l’inénarrable GF Fitz-Gerald qui travailla avec Lol Coxhill. Parmi eux , Erhard Hirt, alors inconnu, mais pas le moindre. Guitare écharpée et électrocutée, débris sonores, vibrations dangereuses, bruitisme et manipulation électrogènes peu avouables, un circuit improbable de pédales d’effets. Aussi un picotage délicat et acéré d’un dobro (guitare avec résonateur métallique incorporé en lieu et place de la rosace) qui dégage une vraie poésie, son jeu s’écartant d’un quelconque modèle de picking. L’intérêt du duo provient du fait que Paul Lytton ne se contente pas de jouer que de la percussion. Live electronics ? P.L. actionne son installation d’objets amplifiés sur un cadre métallique genre « mécano » (Dexion rack) par le truchement de micro-contacts : cordes de guitare tendues sur ce cadre avec des pédales de hi-hat (sic) qui en varie la tension, instruments de cuisine (cuillères, racloir, batteur à blanc d’oeufs), feuille métallique, archets, polystyrène, ressorts, j’en passe et des meilleures. Comme l’apôtre a appris « officiellement » les tablas indiens avec un authentique maître, il utilise cette technique en multi-frappes sur la surface des peaux avec un unique accelerando de pulsations (on retrouve cette caractéristique chez son ami Paul Lovens et Han Bennink). Mais en fait, son travail ici se concentre sur la création et la recherche de sons, de vibrations, de résonances métalliques (crotales, tam-tam, cymbales chinoises) en connexion intime avec son collègue Erhart Hirt, même si un auditeur pas au fait puisse être choqué par une apparente désinvolture à l’emporte-pièce. À cette époque, il jouait encore de son « mighty » kit avec tambours chinois et deux grosses caisses et une installation – capharnaum d’objets et ustensiles hétéroclites, comme vous n’en verrez jamais plus. En effet, monter sa « batterie » lui nécessitait trois heures de travail ! « Ah dit-il inquiet j’ai perdu une pièce ! » « Oui, dit son collègue, est-ce vital ? ». Un phénomène !
Erhard Hirt a enregistré un album solo, Gute un Schlechte Zeiten, et un trio avec John Butcher et Phil Minton (Two Concerts) pour FMP et le tout récent Specially for You avec Paul Lytton, Phil Wachsmann et Harri Sjöström pour Bead Records. On retrouve Hirt et Lytton dans XPACT 2 avec Stefan Keune et Hans Schneider ainsi qu’au sein du nouvel album de King Übü Orchestrü « Roi » (publié tout récemment par le label FMR). Surtout, Erhard Hirt, donne sa pleine mesure en duo avec le trompettiste Axel Dörner dans Black Box, un album live publié par Acheulian Handaxe en 2007. Tout à fait d’actualité et pourtant une bien longue histoire d’un as de la guitare électronique décapante d’une espèce rare.
Surtout connu pour être l’impressionnant batteur du trio avec Evan Parker et Barry Guy (le parangon du « free » free-jazz totalement improvisé), beaucoup de spectateurs ignorent aujourd’hui la face expérimentale de son travail « d’avant-garde » que Paul Lytton perpétue avec Georg Wissel ou le King Übü Orchestrü (qu’a réintégré son co-fondateur Erhard Hirt) depuis les années folles du duo avec Evan Parker entre 1969 et 1976. Mais au-delà de la trajectoire de Lytton, ce sont ces instants de folie, de poésie sonore surréaliste, ces sonorités sales, ces griffures, l’interpénétration de sons curieux, de déchirements et de résonnances parasitées qui aujourd’hui encore fascinent et requièrent une écoute différente, quelque part en 1981. Une imagination aiguë pour percer l’origine des sons émis, décoder et identifier les instruments utilisés, leurs techniques, les sources sonores, le but de leurs existences, le délire ludique. Qui fait quoi ? Musique abrupte, même pour un fan de Derek Bailey !
The Workers Urs Leimgruber Omri Ziegele Christian Weber Alex Huber Wide ear Records.
https://wideearrecords.bandcamp.com/album/saarbr-cken
Formation instrumentale habituelle du « free-jazz » avec deux saxophones, Urs Leimgruber au sax soprano et Omri Ziegele au sax alto ainsi qu’au nai et à la voix, la contrebasse de Christian Weber et les percussions d’Alex Huber. Si l’architecture « formatée » de ce type de quartet est prépondérante dans le déroulement des morceaux, il y règne une liberté de mouvement et une fluidité maximale, mettant en évidence chacune des quatre personnalités. La flûte Naï utilisée semble être un instrument des Balkans et Omri Ziegele y prend la parole avant de souffler dans un style saccadé et fluide au sax alto qui remonte partiellement à celui d’Ornette avec ses inflexions vocales. Les interventions d’Urs Leimgruber naviguent entre des oscillations mélodiques et des tournoiements de doigtés croisés jusqu’à des étoiles filantes dans les hyper suraigus créés par un contrôle absolu des harmoniques bien au-delà de la tessiture de l’instrument. Super jeu de la contrebasse experte de Christian Weber qui fait vibrer la résonance boisée des grosses cordes comme un cœur gros comme ça, palpitant. Quand Omri harangue hagard le public, Urs Leimgruber nous sert des sons audacieux, nous invente une structure mélodique qui aurait enchanté Steve Lacy ou évoque brièvement Coltrane. Le mood est au dialogue, à la digression et des événement sonores nuancés. Le batteur, Alex Huber est toute écoute et apporte un soutien sans faille avec un vrai goût pour la chose percussive et les sentiments vécus des pulsations et des timbres au service de la musique collective. La libre improvisation d’essence free-jazz ouverte à l’écriture automatique à la librté folâtre et au partage de la scène et l'espace auditif. Il suffit d’écouter le concassage du timbre et de l’articulation de Ziegele et l’exploration bruissante et discrète du pavillon du sax soprano par Leimgruber et de la contrebasse par Weber. Le poème d’Omri Ziegele et toutes ses questions reprennent de plus belle, « Inside darkness »… Un album bien agréable, poétique, un brin chercheur à chasser les évidences et à mettre en exergue le jeu collectif, matrice de l’improvisation sans tabous et idées toutes faites.
Free Improvising Singer and improvised music writer.
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