25 février 2015

Witold Oleszak - Roger Turner / Alison Blunt-Ivor Kallin-Hannah Marshall / Mikolaj Tzraska-Ollie Brice-Mark Sanders / Trevor Watts -Veryan Weston / Pat Moonchy-Lino Liguori

Witold Oleszak & Roger Turner Fragments of Part Freeform  Association cd FFA651

Voici le deuxième acte enregistré du tandem piano – percussion de Witold Oleszak et Roger Turner. Pas moins de 16 morceaux dont neuf autour des deux minutes et quelques-uns de 4 ou 5 minutes. Echanges vifs, explorations du cadre, piano préparé, sens en éveil, espaces ajourés, poésie du son, … Roger Turner est sans doute un improvisateur relativement insituable qui peut se révéler aussi intimiste et secret avec Phil Minton qu’explosif et ultra-polyrythmique avec Hannes Bauer et Alan Silva… Avec le pianiste Witold Oleszak, il vise la pertinence du propos soulignant ou commentant les digressions du clavier via les mécanismes, le cadre et la résonance de la « caisse » ou en poursuivant les vagues des doigtés. La musique est concise, sèche, et elle va droit au but, cultivant l’essentiel d’une belle idée par morceau. C’est un beau témoignage d’improvisations qui respirent et se meuvent dans l’évidence sans en faire trop. Le piano imprime souvent les pulsations et le percussionniste a un malin plaisir à les contourner avec légèreté et subtilité. L’attention est captée la plupart du temps avec des arrêts sur image et une foultitude de détails qui stimulent l’écoute. Alors que nombre de ses collègues essayent de se commettre avec ceux qui comptent sur la scène (notoriété et visibilité), Roger Turner montre encore une fois qu’il a plaisir à jouer avec des amis rencontrés sur la route et qui comme lui ont la plus haute idée de la musique et de la scène improvisée radicale : prendre un réel plaisir avec un excellent partenaire avec qui la communication et l’échange est une manifestation de la vie et le langage du cœur en ne souciant guère du reste. Un excellent enregistrement. On doit aussi à ce label une somme fantastique du trio légendaire the Recedents (Lol Coxhill Mike Cooper Roger Turner) en cinq cédés : Wish you were here !!

Barrel : live at artfacts Alison Blunt / Ivor Kallin / Hannah Marshall Idyllic Noise IDNO 009



Ceux qui avaient fait confiance au choix du label Emanem de publier Gratuitous Abuse du trio Barrel seront récompensés. Ces trois praticiens de la musique improvisée londonienne et piliers du London Improvisers Orchestra en ont été tellement encouragés que leur concert de St Johann In Tirol nous les révèle dans une forme et une inspiration encore supérieure à leur premier opus. Il y a là une série de séquences, d’interactions, d’idées développées ou seulement suggérées, d’élans ou de retenue dans plusieurs dimensions qui sollicitent l’écoute attentive et ne laissent pas l’imagination choir ne fut ce que cinq secondes. Johannes Rosenberg a souligné ô combien les improvisateurs cordistes sont faits pour jouer ensemble corde à corde, archet avec archet. C’est l’évidence-même. Voici des artistes qui ne sont peut être pas aussi « impressionnants » que certains de leurs collègues (on pense au violoncelliste Tristan Honsinger ou aux violonistes Carlos Zingaro et Jon Rose) mais qui, une fois réunis, finissent par vous remuer, interpeller et enthousiasmer tout autant. Leur trio est devenu bien plus que la somme du talent de chacun d’eux.  La synergie de leurs qualités bonifient l’apport de chacun dans un tout fascinant.Vraiment magnifique. Querelleur ou lyrique, micro tonal ou sonique, intimiste ou énergétique. Contorsionné ou avec un supplément de nuances. Des pizz en pagaille ou l’alto qui déraille avec un certain humour et puis tout se termine avec un filet de son quasi vocalisé. On a droit à toute la gamme des sentiments et des expressions. Unique dans le genre. Parcourez les magazines et les blogs, les catalogues : il n’y en a que pour les saxophones, trompettes, piano ou guitare ou le sempiternel axe souffleurs-avec (ou sans) piano, basse et batterie. Sans parler des effets électroniques. Toujours la même quadrature du cercle. Un duo ? Ce sera saxophone et percussion voire saxophone et contrebasse ou le sempiternel trio piano-basse-batterie. On ajoute parfois un trombone, un vibraphone ou un violoncelle. Au mieux, on enlève la batterie. Et finalement le paysage de la (pseudo) avant-garde ou du free jazz « sans composition » dit « libre » devient une lingua franca récurrente avec le personnel qui tourne dans tous les festivals ou lieux en vue (parfois presque pour des peanuts, je sais !) et qui se voient recyclés au fil des parutions. Moi, en musique je déteste m’ennuyer et je suis sidéré qu’il n’y ait pas plus de configurations instrumentales originales. Au moins ici avec Barrel, Hannah Marshall (cello), Alison Blunt (violon) et Ivor Kallin (alto), vous avez l’assurance que la musique sort des sentiers battus parce qu' un trio de cordes en folie comme cela, vous n’êtes pas prêts d’en trouver un pareil dans les vingt cinq piles de cédés labellisés « musique improvisée libre » où on retrouve ces configurations instrumentales relativement formatées etc… sans parler de l’invasion électroïde... Si ce n’est l’excellentissime Stellari Quartet de Phil Wachsmann, Charlotte Hug, Marcio Mattos et John Edwards, lui aussi publié il y a quelques années par Emanem. Il y a aussi chez Barrel un aspect joyeusement ludique qui évite le côté souvent sérieux ou austère des quatuors à cordes « contemporain». Bref le trio Barrel, c’est une cuvée unique en son genre. Heureusement à St Johann in Tirol, un organisateur éclairé a compris tout le parti qu’on pouvait tirer de trois cordistes aussi enjoués et complices. Un vrai régal !

Inem gortn Riverloam trio Mikolaj Trzaska Ollie Brice Mark Sanders FMR

La pochette de ce digipack indique seulement riverloam trio et le titre  inem gortn. Au rythme soutenu des sorties du label FMR (et des labels frères Clean Feed, No Business, NotTwo), cet album risquerait bien de passer inaperçu. Au verso, on découvre les noms de Mikolaj Tzraska sax alto, clarinet et bass clarinet, Ollie Brice double bass et Mark Sanders percussion. Sanders est connu comme un vieux sou aux côtés d’improvisateurs incontournables comme Evan Parker, John Butcher, Veryan Weston, Trevor Watts, Elton Dean, Paul Dunmall, John Edwards, Paul Rogers. Ollie Brice est devenu récemment un des contrebassistes qui comptent en Grande Bretagne, rejoignant avec une remarquable spécificité la confrérie britannique visible dans la scène « free-music » : les Barry Guy, Paul Rogers, John Edwards, Simon H Fell, John Edwards, Dom Lash et Guillaume Viltard. Un sérieux client avec un son imposant, une puissance qui pousse et soulève qui évoque un Charlie Haden. Quant à Mikolaj Trzaska, il est un des principaux acteurs dans la scène polonaise du jazz libre. Son nom apparaît dans une collaboration discographique avec Lester Bowie vers la fin des années 80’s et plus récemment, dans une série d’enregistrements publiés par le label polonais NotTwo. Entre autres, il y joue avec Ken Vandermark, Peter Brötzmann et Joe McPhee. Ceux qui sont accros à Brötzmann et il doit y en avoir pas mal, si on doit faire le comptage de tous les albums qui paraissent sous son nom et qu’il devient de plus en plus impossible de relever (de mon jeune temps, c’était facile : on appuyait sur le bouton FMP et le tour était joué), feraient bien de jeter un coup d’oreille. On va pas quand même écouter toujours les mêmes. Puissance, rage, charge émotionnelle, mais aussi sens des nuances, goût pour la mélodie. Avec un percussionniste polyrithmicien aussi nuancé au niveau de la frappe et du métal et créateur d’équilibres à la fois aérien et terrien comme Sanders, le son de contrebasse aussi balancé dans le grave et l’émission du pizzicato énorme de Brice sans parler de la largesse du frottement à l’archet, c’est un trio gagnant. Cela dit, la qualité de la prise de son est un régal. Ce qui rend cette musique agréable et sa puissance irrésistible se trouve dans la manière naturelle où et comment l’énergie se libère sans que les protagonistes en rajoutent une couche. Un bel équilibre qui rend opérants au mieux les différents paliers expressifs du souffleur entre le cri expressionniste et la retenue pensive. La pince puissante du contrebassiste emmène l’imagination dériver dans un autre univers, élégiaque celui-là et le percussionniste trouve en permanence le ton juste et la dynamique la plus appropriée. Dans plusieurs moments, on quitte le sentier balisé du trio souffleur/basse/batterie pour un questionnement du temps suspendu dans elephant trees. Fort heureusement, le temps se déroule dans l’essentiel de la communication musicale sans qu’il se fasse sentir : une heure à toute vitesse pour des musiciens qui prennent le temps de jouer avec un sentiment d’urgence, cela mérite d’être souligné. Pour le final, Trzaska a gardé la saveur particulière du son de sa clarinette et Brice un festival de doigtés ponctué à merveille par le cliquetis piaffant des cymbales de Sanders : le trio nous emporte dans un swing irrésistible. Il aboutit au seul solo de batterie (assez court) qui relance dans un groove peu usité, lequel permet au batteur de démultiplier les frappes sans surjouer alors que le clarinettiste jongle avec deux notes dans un appel modal suggérant des mélodies balkaniques. L’art de terminer un disque. Une belle performance ! 

Veracity Trevor Watts FMR cd377
Hear and Now Trevor Watts - Veryan Weston avec Mark Sanders John Edwards DVD  FMR DVD05 réalisé par Mark French.




Trevor Watts est le saxophoniste alto, alto, par excellence, un maître incontournable, la pureté du son et l’intensité naturelle alliée à une émission … parfaite ! Et aussi, un grand maître des rythmes, qui se révèle dans ce domaine plus sûr que ceux qui sont sensés personnifier cet aspect fondamental dans la musique : batteurs et percussionnistes. Durant des décennies, sa musique a trouvé un aboutissement dans ces groupes Amalgam et Moiré où le rythme démultiplié était le centre d’intérêt. Avec l’âge venant (passé la septantaine), ce routier toujours alerte revient à ses premières amours : le libre jazz libre, la free music où le musicien à la fois sollicite tous ses moyens, ses expériences et son imagination pour inventer une musique entière et complète dans l’instant. Lorsque son premier album solo fut publié (World Sonic / Hi4Head cd 004), Trevor Watts m’avait confié l’avoir enregistré à la demande insistante du producteur.  Il estime que la musique soit surtout être partagée avec un partenaire et il a d’ailleurs trouvé en Veryan Weston (qui fut son alter ego dans Moiré), le partenaire idéal. Aujourd’hui, voici un deuxième album solo, Veracity et c’est formidable ! Un chapelet d’idées mélodiques, de constructions rythmiques et modales, de danses secrètes, un syncrétisme d’une cohésion et d’un pluralisme inouïs servis par la sonorité la plus classe qu’il soit donné d’entendre. Egale à un Art Pepper, un Johny Hodges. Dans la fratrie des saxophonistes alto qui ont libéré le jazz les prénoms d’Ornette, Eric et Jackie ont écrit l’histoire avec des lettres de feu, accompagnés par des géants : Anthony Braxton, Jimmy Lyons, Sonny Simmons, Mike Osborne, Roscoe Mitchell, Oliver Lake, Elton Dean… et puis Marco Eneidi, Rob Brown, Gianni Gebbia… Ouf !! La concurrence est rude ! On a l’embarras du choix ! Avec ses tournées extra européennes dans les festivals musique du monde (son Drum Orchestra réunissait des percussionnistes africains), Trevor Watts, LE  sax alto pionnier du free européen depuis le milieu des années soixante, s’est fait un peu oublier de l’univers « musiques improvisées ». Veracity mettra les pendules à l’heure. Trevor Watts a par dessus tout une sonorité qu’on peut présenter comme un modèle pour sa beauté et pour sa singularité. Il a d’ailleurs toujours voulu être un musicien paradoxal. Son matériau musical est à la fois simple et complexe, basé sur une combinaison intelligente de motifs mélodiques et de séquences rythmiques articulés et distribués avec une perfection formelle qui séduira aisément les amateurs de jazz de plusieurs écoles pour autant qu’ils veuillent sortir un tout petit peu de leurs habitudes. Avec seulement deux ou trois notes jouées et tirées de leur contexte, Trevor Watts n’a aucun mal à faire naître dans l’imagination subconsciente de l’auditeur toutes les combinaisons mélodiques. Le lyrisme à l’état pur et, c’est cela qui le rend intéressant, à mille lieux de la doxa jazziste (stakhanoviste) qui découle des standards de Broadway, genre pour duquel il a fait une place tout à fait nette dans son œuvre : dehors ! Rien ici ne fait allusion au parkerisme ou même au dolphysme. Trevor Watts, c’est un saxophoniste  alto 100 % musical avec une technique optimale et où le rôle créatif de cette dernière passe au second rang avant l’émotion. On pense à Art Pepper. D’un point de vue purement technique, il faut quand – même souligner aa remarquable projection sonore. Dans une grande salle et sans micro, il ne faut pas tendre l’oreille pour l’entendre, alors qu’il semble ne pas souffler plus fort que dans un studio d’enregistrement. Chez Watts, la technique n’est seulement que le vecteur de l’émotion indicible et de l’invention pure. Dans l’exercice solitaire de Veracity, il donne la quintessence de son inspiration et, ce faisant, il raconte de belles histoires. Une fois au feu de l’improvisation avec des camarades de choix, Trevor Watts nous révèle combien son engagement est sincère, lucide, intense et poétique.  Et à cet égard, Hear and Now est un beau témoignage. Le DVD alterne interviews subtiles et sincères et extraits d’un concert, son propos est intelligent et on sent toute la modestie du personnage. Les séquences musicales en duo avec le pianiste Veryan Weston volent haut par leur surprenante interactivité loin des clichés et le quartet qui enchaîne est un modèle du genre. John Edwards et Mark Sanders ayant déjà tracé avec Weston une belle histoire de connivences (cfr Mercury et Gateway /Emanem), à quatre, ils renouvellent cette formule instrumentale par la singulière vivacité des échanges et leur capacité à secouer les poncifs et les idées toutes faites avec une étonnante cohésion. Une aventure dans le droit fil des fabuleux duos Watts – Weston publiés par Emanem : Six Dialogues Emanem 4069 et Five More Dialogues Emanem 5017 et Hi4Head : Dialogues in Two Places. Dialogues ? Dans l’histoire discographique du jazz libre,  Watts &Weston personnifient au plus haut point la quintessence du  dialogue entre un saxophone et un piano, Weston étant un pianiste superlatif, unique pour savoir créer les conditions du dialogue optimal basé sur l’improvisation permanente. Je n’en connais pas d’autres. Le secret des deux partenaires, une absence totale d’égo «musical » et une entière disponibilité dans l’instant, oublieux de leurs marottes individuelles (absence de plan séquences prédigérés *), tout en étant fidèle à leur personnalité propre. Ils affectent de s’ignorer ou de se répondre, d’anticiper ou de prolonger le développement l’un de l’autre en utilisant tous les paramètres et les ressources de leur immense savoir-faire sans aucune arrière-pensée. La musique totale de l’instant, l’invention.
Si vous suivez certains improvisateurs à la trace, vous vous rendez compte que quoi qu’il arrive, quelque soient leurs partenaires, ils resservent les mêmes petites choses qu’ils vont puiser dans leur petit sac à malices et les resservent plic-ploc comme pour meubler le temps qui passe. 

Pat Moonchy & Lino Liguori  Scatola di Scarpe  Setola di Maiale SM2630



La scène de la musique improvisée est redevable à la chanteuse Pat Moonchy et à son compagnon, le guitariste Lucio Liguori, d’avoir animé pendant une vingtaine d’années le club Moonshine, un bar du centre de Milan, dédié aux musiques improvisées et expérimentales. Quant au batteur Pasquale  « Lino » Liguori (orthographié aussi Pascale), c’est un musicien de la génération swing – bebop qui n’a pas hésité à suivre son fils Gaetano Liguori, pianiste pionnier du new jazz de la péninsule des années 70’, lorsque la scène ronronnante du jazz transalpin s’est trouvée secouée par la déferlante « free » et improvisation fin des années soixante. En 1975, Lino a participé comme batteur au fabuleux et historique Concerto della Statale de Mario Schiano publié par le label Red Records quand celui-ci était vraiment rouge. Les Liguori et Pat Moonchy forment une famille musicale avec le bassiste Roberto Del Piano qui lui, a œuvré durant des années, dans les groupes de Gaetano Liguori (Terzo Mondo Palcoscenico Records 1980) et des musiciens comme Filippo Monico, Guido Mazzon, Massimo Falascone, le fameux photographe Roberto Masotti et l’ingénieur du son Paolo Falascone etc… Cette connivence amicale fait que le Moonshine avec son magnifique décor « home made » a été un des lieux les plus chaleureux pour que cette expression musicale puisse s’épanouir. (Il va devoir malheureusement fermer sous peu). Alors cette boîte à chaussures est un duo touchant et très réussi. Pat Moonchy n’est sans doute pas une chanteuse de l’envergure des Maggie Nicols, Julie Tippets, Jeanne Lee ou Ute Wassermann et Shelley Hirsch. En comparaison, elle a un registre limité et un manque de « puissance », mais cela ne l’empêche pas de faire une performance vraiment épatante en assumant et en sublimant ses limites avec intelligence et sensibilité. En effet, elle a créé son propre style en fonction de ses capacités avec une réelle maîtrise et de la suite dans les idées. Sa présence scénique semble sophistiquée (habillement, port de tête, expression du visage et du corps, maquillage) et sa voix fluette évoque celle d’une enfant de bandes dessinées ou d’une série TV surréaliste. Un contraste déroutant. Le jeu de la batterie est tout en nuances, le sensible Lino frottant et faisant tinter les cymbales et résonner les peaux avec une remarquable variété de frappes et un beau sens de la dynamique sonore qui est le complément parfait pour une voix féminine. Sept morceaux autour des deux à cinq minutes et un seul qui s’écoule sur une douzaine de minutes. Un bel échange- communion ludique. Etant moi-même vocaliste improvisateur, je peux vous dire que Pat Moonchy a dû travailler d’arrache-pied et apprendre la concentration maximum , la force mentale, pour parvenir à naviguer dans une performance de quarante minutes comme celle qu’on entend ici. On y trouve une forme d’humour, une distanciation, un goût sûr sans faux pas, une réelle capacité théâtrale et un sens inné de la retenue dans une forme d’expressionnisme. Elle affectionne un aigu fantomatique, une diction gazouillante ou une voix de gorge famélique qui créent un personnage facétieux, une fée Clochette décalée et vraiment touchante. Lino Liguori nous fait entendre sa compréhension profonde et vécue des possibilités expressives de la batterie dans une liberté rythmique authentique. La classe ! Ces deux musiciens n’ont aucune prétention « professionnelle » (carrière), mais vivifient tout ceux qu’ils touchent par leur rayonnement amical et leur amour de la musique libre sans compromis. Maintenant que le Moonshine va fermer après autant d’années, je garde précieusement cette Scatola di Scarpe comme un talisman pour préserver le souvenir de ce lieu de rêve éveillé.

20 février 2015

the Thirty and one piano part I , part II & part III and free fight by Jacques Demierre

the thirty and one pianos , jacques demierre piano (on free fight), composition, conductor.   flexion records :  flex 008 
thirty pianos : recorded live on september 9 , 2012 , cave 12 @ le galpon  geneva switzerland during cataclysme piano , three days of events curated by cave 12 , théâtre le gallon and boxing piano 
free fight edited by jacques demierre from a piano solo concert recorded live on october 15, 2000 , at CCS , paris, france 
etc... https://jacquesdemierre.com/the-thirty-and-one-pianos/ 

jacques demierre did a great cd with two pieces, titled One Is Land on Creative Sources. the first piece is the biggest noise possible with 88 keys ever committed to record ( I heard ) and the second piece is my favourite recording of piano innards - carcass of strings machine in front of which many practitioners look like idiots...

so I got from Jacques D this recording of thirty pianos ( dirty ? , thirsty...) yes thirsty ... on this micro label flexion on which are issued some accordion player jonas kocher recordings with michel doneda ( fortunately ) 

the first piece is one of the craziest thing you could hear like giant distuned distorted harp as anything else you can't believe after decades of free music it is very fortunate one is thinking about that 
so it is great like were the two paul's duetting in the early eighties in a dusty gallery or derek acoustic strums in the middle of the night in a small place ... or maarten bowing like mad ... 

the second piece is an eternal wave waving minimal droning as nothing else 

the third piece is scraping scratching thirty sound boxes like madnesses and some plucking notes here and where ...

you can't even not listening to jacques' piano piece afterwards 

thirsty we are for such events , noises moving to silence 

the free fight ostinato string machine  (recorded 2000 at CCS Paris)

cage is cage and forget all you read about random 
and hear the 14 minutes of noise playing , fingerings hammerings 
kontrapunkt soundbox klank wave    limitless boundless

the one piano piece is such the best piece like gentle harm and was it me and saxophone solos and journal violone were...

great and amazing   14:08    i do prefer them than 4:33  

the very best   :  nothing else like this before, more is no more less 



RPR : Birgit Uhler Leonel Kaplan BPA : Henry Kaiser Damon Smith Jaap Blonk Sandy Even Chris Cogburn Alvin Fielder David Dove Jason Jackson and Clocks and Clouds on FMR

Birgit Uhler & Leonel Kaplan Stereo Trumpet Relative Pitch Records RPR 1030

Relative Pitch est en train de construire un catalogue qui fédère les initiatives musicales les plus contrastées que d’aucuns auraient voulu diviser dans des courants contradictoires. Alors quand le même label US aligne des artistes aussi radicaux que Birgit Uhler, Michel Doneda (en solo) ou Roger Turner, des pointures New Yorkaises comme Joey Baron et Bill Frisell et réunit dans le même enregistrement la dépositaire en chef du piano tristanien, Connie Crothers, et un soul brother de la Great Black Music tel que Jemeel Moondoc, on se dit que vraiment la musique est un langage universel pour le bonheur d’une bonne partie des auditeurs qui aiment à écouter et à découvrir tout le spectre de la musique improvisée qu’elle soit d’obédience afro-américaine ou européenne, jazz libre ou improvisation libre peu ou prou détachée du jazz au point de s’évaporer dans un minimalisme bruitiste « soft noise ». C’est bien cette dernière option qui prévaut ici. Leonel Kaplan joue exclusivement de la trompette en focalisant son approche sur le bruissement de la colonne d’air, la métaphysique des tubes en quelque sorte (pour paraphraser Amélie Nothomb) : en jouant avec de multiples niveaux de pression des lèvres et l’obturation minutieuse des orifices avec les pistons, il obtient un éventail de nuances, de dynamiques, de bruits parasites, des timbres plutôt plombés que cuivrés, tant il évoquent la tuyauterie. Birgit Uhler, lui répond en ajoutant à son remarquable travail à la trompette, l’utilisation d’une radio, d’un haut-parleur et d’objets comme générateurs de sons. L’un dans le canal droit et l’autre dans le canal gauche, d’où le titre Stereo Trumpet. Ce qui m’a toujours fasciné chez Uhler, c’est cette remarquable articulation rythmique avec laquelle elle fait vivre cette expression sonore introspective et presque désincarnée. Avec Heddy Boubaker, Gregory Büttner, Gino Robair, etc via des micro labels. Leonel Kaplan avait gravé, il y a exactement dix ans, un beau manifeste avec Axel Dörner et Diego Chamy, Absence où les scories étaient filigranées au plus près du micro d'Olivier Boulant. Stereo Trumpet établit plutôt des drones statiques où s’inscrivent de lancinants changements de tons, des vibrations cotonneuses, un souffle livide. La juxtaposition des timbres individuels crée un courant sonore où disparaît la marque de l’acte personnel et celle de la virtuosité. Parce que cette virtuosité n’apparaît qu’aux praticiens qui connaissent la difficulté du crescendo parfait sans bavure. Au lieu que chaque duettiste reste sur ses gardes en se distinguant de son partenaire avec sa personnalité musicale propre dans un give and take bien délimité, on plonge ici dans un tout fusionnel dans lequel l’auditeur distingue clairement les sons sans pouvoir en attribuer l’origine à l’un plus qu’à l’autre. Une musique qui évoque une électronique austère, une grisaille bleutée à travers laquelle il faut tendre l’oreille pour saisir le cheminement des lents changements de densité, de couleurs, de vitesse, et l’irruption d’un gargouillis imprévisible. Tout comme un Rhodri Davies, un Jim Denley, un Ernesto Rodrigues ou un Axel Dörner, Birgit Uhler et Leonel Kaplan créent avec talent les conditions d’une autre écoute dans une dimension temporelle et auditive renouvelée. Vraiment remarquable.

Relations Henry Kaiser & Damon Smith Balance Point Acoustics BPALDT505



Duo acoustique entre (ou avec) la contrebasse de Damon Smith et la guitare (1998 Monteleone Radio Flyer 7-String Guitar) d’Henry Kaiser. Smith est aussi le responsable du label BPA et celui-ci retrace ses aventures musicales dans différents contextes improvisationnels avec des improvisateurs incontournablescomme Phil Wachsmann, John Butcher, Frank Gratkowski, Wolfgang Fuchs, Birgit Uhler, la superbe chanteuse Aurora Josephson. A travers les disques BPA on aborde avec bonheur Il y a une dizaine d’années BPA avait publié un hommage d’Henry Kaiser à Derek Bailey (Domo Arigato Derek Sensei) suite à sa disparition et avec de multiples invités dont un intéressant duo Kaiser-Smith qui appelait un prolongement, voire un document. Kaiser est connu pour ses multiples appétits musicaux qui naviguent entre des croisements « musique du monde », le projet YoYo Miles avec Leo Smith  (sorte de re-make des Bitches Brew et Agartha du Miles Davis électrique), un Wonderful World en solo quasi New Age,  de l’improvisation radicale (l’excellent Acoustics avec Mari Kimura, Jim O’Rourke et Jim Oswald chez Victo). Dead Head assumé, il a joué des covers alternatives du Grateful Dead, mais aussi pastiché le Magic Band de Captain Beefheart. Son Wireforks en duo avec Derek Bailey m’est resté en travers de la gorge, alors que c’est un excellent guitariste et musicien engagé dans l’improvisation depuis des décennies. Bref, il a autant de cordes à son arc que sa collection de guitares est vaste. Dès la fin des années 70’s , il avait fait fort avec son album Protocol en duo avec le percussionniste Andrea Centazzo et le trompettiste Toshinori Kondo, deux artistes superlatifs qui avaient quitté la scène improvisée quelques années plus tard. Donc, pour moi, Kaiser est un musicien que j’apprécie et pour lequel je n’hésite pas à chroniquer avec plaisir un opus qui me touche comme son solo Requia dont vous trouverez une chronique dans une page de ce blog (août 2014). Mais ce n’est pas un artiste que je suis à la trace comme Veryan Weston, Paul Hubweber, Roger Turner, Charlotte Hug, Gunther Christmann etc... Alors bien sûr, avec cette approche spécifique à la guitare acoustique, plane ici l’ombre du grand Derek Bailey, celui des Domestic Pieces (Emanem 4001), d’Aida (Incus 40) et de Lace (Emanem), acoustique. Ou l’opiniâtreté radicale de John Russell, un de ses bons copains. Car dans cet enregistrement, Henry Kaiser joue avec les harmoniques, technique par excellence de Bailey et Russell. Il y a donc heureusement des moments superbes, sauvages, des trouvailles au niveau guitare et le duo fonctionne comme dans ce Garden Not A Garden où le contrebassiste frotte le plus lentement possible l’archet sur la corde grave en bloquant la vibration. Recherches, écarts, évidences, congruences, échappées, flottements. Au niveau guitare proprement dit, il faut vraiment écouter dans une excellente hi-fi, pour apprécier ce que Kaiser apporte de particulier à la lingua franca post-Bailey. Cette guitare convient-elle à cette technique qui utilise les harmoniques produites en bloquant subrepticement la vibration de la corde un bref instant au moment précis où le plectre tire la corde ?? Cela nécessite des cordes particulièrement tendues, accordées au plus juste à toutes les hauteurs et un instrument à la projection exceptionnelle. Comme on l’entend à merveille dans Annoyance is the Joke That Drives the Music, Kaiser dégringole des cascades d’accords abrupts et dissonants quand son acolyte fait grincer sa basse. Damon Smith a une tendance à se tenir légèrement en retrait comme s’il se mettait au service de la guitare. Parfois, j’ai le sentiment que la logique ou le charme fantaisiste de l’improvisation en cours se dissipe. Un peu trop posé. Ceux qui ont jamais écouté la demi-face de vinyle complètement folle de Derek Bailey et Maarten Altena dans Improvisors Symposium Pisa 80, tiendront là matière à disserter. Malgré ces remarques, Relations contient d’excellents moments et est un témoignage vivant de ce penchant qu’ont les improvisateurs d’essayer des choses dans l’espoir de créer un momentum qui captive l’attention. Et cela passe plutôt bien. Il y a des albums de Damon Smith qui sont quasiment parfaits, au sens improvisation, s’entend.

North of Bianco Jaap Blonk Sandy Even Damon Smith Chris Cogburn bpa016

Jaap Blonk est un des rares vocalistes masculins proéminents de la scène improvisée au même titre que notre cher Phil Minton à tous et que le prodigieux Demetrio Stratos, trop tôt disparu (1978). Stratos avait d’ailleurs précédé Minton dans l’ordre d’apparition sur la scène internationale comme chanteur vocaliste expérimentateur de quelques années. Tous deux sont de vrais chanteurs avec des voix aux dimensions et à la texture exceptionnelles et une capacité phénoménale à déguiser leur organe d’attributs multiples et complètement incroyables. J'espère moi-même ne pas perdre mon temps en me produisant ici et là en qualité de chanteur improvisateur. Digne héritier de la tradition « poésie sonore » des Kurt Schwitters et Henri Chopin, Jaap Blonk ne se montre pas tel un chanteur, mais plutôt comme un formidable bruiteur de l’impossible. Un performance solo de Blonk est un pur moment de magie. D’excellents témoignages de ses capacités d’improvisateurs figurent dans les cd’s Improvisors (avec Michael Zerang et Mats Gustafsson/ kontrans) et First Meetings (avec Zerang et Fred Lonberg Holm /Buzz records) enregistrés en 1996, alors que le profil de la musique improvisée libre radicale se redressait à vive allure, vingt ans après l’explosion de 1976 / 77. Et donc vingt ans encore après, quoi de plus naturel de retrouver Jaap Blonk dans l’exercice difficile du quartet avec guitare électrique, contrebasse et percussions. Qu’à cela ne tienne, Sandy Even détient la clé de la réussite de l’entreprise, son approche étant bruitiste à souhait avec le dosage subtil nécessaire. En effet, on n’entend quasiment jamais une inflection issue de la pratique, même subliminale, du chant, dans le babil crypto-langagier, les borborygmes et bruits de bouche du Hollandais et l'option de la guitariste se meut dans une perspective idéale. Même quand sa plainte ondule au-dessus du pandémonium électronique guitare électrocutée et percussion enchevêtrée. La musique est en fait un bel hommage au Keith Rowe d’avant (le minimalisme). BPA avait déjà publié il y a un an un excellent duo « digital » de Sandy Ewen  et Damon Smith, Background Information (BPA-1), un travail sonique qui allie une aspect brut avec la plus grande finesse. Ce North of Bianco en est son prolongement légitime. Toutes les possibilités sonores sont exploitées, le percussionniste Chris Cogburn bruissant à merveille (où est passée la batterie?), utilisant son instrument comme résonateur de manipulations d’objets et d’instruments détournés de leur fonction première et le vocaliste se moule et coule dans les interstices ou quand le silence point ou que le jeu s’aère, prend la relève du bruitage sans qu’on se dise qu’il y a une voix humaine. Une machine, un gros bourdon ou des monologues improbables à la diction infernale. Il y a un texte poétique de PascAli, le tandem de contrebassistes, dans les notes de pochette. J’aurais aimé y voir figurer une notice avec qui et quoi fait quoi, question instrumentation. Mais peut-être ainsi, le mystère est conservé. Les groupes documentés par Damon Smith sur son label BPA se suivent et ne se ressemblent guère. Et c’est une bonne raison de suivre l’évolution de ce label dédié à l’improvisation libre à 100% et sans oreillères.

Clocks and Clouds Luis Vincente Rodrigo Pinheiro Hernani Faustino Marco Franco FMR CD371-0214

Iridescence, Ophidian Dance, Strangely Addictive, Compression Test, etc… avec des titres pareils, on s‘attend à un jazz intellectuel et imagé, à une démarche subtile. Et à l’écoute, on n’est pas déçu. Il arrive encore souvent qu’on se dise que le groupe enregistré X ou Y est moins réussi que la qualité intrinsèque de ses membres. Ici, c’est tout le contraire et à cet égard c’est une belle réussite collective basée sur la phraséologie de chaque individu, trompette (Vicente), piano (Pinheiro), contrebasse (Faustino), batterie (Franco) et leur capacité à coordonner leurs interventions, à doser la dynamique dans un équilibre instable dans une manière de swing décalé qui fait le grand écart avec les lois du genre. Le bassiste est l’intelligent pivot de l’ensemble, le pianiste crée constamment des espaces dans le flux du clavier afin de permettre la lecture des nuances du percussionniste, lequel a retenu la leçon d’un Paul Lovens (sans pour autant être aussi audacieusement extrême), et de relancer les étoiles filantes du trompettiste. On va au plus loin de la structure du jazz libre sans certains des poncifs du genre avec l’expérience d’une pratique de l’improvisation totale, radicale. C’est un travail absolument remarquable et sa qualité se bonifie au fil des écoutes répétées. Vicente a des lueurs dignes d’un Bill Dixon et Pinheiro est un excellent pianiste jazz contemporain qui a intégré comment diriger ses improvisations au piano avec la structure d’un quartet tel que celui de Clocks, qui porte très bien ce nom vu la cohésion millimétrée. Marco Franco gère très bien la dynamique en alliant retenue et agressivité. Il y a un peu de tout dans le catalogue FMR et il arrive qu’on ait d’excellentes surprises telles que celles-ci. Un excellent album qui a quelque chose de très particulier. A recommander.

From to From Alvin Fielder David Dove Jason Jackson Damon Smith Balance Point Acoustics BPA 015



Souvenez – vous ! Alvin Fielder est un des batteurs qu’on a entendus dans les premiers enregistrements du futur Art Ensemble of Chicago alors qu’ils n’avaient pas encore rejoints Paris en 1969. Il y eut Phil Wilson, Robert Crowder et Alvin Fielder. Et puis seulement Don Moye. Fielder est un Néo Orléanais et c’est à l’aune de cette filiation qu’il faut apprécier le quartet de From-To-From. Il forme le moteur de l’ensemble et lui imprime une couleur et une impulsion rythmique Louisianaise typique même si les deux souffleurs, le tromboniste David Dove et le saxophoniste Jason Jackson s’envolent en toute liberté avec une bel expressionnisme Great Black Music secondé par la walking basse imperturbable de Damon Smith. C’est la belle impression qu’ils donnent dans le premier Ut. Dict., amplifiée par la fausse nonchalance soul funky du trombone, une voix originale et relativement voisine de celle de Roswell Rudd. Mais dès le début des vingt minutes de From To From, le swing du premier morceau se métamorphose dans une belle recherche de sons, d’ébauches, de commentaires, de rubato lyriques ou inquisiteurs où s’entrecroisent des lignes pleines d’une vraie richesse musicale. Le tempo démarre vers la septième minute et se décale pour soutenir le solo chaleureux du trombone. Il y a dans cette équipe un sens collectif, une joie de jouer décontractée dans une forme d’allégresse en mode mineur, une alternance sax/trombone et Jackson tire parti de l’alto, du ténor et du baryton en fonction de l’orientation de la pulsation. C’est avec surprise qu’on voit le temps défiler à l’aune de la rédaction de ce texte et c’est dire que la musique n’est point ennuyeuse. B,B,B x 6/8 est l’occasion d’ouvrir avec la contrebasse improvisant en avant et les souffleurs voletant en suspension dans l’espace. La configuration instrumentale est mouvante et en constante évolution et l’intelligence du jeu collectif fait de ce quartet un groupe gagnant, sans qu’il sacrifie à la démonstration – étalage technique, virtuosité et tempos d’enfer. Quand ils s’envoient en l’air à tout berzingue, c’est l’affaire de trois minutes créant la diversion parfaite. Le jazz, c’est l’art consommé du temps. On pense au New York Art Quartet (album ESP et Mohawk pour Fontana). Lyrisme, cohésion, équilibre, blues authentique. Une musique pareille ne se cote pas : Vous prenez ou vous laissez ! Moi, je prends tout cela à 100% : la musique du cœur et de la sensibilité !!

9 février 2015

Fred Lonberg-Holm & Frode Gjerstad, Hugues Vincent & Yasumune Morishige, Vario 51 - Günther Christmann, Ninni Morgia & Marcello Magliocchi

Fred Lonberg-Holm Frode Gjerstad life on sandpaper FMR FMRCD379-714
Encore un album qui passerait inaperçu, si je ne l’avais trouvé dans un beau paquet envoyé par le label FMR en sus des cd’s commandés ! Merci Trevor Taylor ! Fred Lonberg-Holm et Frode Gjerstad sont deux improvisateurs qui parcourent les scènes d’Europe et d’Amérique et il arrive fréquemment qu’ils se croisent. « Life on sandpaper » suggérerait une ambiance  râpeuse, écorchée ou abrasive. Mais il n’en est rien. Cela commence par une belle musique de chambre relativement douce et lyrique, ce qui étonnera ceux qui connaissent FLH avec Vandermark ou son disque avec Brötzmann. Mais durant cette session, que ce soit à la clarinette ou au sax basse, Frode Gjerstad, lui aussi expressionniste à ses heures, est dans un mood pastoral, très cool (« west-coast »), lumineux, intime,si pas introverti. Après trois plages à ce régime, Lonberg-Holm prend l’initiative dans of a book et se met à voyager dans les possibilités de son violoncelle en improvisant dans un va-et-vient entre « je fonce» et « me voici, j’arrive ».  Gjerstad ne se départit pas de son flegme et continue à explorer ce mode rêveur. C’est dans le morceau suivant que les choses s’animent : I read in. A la clarinette basse, le souffleur a un jeu original, articulant des glissandi avec les harmoniques et faisant grasseyer les aigus avec bonheur. Avec Altadena in, le son du violoncelle a l’air préparé face au sax basse bien clair et moëlleux. On ne dira pas que Frode Gjerstad est un super pro du sax basse, plusieurs artistes notoires s’en étant servis comme d’une couleur supplémentaire, il faut entendre un Tony Bevan s’époumoner avec l’instrument pour se faire une idée. Mais Gjerstad, avant tout un sax alto, sait rendre intéressant son jeu sur l’instrument et on écoute cela avec plaisir. De même, la clarinette basse dans the summer est gargouilleuse, grailleuse et volatile à souhait, et son exploration vocalisée des registres revêt une dimension profondément touchante. La dynamique de chaque instrument est bien accordée l’une à l’autre, l’écoute et l’inter-indépendance est naturelle directe. Une belle rencontre entre deux belles personnalités qui font vivre cette musique et sa pratique par leur engagement à tout point de vue.

Fragment Hugues Vincent – Yasumune Morishige improvising beings ib28


Deux violoncelles en parallèles, en tangentes, ou en lignes croisées dans une multitude d’angles. Un travail sur le son aussi lent que possible, relâchant harmoniques, graves sourds et pointes d’archets, interférences et quelques ponctuations en pizz, au bord du silence ou cordes vibrantes. Dans la discographie de l’improvisation totale, je n’ai pas encore eu connaissance d’un duo de violoncelles et, donc, voici de beaux exemples de l’univers sonore de cet instrument avec son double. La troisième des neuf pièces, numérotées de I à IX, est faite de percussions d’archets sur les cordes avec une invention rythmique remarquable. Le IV a une émission ténue  presque sous la limite de l’audible si vous ne profitez pas d’une hi-fi convenable mais quelle concentration ! Par contre, le V est une belle improvisation libre qui se métamorphose de glissandi en pizzicati suspendus dans le vide, de contrechants lumineux vers un momentum engagé et qui paraît frénétique au regard de l’atmosphère du disque.
Le territoire de ce Fragment semble se trouver au confluent d’une recherche sonore minimaliste et de la complexité, en évitant le débit torrentueux auquel l’impro libre nous a habitué.
D’excellents musiciens improvisateurs pour une musique superbe et magnifiquement retenue. Ils ont pris soin de proposer ici un panorama assez large de leur recherche / pratique musicale avec une remarquable unité de ton. Un album qui tranche dans la production actuelle.

Vario-51 Alberto Braida Günther Christmann Michaël Griener Elke Schipper ed explico 18

Publié par son label maison edition explico, cet enregistrement du 8 novembre 2013 du groupe à géométrie variable Vario restreint à un quartet, nous offre le plus beau témoignage de l’esprit que Günther Christmann veut insuffler à son projet fétiche dont c’est la cinquante-et-unième édition. Le n° 50 avait rassemblé pas mal de monde, dont certains avaient collaboré par le passé (Paul Lovens, Paul Hubweber, Thomas Lehn, Mats Gustafsson, John Russell, Torsten Müller, Alex Frangenheim etc..), et cette réunion s’était étalée sur plusieurs soirées à Berlin. Pour le n°51, il s’agit d’une affaire plus intime sur une seule soirée dont cet album intitulé « push n’ pull » relate l’entièreté en conservant l’ordre des morceaux improvisés durant le concert. Alberto Braida est crédité clavier et clavicorde, instrument curieux, et c’est un plaisir d’entendre ce qu’il en fait en duo avec la vocaliste – poétesse sonore Elke Schipper. Deux morceaux en quartet préliminaires  cadrent la dynamique du concert et introduisent une qualité d’échanges fluide et concentrée. On dénote un sens du timing très particulier et un recours à une notion du silence dans le son. Le deuxième duo entre la percussion clairsemée de Michael Griener et le jeu à la fois intense et étonnamment mesuré et la manière introvertie de Christmann au trombone est en soi une pièce d’anthologie. Les tenants de l’improvisation « minimaliste » reprochent souvent le jeu continuel, dense et fourni et les grands effets « dépassés », voire la logorrhée de l’improvisation libre « historique » (rappelons la polémique de Radu Malfatti vs Evan Parker trio). Je ne sais pas ce qu’ils vont trouver à dire en écoutant cet échange de cinq minutes qui semble ne durer qu’une seule… Savoir exprimer autant d’idées et de formes en si peu de temps avec une telle assurance en combinant une telle variété « temporelle », esquissant un rythme avec un seul son, faisant crier le pianissimo, etc… On trouve d’ailleurs chez le percussionniste Michael Griener une concision et sens de l’épure qui aiguille la musique là où elle se développe le mieux.
 Viennent ensuite trois pièces en quartet qui font voyager la musique dans de multiples dimensions entrecoupées de fausses conclusions, d’arrêts brusques, de changements de registres et de dynamiques incessants, de silences, … comme si l’improvisation pouvait revêtir des formes multiples, divergentes, s’écouler en une succession d‘événements sonores peu prévisibles, de styles qui convergent vers une qualité d’écoute et d’invention. Un seul coup d’archet frappant les cordes ou une frappe subite dans les cordes du piano, suffit pour créer une véritable tension. Christmann joue aussi du violoncelle en pizzicato en faisant déraper un tempo imaginaire que dérèglent les arpèges dissonants de Braida. Elke Schipper joue de la bouche, de la langue, des lèvres et de la gorge transformant et inventant des phonèmes dans une version ludique abstraite du sprechgesang. Son duo avec Michael Griener est un beau moment tout comme le dialogue du violoncelle et des cordages du piano qui évoquent une harpe folle… Ces quatre-là ont l’art de faire se suspendre le temps et peuvent donner au moindre geste qui aurait un air insignifiant la même importance que la tirade la plus sentie.
Edition explico n’a aucun site internet et leurs albums garnis de tirages photos signés (par les artistes) ou d’objets collés sur la face transparente du jewel-box ne sont pas distribués. Il faut absolument leur écrire pour obtenir ces disques. Alors que Günther Christmann a eu un rôle pionnier dans l’improvisation libre absolument incontournable et a joué (et joue encore souvent) avec Paul Lovens, Maarten Altena, Sven-Ake Johansson, Schlippenbach,  Van Hove, sans parler du Globe Unity Orchestra dont il fut un des piliers, il n’y a que de très rares enregistrements disponibles en cd’s autre que les Ed explico. Citons un Trio de 1991 avec Lovens et Gustafsson publié il y a quatre ans sur le label FMP et Core avec Schipper et Frangenheim sur Creative Sources. Pour ceux qui suivent l’improvisation radicale d’un peu près et ne connaissent pas bien (du tout) ce musicien unique et la manière singulière dont on joue dans ses groupes, Vario 51 est vraiment un album subtil tout en nuances à recommander. Je pense personnellement que Christmann est un artiste aussi important qu'Eddie Prévost et AMM, Derek Bailey ou Evan Parker, Paul Lovens ou Fred Van Hove. 
En outre, il a fait vivre cette musique en organisant une foule de concerts dans la région de Hannovre.

Ecrire à : edition explico D-30851 Langenhagen Weserweg 38.  

Sound Gates Ninni Morgia & Marcello Magliocchi ultramarine UM009


Une fois n’est pas coutume, un vinyle. La photo de pochette évoque celle d’ Obscured By Clouds, la bande son d’un film de Barbet Schroeder par Pink Floyd en 1972. Le guitariste Ninni Morgia provient (pour schématiser) du rock progressif / noise et le percussionniste Marcello Magliocchi a un solide métier à la fois jazz contemporain et percussion classique. Le guitariste utilise des pédales, mais il a aussi un solide contrôle de l’instrument avec lequel il développe un langage sonore articulé, précis et coloré, en évitant soigneusement de saturer. Le percussionniste est un fin technicien et un improvisateur inspiré que ce soit aux cymbales ou avec des rythmes multiples. J’apprécie particulièrement le mouvement spacieux et « a-rythmique » de la deuxième face lorsque les sonorités des grands gongs croisent avec précision les hauteurs des timbres électriques des effets de guitare. Sous ces arcs sonores éthérés, Magliocchi fait mouvoir les peaux avec une pulsation aussi flottante qu’elle est parfaitement assurée. Le son de la guitare se transforme en morsures et l’électricité s’intensifie jusqu’à un deuxième mouvement « a-rythmique » plus bruitiste côté guitare et le dialogue change alors de nature avec un travail précis sur des objets / instruments métalliques.

Vient ensuite des notes égrenées dans l’espace traversées par des résonances de gongs et cymbales jouées à l’archet et de percussions secouées ou frottées avec discrétion. Encore un tour sur les peaux avec une classe remarquable. Magliocchi a ceci de chic qu’il joue la cymbale à l’archet en produisant des notes précises. Il enchaîne toutes ses actions avec un vrai naturel sans se forcer. Cela respire sans étalage de technique, mais on sent un grand savoir-faire. Au final, une rencontre réussie entre deux personnalités contrastées qui savent s’écouter et construire un univers commun. Un bon disque et l'envie de connaître mieux le travail de percussions à part entière de Magliocchi (un album solo ??)