Fred Lonberg-Holm Frode Gjerstad life
on sandpaper FMR FMRCD379-714
Encore un
album qui passerait inaperçu, si je ne l’avais trouvé dans un beau paquet
envoyé par le label FMR en sus des cd’s commandés ! Merci Trevor
Taylor ! Fred Lonberg-Holm et Frode Gjerstad sont deux improvisateurs
qui parcourent les scènes d’Europe et d’Amérique et il arrive fréquemment
qu’ils se croisent. « Life on sandpaper » suggérerait une
ambiance râpeuse, écorchée ou abrasive.
Mais il n’en est rien. Cela commence par une belle musique de chambre
relativement douce et lyrique, ce qui étonnera ceux qui connaissent FLH avec
Vandermark ou son disque avec Brötzmann. Mais durant cette session, que ce soit
à la clarinette ou au sax basse, Frode Gjerstad, lui aussi expressionniste à ses
heures, est dans un mood pastoral, très cool (« west-coast »),
lumineux, intime,si pas introverti. Après trois plages à ce régime,
Lonberg-Holm prend l’initiative dans of a book et se met à voyager dans
les possibilités de son violoncelle en improvisant dans un va-et-vient entre
« je fonce» et « me voici, j’arrive ». Gjerstad ne se départit pas de son flegme et
continue à explorer ce mode rêveur. C’est dans le morceau suivant que les
choses s’animent : I read in. A la clarinette basse, le
souffleur a un jeu original, articulant des glissandi avec les harmoniques et
faisant grasseyer les aigus avec bonheur. Avec Altadena in, le son du
violoncelle a l’air préparé face au
sax basse bien clair et moëlleux. On ne dira pas que Frode Gjerstad est un
super pro du sax basse, plusieurs artistes notoires s’en étant servis comme
d’une couleur supplémentaire, il faut entendre un Tony Bevan s’époumoner avec
l’instrument pour se faire une idée. Mais Gjerstad, avant tout un sax alto,
sait rendre intéressant son jeu sur l’instrument et on écoute cela avec
plaisir. De même, la clarinette basse dans the summer est gargouilleuse,
grailleuse et volatile à souhait, et son exploration vocalisée des registres
revêt une dimension profondément touchante. La dynamique de chaque instrument
est bien accordée l’une à l’autre, l’écoute et l’inter-indépendance est
naturelle directe. Une belle rencontre entre deux belles personnalités qui font
vivre cette musique et sa pratique par leur engagement à tout point de vue.
Fragment Hugues
Vincent – Yasumune Morishige improvising beings ib28
Deux
violoncelles en parallèles, en tangentes, ou en lignes croisées dans une
multitude d’angles. Un travail sur le son aussi lent que possible, relâchant
harmoniques, graves sourds et pointes d’archets, interférences et quelques
ponctuations en pizz, au bord du silence ou cordes vibrantes. Dans la
discographie de l’improvisation totale, je n’ai pas encore eu connaissance d’un
duo de violoncelles et, donc, voici de beaux exemples de l’univers sonore de
cet instrument avec son double. La troisième des neuf pièces, numérotées de I à
IX, est faite de percussions d’archets sur les cordes avec une invention
rythmique remarquable. Le IV a une émission ténue presque sous la limite de l’audible si vous
ne profitez pas d’une hi-fi convenable mais quelle concentration ! Par
contre, le V est une belle improvisation libre qui se métamorphose de glissandi
en pizzicati suspendus dans le vide, de contrechants lumineux vers un momentum
engagé et qui paraît frénétique au regard de l’atmosphère du disque.
Le
territoire de ce Fragment semble se trouver au confluent d’une recherche sonore
minimaliste et de la complexité, en évitant le débit torrentueux auquel l’impro
libre nous a habitué.
D’excellents
musiciens improvisateurs pour une musique superbe et magnifiquement retenue.
Ils ont pris soin de proposer ici un panorama assez large de leur recherche /
pratique musicale avec une remarquable unité de ton. Un album qui tranche dans
la production actuelle.
Vario-51 Alberto
Braida Günther Christmann Michaël Griener Elke Schipper ed explico 18
Publié par
son label maison edition explico, cet
enregistrement du 8 novembre 2013 du groupe à géométrie variable Vario
restreint à un quartet, nous offre le plus beau témoignage de l’esprit que Günther Christmann veut insuffler à son
projet fétiche dont c’est la cinquante-et-unième édition. Le n° 50 avait
rassemblé pas mal de monde, dont certains avaient collaboré par le passé (Paul
Lovens, Paul Hubweber, Thomas Lehn, Mats Gustafsson, John Russell, Torsten
Müller, Alex Frangenheim etc..), et cette réunion s’était étalée sur plusieurs
soirées à Berlin. Pour le n°51, il s’agit d’une affaire plus intime sur
une seule soirée dont cet album intitulé « push n’ pull » relate
l’entièreté en conservant l’ordre des morceaux improvisés durant le concert. Alberto Braida est crédité clavier et
clavicorde, instrument curieux, et c’est un plaisir d’entendre ce qu’il en fait
en duo avec la vocaliste – poétesse sonore Elke
Schipper. Deux morceaux en quartet préliminaires cadrent la dynamique du concert et introduisent
une qualité d’échanges fluide et concentrée. On dénote un sens du timing très
particulier et un recours à une notion du silence dans le son. Le deuxième duo
entre la percussion clairsemée de Michael
Griener et le jeu à la fois intense et étonnamment mesuré et la manière
introvertie de Christmann au trombone est en soi une pièce d’anthologie. Les
tenants de l’improvisation « minimaliste » reprochent souvent le jeu
continuel, dense et fourni et les grands effets « dépassés », voire
la logorrhée de l’improvisation libre « historique » (rappelons la
polémique de Radu Malfatti vs Evan Parker trio). Je ne sais pas ce qu’ils vont
trouver à dire en écoutant cet échange de cinq minutes qui semble ne durer
qu’une seule… Savoir exprimer autant d’idées et de formes en si peu de temps
avec une telle assurance en combinant une telle variété
« temporelle », esquissant un rythme avec un seul son, faisant crier
le pianissimo, etc… On trouve d’ailleurs chez le percussionniste Michael
Griener une concision et sens de l’épure qui aiguille la musique là où elle se
développe le mieux.
Viennent ensuite trois pièces en quartet qui
font voyager la musique dans de multiples dimensions entrecoupées de fausses
conclusions, d’arrêts brusques, de changements de registres et de dynamiques
incessants, de silences, … comme si l’improvisation pouvait revêtir des formes
multiples, divergentes, s’écouler en une succession d‘événements sonores peu
prévisibles, de styles qui convergent vers une qualité d’écoute et d’invention.
Un seul coup d’archet frappant les cordes ou une frappe subite dans les cordes
du piano, suffit pour créer une véritable tension. Christmann joue aussi du
violoncelle en pizzicato en faisant déraper un tempo imaginaire que dérèglent
les arpèges dissonants de Braida. Elke Schipper joue de la bouche, de la
langue, des lèvres et de la gorge transformant et inventant des phonèmes dans
une version ludique abstraite du sprechgesang. Son duo avec Michael Griener est
un beau moment tout comme le dialogue du violoncelle et des cordages du piano
qui évoquent une harpe folle… Ces quatre-là ont l’art de faire se suspendre le
temps et peuvent donner au moindre geste qui aurait un air insignifiant la même
importance que la tirade la plus sentie.
Edition explico n’a aucun site internet et leurs albums
garnis de tirages photos signés (par les artistes) ou d’objets collés sur la
face transparente du jewel-box ne
sont pas distribués. Il faut absolument leur écrire pour obtenir ces disques. Alors
que Günther Christmann a eu un rôle pionnier dans l’improvisation libre
absolument incontournable et a joué (et joue encore souvent) avec Paul Lovens, Maarten
Altena, Sven-Ake Johansson, Schlippenbach, Van Hove, sans parler du Globe Unity Orchestra
dont il fut un des piliers, il n’y a que de très rares enregistrements
disponibles en cd’s autre que les Ed explico. Citons un Trio de 1991 avec Lovens
et Gustafsson publié il y a quatre ans sur le label FMP et Core avec Schipper et
Frangenheim sur Creative Sources. Pour ceux qui suivent l’improvisation
radicale d’un peu près et ne connaissent pas bien (du tout) ce musicien unique
et la manière singulière dont on joue dans ses groupes, Vario 51 est vraiment un
album subtil tout en nuances à recommander. Je pense personnellement que Christmann est un artiste aussi important qu'Eddie Prévost et AMM, Derek Bailey ou Evan Parker, Paul Lovens ou Fred Van Hove.
En outre, il a fait vivre cette musique en organisant une foule de concerts dans la région de Hannovre.
En outre, il a fait vivre cette musique en organisant une foule de concerts dans la région de Hannovre.
Ecrire à :
edition explico D-30851 Langenhagen Weserweg 38.
Sound Gates
Ninni Morgia & Marcello Magliocchi
ultramarine UM009
Une fois
n’est pas coutume, un vinyle. La photo de pochette évoque celle d’ Obscured
By Clouds, la bande son d’un film de Barbet Schroeder par Pink Floyd en
1972. Le guitariste Ninni Morgia
provient (pour schématiser) du rock progressif / noise et le percussionniste Marcello Magliocchi a un solide métier
à la fois jazz contemporain et percussion classique. Le guitariste utilise des
pédales, mais il a aussi un solide contrôle de l’instrument avec lequel il
développe un langage sonore articulé, précis et coloré, en évitant
soigneusement de saturer. Le percussionniste est un fin technicien et un
improvisateur inspiré que ce soit aux cymbales ou avec des rythmes multiples.
J’apprécie particulièrement le mouvement spacieux et « a-rythmique » de
la deuxième face lorsque les sonorités des grands gongs croisent avec précision
les hauteurs des timbres électriques des effets de guitare. Sous ces arcs
sonores éthérés, Magliocchi fait mouvoir les peaux avec une pulsation aussi
flottante qu’elle est parfaitement assurée. Le son de la guitare se transforme
en morsures et l’électricité s’intensifie jusqu’à un deuxième mouvement
« a-rythmique » plus bruitiste côté guitare et le dialogue change
alors de nature avec un travail précis sur des objets / instruments
métalliques.
Vient
ensuite des notes égrenées dans l’espace traversées par des résonances de gongs
et cymbales jouées à l’archet et de percussions secouées ou frottées avec
discrétion. Encore un tour sur les peaux avec une classe remarquable. Magliocchi
a ceci de chic qu’il joue la cymbale à l’archet en produisant des notes
précises. Il enchaîne toutes ses actions avec un vrai naturel sans se forcer.
Cela respire sans étalage de technique, mais on sent un grand savoir-faire. Au
final, une rencontre réussie entre deux personnalités contrastées qui savent
s’écouter et construire un univers commun. Un bon disque et l'envie de connaître mieux le travail de percussions à part entière de Magliocchi (un album solo ??)
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