9 février 2015

Fred Lonberg-Holm & Frode Gjerstad, Hugues Vincent & Yasumune Morishige, Vario 51 - Günther Christmann, Ninni Morgia & Marcello Magliocchi

Fred Lonberg-Holm Frode Gjerstad life on sandpaper FMR FMRCD379-714
Encore un album qui passerait inaperçu, si je ne l’avais trouvé dans un beau paquet envoyé par le label FMR en sus des cd’s commandés ! Merci Trevor Taylor ! Fred Lonberg-Holm et Frode Gjerstad sont deux improvisateurs qui parcourent les scènes d’Europe et d’Amérique et il arrive fréquemment qu’ils se croisent. « Life on sandpaper » suggérerait une ambiance  râpeuse, écorchée ou abrasive. Mais il n’en est rien. Cela commence par une belle musique de chambre relativement douce et lyrique, ce qui étonnera ceux qui connaissent FLH avec Vandermark ou son disque avec Brötzmann. Mais durant cette session, que ce soit à la clarinette ou au sax basse, Frode Gjerstad, lui aussi expressionniste à ses heures, est dans un mood pastoral, très cool (« west-coast »), lumineux, intime,si pas introverti. Après trois plages à ce régime, Lonberg-Holm prend l’initiative dans of a book et se met à voyager dans les possibilités de son violoncelle en improvisant dans un va-et-vient entre « je fonce» et « me voici, j’arrive ».  Gjerstad ne se départit pas de son flegme et continue à explorer ce mode rêveur. C’est dans le morceau suivant que les choses s’animent : I read in. A la clarinette basse, le souffleur a un jeu original, articulant des glissandi avec les harmoniques et faisant grasseyer les aigus avec bonheur. Avec Altadena in, le son du violoncelle a l’air préparé face au sax basse bien clair et moëlleux. On ne dira pas que Frode Gjerstad est un super pro du sax basse, plusieurs artistes notoires s’en étant servis comme d’une couleur supplémentaire, il faut entendre un Tony Bevan s’époumoner avec l’instrument pour se faire une idée. Mais Gjerstad, avant tout un sax alto, sait rendre intéressant son jeu sur l’instrument et on écoute cela avec plaisir. De même, la clarinette basse dans the summer est gargouilleuse, grailleuse et volatile à souhait, et son exploration vocalisée des registres revêt une dimension profondément touchante. La dynamique de chaque instrument est bien accordée l’une à l’autre, l’écoute et l’inter-indépendance est naturelle directe. Une belle rencontre entre deux belles personnalités qui font vivre cette musique et sa pratique par leur engagement à tout point de vue.

Fragment Hugues Vincent – Yasumune Morishige improvising beings ib28


Deux violoncelles en parallèles, en tangentes, ou en lignes croisées dans une multitude d’angles. Un travail sur le son aussi lent que possible, relâchant harmoniques, graves sourds et pointes d’archets, interférences et quelques ponctuations en pizz, au bord du silence ou cordes vibrantes. Dans la discographie de l’improvisation totale, je n’ai pas encore eu connaissance d’un duo de violoncelles et, donc, voici de beaux exemples de l’univers sonore de cet instrument avec son double. La troisième des neuf pièces, numérotées de I à IX, est faite de percussions d’archets sur les cordes avec une invention rythmique remarquable. Le IV a une émission ténue  presque sous la limite de l’audible si vous ne profitez pas d’une hi-fi convenable mais quelle concentration ! Par contre, le V est une belle improvisation libre qui se métamorphose de glissandi en pizzicati suspendus dans le vide, de contrechants lumineux vers un momentum engagé et qui paraît frénétique au regard de l’atmosphère du disque.
Le territoire de ce Fragment semble se trouver au confluent d’une recherche sonore minimaliste et de la complexité, en évitant le débit torrentueux auquel l’impro libre nous a habitué.
D’excellents musiciens improvisateurs pour une musique superbe et magnifiquement retenue. Ils ont pris soin de proposer ici un panorama assez large de leur recherche / pratique musicale avec une remarquable unité de ton. Un album qui tranche dans la production actuelle.

Vario-51 Alberto Braida Günther Christmann Michaël Griener Elke Schipper ed explico 18

Publié par son label maison edition explico, cet enregistrement du 8 novembre 2013 du groupe à géométrie variable Vario restreint à un quartet, nous offre le plus beau témoignage de l’esprit que Günther Christmann veut insuffler à son projet fétiche dont c’est la cinquante-et-unième édition. Le n° 50 avait rassemblé pas mal de monde, dont certains avaient collaboré par le passé (Paul Lovens, Paul Hubweber, Thomas Lehn, Mats Gustafsson, John Russell, Torsten Müller, Alex Frangenheim etc..), et cette réunion s’était étalée sur plusieurs soirées à Berlin. Pour le n°51, il s’agit d’une affaire plus intime sur une seule soirée dont cet album intitulé « push n’ pull » relate l’entièreté en conservant l’ordre des morceaux improvisés durant le concert. Alberto Braida est crédité clavier et clavicorde, instrument curieux, et c’est un plaisir d’entendre ce qu’il en fait en duo avec la vocaliste – poétesse sonore Elke Schipper. Deux morceaux en quartet préliminaires  cadrent la dynamique du concert et introduisent une qualité d’échanges fluide et concentrée. On dénote un sens du timing très particulier et un recours à une notion du silence dans le son. Le deuxième duo entre la percussion clairsemée de Michael Griener et le jeu à la fois intense et étonnamment mesuré et la manière introvertie de Christmann au trombone est en soi une pièce d’anthologie. Les tenants de l’improvisation « minimaliste » reprochent souvent le jeu continuel, dense et fourni et les grands effets « dépassés », voire la logorrhée de l’improvisation libre « historique » (rappelons la polémique de Radu Malfatti vs Evan Parker trio). Je ne sais pas ce qu’ils vont trouver à dire en écoutant cet échange de cinq minutes qui semble ne durer qu’une seule… Savoir exprimer autant d’idées et de formes en si peu de temps avec une telle assurance en combinant une telle variété « temporelle », esquissant un rythme avec un seul son, faisant crier le pianissimo, etc… On trouve d’ailleurs chez le percussionniste Michael Griener une concision et sens de l’épure qui aiguille la musique là où elle se développe le mieux.
 Viennent ensuite trois pièces en quartet qui font voyager la musique dans de multiples dimensions entrecoupées de fausses conclusions, d’arrêts brusques, de changements de registres et de dynamiques incessants, de silences, … comme si l’improvisation pouvait revêtir des formes multiples, divergentes, s’écouler en une succession d‘événements sonores peu prévisibles, de styles qui convergent vers une qualité d’écoute et d’invention. Un seul coup d’archet frappant les cordes ou une frappe subite dans les cordes du piano, suffit pour créer une véritable tension. Christmann joue aussi du violoncelle en pizzicato en faisant déraper un tempo imaginaire que dérèglent les arpèges dissonants de Braida. Elke Schipper joue de la bouche, de la langue, des lèvres et de la gorge transformant et inventant des phonèmes dans une version ludique abstraite du sprechgesang. Son duo avec Michael Griener est un beau moment tout comme le dialogue du violoncelle et des cordages du piano qui évoquent une harpe folle… Ces quatre-là ont l’art de faire se suspendre le temps et peuvent donner au moindre geste qui aurait un air insignifiant la même importance que la tirade la plus sentie.
Edition explico n’a aucun site internet et leurs albums garnis de tirages photos signés (par les artistes) ou d’objets collés sur la face transparente du jewel-box ne sont pas distribués. Il faut absolument leur écrire pour obtenir ces disques. Alors que Günther Christmann a eu un rôle pionnier dans l’improvisation libre absolument incontournable et a joué (et joue encore souvent) avec Paul Lovens, Maarten Altena, Sven-Ake Johansson, Schlippenbach,  Van Hove, sans parler du Globe Unity Orchestra dont il fut un des piliers, il n’y a que de très rares enregistrements disponibles en cd’s autre que les Ed explico. Citons un Trio de 1991 avec Lovens et Gustafsson publié il y a quatre ans sur le label FMP et Core avec Schipper et Frangenheim sur Creative Sources. Pour ceux qui suivent l’improvisation radicale d’un peu près et ne connaissent pas bien (du tout) ce musicien unique et la manière singulière dont on joue dans ses groupes, Vario 51 est vraiment un album subtil tout en nuances à recommander. Je pense personnellement que Christmann est un artiste aussi important qu'Eddie Prévost et AMM, Derek Bailey ou Evan Parker, Paul Lovens ou Fred Van Hove. 
En outre, il a fait vivre cette musique en organisant une foule de concerts dans la région de Hannovre.

Ecrire à : edition explico D-30851 Langenhagen Weserweg 38.  

Sound Gates Ninni Morgia & Marcello Magliocchi ultramarine UM009


Une fois n’est pas coutume, un vinyle. La photo de pochette évoque celle d’ Obscured By Clouds, la bande son d’un film de Barbet Schroeder par Pink Floyd en 1972. Le guitariste Ninni Morgia provient (pour schématiser) du rock progressif / noise et le percussionniste Marcello Magliocchi a un solide métier à la fois jazz contemporain et percussion classique. Le guitariste utilise des pédales, mais il a aussi un solide contrôle de l’instrument avec lequel il développe un langage sonore articulé, précis et coloré, en évitant soigneusement de saturer. Le percussionniste est un fin technicien et un improvisateur inspiré que ce soit aux cymbales ou avec des rythmes multiples. J’apprécie particulièrement le mouvement spacieux et « a-rythmique » de la deuxième face lorsque les sonorités des grands gongs croisent avec précision les hauteurs des timbres électriques des effets de guitare. Sous ces arcs sonores éthérés, Magliocchi fait mouvoir les peaux avec une pulsation aussi flottante qu’elle est parfaitement assurée. Le son de la guitare se transforme en morsures et l’électricité s’intensifie jusqu’à un deuxième mouvement « a-rythmique » plus bruitiste côté guitare et le dialogue change alors de nature avec un travail précis sur des objets / instruments métalliques.

Vient ensuite des notes égrenées dans l’espace traversées par des résonances de gongs et cymbales jouées à l’archet et de percussions secouées ou frottées avec discrétion. Encore un tour sur les peaux avec une classe remarquable. Magliocchi a ceci de chic qu’il joue la cymbale à l’archet en produisant des notes précises. Il enchaîne toutes ses actions avec un vrai naturel sans se forcer. Cela respire sans étalage de technique, mais on sent un grand savoir-faire. Au final, une rencontre réussie entre deux personnalités contrastées qui savent s’écouter et construire un univers commun. Un bon disque et l'envie de connaître mieux le travail de percussions à part entière de Magliocchi (un album solo ??)

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