Stinging Nettles Lucien
Johnson Alan Silva Makoto Sato improvising beings ib29
Continuant
sur sa lancée, le label improvising beings de Julien Palomo ne faiblit pas dans son
engagement à documenter les artistes improvisateurs « qu’on ne trouve pas
sur les autres labels » et cela dans un rayon d’action esthétique assez
large qui va du free-jazz enraciné à l’improvisation la plus actuelle. Du
pianiste François Tusquès et du légendaire Sonny Simmons aux violoncellistes
Hugues Vincent et Yasumune Morishige, dont le superbe Fragment ne ferait pas tache dans l’austère et passionnant
catalogue Potlach. L’arrêt ou le ralentissement des parutions chez de nombreux
collègues (Psi, FMP, Emanem, etc…) fait d’IB un Allumé de choc incontournable. IB ne se
consacre pas aux rééditions et unreleased d’un autre temps et soigne
remarquablement la qualité du son et celle des pochettes. Alors pour la bonne bouche et encadré par la
contrebasse d’Alan Silva et la batterie de Makoto Sato, voici un
saxophoniste ténor néo-zélandais inconnu, Lucien Johnson, qui nous livre une
musique inspirée et passionnée dans la tradition jazz libre la plus
authentique. La session fut enregistrée par J-M Foussat en novembre 2006 et
était restée dans les archives. Comme Alan Silva, artiste IB par excellence, joue et enregistre le
plus souvent de son synthé orchestral, alors que de nombreuses personnes le
réclame à la contrebasse, ce beau trio les satisfera pleinement. Toutes les
compositions sont dues à Lucien Johnson, et sa sonorité, son
phrasé et le cheminement de chaque pièce font de Stinging Nettles, un
album attachant et expressif où les musiciens ne craignent pas d’explorer le
temps d’un morceau une dimension minimaliste où les harmoniques introspectives
de l’archet d’Alan Silva livrent toute leur identité malgré une prise de son un
peu distante (Ice Shelf). Burnt Fingers, le morceau suivant
évoquerait plutôt le format David Murray / 3D
Family des années 70’s, le trio sax ténor / basse / batterie étant le
cheval de bataille de notre Zélandais. L.C. s’est construit un univers en
écoutant des disques comme le Capers
de Steve Lacy avec Dennis Charles et Ronnie Boykins (Hat Hut 1979), 3DFamily de David Murray / Johny Dyani /
Andrew Cyrille (Hat Hut 1978) et les Lower
Manhattan Ocean Club de David Murray avec Lester Bowie, Fred Hopkins et
Phil Wilson (India Navigation 1977). Quant on sait que Lucien Johnson est né en
1981, on se dit qu’il a échappé à la marsalisation du jazz de la période
suivante, comme si le Père Noël lui avait laissé un paquet cadeau du Loft Jazz
made in Soho à sa naissance. Au final, une très belle atmosphère et un
saxophoniste chaleureux et sincère dans une empathie mutuelle avec un tandem
basse – batterie chevronné !
Peter Brötzmann & Jörg Fischer live
in Wiesbaden NotTwo MW877-2
Enregistré à
Wiesbaden en juin 2009 par Ulli Böttcher durant un concert de la Kooperative
New Jazz de la ville, cette rencontre se déroule sous des auspices favorables
et sous l’œil et l’oreille exercée des « gardiens du temple » de
l’improvisation libre de cette ville, les Ulli Böttcher, Ulli Philipp, Wolfgang
Schliemann, et autres Uwe Oberg et Dirk Marwedel. Un tel environnement fait que
Peter Brötzmann soigne particulièrement ses improvisations avec une logique
plus pointue et plus de concentration qu’à l’accoutumée. Jörg Fischer est un
percussionniste vraiment remarquable avec une palette très large, révélée dans
ses autres albums, Trio Improvisations et Free Music on a Summer Evening sur son
label Sporeprint et son très beau
solo Spring Spleen (gligg). Avec
Brötzmann, le Capitaine Fracasse du free jazz « hirsute », il faut
que cela carbure et Fischer s’est construit
un langage percussif dynamique qui évoque la folie démesurée d’Han
Bennink des Nipples et autres Balls vers 1970 et la polyrythmie
endiablée de Milford Graves. PB est un inconditionnel du binôme souffle /
percussions et le batteur doit avoir assez de pêche pour l’inspirer. Ça cogne
sec dès Productive Cough au ténor hargneux et Brötzmann fait péter le
bocal de son alto dans Buddy Wrapping après avoir virevolté
avec le taragot. Outre la puissance pulmonaire, on y trouve des échanges intelligents
alors que le batteur change de régime et surprend le souffleur. Brötzmann
conclut de manière pensive comme le ferait un Joe Mc Phee et cela débouche sur
une Song
For Fred (Van Hove ?) avec cette manière toute Brötz de jouer la mélodie, elle même signée
Brötzmann, alors que les autres morceaux sont crédités aux noms des duettistes.
Et puis le style de Fischer a la sonorité, le drive, la dynamique juste qui
crée une empathie authentique avec le colosse de Wuppertal. Je chronique
rarement un disque de Brötz, alors que les Balls,
Outspan Ein und Zwei et FMP 0130 ont
bercé ma jeunesse, simplement parce qu’il y a assez de collègues qui s‘y
collent. Mais ce Live in Wiesbaden a son pesant de choucroute et de Chimay au fût, je n’ai donc pu résister.
On y trouve une authenticité qui atteint son nadir dans Cute Cuts où les spirales
et les cris du souffleur s’endiablent sous les tournoiements des frappes en
déséquilibre instable et permanent du batteur. Celui-ci accompagne les accents
avec des coups redoublés ou nous fait un solo de roulements contrastés avec une
réelle dynamique tout en conservant le côté agressif et cela introduit un thème
introspectif et inachevé de Brötzm. Cette prière progresse lentement vers une
situation de crise avec les interventions graduelles et inventives du batteur
et le bec du ténor que se met à chauffer. Le jeu du percussionniste engage un
beau dialogue avec le saxophone au point que l’entrelacs de ses frappes
mesurées obtient autant de flammes, de sifflements enragés que de traits
subtils de notre Teuton, autant que s’il avait été submergé par un Bennink en
folie comme au bon vieux temps. Avec en prime, une qualité de son et de timbre
supérieure au sax ténor dû au savant dosage des décibels du batteur. C’est
tellement excellent que ces seize dernières minutes illuminées ont paru trop
courtes et qu’on en redemande. Puisse Peter Brötzmann trouver encore de tels
compagnons sur sa route !! Le cd de Brötzmann pour les connaisseurs.
Charig / Fischer / Wolf Free
Music On a Summer Evening spore print 1312-01
Le
percussionniste Jörg Fischer préside aux destinées du micro label sporeprint
et n’a pu résister à produire le magnifique trio enregistré avec deux piliers
de la Free Music lors d’une Soirée d’Eté réussie en 2010. On
connaît trop peu l’excellent bassiste Georg
Wolf, inconditionnel militant de l’improvisation totale talentueux dont
j’apprécie beaucoup les superbes duos Tensid avec son ami contrebassiste Ulli Philipp et pas appât avec le
tromboniste Paul Hubweber (tous deux sur l’incontournable label NurNichtNur).
Par contre, nombre d’entre vous parmi ceux qui suivent la free music depuis la
fin de leur adolescence, se demandent qu’est devenu le trompettiste britannique
Marc Charig ? Il fut un membre
éminent de la Brotherhood of Breath et des groupes légendaires de Keith
Tippett, d’Harry Miller et d’Elton Dean, jouant ensuite dans le Globe Unity Orchestra. Il fit longtemps
partie du London Jazz Composers Orchestra
de Barry Guy depuis le départ, sans oublier les grandes formations de Tippett, Centipede et Ark. Avec Phil Wachsmann, il fut un des deux alter ego de Fred Van
Hove dans les formations du pianiste anversois, et souffla régulièrement dans
le Maarten Altena Octet (Quotl, Riff).
Avec Paul Lytton, Wachsmann et Malfatti, on l’entendit dans le King Übü Orkestrü de Wolfgang Fuchs. Il
a aussi enregistré avec Soft Machine (Fourth)
et King Crimson (Lizard, Red). Ogun
vient de rééditer son très bel album Pipedream
avec Keith Tippett à l’orgue et la chanteuse Ann Winter. Après avoir sillonné
toute l’Europe de l’improvisation pendant deux décennies, Marc Charig, une
personnalité modeste et enjouée, s’est établi à Aachen et joue avec les
musiciens locaux. Prière de ne pas
traduire « locaux » par « dilettantes », car en Allemagne,
les musiciens improvisateurs radicaux ont un niveau égal à celui de la scène
britannique. Je me dois de souligner l’excellence de deux enregistrements de Quatuohr
avec le percussionniste Wolfgang Schliemann, le saxophoniste Joachim Zoepf et
le bassiste Hans Schneider, [KJU:]' et [kju:]', too. Il y a
là plus de musique et d’inspiration à mon goût que chez certains musiciens qui
furent ses compagnons de route et qui aujourd’hui se répètent ou s’égarent. Et
c’est à un vrai régal que nous convient le trio de Free
Music On a Summer Evening dans un équilibre entre
jazz tout à fait libre et improvisation totale. Entre dérapage contrôlé sous la
pression de lèvres folles et explorations mélodiques d’un goût parfait. La
contrebasse boisée rebondit dans les entrechocs d’objets percussifs et
roulements clairsemés et sur cette trame, le cornet surfe avec aisance
légèreté, regard en coin et coups de lèvres saccadés jusqu’à la note aiguë finale.
Ayant joué pendant des années avec des créateurs du calibre de Fred Van Hove et
Paul Lytton en improvisant quasi sans interruption durant des concerts de plus
d’une heure, Marc Charig a acquis une faconde jamais prise en défaut,
une capacité d’invention étonnante. Une suspension au bord du silence alternant
avec un spleen éthéré ou une effervescence bouillonnante en un clin d’oeil. Au
détour d’une improvisations dans 2/ Cat
and Mouse and Cheese, il cite spontanément un thème mythique de Chris Mc
Gregor (ou Dudu Pukwana ?). Georg Wolf joue volontiers un backdrop assuré et
bourdonnant plutôt que de partir à l’aventure. Dan 3/ Pot Pourri for Harribee, le thème évoqué du répertoire « Brotherhood » est développé en le
construisant et le déconstruisant, le bassiste produisant de belles variations
sur les notes du thème. Le cornet n’étant pas une trompette, impossible d’y
briller comme ses collègues et amis aujourd’hui disparus (Beckett et Wheeler).
Mais là n’est pas le but, le cornet est un instrument plus populaire et intimiste,
procurant une chaleur bonhomme et un autre type de phrasé, moins délié et plus
ombrageux. Le percussionniste est
parfait pour cette équipée, nous faisant découvrir l’usage alternatif de la
percussion libérée dans une configuration plus conventionnelle. Il joue
remarquablement avec la dynamique et le son requis en respectant l’équilibre
voulu par la situation. Son excellent solo au milieu de ce troisième morceau
sert de point de relance pour la persévérante exploration qui s’installe au fil
des minutes qui suivent, sans aucune précipitation. Se superposent des lento
majestueux et des fulgurances retenues du cornet et de l’alto horn. Des
envolées à trois qui retombent sur la pointe des pieds. Un véritable équilibre/
coexistence entre recherche et création mélodique / thématique instantanée est
la marque de fabrique d’une conception universaliste de la musique improvisée
libre où l’auditeur se délecte tant de
la musicalité profonde et de la connivence sincère que des plongées sonores. A
l’heure où le nombre de trompettistes « improvisateurs libres » font
florès (Evans, Wooley, Ho Bynum, Uhler, Hauzinger etc…), voici un album
poétique, léger, rafraîchissant et subtilement musical. Ceux qui préfèrent
quelque chose de plus « non idiomatique » impliquant Marc Charig, les
deux albums NurNichtNur [KJU:]'
et [kju:]', too, sont deux véritables merveilles hautement
recommandables.
Paragone d’Archi Stefano Pastor
& Charlotte Hug Leo
Records.
Deux personnalités aussi dissemblables que leur
pratique musicale respective est profondément personnelle et inscrite dans la
nature de leur instrument, ici à l'archet, comme le titre Paragone d’Archi se plaît à le rappeler. Durant une douzaine de
pièces bien calibrées, la violoniste alto de Zürich et le violoniste de Gênes
jouent le jeu de l’improvisation totale. Stefano
Pastor a gardé dans les doigts des phrasés modaux évoquant la musique
indienne ou même Mahavishnu Mc…. Charlotte
Hug se singularise par des frottements de clusters et des harmoniques
fantomatiques. Et quel timbre !! La proximité des deux instruments,
l’amplification du violon de Pastor avec son grain inimitable et les audaces
sonores de Hug font que la collaboration fonctionne, un peu pour démontrer que l’hypothèse
fondatrice de la Company de Derek
Bailey est toujours d’actualité. Savoir créer un instant de connivence et de
surprise avec des musiciens avec qui un improvisateur n’a pas (prétendument)
des affinités etc… Paragone d’Archi est
donc truffé de moments passionnants, entre autres lorsque Charlotte Hug vocalise.
Et il y a une plénitude du son qui s’étend dans une infinie finitude. Une
véritable fascination à découvrir les espaces sonores créés par les deux
archettistes se fait jour, une vocalité de l’instrument particulière et, née de
la congruence des sonorités, des timbres et des fréquences, un territoire
commun fécond. Un très bon disque réalisé par des artistes que tout semble
opposer.
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