Phil Durrant & Daniel Thompson Live / Studio Bead Record BEAD 49
https://beadrecords.bandcamp.com/album/live-studio
Quand on se plonge dans cette musique en duo concoctée par le guitariste acoustique Daniel Thompson et le violoniste Phil Durrant devenu mandoliniste d’avant-garde, on se dit que la scène musicale improvisée regorge de créateurs dont on ne peut se passer. D’ailleurs, je ne pense pas que Derek Bailey ou d’autres guitareux de référence ont publié un album de duo de guitares (ou avec une Octave mandola, l’instrument de Durrant) aussi réussi. Essentiel même. Longtemps, Phil Durrant a évolué en trio avec John Russell et John Butcher dans un trio révélateur qui a poussé ses deux acolytes au pinacle de la scène improvisée internationale avec seulement un vinyle en 1987 et deux CD’s (chez Random Acoustics et Emanem), mais ô combien de gigs ! Depuis la deuxième moitié des années 70, Phil a acquis une expérience inestimable qui sublime et transcende son bagage instrumental et créatif. Il s’est lancé aussi parmi les tous premiers dans le « lower case « réductionniste » aux côtés de Radu Malfatti, Burkhard Beins, Rhodri Davies, etc... avant que cela ne devienne un lieu commun. Quant à Daniel Thompson, il s’est fait entendre aux côtés du flûtiste vétéran Neil Metcalfe, du clarinettiste Tom Jackson, du violiste Benedict Taylor et de la chanteuse Kay Grant et s’affirme de plus en plus comme une voix indispensable dans l’univers radical de la six-cordes et comme producteur émérite avec son label sans faute, Empty Birdcage. Leur musique en duo est exploratoire, obstinée, chercheuse et se décline dans une succession de trouvailles et de perles qui n’ont rien à envier à la faconde de Derek Bailey ou l’ascétique assurance de John Russell. Thompson s’est taillé un style et une démarche personnelle immédiatement identifiable et très distinctive dans un domaine musical abstrait fait de clusters, d’intervalles dissonants, de frictions improbables, d'harmoniques et d'improbables zig-zags. Mais ce qui fait tout le sel, le piquant et l’originalité de ce duo pas comme les autres réside dans le contraste et la familiarité du jeu de Phil Durrant par rapport à son collègue sur ce rare instrument à cordes qu’est la mandole, soeur grave de la populaire mandoline (dite « soprano » accordée en quintes). Ou plus exactement ici, la mandole à l’octave ou mandole ténor accordée en sol – ré – la – mi . La mandole « tout court » est l’équivalent « alto » de la mandoline. Cet instrument version ténor s’appelle Octave Mandola en anglais et est muni de doubles cordes d’un manche bien plus court que celui d'une guitare ce qui en limite ses possibilités harmoniques et la fluidité de son jeu par rapport à la guitare. La mandoline est utilisée dans les musiques traditionnelles méditerranéennes et spécialement dans les mélodies napolitaines. Le contraste de registre et de couleur sonore est bien marqué et leur juxtaposition est carrément provocante pour la sphère « musique sérieuse », mais bien dans le droit fil délirant de la free-music. Nos deux gaillards n'hésitent pas à frictionner, gratter, picoter, torturer leurs cordes, répéter la ou les deux même(s) note(s) obsessionnellement avec de menues variations,abandon ou frénésie. Ils les laissent résonner et imbriquent leurs harmoniques et les sonorités les plus recherchées ou des notes isolées, comme un seul homme. Les occurences sonores et les narratifs évoluent dans des cheminements imprévisibles et méandreux avec parfois autant de logique que d'égarement. Une fois atteinte une ambiance réussie, celle-ci est subitement abandonnée pour une ou d'autres idées ou une fin abrupte. C'est intensément ludique avec une maniaquerie pour les grincements, les tremblements, les résonances de tout ordre, le désordre permanent et les idées lumineuses. Sans nul doute, un des enregistrements les plus probants du label Bead Records, lequel a survécu aux vicissitudes du temps et aux générations successives d'improvisateurs depuis 1974 et les lointains albums de Chamberpot, de Peter Cusack et de Ian Brighton, deux guitaristes parmi les plus curieux de cette scène British multiforme
Live / Studio a été enregistré en concert au Café Oto : 35 minutes passionnantes et en studio pour les six plages suivantes dont deux « plus longues » de dix et sept minutes et quatre miniatures de deux – trois minutes, chacune avec un caractère bien affirmé. Le duo renouvelle son matériau et la spécificité de ses échanges et correspondances sonores avec une verve éblouissante et autant de finesses que de « sarcasmes », transcendant l’aspect pointilliste avec un naturel confondant. John Russell et Roger Smith ont enregistré un duo avec le guitariste Pascal Marzan, tous deux remarquables (Emanem). Voilà un chef d’œuvre supplémentaire à cet art ardu de l’improvisation « à deux guitares », même si l’une est une Octave mandola.
Furie Mathieu Bec & Quentin Rollet reqords Req011
https://mathieubec.bandcamp.com/album/furie
Five to Melford, parmi les titres jetés en pagaille sans numérotation ni indication de leur durée sur le revers de la pochette. Une erreur orthographique (?), il s’agit sans doute de Milford Graves, le phénix du free drumming disparu, lui-même à l’origine des penchants extrêmes du délire d’Han Bennink et de bien d’autres. Voilà bien un album d’un free – drummer qui fera démentir l’assertion partisane des (encore nombreux) anti-free qui prétendent que des batteurs comme Mathieu Bec, c’est du n’importe quoi. Mais écoutez – bien ! Son jeu est un régal servi par un musicien expérimenté qui a assimilé la faconde rythmique flamboyante d’un Elvin Jones. Et quel swing (Sombre ballade) ! Avec un acolyte pointu en matière de souffle, de jongleries d’intervalles audacieux, d’articulation anguleuse et virevoltante comme Quentin Rollet , on a droit à un duo sax - percussions de première. Plus précisément sax alto et soprano. Certains préfèrent écouter les «références incontournables» que des outsiders "locaux". Moi je dis que Furie est un des plus beaux duos sax-percussions (une formule magique du jazz libre) émoustillants publiés en France et aux alentours. En outre, affleure une belle sensibilité et une foultitude de détails sonores, ainsi que des vibrations électroniques genre sirènes affolées (Quentin) pour ajouter du sel sur la queue. On avait déjà entendu Mathieu Bec avec Michel Doneda et Guy Frank Pellerin dans une dimension sonore exploratoire (A Peripheral Time/ FMR et Saxa Petra / Setola di Maiale), le voici dans une démarche « batteuse » plus évidente pour les amateurs de jazz per se, mais aussi pour les afficionados d’alt rock électro (cfr 5ème morceau). Rouge : ça pétarade superbement ! Free tranchant ! D’ailleurs, Mathieu Bec a joué récemment avec le saxophoniste Boris Blanchet (album digital Flying Sufi ) et revendique le droit à s’exprimer comme bon lui semble au-delà des étiquettes et des filières programmées. Heureusement, avec l’ouverture d’esprit, le métier et la sonorité de Quentin Rollet, il a trouvé un sparring partner de première bourre et vice et versa. Je ne sais pas si Quentin a une formation attitrée "qui tourne", mais ce serait épatant que ces deux-là perpétuent cette rencontre inattendue où absolument rien n'avait été préparé selon les dires du batteur. Un album live très attachant, sincère et super convaincant publié par reqords, le label du saxophoniste.
Thomas Heberer Joe Fonda Joe Hertenstein Remedy II Fundacja Sluchaj FSR 12/2023
https://sluchaj.bandcamp.com/album/remedy-ii
Le trompettiste de Cologne Thomas Heberer a tenu le pupitre de la trompette avec une bien joyeuse bande de loustics : l’Instant Composers Pool de Misha Mengelberg, Han Bennink , Michael Moore, Wolter Wierbos, Tristan Honsinger etc… Et cela durant des années. Après la disparition du magnifique Roy Campbell en 2014, il le remplaça avec le plus grand bonheur au sein du Nu Band aux côtés de Joe Fonda, Lou Grassi et Mark Whitecage, un vétéran du free-jazz des sixties, lui aussi disparu. Joe Fonda est un contrebassiste chéri par les plus grands musiciens : Anthony Braxton, Marylin Crispell, et, actuellement, le bassiste préféré de Barry Altschul. Le batteur Joe Hertenstein s’est révélé avec des artistes de premier plan comme Ivo Perelman, Jon Irabagon et est, tout comme ses deux collègues,un musicien demandé. C’est le deuxième album de ce magnifique trio « jazz libre » où le swing et l’invention mélodique débordent … Thomas Heberer est aujourd’hui installé à NYC et cela doit être un bonheur pour la scène est-américaine de pouvoir écouter de visu un tel trompettiste : son sens mélodique est providentiel et son lyrisme accroche l’auditeur sensible sans effort. Vraiment convaincant. Sa maestria m’a pas besoin du « soutien » d’un pianiste ou d’un guitariste, il se suffit à lui-même. Il met complètement en valeur l’espace sonore qui lui est offert par ses deux acolytes ; ceux-ci ont créé une forte empathie et manifeste un véritable esprit d’équipe. Le contrebassiste Joe Fonda a acquis une réputation proverbiale, son sens de l’harmonie est imparable, surtout après avoir travaillé avec Braxton, Crispell et le pianiste Michael Jefry Stevens avec qui il a sillonné toutes les scènes d’Europe et d’Amérique pendant plus de deux décennies et enregistré une kyrielle de CD’s. Le rôle polyrythmique et le jeu aéré et bien balancé du batteur Joe Hertenstein est providentiel. Cette formule du trio trompette - basse - batterie fut celle de leur ami Roy Campbell et son Pyramid Trio et ils ont été bien avisés de continuer dans cette voie. Ça plane, gravit, déboule et enchante ! Le jazz moderne contemporain ne parvient à se maintenir en vie valablement que lorsque cette tradition s’enrichit de la liberté de formes et d’inspiration en puisant seulement les bonnes idées issues des règles contraignantes des genre bop/ post-bop / jazz modal , cette comptabilité métrique harmonique et hiérarchique tatillonne, et en écartant toutes ces simagrées stylistiques d’un autre temps dont Trane, Dolphy , Ornette, etc se sont évadés. Ici on n’a pas le temps de s’emmerder, d’attendre la fin du thème réitéré, la coda ou les solos de l’un ou de l’autre. Tout, tout de suite comme en mai soixante-huit !! Avec Remedy II, l’auditeur et les musiciens vont droit à l’essentiel de l’émotion, de l’énergie et de l’amour de la musique avec une grande spontanéité et cette assurance des grands créateurs. Quand la somme des parties surpasse ce qu’on est déjà en droit de rêver à la lecture de leurs noms : Thomas Heberer , Joe Fonda et Joe Hertenstein : un remède à la morosité ambiante !
Christoph Gallio Dominic Lash Mark Sanders Live at Café Oto London Ezz-Thetics 1050
https://now-ezz-thetics.bandcamp.com/album/live-at-cafe-oto-london
Le catalogue Ezz-Thetics (ex Hat-Hut, Hat-Art, Hatology) agglutine les sorties, certaines vraiment surprenantes, d’autres compilatoires de glorieux moments du free-jazz ou simplement en nous offrant un réjouissant concert londonien d’un saxophoniste qui tire toujours plus haut que son ombre en compagnie d’un exceptionnel tandem contrebasse – batterie. On ne doit plus faire l’article du batteur Mark Sanders, ni du contrebassiste Dominic Lash, tous deux superlatifs. Mais il faut insister sur la valeur incisive du saxophoniste helvète Christoph Gallio. On nage ici en plein free free-jazz improvisé. Pas de compos, de partoches, rien dans les mains, rien dans les poches. Souffleur allumé, intelligemment expressionniste, ludique, phrasé anguleux, sonorité brûlante, vocalisé et abrasif à souhaits, dérapages contrôlés, un sacré bagage harmonique et des sauts d’intervalles compliqués à maîtriser dans on souffle aussi fort. Son abattage de bateleur du souffle cracheur de feu, fait s’hérisser le mocassin gauche trépignant de Mark Sanders piétinant sur la pédale de hi-hat, toutes baguettes survoltées alors que les remontadas des doigts fébriles de Dominic Lash en travers de la touche du gros violon font vibrer l’air ambiant. Une belle partie de plaisir qu’il faut vivre – contempler sur le vif dans le confort d’écoute du Café Oto pour oublier l’ amenuisement des scènes ouvertes dans le grand Londres (I’Klectic fermé, le rafiot du Boat-Ting coulé, diminution des gig-séries et first floors de pub ; par chance, Jim Dvorak a rouvert son légendaire Jazz Rumours et il reste Hundred Years Gallery). Heureusement, il nous reste l’espoir et comme dans cet excellent album, on envisage ce qui fait tout le sel de cette scène. Le trio nous emmène dans un voyage à travers de nouveaux paysages, d’aspects très variés de l’improvisation collective, du dense complexe à l’aéré subtil, à différents niveaux d’intensité et d’expressivité. On peut alors goûter tout ce dont sont capables ces trois improvisateurs, leurs sens de l’écoute imaginative, de la construction instantanée. La maestria du free drumming de Sanders met le soufflant sur orbite avec un supplément d’audace, d’énergie et de rage de jouer, un lyrisme explosif pressurant la colonne d’air et l’anche rougeoyante du sax soprano. Dom Lash colmate les brèches et rebondit incessamment sur la vibration de ses gros boyaux tendus comme des furies. C’était Wildlife en trois parties de plus de dix minutes chacunes. Avec Homelife part 1 & 2, on démarre ensuite avec une démarche cool hésitante au C melody sax de manière plus introspective avec des growls bien sentis. L’intrication des dialogues se resserrent petit – à petit , les toms soumis aux roulements de timbales africaines…. Une bien belle réussite.
Consacré aux musiques improvisées (libre, radicale,totale, free-jazz), aux productions d'enregistrements indépendants, aux idées et idéaux qui s'inscrivent dans la pratique vivante de ces musiques à l'écart des idéologies. Nouveautés et parutions datées pour souligner qu'il s'agit pour beaucoup du travail d'une vie. Orynx est le 1er album de voix solo de J-M Van Schouwburg. https://orynx.bandcamp.com
30 janvier 2024
Phil Durrant & Daniel Thompson / Mathieu Bec & Quentin Rollet/ Thomas Heberer Joe Fonda & Joe Hertenstein/ Christoph Gallio Dominic Lash & Mark Sanders
Free Improvising Singer and improvised music writer.
18 janvier 2024
Patrick Crossland & Alexander Frangenheim/ Adrian Northover Marcello Magliocchi Bruno Gussoni/ João Pedro Viegas Silvia Corda Adriano Orrù Carlos Zingaro et Helena Espvall/ Kris Gruda & Danny Kamins
Crossland Frangenheim Basic Tracks Baltimore New York Patrick Crossland & Alexander Frangenheim Concepts of Doing COD 010 LC 10087 CD
http://frangenheim.de/news
Durant la révolution de la free-music européenne fin des années 60 au début des années 70, un instrument un peu délaissé dans le jazz moderne fait son entrée subtile et imprévisible : le trombone, accouplé à des groupes atypiques et brandi par des improvisateurs rompus aux techniques alternatives. Incontournable, le vétéran Albert Mangelsdorff et ses techniques de voicings jouent souvent avec le trio Brötzmann - Van Hove - Bennink. Paul Rutherford explore les sonorités les plus audacieuses à la limite des bruitages avec Derek Bailey et Barry Guy (Iskra 1903) et, tout comme Mangelsdorff, il enregistre des albums solos révolutionnaires, The Gentle Harm of the Bourgeoisie et Old Moers Almanach. On l’entend aux côtés de Paul Lovens et de Tony Oxley, percussionnistes de l’impossible. Son collègue du Globe Unity Orchestra fait parler de lui outre – Rhin : Günter Christmann en duo avec le percussionniste Detlev Schönenberg. Tous deux sont les coqueluches du festival de Moers et enregistrent pour son label Ring records rebaptisé Moers Music. Il y a Radu Malfatti qui joue avec le violoniste Phil Wachsmann ou le bassiste Harry Miller et au sein du Brotherhood of Breath de Chris Mc Gregor, Willem Van Mannen qui fait partie du Willem Breuker Kollectief, l’italien Giancarlo Schiaffini, deux frères allemands de l’Est, Connie et Hannes Bauer, le français Yves Robert, un autre British délirant celui-là , Alan Tomlinson… Mais des américains viennent à la rescousse pour rétablir l’équilibre : l’hyper-virtuose George Lewis avec Anthony Braxton, l’expressif et jovial Ray Anderson, Craig Harris … Depuis lors, Steve Swell, Sarah Gail Brand, Matthias Muche… on ne se presse plus au portillon comme par le passé.
Ça me fait penser que le duo Paul Rutherford – Barry Guy n’a jamais produit un disque alors que Christmann a réalisé un chef d’œuvre avec son compatriote le bassiste Torsten Müller (Carte Blanche / FMP). Torsten vit aujourd’hui en Colombie Britannique. Mais trêve de nostalgie ! Voici un duo modèle , classieux et complètement impliqué dans l’improvisation sans concession au sommet. Le tromboniste US Patrick Crossland a travaillé la musique contemporaine et crée de nouvelles pièces d’avant-garde. Comme improvisateur, son art se situe dans la lignée de Günther Christmann et de Paul Rutherford, moins l’aspect parfois folâtre du premier et le lyrisme un brin humoriste et romantique du deuxième. Mais avec un esprit analytique et une sûreté dans « l’abstraction » confondante. Avec un contrebassiste pointu comme Alex Frangenheim, un proche de Günter Christmann et de Roger Turner avec qui il a souvent enregistré, Crossland a trouvé son challenger et complice. Leur musique improvisée en duo est d’une subtilité suggestive et adepte de l’élision, de l’expressivité bruissante et du camouflage instrumental en s’interpénétrant par le moindre timbre, le moindre atome. Un flux serré et relâché à la fois, les deux instruments se prêtant à tous les dérapages, frictions, frottements, harmoniques , effets sonores et leur musicalité semant un rhizome de connexions harmoniques post weberniennes. D’éphémères passages expressionnistes hérités du free-jazz alternent avec des souffles sotto-voce voisinant le silence. Chocs et micro-timbres, détails infinis, gouaille de la sourdine endiablée et stries abrasives de l’archet, growls sauvages ou douçâtres et pizz sonores. Pour alimenter ces démarches, Frangenheim a relancé son label Concepts of Doing avec un véritable chef d’œuvre de la maturité. Imparable et rare depuis les albums de Malfatti & Miller ( Bracknell Breakdown Ogun 1978) et de Christmann & Muller (Carte Blanche). Basic Tracks représente superbement la base de l’improvisation libre , écoute mutuelle , indépendance totale et interactions surprises. La page blanche de l’invention entre silences et sons toujours inouïs. Je réécoute cet album tellement souvent que mes autres textes n'avancent pas (sorry)
Adrian Northover Marcello Magliocchi Bruno Gussoni the House on the Hill Shrike Records
https://shrikerecords.bandcamp.com/album/the-house-on-the-hill
Shrike records est un nouveau label Britannique documentant leur riche et vivace scène improvisée. On y croise John Butcher, David Toop, Sharon Gal, N.O. Moore, Eddie Prévost, Alex Ward, Terry Day, Phil Durrant, John Edwards, Steve Beresford, Thurston Moore, Iris Ederer, Mark Sanders, Yoni Silver, Steve Noble, Angarhad Davies, Rachel Musson, Tania Caroline Chen, Dominic Lash etc… dans des groupes aussi diversifiés qu’il est possible. Le saxophoniste Adrian Northover est un des incontournables de cette communauté et la Série de concerts auquel lui-même et sa compagne Sue Lynch se consacrent, The Horse Improvised Club voit ses gigs documentés par ce label, Shrike. Adrian a comme partenaires privilégiés le flûtiste de Gênes Bruno Gussoni et le percussionniste Marcello Magliocchi de Monopoli dans les Pouilles. Rien d’étonnant à cela, car Adrian et Marcello sont abonnés à ce curieux flûtiste Britis , Neil Metcalfe himself, qui a un art consommé à distendre ou plier les intervalles de ses gammes , jeu auquel le saxophoniste adore s’intégrer avec autant de sensibilité. On entend cela dans les enregistrements du Runcible Quintet ou Quartet en compagnie du contrebassiste John Edwards et du guitariste Daniel Thompson. J'ajoute encore , comme l'indique son patronyme,Magliocchi, Marcello est un inconditionnel de la mailloche; en effet ses frappes et actions sont d'une grande subtilité Avec Bruno Gussoni, on ajoute une flûte basse à la panoplie et le shakuhashi un instrument fétiche du Gênois. Et le concept se dilate et s’envole au gré d’un vent léger. Mais surtout dans cet album et après un départ saccadé et énergique, la musique pénètre petit à petit bien des maquis et des mystères pour confiner à la magie. Un raffinement sibyllin s’installe sous l’influence du souffle presqu’immatériel et fantomatique de Gussoni et un Adrian Northover très inspiré jouant en empathie organique avec son acolyte, sans jamais forcer le trait. En se laissant envahir par leur musique de rêves éveillés on oublie si tels sons proviennnet du sax ou des flûtes ! Dans ces treize improvisations dont on n’a pas noté les durées, on s’enfonce dans un univers sonore unique et une grande délicatesse de la part du percussionniste Marcello Magliocchi faite de légers vrombissements, bruissements naturels, frappes légères, secouages d’objets , grésillements percussifs, frictions, résonnances métalliques…. Leurs interactions se décomposent, décantent, se métamorphosent au fil d’un temps suspendu, un rêve …. Un univers sonore rarement découvert ailleurs et une imagination déconcertante par sa grande simplicité et une sophistication voilée. The House on the Hill est sans doute cette maison pugliese dont la vue domine le littoral et les oliveraies et où souffle un vent de fraîcheur qui fait oublier la torpeur du midi profond. Un superbe album qui documente une facette poétique inconnue de l’improvisation libre. Sans étiquette.
Unknown Shores The House of Memory : João Pedro Viegas Silvia Corda Adriano Orrù Guests : Carlos Zingaro et Helena Espvall Fundacja Sluchaj FSR 14/2023
https://sluchaj.bandcamp.com/album/the-house-of-memory
Aventure sardo-lusitanienne avec le trio Unknown Shores, un nom de groupe qui est parfait vu la situation géographique et des paysages de leurs pays respectifs et qu’on explore l’inconnu ou une forme de surprise collective en improvisant. Le clarinettiste basse portugais João Pedro Viegas la pianiste sarde Silvia Corda et le bassiste Adriano Orrù forme un trio de chambre improvisé qui a déjà sa petite histoire. En effet, le trio avait déjà enregistré Unknown Shores en compagnie du clarinettiste Luis Rocha pour le label Amirani de leur ami Gianni Mimmo, avec qui d’ailleurs Corda et Orrù ont enregistré deux albums, Clairvoyance et Transient, deux merveilles publiées sur le même label. Comme invités, le violoniste vétéran Carlos Zingaro Alves et la violoncelliste Helena Espvall, lesquels renforcent cette identité chambriste et l’amplifient. Après un bref Prélude de 1 :08, le quintet égrènent et développent huit improvisations « miniatures » entre les deux – trois minutes et les cinq – six minutes. L’environnement inspiré des trois cordistes qui se relaient inlassablement dans de subtiles métamorphoses instantanées créent un univers sonore diversifié alimenté par le toucher distingué et la science harmonique de la pianiste Silvia Corda. Le contrebassiste, Adriano Orrù cultive des soubassements tactiles alors que le violoniste, Carlos Zingaro, fait tournoyer son archet en étirant les sons et que la violoncelliste Helena Espvall grapille des notes pulsées du bout de doigts crochus et sautillants. Le quintet a un malin plaisir en transformant constamment le paysage, créant événements sonores, vibrations méditatives, portamentos élégiaques, glissandi mystérieux, oscillant entre lyrisme et expression d’avant-garde contemporaine. La clarinette basse de João Pedro Viegas oscille subtilement entre chacune des cordes sans « jouer au soliste » par-dessus l’orchestre, ce qui serait le comble du mauvais goût dans un véritable collectif aussi « démocratique » , imbriqué et focalisé sur l’écoute mutuelle et la construction coopérative instantanée, la partition de chacun se trouvant dans les sons des quatre autres musiciennes/ musiciens. Chaque pièce contient son identité propre, une expression typée, des contrastes un message à méditer, le tout offrant un vrai plaisir d’écoute apaisé jusqu’à l’Épilogue final.
Kris Gruda & Danny Kamins Drop of Sun Musical Eschatology
https://adurgsirk.bandcamp.com/album/drop-of-sun
Duo sax et guitare électrique : le souffleur Texan Danny Kamins, un pote à Damon Smith et le guitariste de Caroline du Nord Kris Gruda que je découvre ici. Cette combinaison instrumentale saxophone - guitare fut un des détonateurs de la free-music des années septante : on se souvient des duos de Derek Bailey avec Evan Parker ou Anthony Braxton, Eugene Chadbourne avec John Zorn ou Frank Lowe, Raymond Boni avec Claude Bernard ou Joe McPhee, G.F. Fitzgerald et Lol Coxhill…. Courageusement, Danny Kamins tente avec succès d’étendre les particularités expressives du sax soprano dans plusieurs facettes possibles avec un sérieux contrôle de l’instrument. La pâte sonore s'étend, se tord, se dilate en dessinant de bien curieuses arabesques et spirales d'une magnifique qualité vocale qui s'échappe vibrante et passionnée. Il nous fait aussi entendre un ou deux morceaux à la clarinette basse dans une inspiration contemporaine. Son acolyte, Kris Gruda a plusieurs tours dans son sac, soit un arsenal d’approches ludiques – éventail de techniques alternatives qu’il assaisonne judicieusement d’effets électroniques. C'est tout un panorama d'options qui une fois ébauchées s'enrichissent au travers dé échanges fructueux. Admirable ! Tant d'efforts finissent par convaincre : improviser de cette manière est une lutte de tous les instants pour tenir le cap et de nourrir le flux de leurs improvisations avec un maximum de découvertes - connu et inconnu mêlé - sans relâche ! Ces deux improvisateurs se révèlent particulièrement audacieux en diversifiant au maximum leurs dynamiques sonores et leurs inspirations tout en maintenant l'intérêt, le fil de l'écoute de l'auditeur, l'entraînant dans de multiples histoires parfois tortueuses ou simplement lumineuses. Écoutez ce duo, vous en aurez pour votre temps et argent. Pas le temps de s’ennuyer !
http://frangenheim.de/news
Durant la révolution de la free-music européenne fin des années 60 au début des années 70, un instrument un peu délaissé dans le jazz moderne fait son entrée subtile et imprévisible : le trombone, accouplé à des groupes atypiques et brandi par des improvisateurs rompus aux techniques alternatives. Incontournable, le vétéran Albert Mangelsdorff et ses techniques de voicings jouent souvent avec le trio Brötzmann - Van Hove - Bennink. Paul Rutherford explore les sonorités les plus audacieuses à la limite des bruitages avec Derek Bailey et Barry Guy (Iskra 1903) et, tout comme Mangelsdorff, il enregistre des albums solos révolutionnaires, The Gentle Harm of the Bourgeoisie et Old Moers Almanach. On l’entend aux côtés de Paul Lovens et de Tony Oxley, percussionnistes de l’impossible. Son collègue du Globe Unity Orchestra fait parler de lui outre – Rhin : Günter Christmann en duo avec le percussionniste Detlev Schönenberg. Tous deux sont les coqueluches du festival de Moers et enregistrent pour son label Ring records rebaptisé Moers Music. Il y a Radu Malfatti qui joue avec le violoniste Phil Wachsmann ou le bassiste Harry Miller et au sein du Brotherhood of Breath de Chris Mc Gregor, Willem Van Mannen qui fait partie du Willem Breuker Kollectief, l’italien Giancarlo Schiaffini, deux frères allemands de l’Est, Connie et Hannes Bauer, le français Yves Robert, un autre British délirant celui-là , Alan Tomlinson… Mais des américains viennent à la rescousse pour rétablir l’équilibre : l’hyper-virtuose George Lewis avec Anthony Braxton, l’expressif et jovial Ray Anderson, Craig Harris … Depuis lors, Steve Swell, Sarah Gail Brand, Matthias Muche… on ne se presse plus au portillon comme par le passé.
Ça me fait penser que le duo Paul Rutherford – Barry Guy n’a jamais produit un disque alors que Christmann a réalisé un chef d’œuvre avec son compatriote le bassiste Torsten Müller (Carte Blanche / FMP). Torsten vit aujourd’hui en Colombie Britannique. Mais trêve de nostalgie ! Voici un duo modèle , classieux et complètement impliqué dans l’improvisation sans concession au sommet. Le tromboniste US Patrick Crossland a travaillé la musique contemporaine et crée de nouvelles pièces d’avant-garde. Comme improvisateur, son art se situe dans la lignée de Günther Christmann et de Paul Rutherford, moins l’aspect parfois folâtre du premier et le lyrisme un brin humoriste et romantique du deuxième. Mais avec un esprit analytique et une sûreté dans « l’abstraction » confondante. Avec un contrebassiste pointu comme Alex Frangenheim, un proche de Günter Christmann et de Roger Turner avec qui il a souvent enregistré, Crossland a trouvé son challenger et complice. Leur musique improvisée en duo est d’une subtilité suggestive et adepte de l’élision, de l’expressivité bruissante et du camouflage instrumental en s’interpénétrant par le moindre timbre, le moindre atome. Un flux serré et relâché à la fois, les deux instruments se prêtant à tous les dérapages, frictions, frottements, harmoniques , effets sonores et leur musicalité semant un rhizome de connexions harmoniques post weberniennes. D’éphémères passages expressionnistes hérités du free-jazz alternent avec des souffles sotto-voce voisinant le silence. Chocs et micro-timbres, détails infinis, gouaille de la sourdine endiablée et stries abrasives de l’archet, growls sauvages ou douçâtres et pizz sonores. Pour alimenter ces démarches, Frangenheim a relancé son label Concepts of Doing avec un véritable chef d’œuvre de la maturité. Imparable et rare depuis les albums de Malfatti & Miller ( Bracknell Breakdown Ogun 1978) et de Christmann & Muller (Carte Blanche). Basic Tracks représente superbement la base de l’improvisation libre , écoute mutuelle , indépendance totale et interactions surprises. La page blanche de l’invention entre silences et sons toujours inouïs. Je réécoute cet album tellement souvent que mes autres textes n'avancent pas (sorry)
Adrian Northover Marcello Magliocchi Bruno Gussoni the House on the Hill Shrike Records
https://shrikerecords.bandcamp.com/album/the-house-on-the-hill
Shrike records est un nouveau label Britannique documentant leur riche et vivace scène improvisée. On y croise John Butcher, David Toop, Sharon Gal, N.O. Moore, Eddie Prévost, Alex Ward, Terry Day, Phil Durrant, John Edwards, Steve Beresford, Thurston Moore, Iris Ederer, Mark Sanders, Yoni Silver, Steve Noble, Angarhad Davies, Rachel Musson, Tania Caroline Chen, Dominic Lash etc… dans des groupes aussi diversifiés qu’il est possible. Le saxophoniste Adrian Northover est un des incontournables de cette communauté et la Série de concerts auquel lui-même et sa compagne Sue Lynch se consacrent, The Horse Improvised Club voit ses gigs documentés par ce label, Shrike. Adrian a comme partenaires privilégiés le flûtiste de Gênes Bruno Gussoni et le percussionniste Marcello Magliocchi de Monopoli dans les Pouilles. Rien d’étonnant à cela, car Adrian et Marcello sont abonnés à ce curieux flûtiste Britis , Neil Metcalfe himself, qui a un art consommé à distendre ou plier les intervalles de ses gammes , jeu auquel le saxophoniste adore s’intégrer avec autant de sensibilité. On entend cela dans les enregistrements du Runcible Quintet ou Quartet en compagnie du contrebassiste John Edwards et du guitariste Daniel Thompson. J'ajoute encore , comme l'indique son patronyme,Magliocchi, Marcello est un inconditionnel de la mailloche; en effet ses frappes et actions sont d'une grande subtilité Avec Bruno Gussoni, on ajoute une flûte basse à la panoplie et le shakuhashi un instrument fétiche du Gênois. Et le concept se dilate et s’envole au gré d’un vent léger. Mais surtout dans cet album et après un départ saccadé et énergique, la musique pénètre petit à petit bien des maquis et des mystères pour confiner à la magie. Un raffinement sibyllin s’installe sous l’influence du souffle presqu’immatériel et fantomatique de Gussoni et un Adrian Northover très inspiré jouant en empathie organique avec son acolyte, sans jamais forcer le trait. En se laissant envahir par leur musique de rêves éveillés on oublie si tels sons proviennnet du sax ou des flûtes ! Dans ces treize improvisations dont on n’a pas noté les durées, on s’enfonce dans un univers sonore unique et une grande délicatesse de la part du percussionniste Marcello Magliocchi faite de légers vrombissements, bruissements naturels, frappes légères, secouages d’objets , grésillements percussifs, frictions, résonnances métalliques…. Leurs interactions se décomposent, décantent, se métamorphosent au fil d’un temps suspendu, un rêve …. Un univers sonore rarement découvert ailleurs et une imagination déconcertante par sa grande simplicité et une sophistication voilée. The House on the Hill est sans doute cette maison pugliese dont la vue domine le littoral et les oliveraies et où souffle un vent de fraîcheur qui fait oublier la torpeur du midi profond. Un superbe album qui documente une facette poétique inconnue de l’improvisation libre. Sans étiquette.
Unknown Shores The House of Memory : João Pedro Viegas Silvia Corda Adriano Orrù Guests : Carlos Zingaro et Helena Espvall Fundacja Sluchaj FSR 14/2023
https://sluchaj.bandcamp.com/album/the-house-of-memory
Aventure sardo-lusitanienne avec le trio Unknown Shores, un nom de groupe qui est parfait vu la situation géographique et des paysages de leurs pays respectifs et qu’on explore l’inconnu ou une forme de surprise collective en improvisant. Le clarinettiste basse portugais João Pedro Viegas la pianiste sarde Silvia Corda et le bassiste Adriano Orrù forme un trio de chambre improvisé qui a déjà sa petite histoire. En effet, le trio avait déjà enregistré Unknown Shores en compagnie du clarinettiste Luis Rocha pour le label Amirani de leur ami Gianni Mimmo, avec qui d’ailleurs Corda et Orrù ont enregistré deux albums, Clairvoyance et Transient, deux merveilles publiées sur le même label. Comme invités, le violoniste vétéran Carlos Zingaro Alves et la violoncelliste Helena Espvall, lesquels renforcent cette identité chambriste et l’amplifient. Après un bref Prélude de 1 :08, le quintet égrènent et développent huit improvisations « miniatures » entre les deux – trois minutes et les cinq – six minutes. L’environnement inspiré des trois cordistes qui se relaient inlassablement dans de subtiles métamorphoses instantanées créent un univers sonore diversifié alimenté par le toucher distingué et la science harmonique de la pianiste Silvia Corda. Le contrebassiste, Adriano Orrù cultive des soubassements tactiles alors que le violoniste, Carlos Zingaro, fait tournoyer son archet en étirant les sons et que la violoncelliste Helena Espvall grapille des notes pulsées du bout de doigts crochus et sautillants. Le quintet a un malin plaisir en transformant constamment le paysage, créant événements sonores, vibrations méditatives, portamentos élégiaques, glissandi mystérieux, oscillant entre lyrisme et expression d’avant-garde contemporaine. La clarinette basse de João Pedro Viegas oscille subtilement entre chacune des cordes sans « jouer au soliste » par-dessus l’orchestre, ce qui serait le comble du mauvais goût dans un véritable collectif aussi « démocratique » , imbriqué et focalisé sur l’écoute mutuelle et la construction coopérative instantanée, la partition de chacun se trouvant dans les sons des quatre autres musiciennes/ musiciens. Chaque pièce contient son identité propre, une expression typée, des contrastes un message à méditer, le tout offrant un vrai plaisir d’écoute apaisé jusqu’à l’Épilogue final.
Kris Gruda & Danny Kamins Drop of Sun Musical Eschatology
https://adurgsirk.bandcamp.com/album/drop-of-sun
Duo sax et guitare électrique : le souffleur Texan Danny Kamins, un pote à Damon Smith et le guitariste de Caroline du Nord Kris Gruda que je découvre ici. Cette combinaison instrumentale saxophone - guitare fut un des détonateurs de la free-music des années septante : on se souvient des duos de Derek Bailey avec Evan Parker ou Anthony Braxton, Eugene Chadbourne avec John Zorn ou Frank Lowe, Raymond Boni avec Claude Bernard ou Joe McPhee, G.F. Fitzgerald et Lol Coxhill…. Courageusement, Danny Kamins tente avec succès d’étendre les particularités expressives du sax soprano dans plusieurs facettes possibles avec un sérieux contrôle de l’instrument. La pâte sonore s'étend, se tord, se dilate en dessinant de bien curieuses arabesques et spirales d'une magnifique qualité vocale qui s'échappe vibrante et passionnée. Il nous fait aussi entendre un ou deux morceaux à la clarinette basse dans une inspiration contemporaine. Son acolyte, Kris Gruda a plusieurs tours dans son sac, soit un arsenal d’approches ludiques – éventail de techniques alternatives qu’il assaisonne judicieusement d’effets électroniques. C'est tout un panorama d'options qui une fois ébauchées s'enrichissent au travers dé échanges fructueux. Admirable ! Tant d'efforts finissent par convaincre : improviser de cette manière est une lutte de tous les instants pour tenir le cap et de nourrir le flux de leurs improvisations avec un maximum de découvertes - connu et inconnu mêlé - sans relâche ! Ces deux improvisateurs se révèlent particulièrement audacieux en diversifiant au maximum leurs dynamiques sonores et leurs inspirations tout en maintenant l'intérêt, le fil de l'écoute de l'auditeur, l'entraînant dans de multiples histoires parfois tortueuses ou simplement lumineuses. Écoutez ce duo, vous en aurez pour votre temps et argent. Pas le temps de s’ennuyer !
Free Improvising Singer and improvised music writer.
16 janvier 2024
Sam Rivers A Sessionography. by Rick Lopez
Sam Rivers A Sessionography. Rick Lopez.
https://www.gofundme.com/f/sam-rivers-sessionography
Une brique, quelques kilos de papier, une somme contenant le déroulement quasi quotidien de la vie de créateur de Sam Rivers, saxophoniste, flûtiste, pianiste et violiste (alto) : sessions d’enregistrements officiellement publiées et sources privées répandues dans un public de « privilégiés », cassettes, bandes magnétiques, radios, concerts, tournées,gigs insignifiants, collaborations, photos, affiches, articles, interviews glanées dans une multitude de magazines, journaux et émissions radio, ateliers / workshops, studio RivBea, vie de famille, origine familiale, une kyrielle de collaborateurs musiciens, témoins de toute origine et d’admirateurs éblouis. Rick Lopez, l’auteur, est déjà coupable des sessionnographies de Cecil Taylor et de William Parker.
Pourquoi Sam Rivers ? Il excelle dans cinq instruments : les sax ténor et soprano, la flûte, le piano et le « violon » alto. Dans le monde des médias jazz, on retient sa participation éphémère à un quintet de Miles Davis et un génial solo free cadrant à merveille "So What " en 1963 à Tokyo. Mais sait-on seulement qu’il fut le mentor de Tony Williams. Trois albums Blue Note dans les années 60 dont un, Fuchsia Swing Song est resté dans les mémoires comme le parangon du jazz moderne « In & Out » prenant le maximum de liberté contrôlée avec des structures très précises où les musiciens (Tony Williams, Ron Carter et Jaki Byard) semblent « jouer à l’envers » et de manière audacieuse et parfois acrobatique. De cet album, un standard "moderne, Béatrice, en hommage à son épouse. Et puis, l’Europe le découvre lors de la quatrième tournée « européenne » de Cecil Taylor (cfr Second Act of A sur les six faces des albums Shandar 1969). Il ressurgit en 1973 avec Cecil Mc Bee et Norman Connors et avec Braxton, Rivers truste le fabuleux tandem rythmique David Holland et Barry Altschul. Sous la houlette de David Holland, il enregistre Conference of the Birds avec les deux autres, disque ECM considéré comme incontournable . Un big band est publié par Impulse , Crystals, qu’il vaut mieux écouter en CD pour se faire une belle idée du talent de compositeur et d’orchestrateur de son leader. Il multiplie les apparitions dans un nombre considérable de festivals et de clubs entre les années 73-74 dans de longues séquences composées dans le feu de l’action, son jeu complexe, serpentin et insaisissable indiquant à ces compagnons comment évoluer. En l’absence de « sa » rythmique fétiche avec Holland ou Mc Bee et Altschul, il tourne avec un tubiste (Joe Daley) et un percussionniste classique de haut vol (Warren Smith) inaugurant le trio ou quartet où le tuba remplace la contrebasse en jouant aussi le rôle du trombone ! Et puis sa carrière internationale s’effrite sous les coups de boutoir du showbizz jazzeux, de la critique hasardeuse ( Stanley Crouch etc…) et de la mode . Sam joue ensuite dans le groupe de Dizzy Gillespie , un génie comme lui ou son propre quartet plus électrique (cfr album Marge publié par le fidèle Gérard Terronès). Cette saga scénique et musicale est retracée aujourd’hui par six compacts d’archives chez No Business, un label lithuanien exemplaire, qui documente plusieurs phases des trios – quartettes et quintette à deux batteries (Altschul et Charlie Persip !!) . Mais, Sam Rivers n’est pas un saxophoniste « free » comme les autres , c’est un authentique maître de musique qui vit au-delà de toute forme de contingences. Face à un tel géant certains « ténors » de la scène sont musicalement parlant des faire-valoir talentueux qui ont l’art des bons contacts et qui se sont créés un profil avantageux parfois un peu « mytho ». Mais surtout , Sam Rivers n’est pas du tout prétentieux, ni un mégalomane , tout chez lui repose sur son engagement sans limite et sa générosité et l’importance fondamentale d’une recherche et d’une créativité musicale intense. Dans sa vie et avec l’aide de sa famille (son épouse Bea Rivers et ses filles), Sam anima le « Loft Jazz » le plus célèbre de SoHo à deux pas du « Village » au cœur de Manhattan : le RivBea studio, conçu au départ comme lieu de répétition et de rencontre ouvert quasiment à toute heure, accueillant des dizaines de collègues et voyageurs de tout le pays et du monde entier.
Sam et Bea louent le lieu à l’artiste Victoria Admiral, la mère de Martin Scorcese. À l’étage, vivent Patti Smith et le photographe Robert Mapplethorpe, souvent présent au RivBea. Rivers y crée ses propres orchestres « variables » appréciés des musiciens les plus exigeants qui y jouent gratos vu l’intérêt musical et cela permet à ceux qui apprennent de satisfaire leur appétit et progresser. Petit à petit, les concerts se multiplient , ses gamines récoltant les donations libres à l’entrée, Sam et Bea au fourneau pour nourrir les invités de passage. Son organisation servit de point central à des festivals multi-lieux (Ali’s Alley, Environ, Ladies’ Fort etc…) qui rassemblaient quelques dizaines de groupes la même semaine. On peut citer plusieurs grand noms du free – jazz de l’époque qui furent ou sont encore des têtes d’affiche, des saxophonistes légendaires. Le producteur Alan Douglas (The Last Poets, Jimi Hendrix et John McLaughlin) publia cinq LP’s intitulés Wildflowers Loft jazz Sessions avec le who’s who du free jazz. De nombreux musiciens d’envergure et autres insiders sont formels : Sam Rivers était un artiste d’une étoffe supérieure, un architecte de la musique vivante ayant assimilé organiquement un étendue de connaissances et de savoirs musicaux d’une qualité exceptionnelle. David Holland déclare que Sam fut sa principale influence (alors qu’il a travaillé avec Miles Davis, Anthony Braxton, Jack De Johnette etc…) et Steve Coleman le considère comme un très grand du jazz comme Dizzy Gillespie, ou ces génies méconnus tels Andrew Hill et Herbie Nichols. Steve lui a donné un solide coup de pouce en faisant enregistrer et publier son grand orchestre (Celebration) en CD dans les années 90 . Lui – même qui a accompagné T Bone Walker et Billie Holliday dans sa jeunesse et découvert le talent de Tony Williams, alors un très jeune adolescent, déclare que son expérience la plus importante furent les années aux côtés de Cecil Taylor avec Jimmy Lyons et Andrew Cyrille. Une fois la magie du loft jazz new yorkais évanouie, Bea et Sam s’établissentt ensuite loin des feux de la rampe à Orlando en Floride en animant un grand orchestre et en évoluant dans sa musique en trio avec entre autres Doug Matthews et Anthony Cole de superbes multi-instrumentistes. Son but était avant tout de continuer à travailler sa musique à transmettre ses connaissances à composer, car il se considérait avant tout comme un compositeur, activité pour laquelle il reçut de nombreuses commandes, classiques et contemporaines à l’intersection de la musique sérieuse contemporaine et de l’expression afro-américaine, entre autres à Harlem et dans des villes où la communauté est prépondérante. Cette activité à Orlando se situe en droite ligne du travail initié au studio Riv Bea.
Sam figure aussi sur un album très rare de Jeanne Lee et un opus audio d’une grande poétesse Japonaise, Kazuko Shiraishi , et n’a jamais hésité à satisfaire un producteur en publiant un album plus « jazz-rock » électrique avec le trio Holland Altschul augmenté du guitariste Ted Dunbar ( Sizzle / Impulse) Ou à tourner et enregistrer dans son quartet "électrique" avec Jerry Bird, Rael-Wesley Grant et Steve Ellington, un de ses fidèles batteurs. Au-delà de sa discographie officielle liée à ses tournées internationales et répartie sur différents labels, certains de ceux-ci ayant disparu ou documentant un groupe d’une tournée, soit le sommet de l’iceberg, Sam Rivers s’est affirmé comme un créateur d’exception au niveau de saxophonistes comme Ornette Coleman, Steve Lacy, Anthony Braxton ou Evan Parker et de compositeurs instrumentistes comme Mingus et Gillespie. Mais peu de choses ont été publiées si ce n’est trois albums en big band (dont Crystals / Impulse) et une tournée européenne du SR Orchestra eut lieu en 1979. Je sais bien que certains d’entre vous entretiennent des cultes de musiciens sous – estimés et négligés ou décédés trop jeunes et que le jeu des comparaisons est difficile, mais nombre de praticiens très expérimentés considèrent que Sam Rivers est un vrai génie et bien plus qu’un « soliste » alors que des artistes estimables sont parfois mythomanes et obsédés par une soif de reconnaissance puérile. On sait que des artistes de sa trempe restent avant tout des personnes très modestes.
Une fois arrivé à NYC après cette tournée Japonaise avec Miles Davis, Sam Rivers a enregistré, outre ses quatre albums Blue Note (Fuchsia Swing Song, A New Conception, Contours et Dimensions and Extensions), avec Anthony Williams ( Lifetime et Spring ), Andrew Hill (Changes publié dans Involution) et Larry Young (Into Something) tous chez Blue Note. Cela a fait dire à des connaisseurs experts que Sam Rivers n’était pas vraiment un musicien « free » jusqu’à cela devienne « la mode » en 1969 quand il tournait en Europe avec Cecil Taylor. Il devait être plutôt un sessionman qu’un créateur « free » pur et dur avec le profil ad hoc.. La vérité est que lorsqu’on écoute soigneusement ses improvisations et qu’on connaît un tant soit peu l’artiste, il est évident que Sam Rivers n’a pas attendu d’avoir écouté Coltrane, Eric Dolphy et Ornette Coleman pour se mettre à créer son propre jazz d’avant-garde. Il y a de nombreux témoignages de ses concerts et répétitions « free – avant-garde » à Boston dans les années cinquante et début soixante. Il a toujours écouté ses plus brillants collègues, mais avec son très haut niveau musical, il s’est inventé un style très personnel fuyant, élastique qui ne doit pas un seul iota de notes , de modes , de constructions mélodiques et de substrats harmoniques à ses collègues fussent-ils John Coltrane ou Eric Dolphy. Dans son style personnel aux saxophones et à la flûte évite le moindre emprunt à un de ses pairs. Sa manière d’improviser subtilement n’appartient qu’à lui tout comme des artistes tels que Braxton, Evan Parker et Lol Coxhill, bien à l’écart de la lingua franca be-bop, jazz modal ou free. D’ailleurs, né en 1923, Sam Rivers est plus âgé que Trane, Rollins, Dolphy et Ornette.
Ayant suivi intensément un enseignement « académique » avec entre autres le compositeur arménien US Alan Hohvaness, Sam Rivers est sans doute parmi ses contemporain, et la génération suivante, un des meilleurs connaisseurs des arcanes des musiques modales (polymodales) contemporaines. Le virtuose du tuba, Bob Stewart a déclaré que Sam Rivers a écrit les partitions les plus abouties et réjouissantes pour son instrument qu’il ait jamais joué. Une fois que Bob Stewart a quitté son grand orchestre, c’est le tromboniste Joe Daley qui l’a remplacé et celui-ci est devenu une référence incontournable du tuba en jazz contemporain (avec batterie et souffleur saxophoniste) sous la houlette de Sam Rivers. De même, le batteur Warren Smith, un véritable percussionniste classique (et contemporain), était complètement bluffé par l’écriture de Sam pour la percussion où le moindre détail est noté avec la plus grande précision.
Musicien et compositeur complexe, sa musique gravite entre la plus grande spontanéité – il suffit de l’entendre crier durant ses improvisations ou vocaliser dans sa flûte – (cfr Perugia et Villalago , deux doubles LP Horo 1976 avec Daley et Sydney Smart) et des formes qui ont l’apparence d’être contraignante (cfr Waves / ECM avec George Lewis Dave Holland et Thurman Barker). On pense aussi à Anthony Braxton, compositeur prodige avec qui il a partagé des collaborateurs (Altschul, Holland, Thurman Barker, George Lewis) au sein de leurs groupes respectifs. Plus âgé et à l’instar de Cecil Taylor , Sam Rivers fut invité par l’organisation FMP à Berlin et y enregistra trois albums pour le label FMP : un solo , un duo avec Alexander von Schlippenbach (un virtuose du piano « classique ») et un Berlin Workshop avec des musiciens Berlinois. Peut – être allez-vous penser que je suis élitiste. Mais étant « profondément égoïste » , je déteste m’ennuyer en écoutant de la musique pour mon plaisir.
Si vous aimé la musique "folle" et expressive rien de tel que ses Streams Live à Montreux avec Norman Connors et Cecil Mc Bee (1973) ou ses Trio Live Sessions avec le même McBee ou Arild Andersen et Barry Altschul, tous deux publiés par Impulse. Le trio avec Altschul et Holland est représenté par The Quest/ Red Records 1976 et Paragon (Fluid 1977), une collaboration avec Don Pullen avec le bassiste Alex Blake et le batteur Bobby Battle, un de ses batteurs habituels : Capricorn Rising (Black Saint). Son trio avec Warren Smith et le tubiste Joe Daley en trois volumes vinyles enregistrés au Bim Huis et publié par Circle Records. Nato eut soin d'organiser des sessions de Sam Rivers avec Tony Hymas, Noël Akchoté, Jacques Thollot et trois albums Nato figurent en bonne place dans sa discographie. Et le label lithuanien No Business vient de publier six cd's d'archives qui retracent sa saga sur les scènes : https://nobusinessrecords.com/cd-catalog.html. Mais on trouve sur le label IAI de Paul Bley, deux remarquables LP's en duo de Sam avec David Holland, chaque face étant consacrée à un de ses instruments : sax ténor, soprano, flûte et piano. Une musique "de chambre" musclée et fascinante qui fit les beaux jours de toute une génération ! Finalement, lors d'un festival en son honneur à la Columbia University, le label PI Recordings enregistre le chant du cygne alors qu'il est âgé de plus de 80 ans : Reunion Live in New York avec Barry Altschul et Dave Holland, un album magique à la hauteur de ses concerts des années septante.
Cet espèce de livre – ligne du temps – compte-rendu minutieux bourré de références et autres digressions, vous fera réfléchir sur l’évolution d’un artiste exceptionnel. Cet ouvrage réalisé collectivement sous la direction de Rick Lopez n’a aucun équivalent à ma connaissance et mérite qu’on s’y plonge. Ça nous changera de l’opus délirant rédigé à la mémoire de Derek Bailey dont je tais le titre par pudeur et nombre de commentaires réducteurs et mal informés de certains critiques. Dans ce livre « énorme » , ses faits et gestes sont détaillés par le menu. On accorde de l’importance à toux ceux qui ont travaillé avec lui, comme par exemple le bassiste Steve Tintweiss, le batteur Shelley Rusten et le pianiste Burton Greene qui expriment leur enthousiasme, son intégrité artistique et son ouvertue profondément amicale.
Exceptionnel !!
https://www.gofundme.com/f/sam-rivers-sessionography
Une brique, quelques kilos de papier, une somme contenant le déroulement quasi quotidien de la vie de créateur de Sam Rivers, saxophoniste, flûtiste, pianiste et violiste (alto) : sessions d’enregistrements officiellement publiées et sources privées répandues dans un public de « privilégiés », cassettes, bandes magnétiques, radios, concerts, tournées,gigs insignifiants, collaborations, photos, affiches, articles, interviews glanées dans une multitude de magazines, journaux et émissions radio, ateliers / workshops, studio RivBea, vie de famille, origine familiale, une kyrielle de collaborateurs musiciens, témoins de toute origine et d’admirateurs éblouis. Rick Lopez, l’auteur, est déjà coupable des sessionnographies de Cecil Taylor et de William Parker.
Pourquoi Sam Rivers ? Il excelle dans cinq instruments : les sax ténor et soprano, la flûte, le piano et le « violon » alto. Dans le monde des médias jazz, on retient sa participation éphémère à un quintet de Miles Davis et un génial solo free cadrant à merveille "So What " en 1963 à Tokyo. Mais sait-on seulement qu’il fut le mentor de Tony Williams. Trois albums Blue Note dans les années 60 dont un, Fuchsia Swing Song est resté dans les mémoires comme le parangon du jazz moderne « In & Out » prenant le maximum de liberté contrôlée avec des structures très précises où les musiciens (Tony Williams, Ron Carter et Jaki Byard) semblent « jouer à l’envers » et de manière audacieuse et parfois acrobatique. De cet album, un standard "moderne, Béatrice, en hommage à son épouse. Et puis, l’Europe le découvre lors de la quatrième tournée « européenne » de Cecil Taylor (cfr Second Act of A sur les six faces des albums Shandar 1969). Il ressurgit en 1973 avec Cecil Mc Bee et Norman Connors et avec Braxton, Rivers truste le fabuleux tandem rythmique David Holland et Barry Altschul. Sous la houlette de David Holland, il enregistre Conference of the Birds avec les deux autres, disque ECM considéré comme incontournable . Un big band est publié par Impulse , Crystals, qu’il vaut mieux écouter en CD pour se faire une belle idée du talent de compositeur et d’orchestrateur de son leader. Il multiplie les apparitions dans un nombre considérable de festivals et de clubs entre les années 73-74 dans de longues séquences composées dans le feu de l’action, son jeu complexe, serpentin et insaisissable indiquant à ces compagnons comment évoluer. En l’absence de « sa » rythmique fétiche avec Holland ou Mc Bee et Altschul, il tourne avec un tubiste (Joe Daley) et un percussionniste classique de haut vol (Warren Smith) inaugurant le trio ou quartet où le tuba remplace la contrebasse en jouant aussi le rôle du trombone ! Et puis sa carrière internationale s’effrite sous les coups de boutoir du showbizz jazzeux, de la critique hasardeuse ( Stanley Crouch etc…) et de la mode . Sam joue ensuite dans le groupe de Dizzy Gillespie , un génie comme lui ou son propre quartet plus électrique (cfr album Marge publié par le fidèle Gérard Terronès). Cette saga scénique et musicale est retracée aujourd’hui par six compacts d’archives chez No Business, un label lithuanien exemplaire, qui documente plusieurs phases des trios – quartettes et quintette à deux batteries (Altschul et Charlie Persip !!) . Mais, Sam Rivers n’est pas un saxophoniste « free » comme les autres , c’est un authentique maître de musique qui vit au-delà de toute forme de contingences. Face à un tel géant certains « ténors » de la scène sont musicalement parlant des faire-valoir talentueux qui ont l’art des bons contacts et qui se sont créés un profil avantageux parfois un peu « mytho ». Mais surtout , Sam Rivers n’est pas du tout prétentieux, ni un mégalomane , tout chez lui repose sur son engagement sans limite et sa générosité et l’importance fondamentale d’une recherche et d’une créativité musicale intense. Dans sa vie et avec l’aide de sa famille (son épouse Bea Rivers et ses filles), Sam anima le « Loft Jazz » le plus célèbre de SoHo à deux pas du « Village » au cœur de Manhattan : le RivBea studio, conçu au départ comme lieu de répétition et de rencontre ouvert quasiment à toute heure, accueillant des dizaines de collègues et voyageurs de tout le pays et du monde entier.
Sam et Bea louent le lieu à l’artiste Victoria Admiral, la mère de Martin Scorcese. À l’étage, vivent Patti Smith et le photographe Robert Mapplethorpe, souvent présent au RivBea. Rivers y crée ses propres orchestres « variables » appréciés des musiciens les plus exigeants qui y jouent gratos vu l’intérêt musical et cela permet à ceux qui apprennent de satisfaire leur appétit et progresser. Petit à petit, les concerts se multiplient , ses gamines récoltant les donations libres à l’entrée, Sam et Bea au fourneau pour nourrir les invités de passage. Son organisation servit de point central à des festivals multi-lieux (Ali’s Alley, Environ, Ladies’ Fort etc…) qui rassemblaient quelques dizaines de groupes la même semaine. On peut citer plusieurs grand noms du free – jazz de l’époque qui furent ou sont encore des têtes d’affiche, des saxophonistes légendaires. Le producteur Alan Douglas (The Last Poets, Jimi Hendrix et John McLaughlin) publia cinq LP’s intitulés Wildflowers Loft jazz Sessions avec le who’s who du free jazz. De nombreux musiciens d’envergure et autres insiders sont formels : Sam Rivers était un artiste d’une étoffe supérieure, un architecte de la musique vivante ayant assimilé organiquement un étendue de connaissances et de savoirs musicaux d’une qualité exceptionnelle. David Holland déclare que Sam fut sa principale influence (alors qu’il a travaillé avec Miles Davis, Anthony Braxton, Jack De Johnette etc…) et Steve Coleman le considère comme un très grand du jazz comme Dizzy Gillespie, ou ces génies méconnus tels Andrew Hill et Herbie Nichols. Steve lui a donné un solide coup de pouce en faisant enregistrer et publier son grand orchestre (Celebration) en CD dans les années 90 . Lui – même qui a accompagné T Bone Walker et Billie Holliday dans sa jeunesse et découvert le talent de Tony Williams, alors un très jeune adolescent, déclare que son expérience la plus importante furent les années aux côtés de Cecil Taylor avec Jimmy Lyons et Andrew Cyrille. Une fois la magie du loft jazz new yorkais évanouie, Bea et Sam s’établissentt ensuite loin des feux de la rampe à Orlando en Floride en animant un grand orchestre et en évoluant dans sa musique en trio avec entre autres Doug Matthews et Anthony Cole de superbes multi-instrumentistes. Son but était avant tout de continuer à travailler sa musique à transmettre ses connaissances à composer, car il se considérait avant tout comme un compositeur, activité pour laquelle il reçut de nombreuses commandes, classiques et contemporaines à l’intersection de la musique sérieuse contemporaine et de l’expression afro-américaine, entre autres à Harlem et dans des villes où la communauté est prépondérante. Cette activité à Orlando se situe en droite ligne du travail initié au studio Riv Bea.
Sam figure aussi sur un album très rare de Jeanne Lee et un opus audio d’une grande poétesse Japonaise, Kazuko Shiraishi , et n’a jamais hésité à satisfaire un producteur en publiant un album plus « jazz-rock » électrique avec le trio Holland Altschul augmenté du guitariste Ted Dunbar ( Sizzle / Impulse) Ou à tourner et enregistrer dans son quartet "électrique" avec Jerry Bird, Rael-Wesley Grant et Steve Ellington, un de ses fidèles batteurs. Au-delà de sa discographie officielle liée à ses tournées internationales et répartie sur différents labels, certains de ceux-ci ayant disparu ou documentant un groupe d’une tournée, soit le sommet de l’iceberg, Sam Rivers s’est affirmé comme un créateur d’exception au niveau de saxophonistes comme Ornette Coleman, Steve Lacy, Anthony Braxton ou Evan Parker et de compositeurs instrumentistes comme Mingus et Gillespie. Mais peu de choses ont été publiées si ce n’est trois albums en big band (dont Crystals / Impulse) et une tournée européenne du SR Orchestra eut lieu en 1979. Je sais bien que certains d’entre vous entretiennent des cultes de musiciens sous – estimés et négligés ou décédés trop jeunes et que le jeu des comparaisons est difficile, mais nombre de praticiens très expérimentés considèrent que Sam Rivers est un vrai génie et bien plus qu’un « soliste » alors que des artistes estimables sont parfois mythomanes et obsédés par une soif de reconnaissance puérile. On sait que des artistes de sa trempe restent avant tout des personnes très modestes.
Une fois arrivé à NYC après cette tournée Japonaise avec Miles Davis, Sam Rivers a enregistré, outre ses quatre albums Blue Note (Fuchsia Swing Song, A New Conception, Contours et Dimensions and Extensions), avec Anthony Williams ( Lifetime et Spring ), Andrew Hill (Changes publié dans Involution) et Larry Young (Into Something) tous chez Blue Note. Cela a fait dire à des connaisseurs experts que Sam Rivers n’était pas vraiment un musicien « free » jusqu’à cela devienne « la mode » en 1969 quand il tournait en Europe avec Cecil Taylor. Il devait être plutôt un sessionman qu’un créateur « free » pur et dur avec le profil ad hoc.. La vérité est que lorsqu’on écoute soigneusement ses improvisations et qu’on connaît un tant soit peu l’artiste, il est évident que Sam Rivers n’a pas attendu d’avoir écouté Coltrane, Eric Dolphy et Ornette Coleman pour se mettre à créer son propre jazz d’avant-garde. Il y a de nombreux témoignages de ses concerts et répétitions « free – avant-garde » à Boston dans les années cinquante et début soixante. Il a toujours écouté ses plus brillants collègues, mais avec son très haut niveau musical, il s’est inventé un style très personnel fuyant, élastique qui ne doit pas un seul iota de notes , de modes , de constructions mélodiques et de substrats harmoniques à ses collègues fussent-ils John Coltrane ou Eric Dolphy. Dans son style personnel aux saxophones et à la flûte évite le moindre emprunt à un de ses pairs. Sa manière d’improviser subtilement n’appartient qu’à lui tout comme des artistes tels que Braxton, Evan Parker et Lol Coxhill, bien à l’écart de la lingua franca be-bop, jazz modal ou free. D’ailleurs, né en 1923, Sam Rivers est plus âgé que Trane, Rollins, Dolphy et Ornette.
Ayant suivi intensément un enseignement « académique » avec entre autres le compositeur arménien US Alan Hohvaness, Sam Rivers est sans doute parmi ses contemporain, et la génération suivante, un des meilleurs connaisseurs des arcanes des musiques modales (polymodales) contemporaines. Le virtuose du tuba, Bob Stewart a déclaré que Sam Rivers a écrit les partitions les plus abouties et réjouissantes pour son instrument qu’il ait jamais joué. Une fois que Bob Stewart a quitté son grand orchestre, c’est le tromboniste Joe Daley qui l’a remplacé et celui-ci est devenu une référence incontournable du tuba en jazz contemporain (avec batterie et souffleur saxophoniste) sous la houlette de Sam Rivers. De même, le batteur Warren Smith, un véritable percussionniste classique (et contemporain), était complètement bluffé par l’écriture de Sam pour la percussion où le moindre détail est noté avec la plus grande précision.
Musicien et compositeur complexe, sa musique gravite entre la plus grande spontanéité – il suffit de l’entendre crier durant ses improvisations ou vocaliser dans sa flûte – (cfr Perugia et Villalago , deux doubles LP Horo 1976 avec Daley et Sydney Smart) et des formes qui ont l’apparence d’être contraignante (cfr Waves / ECM avec George Lewis Dave Holland et Thurman Barker). On pense aussi à Anthony Braxton, compositeur prodige avec qui il a partagé des collaborateurs (Altschul, Holland, Thurman Barker, George Lewis) au sein de leurs groupes respectifs. Plus âgé et à l’instar de Cecil Taylor , Sam Rivers fut invité par l’organisation FMP à Berlin et y enregistra trois albums pour le label FMP : un solo , un duo avec Alexander von Schlippenbach (un virtuose du piano « classique ») et un Berlin Workshop avec des musiciens Berlinois. Peut – être allez-vous penser que je suis élitiste. Mais étant « profondément égoïste » , je déteste m’ennuyer en écoutant de la musique pour mon plaisir.
Si vous aimé la musique "folle" et expressive rien de tel que ses Streams Live à Montreux avec Norman Connors et Cecil Mc Bee (1973) ou ses Trio Live Sessions avec le même McBee ou Arild Andersen et Barry Altschul, tous deux publiés par Impulse. Le trio avec Altschul et Holland est représenté par The Quest/ Red Records 1976 et Paragon (Fluid 1977), une collaboration avec Don Pullen avec le bassiste Alex Blake et le batteur Bobby Battle, un de ses batteurs habituels : Capricorn Rising (Black Saint). Son trio avec Warren Smith et le tubiste Joe Daley en trois volumes vinyles enregistrés au Bim Huis et publié par Circle Records. Nato eut soin d'organiser des sessions de Sam Rivers avec Tony Hymas, Noël Akchoté, Jacques Thollot et trois albums Nato figurent en bonne place dans sa discographie. Et le label lithuanien No Business vient de publier six cd's d'archives qui retracent sa saga sur les scènes : https://nobusinessrecords.com/cd-catalog.html. Mais on trouve sur le label IAI de Paul Bley, deux remarquables LP's en duo de Sam avec David Holland, chaque face étant consacrée à un de ses instruments : sax ténor, soprano, flûte et piano. Une musique "de chambre" musclée et fascinante qui fit les beaux jours de toute une génération ! Finalement, lors d'un festival en son honneur à la Columbia University, le label PI Recordings enregistre le chant du cygne alors qu'il est âgé de plus de 80 ans : Reunion Live in New York avec Barry Altschul et Dave Holland, un album magique à la hauteur de ses concerts des années septante.
Cet espèce de livre – ligne du temps – compte-rendu minutieux bourré de références et autres digressions, vous fera réfléchir sur l’évolution d’un artiste exceptionnel. Cet ouvrage réalisé collectivement sous la direction de Rick Lopez n’a aucun équivalent à ma connaissance et mérite qu’on s’y plonge. Ça nous changera de l’opus délirant rédigé à la mémoire de Derek Bailey dont je tais le titre par pudeur et nombre de commentaires réducteurs et mal informés de certains critiques. Dans ce livre « énorme » , ses faits et gestes sont détaillés par le menu. On accorde de l’importance à toux ceux qui ont travaillé avec lui, comme par exemple le bassiste Steve Tintweiss, le batteur Shelley Rusten et le pianiste Burton Greene qui expriment leur enthousiasme, son intégrité artistique et son ouvertue profondément amicale.
Exceptionnel !!
Free Improvising Singer and improvised music writer.
Inscription à :
Articles (Atom)