16 janvier 2024

Sam Rivers A Sessionography. by Rick Lopez

Sam Rivers A Sessionography. Rick Lopez.
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Une brique, quelques kilos de papier, une somme contenant le déroulement quasi quotidien de la vie de créateur de Sam Rivers, saxophoniste, flûtiste, pianiste et violiste (alto) : sessions d’enregistrements officiellement publiées et sources privées répandues dans un public de « privilégiés », cassettes, bandes magnétiques, radios, concerts, tournées,gigs insignifiants, collaborations, photos, affiches, articles, interviews glanées dans une multitude de magazines, journaux et émissions radio, ateliers / workshops, studio RivBea, vie de famille, origine familiale, une kyrielle de collaborateurs musiciens, témoins de toute origine et d’admirateurs éblouis. Rick Lopez, l’auteur, est déjà coupable des sessionnographies de Cecil Taylor et de William Parker.
Pourquoi Sam Rivers ? Il excelle dans cinq instruments : les sax ténor et soprano, la flûte, le piano et le « violon » alto. Dans le monde des médias jazz, on retient sa participation éphémère à un quintet de Miles Davis et un génial solo free cadrant à merveille "So What " en 1963 à Tokyo. Mais sait-on seulement qu’il fut le mentor de Tony Williams. Trois albums Blue Note dans les années 60 dont un, Fuchsia Swing Song est resté dans les mémoires comme le parangon du jazz moderne « In & Out » prenant le maximum de liberté contrôlée avec des structures très précises où les musiciens (Tony Williams, Ron Carter et Jaki Byard) semblent « jouer à l’envers » et de manière audacieuse et parfois acrobatique. De cet album, un standard "moderne, Béatrice, en hommage à son épouse. Et puis, l’Europe le découvre lors de la quatrième tournée « européenne » de Cecil Taylor (cfr Second Act of A sur les six faces des albums Shandar 1969). Il ressurgit en 1973 avec Cecil Mc Bee et Norman Connors et avec Braxton, Rivers truste le fabuleux tandem rythmique David Holland et Barry Altschul. Sous la houlette de David Holland, il enregistre Conference of the Birds avec les deux autres, disque ECM considéré comme incontournable . Un big band est publié par Impulse , Crystals, qu’il vaut mieux écouter en CD pour se faire une belle idée du talent de compositeur et d’orchestrateur de son leader. Il multiplie les apparitions dans un nombre considérable de festivals et de clubs entre les années 73-74 dans de longues séquences composées dans le feu de l’action, son jeu complexe, serpentin et insaisissable indiquant à ces compagnons comment évoluer. En l’absence de « sa » rythmique fétiche avec Holland ou Mc Bee et Altschul, il tourne avec un tubiste (Joe Daley) et un percussionniste classique de haut vol (Warren Smith) inaugurant le trio ou quartet où le tuba remplace la contrebasse en jouant aussi le rôle du trombone ! Et puis sa carrière internationale s’effrite sous les coups de boutoir du showbizz jazzeux, de la critique hasardeuse ( Stanley Crouch etc…) et de la mode . Sam joue ensuite dans le groupe de Dizzy Gillespie , un génie comme lui ou son propre quartet plus électrique (cfr album Marge publié par le fidèle Gérard Terronès). Cette saga scénique et musicale est retracée aujourd’hui par six compacts d’archives chez No Business, un label lithuanien exemplaire, qui documente plusieurs phases des trios – quartettes et quintette à deux batteries (Altschul et Charlie Persip !!) . Mais, Sam Rivers n’est pas un saxophoniste « free » comme les autres , c’est un authentique maître de musique qui vit au-delà de toute forme de contingences. Face à un tel géant certains « ténors » de la scène sont musicalement parlant des faire-valoir talentueux qui ont l’art des bons contacts et qui se sont créés un profil avantageux parfois un peu « mytho ». Mais surtout , Sam Rivers n’est pas du tout prétentieux, ni un mégalomane , tout chez lui repose sur son engagement sans limite et sa générosité et l’importance fondamentale d’une recherche et d’une créativité musicale intense. Dans sa vie et avec l’aide de sa famille (son épouse Bea Rivers et ses filles), Sam anima le « Loft Jazz » le plus célèbre de SoHo à deux pas du « Village » au cœur de Manhattan : le RivBea studio, conçu au départ comme lieu de répétition et de rencontre ouvert quasiment à toute heure, accueillant des dizaines de collègues et voyageurs de tout le pays et du monde entier.
Sam et Bea louent le lieu à l’artiste Victoria Admiral, la mère de Martin Scorcese. À l’étage, vivent Patti Smith et le photographe Robert Mapplethorpe, souvent présent au RivBea. Rivers y crée ses propres orchestres « variables » appréciés des musiciens les plus exigeants qui y jouent gratos vu l’intérêt musical et cela permet à ceux qui apprennent de satisfaire leur appétit et progresser. Petit à petit, les concerts se multiplient , ses gamines récoltant les donations libres à l’entrée, Sam et Bea au fourneau pour nourrir les invités de passage. Son organisation servit de point central à des festivals multi-lieux (Ali’s Alley, Environ, Ladies’ Fort etc…) qui rassemblaient quelques dizaines de groupes la même semaine. On peut citer plusieurs grand noms du free – jazz de l’époque qui furent ou sont encore des têtes d’affiche, des saxophonistes légendaires. Le producteur Alan Douglas (The Last Poets, Jimi Hendrix et John McLaughlin) publia cinq LP’s intitulés Wildflowers Loft jazz Sessions avec le who’s who du free jazz. De nombreux musiciens d’envergure et autres insiders sont formels : Sam Rivers était un artiste d’une étoffe supérieure, un architecte de la musique vivante ayant assimilé organiquement un étendue de connaissances et de savoirs musicaux d’une qualité exceptionnelle. David Holland déclare que Sam fut sa principale influence (alors qu’il a travaillé avec Miles Davis, Anthony Braxton, Jack De Johnette etc…) et Steve Coleman le considère comme un très grand du jazz comme Dizzy Gillespie, ou ces génies méconnus tels Andrew Hill et Herbie Nichols. Steve lui a donné un solide coup de pouce en faisant enregistrer et publier son grand orchestre (Celebration) en CD dans les années 90 . Lui – même qui a accompagné T Bone Walker et Billie Holliday dans sa jeunesse et découvert le talent de Tony Williams, alors un très jeune adolescent, déclare que son expérience la plus importante furent les années aux côtés de Cecil Taylor avec Jimmy Lyons et Andrew Cyrille. Une fois la magie du loft jazz new yorkais évanouie, Bea et Sam s’établissentt ensuite loin des feux de la rampe à Orlando en Floride en animant un grand orchestre et en évoluant dans sa musique en trio avec entre autres Doug Matthews et Anthony Cole de superbes multi-instrumentistes. Son but était avant tout de continuer à travailler sa musique à transmettre ses connaissances à composer, car il se considérait avant tout comme un compositeur, activité pour laquelle il reçut de nombreuses commandes, classiques et contemporaines à l’intersection de la musique sérieuse contemporaine et de l’expression afro-américaine, entre autres à Harlem et dans des villes où la communauté est prépondérante. Cette activité à Orlando se situe en droite ligne du travail initié au studio Riv Bea.
Sam figure aussi sur un album très rare de Jeanne Lee et un opus audio d’une grande poétesse Japonaise, Kazuko Shiraishi , et n’a jamais hésité à satisfaire un producteur en publiant un album plus « jazz-rock » électrique avec le trio Holland Altschul augmenté du guitariste Ted Dunbar ( Sizzle / Impulse) Ou à tourner et enregistrer dans son quartet "électrique" avec Jerry Bird, Rael-Wesley Grant et Steve Ellington, un de ses fidèles batteurs. Au-delà de sa discographie officielle liée à ses tournées internationales et répartie sur différents labels, certains de ceux-ci ayant disparu ou documentant un groupe d’une tournée, soit le sommet de l’iceberg, Sam Rivers s’est affirmé comme un créateur d’exception au niveau de saxophonistes comme Ornette Coleman, Steve Lacy, Anthony Braxton ou Evan Parker et de compositeurs instrumentistes comme Mingus et Gillespie. Mais peu de choses ont été publiées si ce n’est trois albums en big band (dont Crystals / Impulse) et une tournée européenne du SR Orchestra eut lieu en 1979. Je sais bien que certains d’entre vous entretiennent des cultes de musiciens sous – estimés et négligés ou décédés trop jeunes et que le jeu des comparaisons est difficile, mais nombre de praticiens très expérimentés considèrent que Sam Rivers est un vrai génie et bien plus qu’un « soliste » alors que des artistes estimables sont parfois mythomanes et obsédés par une soif de reconnaissance puérile. On sait que des artistes de sa trempe restent avant tout des personnes très modestes.
Une fois arrivé à NYC après cette tournée Japonaise avec Miles Davis, Sam Rivers a enregistré, outre ses quatre albums Blue Note (Fuchsia Swing Song, A New Conception, Contours et Dimensions and Extensions), avec Anthony Williams ( Lifetime et Spring ), Andrew Hill (Changes publié dans Involution) et Larry Young (Into Something) tous chez Blue Note. Cela a fait dire à des connaisseurs experts que Sam Rivers n’était pas vraiment un musicien « free » jusqu’à cela devienne « la mode » en 1969 quand il tournait en Europe avec Cecil Taylor. Il devait être plutôt un sessionman qu’un créateur « free » pur et dur avec le profil ad hoc.. La vérité est que lorsqu’on écoute soigneusement ses improvisations et qu’on connaît un tant soit peu l’artiste, il est évident que Sam Rivers n’a pas attendu d’avoir écouté Coltrane, Eric Dolphy et Ornette Coleman pour se mettre à créer son propre jazz d’avant-garde. Il y a de nombreux témoignages de ses concerts et répétitions « free – avant-garde » à Boston dans les années cinquante et début soixante. Il a toujours écouté ses plus brillants collègues, mais avec son très haut niveau musical, il s’est inventé un style très personnel fuyant, élastique qui ne doit pas un seul iota de notes , de modes , de constructions mélodiques et de substrats harmoniques à ses collègues fussent-ils John Coltrane ou Eric Dolphy. Dans son style personnel aux saxophones et à la flûte évite le moindre emprunt à un de ses pairs. Sa manière d’improviser subtilement n’appartient qu’à lui tout comme des artistes tels que Braxton, Evan Parker et Lol Coxhill, bien à l’écart de la lingua franca be-bop, jazz modal ou free. D’ailleurs, né en 1923, Sam Rivers est plus âgé que Trane, Rollins, Dolphy et Ornette.
Ayant suivi intensément un enseignement « académique » avec entre autres le compositeur arménien US Alan Hohvaness, Sam Rivers est sans doute parmi ses contemporain, et la génération suivante, un des meilleurs connaisseurs des arcanes des musiques modales (polymodales) contemporaines. Le virtuose du tuba, Bob Stewart a déclaré que Sam Rivers a écrit les partitions les plus abouties et réjouissantes pour son instrument qu’il ait jamais joué. Une fois que Bob Stewart a quitté son grand orchestre, c’est le tromboniste Joe Daley qui l’a remplacé et celui-ci est devenu une référence incontournable du tuba en jazz contemporain (avec batterie et souffleur saxophoniste) sous la houlette de Sam Rivers. De même, le batteur Warren Smith, un véritable percussionniste classique (et contemporain), était complètement bluffé par l’écriture de Sam pour la percussion où le moindre détail est noté avec la plus grande précision.
Musicien et compositeur complexe, sa musique gravite entre la plus grande spontanéité – il suffit de l’entendre crier durant ses improvisations ou vocaliser dans sa flûte – (cfr Perugia et Villalago , deux doubles LP Horo 1976 avec Daley et Sydney Smart) et des formes qui ont l’apparence d’être contraignante (cfr Waves / ECM avec George Lewis Dave Holland et Thurman Barker). On pense aussi à Anthony Braxton, compositeur prodige avec qui il a partagé des collaborateurs (Altschul, Holland, Thurman Barker, George Lewis) au sein de leurs groupes respectifs. Plus âgé et à l’instar de Cecil Taylor , Sam Rivers fut invité par l’organisation FMP à Berlin et y enregistra trois albums pour le label FMP : un solo , un duo avec Alexander von Schlippenbach (un virtuose du piano « classique ») et un Berlin Workshop avec des musiciens Berlinois. Peut – être allez-vous penser que je suis élitiste. Mais étant « profondément égoïste » , je déteste m’ennuyer en écoutant de la musique pour mon plaisir.
Si vous aimé la musique "folle" et expressive rien de tel que ses Streams Live à Montreux avec Norman Connors et Cecil Mc Bee (1973) ou ses Trio Live Sessions avec le même McBee ou Arild Andersen et Barry Altschul, tous deux publiés par Impulse. Le trio avec Altschul et Holland est représenté par The Quest/ Red Records 1976 et Paragon (Fluid 1977), une collaboration avec Don Pullen avec le bassiste Alex Blake et le batteur Bobby Battle, un de ses batteurs habituels : Capricorn Rising (Black Saint). Son trio avec Warren Smith et le tubiste Joe Daley en trois volumes vinyles enregistrés au Bim Huis et publié par Circle Records. Nato eut soin d'organiser des sessions de Sam Rivers avec Tony Hymas, Noël Akchoté, Jacques Thollot et trois albums Nato figurent en bonne place dans sa discographie. Et le label lithuanien No Business vient de publier six cd's d'archives qui retracent sa saga sur les scènes : https://nobusinessrecords.com/cd-catalog.html. Mais on trouve sur le label IAI de Paul Bley, deux remarquables LP's en duo de Sam avec David Holland, chaque face étant consacrée à un de ses instruments : sax ténor, soprano, flûte et piano. Une musique "de chambre" musclée et fascinante qui fit les beaux jours de toute une génération ! Finalement, lors d'un festival en son honneur à la Columbia University, le label PI Recordings enregistre le chant du cygne alors qu'il est âgé de plus de 80 ans : Reunion Live in New York avec Barry Altschul et Dave Holland, un album magique à la hauteur de ses concerts des années septante.
Cet espèce de livre – ligne du temps – compte-rendu minutieux bourré de références et autres digressions, vous fera réfléchir sur l’évolution d’un artiste exceptionnel. Cet ouvrage réalisé collectivement sous la direction de Rick Lopez n’a aucun équivalent à ma connaissance et mérite qu’on s’y plonge. Ça nous changera de l’opus délirant rédigé à la mémoire de Derek Bailey dont je tais le titre par pudeur et nombre de commentaires réducteurs et mal informés de certains critiques. Dans ce livre « énorme » , ses faits et gestes sont détaillés par le menu. On accorde de l’importance à toux ceux qui ont travaillé avec lui, comme par exemple le bassiste Steve Tintweiss, le batteur Shelley Rusten et le pianiste Burton Greene qui expriment leur enthousiasme, son intégrité artistique et son ouvertue profondément amicale.
Exceptionnel !!

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