Trichotomy Dave Burrell Bobby Kapp Ivo Perelman Mahakala Music
https://ivoperelman.bandcamp.com/album/trichotomy
Deux vétérans de l’an zéro du free-jazz New-Yorkais et leur vécu et le saxophoniste Brésilien de la deuxième génération suivante, Ivo Perelman. Dave Burrell était un des pianistes clé de la révolution du free-jazz (New Thing) dès le début des années soixante, on le découvre en compagnie de Pharoah Sanders dans l’album Tauhid (avec Henry Grimes, Sonny Sharrock 1967), avec Linda & Sonny Sharrock dans Black Woman (avec Milford Graves,Ted Daniel et Sirone, 1969) et il a joué dans les groupes d’Archie Shepp de la première moitié des années septante et par la suite avec David Murray. Outre ses deux albums BYG ( Echo et La Bohême), Dave Burrell a enregistré et publié l’album « High » en 1968 pour Douglas où il livre une version légendaire de West Side Story sur la face A du disque et des East Side Colors sur la face B accompagné d’un « A.M. Rag » , Margie Pargie où officie Sunny Murray. Dans tout le reste de la session West Side et East Side plus les inédits publiés plus tard, c’est l’obscur batteur Bobby Kapp qui tient la batterie avec Sirone à la contrebasse. Ce Bobby Kapp joue aussi dans l’album ESP « In Search of Mystery” de Gato Barbieri, l'album de Gato le plus “free” enregistré en 1967 avec Sirone / Norris Jones et le violoncelliste Calo Scott. Disparu au Mexique, ce batteur vétéran refait surface il y a quelques années en trio avec Ivo Perelman et Matthew Shipp dans les albums The Art of Perelman-Shipp vol. 2 « Tarvos», ainsi que Heptagon (Leo Rds) et Ineffable Joy (ESP) avec William Parker à la contrebasse. Et Bobby Kapp se révèle être un batteur (free) parmi les meilleurs, avec une exquise qualité de toucher des frappes avec de superbes nuances et un super sens du tempo, des solutions polyrythmiques voisines du Tony Williams « free ». Revenons aux premiers enregistrements de Dave Burrell avec Bobby Kapp et le long morceau avec Sunny Murray. Ils avaient été réédités par Arista Freedom et Michael Cuscuna en double LP incluant deux versions de chacune des compositions qui font partie du Medley « Theme Stream ». On le trouve en CD publié par Black Lion (Alan Bates) sous le titre High Won – High Two . Cette musique de 1968 mérite d’être réécoutée à la lumière de cette nouvelle Trichotomy. Dave Burrell est un cas d’école dans le free-jazz. Quand il joue « free » comme dans ce superbe Trichotomy son jeu baigne toujours dans une vision de la musique populaire afro-américaine similaire à celle qu’il l’a vécue et conçue en 1968 avec son ami Bobby Kapp et qu’il avait alors confiée à la bande magnétique. Important : sa musique n’est pas vraiment une héritière des Bud Powell, Red Garland, etc… mais trouve ses racines chez les pianistes de boogie, de minstrels, de rythm n’blues etc… On l’entend jouer « vraiment » free dans East Side Colors en compagnie de Sunny Murray où il déborde les barres de mesure avec un jeu post-monkien fait de clusters joyeux, de voicing désarticulés, des mouvements amples reposant sur une scansion tournoyantes de graves majestueux et de vagues de notes navigant à vue autour de centre tonaux ou charriant des paquets de dissonances martelées, atonalité épidermique. Rappelons aussi que Dave Burrell est un des neuf pianistes qui a enregistré Brass and Ivory Tales en duo avec Ivo Perelman (coffret 9CD Fundacja Sluchaj)
Depuis cette époque qu’il fallait que j’évoque, le jeu free de Burrell s’est raffiné, articulé et prompt au dialogue empathique. C’est donc un vrai bonheur de l’entendre avec ce batteur sensible qu'est Bobby Kapp et distingué et le saxophone ténor fumant d’Ivo Perelman. Les harmoniques du ténor s’élèvent et spiralent dans un lyrisme unique et se marient merveilleusement au jeu basique, terrien et inspiré de Burrell. Ils se trouvent l'un l'autre dans l’articulation sautillante et ludique d’ostinatos en roue libre où le souffleur peut laisser libre cours à ses cris suraigus et expressifs et à son invention mélodique. La caisse claire et les cymbales de Bobby Kapp en rugissent de plaisir, l’esprit du batteur vif-argent suit et anticipe les pulsations organiques de ses deux compères. Burrell est un connaisseur savant des harmonies ancré dans l’esprit et la pratique de la musique populaire afro-américaine et son bagage classique. Durant les longues trente minutes de One, il s’affirme comme un pianiste free jonglant avec la matière rythmique des décalages main gauche – main droite rejoignant parfois l’Irene Schweizer du trio historique avec Louis Moholo et Rudiger Carl. Toute son attention est concentrée sur l’équilibre instable et tournoyant du trio se refusant à « soloïser » car il joue la carte collective, celle de la construction triangulaire mouvante à base d’accords concentriques empilés, tuilés, enchaînés en écho, réitérés à l’envi : à la fois construction pyramidale infinie, ressac de pavés sous les vagues ascendantes d’une marée haute infinie par dessus des abysses invisibles, énorme serpent entourant les fûts vibrants de son vieux camarade. Ivo Perelman n’a plus qu’à se laisser emporter par ce flux puissant tout en nourrissant l’imagination de ses compagnons par ses volutes déchirantes et ses inflexions étirant les notes aiguës jouées au-dessus de la tessiture du sax ténor. Du cri Aylérien des Ghosts et Spirits, il s’est inventé une langue « brésilienne » lyrique et tragique, souple et mordante, imprégée de saudade. Lorsque le souffleur fait une pause, la batterie crépite au plus près d’une pulsation obsessionnelle et les doigts du pianiste sursautent à l’instar de ces pianistes free européens qui perçoivent une brèche dans le flux`inexorable. Mais enchaînant avec son comping cosmique d’accords granitiques, Dave Burrell imprime encore irrévocablement sa marque en tournoyant dans les sphères des harmonies, avant que le souffle vaporeux d’Ivo l’aide, lui et Bobby Kapp, à atterrir. Il faut noter que le style enveloppant de Dave Burrell basé sur la pression puissante des touches basses du piano offre un champ d’action ouvert dans l’espace sonore du trio à ces deux camarades : la batterie aux cymbales cristallines et à la caisse claire crépitante et les spirales microtonales et morsures du bec du saxophoniste, un des plus lyriques sax ténor qui soit. Il y a donc une lisibilité quasi-transparente dans leur masse sonore qui éclaire le jeu de chacun. Fort heureusement, c’est un tout autre décor qui nous attend dans les quinze minutes de Two, une improvisation libre où chacun s’observe méticuleusement et propose graduellement un trilogue, le batteur aux cymbales et puis seulement aux balais , le saxophoniste articulant en double et triple détaché petit à petit parsemés de cris – pleurs dans cet ultra aigu qu’il fait chanter comme personne, alors, qu’impassible, le pianiste balise lentement les contours d’une ballade imaginaire avec des notes graves qui croulent sous leur poids. Chaque séquence successive est négociée spontanément et forme une suite à la fois plus aérée et plus dense de sens. La spirale s’emballe, se tord et nous renvoie à nos fantômes. Un album exemplaire qui révèle de brillants artistes dans un superbe travail collectif.
Scraps , very old and almost new solo guitar pieces Enzo Rocco digital album
https://enzorocco.bandcamp.com/album/scraps-very-old-and-almost-new-solo-guitar-pieces
Une superbe anthologie de compositions improvisations d’Enzo Rocco à la guitare électrique sans fioritures électroniques, ni effet. Purement « musical » , son travail est focalisé sur l’extension des possibilités harmoniques et mélodico rythmiques basée sur une notion du swing qui ignore les barres de mesure tout en en tenant compte. La plupart des morceaux sont assez courts, parfois très, un seul, une longue ballade distendue, atteint les dix minutes (Remix Suite n°2). Ces témoignages précieux ont été recueillis à différentes périodes de ces vingt dernières années et plus. Pour information, Enzo Rocco a souvent travaillé avec le saxophoniste Carlo Actis Dato, une personnalité atypique dont la musique a fait le tour du monde, et a enregistré « the London Duos " avec Lol Coxhill, Veryan Weston, John Edwards et Steve Noble en 1999, à l’époque où ces deux derniers n'étaient aussi demandés qu’ils le sont aujourd’hui. Ce témoignage réalisé grâce à l’accueil de son ami John Russell (R.I.P.) donne toute la mesure de l’énergie et du charisme de ce super guitariste méridional , pas loin d’un Joe Morris. Par la suite, il grava the Gradisca Concert avec Lol Coxhill, mémorable ! (Label Amirani). Notre trio Sureau a partagé le cd « the Leuven Concert » avec le duo d’Enzo et du saxophoniste soprano Gianni Mimmo. Il s’est trouvé un critique (Français « non-idiomatique ») pour louanger notre trio et déconsidérer le travail d’Enzo, sans doute parce que plus « conventionnel » ou « idiomatique». Il se fait que John Russell, archétype de l’improvisateur «non-idiomatique»a toujours eu la plus haute estime pour Enzo Rocco : cet album se termine d’ailleurs par Dear John dans le style Russellien – Derek « acoustique » frappadingue. En fait, selon John Russell, le style de Derek Bailey (et le sien) est basé sur les positions des doigts de la main gauche des accords augmentés – diminués, septième,neuvième, majeur- mineur (etc…) de la guitare jazz swing / be-bop revue par les conceptions harmoniques avancées des Bill Evans et consorts et mis à la sauce « atonale » schönberg-webernienne chère à Derek (et John Stevens !). Dans la musique d’Enzo Rocco, lequel a un background jazz similaire, la recherche se fait au niveau de motifs mélodico-rythmiques qu’il déforme, déconstruit et reconstruit méthodiquement en chamboulant adroitement quelques paramètres qui en bouleversent la perspective.
Avant d’ouvrir grand sa gueule pour dire ou écrire des conneries sur le dos de collègues, il faut être assez adulte pour comprendre les intentions esthétiques d’un artiste. Si je dois moi-même disséquer les attitudes et élucubrations de certains, on va rire. Un peu de respect quand-même ! Bref, les seize secondes de Introibo suggèrent habilement l’influence d’Ornette Coleman et de la femme solitaire. Le note à note de Peaches Brew false start en montagne russe et détours harmoniques est admirable de concision, mais une autre version « réussie » est proposée plus loin. Strings Study n°1 cultive l’art du glissando enchaîné avec une logique remarquable. Les fanas de l’harmolodisme ornettien pourraient bien se pencher sur ses miniatures, de véritables leçons de choses guitaristiques « free » lumineuses. Thumbs : jeu ahanant à coups de pouce en cascade et toujours cette logique implacable qui a l’art de dérailler, surprendre et ânonner à la fois. Myxolidian Study est assez décoiffant, un véritable morceau d’anthologie. Ce qui est remarquable c’est l’extrême concision qui tire un maximum de ces motifs mélodico – rythmiques en moins de temps qu’il ne faut pour le dire (ou l'écrire). Cette conception du temps court est l’ennemie du bavardage. Tout est concentré le temps d'une face de 45 tours. Voudriez-vous convaincre un jeune guitariste qui se cherche dans les arcanes de la créativité « free » cet album Scraps (traduit : restes , rebuts) est le premier choix. Hanging Harmonics est une étude sur les harmoniques, technique hyper utilisée par Derek Bailey de manière absolument extraordinaire et toujours inégalée. Ok ici ! Peaches Brew est l’archétype de la scansion d’un hymne free hérissé sur ses ergots avec des accents placés sur des temps intermédiaires et une science accomplie du zig zag qui tournoie de plaisir. Hi – Lo est joué avec une sourdine manuelle absolument délicieuse, ligne de basses et ligne d’aigus simultanées. Le genre de truc qu’un super guitariste de studio est appelé à faire illico presto, mais chez Enzo, il y a une expression artistique indéniable. Je vais m’arrêter là dans les descriptions. Voilà un guitariste créatif parmi les meilleurs d’Europe. Vous pensez bien que si Lol Coxhill adorait jouer avec lui , c’est qu’Enzo Rocco est un guitariste inventif lumineux et un créateur sincère et fûté.
Nicola Guazzaloca & Gianni Mimmo Herbstreise Amirani amrn 071
https://www.amiranirecords.com/editions/herbstreise
Tout comme de nombreux jazzmen pianistes ou saxophonistes de Jazz ont puisé dans le thesaurus et les conceptions monkiennes pour créer leurs musiques, au premier chef Steve Lacy (mais aussi Rollins, Coltrane), Gianni Mimmo s’est largement inspiré de Steve Lacy, lui – même, dans le cadre de l’improvisation instantanée au saxophone soprano. Quoi de plus légitime ! Son travail au saxophone est plus que remarquable, virtuose aussi et subtil. Avec son ami, le pianiste Nicolà Guazzaloca, Gianni Mimmo crée ici un ensemble structuré de dix-sept improvisations / compositions très courtes subdivisées en trois chapitres : une introduction de trois miniatures : A Silver Lining (2:23) : vif et sinueux, Unsailed Ship , (1:35) en suspension, et However Negligible (1:17) sautillant. Une deuxième partie intitulée RAINS où il est question parmi sept pièces de Those Rainy Days (2:14), Late Rain (2:03), The Rain of the Last Few Days (2:56). Dans l’une d’elles, le pianiste évoque adroitement l’effet produit par la chute de gouttes de pluie tombant sur un sol résonnant. Les sept derniers morceaux sont rassemblés sous le titre de FOUR LIEDER. C’est un excellent album, le genre d’albums qui va plus loin qu’une tentative, qu’une documentation, qu’une carte de visite. Mais celui d’un témoignage essentiel à conserver soigneusement dans sa collection. Ce n’est pas la première fois que Gianni Mimmo et Nicolas Guazzaloca travaillent et enregistrent ensemble : The Shoreditch Concert (2009 amirani AMRN 023) et the Shoreditch Trio Live in Brussels (2010 amirani AMRN 29) avec la violoncelliste Hannah Marshall. Nicola Guazzaloca est aussi le graphiste en chef du label Amirani et y a publié une série impressionnante d’albums en solo (Tecniche Archaiche, Techniche Archaiche Live at Angelica) ou en duos (Lucca & Bologna Concerts avec l’altiste Szilard Mezei et Noble Art avec le pianiste Thollem Mc Donas). Après avoir travaillé intensément avec le pianiste Gianni Lenoci jusqu'à sa disparition il y a quelques années, Gianni Mimmo trouve en Guazzaloca l’alter-ego idéal et quel pianiste !
Équipé au point de vue technique, création de formes et inspiration instantanée, ce pianiste force le respect et l’enthousiasme sur la longue distance de l’improvisation comme on peut le découvrir dans ses albums solos formidablement construits et détaillés. Avec Mimmo, le pianiste reconsidère son jeu, le concentre au maximum et l’adapte savamment pour coïncider aux intentions et aux affects du souffleur et aux contingences des formes courtes où la quintessence doit être exprimée en deux minutes, pour ensuite passer à une autre approche à chaque morceau suivant, l’ensemble de l’album ayant été enregistré le 22 février 2022. Au fil des pièces enregistrées en une seule session, on entend se soulever un crescendo intérieur qui transcende l’énergie, l’expressivité et la connivence intime des deux artistes. Si on dit que Gianni Mimmo « est un élève » (copiste ?) de Steve Lacy, il faut alors constater que ce saxophoniste italien a acquis toutes les clés du dialogue interactif avec un tout grand pianiste, grand maître de la libre improvisation instantanée, et à deux ils créent ici un modèle de dialogue sax – piano où chacun des instrumentistes est un créateur dans un processus de liberté et d’égalité partagée jointes à une inspiration confondante. L'inspiration Lacy-enne est ici entièrement re-contextualisée. Je vous défie de trouver beaucoup d’équivalents dans la discographie du « free-jazz » ou de la « free-music » dans la catégorie duo libre sax - piano (citons Ivo Perelman - Matt Shipp ou Trevor Watts - Veryan Weston ou Lol Coxhill- Verya Weston). C’est déjà en soi un exploit. Nicolà Guazzaloca s’affirme depuis de nombreuses années comme un des quelques pianistes marquants dans la lignée Taylor – Van Hove – Schlippenbach – Veryan Weston en Europe. Astablieft !
Miman 100 Bitar Egyl T. Kalmann Hans P. Kjorstadt Andreas Hoem Røysum LP motvind records. MOT15LP
https://miman.bandcamp.com/album/1000-bitar
Trio de musique improvisée norvégien “bucolique” , si on se laisse influencer par la peinture du recto de pochette, montrant une cabane au bord d’un lac entouré de la verdure d’arbres et d’oiseaux dont un semble prêt à quitter sa branche pour happer une proie dans un cours d’eau. Les photos du verso montrent les MIMAN plongés dans la nature. Miman est censé être un trio clarinettes – violon – contrebasse , mais si Andreas est enregistré seulement aux clarinettes basse et Mib, le contrebassiste Egyl joue ici aussi du synthé modulaire et de la batterie et Hans , le violoniste, tâte de l’harmonium indien à deux reprises. Un morceau les rassemblent avec six bouteilles de bière (Six Moving Beers For Frederyk Rasten).
C’est joyeux, décontracté, un air « free-folk » et une volonté de non - conformité à un quelconque diktat stylistico- esthético- idéologique avec l’avantage de la jeunesse curieuse et enthousiaste. Les avoir rencontré sur une scène « ouverte » de la série Jazzzaj à Budapest fut une belle surprise. Rien que du plaisir. Un trio jouant une musique flexible, un peu déroutante qui prend le parti de se chercher une identité fugace. Le royaume de l’éphémère. Et pourtant le clarinettiste Andreas Røysum , un géant, triture la colonne d’air et glousse comme une basse-cour de gallinacées picorant leur destin, mordant les harmoniques. La contrebasse solidement charpentée d’Egyl Kalmann qui fonctionne à merveille avec le violon et la clarinette laisse cède la place à une batterie rustique un brin pagailleuse. Son synthé modulaire enhardit la musique vers un horizon différent alors que Hans Kjorstad le violoniste, jouant de l’harmonium indien la cadre en relançant le souffleur qui entonne un air modal. Et il accompagne à la guitare le violoniste et le clarinettiste dans une gigue enjouée. Tout cela s’emboîte dans dix morceaux aussi différents les uns que les autres et qu’on situerait entre free-folk et libre improvisation sans faire la moindre concession à « la joliesse ». Avec mes deux potes de Budapest, Zsolt Sörès (alto) et Oliver Mayne (vibraphone), nous nous sommes commis dans un concert conjoint en jouant les uns avec les autres dans plusieurs combinaisons instrumentales de courte durée. Il fut alors évident que ces trois « jeunes » musiciens (jeunes par rapport à nous, le trio VVV) sont des improvisateurs libres expérimentés et sagaces.
Consacré aux musiques improvisées (libre, radicale,totale, free-jazz), aux productions d'enregistrements indépendants, aux idées et idéaux qui s'inscrivent dans la pratique vivante de ces musiques à l'écart des idéologies. Nouveautés et parutions datées pour souligner qu'il s'agit pour beaucoup du travail d'une vie. Orynx est le 1er album de voix solo de J-M Van Schouwburg. https://orynx.bandcamp.com
31 mars 2023
Dave Burrell Bobby Kapp Ivo Perelman/ Enzo Rocco/ Nicolà Guazzaloca & Gianni Mimmo / Miman Egyl T. Kalmann Hans P. Kjorstadt Andreas Hoem Røysum
Free Improvising Singer and improvised music writer.
24 mars 2023
King Übü Orkestrü 2021 Erhard Hirt, Stefan Keune, Marc Charig Axel Dörner Matthias Muche Melvyn Poore Phil Wachsmann Alfred Zimmerlin Hans Schneider Paul Lytton + Phil Minton/ Zsolt Sörés - Ahad/ Jean-Marc Foussat Carlos Zingaro et Urs Leimgruber
Roi King Übü Örchestrü 2021 Erhard Hirt, Stefan Keune, Marc Charig , Axel Dörner, Matthias Muche, Melvyn Poore, Phil Wachsmann, Alfred Zimmerlin, Hans Schneider Paul Lytton + Phil Minton FMR Records FMRCD653-0822
https://handaxe.bandcam.com/album/roi
Après une absence d’une vingtaine d’années et le décès de son co-fondateur, le clarinettiste – saxophoniste Wolfgang Fuchs, voici que le King Übü Örchestrü renait de ses cendres à l’initiative de son autre co-fondateur, le guitariste Erhard Hirt, le quel avait quitté le navire assez tôt dans l’évolution de ce tentet consacré à l’improvisation radicale depuis 1983. Sans doute, suite à la résurgence du quartet autour duquel King Übü avait été assemblé au départ, le légendaire X-Pact, formé de Fuchs, du percussionniste Paul Lytton, du guitariste Erhard Hirt et du contrebassiste Hans Schneider, lesquels font actuellement partie du King Übü 2021, l'idée de faire revivre ce tentet exceptionnel a germé à bon escient.Il suffit d'écouter cette merveille pour s'en convaincre. Le tubiste Melvyn Poore, le violoncelliste Alfred Zimmerlin, les trompettistes Marc Charig et Axel Dörner avaient joué dans l’Örchestrü et le vocaliste Phil Minton avait été l’invité de leur dernier CD pour a/l/l. Nouveaux venus : le tromboniste Matthias Muche et le saxophoniste Stefan Keune, lui-même membre de l’actuel X-Pact. Roi est composé de deux longues improvisations collectives Roi 3 (27 :05) et Roi 4 (35 :06) . Un ancien membre du groupe a fait remarquer que sans Radu Malfatti (parti vers d’autres cieux sonores), Günter Christmann (qui a cessé de se produire en concert) et Wolfgang Fuchs (décédé), il n’y avait pas lieu de ressusciter ce groupe légendaire. Ce qui est certain c’est qu’il y a assez de membres originaux qui ont ramé toute leur vie pour jouer cette musique durant des dizaines d’années et que le contenu et l’approche esthétique d’Übü se perpétue avec un vrai bonheur. Un groupe unique en son genre. Pas de solos et d' «improvisations individuelles », mais une dimension orchestrale où chaque intervenant apporte des éléments, des sons, des couleurs, des bruits, des fragments de « phrases » en alternance en utilisant aussi des espaces individuels de silence, des tutti à l’unisson et des actions – réactions contrastées, pointillistes. Percussionniste du groupe, Paul Lytton offre la garantie de la discrétion question roulements de caisses, style « jeu de batterie », fracas de cymbales sauf à quelques moments choisis. De ses ustensiles percussifs et objets et cordes de guitare tendues et amplifiées , il introduit de petites touches, grattages, micro-frappes et bruissements de ses ustensiles percussifs et ses live electronics. De même, la guitare + laptop d’Erhard Hirt. Les instruments à vent se relaient et s’assemblent, grondent, sussurent, gargouillent ou suggèrent des harmonies secrètes et des clusters alors que les trois cordistes Wachsmann, Zimmerlin et Schneider nourrissent épisodiquement la pâte sonore ou impriment leurs frottements d’intensité variables dans le silence relatif. La musique est soit suspendue, s’étire, se densifie pour s’évanouir quelques secondes plus tard, ou s’exaspère. Chacun à son tour, les improvisateurs peuvent très bien apporter une fragment de phrase, un son, un timbre et cela se répond, se croise et très vite re-font un bref silence ou se retiennent de jouer jusqu’à ce que leur vienne une idée lumineuse. Ou alors le silence est presque total, afin que Phil Minton puisse émettre ses gargouillis et onomatopées improbables, vocalises – glissandi mirifiques. Pour son retour sur scène, King Übü Örchestrü se révèle être resté un très grand Örchestrü, sans aucun doute un ou "le" modèle du genre. En fait la musique ne repose pas sur les exploits instrumentaux individuels, mais sur le jeu collectif et une très grande écoute mutuelle. Lytton, par exemple, est ébouriffant de virtuosité batteriste auprès d’ Evan Parker et Barry Guy, mais vous n’entendrez rien de cela ici, pas le moindre instant. Fantastique album de musique improvisée COLLECTIVE qui vaut vraiment le détour .
AHAD’S FLUX WORLDS 1 Nemo Point Soundmap For Terrestrial Melanoheliophobics Ahad aka Zsolt Sörés Fourth Dimension Records / Hinge Thunder FD2CD136 / HT2CD-005
https://hingethunder.bandcamp.com/album/nemo-point-soundmap-for-terrestrial-melanoheliophobics-ahads-flux-worlds-1
AHAD’S FLUX WORLDS 2 Astro Noetic Chiasm χ, Ahad aka Zsolt Sörés LP Hinge Thunder / Fourth Dimension Records HTLP-005 FDLP 136
https://hingethunder.bandcamp.com/album/astro-noetic-chiasm-ahads-flux-worlds-2
Attention ! Ces deux albums, vinyle et double cd contiennent des enregistrements différents et complémentaires de l’artiste sonore et altiste (viola) hongrois , Zsolt Sörès a/k/a AHAD , lequel anima ô combien de nuits et de soirées rencontres à Budapest et en Hongrie incarnant une musique noise particulièrement travaillée d’un point de vue sonore et musical. Bruitisme radical d’un improvisateur à l’oreille aiguisée et une conscience profonde des interrelations entre textures, fréquences, dynamiques, intensités. Ces deux documents révélateurs de son travail sont le fruit intense et très prémédité de sa résidence Berlinoise de l’année 2022 sous les auspices de la légendaire DAAD. Forte personnalité, AHAD - Sörés se révèle aussi flexible qu’il est intransigeant sur la qualité musicale. Au fil du temps, il est devenu un collaborateur très apprécié et au point qu’il joue, enregistre et tourne avec les deux pôles du légendaire groupe FAUST, Jean-Hervé Peron et « Zappy » Diermayer. Je vous passe l’aspect sémantico-idéologique des titres de Zsolt, pour me concentrer sur son travail musical, libre à vous de trouver ce que bon vous semble dans cet univers musical. L’album vinyle « Astro Noetic Chiasm χ" est enregistré avec le concours de Franz Hautzinger (trompette), Anthea Caddy et Judith Hamann (violoncelles), Mihàly Kádár (live sound, effects) et Zsolt Sörès lui-même, crédité alto à cinq cordes, cymbale par-dessus l’alto, objets vibrants, « Mole-Rat Electromagnetic Field Explorer » (sic), Domino Synth, EBow. La musique composée par Ahad aka Zsolt Sörés, «Astro-Noetic Chiasm χ - For Ensemble (2021-2022)» et commissionée par Ultraschall Berlin – Festival Für Neue Musik 2022. Deux Faces A et B de respectivement 21 :18 pour Astro - Noetic Chiasm χ (A,B) et 21 :00 pour Astro - Noetic Chiasm χ (Γ). On retrouve ces trois titres (A, B et Γ) dans le CD1 de l’album « Ahad’s Flux Worlds 1 Nemo Point Soundmap etc… » dans des versions enregistrées en studio par Zsolt lui-même à concurrence de 12 :10, 10 :04 et 07 :11. Pour l’entièreté de ce double CD et ses sept compositions, il est crédité 5 String Viola, Fretless Bass, Grand Piano, Mellotron, Cymbal on the Top of the Viola, Percussions, Storm Drum, Bowed Copper Belt, Moog Theremini, Domino Syth, Dictaphone, Mole-Rat Electromagnetic Field Explorer, EBow, Roland Re-201 Space Echo, Objects, Vibrating Objects, Contact Microphone. Il se sert d’une partie de ses instruments dans chacune de ses compositions, certaines affublées de titres en grec (Ponéros Logos (Ponerogenesi , 38 :29 la plus longue du CD1) ou énigmatique comme Nemo point Soundmap for Terrestrial Melanoheliophobics (45:16) la plus longue du CD2 Celui-ci contient aussi Something about the Great Filter (30 :26). Ahad Anthem, son hymne, termine le CD1 et est concentré sur 7:31. Question production et réalisation, on est frappé par la précision, la qualité graphique et sonore du produit. On pourrait penser que sa formation scientifique et littéraire (Zsolt a été longtemps éditeur à l’Académie des Sciences de Hongrie) ferait de lui une sorte de Professeur Tournesol du noise science-fictionnesque, impression renforcée par l’apparence très ludique et bricoleuse de sa table d’instruments amplifiés. Mais à l’écoute de ces deux albums et en le connaissant un tant soit peu personnellement, on s’aperçoit assez vite que Zsolt Sörés est un solide performer musical, véritablement lucide, et un compositeur à part entière. Il sait exactement ce qu’il fait musicalement et la haute qualité des différentes prises de son, du mixage et mastering (Puha Szabolcs – un ingé-son hors pair) permet de pénétrer le mieux possible dans son univers musical et sonore. Ce n’est pas pour rien qu’il a obtenu la Résidence d’artiste DAAD 2022 à Berlin. Les deux pochettes détaillent les lieux de chaque enregistrement et certaines circonstances créatives. Rien n’est laissé au hasard. Z.S.peut aussi s’adonner à des improvisations débridées avec I Belong To The Band ou le percussionniste Rudi Fischlehner (cfr albums The Bakers of the Lost Future et Attention Span Reset). Mais ici, il a choisi de créer une œuvre aussi immédiatement instantanée que structurée au niveau des couches, des événements sonores, de la dynamique au niveau textural, des intensités, du développement mono/pluridimensionnel, du choix des fréquences, de la durée etc… Du noise de haut niveau réalisé avec une intense exigence esthétique. La qualité des timbres et des agrégats de sons électroniques renforcent son message comme un couteau ultra-aiguisé permet de s’avancer dans la jungle. Something about the Great Filter fait référence à Metal Music de György Galántai (1983).Avec Ahad Anthem, une des pièces les plus courtes Zsolt utilise sa voix brute et des effets respiratoires dans des incantations successives d’un rite d’une civilisation chamanique disparue ou à venir dans un futur lointain avec une touche de re-recording. Il vaut mieux ne pas essayer de mémoriser ou de savoir avec quels instruments la musique a été construite, même si les notes de pochette l’indiquent avec précision. Point de départ ou terme final de son périple et de ses extravagances, cet Anthem est une des clés des deux albums comme le sont les versions live des Astro Noetic Chiasm χ contenues à dessein dans le vinyle et qui introduisent le double CD comme un vade – mecum qui aidera l’auditeur (même féru de Noise) à s’acclimater aux trois longues compositions qui constituent le cœur de cette œuvre : Πονερóς λόγος (Πονερογένεση)* - 38 :29 , Something about the Great Filter - 30 :26 et Nemo Point Soundmap … - 45 :16. Il est utile de comparer les versions solitaires des Astro-Noetic… du CD et celles « orchestrales » du vinyle pour saisir la liberté que le compositeur se donne et ses intentions fondamentales. Ce qui frappe à l’écoute des 38 :29 de Πονερóς λόγος (Πονερογένεση)*, c’est l’obstination évolutive d’une action répétée sur l’instrument, circonvenue de résonances électriques générées par ce processus. Un battement obsessionnel qui varie minutieusement au fil des secondes et des minutes. Il ne faut même pas essayer de comprendre l’action de l’instrumentiste à défaut de le voir, mais se laisser simplement emporter par le flux de l’action sonore. On aboutit alors à un stade intermédiaire vers la 13ème minute où un flux – faisceau de résonances sourdes, d’oscillations dans les graves et de frictions s’agrègent pour laisser place à un frottement lancinant bruitiste. Le silence joue un rôle important, car le moindre son,le moindre grésillement et la dynamique qui y préside se découpe avec précision dans celui-ci, bordé d’infra-sons, de micro-crissements. Au centre de l’action , l’archet de Zsolt pressure l’alto amplifié et trafiqué, lui-même bordé de vibrations sonores ou de sifflements mutiques qui finissent par envahir l’espace. On est déjà à la minute 20’ et la masse sonore s’agglutine, des graves bourdonnent, dérapent, s’enrayent : la trance bruitiste sous contrôle gémit, grogne, se déchire, siffle… mugit, … battements électrogènes obsédant, échos métalliques sur fond de drones vocalisés, murmures de la bête … Simultanément ascèse et effroi, expressionnisme et rage intellectuelle, chaman électro-acoustique, logique implacable… Franchement, à mon avis, notre magyar atypique n’a rien à envier à Keith Rowe et à d’autres gaillards de cette trempe. Généreux, il a bourré jusqu’à la gueule son double CD de trois pièces de première grandeur, longues à souhait, qui nécessitent un investissement en temps, énergie et disposition d’esprit à l'auditeur pour en appréhender les détails et toute la dramaturgie. En effet, au CD2, Something about the Great Filter, commence tout à fait autrement et nous fait entendre une autre type de jeux, de sonorités, d’actions lesquelles suivent une logique spécifique à cette longue composition laquelle peut être perçue comme une dérive surréaliste ou comme la poursuite maniaque d’une idée fixe. Les glissandi agressifs et métalliques obtenus avec le Dàn bầu, un monochorde vietnamien, muent étonnamment tout au long de l’exécution de cette pièce, en compagnie du Mole-Rat Electromagnetic Field Explorer, des Objets et Objets vibrants et le Roland RE-201 Space - Echo. Tous ces effets sonores volatiles s’agglutinent et virevoltent autour des vibrations sadiques encaissées par le Dàn bầu, avec une lisibilité surprenante pour ce type de musique où de nombreux praticiens ne sont pas à dix bavures près. Z.S. aurait pu consacrer trois albums différents pour chacune de ces trois très longues compositions… Mais, il y a urgence !!
Zsolt Sörès est un artiste essentiel de notre temps qui mérite d’être suivi et découvert pour la singularité de son travail acharné et de sa vision sonore.
Jean Marc Foussat Ombres Onctueuses FOU Records FR-LP 10
https://www.fourecords.com/FR-LP10.htm
https://fourecords.bandcamp.com/album/ombres-onctueuses
L’Aile d’Icare Jean-Marc Foussat Urs Leimgruber & Carlos Zingaro FOU Records FR – CD 44
https://www.fourecords.com/FR-CD44.htm
Pochette avec végétation méditerranéenne écran d’un ciel nuageux ou lumière solaire suggérée dans la pénombre de deux persiennes antiques dans une chambre quelque part. Dès le départ, on percute méchamment le cadre du piano alors que des boucles sifflantes vont et viennent, fuyantes ou menaçantes, saturées, agrégats suraigus, crachotements fumigènes, aigus exaspérés, éclairs électriques… . Vrombissements, rumeurs, sifflements, grondements de moteur aérien, boucles survoltées, cadences de machines en fin de course, sirènes … et piano qui intervient sans crier gare alors que s’effacent les stries électroniques dans un demi -silence…. ou qui déboule comme un intrus bien à son aise en Face B. Martèlements désinvoltes au clavier du meilleur effet. Depuis ses enregistrements qui emplissaient l’espace auditif, Jean-Marc Foussatcultive aujourd’hui une approche plus épurée, mystérieuse, secrète, qui peut aboutir à une saturation noise – agrégats de couches oscillantes ou frissonnantes, à d’exquis filets de sons, contrepoints volatiles ou glissandi ténébreux, le tout en enchaînement de cadavres exquis ou martèlements sadiques (aïïe le piano !). Et cette guimbarde qui clôt la face B d’Ombres Onctueuses, titre énigmatique de 33 tours – bouteille à la mer. Quand cette approche est conjuguée à la sagacité d’improvisateurs de haut vol (subtils et hyper expérimentés), c’est l’envol d’Icare sur son Aile mythique. Le saxophoniste Urs Leimgruber et le violoniste Carlos Zingaro ne jouent pas ici leur rôle « Leimgruber » ou « Zingaro » mais s’insèrent poétiquement dans l’état de nature de cette électronique analogique d’un autre temps. On n’entend pas le temps passer, on voit la musique défiler et deviner les interventions heureuses. L’art du fétu charrié par l’humeur du moment, le ronronnement hélicoïdal perturbé, le silence mis en valeur par le murmure de moteurs imaginaires, sifflements de l’au-delà, sifflet de l’ anche pressurée du sax soprano. L’archet strie la vibration de la corde aiguë du violon en s’agrégeant aux atterrissages de réacteurs vibrants et lointains. Un monde de sons ténus qui s’interpénètrent et se détachent dans le même mouvement. Voilà sûrement qui aurait fait la joie du label Potlatch à la sauce Oger années 2000, un cran au-dessus. Une musique exquise qui défie la logique des courants et la froidure des courants d’air. Et quand la lumière s’allume , des éclairs fusent et disparaissent. Générations spontanées successives de sons et timbres d’une mise en commun alternée de chacun des instruments qui se confondent, se dupliquent, se distinguent, se prolongent souvent en se rapprochant du silence. Interactivité organique. Le lyrisme extrême de Zingaro, la poésie de Leimgruber, le don du dosage raffiné de Foussat, la dynamique du trio, les heureux contrepoints heureux vers la minute 25 . Tout interpelle : la magie de moments uniques … et les silences signifiants nés de cette superbe improvisation collective qui se renouvelle avec une belle constance de bout en bout. Un des tous plus beaux albums de Jean- Marc Foussat au sommet de son art avec deux improvisateurs instrumentistes incontournables et complètement concernés à donner le meilleur d’eux-mêmes sans imposer un quelconque agenda. Un vrai partage sonore de l’instant et sa durée optimale. Pochette avec peinture de Carlos Zingaro, photo de Philippe Alen (l’écrivain – critique), comètes choisies dans le Livre des Miracles (16ème s), poème de Fernando Pessoa, enregistrement, mixage et mastering de Jean-Marc Foussat au four et au moulin. Cette fois-ci, il a gagné aussi le beurre, l’argent du beurre et les faveurs de l’auditeur.
https://handaxe.bandcam.com/album/roi
Après une absence d’une vingtaine d’années et le décès de son co-fondateur, le clarinettiste – saxophoniste Wolfgang Fuchs, voici que le King Übü Örchestrü renait de ses cendres à l’initiative de son autre co-fondateur, le guitariste Erhard Hirt, le quel avait quitté le navire assez tôt dans l’évolution de ce tentet consacré à l’improvisation radicale depuis 1983. Sans doute, suite à la résurgence du quartet autour duquel King Übü avait été assemblé au départ, le légendaire X-Pact, formé de Fuchs, du percussionniste Paul Lytton, du guitariste Erhard Hirt et du contrebassiste Hans Schneider, lesquels font actuellement partie du King Übü 2021, l'idée de faire revivre ce tentet exceptionnel a germé à bon escient.Il suffit d'écouter cette merveille pour s'en convaincre. Le tubiste Melvyn Poore, le violoncelliste Alfred Zimmerlin, les trompettistes Marc Charig et Axel Dörner avaient joué dans l’Örchestrü et le vocaliste Phil Minton avait été l’invité de leur dernier CD pour a/l/l. Nouveaux venus : le tromboniste Matthias Muche et le saxophoniste Stefan Keune, lui-même membre de l’actuel X-Pact. Roi est composé de deux longues improvisations collectives Roi 3 (27 :05) et Roi 4 (35 :06) . Un ancien membre du groupe a fait remarquer que sans Radu Malfatti (parti vers d’autres cieux sonores), Günter Christmann (qui a cessé de se produire en concert) et Wolfgang Fuchs (décédé), il n’y avait pas lieu de ressusciter ce groupe légendaire. Ce qui est certain c’est qu’il y a assez de membres originaux qui ont ramé toute leur vie pour jouer cette musique durant des dizaines d’années et que le contenu et l’approche esthétique d’Übü se perpétue avec un vrai bonheur. Un groupe unique en son genre. Pas de solos et d' «improvisations individuelles », mais une dimension orchestrale où chaque intervenant apporte des éléments, des sons, des couleurs, des bruits, des fragments de « phrases » en alternance en utilisant aussi des espaces individuels de silence, des tutti à l’unisson et des actions – réactions contrastées, pointillistes. Percussionniste du groupe, Paul Lytton offre la garantie de la discrétion question roulements de caisses, style « jeu de batterie », fracas de cymbales sauf à quelques moments choisis. De ses ustensiles percussifs et objets et cordes de guitare tendues et amplifiées , il introduit de petites touches, grattages, micro-frappes et bruissements de ses ustensiles percussifs et ses live electronics. De même, la guitare + laptop d’Erhard Hirt. Les instruments à vent se relaient et s’assemblent, grondent, sussurent, gargouillent ou suggèrent des harmonies secrètes et des clusters alors que les trois cordistes Wachsmann, Zimmerlin et Schneider nourrissent épisodiquement la pâte sonore ou impriment leurs frottements d’intensité variables dans le silence relatif. La musique est soit suspendue, s’étire, se densifie pour s’évanouir quelques secondes plus tard, ou s’exaspère. Chacun à son tour, les improvisateurs peuvent très bien apporter une fragment de phrase, un son, un timbre et cela se répond, se croise et très vite re-font un bref silence ou se retiennent de jouer jusqu’à ce que leur vienne une idée lumineuse. Ou alors le silence est presque total, afin que Phil Minton puisse émettre ses gargouillis et onomatopées improbables, vocalises – glissandi mirifiques. Pour son retour sur scène, King Übü Örchestrü se révèle être resté un très grand Örchestrü, sans aucun doute un ou "le" modèle du genre. En fait la musique ne repose pas sur les exploits instrumentaux individuels, mais sur le jeu collectif et une très grande écoute mutuelle. Lytton, par exemple, est ébouriffant de virtuosité batteriste auprès d’ Evan Parker et Barry Guy, mais vous n’entendrez rien de cela ici, pas le moindre instant. Fantastique album de musique improvisée COLLECTIVE qui vaut vraiment le détour .
AHAD’S FLUX WORLDS 1 Nemo Point Soundmap For Terrestrial Melanoheliophobics Ahad aka Zsolt Sörés Fourth Dimension Records / Hinge Thunder FD2CD136 / HT2CD-005
https://hingethunder.bandcamp.com/album/nemo-point-soundmap-for-terrestrial-melanoheliophobics-ahads-flux-worlds-1
https://hingethunder.bandcamp.com/album/astro-noetic-chiasm-ahads-flux-worlds-2
Attention ! Ces deux albums, vinyle et double cd contiennent des enregistrements différents et complémentaires de l’artiste sonore et altiste (viola) hongrois , Zsolt Sörès a/k/a AHAD , lequel anima ô combien de nuits et de soirées rencontres à Budapest et en Hongrie incarnant une musique noise particulièrement travaillée d’un point de vue sonore et musical. Bruitisme radical d’un improvisateur à l’oreille aiguisée et une conscience profonde des interrelations entre textures, fréquences, dynamiques, intensités. Ces deux documents révélateurs de son travail sont le fruit intense et très prémédité de sa résidence Berlinoise de l’année 2022 sous les auspices de la légendaire DAAD. Forte personnalité, AHAD - Sörés se révèle aussi flexible qu’il est intransigeant sur la qualité musicale. Au fil du temps, il est devenu un collaborateur très apprécié et au point qu’il joue, enregistre et tourne avec les deux pôles du légendaire groupe FAUST, Jean-Hervé Peron et « Zappy » Diermayer. Je vous passe l’aspect sémantico-idéologique des titres de Zsolt, pour me concentrer sur son travail musical, libre à vous de trouver ce que bon vous semble dans cet univers musical. L’album vinyle « Astro Noetic Chiasm χ" est enregistré avec le concours de Franz Hautzinger (trompette), Anthea Caddy et Judith Hamann (violoncelles), Mihàly Kádár (live sound, effects) et Zsolt Sörès lui-même, crédité alto à cinq cordes, cymbale par-dessus l’alto, objets vibrants, « Mole-Rat Electromagnetic Field Explorer » (sic), Domino Synth, EBow. La musique composée par Ahad aka Zsolt Sörés, «Astro-Noetic Chiasm χ - For Ensemble (2021-2022)» et commissionée par Ultraschall Berlin – Festival Für Neue Musik 2022. Deux Faces A et B de respectivement 21 :18 pour Astro - Noetic Chiasm χ (A,B) et 21 :00 pour Astro - Noetic Chiasm χ (Γ). On retrouve ces trois titres (A, B et Γ) dans le CD1 de l’album « Ahad’s Flux Worlds 1 Nemo Point Soundmap etc… » dans des versions enregistrées en studio par Zsolt lui-même à concurrence de 12 :10, 10 :04 et 07 :11. Pour l’entièreté de ce double CD et ses sept compositions, il est crédité 5 String Viola, Fretless Bass, Grand Piano, Mellotron, Cymbal on the Top of the Viola, Percussions, Storm Drum, Bowed Copper Belt, Moog Theremini, Domino Syth, Dictaphone, Mole-Rat Electromagnetic Field Explorer, EBow, Roland Re-201 Space Echo, Objects, Vibrating Objects, Contact Microphone. Il se sert d’une partie de ses instruments dans chacune de ses compositions, certaines affublées de titres en grec (Ponéros Logos (Ponerogenesi , 38 :29 la plus longue du CD1) ou énigmatique comme Nemo point Soundmap for Terrestrial Melanoheliophobics (45:16) la plus longue du CD2 Celui-ci contient aussi Something about the Great Filter (30 :26). Ahad Anthem, son hymne, termine le CD1 et est concentré sur 7:31. Question production et réalisation, on est frappé par la précision, la qualité graphique et sonore du produit. On pourrait penser que sa formation scientifique et littéraire (Zsolt a été longtemps éditeur à l’Académie des Sciences de Hongrie) ferait de lui une sorte de Professeur Tournesol du noise science-fictionnesque, impression renforcée par l’apparence très ludique et bricoleuse de sa table d’instruments amplifiés. Mais à l’écoute de ces deux albums et en le connaissant un tant soit peu personnellement, on s’aperçoit assez vite que Zsolt Sörés est un solide performer musical, véritablement lucide, et un compositeur à part entière. Il sait exactement ce qu’il fait musicalement et la haute qualité des différentes prises de son, du mixage et mastering (Puha Szabolcs – un ingé-son hors pair) permet de pénétrer le mieux possible dans son univers musical et sonore. Ce n’est pas pour rien qu’il a obtenu la Résidence d’artiste DAAD 2022 à Berlin. Les deux pochettes détaillent les lieux de chaque enregistrement et certaines circonstances créatives. Rien n’est laissé au hasard. Z.S.peut aussi s’adonner à des improvisations débridées avec I Belong To The Band ou le percussionniste Rudi Fischlehner (cfr albums The Bakers of the Lost Future et Attention Span Reset). Mais ici, il a choisi de créer une œuvre aussi immédiatement instantanée que structurée au niveau des couches, des événements sonores, de la dynamique au niveau textural, des intensités, du développement mono/pluridimensionnel, du choix des fréquences, de la durée etc… Du noise de haut niveau réalisé avec une intense exigence esthétique. La qualité des timbres et des agrégats de sons électroniques renforcent son message comme un couteau ultra-aiguisé permet de s’avancer dans la jungle. Something about the Great Filter fait référence à Metal Music de György Galántai (1983).Avec Ahad Anthem, une des pièces les plus courtes Zsolt utilise sa voix brute et des effets respiratoires dans des incantations successives d’un rite d’une civilisation chamanique disparue ou à venir dans un futur lointain avec une touche de re-recording. Il vaut mieux ne pas essayer de mémoriser ou de savoir avec quels instruments la musique a été construite, même si les notes de pochette l’indiquent avec précision. Point de départ ou terme final de son périple et de ses extravagances, cet Anthem est une des clés des deux albums comme le sont les versions live des Astro Noetic Chiasm χ contenues à dessein dans le vinyle et qui introduisent le double CD comme un vade – mecum qui aidera l’auditeur (même féru de Noise) à s’acclimater aux trois longues compositions qui constituent le cœur de cette œuvre : Πονερóς λόγος (Πονερογένεση)* - 38 :29 , Something about the Great Filter - 30 :26 et Nemo Point Soundmap … - 45 :16. Il est utile de comparer les versions solitaires des Astro-Noetic… du CD et celles « orchestrales » du vinyle pour saisir la liberté que le compositeur se donne et ses intentions fondamentales. Ce qui frappe à l’écoute des 38 :29 de Πονερóς λόγος (Πονερογένεση)*, c’est l’obstination évolutive d’une action répétée sur l’instrument, circonvenue de résonances électriques générées par ce processus. Un battement obsessionnel qui varie minutieusement au fil des secondes et des minutes. Il ne faut même pas essayer de comprendre l’action de l’instrumentiste à défaut de le voir, mais se laisser simplement emporter par le flux de l’action sonore. On aboutit alors à un stade intermédiaire vers la 13ème minute où un flux – faisceau de résonances sourdes, d’oscillations dans les graves et de frictions s’agrègent pour laisser place à un frottement lancinant bruitiste. Le silence joue un rôle important, car le moindre son,le moindre grésillement et la dynamique qui y préside se découpe avec précision dans celui-ci, bordé d’infra-sons, de micro-crissements. Au centre de l’action , l’archet de Zsolt pressure l’alto amplifié et trafiqué, lui-même bordé de vibrations sonores ou de sifflements mutiques qui finissent par envahir l’espace. On est déjà à la minute 20’ et la masse sonore s’agglutine, des graves bourdonnent, dérapent, s’enrayent : la trance bruitiste sous contrôle gémit, grogne, se déchire, siffle… mugit, … battements électrogènes obsédant, échos métalliques sur fond de drones vocalisés, murmures de la bête … Simultanément ascèse et effroi, expressionnisme et rage intellectuelle, chaman électro-acoustique, logique implacable… Franchement, à mon avis, notre magyar atypique n’a rien à envier à Keith Rowe et à d’autres gaillards de cette trempe. Généreux, il a bourré jusqu’à la gueule son double CD de trois pièces de première grandeur, longues à souhait, qui nécessitent un investissement en temps, énergie et disposition d’esprit à l'auditeur pour en appréhender les détails et toute la dramaturgie. En effet, au CD2, Something about the Great Filter, commence tout à fait autrement et nous fait entendre une autre type de jeux, de sonorités, d’actions lesquelles suivent une logique spécifique à cette longue composition laquelle peut être perçue comme une dérive surréaliste ou comme la poursuite maniaque d’une idée fixe. Les glissandi agressifs et métalliques obtenus avec le Dàn bầu, un monochorde vietnamien, muent étonnamment tout au long de l’exécution de cette pièce, en compagnie du Mole-Rat Electromagnetic Field Explorer, des Objets et Objets vibrants et le Roland RE-201 Space - Echo. Tous ces effets sonores volatiles s’agglutinent et virevoltent autour des vibrations sadiques encaissées par le Dàn bầu, avec une lisibilité surprenante pour ce type de musique où de nombreux praticiens ne sont pas à dix bavures près. Z.S. aurait pu consacrer trois albums différents pour chacune de ces trois très longues compositions… Mais, il y a urgence !!
Zsolt Sörès est un artiste essentiel de notre temps qui mérite d’être suivi et découvert pour la singularité de son travail acharné et de sa vision sonore.
Jean Marc Foussat Ombres Onctueuses FOU Records FR-LP 10
https://www.fourecords.com/FR-LP10.htm
https://fourecords.bandcamp.com/album/ombres-onctueuses
L’Aile d’Icare Jean-Marc Foussat Urs Leimgruber & Carlos Zingaro FOU Records FR – CD 44
https://www.fourecords.com/FR-CD44.htm
Pochette avec végétation méditerranéenne écran d’un ciel nuageux ou lumière solaire suggérée dans la pénombre de deux persiennes antiques dans une chambre quelque part. Dès le départ, on percute méchamment le cadre du piano alors que des boucles sifflantes vont et viennent, fuyantes ou menaçantes, saturées, agrégats suraigus, crachotements fumigènes, aigus exaspérés, éclairs électriques… . Vrombissements, rumeurs, sifflements, grondements de moteur aérien, boucles survoltées, cadences de machines en fin de course, sirènes … et piano qui intervient sans crier gare alors que s’effacent les stries électroniques dans un demi -silence…. ou qui déboule comme un intrus bien à son aise en Face B. Martèlements désinvoltes au clavier du meilleur effet. Depuis ses enregistrements qui emplissaient l’espace auditif, Jean-Marc Foussatcultive aujourd’hui une approche plus épurée, mystérieuse, secrète, qui peut aboutir à une saturation noise – agrégats de couches oscillantes ou frissonnantes, à d’exquis filets de sons, contrepoints volatiles ou glissandi ténébreux, le tout en enchaînement de cadavres exquis ou martèlements sadiques (aïïe le piano !). Et cette guimbarde qui clôt la face B d’Ombres Onctueuses, titre énigmatique de 33 tours – bouteille à la mer. Quand cette approche est conjuguée à la sagacité d’improvisateurs de haut vol (subtils et hyper expérimentés), c’est l’envol d’Icare sur son Aile mythique. Le saxophoniste Urs Leimgruber et le violoniste Carlos Zingaro ne jouent pas ici leur rôle « Leimgruber » ou « Zingaro » mais s’insèrent poétiquement dans l’état de nature de cette électronique analogique d’un autre temps. On n’entend pas le temps passer, on voit la musique défiler et deviner les interventions heureuses. L’art du fétu charrié par l’humeur du moment, le ronronnement hélicoïdal perturbé, le silence mis en valeur par le murmure de moteurs imaginaires, sifflements de l’au-delà, sifflet de l’ anche pressurée du sax soprano. L’archet strie la vibration de la corde aiguë du violon en s’agrégeant aux atterrissages de réacteurs vibrants et lointains. Un monde de sons ténus qui s’interpénètrent et se détachent dans le même mouvement. Voilà sûrement qui aurait fait la joie du label Potlatch à la sauce Oger années 2000, un cran au-dessus. Une musique exquise qui défie la logique des courants et la froidure des courants d’air. Et quand la lumière s’allume , des éclairs fusent et disparaissent. Générations spontanées successives de sons et timbres d’une mise en commun alternée de chacun des instruments qui se confondent, se dupliquent, se distinguent, se prolongent souvent en se rapprochant du silence. Interactivité organique. Le lyrisme extrême de Zingaro, la poésie de Leimgruber, le don du dosage raffiné de Foussat, la dynamique du trio, les heureux contrepoints heureux vers la minute 25 . Tout interpelle : la magie de moments uniques … et les silences signifiants nés de cette superbe improvisation collective qui se renouvelle avec une belle constance de bout en bout. Un des tous plus beaux albums de Jean- Marc Foussat au sommet de son art avec deux improvisateurs instrumentistes incontournables et complètement concernés à donner le meilleur d’eux-mêmes sans imposer un quelconque agenda. Un vrai partage sonore de l’instant et sa durée optimale. Pochette avec peinture de Carlos Zingaro, photo de Philippe Alen (l’écrivain – critique), comètes choisies dans le Livre des Miracles (16ème s), poème de Fernando Pessoa, enregistrement, mixage et mastering de Jean-Marc Foussat au four et au moulin. Cette fois-ci, il a gagné aussi le beurre, l’argent du beurre et les faveurs de l’auditeur.
Free Improvising Singer and improvised music writer.
22 mars 2023
Daunik Lazro Carlos Zingaro Joëlle Léandre Paul Lovens/ Ivo Perelman & Elliott Sharp/ Mark Sanders & Emil Karlsen /Christoph Gallio Silvan Jeger Gerry Hemingway
Madly You Daunik Lazro Carlos Zingaro Joëlle Léandre Paul Lovens FOU Records FR – CD 46.
https://www.fourecords.com/FR-CD46.htm
Réédition bienvenue d’un album brûlot publié il y a fort longtemps par Potlatch (P CD 102) et enregistré par Jean-Marc Foussat en mars 2001 au cours du Festival Banlieues Bleues, lequel Jean-Marc a pris l’initiative de l’insérer dans le catalogue chamarré de son label FOU Records. Vu la longueur des deux morceaux, Madly You fait 40:47 et Lyou Mad, 19:33, on peut penser que ce « super-groupe » est sans doute l’initiative personnelle de Daunik Lazro plutôt qu’une suggestion de Joëlle Léandre. En effet la contrebassiste parisienne préfère des formes plus courtes agrémentées éventuellement de duos alors que le saxophoniste, ici à l’alto et au baryton, ne craint pas les embardées jusqu’au boutiste et la persévérance risquée de maintenir le cap au fil de dizaines de minutes non-stop. Et comme Paul Lovens a toujours été prêt à tout, même à frapper dru alors qu’on le connait ultra – pointilliste dans nombre de circonstances circonstances. C'est donc l'option choisie par le batteur : abrupt et mystérieux, mais en finesse ! Par chance, a été convié ce super violoniste, Carlos Alves Zingaro, un des incontournables européens de la musique chambriste raffinée qui a lui-même autant d’affinités pour Léandre que pour Lazro, rencontré déjà dans les années 70. On sait que journalistes et amateurs avertis gambergent toujours face à ce genre de groupes composés de fortes personnalités « incontournables » . Question : la somme des talents conjugués ici apportent-ils un bonus, une féérie, des émotions etc… ?
Dès le départ les deux cordistes font grincer l’âme de leurs instruments et frottent à qui mieux mieux alors que Daunik Lazro et ses harmoniques aiguës entonnent déjà le cri de guerre. Frappant à peine au départ, Paul Lovens répond par une flagrante explosion qui retombe aussi vite, laissant le quartet suspendre son vol dans un rythme de croisière apaisé tout en donnant l’impression que la cocotte - minute exploserait bien. Chacun apporte sa pierre à l’édifice, en créant un espace sonore de jeu qui permet à tous de se faire entendre y compris les moindres détails comme ce dialogue tangentiel sax alto / percussion dans lequel Léandre s’invite en étirant ses sonorités à l’archet. De chaque configuration – séquence successive naissent des occurrences soniques et des actions diversifiées, et vers la dixième minute, les deux cordistes s’agrègent en duo. Dialogue imbriqué dans lequel le batteur s’insère insidieusement et graduellement. Ces passages de relais et le silence de l’un puis de l’autre crée des phases de jeux distinctes qui mènent un Lovens solitaire à faire tituber des résonances et de très curieuses frappes détaillées et isolées sur les cymbales s’apparentant à l’écriture automatique d’un poète unique de la percussion. C’est sur ces étranges digressions que Daunik Lazro fait mugir et gronder son sax baryton graveleux à souhait avec la dose de petits silences nécessaires pour maintenir cette infinie poésie. Il faut ensuite admirer l’intervention fantomatique du violoniste portugais et les discrètes trouvailles de Lovens, trublion à (presque) jamais inégalé dans cette scène improvisée depuis 50 ans. Joëlle Léandre s’impose ensuite à bon escient permettant à Carlos Zingaro de s’ensauvager. Ce qui est magnifique dans cette continuelle gesticulation organique « sauvage » lorsqu’on l’écoute attentivement, est ce dosage savant dans les interventions individuelles qui prennent chacune à leur tour la prééminence de manière lisible, éphémère, équilibrée et justifiée par l’équilibre des forces en présence et cette mise en commun qui met chacun des quatre improvisateurs sous les feux des projecteurs ou au centre du débat avec une magnifique alternance. J’ai beau écouter avec concentration, je n’arrive pas à trouver de quelconque longueur dans cette improvisation collective qui passe de l’expressionnisme brut à un filet de jeu restreint comme durant cette séquence vers les minutes 28-29 (scie musicale + violon). Celle-ci s’étire dangereusement jusqu’à la minute 33, elle, carrément psychodramatique, et tout un nuancier improbable d’actions aussi concertées que déroutantes. Il y a peut – être moyen de jouer de manière plus ceci ou plus cela, mais il est indéniable que la qualité musicale « improvisée » et la complete communion est particulièrement réussie. Et ils se paient le luxe d'aller encore plus loin dans les 19:33 de Lyou Mad (exploit) avec des éclairs fulgurants et des trouvailles renouvelées (les deux splendides cordistes!). Je retrouve là le Paul Lovens du génial duo avec Paul Lytton et croyez-moi Joëlle Léandre en prend de la graine, Daunik Lazro signant ici un sommet instantané de sa carrière. Jean–Marc Foussat : bien vu mon gars ! Sensationnel !! Vive la Foussattitude !!
Ivo Perelman Elliott Sharp Artificial Intelligence Mahakala Music
https://ivoperelman.bandcamp.com/album/artificial-intelligence
Improvisateur libre, le saxophoniste brésilien Ivo Perelman est une figure marquante de l’art afro-américain du jazz « free » basé sur l’interaction directe, l’écoute mutuelle et l’invention instantanée sans composition, thème, « solo » et accompagnement. Comme il joue très souvent avec le pianiste Matt Shipp, les bassistes William Parker et Michael Bisio, les batteurs Gerald Cleaver et Whit Dickey son sens instantané du risque s’inscrit en consensus avec un développement mélodique expressif issu des grands ténor du jazz. Toutefois, il nous a surpris avec ses duos enregistrés avec le trompettiste Nate Wooley et le clarinettiste basse Rudi Mahall, des albums complètement improvisés avec des cordistes New Yorkais comme Hank Roberts, Mat Maneri, Mark Feldman et Jason Kao Hwang , ou d’autres cordistes British comme Phil Wachsmann, Benedict Taylor, Marcio Mattos et le guitariste microtonal Pascal Marzan avec qui il a même enregistré un duo vraiment remarquable et complètement inattendu (Dust of Light – Setola di Maiale). Avec cette collaboration avec le guitariste Elliott Sharp, Ivo Perelman transgresse allègrement les codes des free-jazzmen, tout comme l’avaient fait avant lui Anthony Braxton avec Derek Bailey (en 1974) ou Frank Lowe avec Eugene Chadbourne un peu plus tard. D’ailleurs, on découvrit la musique hybride et audacieuse d’Elliott Sharp dans le sillage de Chadbourne et John Zorn au début des années 80. Il est l’auteur d’un chef d’œuvre relativements récent de la guitare d’avant-garde : The Velocity of Hue (Emanem 4098). Dans ce duo avec Perelman, on schématisera très fort en disant que le jeu d’Elliott Sharp découle des avancées de Derek Bailey ou mieux sa manière de jouer s’apparente au guitariste de Sheffield. Surtout si on le compare à d’autres guitaristes de jazz, même parmi les plus audacieux. Peut – être Sharp est-il un cousin de son exact contemporain, Henry Kaiser. Entendons- nous bien : dans cette rencontre « de la carpe et du lapin » , les deux acolytes démontrent valablement que leurs différences et intentions musicales personnelles sont avant tout un challenge pour créer une musique duelle, contrastée mais bourrée d’empathie ludique et de compréhension mutuelle malgré la logique « avant-gardiste » qui énonce candidement qu’il faille jouer avec des collègues avec qui on est d’accord sur presque tout , à qui « on ressemble » et avec qui on partage une esthétique commune « radicale ». Il y a fort longtemps que Derek Bailey a enregistré ce disque improbable avec le clarinettiste de jazz (et contemporain) Tony Coe (Time/ Incus) et est parvenu ainsi à démontrer de manière ultra-convaincante qu’avec de l’imagination, un improvisateur « qui ose » parvient à faire coïncider deux univers musicaux que tout semblent opposer. Bourrée d’effets jusqu’à la gueule ou étrangement réaccordée, la huit cordes mutante et hérissée d’Elliott Sharp sabre dans la chair élastique du souffle du saxophoniste en le poussant à tirer parti des extrêmes de son saxophone. On y entend aussi une mandoline désaxée.
Je tire mon chapeau aux duettistes car ils font tout ce qui est possible pour entretenir le dialogue et repousser plus loin encore les actions instrumentales, les trouvailles, les ambiances, les excès, avec autant d’obstination que de fantaisie. Le guitariste se fait outrageusement bruitiste ou ultra « picotant » dès le n° One (29 :12) et Ivo Perelman s’engage dans les déchirements de sa superbe sonorité en fragments, lambeaux et contorsions de colonne d’air, étirant les harmoniques aiguës, ces notes fantômes (Ghosts) qui surgissent miraculeusement au-delà de la tessiture normale du sax ténor. Une fois le constat bruitiste achevé, des échappées multidirectionnelles , griffures instantanées et extrapolations ludiques, font métamorphoser les échanges enfiévrés dans toutes les mutations sonores où leur imagination et l’empire du jeu – écriture automatique les entraînent, presque malgré eux. Je vais résumer en disant tout net, que Artificial Intelligence est un album vachement plaisant, emballant et, somme toute, rare. Le titre évoquant à la fois une subtile intelligence sous l’aspect parfois « brut de décoffrage » (pour reprendre une formule toute-faite de communicant) et de magnifiques feux d’Artifices soniques.
Mark Sanders Emil Karlsen Muted language Bead 45
https://www.beadrecords.com/new-release-muted-language-by-mark-sanders-and-emil-karlsen/
Enfin un album de percussions en duo avec deux improvisateurs batteurs parmi les meilleurs des Îles Britanniques : Mark Sanders, un vieux routier de la scène (Evan Parker, John Butcher, Paul Dunmall, Veryan Weston, John Edwards, etc) et Emil Karlsen, un Norvégien nouveau venu basé à Sheffield. Emil s’est engagé à poursuivre les activités du label Bead records du légendaire violoniste Philipp Wachsmann et cela promet (avec Phil Durrant, Ed Jones). Tout récemment le magnifique trio Spaces Unfolding de Wachsmann et Karlsen en compagnie du flûtiste Neil Metcalfe y a publié un super CD : The Way We Speak , chroniqué ici il y a quelques semaines
Ce très remarquable dialogue exploratoire des possibilités sonores et expressives de la percussion nous ouvre un champ auditif unique, lequel fut inauguré par le génial Ionisation d’Edgar Varèse, il y a fort longtemps. Le duo permet une conjonction d’occurrences sonores et démultiplie les pulsations dans une myriades d’accents, de vibrations et de couleurs accentuant petit à petit des décalages oscillants. Qui fait quoi, peu importe. Question rythmique, cette confrontation se déroule à un haut niveau de précision et d’empathie synchronisée. À deux, ils semblent abattre le travail foisonnant de trois ou quatre percussionnistes. Les pulsations se dédoublent, s’enchevêtrent et les timbres se diversifient illustrant tout un nuancier de touchers, frictions, rebondissements, grattages, frottements, scintillements, ionisations, réverbérations, chocs, picotements, … bois, métal, peau, plastique… Une magnifique communion ludique. Les deux duettistes commencent leur parcours avec des échanges logiques, des frappes cadrées, ordonnancées, lumineuses. Au fil des six improvisations, une sorte de clair-obscur s’installe, une poésie dans les échanges, des risques, extrapolations, ping-pong tangentiels, infimes fractions de la pulsation renouvelée à l’infini, rotations d’idées lumineuses et de brouillages, écriture automatique. Voilà bien une jungle de signes et de gestes où l’auditeur peut laisser échapper sa curiosité et son imagination.
Day & Taxi Live in Baden – Christoph Gallio Silvan Jeger Gerry Hemingway Clean Feed CF615CD
https://christophgallio.bandcamp.com/album/day-taxi-live-in-baden
Day and Taxi est devenu un trio incontournable depuis des … décennies. Initié il y a fort longtemps par le saxophoniste Christoph Gallio (soprano, alto et c-melody saxophones), le compositeur leader est aujourd’hui brillamment secondé par le batteur Gerry Hemingway, lui-même basé en Suisse et par le contrebassiste Silvan Jeger. L’inspiration des neuf compositions de ce live attachant et le feeling ou ressenti de leurs interprétations est aussi changeant que le climat alpin où l’orage cataclysmique d’une sombre soirée et sa masse épaisse de nuages noirs striés et illuminés par les éclairs est balayé par le Föhn pour laisser place à un ciel radieux et ensoleillé. Des fins de printemps enneigés sont monnaie courante. Sa version du free-jazz passe de l’empoignade avec force morsures véhémentes du bec et des volées de baguettes sur tous les recoins des fûts à un souffle pastoral apaisé. Sautillement caractéristique d’une comptine endiablée ou thème précieux alternant avec de courts solos de batterie (Faces). Morceaux très courts ou nettement plus longs. On entend que Gallio a bien déchiffré des pièces de Steve Lacy, mais ne craint pas les embardées. Suave ou acide, emporté ou rêveur. Et de l’humour ! La contrebasse marque le tempo de manière ouverte ou menaçante et répétitive dans Too Much Nothing. Le souffleur s’y fait sage, jouant sommairement la ligne mélodique et ses curieux intervalles avant de dériver avec des growls désarticulés sous la férule du batteur qui souligne le beat intermédiaire. Et quel distingué batteur, ce Gerry Hemingway qui joue au mieux avec quiconque fait appel à ses services avec des solutions rythmiques superbes et des roulements enchaînés et polyrythmiques époustouflants et une sonorité admirable. (Marina and the lucky pop transformation) ! Bref, la variété du matériau et cette absence totale de prétention tout à fait ludique et enjouée, nous rend ce Christoph Gallio éminemment sympathique, tout à sa joie de jouer avec un style singulièrement différent d’un instrument à l’autre.
https://www.fourecords.com/FR-CD46.htm
Réédition bienvenue d’un album brûlot publié il y a fort longtemps par Potlatch (P CD 102) et enregistré par Jean-Marc Foussat en mars 2001 au cours du Festival Banlieues Bleues, lequel Jean-Marc a pris l’initiative de l’insérer dans le catalogue chamarré de son label FOU Records. Vu la longueur des deux morceaux, Madly You fait 40:47 et Lyou Mad, 19:33, on peut penser que ce « super-groupe » est sans doute l’initiative personnelle de Daunik Lazro plutôt qu’une suggestion de Joëlle Léandre. En effet la contrebassiste parisienne préfère des formes plus courtes agrémentées éventuellement de duos alors que le saxophoniste, ici à l’alto et au baryton, ne craint pas les embardées jusqu’au boutiste et la persévérance risquée de maintenir le cap au fil de dizaines de minutes non-stop. Et comme Paul Lovens a toujours été prêt à tout, même à frapper dru alors qu’on le connait ultra – pointilliste dans nombre de circonstances circonstances. C'est donc l'option choisie par le batteur : abrupt et mystérieux, mais en finesse ! Par chance, a été convié ce super violoniste, Carlos Alves Zingaro, un des incontournables européens de la musique chambriste raffinée qui a lui-même autant d’affinités pour Léandre que pour Lazro, rencontré déjà dans les années 70. On sait que journalistes et amateurs avertis gambergent toujours face à ce genre de groupes composés de fortes personnalités « incontournables » . Question : la somme des talents conjugués ici apportent-ils un bonus, une féérie, des émotions etc… ?
Dès le départ les deux cordistes font grincer l’âme de leurs instruments et frottent à qui mieux mieux alors que Daunik Lazro et ses harmoniques aiguës entonnent déjà le cri de guerre. Frappant à peine au départ, Paul Lovens répond par une flagrante explosion qui retombe aussi vite, laissant le quartet suspendre son vol dans un rythme de croisière apaisé tout en donnant l’impression que la cocotte - minute exploserait bien. Chacun apporte sa pierre à l’édifice, en créant un espace sonore de jeu qui permet à tous de se faire entendre y compris les moindres détails comme ce dialogue tangentiel sax alto / percussion dans lequel Léandre s’invite en étirant ses sonorités à l’archet. De chaque configuration – séquence successive naissent des occurrences soniques et des actions diversifiées, et vers la dixième minute, les deux cordistes s’agrègent en duo. Dialogue imbriqué dans lequel le batteur s’insère insidieusement et graduellement. Ces passages de relais et le silence de l’un puis de l’autre crée des phases de jeux distinctes qui mènent un Lovens solitaire à faire tituber des résonances et de très curieuses frappes détaillées et isolées sur les cymbales s’apparentant à l’écriture automatique d’un poète unique de la percussion. C’est sur ces étranges digressions que Daunik Lazro fait mugir et gronder son sax baryton graveleux à souhait avec la dose de petits silences nécessaires pour maintenir cette infinie poésie. Il faut ensuite admirer l’intervention fantomatique du violoniste portugais et les discrètes trouvailles de Lovens, trublion à (presque) jamais inégalé dans cette scène improvisée depuis 50 ans. Joëlle Léandre s’impose ensuite à bon escient permettant à Carlos Zingaro de s’ensauvager. Ce qui est magnifique dans cette continuelle gesticulation organique « sauvage » lorsqu’on l’écoute attentivement, est ce dosage savant dans les interventions individuelles qui prennent chacune à leur tour la prééminence de manière lisible, éphémère, équilibrée et justifiée par l’équilibre des forces en présence et cette mise en commun qui met chacun des quatre improvisateurs sous les feux des projecteurs ou au centre du débat avec une magnifique alternance. J’ai beau écouter avec concentration, je n’arrive pas à trouver de quelconque longueur dans cette improvisation collective qui passe de l’expressionnisme brut à un filet de jeu restreint comme durant cette séquence vers les minutes 28-29 (scie musicale + violon). Celle-ci s’étire dangereusement jusqu’à la minute 33, elle, carrément psychodramatique, et tout un nuancier improbable d’actions aussi concertées que déroutantes. Il y a peut – être moyen de jouer de manière plus ceci ou plus cela, mais il est indéniable que la qualité musicale « improvisée » et la complete communion est particulièrement réussie. Et ils se paient le luxe d'aller encore plus loin dans les 19:33 de Lyou Mad (exploit) avec des éclairs fulgurants et des trouvailles renouvelées (les deux splendides cordistes!). Je retrouve là le Paul Lovens du génial duo avec Paul Lytton et croyez-moi Joëlle Léandre en prend de la graine, Daunik Lazro signant ici un sommet instantané de sa carrière. Jean–Marc Foussat : bien vu mon gars ! Sensationnel !! Vive la Foussattitude !!
Ivo Perelman Elliott Sharp Artificial Intelligence Mahakala Music
https://ivoperelman.bandcamp.com/album/artificial-intelligence
Improvisateur libre, le saxophoniste brésilien Ivo Perelman est une figure marquante de l’art afro-américain du jazz « free » basé sur l’interaction directe, l’écoute mutuelle et l’invention instantanée sans composition, thème, « solo » et accompagnement. Comme il joue très souvent avec le pianiste Matt Shipp, les bassistes William Parker et Michael Bisio, les batteurs Gerald Cleaver et Whit Dickey son sens instantané du risque s’inscrit en consensus avec un développement mélodique expressif issu des grands ténor du jazz. Toutefois, il nous a surpris avec ses duos enregistrés avec le trompettiste Nate Wooley et le clarinettiste basse Rudi Mahall, des albums complètement improvisés avec des cordistes New Yorkais comme Hank Roberts, Mat Maneri, Mark Feldman et Jason Kao Hwang , ou d’autres cordistes British comme Phil Wachsmann, Benedict Taylor, Marcio Mattos et le guitariste microtonal Pascal Marzan avec qui il a même enregistré un duo vraiment remarquable et complètement inattendu (Dust of Light – Setola di Maiale). Avec cette collaboration avec le guitariste Elliott Sharp, Ivo Perelman transgresse allègrement les codes des free-jazzmen, tout comme l’avaient fait avant lui Anthony Braxton avec Derek Bailey (en 1974) ou Frank Lowe avec Eugene Chadbourne un peu plus tard. D’ailleurs, on découvrit la musique hybride et audacieuse d’Elliott Sharp dans le sillage de Chadbourne et John Zorn au début des années 80. Il est l’auteur d’un chef d’œuvre relativements récent de la guitare d’avant-garde : The Velocity of Hue (Emanem 4098). Dans ce duo avec Perelman, on schématisera très fort en disant que le jeu d’Elliott Sharp découle des avancées de Derek Bailey ou mieux sa manière de jouer s’apparente au guitariste de Sheffield. Surtout si on le compare à d’autres guitaristes de jazz, même parmi les plus audacieux. Peut – être Sharp est-il un cousin de son exact contemporain, Henry Kaiser. Entendons- nous bien : dans cette rencontre « de la carpe et du lapin » , les deux acolytes démontrent valablement que leurs différences et intentions musicales personnelles sont avant tout un challenge pour créer une musique duelle, contrastée mais bourrée d’empathie ludique et de compréhension mutuelle malgré la logique « avant-gardiste » qui énonce candidement qu’il faille jouer avec des collègues avec qui on est d’accord sur presque tout , à qui « on ressemble » et avec qui on partage une esthétique commune « radicale ». Il y a fort longtemps que Derek Bailey a enregistré ce disque improbable avec le clarinettiste de jazz (et contemporain) Tony Coe (Time/ Incus) et est parvenu ainsi à démontrer de manière ultra-convaincante qu’avec de l’imagination, un improvisateur « qui ose » parvient à faire coïncider deux univers musicaux que tout semblent opposer. Bourrée d’effets jusqu’à la gueule ou étrangement réaccordée, la huit cordes mutante et hérissée d’Elliott Sharp sabre dans la chair élastique du souffle du saxophoniste en le poussant à tirer parti des extrêmes de son saxophone. On y entend aussi une mandoline désaxée.
Je tire mon chapeau aux duettistes car ils font tout ce qui est possible pour entretenir le dialogue et repousser plus loin encore les actions instrumentales, les trouvailles, les ambiances, les excès, avec autant d’obstination que de fantaisie. Le guitariste se fait outrageusement bruitiste ou ultra « picotant » dès le n° One (29 :12) et Ivo Perelman s’engage dans les déchirements de sa superbe sonorité en fragments, lambeaux et contorsions de colonne d’air, étirant les harmoniques aiguës, ces notes fantômes (Ghosts) qui surgissent miraculeusement au-delà de la tessiture normale du sax ténor. Une fois le constat bruitiste achevé, des échappées multidirectionnelles , griffures instantanées et extrapolations ludiques, font métamorphoser les échanges enfiévrés dans toutes les mutations sonores où leur imagination et l’empire du jeu – écriture automatique les entraînent, presque malgré eux. Je vais résumer en disant tout net, que Artificial Intelligence est un album vachement plaisant, emballant et, somme toute, rare. Le titre évoquant à la fois une subtile intelligence sous l’aspect parfois « brut de décoffrage » (pour reprendre une formule toute-faite de communicant) et de magnifiques feux d’Artifices soniques.
Mark Sanders Emil Karlsen Muted language Bead 45
https://www.beadrecords.com/new-release-muted-language-by-mark-sanders-and-emil-karlsen/
Enfin un album de percussions en duo avec deux improvisateurs batteurs parmi les meilleurs des Îles Britanniques : Mark Sanders, un vieux routier de la scène (Evan Parker, John Butcher, Paul Dunmall, Veryan Weston, John Edwards, etc) et Emil Karlsen, un Norvégien nouveau venu basé à Sheffield. Emil s’est engagé à poursuivre les activités du label Bead records du légendaire violoniste Philipp Wachsmann et cela promet (avec Phil Durrant, Ed Jones). Tout récemment le magnifique trio Spaces Unfolding de Wachsmann et Karlsen en compagnie du flûtiste Neil Metcalfe y a publié un super CD : The Way We Speak , chroniqué ici il y a quelques semaines
Ce très remarquable dialogue exploratoire des possibilités sonores et expressives de la percussion nous ouvre un champ auditif unique, lequel fut inauguré par le génial Ionisation d’Edgar Varèse, il y a fort longtemps. Le duo permet une conjonction d’occurrences sonores et démultiplie les pulsations dans une myriades d’accents, de vibrations et de couleurs accentuant petit à petit des décalages oscillants. Qui fait quoi, peu importe. Question rythmique, cette confrontation se déroule à un haut niveau de précision et d’empathie synchronisée. À deux, ils semblent abattre le travail foisonnant de trois ou quatre percussionnistes. Les pulsations se dédoublent, s’enchevêtrent et les timbres se diversifient illustrant tout un nuancier de touchers, frictions, rebondissements, grattages, frottements, scintillements, ionisations, réverbérations, chocs, picotements, … bois, métal, peau, plastique… Une magnifique communion ludique. Les deux duettistes commencent leur parcours avec des échanges logiques, des frappes cadrées, ordonnancées, lumineuses. Au fil des six improvisations, une sorte de clair-obscur s’installe, une poésie dans les échanges, des risques, extrapolations, ping-pong tangentiels, infimes fractions de la pulsation renouvelée à l’infini, rotations d’idées lumineuses et de brouillages, écriture automatique. Voilà bien une jungle de signes et de gestes où l’auditeur peut laisser échapper sa curiosité et son imagination.
Day & Taxi Live in Baden – Christoph Gallio Silvan Jeger Gerry Hemingway Clean Feed CF615CD
https://christophgallio.bandcamp.com/album/day-taxi-live-in-baden
Day and Taxi est devenu un trio incontournable depuis des … décennies. Initié il y a fort longtemps par le saxophoniste Christoph Gallio (soprano, alto et c-melody saxophones), le compositeur leader est aujourd’hui brillamment secondé par le batteur Gerry Hemingway, lui-même basé en Suisse et par le contrebassiste Silvan Jeger. L’inspiration des neuf compositions de ce live attachant et le feeling ou ressenti de leurs interprétations est aussi changeant que le climat alpin où l’orage cataclysmique d’une sombre soirée et sa masse épaisse de nuages noirs striés et illuminés par les éclairs est balayé par le Föhn pour laisser place à un ciel radieux et ensoleillé. Des fins de printemps enneigés sont monnaie courante. Sa version du free-jazz passe de l’empoignade avec force morsures véhémentes du bec et des volées de baguettes sur tous les recoins des fûts à un souffle pastoral apaisé. Sautillement caractéristique d’une comptine endiablée ou thème précieux alternant avec de courts solos de batterie (Faces). Morceaux très courts ou nettement plus longs. On entend que Gallio a bien déchiffré des pièces de Steve Lacy, mais ne craint pas les embardées. Suave ou acide, emporté ou rêveur. Et de l’humour ! La contrebasse marque le tempo de manière ouverte ou menaçante et répétitive dans Too Much Nothing. Le souffleur s’y fait sage, jouant sommairement la ligne mélodique et ses curieux intervalles avant de dériver avec des growls désarticulés sous la férule du batteur qui souligne le beat intermédiaire. Et quel distingué batteur, ce Gerry Hemingway qui joue au mieux avec quiconque fait appel à ses services avec des solutions rythmiques superbes et des roulements enchaînés et polyrythmiques époustouflants et une sonorité admirable. (Marina and the lucky pop transformation) ! Bref, la variété du matériau et cette absence totale de prétention tout à fait ludique et enjouée, nous rend ce Christoph Gallio éminemment sympathique, tout à sa joie de jouer avec un style singulièrement différent d’un instrument à l’autre.
Free Improvising Singer and improvised music writer.
7 mars 2023
Almut Kühne Elena Kakaliagou Antonio Borghini Dag Magnus Narvesen Floros Floridis / Floros Floridis & Yorgos Dimitriadis/ Jean-Marc Foussat 81/2 / John Hughes Gianni Mimmo Peer Schlechta Ove Volquartz
Almut Kühne Elena Kakaliagou Antonio Borghini Dag Magnus Narvesen Floros Floridis AoA impro group live at pariser platz Evil Rabbit 35
https://florosfloridis.bandcamp.com/album/live-at-pariser-platz
Une musique aérienne et jouée / exécutée lentement et toute en finesse. Un groupe à l’instrumentation rare : la voix humaine d’Almut Kühne, le french horn d’Elena Kakaliagou, la contrebasse d’Antonio Borghini, la batterie de Dag Magnus Narvesen et le sax soprano et la clarinette basse de Floros Floridis. Pivotant autour ou par-dessus la contrebasse puissante et discrète d’Antonio Borghini, la voix pure et magnifique d’Almut Kühne étire patiemment des vocalises d’une exquise finesse avec autant de précision que de pureté. La voix idéale pour une expression contemporaine épurée, retenue et exprimant l’essentiel. Filet de voix aigu vif argent, ses capacités de chanteuse lui permettent d’incarner bien des émotions et de revêtir une multiplicité de rôles avec une technique sans faille et une sûreté impressionnante. Le moindre son de sa voix suggère la vocalité, un substrat mélodique, une inflexion musicale magique. Et lorsque le besoin se fait sentir elle peut « déraper » outre mesure par des excès expressifs. Le jeu subtil et aérien au french horn d’Elena est un choix judicieux pour contrebalancer la fluidité vocale de sa camarade de manière à créer un savant équilibre. Dag Magnus Narvesen, entendu récemment avec Frode Gjerstad, Alex von Schlippenbach, Harri Sjöström, Achim Kaufmann, Emilio Gordoa, joue la carte d’un drumming discret et subtil, frappes légères, vibrations sonores, roulements de mille-pattes ou vrombissements de la grosse caisse. Au sax soprano ou à la clarinette basse, Floros Floridis joue de manière épurée ajoutant sa voix instrumentale par petites touches. Il ne se pose pas en « soliste », mais partage en alternance ses interventions improvisées avec un goût remarquable pour la dynamique et un sens de la complémentarité imaginative. Un maître musicien ! Sa partie de clarinette basse se love comme les anneaux d’un serpent qui entoure sa proie occasionnant subitement les cris d’orfraie de la vocaliste, sidérée. Et que dire du travail inventif et épuré d’Elena Kakaliagou sur son instrument difficile dont elle tire des sonorités inusitées. Cette capacité collaborative basée sur l’écoute et un sens inné de la forme est partagée par tous les collègues présents. Interactivités obliques, connivence télépathique, géométrie intuitive parfois décalée. Les quatre instrumentistes créent des canevas pour mettre en valeur l’expression vocale d’Almut Kühne qui rayonne et en retour illumine chacune de leurs interventions toutes en légèreté et en accord émotionnel et expressif avec la fée du logis. Sa voix se métamorphose graduellement selon l’affect de chaque morceau comme dans un rêve.
Tone Sequence Evaluators Floros Floridis & Yorgos Dimitriadis Evil Rabbit
https://yorgosdimitriadis.bandcamp.com/album/tone-sequence-evaluators
Duo intrigant du clarinettiste – saxophoniste Floros Floridis, crédité reeds & electronics et du percussionniste + electronics Yorgos Dimitriadis, tous deux Hellènes basés à Berlin. J’ai rencontré la musique de Floros Floridis à travers ses albums vinyles avec Paul Lytton, Hans Schneider Pinguin Moshner ou Phil Wachsmann ( Adônis et Ellispontos 1983 et 1986) ou Peter Kowald (Pyrichia), Louis Moholo et Vincent Chancey (Human Aspect). Yorgos Dimitriadis m’avait fait une excellente impression en duo avec le pianiste Achim Kaufmann (Anywhere Goes - Jazzwerkstatt) et le Red Dahl Sextet, avec rien moins qu’Alex Schlippenbach, Paul Dunmall, Frank Paul Schubert, Hillary Jeffries et Mike Majkowsky , est un témoignage orchestral peu commun. Rattachés au bec de ses clarinettes par une sorte de micro-contact, les live electronics de Floros Floridis semblent flotter et se mouvoir indépendamment du flux instrumental. Par contre, l’électronique de Yorgos Dimitriadis s’ajoute à son drumming particulier, pulsations décalées et rythmique fracturée et chavirante, sorte de hoquet cosmique. J’ai toujours eu un solide penchant pour ce clarinettiste au son soyeux et pour ses glissades dans le strict ordonnancement des gammes. Muni d’une solide formation scientifique, il a étudié la clarinette classique avec un grand maître, Floros Floridis a une âme de poète et est sans doute influencé par la pratique de la clarinette dans la musique traditionnelle de son pays, ayant chanté très jeune dans des chœurs byzantins. De nombreux improvisateurs clarinettistes free conservent les caractéristiques de justesse et d’extrême virtuosité de la pratique occidentale classique alors que les saxophonistes free la transgressent allègrement , comme Ornette Coleman par exemple. C’est cette approche relativement microtonale où les notes sont étirées, faussées avec soin, altérées sur l’entièreté des deux registres avec glissandi expressifs, soit « jouer faux juste ». Floros, avec son jeu touchant, subtil et irrégulier est un petit frère de Lol Coxhill , si on veut. Tone Sequence Evaluators est un duo atypique, une musique hybride aux ambiances mystérieuses que le jeu percussif et électronique très étudié de Yorgos Dimitriadis projette dans une autre réalité. Ses sons et frappes à la batterie acoustique sont entièrement incorporés à son dispositif électronique dont j’ignore le fonctionnement (à raison d’ailleurs, la pratique de la musique improvisée libre nous permet d’écouter sans devoir comprendre ou expliquer ce qui se joue, laissant les spectateurs – auditeurs prendre du plaisir sans souci d’ordre musicologique, sémantique ou technologique). Comme les sonorités et agrégats électro-acoustiques de chacun s’interpénètrent plus d’une fois dans un va et vient de secousses, vagues et fractions dans l’espace – temps, le jeu singulier, vocalisé et insaisissable de Floros Floridis semble jouer le rôle d’une bouée lumineuse insubmersible dans les ressacs agités d’une nuit lunaire au milieu d’une mer moirée. Une séquence au saxophone alto permet de mesurer la latitude d’options entre le clarinettiste et le saxophoniste, toujours aussi inspiré. Il y a une pluralité d’approches et d’interactivités à l’œuvre ici , préméditées ou spontanées, qui pousse l’auditeur à réévaluer sa perception en réécoutant à nouveau ces Tone Sequence Evaluators pour s’assurer que quelque chose lui a échappé. Un album tout à fait intéressant et unique en son genre.
Jean-Marc Foussat Rêve LP FOU Records FRLP 8 ½
https://www.fourecords.com/FR-LP8,5.htm
Super pochette d’un éventuel double – album vinyle où le nom de l’artiste et le titre sont tracés à l'encre blanche sur fond noir à la main et de part et d’autre d’un bandeau – photo d’une ondée translucide où meurt un vague rayon lumineux. 8 ½ comme ce film de Fellini avec Mastroianni, Claudia Cardinale et Anouk Aimée et un demi car il n’y a qu’une seule face A de musique à écouter, un charivari électronique avec sifflements, grondements, cornes de brumes, boucles vibrantes, rumeurs dans la rue et vers la fin quelques notes limpides au piano. Le vynil avec son unique face, l’autre lisse et non gravée est inséré dans une pochette intérieure, photo de draps de lit froissés d’un côté avec les crédits « jean-marc foussat Synthi AKS, voix, piano et jouets divers et variés » tracés par la même cursive à l’encre blanche. Un soleil – boule de feu trône dans un ciel nocturne encadré par une sombre canopée à contre-jour. À l’encre blanche « musique enregistrée au Thoronet" . Au recto de l’autre pochette intérieure un ciel bleu empanaché d’un nuage blanc de vapeur par-dessus une ligne de branches d’arbres feuillus et une masse nuageuse menaçante. Au verso, une photo quasi impressionniste et abstraite, A l’intérieur un disque en carton avec en Face A une photo circulaire d’une fleur rose pâle et son pistil jaune. De l’autre côté, surface en carton avec le logo PÓ Records – LP 8 ½ « jean-marc foussat » et la mention écrite à la main « regarde le bien » à l’encre noire. Entre les deux pochettes intérieures un feuille blanche carrée dimension LP 33 tours avec deux impressions de main de couleur bleue pâle et rouge sérigraphiées (?) , les bords de la main rouge étant surlignés à la mine de crayon taillé. Énigmatique. Quand on écoute la musique de Rêve 8 ½ , on s’aperçoit que le macaron – logo de la Face B silencieuse est ornée de cette même fleur rose pâle. Un rêve la nuit, des agrégats de son, des chuintements électroniques en boucle, sonnerie ténue d’une improbable clochette, sifflements, percussions sur le cadre du piano, vibrations, miasmes sonores, martèlements lointains, effets, bruits diffus au loin comme en plein jour, crescendo et piano joué free à pleines mains, vagues de notes tournoyantes et martelées puis lent decrescendo et finalement, le piano joué goutte à goutte du bout des doigts dans la pénombre et le silence relatif, bruissements et accords plaqués avant la fin. Une beauté insidieuse disparaît comme un papier enlevé par le souffle de la tramontane. Disque objet FOU. Pour info, 8 ½ est un tirage limité de 250 ex et son prix s'élève à 50 eur + frais d'envoi.
Cadenza del crepusculo John Hughes Gianni Mimmo Peer Schlechta Ove Volquartz Amirani AMRN 072
https://www.amiranirecords.com/editions/cadenzadelcrepuscolo
Voici encore un rare Objet Volant New Improvisé, assemblage instrumental tout à fait inusité dans ce domaine. Ça nous change de l’évidence des sentiers battus. L’organiste Peer Schlechta et le clarinettiste basse / contrebasse Ove Volquartz travaillent ensemble dans des projets peu communs comme il arrive souvent aux improvisateurs Germaniques habitant dans des villes de province. Leur collaboration a laissé quelques traces discographiques mémorables. Un long trio orgue d’église clarinette basse et vièle chinoise Er-Hu jouée par le percussionniste japonais Sabu Toyozumi in « Kosai Yujyo » (2CD Improvising Beings). Leur duo Volquartz – Schlechta a entregistré « Dreizweit » (Setola Di Maiale). Ils participent aussi à Music for Two Organs & Two Basses avec Ove et Chris Cundy aux clarinettes basses, Peer à l’orgue d’église et le compositeur Thanos Chrysakis à l’orgue positif (Aural Terrains). Avec cette Cadence du crépuscule, Ove et Peer se surpassent en compagnie du contrebassiste John Hughes et du saxophoniste soprano Gianni Mimmo, lui-même responsable du label Amirani dont c’est le 72ème album et sûrement un des plus intrigants et réussis. Ove et Gianni ont travaillé ensemble et enregistré deux albums avec les pianistes Gianni Lenoci ( R.I.P. Reciprocal Uncles - Glances & Many Avenues / Amirani) et Yoko Miura (Air Current Setola di Maiale).
La musique se développe en suspens dans l’espace, orchestre aérien basé sur des drones graves et mouvants, une ambiance majestueuse remplissant l’espace auditif enregistrée dans la Neustädter Kirche Hofgeismar, la même où avait été enregistrés leurs autres albums communs cités plus haut. Six morceaux entre 9 et 5 minutes et quelques pour un total de 40:43. Chaque morceau semble avoir un parfum d’éternité comme Gliding over Silent Seas avec les notes graves soutenues de l’orgue, la vibration d’une note de la grosse corde de la contrebasse et les mouvements lents secrets de la clarinette contrebasse. Grince-t-elle ou s’agit-il d’un tube de l’orgue ? Les registres choisis par Schlechta sont merveilleusement indiqués. Drones, tremblements et bourdonnements qui s’agrègent striés par quelques crescendi du souffle de l’énorme clarinette et des vibrations grésillantes du ou des tubes. Plus loin , les musiciens s’ingénient à diversifier les sonorités, à moduler clusters et souffles conjugués et tournoyants de la grosse machine à air, à étirer les harmoniques pures du sax soprano, à boucler une super respiration circulaire de l’anche, pizzicati gargantuesques ou frottements aigus oscillant près du chevalet, claquement de l’anche de la clarinette basse, ostinati de la contrebasse qui trouvent un écho à la clarinette basse. Des interactions subtiles et diantrement efficaces s’insèrent méthodiquement pour relancer, par exemple, une intervention splendide du clarinettiste aigu-grave qui en appellent une autre le relayant dans l’aigu. Merveilleux contrepoints à l’orgue avec des sonorités intrigantes. Pas une longueur, une précision dans le jeu et un sens des proportions et de la dynamique . Et surtout , du jamais entendu entre « abstraction austère» et lyrisme émouvant et aussi monumental. Ce genre de trésor est indispensable pour la santé mentale des suiveurs de la cause free-jazz – free improvisation sans œillères ni virus idéologico-sémantique. Renversant !!
https://florosfloridis.bandcamp.com/album/live-at-pariser-platz
Une musique aérienne et jouée / exécutée lentement et toute en finesse. Un groupe à l’instrumentation rare : la voix humaine d’Almut Kühne, le french horn d’Elena Kakaliagou, la contrebasse d’Antonio Borghini, la batterie de Dag Magnus Narvesen et le sax soprano et la clarinette basse de Floros Floridis. Pivotant autour ou par-dessus la contrebasse puissante et discrète d’Antonio Borghini, la voix pure et magnifique d’Almut Kühne étire patiemment des vocalises d’une exquise finesse avec autant de précision que de pureté. La voix idéale pour une expression contemporaine épurée, retenue et exprimant l’essentiel. Filet de voix aigu vif argent, ses capacités de chanteuse lui permettent d’incarner bien des émotions et de revêtir une multiplicité de rôles avec une technique sans faille et une sûreté impressionnante. Le moindre son de sa voix suggère la vocalité, un substrat mélodique, une inflexion musicale magique. Et lorsque le besoin se fait sentir elle peut « déraper » outre mesure par des excès expressifs. Le jeu subtil et aérien au french horn d’Elena est un choix judicieux pour contrebalancer la fluidité vocale de sa camarade de manière à créer un savant équilibre. Dag Magnus Narvesen, entendu récemment avec Frode Gjerstad, Alex von Schlippenbach, Harri Sjöström, Achim Kaufmann, Emilio Gordoa, joue la carte d’un drumming discret et subtil, frappes légères, vibrations sonores, roulements de mille-pattes ou vrombissements de la grosse caisse. Au sax soprano ou à la clarinette basse, Floros Floridis joue de manière épurée ajoutant sa voix instrumentale par petites touches. Il ne se pose pas en « soliste », mais partage en alternance ses interventions improvisées avec un goût remarquable pour la dynamique et un sens de la complémentarité imaginative. Un maître musicien ! Sa partie de clarinette basse se love comme les anneaux d’un serpent qui entoure sa proie occasionnant subitement les cris d’orfraie de la vocaliste, sidérée. Et que dire du travail inventif et épuré d’Elena Kakaliagou sur son instrument difficile dont elle tire des sonorités inusitées. Cette capacité collaborative basée sur l’écoute et un sens inné de la forme est partagée par tous les collègues présents. Interactivités obliques, connivence télépathique, géométrie intuitive parfois décalée. Les quatre instrumentistes créent des canevas pour mettre en valeur l’expression vocale d’Almut Kühne qui rayonne et en retour illumine chacune de leurs interventions toutes en légèreté et en accord émotionnel et expressif avec la fée du logis. Sa voix se métamorphose graduellement selon l’affect de chaque morceau comme dans un rêve.
Tone Sequence Evaluators Floros Floridis & Yorgos Dimitriadis Evil Rabbit
https://yorgosdimitriadis.bandcamp.com/album/tone-sequence-evaluators
Duo intrigant du clarinettiste – saxophoniste Floros Floridis, crédité reeds & electronics et du percussionniste + electronics Yorgos Dimitriadis, tous deux Hellènes basés à Berlin. J’ai rencontré la musique de Floros Floridis à travers ses albums vinyles avec Paul Lytton, Hans Schneider Pinguin Moshner ou Phil Wachsmann ( Adônis et Ellispontos 1983 et 1986) ou Peter Kowald (Pyrichia), Louis Moholo et Vincent Chancey (Human Aspect). Yorgos Dimitriadis m’avait fait une excellente impression en duo avec le pianiste Achim Kaufmann (Anywhere Goes - Jazzwerkstatt) et le Red Dahl Sextet, avec rien moins qu’Alex Schlippenbach, Paul Dunmall, Frank Paul Schubert, Hillary Jeffries et Mike Majkowsky , est un témoignage orchestral peu commun. Rattachés au bec de ses clarinettes par une sorte de micro-contact, les live electronics de Floros Floridis semblent flotter et se mouvoir indépendamment du flux instrumental. Par contre, l’électronique de Yorgos Dimitriadis s’ajoute à son drumming particulier, pulsations décalées et rythmique fracturée et chavirante, sorte de hoquet cosmique. J’ai toujours eu un solide penchant pour ce clarinettiste au son soyeux et pour ses glissades dans le strict ordonnancement des gammes. Muni d’une solide formation scientifique, il a étudié la clarinette classique avec un grand maître, Floros Floridis a une âme de poète et est sans doute influencé par la pratique de la clarinette dans la musique traditionnelle de son pays, ayant chanté très jeune dans des chœurs byzantins. De nombreux improvisateurs clarinettistes free conservent les caractéristiques de justesse et d’extrême virtuosité de la pratique occidentale classique alors que les saxophonistes free la transgressent allègrement , comme Ornette Coleman par exemple. C’est cette approche relativement microtonale où les notes sont étirées, faussées avec soin, altérées sur l’entièreté des deux registres avec glissandi expressifs, soit « jouer faux juste ». Floros, avec son jeu touchant, subtil et irrégulier est un petit frère de Lol Coxhill , si on veut. Tone Sequence Evaluators est un duo atypique, une musique hybride aux ambiances mystérieuses que le jeu percussif et électronique très étudié de Yorgos Dimitriadis projette dans une autre réalité. Ses sons et frappes à la batterie acoustique sont entièrement incorporés à son dispositif électronique dont j’ignore le fonctionnement (à raison d’ailleurs, la pratique de la musique improvisée libre nous permet d’écouter sans devoir comprendre ou expliquer ce qui se joue, laissant les spectateurs – auditeurs prendre du plaisir sans souci d’ordre musicologique, sémantique ou technologique). Comme les sonorités et agrégats électro-acoustiques de chacun s’interpénètrent plus d’une fois dans un va et vient de secousses, vagues et fractions dans l’espace – temps, le jeu singulier, vocalisé et insaisissable de Floros Floridis semble jouer le rôle d’une bouée lumineuse insubmersible dans les ressacs agités d’une nuit lunaire au milieu d’une mer moirée. Une séquence au saxophone alto permet de mesurer la latitude d’options entre le clarinettiste et le saxophoniste, toujours aussi inspiré. Il y a une pluralité d’approches et d’interactivités à l’œuvre ici , préméditées ou spontanées, qui pousse l’auditeur à réévaluer sa perception en réécoutant à nouveau ces Tone Sequence Evaluators pour s’assurer que quelque chose lui a échappé. Un album tout à fait intéressant et unique en son genre.
Jean-Marc Foussat Rêve LP FOU Records FRLP 8 ½
https://www.fourecords.com/FR-LP8,5.htm
Super pochette d’un éventuel double – album vinyle où le nom de l’artiste et le titre sont tracés à l'encre blanche sur fond noir à la main et de part et d’autre d’un bandeau – photo d’une ondée translucide où meurt un vague rayon lumineux. 8 ½ comme ce film de Fellini avec Mastroianni, Claudia Cardinale et Anouk Aimée et un demi car il n’y a qu’une seule face A de musique à écouter, un charivari électronique avec sifflements, grondements, cornes de brumes, boucles vibrantes, rumeurs dans la rue et vers la fin quelques notes limpides au piano. Le vynil avec son unique face, l’autre lisse et non gravée est inséré dans une pochette intérieure, photo de draps de lit froissés d’un côté avec les crédits « jean-marc foussat Synthi AKS, voix, piano et jouets divers et variés » tracés par la même cursive à l’encre blanche. Un soleil – boule de feu trône dans un ciel nocturne encadré par une sombre canopée à contre-jour. À l’encre blanche « musique enregistrée au Thoronet" . Au recto de l’autre pochette intérieure un ciel bleu empanaché d’un nuage blanc de vapeur par-dessus une ligne de branches d’arbres feuillus et une masse nuageuse menaçante. Au verso, une photo quasi impressionniste et abstraite, A l’intérieur un disque en carton avec en Face A une photo circulaire d’une fleur rose pâle et son pistil jaune. De l’autre côté, surface en carton avec le logo PÓ Records – LP 8 ½ « jean-marc foussat » et la mention écrite à la main « regarde le bien » à l’encre noire. Entre les deux pochettes intérieures un feuille blanche carrée dimension LP 33 tours avec deux impressions de main de couleur bleue pâle et rouge sérigraphiées (?) , les bords de la main rouge étant surlignés à la mine de crayon taillé. Énigmatique. Quand on écoute la musique de Rêve 8 ½ , on s’aperçoit que le macaron – logo de la Face B silencieuse est ornée de cette même fleur rose pâle. Un rêve la nuit, des agrégats de son, des chuintements électroniques en boucle, sonnerie ténue d’une improbable clochette, sifflements, percussions sur le cadre du piano, vibrations, miasmes sonores, martèlements lointains, effets, bruits diffus au loin comme en plein jour, crescendo et piano joué free à pleines mains, vagues de notes tournoyantes et martelées puis lent decrescendo et finalement, le piano joué goutte à goutte du bout des doigts dans la pénombre et le silence relatif, bruissements et accords plaqués avant la fin. Une beauté insidieuse disparaît comme un papier enlevé par le souffle de la tramontane. Disque objet FOU. Pour info, 8 ½ est un tirage limité de 250 ex et son prix s'élève à 50 eur + frais d'envoi.
Cadenza del crepusculo John Hughes Gianni Mimmo Peer Schlechta Ove Volquartz Amirani AMRN 072
https://www.amiranirecords.com/editions/cadenzadelcrepuscolo
Voici encore un rare Objet Volant New Improvisé, assemblage instrumental tout à fait inusité dans ce domaine. Ça nous change de l’évidence des sentiers battus. L’organiste Peer Schlechta et le clarinettiste basse / contrebasse Ove Volquartz travaillent ensemble dans des projets peu communs comme il arrive souvent aux improvisateurs Germaniques habitant dans des villes de province. Leur collaboration a laissé quelques traces discographiques mémorables. Un long trio orgue d’église clarinette basse et vièle chinoise Er-Hu jouée par le percussionniste japonais Sabu Toyozumi in « Kosai Yujyo » (2CD Improvising Beings). Leur duo Volquartz – Schlechta a entregistré « Dreizweit » (Setola Di Maiale). Ils participent aussi à Music for Two Organs & Two Basses avec Ove et Chris Cundy aux clarinettes basses, Peer à l’orgue d’église et le compositeur Thanos Chrysakis à l’orgue positif (Aural Terrains). Avec cette Cadence du crépuscule, Ove et Peer se surpassent en compagnie du contrebassiste John Hughes et du saxophoniste soprano Gianni Mimmo, lui-même responsable du label Amirani dont c’est le 72ème album et sûrement un des plus intrigants et réussis. Ove et Gianni ont travaillé ensemble et enregistré deux albums avec les pianistes Gianni Lenoci ( R.I.P. Reciprocal Uncles - Glances & Many Avenues / Amirani) et Yoko Miura (Air Current Setola di Maiale).
La musique se développe en suspens dans l’espace, orchestre aérien basé sur des drones graves et mouvants, une ambiance majestueuse remplissant l’espace auditif enregistrée dans la Neustädter Kirche Hofgeismar, la même où avait été enregistrés leurs autres albums communs cités plus haut. Six morceaux entre 9 et 5 minutes et quelques pour un total de 40:43. Chaque morceau semble avoir un parfum d’éternité comme Gliding over Silent Seas avec les notes graves soutenues de l’orgue, la vibration d’une note de la grosse corde de la contrebasse et les mouvements lents secrets de la clarinette contrebasse. Grince-t-elle ou s’agit-il d’un tube de l’orgue ? Les registres choisis par Schlechta sont merveilleusement indiqués. Drones, tremblements et bourdonnements qui s’agrègent striés par quelques crescendi du souffle de l’énorme clarinette et des vibrations grésillantes du ou des tubes. Plus loin , les musiciens s’ingénient à diversifier les sonorités, à moduler clusters et souffles conjugués et tournoyants de la grosse machine à air, à étirer les harmoniques pures du sax soprano, à boucler une super respiration circulaire de l’anche, pizzicati gargantuesques ou frottements aigus oscillant près du chevalet, claquement de l’anche de la clarinette basse, ostinati de la contrebasse qui trouvent un écho à la clarinette basse. Des interactions subtiles et diantrement efficaces s’insèrent méthodiquement pour relancer, par exemple, une intervention splendide du clarinettiste aigu-grave qui en appellent une autre le relayant dans l’aigu. Merveilleux contrepoints à l’orgue avec des sonorités intrigantes. Pas une longueur, une précision dans le jeu et un sens des proportions et de la dynamique . Et surtout , du jamais entendu entre « abstraction austère» et lyrisme émouvant et aussi monumental. Ce genre de trésor est indispensable pour la santé mentale des suiveurs de la cause free-jazz – free improvisation sans œillères ni virus idéologico-sémantique. Renversant !!
Free Improvising Singer and improvised music writer.
3 mars 2023
Sergio Armaroli Veli Kujala Giancarlo Schiaffini Harri Sjöström/ Audrey Lauro/ Gonçalo Mortagua Ernesto Rodrigues Guilherme Rodrigues Günter Sommer/ Hernani Faustino & João Madeira
More Windows & Small Mirrors Milano Dialogues part two Sergio Armaroli Veli Kujala Giancarlo Schiaffini Harri Sjöström Leo Records LRCD 933
https://harrisjostrom.bandcamp.com/album/more-windows-small-mirrors-milano-dialogies-part-two
https://www.sergioarmaroli.com/windows-mirrors-milano-dialogues/
Cet album intrigant fait suite au Windows & Mirrors / Milano Dialogues (LRCD 931) enregistré lui aussi les 3 et 4 avril 2022 avec les mêmes, soit le vibraphoniste italien Sergio Armaroli, l’accordéoniste « au quart de ton » finlandais Veli Kujala, le tromboniste italien Giancarlo Schiaffini et le saxophoniste soprano (et sopranino) finlandais Harri Sjöström. Armaroli est l’initiateur de ce quartet atypique et aérien et j’ajouterai qu’arrivé récemment sur la scène internationale, cet excellent vibraphoniste a déjà publié une belle collaboration à trois avec Schiaffini et Sjöström (Duos & Trios), des duos magnifiques avec les percussionnistes Fritz Hauser et Roger Turner pour Leo Records , ainsi qu’avec Elliott Sharp. Veli Kujala est un artiste unique en son genre à mi-chemin entre l’harmonie et l’étirement éthéré de solutions mélodiques spiralées et microtonales entre les points fixes des gammes occidentales. Giancarlo Schiaffini s’est affirmé, il y a un demi-siècle en pionnier des musiques improvisées free (génération Enrico Rava, Marcelo Melis, et puis Centazzo, Iannacone, Mazzon etc…), généreux utilisateur de sourdines et avant-gardiste voisin de Paul Rutherford et Günther Christmann. Harri Sjöström a beaucoup travaillé avec Paul Lovens, Phil Wachsmann et Teppo Hauta- Aho et fut longtemps un membre à part entière des groupes New-Yorkais et Européen de Cecil Taylor. Ces Windows et Mirrors découlent aussi de ses Soundscapes à géométrie variable internationales (cfr Balderin Sali Variations Leo LRCD 870/871 et Soundscapes Festival #3 Fundacja Sluchaj FSR 07/2022) réunissant une quinzaine d’improvisateurs de haut vol parmi lesquels ces quatre musiciens ont appris à mieux se connaître. Cette musique improvisée en suspension dans l’espace et le temps est basée sur un dialogue minutieux comme le titre l’indique. More Windows #6 commence par un bel équilibre avec l’accordéon lancinant et ses spirales ondoyantes ou tortueuses auquel finit par répondre le vibraphone cristallin établissant un échange en demi-teinte. S’enchaîne l’intervention du trombone et ses sourdines expressives avec le vibraphone, le souffleur découpant l’air ambiant au cuivre moelleux, déchirant et acide, un brin narquois. Un peu plus loin c’est le sax soprano qui surgit, Harri modulant ses notes ciselées, morsures et hoquets rengorgés évoquant à la fois le meilleur de Lol Coxhill et de Steve Lacy dans un style personnel vraiment original. Dans le face à face sautillant des deux souffleurs, Veli actionne un ostinato irrégulier contribuant au momentum.15 minutes et c’est le plus long morceau. On apprécie l’instrumentation originale et toutes ces déclinaisons sonores au fil des 10 morceaux souvent assez courts (3 – 4 minutes). Les More Windows #6, #7, #8 et #9 de l’album contiennent ainsi des emboîtements spontanés et bien construits alternant dialogues en duos et trios, parfois tutti où l’art de la conversation logique ou lunatique se développe, s’améliore, se dilate dans une dimension intime, chambriste et lyrique avec quelques éclats qui font sens. Contemporain, free, improvisé libre , avant jazz, sont finalement des étiquettes qui rendent mal la qualité vivante et tout le charme indicible de cette musique. Les Small Mirrors #1, #2, #3, #4, #5 et #6 en duo, intercalés par paires entre chaque Windows tels les tableaux d’une exposition haute en couleurs, sont l’occasion de se jouer du mimétisme souvent inévitable pour apporter encore plus de nuances et d’expressivité à leur démarche. Vu le découpage des morceaux de l’album et de leurs conceptions épurées et interactives, l’auditeur se régale de toutes leurs figures de style, modules rotatifs, vignettes chatoyantes et haikus expressifs. Et il n’y pas de longueur dans toutes leurs interventions. Voilà une musique qu’on peut parcourir sans se lasser pendant des heures surtout que chacun d’eux est un improvisateur attachant, amoureux et poète.
Audrey Lauro Solo Sous un ciel d’écailles el Negocito eNR114
https://elnegocito.bandcamp.com/album/sous-un-ciel-d-cailles
http://www.audreylauro.com/
Album solo de saxophone alto par une musicienne inspirée, Audrey Lauro, créditée ici tape recorders et composition, outre son sax alto fétiche. Pochette cartonnée noire en série limitée avec deux œuvres du père de l’artiste, André Lauro. L’une reproduite au recto de la pochette, encre noire et pastel et l’autre, insérée et pliée dans celle-ci en sérigraphie sur papier 42 cm / 29,50 cm. Expression sombre, brute, expressionisme abstrait noir où surgissent des formes de la douleur, canevas organique… La musique est enregistrée dans la résonance réverbérante de la Chapelle du Grand Hospice dans le quartier du Béguinage au centre de Bruxelles, haut lieu temporaire de l’avant-garde. Audrey Lauro prend soin de soigner son émission et le débit de son souffle en action , avec l’aide de sons préenregistrés, afin de tirer adroitement parti de l’acoustique du lieu. Sept pièces entre les 2 et 4 minutes et quelques se succèdent avec autant d’assurance que de discrétion. En effet, elle ne cherche pas à souffler tout sur son passage à pleins poumons en mordant l’anche, mais plutôt à nous attirer en douceur dans son processus auditif et parmi les filets de sons qui s’élèvent sous la coupole. Ce qui semble aléatoire est ciselé par une pensée acérée et imprimée/ exprimée par une volonté conquise dans l’intensité d’une intransigeance vivace. Concentrée, elle manie judicieusement la respiration circulaire en alternant accents, notes , battements, croches. Modulant sifflements, suraigus, graves graveleux, résonances, son univers sonore happe l’écoute. Sa manière est quelque peu voisine de l’approche magnétisante de l’inoubliable Gianni Gebbia et on rêve d’entendre ces deux-là en duo de saxophone. S’affirmant déjà il y a plus de quinze ans dans les faubourgs de Marseille et de Bruxelles, Audrey Lauro a déjà sillonné les scènes d’Europe et de New-York, imprimé sa marque à Londres, Stockholm, Vienne, Berlin, avec Gotis Diamandis, Mia Zabelka, etc… Sous un ciel d’écailles, les fruits ne tombent pas au hasard.
Not Bad Gonçalo Mortagua Ernesto Rodrigues Guilherme Rodrigues Günter Sommer Creative Sources CS761CD
https://creativesources.bandcamp.com/album/not-bad
https://ernestorodrigues.bandcamp.com/album/not-bad
Tandem père et fils insigne de l’avant- garde improvisée radicale de ces vingt dernières années, le violiste (alto) Ernesto Rodrigues et le violoncelliste Guilherme Rodrigues ont le culot de s’associer avec un grand nombre d’improvisateurs, certains au registre et à la démarche particulièrement éloignées de leurs préoccupations sonores. Malgré son adhésion à l’expression minimaliste exploratoire « lower case » conceptuelle ou new silence en existence depuis les alentours de l’an 2000, Ernesto n’a jamais jeté l’enfant avec l’eau du bain. D’ailleurs, il suffit d’écouter son fils Guilherme dans ses deux récents opus solitaires « Cascata » et « Acoustic Reverb » pour réaliser l’étendue de leurs préoccupations musicales. Ici, il n’y a pas moins que le légendaire batteur Saxon Günter Sommer, un incontournable de la free music européenne au parcours particulièrement fructueux. Associé à ses camarades de la première heure Ulrich Gumpert, Ernst Ludwig Petrowsky et les frères Bauer, on l’a entendu en Solo (Hörmuzik) avec Peter Brötzmann, Fred Van Hove, Barre Phillips, Leo Smith et Peter Kowald, Gianni Gebbia, Didier Levallet et Sylvain Kassap, Cecil Taylor, Irene Schweizer etc… Avec le saxophoniste Gonçalo Mortagua, il assure fermement le pôle « free-jazz de ce curieux assemblage, les deux Rodrigues et leurs frottements d’archets atonaux, pour la face impro radicale. Gonçalo Mortagua joue du sax ténor et de la flûte de bambou (6 Grenze Zu), et n’essaie pas de se référer à des grandes voix du saxophone free-jazz (Ornette, Ayler, Trane, Lacy etc..), mais crée son langage à partir de sa propre expérience et de son imaginaire . Not Bad, car cette session challenge délibérément audacieuse qui aurait pu se révéler incertaine est loin d’être mauvaise. Pour ces deux cordistes, le choix de Günter Sommer est très avisé, car ce batteur âgé de 80 ans s’est adapté merveilleusement à la dynamique et au volume sonore de l’altiste et du violoncelliste et leur remarquable aptitude à jouer de concert en imbriquant leur jeux respectifs comme s’ils n’étaient qu’une seule personne. Dès l’ouverture (1. Abertura), Sommer a trouvé le registre adéquat, martelant légèrement sa grosse caisse en ostinato en osmose avec le mouvement des deux archets sur leurs cordes frottées et leurs crissements, harmoniques, sons étouffés, oscillations enguirlandées et moirures d’une finesse inouïe. Son drumming reste discret, ouvrant le champ sonore à l’expression de ses collègues parfois hyperactifs, mais souvent au bord du silence, lui-même avec une belle variété de frappes. Le lyrisme de Mortagua peut alors s’élancer avec sa fraîcheur et son imagination. Il n’en fait pas trop, conservant son timbre caractéristique réellement adéquat à ceux du cello et de l’alto. Au fil de la séance, la musique évolue vers plus d’échanges interactifs, deux duos (7.Duo 8. Unduo) cello - ténor et une pièce particulièrement enlevée où le batteur nous livre un solo remarquable à son début (10. Untitled). Les cas de figures et les ambiances différentes se multiplient et font de cette rencontre atypique une excellente expérience d’écoute et de découverte. Cette association momentanée change complètement la perspective sonore et créative de ces quatre musiciens dans leur univers « habituel » et c’est quand même formidable de les entendre dialoguer et collaborer sur la base de l’écoute immédiate avec des artistes très différents d’eux-mêmes. La musicalité réelle n’a pas de limites sauf dans les présupposés des étiqueteurs primesautiers. Magnifique album.
dB João Madeira & Hernani Faustino FMR CD5910920
https://joaomadeira.bandcamp.com/album/db-duet
Le rythme indécis des mises à jour du label FMR sur son site web fait que ce bel ouvrage, dB, a échappé à ma sagacité depuis 2020. Depuis, le contrebassiste João Madeira a fait couler l’eau sous les ponts, ou bridges de sa contrebasse et celle de son ami Faustino Hernani, contrebassiste incontournable de la scène lusitanienne, celle qui ouvre les écoutilles … ou … portugaises. Comme l’a affirmé le grand Johannes Rosenberg dans ses nombreux traités et missives, les instruments à cordes frottées de la famille du violon (alto, violoncelle et contrebasse) ne s’entendent jamais mieux qu’ensemble à l’exclusion des autres (saxophones, percussions, pianos etc…). Et ces deux Portugais ont de qui tenir avec la proximité des Zingaro, Mira, Rodrigues père et fils… Et donc voici de quoi nous esbaudir, même si les doigts s’agitent souvent dans une belle variété de pizzicatos expressifs.
Duos de contrebasses. On se souvient de Barre Phillips et David Holland, Music from Two Basses (ECM 1011), les rencontres de Peter Kowald avec Barre Phillips (Random Generators), Maarten Altena (Two Making a Triangle), Barry Guy (Paintings) pour FMP, Arcus de Phillips et Guy dans la chapelle Ste Philomène, Joëlle Léandre et William Parker à Dunois ou le Mirrors Broken But No Dust de Damon Smith avec le même Kowald et aussi Beb Guérin et François Méchali à l’aube de l’aventure Nato... Tensid de Georg Wolf et Ulrich Phillip pour Nur Nicht Nur. Et ce quartet en hommage à Peter Kowald avec Barre, Joëlle, Tetsu et William paru chez Victo. Sorry pour le déballage sus-mentionné du catalogue quasi-complet. Mais la contrebasse, instrument grave un peu balourd est une des pierres d’angle indispensables de la free-music radicale : il permet tous les dérapages, transgressions, sourdreries, les cordes qui claquent sur la touche fragile, glissandi extrêmes dans l’aigu, les col legno bruitistes ou subtils, les multiphoniques pressées outageusement sur la touche, les grondements puissants, les mouvements amples et boisés, les éclats inconsidérés et d’infinies nuances. Alors, oublions pianos, saxophones, guitares, batteries coordonnées ou sauvages et laissons-nous gagner par cette ascèse gestuelle, cette union physique et mentale que nous offrent Faustino et João avec leurs deux contrebasses qui se démultiplient et se complètent. Unique et inespérè. Accrochez vous et allez-y à fond ! C'est l'aventure dans la poussière des chemins perdus loin des habitudes.
https://harrisjostrom.bandcamp.com/album/more-windows-small-mirrors-milano-dialogies-part-two
https://www.sergioarmaroli.com/windows-mirrors-milano-dialogues/
Cet album intrigant fait suite au Windows & Mirrors / Milano Dialogues (LRCD 931) enregistré lui aussi les 3 et 4 avril 2022 avec les mêmes, soit le vibraphoniste italien Sergio Armaroli, l’accordéoniste « au quart de ton » finlandais Veli Kujala, le tromboniste italien Giancarlo Schiaffini et le saxophoniste soprano (et sopranino) finlandais Harri Sjöström. Armaroli est l’initiateur de ce quartet atypique et aérien et j’ajouterai qu’arrivé récemment sur la scène internationale, cet excellent vibraphoniste a déjà publié une belle collaboration à trois avec Schiaffini et Sjöström (Duos & Trios), des duos magnifiques avec les percussionnistes Fritz Hauser et Roger Turner pour Leo Records , ainsi qu’avec Elliott Sharp. Veli Kujala est un artiste unique en son genre à mi-chemin entre l’harmonie et l’étirement éthéré de solutions mélodiques spiralées et microtonales entre les points fixes des gammes occidentales. Giancarlo Schiaffini s’est affirmé, il y a un demi-siècle en pionnier des musiques improvisées free (génération Enrico Rava, Marcelo Melis, et puis Centazzo, Iannacone, Mazzon etc…), généreux utilisateur de sourdines et avant-gardiste voisin de Paul Rutherford et Günther Christmann. Harri Sjöström a beaucoup travaillé avec Paul Lovens, Phil Wachsmann et Teppo Hauta- Aho et fut longtemps un membre à part entière des groupes New-Yorkais et Européen de Cecil Taylor. Ces Windows et Mirrors découlent aussi de ses Soundscapes à géométrie variable internationales (cfr Balderin Sali Variations Leo LRCD 870/871 et Soundscapes Festival #3 Fundacja Sluchaj FSR 07/2022) réunissant une quinzaine d’improvisateurs de haut vol parmi lesquels ces quatre musiciens ont appris à mieux se connaître. Cette musique improvisée en suspension dans l’espace et le temps est basée sur un dialogue minutieux comme le titre l’indique. More Windows #6 commence par un bel équilibre avec l’accordéon lancinant et ses spirales ondoyantes ou tortueuses auquel finit par répondre le vibraphone cristallin établissant un échange en demi-teinte. S’enchaîne l’intervention du trombone et ses sourdines expressives avec le vibraphone, le souffleur découpant l’air ambiant au cuivre moelleux, déchirant et acide, un brin narquois. Un peu plus loin c’est le sax soprano qui surgit, Harri modulant ses notes ciselées, morsures et hoquets rengorgés évoquant à la fois le meilleur de Lol Coxhill et de Steve Lacy dans un style personnel vraiment original. Dans le face à face sautillant des deux souffleurs, Veli actionne un ostinato irrégulier contribuant au momentum.15 minutes et c’est le plus long morceau. On apprécie l’instrumentation originale et toutes ces déclinaisons sonores au fil des 10 morceaux souvent assez courts (3 – 4 minutes). Les More Windows #6, #7, #8 et #9 de l’album contiennent ainsi des emboîtements spontanés et bien construits alternant dialogues en duos et trios, parfois tutti où l’art de la conversation logique ou lunatique se développe, s’améliore, se dilate dans une dimension intime, chambriste et lyrique avec quelques éclats qui font sens. Contemporain, free, improvisé libre , avant jazz, sont finalement des étiquettes qui rendent mal la qualité vivante et tout le charme indicible de cette musique. Les Small Mirrors #1, #2, #3, #4, #5 et #6 en duo, intercalés par paires entre chaque Windows tels les tableaux d’une exposition haute en couleurs, sont l’occasion de se jouer du mimétisme souvent inévitable pour apporter encore plus de nuances et d’expressivité à leur démarche. Vu le découpage des morceaux de l’album et de leurs conceptions épurées et interactives, l’auditeur se régale de toutes leurs figures de style, modules rotatifs, vignettes chatoyantes et haikus expressifs. Et il n’y pas de longueur dans toutes leurs interventions. Voilà une musique qu’on peut parcourir sans se lasser pendant des heures surtout que chacun d’eux est un improvisateur attachant, amoureux et poète.
Audrey Lauro Solo Sous un ciel d’écailles el Negocito eNR114
https://elnegocito.bandcamp.com/album/sous-un-ciel-d-cailles
http://www.audreylauro.com/
Album solo de saxophone alto par une musicienne inspirée, Audrey Lauro, créditée ici tape recorders et composition, outre son sax alto fétiche. Pochette cartonnée noire en série limitée avec deux œuvres du père de l’artiste, André Lauro. L’une reproduite au recto de la pochette, encre noire et pastel et l’autre, insérée et pliée dans celle-ci en sérigraphie sur papier 42 cm / 29,50 cm. Expression sombre, brute, expressionisme abstrait noir où surgissent des formes de la douleur, canevas organique… La musique est enregistrée dans la résonance réverbérante de la Chapelle du Grand Hospice dans le quartier du Béguinage au centre de Bruxelles, haut lieu temporaire de l’avant-garde. Audrey Lauro prend soin de soigner son émission et le débit de son souffle en action , avec l’aide de sons préenregistrés, afin de tirer adroitement parti de l’acoustique du lieu. Sept pièces entre les 2 et 4 minutes et quelques se succèdent avec autant d’assurance que de discrétion. En effet, elle ne cherche pas à souffler tout sur son passage à pleins poumons en mordant l’anche, mais plutôt à nous attirer en douceur dans son processus auditif et parmi les filets de sons qui s’élèvent sous la coupole. Ce qui semble aléatoire est ciselé par une pensée acérée et imprimée/ exprimée par une volonté conquise dans l’intensité d’une intransigeance vivace. Concentrée, elle manie judicieusement la respiration circulaire en alternant accents, notes , battements, croches. Modulant sifflements, suraigus, graves graveleux, résonances, son univers sonore happe l’écoute. Sa manière est quelque peu voisine de l’approche magnétisante de l’inoubliable Gianni Gebbia et on rêve d’entendre ces deux-là en duo de saxophone. S’affirmant déjà il y a plus de quinze ans dans les faubourgs de Marseille et de Bruxelles, Audrey Lauro a déjà sillonné les scènes d’Europe et de New-York, imprimé sa marque à Londres, Stockholm, Vienne, Berlin, avec Gotis Diamandis, Mia Zabelka, etc… Sous un ciel d’écailles, les fruits ne tombent pas au hasard.
Not Bad Gonçalo Mortagua Ernesto Rodrigues Guilherme Rodrigues Günter Sommer Creative Sources CS761CD
https://creativesources.bandcamp.com/album/not-bad
https://ernestorodrigues.bandcamp.com/album/not-bad
Tandem père et fils insigne de l’avant- garde improvisée radicale de ces vingt dernières années, le violiste (alto) Ernesto Rodrigues et le violoncelliste Guilherme Rodrigues ont le culot de s’associer avec un grand nombre d’improvisateurs, certains au registre et à la démarche particulièrement éloignées de leurs préoccupations sonores. Malgré son adhésion à l’expression minimaliste exploratoire « lower case » conceptuelle ou new silence en existence depuis les alentours de l’an 2000, Ernesto n’a jamais jeté l’enfant avec l’eau du bain. D’ailleurs, il suffit d’écouter son fils Guilherme dans ses deux récents opus solitaires « Cascata » et « Acoustic Reverb » pour réaliser l’étendue de leurs préoccupations musicales. Ici, il n’y a pas moins que le légendaire batteur Saxon Günter Sommer, un incontournable de la free music européenne au parcours particulièrement fructueux. Associé à ses camarades de la première heure Ulrich Gumpert, Ernst Ludwig Petrowsky et les frères Bauer, on l’a entendu en Solo (Hörmuzik) avec Peter Brötzmann, Fred Van Hove, Barre Phillips, Leo Smith et Peter Kowald, Gianni Gebbia, Didier Levallet et Sylvain Kassap, Cecil Taylor, Irene Schweizer etc… Avec le saxophoniste Gonçalo Mortagua, il assure fermement le pôle « free-jazz de ce curieux assemblage, les deux Rodrigues et leurs frottements d’archets atonaux, pour la face impro radicale. Gonçalo Mortagua joue du sax ténor et de la flûte de bambou (6 Grenze Zu), et n’essaie pas de se référer à des grandes voix du saxophone free-jazz (Ornette, Ayler, Trane, Lacy etc..), mais crée son langage à partir de sa propre expérience et de son imaginaire . Not Bad, car cette session challenge délibérément audacieuse qui aurait pu se révéler incertaine est loin d’être mauvaise. Pour ces deux cordistes, le choix de Günter Sommer est très avisé, car ce batteur âgé de 80 ans s’est adapté merveilleusement à la dynamique et au volume sonore de l’altiste et du violoncelliste et leur remarquable aptitude à jouer de concert en imbriquant leur jeux respectifs comme s’ils n’étaient qu’une seule personne. Dès l’ouverture (1. Abertura), Sommer a trouvé le registre adéquat, martelant légèrement sa grosse caisse en ostinato en osmose avec le mouvement des deux archets sur leurs cordes frottées et leurs crissements, harmoniques, sons étouffés, oscillations enguirlandées et moirures d’une finesse inouïe. Son drumming reste discret, ouvrant le champ sonore à l’expression de ses collègues parfois hyperactifs, mais souvent au bord du silence, lui-même avec une belle variété de frappes. Le lyrisme de Mortagua peut alors s’élancer avec sa fraîcheur et son imagination. Il n’en fait pas trop, conservant son timbre caractéristique réellement adéquat à ceux du cello et de l’alto. Au fil de la séance, la musique évolue vers plus d’échanges interactifs, deux duos (7.Duo 8. Unduo) cello - ténor et une pièce particulièrement enlevée où le batteur nous livre un solo remarquable à son début (10. Untitled). Les cas de figures et les ambiances différentes se multiplient et font de cette rencontre atypique une excellente expérience d’écoute et de découverte. Cette association momentanée change complètement la perspective sonore et créative de ces quatre musiciens dans leur univers « habituel » et c’est quand même formidable de les entendre dialoguer et collaborer sur la base de l’écoute immédiate avec des artistes très différents d’eux-mêmes. La musicalité réelle n’a pas de limites sauf dans les présupposés des étiqueteurs primesautiers. Magnifique album.
dB João Madeira & Hernani Faustino FMR CD5910920
https://joaomadeira.bandcamp.com/album/db-duet
Le rythme indécis des mises à jour du label FMR sur son site web fait que ce bel ouvrage, dB, a échappé à ma sagacité depuis 2020. Depuis, le contrebassiste João Madeira a fait couler l’eau sous les ponts, ou bridges de sa contrebasse et celle de son ami Faustino Hernani, contrebassiste incontournable de la scène lusitanienne, celle qui ouvre les écoutilles … ou … portugaises. Comme l’a affirmé le grand Johannes Rosenberg dans ses nombreux traités et missives, les instruments à cordes frottées de la famille du violon (alto, violoncelle et contrebasse) ne s’entendent jamais mieux qu’ensemble à l’exclusion des autres (saxophones, percussions, pianos etc…). Et ces deux Portugais ont de qui tenir avec la proximité des Zingaro, Mira, Rodrigues père et fils… Et donc voici de quoi nous esbaudir, même si les doigts s’agitent souvent dans une belle variété de pizzicatos expressifs.
Duos de contrebasses. On se souvient de Barre Phillips et David Holland, Music from Two Basses (ECM 1011), les rencontres de Peter Kowald avec Barre Phillips (Random Generators), Maarten Altena (Two Making a Triangle), Barry Guy (Paintings) pour FMP, Arcus de Phillips et Guy dans la chapelle Ste Philomène, Joëlle Léandre et William Parker à Dunois ou le Mirrors Broken But No Dust de Damon Smith avec le même Kowald et aussi Beb Guérin et François Méchali à l’aube de l’aventure Nato... Tensid de Georg Wolf et Ulrich Phillip pour Nur Nicht Nur. Et ce quartet en hommage à Peter Kowald avec Barre, Joëlle, Tetsu et William paru chez Victo. Sorry pour le déballage sus-mentionné du catalogue quasi-complet. Mais la contrebasse, instrument grave un peu balourd est une des pierres d’angle indispensables de la free-music radicale : il permet tous les dérapages, transgressions, sourdreries, les cordes qui claquent sur la touche fragile, glissandi extrêmes dans l’aigu, les col legno bruitistes ou subtils, les multiphoniques pressées outageusement sur la touche, les grondements puissants, les mouvements amples et boisés, les éclats inconsidérés et d’infinies nuances. Alors, oublions pianos, saxophones, guitares, batteries coordonnées ou sauvages et laissons-nous gagner par cette ascèse gestuelle, cette union physique et mentale que nous offrent Faustino et João avec leurs deux contrebasses qui se démultiplient et se complètent. Unique et inespérè. Accrochez vous et allez-y à fond ! C'est l'aventure dans la poussière des chemins perdus loin des habitudes.
Free Improvising Singer and improvised music writer.
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