30 juin 2018

Jack Wright & Dylan van der Schyff/ Phil Minton & Torsten Müller / Sabu Toyozumi Rick Countryman Simon Tan/ Guillermo Gregorio Nicolas Letman- Burtinovic Todd Capp/ Fred Lonberg-Holm & Simon Camatta

two in the bush Jack Wright Dylan van der Schyff WhirrbooM ! #001


Une Improvisation de 30:24 enregistrée à la China Cloud Gallery le 10 février 2018 à Vancouver et publiée sur le label très prometteur WhirrbooM ! du percussionniste Dylan van der Schyff. Duo percussion saxophones plus que remarquable. Jack Wright explore le saxophone alto et soprano dans les marges de l’instrument avec une réelle originalité. Van der Schyff frappe les peaux, rebords, cymbales et accessoires en mélangeant spontanément une approche éclatée et disruptive de la percussion et son excellente technique poly-rythmique. Pépiements, râles, frictions de la colonne d’air, vocalisations, growls, couinements savants, pincements de l’anche, un lyrisme sauvage et retenu nous fait découvrir  la face cachée du saxophone dans une relation constante avec les inventions incessantes et croisées du frappeur, gratteur, frotteur de peaux. Le batteur s’échappe autant qu’il construit soulignant la pertinence du métabolisme du souffle dans le tube, le bocal et les clés en pagaille. Dylan a une manière très personnelle aisément reconnaissable de faire sonner la percussion. Une démarche aboutie. Les deux acolytes se suivent à la trace sans se mimer. Côté souffle, on songe à l’urgence instantanée de Lacy de certains passages en solo, au travail sur la matière d’un Doneda cernant les sons, à des accointances avec un Georg Wissel ou à Leimgruber flûtant les intervalles… Le tandem sax-percussion est devenu une formule récurrente au fil du temps. Mais Wright et van der Schyff en rafraîchissent la topologie. Tout l’intérêt de ce magnifique duo réside dans ce phénomène : les sons joués / transformés / altérés  retournent à l’état de nature, comme si celle-ci (la leur) échappait à sa destruction quasi inéluctable par l’industrieuse et polluante activité humaine. Un beau manifeste d’irréductibles qu’on réécoute sans parvenir à la satiété. 

Ductus Pneumaticus Phil Minton Torsten Müller WhirrbooM ! #002

Chaque album où intervient le vocaliste Phil Minton en duo avec un as de l’improvisation libre est très souvent un document incontournable. Phil et le contrebassiste Torsten Müller se sont connus durant les nombreuses éditions de Vario, le groupe à géométrie variable animé par le tromboniste et contrebassiste puis violoncelliste Gunter Christmann (années 80 et 90). Depuis lors, Torsten est parti vivre à Vancouver et ne rate aucune occasion lorsqu’un de ses camarades improvisateurs européens est de passage sur la côte Ouest. On croit connaître le répertoire sonore et vocal de Phil Minton après l’avoir écouté des dizaines de fois, que ce soit en disque ou en concert. Mais, à chaque occasion, on est frappé par les nouvelles choses, les timbres, les émotions, multiphoniques et harmoniques dont il renouvelle la texture et la sonorité dans des détails aussi infimes qu’infinis. Ce sont ces détails qui font tout le sel des Hypernyms (24:04) et des Hyponyms (16:17) : sifflements, chouintages, bruits de bouche, croassements, infra vocalisation, laryngophonie, inspiration bruissante, phonèmes éclatés, voilés, harmoniques désespérées, lambeaux syllabiques impossibles, batailles de chats au clair de lune... . Avec Minton, Torsten Müller est un collaborateur parfait, un contrebassiste aussi compétent qu’aventureux, qui fait vibrer naturellement les moindres recoins de sa contrebasse (on songe à Barre Phillips, John Edwards, …). Son jeu d’archet se pare de couleurs moirées, de lueurs indicibles, de frottements vocalisés… Ce faisant, il raconte une histoire, évoque des légendes oubliées ou imaginaires, établissant ainsi une magnifique connivence avec les glossolalies du chanteur. Ces dix dernières années, Sophie Agnel, Daunik Lazro, Gunter Christmann, Joëlle Léandre, Karl-Ludwig Hübsch ont gravé de magnifiques albums en compagnie de Phil Minton. Ductus Pneumaticus est une pièce à conviction supplémentaire mais surtout un document unique qu’on a envie de conserver dans une place spéciale de sa cédéthèque, celle des incontournables de la scène improvisée libre radicale. Un régal. WhirrbooM ! est LE label à suivre en 2018. 

 The Center of Contradiction Sabu Toyozumi Rick Countryman Simon Tan Chap Chap Records CPCD-012

Enregistré le 12 août 2017 aux Philippines et produit par Takeo Suetomi de Chap Chap , un inconditionnel absolu du légendaire batteur nippon Yoshisaburo « Sabu » Toyozumi. Ce véritable maître à jouer apporte son concours à deux activistes du free-jazz de Manille. Le saxophoniste alto US Rick Countryman est basé depuis des lustres aux Philippines après avoir fréquenté le cercle des jazzmen libres de la Californie du Sud, entre autres le saxophoniste Bert Wilson, lui-même un proche de Sonny Simmons. À Manille, Countryman fait équipe avec le contrebassiste Simon Tan et le batteur Christian Bucher et leur album Acceptance a été publié par Improvising Beings, le label de Julien Palomo, lui-même, aussi, un inconditionnel absolu de Sabu Toyozumi. On assiste ici à une véritable bonification des qualités et du potentiel expressif de Tan et Countryman par la grâce de la présence du percussionniste. Comme l’explique Countryman, un musicien rompu aux problèmes du jazz : « Pour moi, Sabu swingue et «ne swingue pas». Son jeu embrasse sans faire de restrictions. Il ne force pas à émuler d’un genre musical précis ou à jouer des lignes ou des techniques prescrites et préétablies. Cependant, si je voulais, je pourrais jouer avec un feeling et des lignes bebop sans arrêt avec ses idées (de batteur). Bien que ce ne serait pas la meilleure approche, ce ne serait pas incompatible. Si le swing est une couleur dans le spectre musical, Sabu apporte la liberté de t’exprimer toi-même avec chacune et toutes les couleurs. Beaucoup de batteurs vous poussent « dehors » ; Sabu vous extrait(littéralement), vous met en valeur. (Autres traductions : déménage, s’ébranle, s’échappe…). Sabu s’assure simplement que vous puissiez vous exprimer vous-même sans aucune restriction ». Et c’est bien ce qui se passe ici. Le jeu elliptique, aventureux, logique, sonore, lyrique, détaillé et d’une grande finesse de Sabu Toyozumi permet à ses deux compagnons d’exprimer le meilleur d’eux-mêmes. Toute son expérience d’improvisateur libre est impliquée à embellir la musique de Simon Tan et de Rick Countryman, à la vivifier. Contrebassiste basique et profond, Tan raconte une belle histoire dans Bystander (17:26) en faisant vibrer les notes de sa mélodie par dessus les friselis et les roulements épars du batteur. Dans le très long Center of Contradiction (36:37), Countryman dévide le ruban de ses chaleureuses improvisations dans un univers proche des Oliver Lake, Julius Hemphill etc… en variant au mieux effets, cadences, intervalles avec une sonorité appréciable.  Sabu Toyozumi joue parfaitement avec une grande sensibilité et un sens de la liberté rare et épuré, un modèle du genre. Il y a une réelle densité humaine, un rapport empathique, une communication véritable : écoute, profondeur de vues, respect, engagement. La musique de jazz est essentiellement collective et cet aspect des choses est ici magnifié. Un très bel album. 

Guillermo Gregorio Nicolas Letman-Burtinovic Todd Capp Futura Spartan Suite Chap-Chap Records CPCD-011

Contre toute attente, Takeo Suetomi de Chap Chap Records, un label documentant des improvisateurs japonais de la première génération (Sabu Toyozumi, Motoharu Yoshizawa) et dont les projets ont été publiés par No Business, propose l’excellent clarinettiste argentin de Chicago Guillermo Gregorio en compagnie du contrebassiste Nicolas Letman- Burtinovic et avec la contribution du percussionniste Todd Capp dans 9 morceaux (courts) sur quatorze. Miniatures délicates et intenses entre musique contemporaine et jazz improvisé, où se détache le jeu lunaire, suave et détaché, mais plein de nuances subtiles de Gregorio, l’archet louvoyeur et les pizz classieux de Letman-Burtinovic. Une paire qui fonctionne à merveille quelque soit l’orientation du matériau musical proposé.  Le lyrisme désenchanté de notre compositeur argentin a la particularité de se distinguer de nombre de ses collègues clarinettistes : introversion, retenue, bannissement de la virtuosité de façade, subtilités évoquant secrètement la micro-tonalité, chambrisme, évocation distanciée du giuffrisme, capacité à jongler avec les harmoniques, aisance avec les multiphoniques. Ses deux camarades offrent un excellente collaboration à son univers, Letman Burtinovic signant ou cosignant avec Gregorio la moitié des titres - structures pour l’improvisation, voire même l’exploration sonore. Son apport à la contrebasse a une réelle identité et une densité / intensité qui balancent parfaitement les inventions de notre énigmatique souffleur argentin. Bien plus qu’un document visant à situer le groupe pour une éventuelle tournée, Futura Spartan Suite (la suite des 6 premiers morceaux signés GG - ?? - et dont le dernier est intitulé Futura Spartan), est un album manifeste d’une esthétique free de haute qualité, distinctive et originale où tout ce qui est joué a un sens, une fonction, et provient d’idées profondes et mûries. Chap Chap Records a produit aussi un superbe album de Leo Smith (Golden Hearts Remembrance), un duo merveilleux  de Misha Mengelberg et Sabu Toyozumi,  l’hyper sensible saxophoniste coréen Kang Tae Hwan en solo et duo (avec N Rothenberg et Otomo Y), la rencontre des contrebassistes Barre Phillips et Motoharu Yoshizawa et rien moins que les duos / albums conjoints d’Han Bennink & Sabu Toyozumi et d’Evan Parker et Motoharu Yoshizawa. C’est à cette aune qu’il faut mesurer la dernière mouture des pérégrinations musicales de Guillermo Gregorio et ses deux comparses. 

Fred Lonberg-Holm Simon Camatta crazy notions Umland Records 17

Duo violoncelle et batterie. Fred Lonberg-Holm est un violoncelliste chicagoan qui a roulé sa bosse avec une quantité appréciable d’improvisateurs et jazzmen de grand talent : Michael Zerang, Ken Vandermark, Joe McPhee, Hamid Drake, Frode Gjerstad, Peter Brötzmann etc… Il fut une époque où en tandem avec son camarade Michael Zerang, un percussionniste peu commun, Fred Lonberg-Holm avait gravé une belle série d’albums en trio avec des artistes incontournables : John Butcher (Tincture/ Musica Genera), Axel Dörner (Claque / Meniscus), Jaap Blonk (First Meetings/BuzzRecords), Sten Sandell (Disappeared/ Nuscope). En solo, il sculpte littéralement les textures, les timbres et la vocalité du violoncelle d’une manière vraiment originale, sans devoir se soucier des passages obligés au sein d’un trio avec souffleur, piano ou chanteur et batterie. C’est tout l’intérêt de ce duo avec ce (plus très) jeune et inventif percussionniste allemand, Simon Camatta dont les qualités allient amour du détail, capacités polyrythmiques, approche sonique et sens de la répartie. Un dialogue se crée entre les cheminements particuliers des deux improvisateurs, chacun étant attaché à une démarche personnelle, à une vision instrumentale individuelle. Quelques improvisations se font intimistes, volatiles, épurées après avoir essayé le grand jeu…  Simon Camatta fait partie de cette communauté d’improvisateurs allemands avec un solide niveau musical qui aiment approfondir la recherche de sons et d’interactions jusqu’à la radicalité sans perdre le fil de la musique qui se crée. Il n’hésite pas à faire crisser ces cymbales de la pointe d’une baguette ou avec un archet pour ajouter des couleurs insaisissables autour des frottements intenses de son partenaire. Au fil des six morceaux enregistrés, on entend le champ sonore et les timbres, actions et trouvailles s’étendre, se développer, se différencier sans aucune dilution de l’inspiration. Le batteur devient petit à petit tout-à-fait « non idiomatique », comme on dit… Comme l’indique le titre Crazy Notions, et si on écoute l’album de bout en bout, vers la fin, on frise un peu la folie. C’est donc un excellent échange. Et comme des duos violoncelle-percussions ne traînent pas les rues, Crazy Notions est une belle pièce à conviction. Un bon point pour Umland

27 juin 2018

Paul Rutherford Ken Vandermark Torsten Müller Dylan van der Schyff / Sabir Mateen/ Sélène / Vlad Miller Pier Paolo Martino & Adrian Northover / Christian Vasseur / David Lucchesi & Devid Ciampalini

Are We In Diego ? Paul Rutherford Ken Vandermark Torsten Müller Dylan van der Schyff WhirrbooM ! #003
Dédié à la mémoire du tromboniste Paul Rutherford, voici un concert vif et enlevé d’un mirifique quartet réunissant Rutherford, Ken Vandermark à la clarinette et au saxophone ténor, le contrebassiste Torsten Müller et le percussionniste Dylan van der Schyff et enregistré le 10 décembre 2004 à the Ironworks à Vancouver. C’est le deuxième album de ce groupe, le premier, « Hoxha », un concert du 12 décembre 2004 avait été publié en 2005 par le label Spool suite à la deuxième tournée de Rutherford en Amérique dans la décennie 2000 organisée avec le concours de Torsten Müller, lui-même un activiste incontournable de l’improvisation en Allemagne dans les années 70 et 80 et qu’on retrouve dans deux autres albums avec Paul Rutherford (Milwaukee 2002 avec Lol Coxhill / Emanem et The Zone avec Harris Eisenstadt / Konnex). Müller a une sérieuse accointance avec des trombonistes improvisateurs de premier plan comme Günther Christmann et Rutherford. Dans ces improvisations bourrées de détails sonores et d’interactions, se détache clairement la personnalité intelligente et touchante du grand tromboniste. Ses trois collègues de l'autre côté de l'Atlantique font mieux que de l'encadrer. Ils sont complètement impliqués dans le partage avec le gentleman ultime du trombone improvisé. Si Ken Vandermark a une démarche plus proche du jazz contemporain au sax ténor, son jeu à la clarinette offre plus d'une accointance avec les intervalles, accents et timbres du tromboniste. Quant au tandem contrebasse - batterie, il conjure avec une superbe inventivité l'ADN de cette configuration instrumentale en multipliant, proliférant à chaque seconde les possibilités sonores, pulsatoires de leurs deux instruments respectifs avec une interactivité fine, subtile qui titille l'écoute et l'attention sans discontinuer. Pour résumer : il y a là l'énergie véritable du free - jazz interactif et tout ce qui fascine dans  l'improvisation libre radicale : une multitude de sons très diversifiés qui ont toujours l'air de surgir à propos ou au moment où on s'y attend le moins. Si Torsten Müller a tracé des instants incontournables en matière d'improvisation libre lorsqu'il travaillait avec Günther Christmann, Phil Minton et Paul Lovens en Allemagne il y a (déjà !) quelques décennies, il convient de souligner que des as comme John Butcher ou Carlos Zingaro ont enregistré des pépites avec van der Schyff, lui-même responsable de WhirrbooM!, un nouveau label qui, annonçons-le tout de suite, vient de produire un super duo de Phil Minton et Torsten Müller, Ductus Pneumaticus (WWWOOOWWW !) et un super duo de van der Schyff et Jack Wright , ...two in the bush (excellent!)

Sabir Mateen The Gathering of the Angels Klopotek  IZK CD060

11 improvisations sur des structures pré-établies mentalement et jouées avec une belle fraîcheur et un lyrisme spontané, chaleureux et authentique. Clarinette, saxophone alto et ténor (?), flûte. Sur chaque instrument, Sabir Mateen est véritablement proficientsans être prolixe et, au fil des morceaux, tisse minutieusement une tapisserie sonore enchanteresse qui sort de l’ordinaire. Le lyrisme plein d’espérance humaniste du souffleur est largement balancé et conforté par la logique imparable d’un improvisateur funambule. Sa faconde réunit la fougue et la tendresse, la tradition (hommage sincère à Coleman Hawkins dans le quatrième morceau) et le sens de l’échappée libre et de l’invention mélodique… Le son de la clarinette a une saveur unique et son timbre, qui appartient autant à la pratique du jazz qu’à la musique savante vingtiémiste, est tout à fait remarquable. En effet, on trouve rarement des saxophonistes qui sont tout aussi attachants et originaux avec leur clarinette qu’avec leur saxophone, comme peut l’être Sabir Mateen. Un régal. Enregistré en janvier 2008 dans l’église Saint Ana in Tujice (Slovenia) et publié par ce remarquable producteur allumé qu’est Iztok Zupan. 

Lunar Error  Sélène : Matthieu Lebrun Matthieu Lilin Gabriel Lemaire François Ella Meyé Claude Colpaert Thomas Coquelet Léo Rathier Paul Ménard Pierre Denjean Quentin Conrate Becoq 28 
https://becoq.bandcamp.com/album/s-l-ne  

Moyen orchestre d’improvisation libre basé à Lille et focalisé sur le « lower case » et l’imbrication sonore / stratification de l’exploration sonore minutieuse et concentrée de chacun de ses membres avec une belle lisibilité, même s’il est parfois difficile d’attribuer tels sons à tel instrument ou une personnalité bien précise. Flottement et suspension d’agrégats sonores dans un esprit d’écoute mutuelle qui stimule celle d’un public qu’on suppose présent : le lieu, Césaré/ CNCM de Reims (septembre 2016) suggère qu’il s’agit d’un concert. Si ce n’est pas le cas, dites-vous bien que je ne raterais pour rien au monde une telle performance en public. En effet, bon nombre d’improvisateurs travaillent dans cette direction musicale. Mais peu la développe dans un groupe aussi étoffé que Sélène. On croit visiter la face cachée de la lune ou, peut-être, distinguer les apparentes aspérités de sa surface. Sélène : accent aigu et grave. Pointu et profond. Une démarche libertaire assumée avec un réel talent collectif et une réflexion commune partagée. Remarquable.

The Dinner Party Miller/ Martino/ Northover FMR CD469-1117

Pianiste Russe basé en Grande Bretagne, Vlad Miller, contrebassiste  Italien originaire de Bari, Pier Paolo Martino, saxophoniste alto (dans cet album) et aussi soprano Britannique incontournable dans la scène Londonienne, Adrian Northover. Musique sombre aussi « sérieuse »/ appliquée que sensuelle. Trilogue égalitaire, travail collectif, contrebassiste attentif, sensible et relativement réservé, pianiste introverti conférant une dimension orchestrale avec un sens ouvert de l’harmonie, saxophoniste lyrique, détaché et lunaire, saveur post konitz-desmondienne free. Ce trio semble recycler des pratiques communes dans l’univers du jazz d’avant-garde et des musiques improvisées dans un flux subtil en reliant l’émotion dans l’instant du libre free-jazz en se référant indifféremment à la musique vingtiémisteet à l’improvisation aventureuse du jazz le plus vif. Finalement, une véritable originalité du propos finit par se détacher et c’est leur capacité à improviser tout en créant une trame commune où chaque artiste trouve sa place. Miller et Northover sont très familiers l’un à l’autre et Martino n’a plus que se lover au milieu de leur étonnante complicité qu’il complète à merveille. La session devient petit à petit plus animée, les musiciens se libérant visiblement de leurs appréhensions au fur et à mesure que les morceaux se développent vers plus d’angularité et d’interplay, que la musique fuse et que les idées acquièrent la brillance et l’inspiration des grands jours. On peut revenir à ces plages superbement improvisées et y découvrir quelque chose de nouveau, des perspectives insoupçonnées au départ. Un excellent album, finalement atypique.

Christian Vasseur A la limite du présent Vol 1 : cent millions d’années. thirsty leaves : https://thirstyleavesmusic.bandcamp.com/ 

Un travail singulier : après avoir récolté les enregistrements d’une trentaine d’haikus, en grande partie traduits du japonais, et lus en français par autant d’intervenants ainsi que quelques poèmes (Sébastien Dicenaire), le guitariste et luthiste français Christian Vasseur a conçu (composé, improvisé, arrangé, enregistré et mixé) des musiques pour une trentaine de pièces inspirées par ces différents haikus qu’elles sont sensées illustrer. Ce travail a été créé lors d’une résidence dans le Nord de la France en milieu scolaire. Instrumentation : guitares acoustique, électrique, weissenboom et jouées à l’archet, archiluth, piano, harmonium indien, électronique, voix, clapping et quelques enregistrements de terrain. Multi-tracking souvent. Les enregistrements impliquent donc un grand nombre de lecteurs, des enfants, des handicapés et quelques enseignants qu’on entend dans une ou deux pièces. Des bribes de conversations ou de monologues (ou chants) impromptus, capturés sur une bande ont été insérés fortuitement dans le matériau presque par hasard. Un projet de rencontres, d’échanges au croisement du texte, de la poésie, de la musique, mais aussi fraîcheur, voix candides et non formatées, sensibilité des jeux arpégés de guitare et de luth, travail de terrain. Les prises de sons aux caractéristiques très variées de chaque lecteur – poète, les différents micros, espaces, intimités, timbres et grains de voix, intentions, expressivités individuelles, etc.. donnent une dimension vécue, immédiate à mille lieues de la logique professionnelle d’un studio. Un voyage au cœur d’intimités, des tranches de vie rythmées par les cadences légères, dynamiques, voire éthérées des pièces instrumentales du guitariste et des bandes sonores ajoutées. Deux pièces instrumentales furent écrites et exécutées avec d’autres musiciens : le guitariste Philippe Lenglet (Soliloque en Loque) et Patrick Soudeval (Shaman et Chaman). Cet album sensible et attachant est produit à une centaine de copies par le label grec thirsty leaves music (https://thirstyleaves.weebly.com/) et présenté dans un simple  pliage en carton excellemment exécuté et maintenu fermé par une mince cordelette élastique. Le volume 2 est intitulé barreaux dans le ciel et prolonge/ approfondit la démarche avec 23 textes ornés de musiques de C.V. Cela est tout à fait réjouissant, sans prétention, joyeux, plein de sens, humain en somme. La démarche de Christian Vasseur a le bonheur de faire prendre conscience aux enfants et jeunes impliqués dans le projet quel est le sens profond la portée de quelques mots et de leurs relations poétiques versus une musique intimiste, acoustique et exécutée avec une vraie sensibilité.

S T David Lucchesi & Devid Ciampalini  Lucchesi Ciampalini Tecniche Estese 01

Album court et bref focalisé sur les bruissements occasionnés par une guitare préparée – objétisée (David Lucchesi) et des éléments de percussions et objets frottés, grattés en résonance (David Ciampalini). On est ici proche de l’univers de groupes tels que The Sealed Knot (Burkhard Beins - Rhodri Davies - Mark Wastell) ou IST (Davies et Wastell avec S.H.Fell). Cette pratique de l’improvisation a proliféré en se figeant parfois dans une posture… Posture : je cite ici un musicien important et brillant dont la lucidité est égale à un grand talent incontournable et qui fait l’unanimité en la matière. Bref, David Lucchesi et Devid Ciampalini sont deux improvisateurs toscans qui font vivre les sons avec bonheur, les font parler, respirer, geindre, vibrer de belle manière. Une activité ludique restreinte et focalisée sur la physicalité du son, du bruit et d’une manière de dialogue coïncident et vibratile. Tecniche estese, le nom du label se traduit par techniques étendues et dans leur musique on en admire l'étendue entendue. 26 : 36 qui passe le test de l’écoute attentive  et se révèlent aussi signifiantes à mes oreilles qu’un album des groupes précités (IST, The Sealed Knot) ou même qu’AMM. Remarquable. 

3 juin 2018

Maresuke Okamoto Guy-Frank Pellerin Eugenio Sanna/ Udo Schindler Ove Volquartz Gunnar Geisse/ Axel Dörner Torne Snekkestad Flavio Zanuttini Florian Walter/ João Pedro Viegas & Paulo Chagas/ Elisabeth Harnik

OPS Maresuke Okamoto Guy-Frank Pellerin Eugenio Sanna Setola di maiale sdm 3620

Oups ! OPS pour Okamoto, (cello & voice), Pellerin  (sax soprano, ténor et baryton, gong) et Eugenio Sanna (amplified guitar, metal sheets, balloons, red cellophane, voice). Départ énergétique dans la veine des trios de Company One(Bailey, Parker, Honsinger, Altena/ Incus 1976) avec une instrumentation similaire. Vouloir enfermer les recherches sonores et la démarche du trio OPS sous une quelconque étiquette relève du délire. Chacune des dix improvisations ouvertes et souvent imprévisibles du trio , aux titres en phase avec la démarche, se révèle tour à tour ludique, énergique, abrasive, âpre voire astringente, laminaire (AMM), faussement minimaliste, chambriste, pointilliste, grinçante, bruitiste, dense et éthérée etc…. Comme Eugenio Sanna et Guy-Frank Pellerin sont établis dans la péninsule, on dira que leur pratique de l’improvisation détonne par rapport à la conception disons un peu plus conventionnellement proche du jazz et du sens mélodique de la scène improvisée transalpine. Quant au nippon Maresuke Okamoto, il tourne intensivement en Italie chaque année et fait presque partie des meubles. La guitare amplifiée d’Eugenio Sanna est traitée comme une source sonore, caisse résonnante tendue de cordages manipulés, grattés, frottés en utilisant harmoniques, notes à vide et intervalles joyeusement dissonants, sonorités en suspension rendues possible par un recours systématique aux techniques alternatives et l’utilisation d’une plaque de métal dont le contact avec cordes et pick-up colore son jeu de manière industrielle/ bruitiste. On songe aux sonorités d’un Hugh Davies. Maresuke Okamoto frotte son violoncelle de manière souvent outrageuse ou avec une belle nuance chambriste tandis que Pellerin apporte des colorations / altérations intéressantes en pressurant la colonne d’air de manière que le timbre parfois lunaire du saxophone, qu’il soit soprano, ténor ou baryton, s’intègre complètement dans le processus de l’improvisation collective en se mariant parfaitement à celles électrisées de la guitare. On dira de même des vibrations du violoncelle, organiques et bruissantes à souhait, l’action de l’archet se révélant hargneuse, évasive ou crissante selon les phases. Une fois parvenus dans une phase « bordélique » , mais sous contrôle, où son pizzicato furieux emporte tout sur son passage, G-F Pellerin contorsionne la colonne d’air « avec le cri du cochon qu’on égorge » (ainsi étaient décrits les sons inouïs d’Evan Parker dans le JazzMag de ma jeunesse). L’hyper-activité de Acustica est vraiment ressentie. Les quelques interventions vocales soulignent le caractère dramatique, intense ou absurde de l’action musicale, ajoutant un vrai plus bienvenu dans cette remarquable performance, reproduite ici d’une traite (San Martino, Ulmiano, Pisa 18 mai 2017). L’anima della carta rossamontre qu’ils savent se renouveler en fin de parcours. Une belle mise en commun de sonorités, de timbres, parfois de phrases, d’intentions, d’aléatoire, d’écoute et d’invention.  Un panorama de l’imagination au pouvoir. Et des surprises ! On parle souvent de non – idiomatique (expression qui a, à mon avis, les défauts de ses qualités et vice et versa) : en voici, sans doute, le meilleur exemple transalpin de la free-(improvised) music sans concession, ni ronds de jambe. Oolyakoo !


Udo Schindler Ove Volquartz Gunnar Geisse arToxinUnit records Utr 4806

Deux souffleurs avec clarinette basse et contrebasse, Udo Schindler et Ove Volquartzen trio avec le guitariste /laptopiste Gunnar Geisse aussi crédité virtual instruments. Une musique atmosphérique où les vents graves se complètent et s’interpénètrent lentement mais sûrement. Les deux clarinettistes font plier et grincer subtilement les hauteurs des notes, trembler les colonnes d’air, créant d’abord une musique statique, aérienne, sombre et légère  à la fois. Les interventions vif argent multi-soniques du guitariste électronique Gunnar Geisse ont de nombreuses caractéristiques et qualités semblables (mais avec des moyens différents) à celles des ingénieux Richard Scott, Paul Obermayer, Thomas Lehn ou Ulli Böttcher. Et une fois établie la connivence micro-tonale des deux clarinettistes, ceux-ci creusent leur imagination pour concevoir instantanément des contrepoints et des vocalisations de la colonne d’air de leurs tubes monstrueux en empathie avec les sonorités volatiles et insituables de Geisse. Ils savent instiller une douceur ferme, une légèreté majestueuse, en proposant des sons, des timbres, des glissandi, des étirements de notes plutôt que de  débiter des phrases prédigérées et des canevas mélodiques usuels. En cela ils font véritablement œuvre d’improvisateurs dans le temps et surtout dans l’espace  Jouant les mêmes instruments, Ils font plus que se répondre : les idées de l’un trouvent instantanément une contrepartie organique chez l’autre. L’utilisation raffinée des harmoniques obtenues en augmentant l’intensité du souffle démontre la grande précision de leur jeu. Le contrôle du son des clarinettes basses est homogène sur toute la tessiture sur chaque instrument. Il est d’ailleurs difficile de les identifier individuellement mais leur interaction, elle, est unique en son genre ! Le guitariste ( ?) surprend par la diversité de ses sonorités et de la dimension polyphonique qu’il crée et renouvelle. Il a pris grand soin de saisir les paramètres particuliers des deux (étranges) souffleurs au fil du développement du concert pour insérer et multiplier ses actions sonores particulièrement intriguantes. Une relative angularité des interventions du trio  se pointe çà et là avec un bel à-propos, créant des chassé-croisé ludiques qui surprennent subitement l’auditeur, surtout avec de tels instruments, « lourds » et graves. arToxin, enregistré dans la galerie du même nom est une suite où se développe une recherche sonore de grande envergure où plusieurs dimensions, dynamiques, flottements à la limite de l’égarement, coexistent, s’éclipsent ou réapparaissent, se nourrissent mutuellement et s’inventent un univers peu commun.

Bruit 4 Axel Dörner Torne Snekkestad Flavio Zanuttini Florian Walter Umland records 14 



Les crédits sont assez intrigants voire fantaisistes : Axel Dörner Firebird Trumpet, Torber Snekkestad Reed Trumpet, Flavio Zanuttini Trumpet et Florian Walter Hechtyphone. Mais rassurez-vous, la Firebird Trumpet est une trompette créée par le luthier Larry Ramirez à la demande de Maynard Ferguson en 1978. Outre les trois pistons habituels, Ramirez a jouté une coulisse comme pour le trombone, mais avec seulement quatre positions contre les sept du trombone. C’est un instrument particulièrement rare. Je suppose que la reed-trumpet consiste à remplacer l’embouchure par une anche comme le font certains musiciens (Joe McPhee).  Torben Snekkestad est un saxophoniste classique danois impliqué dans l’improvisation : il a enregistré avec Barry Guy (je n’ai pas écouté leur album). Rien d’étonnant qu’un spécialiste des anches joue ainsi de cette trompette. Zanuttini ne se casse pas la tête, la bonne vieille trompette lui suffit. Quant au Hechtyphone du saxophoniste Florian Walter, c’est une étrange trompette hybride à anche construite par le musicien et son pote Wolfram Lakaszus. Un prototype fonctionne avec une anche d’hautbois, un piston et deux pavillons horizontaux et un vertical. L’autre, aperçu sur le site de Florian Walter contient une anche et une embouchure de sax (soprano) et le musicien avait ajouté une sourdine sur le pavillon vertical. Comme la musique de Bruit 4 est jouée en quartet improvisé , il faut vraiment se concentrer et réécouter l’album  pour essayer de distinguer chaque instrument. Les pièces enregistrées sont dans le droit fil des concerts solos de Dörner (Trumpet/ à bruit secret) et ses duos avec Leonel Kaplan etc… En schématisant, on pourrait qualifier son travail de minimaliste ou lower case. Il s’agit donc d’un travail sur le son, le souffle et les textures qui porte le titre de Eight Sound Objects, total : 42 minutes. Superbement enregistré ! La combinaison des possibilités sonores des quatre instruments à la fois semblables et différents crée un univers de timbres mystérieux, de vibrations d’infra-trompette, d’effets de souffle, de déchirures de la colonne d’air, de percussions étouffées de l’embouchure, de bourdonnements placides, d’exacerbations d’une harmonique, murmures. Même si le flux est assez statique, voire en suspension, on reste attentif à l’écoute en raison de la multiplication et de la profusion des idées qui s’enchaînent, se superposent et aussi d’une relative fantaisie. L’art du flottement aléatoire plutôt que celui du contrepoint. La forme semble rester la même, mais le renouvellement des sonorités et des actions concertées la font évoluer, se dissiper, renaître. On finit par avoir la sensation d’écouter comme dans un rêve où la notion du temps s’efface au profit de la matière sonore et de sa très remarquable  diversité, même quand l’un ou l’autre reste imperturbablement sur la même hauteur de note. Quarante deux minutes, c’est long et si on ne perçoit pas leur existence et la durée respective des Huit Objets Sonoresindiqués, (on remarque à peine les silences entre chaque mouvement), on perçoit sensiblement les intentions des quatre souffleurs et la réussite de l’entreprise.  Un des procédés consiste à ce qu’un seul musicien joue un court instant « seul » , entraînant une proposition sonore différente qui s’ajoute ou parfois un « faux » unisson. Une belle réussite musicale où la mélodie est bannie, mais surtout pas l’inventivité. 

The legendary story of a slug and beetleJoão Pedro Viegas & Paulo Chagas Pan Y Rosas Discos PYR 152

Voici une belle collaboration en duo sous le signe de l’amitié de deux piliers de la scène improvisée lisboète. Souffleurs de l’indicible, des nuances de l’air vibrant dans le bocal des clarinettes basses et soprano (João Pedro Viegas) ou sopranino (Paulo Chagas) ou titillant l’anche double du hautbois (Chagas encore). La flûte, elle, crée des diversions bienvenues. Une musique sensible, basée essentiellement sur l’écoute mutuelle et la création instantanée de motifs mélodiques partagés, échangés, ritournelles intimistes, expression d’un folklore imaginaire. Les deux souffleurs prennent le temps de jouer, de s’écouter, de se répondre au fil de quatorze miniatures aux titres expressifs (Soft Malicious, Cogenital Indecision, Discussion, etc…). Slug and Beetleexprime sans doute le fait que chacun a la capacité de se mouvoir à son propre rythme dans sa dimension propre. Il est fréquent que dans leurs duos l’émotion et le tempérament de chacun divergent au cours de la même improvisation, se complétant par leur inspiration et leur inventivité respectives en toute indépendance. Ils évitent soigneusement de se répondre de manière explicite, sans se sentir obligé de se servir du matériau (mélodique, sonore) de l’autre. Leur musique crée un esprit de rencontre, de partage de complémentarité au-delà des formes, ou d’une futile virtuosité instrumentale. Leur connivence réciproque est intensifiée par leurs collaborations mutuelles dans de nombreux projets et concerts. Il en résulte une connaissance intime du sens donné par chacun aux moindres sons, phrases, étirements d’harmoniques, intervalles qui surgissent dans la construction de chacune de ces pièces. C’est cette complicité profonde qui donne à leur musique relativement paisible toute sa valeur intrinsèque et sa signification.

Elisabeth Harnik Ways of My Hands Music for Piano klopotec IZK CD 076

Superbe album de piano solitaire  et contemporain par une des meilleures improvisatrices de la scène autrichienne pour un total de 48’08’’ enregistrées en concert. Trois morceaux / compositions sont dédiées respectivement à Conlon Nancarrow (Everytime he punched a hole), Jeanne Lee (As the crow flies north) et Anthony Braxton (Flow and construction- en quatre parties). Tout un programme. Harnik met en perspective des pratiques du piano  différentes, contrastées, stimulantes, construisant intelligemment et avec une belle sensibilité, un concert ramassé, concentré, dynamique. Ses doigtés fugueurs et son toucher resplendissant crée de belles couleurs avec un instrument réputé pour sa « régularité » sonore académique (Ragged). Dans Jaw to ear, elle aborde le registre grave et un brin aléatoire tout en faisant bruisser et percuter les recoins du cadre de l’instrument jusqu’au bord du silence. Avec la petite suite dédiée à Braxton on navigue dans le grand art. Quelle pianiste ! De bout en bout un remarquable concert (2015) que Iztok Zupan a eu le flair d‘enregistrer et de publier sur son label Klopotek.