26 août 2014

Blaise Siwula / Brian Groder / Guido Mazzon & Roberto Del Piano / Jim Dvorak / Paul Dunmall/ Five Roosters

Tesla Coils Blaise Siwula Harvey Valdes Gian Luigi Diana Setola di Maiale SM2620

Blaise Siwula est un saxophoniste de première, un musicien improvisateur avec un savoir faire et une expérience impressionnante, même s’il reste peu connu dans le réseau européen. Ici on l’entend au sax soprano, alto et ténor avec un excellent guitariste, Harvey Valdes et Gian Luigi Diana qui le suit comme son ombre avec son portable et son Real Time Sampling Sound Manipulation. Dès l’ouverture (Primary Coil 17:57), les volutes du soprano crée un univers volatile, élégant et complexe avec une belle technique « traditionnelle ». Donc pas de techniques avancées à la John Butcher, ni de travail du son à la Lacy, plutôt Trevor Watts au soprano. Une phase de deux minutes où chacun reste sur ses gardes, un silence et deux coups de becs, et l’échange commence. Alors que Diana  procède et transpose avec inventivité le jeu du saxophone en le miroitant et le contorsionnant, le guitariste propose des incartades atonales soniques maîtrisées ou un jeu mélodique subtil. Un solide guitariste, Harvey Valdes. Bonne écoute du trio et conception intelligente de l’improvisation où plusieurs champs d’investigation sont exploités tour à tour où simultanément avec logique et musicalité. Il est parfois difficile de distinguer le saxophone du processing de Diana. Vers la onzième minute, le ton change et ralentit vers le sonique exploratoire. Siwula démontre qu’il a de sérieux moyens. On passe rapidement d’une introspection rageuse vers un pandemonium électro saturé qui remplit tout le champ auditif, pour ensuite terminer sur quelques sons de guitare et des phrases de sax alto presque jazz. Secondary Coil 7 :51 : introduction au sax alto quasi jazz en rythme libre avec quelques piquetages de guitare qui évoluent vers des ostinatos décalés et alors le sax devient free et mâchouille / growle les sons. Un séduisant dialogue entre Siwula et Valdes se transforme en confrontation et Diana qui jouait sur le côté fait monter le ton. Passage étrange : deux sax se disputent l’espace : le réel et le virtuel. Il y a un peu de tout dans cette improvisation et aussi quelques trouvailles, les musiciens essayant plusieurs possibilités sans avoir peur de se planter.
Discharge Terminal 6 :58, commence noise à la guitare et le sax soprano répond dans un registre extrême. L’électronique est inventive et des sons peu usités montent à la surface. Le guitariste se bruitise (noisifie si vous voulez) en accélérant et les volutes du sax s’envolent pour ensuite danser sur des ostinati fortuits lancés par Diana.
Le quatrième morceau Resonant Frequency of Secundary Circuit 6 :16 me semble être un des improvisations la plus réussie du disque. L’électronique est inventive, le saxophoniste joue sans haleter des échelles tarabiscotées avec triple coup de langue, respiration circulaire et des harmoniques bien placées avec la guitare frénétique en partageant un motif fragmenté. Mais il continue sur sa lancée alors que la guitare bifurque en frictionnant le son, rivalisant avec les trouvailles électroniques. Un belle énergie organique. Primary Tank Capacitor 2 :37 est une récréation lyrique du sax ténor avec un comping décalé du guitariste. Lorsqu’ils s’arrêtent, on entend l’électronique déjantée continuer un moment juste avant la fin. Spark Gap 6:43 contient quelques éclairs de lucidité, de rage et de folie et lorsque Siwula revient vers la mélodie, la guitare plonge dans un bain d’acide et le laptop est parvenu à son expression la plus convaincante comme s’il y a avait eu chez lui une maturation durant la session.
En bref, c’est OK mais au vu et au su de tout ce qui s’est fait et se fait sous la bannière de l’improvisation libre, ce n’est pas un manifeste que je ferais écouter à des auditeurs en disant : l’improvisation libre c’est çà ! Est-ce un rencontre ponctuelle ou un groupe qui « tourne » ? Cela dit Blaise Siwula est un saxophoniste très compétent qui a assimilé le challenge de liberté totale en relation avec les possibilités de son instrument, surtout à l’alto. Il a un sérieux bagage musical et tient à utiliser tout son spectre musical (du phrasé jazz aux techniques alternatives) dans une même improvisation. Gian Luigi Diana utilise avec brio son software de processing et cherche des sons originaux au risque de manquer de concision. Harvey Valdes est un très bon guitariste, mais plusieurs passages entendus ici voudraient qu’il utilise d’autres intervalles, d’autres pulsations. Schönberg ? Mais cette musique est faite pour évoluer, se dépasser, se transformer, s’écouter, rencontrer, découvrir, changer et tout recommencer. Et dans ce sens ces Tesla Coils, enregistrés en hommage au plus méconnu des inventeurs de l’électricité, est un témoignage convaincant.

Reflexology Brian Groder Trio avec Michaël Bisio et Jay Rosen Latham records 2014-08-17

Sur la pochette : la face inférieure d’un pied avec des les points de réflexologie illsutré en noir et blanc par les noms de nos musiciens de jazz préférés Miles, Dolphy, Ornette, Ellington, Mingus, Coltrane, Elvin, Monk, mais aussi Freddie Hubbard, Oliver Nelson, Hubert Laws et Joe Farrell. Le titre Reflexology est imprimé à l’intérieur de la pochette en carton blanc, le dessin du pied étant assez expressive. L’art de ne pas tout dire.
L’image de ce pied suggère sans doute que la musique a les pieds dans la tradition évolutive du jazz moderne dont Groder s’inspire pour créer ses thèmes complexes évoquant certaines compositions de Sam Rivers, de Wayne Shorter ou de Joe Henderson. Une personnalité originale à la trompette avec un style très personnel. Avec des coéquipiers inspirés et expérimentés comme le contrebassiste Michaël Bisio et le batteur Jay Rosen, la musique est généreuse, élégante et racée. Rosen et Bisio jouent régulièrement avec Ivo Perelman et Joe McPhee. Le batteur a été longtemps le batteur de référence de Dominic Duval et du tandem Sonny Simmons et Michael Marcus. On retrouve Bisio avec Matt Shipp. Dans cet album, ils se concentrent sur le swing et la cohésion nécessaires pour faire balancer les compositions du leader tout en ouvrant le jeu avec des échappées libres et articulées sur la pulsation. Groder pratique un jazz contemporain ouvert et phrase ses inventions mélodiques / improvisations sur la structure du thème d’une manière tempérée. Pas d’éclairs, mais un jeu d’ombres nuancé avec une certaine tendresse fragile. La rythmique respire sans pour autant ronronner. Il y a une réelle cohérence dans tout l’album, comme si c’était une suite homogène dédiée à un lyrisme élastique plein de fraîcheur. Comme on écrirait des nouvelles dans une atmosphère  ou une époque pour en faire un livre dont tous les pans se tiennent. Un tic free est récurrent, comme un agrégat de notes rapides qui ponctue un virage du trio. Brian Groder s’ingénie avant tout à jouer une musique qui ait un sens plutôt que de créer sous la pression d’une rythmique  pétaradante. On pense à  l’esprit de Jimmy Giuffre,  Jack Sheldon ou Bob Brookmeyer, plutôt qu’à Booker Little ou Clifford Brown. Un disque sincèrement attachant d’un jazz sincère et authentique. Pas pour rien que Sam Rivers s’est joint à son quartet pour enregistrer.

Il Tempo Non Passa Invano Guido Mazzon & Roberto Del Piano (+ Paolo Falascone) Setola di Maiale SM2590
Le trompettiste Guido Mazzon est un pionnier de l’improvisation radicale de la péninsule dès les années 70. Pour rappel, il a enregistré un superbe Duetti multi instrumentiste avec le fabuleux percussionniste Andrea Centazzo pour le mythique label L’Orchestra. Sur le même label , Sud, une très belle collaboration avec l’inoubliable acteur - saxophoniste Mario Schiano. Son Precarious Orchestra s’est produit au festival de Moers et il a travaillé intensivement avec Renato Geremia, Toni Rusconi et Gaetano Liguori, des incontournables de la scène free italienne ses seventies. Dans les années 80, alors qu’on ne se pressait pas au portillon pour jouer de la musique improvisée libre (non idiomatique, si certains préfèrent), il a joué dans le King Übu Örkestrü du clarinettiste basse et sax sopranino Wolfgang Fuchs en compagnie de Paul Lytton, Phil Wachsmann, Hans Schneider, Marc Charig, Radu Malfatti, Gunther Christmann, Peter Van Bergen, Norbert Moslang, Erhard Hirt et Alfred Zimmerlin.
Réputé à l’époque pour son approche radicale et extrême de l’instrument, Mazzon avait acquis une solide technique et de sérieuses bases musicales. Le titre de ce court album s’appelle en français « le temps ne passe pas en vain » et à l’écoute, on peut vraiment apprécier l’expérience des duettistes. Le bassiste électrique Roberto Del Piano, un véritable spécialiste de l’instrument, est un des rares que j’aie jamais entendu à avoir acquis une dimension lyrique spontanée et naturelle hors des conventions, clichés et autre ennui  musical que cet instrument procure dans (beaucoup) d’autres mains lorsqu’on sort du cadre rythmique. Un jeu tout à fait libre ancré dans une conception libertaire de la pulsation. Il y avait fort longtemps, Roberto Del Piano avait participé aux groupes de Mazzon, en compagnie, entre autres, de l’admirable tromboniste Angelo Contini. Dans ce très beau disque, Guido Mazzon assume la tradition lyrique et mélodique de la trompette en toute liberté, créant un superbe équilibre avec le phrasé inventif de Del Piano. Mazzon a un style très personnel introverti et subtil et il faut vraiment saluer l’expertise de Del Piano. Ces deux là ont véritablement intégré leurs jeux respectifs l’un à l’autre. Dans un morceau, le preneur de son (et contrebassiste) Paolo Falascone intervient discrètement au piano en actionnant l’intérieur « des cordes ». Un peu plus d’une demi-heure de bonheur.

Cherry Pickin’ Jim Dvorak Paul Dunmall Mark Sanders Chris Mapp SLAM CD 294

Américain arrivé à Londres par hasard au début des années 70, le trompettiste Jim Dvorak a été subjugué par la scène jazz libre et improvisation et s’est intégré immédiatement à la communauté des improvisateurs londoniens.  Proche de Keith Tippett, Keith Bailey, Marcio Mattos, Nick Evans, Gary Curson, Roberto Bellatalla, Louis Moholo, Francine Luce, Tony Marsh etc… Jim Dvorak est un véritable pilier de cette confrérie musicale, une des plus soudées qui existe. Il est aussi excellent vocaliste et j’ai un très beau souvenir d’un superbe duo avec Phil Minton. Depuis des décennies, il joue dans le quintet Dreamtime (Nick Evans, Gary Curson Dvorak, Bellatalla et le batteur Jim Lebaigue) auquel s’ajoute volontiers Keith Tippett comme dans Zen Fish, leur superbe album chez Slam. Bien que Paul Dunmall est un des musiciens les plus prolifiques, Cherry Pickin’ contient six compositions de Dvorak qu’on décrira comme étant « free-bop » et se termine improvisation collective. Bien que les noms des musiciens soient listés comme un collectif, il s’agit d’un projet de Dvorak. D’abord, je soulignerai la pertinence souple et aérienne du percussionniste  Mark Sanders avec qui Dunmall joue de plus en plus souvent, surtout depuis la regrettable disparition des deux Tony, Levin et Marsh. Le contrebassiste Chris Mapp assure remarquablement et très élastiquement le rôle de pivot du quartet. Quant à Paul Dunmall, un saxophoniste ténor avec des moyens exceptionnels, il trouve ici la voix / voie idéale qui s’intègre à merveille avec l’esprit et la forme de la musique voulue par Jim Dvorak, un trompettiste lyrique, vif-argent, libertaire avec un sens rythmique indubitable. A quatre, les musiciens réalisent une véritable « communion complète ». Spécificité britannique, les deux souffleurs ne donnent jamais l’impression de jouer un solo. Du début à la fin, toutes leurs interventions semblent être une invitation vers l’autre pour que celui-ci s’insère dans le jeu de son partenaire. Les idées, les motifs mélodiques s’échangent en un superbe jeu de passe-passe avec de l’espace dans le débit et les phrases. Je répète encore que l’attitude de Dunmall est absolument admirable et que pour ceux qui connaissent très bien ce musicien et ses très nombreux albums, découvriront une autre facette de sa personnalité. Une très belle cohérence de l’ensemble. Le cinquième morceau, Getty’s Mother Burg contient le texte de Lord Buckley, Gettysburg Address, dit avec une belle verve par Dvorak lui-même avec les trois autres. Dans le dernier morceau, au un titre assez british flagmatic humor, As Above, So Below, le quartet questionne l’improvisation totale avec un style sonore raréfié nous rappelant que l’improvisation libre radicale est bien née autour de St Matin’s Lane et de Gerrard Street pas loin de Charing Cross Road. De cette ascèse musicale s’établit une pulsation soutenue par la seule contrebasse dans laquelle Jim Dvorak développe son remarquable jeu vocalisé et tressautant à la fois doux et assuré. Spontanément, surgit un solo de Mark Sanders auquel se joint le bourdonnement de la contrebasse durant quelques instants avant que le quartet ne s’envole entraîné par la merveilleuse complicité des deux souffleurs. Vers la sixième minute, Dvorak laisse un répit au drive de Dunmall pour reprendre le fil des idées en articulant puissamment les notes pivot  du saxophoniste. Il semble que le temps indiqué sur l’album ne correspond pas à celui enregistré effectivement. Mais une musique pareillement inspirée a un air d’éternité.   


Five Roosters Cinque Galli in Fuga (Per tacere del sesto) Mario Arcari Massimo Falascone Martin Mayes Roberto del Piano Stefano Giust Setola di Maiale  SM2470

Trois souffleurs, soit deux sax, Mario Arcari et Massimo Falascone et un cor, Martin Mayes, une basse électrique jouée par Roberto Del Piano et à la batterie, Stefano Giust, le responsable du label Setola di Maiale. Ce quintet et cette histoire de poulailler auraient pu être somme toute assez banale. La sacro-sainte formule orchestrale du free-jazz : un tandem basse batterie et des souffleurs. Fort heureusement, ces improvisateurs ont eu la bonne idée de remettre une série de poncifs en question en coordonnant leurs actions et réactions réciproques à l’aune de l’expérience collective de l’improvisation libre européenne. Donc pas de thème, pas de solo, pas d’accompagnateur, pas de section rythmique. On joue tous ensemble mais pas tous en même temps. D’abord le batteur percute une batterie sur laquelle sont réparties des objets percussifs, sollicite les cymbales amorties, le rebord de la caisse claire, ses frappes sont multiples et nous font entendre des timbres variés, voire contradictoires. Un crépitement organique qui accélère et ralentit autour d’une pulsation implicite et rarement soulignée. Il semble complètement concentré sur une logique délirante comme s’il se fichait du reste. Et pourtant, on entend clairement que ses tourneries ferraillantes et cliquetées font tenir l’édifice. Donc points de solos des souffleurs, mais de très courtes interventions conjointes, disjointes, télescopées ou sursautantes, coups de bec et bribes de mélodies distordues, ponctuées de silences répétés. Et une belle écoute. Au lieu de jouer tous ensemble et de surjouer au détriment de la lisibilité, on se relaie sur des demi-mesures, des points et des courbes. Eminemment collectif, un puzzle kaléidoscopique. Massimo intervient avec son IPad ajoutant une dimension électronique bruitiste bienvenue. Egos évacués, pas  de formule mais une idée originale par morceau. Une douzaine, courts pour la plupart et deux au-delà des 10 minutes. La basse électrique de Roberto Del Piano se tortille dans les tréfonds avec un son légèrement trafiqué dans une démarche vraiment improvisée. Voilà un musicien original sur un instrument réputé « limité » aux bons offices rythmiques. J’apprécie !! Evidemment, le cor de Martin Mayes (ancien compagnon de Steve Beresford il y a quarante ans au Little Theatre Club) semble faire office de trombone raccourci et se meut avec bonheur entre les coups de bec d’Arcari , sax soprano courbé, et de Falascone, alto et baryton. Dans les plages 10 et 11,  l’ingé son Paolo Falascone s’invite à la contrebasse.
Paolo est le maître de céans chez Mu-Rec studio, ex studio Barigozzi. Ce studio historique milanais, fondé en 1975,  a vu défiler Bill Dixon et Tony Oxley, Cecil Taylor, Dizzy, Chet Baker, Pieranunzi, Waldron, Lacy, Art Farmer, Paul Motian, Paul Bley et Gary Peacock, Konitz, Altschul et D’Andrea etc… Bref un lieu à tomber par terre où on enregistre encore avec des bandes magnétiques analogiques.

J’ai vraiment un grand plaisir à écouter ces Cinq Poulets déjantés. Un disque original où l’imbrication ludique et créative prend le pas sur l’exploit individuel.

16 août 2014

Henry Kaiser's Requia - Massimo Falascone - Thollem McDonas/Gino Robair / Gerold Guazzaloca Giust / Le Grand Frisson / Alessandra Novaga

Henry Kaiser Requia and Other Improvisations for Guitar solo Tzadik 7645

Henry Kaiser présente ici l’étendue de sa palette de guitariste en dédiant chacune de ses improvisations (compositions ?) à des guitaristes récemment disparus et dont la musique l’a influencé dans son parcours depuis les années 70. Des Requiems. L’album ouvre avec un voyage dédié à Basho Junghans (Basho’s Journey), les mânes de Derek Bailey et de John Fahey sont évoquées dans le même morceau (Blind Joe Death vs Charlie Appleyard du nom du personnage fictif inventé par Derek). Le souvenir de Sonny Sharrock côtoye celui de Pete Cosey dans Tandem Ghost Bike et on se demande quels sont les Many Worlds of Hubert Sumlin, le guitariste d’Howlin’ Wolf. Ships that Pass on the Night rend hommage au compositeur Toru Takemitsu et au guitariste free jazz noise Masayuki Takayanagi, association que je ne perçois pas bien tout comme celle de Bailey avec Fahey, ces artistes étant assez dissemblables. Jimi Hendrix est évoqué indirectement par Blue Spirits- for Randy California , guitar hero du groupe Spirit. Randy California jouait à l’âge de 17 ans avec Hendrix en 1966 à NYC avant que celui-ci commence sa carrière météorique en Grande Bretagne. Toutes ses références peuvent irriter ou intéresser les auditeurs, mais une chose est certaine, le talent de guitariste d’Henry Kaiser est aussi exceptionnel qu’éclectique. Free-folk, free-jazz noise, impro libre, contemporain, blues décalé, influences orientales sont les facettes du guitariste Californien. Pour cet album, il a sollicité toute sa panoplie de guitares, son tableau de chasse de collectionneur de la six cordes. Pour une autre pièce, Sun Ra Stockhausen and FeldmanWalk into a Bar on Saturn, on se demande comment il y arrive…
De prime abord, la lecture des titres où sont associés Takemitsu et Takayanagi, Bailey et Fahey, Sun Ra et Feldman fait un peu tiquer car ces rapprochements semblent superficiels. Par contre Cosey et Sharrock ont un background commun et ont même tous deux enregistré avec Miles « électrique ». La douze cordes de Basho’s Journey ouvre l’album et est vraiment superbe. D’influence folk, la musique est basée sur un ostinato ornementé de superbes accords dissonants explorés avec minutie jusqu’à friser l’atonalité lorsque le rythme est évoqué sur les notes aigües puis transposé dans une variante. Des battements naissent des accords aussi naturellement que des vagues de la houle. Le morceau suivant, acoustique et très court, Samadinha Requiem for Dr J.B, évoque un guitariste ou un artiste que je ne connais pas. Il n’en reste pas moins que c’est une des plus belles réussites de l’album, explorant un mode presqu’oriental avec un picking et un phrasé monodique et superbement travaillé. Curieusement, c’est un sept cordes électrique et Henry Kaiser a inventé un style très original. Ensuite Requiem for Fred Lieberman est une pièce très intéressante avec un instrument que je suis incapable de décrire : Alistair Miller Barncaster electric guitar avec True Temperament Neck. Excellent usage conjoint des doigtés et d’intervalles micro-tonaux en rythme libre qui évoque une harpe électrique accordée de manière très particulière. Utilise-t-il des effets électroniques, des retards, des boucles ? Ce n’est pas indiqué dans la pochette, mais ça s’écoute avec intérêt même si cela a un côté un peu New Age dans la première moitié. Heureusement il introduit des intervalles plus dissonants et des décalages dans la métrique et altère méthodiquement le caractère de la pièce dans une évolution très bien menée. Jusqu’à présent, si les trois premières pièces appartiennent à des univers différents, il y a un air de parenté, quelque chose qui les relie. On sent qu’il s’agit du même guitariste et celui-ci est un as. Depuis l’époque de What a Wonderful World (Metalangage années 80), Henry Kaiser s’est largement bonifié. La quatrième pièce, un opus contemporain rendant hommage à Sun Ra, Stockhausen et Morton Feldman développe une facette voisine de la précédente. Pas moins de 7 assorted acoustic guitars et une Spirit Totem electric guitar sont convoquées ici. Balancé par des clusters acoustiques, démarre un solo électrique torturé avec distorsion etc, le genre de chose qui me laisse toujours froid et une fois l’électricité éteinte, on enchaîne sur une variante  intéressante du dispositif de cordes acoustiques des 7 guitares acoustiques assorties. C’est pas mal, mais je ne sens pas bien ce que viennent faire là Sun Ra, Feldman et le Stock surtout dans un bar sur Saturne.
Cela dit, j’ai découvert personnellement la distortion et les effets de feedback à l’âge de quinze ans (en 1970) avec le Band Of Gypsies de Jimi Hendrix, plus exactement dans l’extraordinaire Machine Gun. Depuis lors, je ne me lasse pas d’écouter Hendrix, le quel n’avait pas de « rack », seulement trois pédales qu’il combinait en sautant dessus (dansant sur le rythme de la musique) et surtout des doigts qui contrôlaient en permanence les boutons le vibrato et le manche. Par contre, la grande plupart des ceusses qui distortionnent, je les écoute une fois et puis je classe le disque ad vitam aeternam. Veuillez m’excuser, je préfère trop la musique acoustique et il y a chez Hendrix un son organique, une voix naturelle dans laquelle on oublie l’utilisation de l’électricité. Je dirais pareil de Duane Allman et Dicky Betts. Le reste, on oublie. De même commençant avec un gros cliché quasi-métal, la strato saturée de Tandem Ghost Bike (pour Cosey et Sharrock) évolue mieux et contient des phrasés alternatifs subtils et bien enchaînés. Par contre, avec un drive intéressant en acoustique au démarrage, the Many Worlds of Hubert Sumlin utilise le procédé du multipiste avec un background acoustique blues et des solos un peu destroy à l’électrique qui me déçoivent. Ça sonne blues, mais on est un peu loin du feeling du blues. Je suis un fan d’Howlin’Wolf et comme Sumlin fut son lieutenant à la six cordes, ou bien je connais mal les Many Worlds de ce guitariste, ou bien le parti-pris de Kaiser est aussi subjectif qu’il me semble impénétrable. La pièce n° 8, Blind Joe Death vs Charlie Appleyard sonne comme du pur Fahey avec quelques mesures dodéca(pata)phoniques en clin d’œil à Derek Bailey. C’est excellent. Comme elle vient après la courte pièce acoustique de deux minutes dédiée à Takemitsu et Takayanagi, très concise et qui renvoie à l’atmosphère des premiers morceaux de l’album, il y a un intéressant effet de continuité. Pour finir les Blue Spirits pour Randy California avec la strato électrique avec le True Temperament Neck et des pédales s’échappent dans une atmosphère aquatique voire océanique. J’y retrouve une belle accointance avec des plages du double album de Randy, Spirit of 1976, publié en 1976, un des derniers albums de rock que j’avais acheté avant de me plonger à fond dans le jazz, l’improvisation libre, les musiques traditionnelles et la musique contemporaine. En résumé, c’est un bon disque éclectique joué par un guitariste fantastique qui a pris le parti de faire coexister plusieurs esthétiques / sources d’inspiration avec talent. Son travail à l’électrique me semble manquer de sensibilité à mon goût. Par contre, ce que j’entends au niveau acoustique me semble être le sommet de l’iceberg. A l’écouter, il semble que l’étendue de sa palette est exceptionnelle et qu’elle est servie par une musicalité intelligente nourrie par une pratique intensive et un amour encyclopédique de l’instrument. A écouter donc et à suivre, surtout s’il produit un album ou se produit entièrement à la guitare acoustique.

Massimo Falascone  Variazioni Mumacs 32 short mu-pieces about macs Public Eyesore 126

Conçu et composé par le saxophoniste Massimo Falascone avec la participation de plusieurs musiciens parmi lesquels  le violoncelliste Bob Marsh - auteur des textes - les percussionnistes Fabrizio Spera, Filippo Monico et Marcello Magliocchi, le pianiste Alberto Braida, le clarinettiste Giancarlo Locatelli, des membres de sa famille , Leonardo et Giovanni Falascone etc… , Variazioni Mumacs est une suite d’événements sonores brefs, d’ambiances / field recordings, extraits de textes lus de conversations et de rires, de séquences improvisées, des sons électroniques etc…qui évoluent comme un journal dans lequel un voyageur (des sons) aurait confié ses impressions. Les parties improvisées avec Bob Marsh au violon et au violoncelle (The Doctor Goes), la présence remarquable des percussionnistes, les doigts de Braida grattant dans les cordes du piano, les interventions de Massimo Falascone au sax alto ou au baryton s’insèrent dans les collages sonores. Incantations est une pièce vocale en multipistes qui donne encore une dimension supplémentaire bienvenue où vient poindre la contrebasse de John Hughes. Immédiatement l’attention se resserre sur la guitare acoustique arpégiée d’Emanuel Segre perturbée par des effets où interviennent des échantillons de voix et des guitares électriques. Ensuite le violoncelle de Bob Marsh improvise seul et introduit des samples de voix (radio et conversations de pilotes d’avion en italien (??)). La clarinette de Giancarlo Locatelli et le sax de Falascone s’entrecroisent sur Light Blue (Thelonious Monk) dont un accord sert ensuite de prétexte à une intervention épurée d’Alberto Braida au piano à la quelle se joint la clarinette basse de Locatelli.  Cette alternance imprévisible d’effets, d’improvisations instrumentales aiguisées et pertinentes, de montages sonores avec des voix trafiquées et des boucles électroniques évolutives / éphémères tend a créer une écoute différente en fonction des changements abrupts ou des transitions qui s’opèrent d’un univers à l’autre. Ce concept particulier place la pratique de la musique improvisée radicale  dans un cadre préétabli de structures et de constructions sonores et permet sûrement de mettre en évidence ce qui rend l’improvisation totale et instantanée («non- idiomatique » selon Derek Bailey) être une démarche passionnante. L’inventivité de Marsh au violon et au violoncelle (et électronique)  lors du monologue « Did You Remember To Bring Your Hat ? », dit par Bob Marsh lui-même, joue avec la métrique et le flux de sa diction. La pièce suivante nous fait entendre la sculpture sonore de Marcello Magliocchi commentant une ballade déstructurée par le baryton de Falascone dans un ressac de vagues (An Intineracy). Un ostinato de cordes s’interrompt brusquement sur une nappe de vents synthétiques introduisant des voix.
Sans aucune prétention, ces Variations Mu Macs transcendent l’apparente dispersion éclectique de l’œuvre, ce qui pourrait être qualifié d’hétéroclite, grâce à la pertinence de chaque plage. Un auditeur occasionnel pourrait se concentrer sur chacune des vignettes instrumentales, très réussies, et, ainsi stimulé, voyager mentalement dans l’espace des suggestions sonores des montages. Ce travail fait appel à l’imaginaire et réunit avec bonheur plusieurs pratiques musicales et des improvisateurs d’envergure (Braida, Locatelli, Magliocchi, Marsh, Falascone). Excellent pour déboucher les oreilles des amateurs d’ambient et de bidouillages électros…

Le Grand Frisson : On / Off  Patricia Bosshard violin Laurent Bruttin clarinette, clarinette basse, Yannick Barman trumpet, Jean-Jacques Pedretti, trombone, Vinz Vonlanthen, guitare, Dragos Tara, contrebasse, electronique, Cyril Bondi, percussion, Christophe Berthet, soprano alto saxophones. Creative Sources CS 241.

Huit compositions/ improvisations pour un total de 43 minutes par un orchestre de huit instrumentistes improvisateurs radicaux. Deux cordes frottées, une guitare, une percussion, deux cuivres, deux anches, un équilibre instrumental. Pas de solos « individuels » , pas de thèmes etc… l’improvisation à l’état pur où chacun apporte des sons spécifiques sur la base de l’écoute mutuelle dans une imbrication collective qui bonifie l’apport de chaque individu. Point de démonstration virtuose, ce n’est pas le propos mais avant tout une construction où chaque son proposé trouve sa place et sa raison d’être dans un tout. Particulièrement basé sur les techniques alternatives, ces huit-là pratiquent le « stop and start » : on joue quelques sons et puis fait silence sur une durée approximativement équivalente, on répète un motif obstiné, on ajoute des textures, des frottements, s’y ajoute un bref élément mélodique. Ils sont quatre puis cinq puis trois, puis huit, six, deux et parfois on n’associe  pas l’instrument et le son entendu. Econome, précis, placé sur une scansion suggérée, elliptique, granuleux, silence abrupt. ON /OFF. Less is more. Donc pas de « solos ». Un point engendre une ligne , des courbes croisent un cercle et une oblique reste suspendue. L’orchestre explore avec un réel succès des trajectoires et des matériaux variés. Un grand sens de la dynamique qui permet à chaque voix de se faire entendre clairement. On frise parfois le murmure ou  une forme multilinéaire sur-active croît jusqu’au climax. Sans doute certaines consignes ont été données dans le but de se focaliser sur un territoire, une pratique spécifique qui permet à l’orchestre de s’exprimer de manière différente et complémentaire sur chacun des morceaux.  Pour les amateurs de musique improvisée « cognoscenti » On/Off s’écoutera avec plaisir. Ces musiciens comptent parmi les plus engagés parmi la nouvelle génération des improvisateurs helvétiques et cet enregistrement réussi est révélateur. Je ferais une remarque : il y aurait pu y avoir une pièce où l’action exprimerait la place du rythme dans une réaction en chaîne et où le son individuel se métamorphose au fil des secondes. Vitesse ne veut pas toujours dire avalanche de notes (Gunther Christmann, Phil Wachsmann). J’espère m’être bien fait comprendre. Malgré cette remarque, plusieurs bons points et toute ma sympathie. Il n’est pas fréquent qu’un groupe d’improvisateurs évolue aussi bien au-delà du quartet sur la base d’une véritable écoute mutuelle. Remarquable et vraiment bonne musique.


Thollem McDonas Gino Robair Trio Minus One (for Dennis Palmer) Setola di Maiale SM 2650


Pianiste extraordinaire, Thollem McDonas se fait entendre au piano électrique Rhodes et aux effets analogiques en compagnie du percussionniste Gino Robair, à la batterie et avec une panoplie de percussion métalliques, dans plusieurs séquences dynamiques et énergiques complètement improvisées. Le Rhodes fut un instrument roi dans la nouvelle vague jazz-rock et rock progressif des années 60/70 et McDonas s’en sert de manière ouverte et non conventionnelle. On a souvent entendu Gino Robair, un compagnon habituel de John Butcher et de la trompettiste Birgit Uhler, avec ses energized surfaces et des percussions électroniques. Ce n’est pas sans plaisir que nous le trouvons avec une vraie batterie dans un rôle un peu plus « conventionnel ». Huit pièces se détachent clairement par leurs propositions sonores, leurs directions in music, mettant en valeur les possibilités de cette formule inusitée. Après un démarrage assez « free-rock », nous avons droit à des échanges profonds, une belle collaboration dans laquelle le pianiste et le percussionniste construisent des espaces sensibles, mouvementés ou en apesanteur. McDonas, qui est un pianiste acoustique d’une virtuosité confondante, donne juste la bonne dose créant des ambiances envoûtantes et laissant le champ auditif  libre pour les détails du jeu percussif de son camarade. Il a trouvé un style original qui s’accorde bien avec la recherche improvisée et la nature de son instrument, le quel est associé au groupe de Miles Electrique (le Live au Fillmore East avec Corea, De Johnette, Holland et Grossmann).  On en retrouve ici quelques échos. On a oublié combien Robair est un percussionniste « classique contemporain » subtil et pertinent. Ils se répartissent les rôles de meneur, lanceur d’action, commentateur, soliste, accompagnateur, duettiste avec spontanéité et esprit de suite. Mc Donas et Robair ont des trouvailles sonores remarquables : dans quelques morceaux on a peine à deviner qui fait quoi. J’aime particulièrement ces instants où Robair fait vibrer une cymbale avec un archet secondé par l’exquise sonorité des effets électroniques de Mc Donas, simplissime : la note juste !!
Le titre du cd évoque un hypothétique trio avec le regretté Dennis Palmer, disparu en février 2013. Cette musique est surtout le plus bel hommage qui soit. Ce duo se suffit à lui-même et l’album contient un magnifique équilibre se laissant écouter avec plaisir et intérêt. L’album parfait pour accrocher des oreilles branchées plus « rock » ou post jazz électrique et les emmener dans un beau voyage qui les amènera sans doute à aimer une autre musique, plus audacieuse, libre et improvisée et cela sans la moindre concession. Excellent.

Nils Gerold Nicolà Guazzaloca Stefano Giust Transition at Mibnight Jazz Festival Setola di Maiale SM 2640


Deuxième album de ce trio né d’une rencontre « ad-hoc » durant l’été 2011 à Bologne immortalisée sur le même label (Transition). Lors de ce concert de novembre 2012 à Bremen, la ville de Gerold, ce triangle flûtes (Gerold), piano (Guazzaloca) et percussions (Giust) s’est superbement bonifié créant des perspectives variées, des points de chutes, des modes de jeux aussi heureux que diversifiés. Stefano Giust, qui est aussi l’homme à tout faire de Setola di Maiale, a intégré une approche plus dynamique dans son jeu, donnant une plus grande lisibilité et plus d’espace au piano et à la flûte, instruments qui demandent de la part du percussionniste une certaine retenue. Guazzaloca est inventif à souhait. Qui avait écouté le premier Transition sera surpris par le recueillement et les sons délicats et introspectifs de la flûte dès la minute 12 (Before the Second) dans un véritable consensus du trio. La construction qui en découle est un chassé-croisé avec ralentis et accélérés, silences, reprises, contrepoints multiformes, soliloque expressif, conversation, emboîtements, course poursuite, arcs tendus sur le vide, changement subits. Il s’agit d’un bel échange / partage / communion focalisé sur tous les aspects  du rythme développés et étirés avec une superbe maestria dans une dimension plus lyrique. La  deuxième pièce, Just One From the Third,  s’ouvre sur un autre univers où les cordes du piano sont mises à contribution.  Il y a une belle empathie combinée avec une indépendance assumée, j’entends par là qu’ils jouent ensemble à 100% en évitant le mimétisme. L’enregistrement favorise un peu trop les chocs de la batterie et moins les détails de la flûte, instrument délicat. D’ailleurs Giust corrige le tir en concentrant son jeu sur les cymbales et les bords de caisse. Nils Gerold n’est pas un flûtiste de formation mais au départ un saxophoniste qui a adopté la flûte comme premier instrument pour des raisons personnelles. Certains connaisseurs vous diront qu’il ne joue pas l’instrument selon sa conception intrinsèque. Bien d’accord, mais il crée de la musique intéressante et qui accroche immédiatement l’oreille par son dynamisme et sa maîtrise des pulsations tout en jonglant avec toute la gamme des coups de langue et des harmoniques. Ce n’est pas pour rien qu’il a joué  dans des festivals avec Paul  Lovens, Paul Lytton, Ulli Philipp et Urs Leimgruber et que Giust et Guazzaloca, un pianiste de classe internationale, se produisent avec lui et ont publié ce disque eux-mêmes.  Le pianiste Guazzaloca est le pianiste à suivre en Italie (et en Europe). Avec ses compatriotes Gianni Lenoci et Alberto Braida, Guazzaloca est un des plus convaincants sur son instrument dans l’univers de l’improvisation radicale, et quand on énumère les improvisateurs d’envergure et les talents péninsulaires, cela fait de l’Italie un terre d’élection pour les musiques improvisées. Le retard sur l’Allemagne ou l’Angleterre s’est largement comblé. Ce Transition at MIBNight le démontre parfaitement.  Tout ça sent bon la musique improvisée européenne. On songe aux groupes avec Irene Schweizer, Fred Van Hove, Ulrich Gumpert. Le problème de balance évoqué plus haut est bien le seul point sensible, tout le reste (musique, musiciens, groupe, cohésion, invention, etc) est parfait. Une manière de jazz libre qui rejoint la pratique de liberté totale des Evan Parker, Ivo Perelman, Paul Dunmall et leurs camarades. Passionnant !

La Chambre des Jeux Sonores Alessandra Novaga : Electric guitar. Setola di Maiale SM2690


Instrument de prédilection de la modernité, la guitare électrique a acquis un statut dans le monde de la composition contemporaine. Ça lui donne un côté rock, innovant, sans doute radical, sexy et dans le coup. Pour cette Chambre des Jeux Sonores (en français dans le texte), Alessandra Novaga joue des partitions de Vittorio Zago, Sandro Mussida, Paula Matthusen, Travis Just et Francesco Gagliardi. Le disque pourrait aussi s’intituler Jeux Sonores sur un Objet Sonore (guitare électrique)…. Chaque pièce s’attaque à un élément précis de cet instrument complexe et développe une idée avec un point de vue minimaliste (In Memoria de Vitorio Zago) sans solliciter les techniques de guitare conventionnelles. C’est justement cela qui fait de Derek Bailey, John Russell, Roger Smith ou des incroyables guitaristes du Magic Band de Captain Beefheart époque Trout Mask/ Decals (Zoot Horn Rollo, Winged Eel Fingerling, Rockette Morton) des guitaristes essentiels et incontournables. Cela dit In Memoria est fascinant et mystérieux. La lettre M s’est en allée et cela a sans doute un sens si ce n’est pas une omission.  La troisième composition, Collaborating Objects de Paula Matthusen, commcnce avec un jeu sur les harmoniques s’y ajoute un effet de pédale de volume et puis fade out. Et puis un accord grave réitéré et parsemé de sons bruitistes après une respiration les harmoniques reviennent piquetant l’ensemble, ensuite ces éléments se combinent avec des effets divers créant un narratif sonore dominé bien vite par l’usage du vibrato de l’ampli. Alessandra Novaga a le talent de mener à bien le continuum et d’exprimer l’idée du compositeur. International Hash Ring de Travis Just, exploite de manière plus agressive l’effet vibrato en lui conférant un dimension sonore plus proche des claviers électroniques. N’étant pas un spécialiste des effets électroniques pour guitare (j’en suis resté au stade du Hendrix de 1969-70 qui jonglait avec la combinatoire de ses trois pédales, un ampli à fond et des pieds et des doigts omniprésents réglant le son avec les quatre boutons et le sélecteur de micro sur la guitare sans parler du manche tordu du vibrato), je suis incapable de décrire ou de deviner le processus. Tout ce que je peux dire c’est que ce quatrième opus a une belle énergie et un côté free-music mâtiné post-rock réjouissant. La guitariste contorsionne les sons et les attaques dans un beau climax sans pour autant faire tout péter. C’est quand même pas mal.

Pour ceux qui aime la guitare électrique dans un cadre expérimental. On espère qu’Alessandra Novaga puisse se produire, évoluer, se développer car elle a un potentiel musical réel.